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études-coloniales
31 mars 2012

critique du documentaire "Troufions"

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à propos du film "Troufion"

 général Henry-Jean FOURNIER

 

Il y a des films qui portent bien leur nom. Ainsi en est-il du documentaire que la chaîne de télévision France 2 a présenté  mardi 27 mars 2012, à 23 h 00.

Car ce sont bien des «troufions» que l’on nous a complaisamment présentés pour témoigner de leur guerre d’Algérie. Sans aller jusqu’à rappeler l’origine étymologique de ce terme qui s’apparente plus à «trou-du-cul» qu’au sympathique ami bidasse, on notera que le discours de ces grands-pères repentants (à l’exception de celui qui, ayant perdu une jambe, aurait eu de bonnes raisons de critiquer la guerre qu’on lui a fait faire….) était uniformément convenu et que l’on entendait sans surprise leur témoignage, tant il était manifestement le fruit d’une restitution.

L’un citant le général de Bollardière (combien de soldats ont entendu parler de lui en Algérie ?), l’autre évoquant l’exploitation des algériens et la richesse des colons….

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Et inévitablement, chacun évoque la torture et les viols qui ont été, bien entendu, l’activité permanente des soldats du contingent en Algérie, en dehors des scènes de beuverie qui doit accompagner, dans l’esprit des réalisateurs, toute image de l’armée.

Mais, bizarrement, ces témoignages sonnent faux. Comme s’ils étaient le résultat d’une leçon bien apprise, que l’on récite avec des regards faux-fuyants, en employant les termes que 50 ans de matraquage médiatique ont fini par imposer aux mémoires défaillantes, occultant notamment tout ce que les soldats de français ont réalisé dans ce pays. La pacification est citée, mais uniquement de manière ironique.  Pas un de ces témoins n’a rencontré un médecin dans les douars et un seul évoque son rôle d’instituteur.

On y parle en revanche des «soldats» du FLN, alors que le terme couramment employé dans la troupe était les «fells» ou les «fellouzes». On y parle aussi d’armée d’occupation imposant sa violence à des résistants.

On y parle de baignoire… sous la tente, dans le djebel.

Pour faire sérieux, on évoque d’un air entendu les «bidons» de napalm.

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Et dans tout cela, on se demande où étaient les cadres de ces «troufions»  livrés à eux-mêmes ?

L’on n’épargne même pas au spectateur le long plan final d’un homme vaincu, cherchant ses larmes en baissant la tête, comme s’il récitait son acte de contrition.

Triste image que celle donnée par ces hommes qui, au soir de leur vie, se sont laissés influencer pour dénoncer une guerre qu’ils n’ont en fait jamais acceptée (mais dont ils se font remettre volontiers les décorations) et dont ils n’ont tiré aucun motif de fierté, pas même celle de leur engagement au service de la France.

Il est vrai qu’ils ont combattu pour rien, puisque la France a perdu et ne peut justifier les sacrifices accomplis par ceux qui, eux, ne sont pas revenus.

Heureusement, tous les soldats français en Algérie n’ont pas ressemblé à ceux-là. On attend que MM. Demaizière et Teurlai leur donnent la parole, car ils auraient aussi beaucoup à dire….

Général (2S) Henry-Jean FOURNIER

 
28026766
 
 
________________________
 
 
Le 31 mars 12 à 16:35, breton.veuillac a écrit  [adressé au général Maurice Faivre] :
 
Mon général,
 
Merci de m'avoir adressé votre commentaire sur le film Pour Djamila. J'ai été très intéressé par vos remarques sur le film lui-même (que je n'ai pas vu) et je partage tous vos avis sur le débat (que j'ai vu). Ce soit-disant débat violait les règles élémentaires de la déontologie : des intervenants unanimes dans leur idéologie anticolonialiste dirigés par un animateur complaisant, qui, par exemple, qualifie l'armée française "d'armée d'occupation". Le message est clair : disculper le terrorisme du FLN et discréditer encore la France et son armée.
 
J'ai aussi pris connaissance de votre "Mise au point" concernant "La Déchirure" et j'y adhère totalement (j'ai vu le film et le débat). J'avais par ailleurs constaté dans ce film la volonté de caricaturer les SAS en réduisant leur rôle à une action humanitaire intéressée, ayant pour but de recruter des harkis. Et quel débat inadmissible : cinq compères et commères anticolonialistes derrière Stora, parfois devant, et un Pujadas incompétent sollicitant de l'auteur des éloges sur son film. Seul impartial, seul contre tous, Jean-Jacques Jordi s'est forcément peu exprimé.
 
Cette semaine a eu aussi son lot de désinformation sur la guerre d'Algérie avec la projection le mardi 27 mars à partir de 23 heures (heureusement) de deux films sur France 2. Le premier, "Les Troufions ", met en scène des anciens appelés français pitoyables (sauf un), encore écœurés et honteux des "atrocités" commises par les autres à cause de la France (ah si, l'un avait tourné " la gégène" une fois!).
 
Le deuxième film, "Guerres secrètes du FLN en France", consiste en une série d'entretiens avec "des acteurs majeurs de la lutte pour l'indépendance algérienne". Ces "acteurs majeurs" sont des anciens cadres FLN en France, responsables du terrorisme vis-à-vis de leurs coreligionnaires et de combien d'assassinats. Eux, ils n'ont pas de repentir et sont fiers de leur "lutte" (intervient aussi Vergès, exposant avec fierté sa double trahison, envers la France et envers sa déontologie d'avocat).
 
Il me semble que toute cette désinformation sur la guerre d'Algérie vise à inculquer dans la tête des Français l'idée fausse suivante : pendant la guerre d'Algérie, il y a eu de la violence des deux côtés (français et FLN), mais elle était justifiée du coté FLN par une belle cause, celle de l'indépendance, et condamnable du coté français où elle servait l'affreux colonialisme.
 
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Que la télévision nationale diffuse une telle propagande antifrançaise est évidemment contraire à sa mission, contraire aussi à l'engagement écrit pris par son président de "veiller à l'expression de toutes les sensibilités sur nos chaînes"  (lettre du 11/1/11, privée, donc confidentielle).
Que puis-je faire actuellement ? Seulement, je crois, être un pion dans une éventuelle action collective (j'avais fait une proposition précise à l'UNC, il y a un an : elle n'a pas été retenue).
 
Mon Général, je vous remercie pour ce que vous faites, pour votre oeuvre historique mais aussi parce que vous êtes souvent la seule voix de la France et de la vérité, une voix qui fait autorité.
 
Je vous prie d'accepter, Mon Général, mes sentiments de respectueuse sympathie.
 
Jean-Marie BRETON
Veuillac 19300 Darnets
ancien chef de SAS en Oranie
 

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29 mars 2012

nouvelle critique de "La Déchirure"

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"La Déchirure" : ce documentaire n'est pas

un outil de référence

Daniel LEFEUVRE

 

La Déchirure, est-il bien cette « première histoire générale de la guerre d'Algérie, factuelle et impartiale » comme le soutient L’Express ? Un visionnage attentif du documentaire de Gabriel Le Bomin et Benjamin Stora, diffusé le 11 mars par Antenne 2, conduit à une lecture beaucoup plus réservée.

Je ne reviendrai pas sur la séquence qui précède le générique : directement inspirée de La Bataille du Rail (René Clément) ou de Lucie Aubrac (Claude Berri). À l’évidence, il s’agit d’un film de propagande tournée par l’ALN. Les auteurs du documentaire ne pouvaient pas l’ignorer. Pourquoi, dès lors, laisser le téléspectateur croire qu’il s’agit d’un document authentique ? Une explication paraît s’imposer : parce qu’il permet de construire un parallèle entre les attentats perpétrés par le FLN, en novembre 1954, et l’action de la Résistance française contre l’occupation allemande. Ainsi, d’emblée, la France en Algérie est-elle constituée en puissance occupante que le FLN est évidemment fondé à combattre.

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Une deuxième remarque concerne le statut des images projetées : elles ne sont jamais référencées, ni datées, ni localisées, ce qui permet toutes les équivoques : un Algérien est froidement abattu, d’une balle, dans le dos par des soldats français. Mise en scène ou scène authentique ? Qui est la victime ? Pourquoi est-elle exécutée ? Quelles sont les circonstances de cette exécution ?

Épisode de la répression du soulèvement de Sétif en mai 1945 ou de celle de Philippeville, en 1955 ? Aucune précision n’est apportée, rien ne permet de comprendre ce qui apparaît comme un assassinat froidement exécuté, un crime de guerre perpétré par des soldats français.

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Loin de l’impartialité revendiquée, on constate également qu’images et commentaires minimisent la violence du FLN mais amplifient celle de l’armée française. Enfin, toute une série d’erreurs factuelles et d’approximations n’autorisent pas à faire de ce documentaire un outil de référence.

Quelques exemples, présentés ci-dessous, en témoignent.

- Le soulèvement du Constantinois du 8 mai 1945 : conséquence du coup de feu d’un policier qui tue le porteur du drapeau algérien, en tête de la manifestation organisée ce jour-là par le Parti du Peuple Algérien ?

À l’issue d’une longue et scrupuleuse enquête, Roger Vétillard a démontré qu’en réalité, avant ce tragique épisode intervenu un peu après 9 heures du matin, deux Français avaient déjà été assassinés : à 7 heures, Gaston Gourlier, régisseur du marché aux bestiaux et, quelques minutes plus tard, M. Clarisse.

L’émeute, qui fit au total 40 morts parmi la population européenne (28 le jour même, les autres des suites de leurs blessures) s’inscrit dans une stratégie de tension délibérément mise en oeuvre par le PPA qui avait programmé, depuis le mois d’avril, une insurrection et parmi les manifestants du 8 mai nombreux étaient armés.

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- «Les hommes politiques de la IVe République ne voient pas la marche inexorable de la décolonisation».

Cette affirmation n’est pas totalement fondée. Le mouvement de décolonisation a bien été pris en compte, en particulier par Pierre Mendès France (accords de Genève mettant fin à la guerre d’Indochine ; discours de Carthage ouvrant la voie à l’indépendance de la Tunisie, cession à l’Inde, entre 1951 et 1956, des Établissements français). Simplement, pour tous les hommes politiques de la IVe République, l’Algérie n’est pas une colonie, c’est la France.

- À la suite des massacres épouvantables perpétrés par le FLN dans la région de Philippeville en août 1955, 123 tués dont 71 Européens, hommes, femmes et enfants, la répression de l’armée française a fait, selon le FLN, 12 000 morts. Pourquoi le documentaire donne-t-il crédit à ce bilan, exagérément grossit et ne cite-t-il pas le bilan officiel de 1 273 morts ?

- Palestro : l’embuscade du 18 mai 1956, qui se solde par la mort de 17 soldats du contingent, est présentée comme la réponse au vote, par l’Assemblée nationale, de la loi sur les pleins pouvoirs. Comme si le FLN avait attendu la loi pour tendre des embuscades. Rien n’est dit, en revanche, sur les tortures subies par les soldats blessés faits prisonniers, avant leur mise à mort, ni sur les mutilations infligées aux cadavres.

- Torture : à plusieurs reprises, en revanche, le documentaire insiste sur le caractère «généralisé» de la torture pratiquée par l’armée française, alors même que les historiens – notamment Jean-Charles Jauffret et Jacques Frémeaux – ont démontré qu’elle n’avait pas été générale, ni dans le temps de la guerre, ni dans l’espace algérien.

- Mélouza : en mai 1957, le FLN massacre 300 habitants du village de Mélouza, convaincus de sympathie pour l’organisation nationaliste rivale, le MNA de Messali Hadj. Des images de ce carnage sont montrées mais, à entendre le commentaire qui suit, l’important semble ne pas être là, mais dans le fait que, mise à profit par les autorités françaises qui présentent à la presse internationale les cadavres des victimes, «la tragédie devient propagande».

 

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- Pétrole : les hydrocarbures découverts dans le Sahara (le pétrole, en juin 1956, à Hassi-Messaoud et le gaz naturel, en octobre de la même année à Hassi r’Mel) sont présentés, à deux reprises dans le documentaire, puis par Benjamin Stora lors du débat qui a suivi, comme de «précieuses ressources dont économie moderne a besoin. Pas question de s’en séparer». Voilà qui expliquerait l’acharnement des autorités françaises à vouloir garder, coûte que coûte, le Sahara français, jusqu’au revirement de septembre 1961.

- Dans le contexte actuel de cherté du pétrole, cette explication est susceptible de rencontrer un écho important. Mais la conjoncture pétrolière de la fin des années 1950-début des années 1960 n’est pas celle née avec le choc pétrolier de 1973. Lorsque le pétrole d’Hassi-Messaoud est découvert, le marché mondial est saturé par l’offre (du Moyen-Orient, de l’URSS et de la Libye) et le pétrole algérien, particulièrement coûteux, n’offre pas d’avantage immédiat à la France, c’est même, selon l’expression du conseiller du commerce extérieur français à Washington, «un problème» tant son écoulement est difficile à assurer.

À tel point que le co-inventeur d’Hassi-Messaoud, la CFP-A (Total), ne souhaite pas que le gisement soit exploité tant que les cours du brut  ne permettront pas de la rentabiliser. Pour plus de détails, que les lecteurs de cette note me permettent de les renvoyer à l’article re-publié dans le numéro de mars de Guerre&Histoire. (Un détail, révélateur d’une certaine approximation de l’information offerte par le «documentaire» : le pipe-line d’Hassi-Messaoud n’aboutit pas à Arzew – terminal gazier - mais à Bougie).

- À propos des manifestations du 10 décembre 1961 à Alger, le documentaire affirme que des ultras de l’Algérie française, réfugiés sur les toits, tirent sur les Musulmans qui s’aventurent dans leurs quartiers, causant la mort de plus de 200 d’entre eux.
La version de l’historien Gilbert Meynier est très différente : «À l’occasion de la visite de De Gaulle en Algérie prévue pour décembre, les ultras du Front pour l’Algérie Française organisèrent des manifestations contre la politique gaullienne “d’abandon”. Elles tournèrent parfois au combat de rue et furent émaillées de provocations contre les Algériens et de “ratonnades”. À Alger, ce fut au départ en réaction contre les ultras que […] des milliers de jeunes gens descendirent dans la rue, à partir de l’après-midi du 10 décembre […] Les manifestations culminèrent le lendemain 11. Armés de gourdins, de barres de fer, de chaînes de vélos, les manifestants […] s’en prirent aux Européens rencontrés et ils saccagèrent la grande synagogue de la Casbah […] Dans l’après-midi […] des troupes françaises […] ouvrirent le feu à l’arme automatique sur les foules de manifestants» (G. Meynier, Histoire intérieure du FLN, Fayard, 2002, p. 465).

Le bilan officiel (cité par G. Meynier, p. 466), est de 120 morts, dont 90 à Alger, parmi lesquels 112 Algériens (dont 84 à Alger). Si, de source algérienne, le bilan serait plus lourd, la question se pose une nouvelle fois : sur quoi les auteurs du documentaire se fondent-ils pour avancer le chiffre de 200 morts algériens pour la seule ville d’Alger ? Pourquoi font-ils peser sur les “ultras” l’initiative des coups de feu ? Pourquoi n’évoquent-ils pas le caractère xénophobe des manifestations algériennes, relevé par de nombreux témoins ? Pourquoi taisent-ils l’incendie de la grande synagogue de la Casbah ?

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- Manifestation du 17 octobre 1961 à Paris.

1°. Dans leur présentation du contexte expliquant cette manifestation, les auteurs du documentaire évoquent «les agressions» dont ont été victimes de nombreux policiers de la part du FLN. Quel bel euphémisme ! Voici ramenés à de simples «agressions» l’assassinat de 22 policiers entre janvier et le 16 octobre 1961 (et plus 74 blessés).

2°. «Trente mille Algériens se réunissent pour protester contre le couvre-feu» qui leur est imposé par la Préfecture de Police. Spontanément ? On pourrait le supposer puisque le documentaire oublie d’avertir que cette manifestation est organisée par le FLN et que tous les Algériens de la région parisienne devaient y participer sous peine de sanction.

3°. Quant au bilan de la répression policière, pourquoi le documentaire accrédite-t-il le chiffre faux d’une centaine de victimes, alors que ses auteurs n’ignorent évidemment pas le livre de Jean-Paul Brunet, Police contre FLN, Le drame d’octobre 1961 (Flammarion, 1999) qui, après une étude scrupuleuse des sources, avance le bilan, jamais sérieusement contestée, de 30 à 40 morts ?

- Enlèvements de civils Européens par le FLN après le 19 mars 1962 : le documentaire les justifie par la politique de terre brûlée de l’OAS. C’est oublier que ces enlèvements, pratiqués dès 1955, sont bien antérieurs à la création de l’OAS (Jean-Jacques Jordi, Un Silence d’État, SOTECA, 2011) et qu’ils relèvent d’une politique délibérée d’épuration ethnique mise en œuvre par le FLN, même si tout ses militants et dirigeants ne partageaient pas cette option.

9782916385563FS

- Enfin, pour en terminer avec cette énumération, il n’est pas acceptable non plus d’affirmer que la guerre d’Algérie a fait quatre cents mille victimes au sein de la population algérienne, évaluation qui est loin d’être partagée par les historiens : Xavier Yacono  les estime à moins de 300 000, Charles-Robert Ageron à 250 000, dont au moins 30 000 victimes du FLN – non compris les harkis massacrés après l’indépendance.  250 000 à 300 000, voilà l’estimation qui fait consensus (se reporter à Jacques Frémeaux La France et l’Algérie en guerre, 1830-1870, 1954-1962, Economica, 2002 et à Guy Pervillé, Pour une histoire de la Guerre d’Algérie, Picard, 2002).

Lors du débat Benjamin Stora a évoqué les «centaines de milliers» de victimes, formule suffisamment floue pour accréditer le million, voire le million et demi de «martyrs» revendiqués par la propagande algérienne. Comment expliquer qu’un historien aussi bien informé s’abandonne à une telle imprécision ?

Daniel Lefeuvre

 - voir la mise au point du général Maurice Faivre et les remarques de Michel Renard

 - voir "La Déchirure" : ce documentaire n'est pas un outil de référence, Daniel Lefeuvre

 

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24 mars 2012

monuments aux morts à Alger, 1962

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qu'est devenu le monument aux morts

à Alger en 1962 ?

Études Coloniales

 

À la demande d'un de nos visiteurs, nous souhaiterions recueillir des informations précises sur ce qu'il est advenu du monument aux morts à Alger après l'indépendance.

Il semblerait que le 21 Août 1962, ce monument ait été bétonné faute d'avoir pu être être détruit facilement. Et ensuite ? Comment et quand a-t-il été détruit ?

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Il fut édifié, notamment par Paul Landowski. Il existe des informations précises sur le site de Simone Gauthier quant à son origine.

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Ce site propose des extraits du journal de Paul Landowski que nous relayons ci-dessous :

18 février 1922
Je me suis trompé dans mon pronostic pour le concours d'Alger. C'est notre projet qui a le prix. Me voilà donc avec une nouvelle formidable histoire sur les bras.

13 mai 1923
Passé la matinée à rédiger de manière définitive le devis pour le monument d'Alger.

26 juin 1925
J'ai commencé tout de même la maquette d'Alger (1).

(1). Il s'agit du monument aux morts d'Alger ou le Pavois. Le concours a été remporté en 1922 par les architectes Maurice Gras, Edouard Monestès et les sculpteurs Landowski et Charles Bigonet.

5 novembre 1926
J'ai complètement chamboulé le groupe arrière du monument d'Alger. Deux arabes formeront l'arrière plan. Une sorte de guerrier du sud. Le groupe principal sera formé d'une femme française et d'une femme arabe dans les bras l'une de l'autre. Effet commence à être excellent.
Le mort est moulé. Il est bien. Évidemment c'est d'une taille un peu petite pour passer à l'exécution définitive. Mais je ne crois pas que j'aurai de surprise. Enfin tout dépendra du temps qui me sera indiqué pour la pose des pierres.

8 novembre 1926
Je modifie bien le groupe arrière du monument d'Alger. Les deux femmes, l'Européenne et l'Arabe, s'embrassant fait bien. Les deux figures du fond aussi. C'est mieux que ces éternels poncifs bons pour sculpteurs de nos villes de province.

16 novembre 1926
Enfin j'ai trouvé l'arrangement du groupe du dos du monument d'Alger. Unité de sentiment. Les deux femmes s'embrassent. Les deux vieillards, l'Européen et l'Arabe s'appuient l'un sur l'autre. L'unité de sentiment a conduit à l'heureux effet plastique. Repris la Victoire. Diminué la tête. En cette taille sa petitesse semble exagérée. En grand ce sera bien. Les chevaux ne vont pas très bien. Un peu ronds et monotones d'accent. Il faut de la nature là dessus.

27 décembre 1926
La Victoire pour le monument d'Alger devient épatante. Elle prend une allure énorme depuis que je traite les bras audacieusement avec un modèle homme.

monum morts Alger 2

Ce site précise que le monument a été inauguré en novembre 1928 et que 10 000 noms d'Algérois de toutes origines y étaient gravés. Il aurait, en 1962, été "noyé" dans une chape de bois ou de béton. Aurait-il été, depuis, "débétonné" et redevenu visible ?

Qui en sait d'avantage ? Merci.

____________________________

 

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le bétonnage d'Issiakhem (effectué en 1978)
source

 recherche : Michel Renard

 

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22 mars 2012

Djamila Boupacha

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critique du film Pour Djemila (2012)

général Maurice FAIVRE

 

Pour Djemila,  présenté le 20 mars 2012 par FR3 est un excellent film de fiction, en ce sens qu'il reproduit le livre publié début 1962 par Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi. La chronologie des faits est exacte, mais leur interprétation n'est pas partagée  par les juristes de haut niveau qui l'ont suivie.
C'est le cas de Maurice Patin, ridiculisé dans le film, alors qu'il présidait la Commission de Sauvegarde du droit et des libertés individuels, collaborateur apprécié du général de Gaulle depuis 1945.
 
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image du film
 
1. Contradiction des faits. Ayant interrogé Djamila avant G.Halimi, M. Patin estime que les déclarations tardives de Djamila ne sont pas convaincantes, et que les violences subies sont sans gravité. Ses rapports successifs, de 1958 à 1961, concluent à la diminution des pratiques illégales. Il estime que l'armée protège la population, qui lui fait confiance. Le système de la torture a été disloqué par les Procureurs militaires.
 
Les rapports des médecins-légistes ne constatent aucune trace de violence ou brûlure de cigarettes, et ne confirment pas la défloration sexuelle. Cependant la gynécologue Michel-Wolfrom estime que "l'examen psychique rend probable cette défloration".
 
L'instruction de l'affaire est poursuivie à Caen par le juge Chausserie-Laprée. Le président Patin estime que "les accusations ridicules et malveillantes" publiées dans le livre de madame Halimi portent atteinte à son  honneur. Djamila n'a jamais été  condamnée. Il n'y avait aucun risque qu'elle soit guillotinée, mais il fallait le faire croire aux médias !

Elle est libérée le 7 mai 1962 par ordonnance de non-lieu, en application du décret d'amnistie du 22 mars. Réfugiée chez madame Halimi,  elle est séquestrée puis transférée à Alger par la Fédération de France du FLN, qui dénonce "l'opération publicitaire tentée à des fins personnelles" par l'avocate G.Halimi (Le Mondedu 3 mai 1962). 

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image du film 
 
2. Personnalité de Djamila.
Djamila Boupacha appartient à une riche famille  bourgeoise de banlieue. Elle se prétend exploitée par la colonisation, ce qui relève de la propagande politique subie. Elle avait tous les moyens de réussir. Il est intéressant de noter que les officiers qui l'ont interrogée à Alger expriment des opinions favorables.

Pour l'OR du sous-secteur de Bouzareah (14 février 1960), c'est une fille farcie de propagande, tendant au mysticisme,  ne cachant pas ses idées, les exposant d'ailleurs avec une certaine noblesse d'esprit.

Le commandant du sous-secteur de Bouzareah (11 mars 1960) l'estime comme une jeune fille physiquement et moralement saine, qui a témoigné d'une grande noblesse d'esprit et de beaucoup d'honnêteté dans ses déclarations. Le commandant du Secteur d'Alger-Sahel (3 juin 1960) note qu'elle est fortement imprégnée de propagande, rebelle avec une tendance au mysticisme, franche, exprimant ses idées avec courage.

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image du film

3. Débat sur la culpabilité.
Confronté à des témoins anticolonialistes et antimilitaristes, ou à des actrices incompétentes, F. Taddei n'obtient pas de réponse à la question de la moralité du terrorisme. L'historienne  Sylvie Thénault soutient la thèse de l'armée d'occupation(largement musulmane!) imposant une logique de terreur (sic).

Or tous les acteurs et historiens sérieux savent que la terreur fut d'abord celle du FLN, imposée dès 1955 à des paysans non convaincus, puis à des Européens qu'il fallait terroriser, et dont la phase ultime fut constituée par les enlèvements et massacres de 1962.

Sans doute faut-il rappeler que Sartre et S. de Beauvoir sont dans l'admiration de Franz Fanon qu'ils viennent de rencontrer. Le théoricien du terrorisme, raciste antiblanc notoire, affirme que "La vie ne peut surgir que du cadavre en décomposition du colon". Sartre écrit qu'il faut tuer le colon ! J.Daniel est horrifié par cette "philosophie".
 
Pour ces sartriens, il est normal que le civil innocent soit soumis au terrorisme.
Interrogée à Alger, Djamila ne nie pas, elle exécutait les ordres. mais elle n'a pas jugé nécessaire de venir en débattre.
 
4. Non-dit.
Le juge d'instruction de Caen a lui aussi été oublié dans le débat. Je connais ses convictions, et sais qu'il n'aurait pas approuvé l'exploitation de l'affaire.
 
Maurice Faivre, historien CFHM et
Académie des sciences d'Outre-mer

 

9782070205240 

 

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19 mars 2012

les "accords d'Évian" (19 mars 1962) - DOSSIER

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DOSSIER

 - articles Guy Pervillé et de Jean Monneret

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les accords d'Évian (18 mars 1962)

un bien étrange document

Guy PERVILLÉ

 

Cette communication a été présentée le 27 septembre 2003 au colloque organisé par le Cercle algérianiste de Bordeaux, intitulé L’après 19 mars 1962 ... et si on en parlait ! Rencontres avec des historiens et des témoins.
 
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Les accords d’Évian signés le 18 mars 1962 par les représentants du gouvernement français et ceux du FLN étaient censés rétablir la paix en Algérie par un cessez-le-feu dès le lendemain 19 mars à midi. Les Français rapatriés de ce pays sont bien placés pour savoir que la réalité fut très différente, et c’est pourquoi ce nom leur rappelle de mauvais souvenirs qui les empêchent de considérer le 19 mars comme l’anniversaire de la fin de la guerre.

Mais avant de pouvoir juger valablement ces accords, il est nécessaire de les connaître, afin d’éviter des erreurs trop souvent commises.

 

«Un bien étrange document»

Les accords d’Évian étaient un «bien étrange document» [1] de quatre-vingt-treize feuillets [2], qui comprenait un accord militaire de cessez-le-feu, et plusieurs déclarations politiques relatives à l’avenir de l’Algérie et des relations franco-algériennes.

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Le cessez-le feu devait mettre fin «aux opérations militaires et à toute action armée» le 19 mars à douze heures, et interdire par la suite «tout recours aux actes de violence individuelle et collective», ainsi que «toute action clandestine et contraire à l’ordre public». Seules les forces françaises pourraient circuler librement jusqu’au résultat de l’autodétermination, tout en évitant le contact avec les forces du FLN. Les incidents seraient réglés par des commissions mixtes, et tous les prisonniers seraient libérés.

La déclaration générale partageait les compétences pendant la période transitoire entre un haut commissaire de France, responsable de l’ordre public en dernier ressort, et un exécutif provisoire franco-algérien nommé d’un commun accord, et disposant d’une force locale ; elle promettait un référendum d’autodétermination dans un délai de trois à six mois, proclamait la souveraineté du futur État algérien, garantissait les libertés et la sécurité de tous ses habitants, fixait les principes de la coopération entre les deux États, du règlement des questions militaires et de celui des litiges.

Plusieurs déclarations particulières promettaient l’amnistie pour tous les actes commis en relation avec les événements politiques avant le cessez-le-feu et l’immunité pour toutes les opinions émises jusqu’à l’autodétermination, l’exercice des droits civiques algériens pour les citoyens français d’Algérie (avec représentation proportionnelle à leur nombre) pendant trois ans avant de choisir leur nationalité définitive, le respect de leurs biens, de leurs droits civils, et de leur religion.

-11962

Elles prévoyaient aussi la coopération économique et financière, fondée sur la réciprocité des intérêts ; la mise en valeur des richesses du Sahara par un organisme franco-algérien ; la coopération culturelle et technique. Une convention militaire ordonnait la réduction des forces françaises à 80.000 hommes un an après l’autodétermination et leur évacuation totale deux ans plus tard, sauf les bases navales et aériennes de Mers-el-Kébir et Bou Sfer, concédées pour 15 ans, et les sites sahariens d’essais de bombes atomiques et de fusées pour 5 ans. Les litiges devaient être réglés par concertation, arbitrage, ou appel à la Cour internationale de justice.

Ces accords étaient signés à la fin du dernier feuillet par trois ministres français, Louis Joxe, Robert Buron et Jean de Broglie, et par le vice-président du GPRA Belkacem Krim, qui avait tenu par surcroît à parapher chacun des 92 feuillets précédents, obligeant ainsi son homologue français Louis Joxe à en faire autant. Et pourtant, certains auteurs ont nié l’existence d’accords bilatéraux, et persistent à les présenter comme une déclaration unilatérale du gouvernement français, n’engageant que lui [3].

FranceEvianWEBde gauche à droite ; Robert Buron, Louis Jose,
Michel Debré et Jean de Broglie

Cette erreur s’explique par une confusion entre le texte authentique des accords et les «déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 relatives à l’Algérie», publiées dans le Journal officiel de la République française du 20 mars sous les signatures du président de la République, du Premier ministre, et des ministres Louis Joxe, Louis Jacquinot, Bernard Chenot et Jean de Broglie, et suivies de plusieurs décrets d’application [4]. En effet, les accords ont été publiés séparément par les deux parties, et avec des différences de présentation significatives.

Aucune des deux versions ne suivait exactement le plan du texte authentique ; celui-ci commençait par le préambule suivant :

«CONCLUSION DES POURPARLERS D’ÉVIAN.

Des pourparlers entre les représentants du Gouvernement de la République et les représentants du Front de Libération Nationale se sont déroulés à Évian du 7 au 17 (sic) mars 1962.

Au terme de ces pourparlers, les représentants du Gouvernement de la République et les représentants du Front de Libération nationale s’étant mis d’accord sur les garanties de l’autodétermination et l’organisation des pouvoirs publics en Algérie pendant la période transitoire, ont conclu un accord de cessez-le-feu.

Les représentants du Gouvernement de la République et les représentants du Front de Libération nationale ont établi d’un commun accord des déclarations qui définissent la solution d’indépendance de l’Algérie et de coopération avec la France, déclararations qui seront soumises à l’approbation des électeurs lors de la consultation d’autodétermination.

En conséquence, les documents suivants ont été établis.» [5]

Suivaient les documents classés en trois parties :

«1. CONDITIONS ET GARANTIES DE L’AUTODÉTERMINATION

a) . Règlement des garanties de la consultation de l’autodétermination,

b) . Organisation des pouvoirs publics en Algérie pendant la période transitoire,

c) . Accord de cessez-le-feu,

d) . Déclaration concernant l’amnistie.» [6]

«2. DECLARATIONS DE PRINCIPES relatives à la solution d’indépendance de l’Algérie et de coopération entre la France et l’Algérie, qui seront soumises aux électeurs lors du scrutin d’autodétermination.

A - Déclaration des garanties.

B - Déclaration de principes sur la coopération économique et financière.

C - Déclaration de principes sur la coopération pour l’exploitation des richesse du sous-sol du Sahara.

D - Déclaration de principes sur la coopération culturelle.

E - Déclaration de principes et son annexe relative aux questions militaires.

F - Déclaration de principes relative au règlement des différends. » [7]

« 3. La DECLARATION GENERALE ci-après a été adoptée.» [8]

 

893144024éléments de la délégation algérienne à Évian en mai-juin 1961, de gauche à droite :
Mohamed Ben Yahya, Saad Dahlab, maître Ahmed Boumendjel,  Ali Mendjel, Ahmed Francis, Krim Belkacem,
Taeyb Bouhlarouf, le colonel Boussouf ; au second plan, le dernier personnage à
droite, au veston clair, est Mohammed Harbi

Le préambule originel des accords signés ne fut pas publié tel quel, pas plus que la première partie. En effet, la version française publiée au Journal officiel commençait par l’«Accord de cessez-le-feu en Algérie», suivi par les «Déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 relatives à l’Algérie», qui commençaient par la «Déclaration générale» résumant l’ensemble des accords, avant de reproduire toutes les déclarations de principes.

La déclaration générale commençait ainsi : «Le peuple français a, par le référendum du 8 janvier 1961, reconnu aux Algériens le droit de choisir, par voie d’une consultation au suffrage direct et universel, leur destin politique par rapport à la République française. Les pourparlers qui ont eu lieu à Évian du 7 mars au 18 mars 1962 entre le gouvernement de la République et le FLN ont abouti à la conclusion suivante : (...)». Les points a), b) et d) de la partie 1 furent publiées sous forme de décrets [9].

De son côté, le FLN publia seulement, dans son organe officiel El Moudjahid, la déclaration des garanties, commençant par une introduction légèrement différente de la version française : «Cette déclaration générale constitue le résumé et le préambule des textes détaillés des accords, contresignés respectivement par MM. Belkacem Krim et Louis Joxe à Évian, le 18 mars 1962. Les pourparlers qui ont eu lieu à Évian du 7 au 18 mars 1962 entre le Gouvernement de la République Française et le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne ont abouti à la conclusion suivante : (...)» [10].

 

une divergence non surmontée

Cette légère différence de présentation révélait une divergence non surmontée sur la nature et la signification profonde des accords. Pour le gouvernement français, c’était un programme commun proposé par lui-même et par un parti algérien (le FLN) à la ratification des deux peuples, qui en ferait une loi fondamentale de l’État algérien [11], lequel n’avait jamais existé, et serait créé par le référendum d’autodétermination. Pour le FLN, c’était un traité entre deux gouvernements, reconnaissant implicitement la légitimité du GPRA. En effet, le général de Gaulle n’avait pas voulu reconnaître formellement le GPRA comme tel.

C’est pourquoi le gouvernement français avait d’abord prévu de ne signer aucune déclaration bilatérale avec le FLN, puis de ne signer que le cessez-le-feu, et il s’était finalement contenté de signer le dernier feuillet des accords, puis il en avait publié les textes en leur donnant l’apparence de décisions souveraines unilatérales ; alors que le vice-président du GPRA avait insisté pour en parapher tous les feuillets afin de leur donner celle d’un traité international.

Paradoxalement, les deux parties avaient agi contre leurs intérêts. En effet, le GPRA avait tenu à prendre des engagements solennels qu’il n’avait pas l’intention de respecter tous ni toujours, alors que le gouvernement français avait affaibli les accords en ne reconnaissant pas officiellement son partenaire. Les accords d’Évian étaient donc un fragile échafaudage juridique. Pourtant, le fait est qu’ils avaient bien été négociés et signés bilatéralement.

 

les origines des accords d’Évian

Avant de montrer comment ces accords ont été appliqués ou violés, il faut revenir sur certains aspects du processus qui les a produits (sans vouloir raconter toutes les relations entre de Gaulle et le FLN depuis 1958).

Comme on l’a vu, le début de la déclaration générale se référait au référendum du 8 janvier 1961, suivi et entériné par la loi du 14 janvier 1961, qui avait légitimé le recours à l’autodétermination des populations algériennes, et permis au gouvernement français de la préparer en réglant par décrets l’organisation des pouvoirs publics en Algérie, de façon à créer un organe exécutif et des assemblées délibératives algériennes.

Mais cette procédure était illégitime aux yeux de la plupart des Français d’Algérie et des partisans de l’Algérie française, qui en dénonçaient le caractère anticonstitutionnel. En effet, ils n’avaient pas oublié la propagande déployée officiellement durant l’été 1958 par les autorités militaires et civiles en faveur du «oui» au référendum sur la Constitution de la Ve République, qui était officiellement présenté comme un «oui» à la France «de Dunkerque à Tamanrasset».

 

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L’économiste Maurice Allais (bien que partisan du principe de l’autodétermination) démontra l’inconstitutionnalité de la procédure employée par le gouvernement dans le quatrième chapitre de son livre L’Algérie d’Évian. Le référendum et la résistance algérienne (Paris, L’esprit nouveau, juillet 1962) [12], en s’appuyant notamment sur des déclarations du Premier ministre Michel Debré, qui affirmait en 1959 que «les départements d’Algérie et du Sahara font partie de la République au même titre que les départements métropolitains», et que «aucune transformation en États de la Communauté, aucune sécession de la République, ne sont donc constitutionnellement possibles pour les départements et territoires faisant actuellement partie de la République française» [13].

Pourtant, le débat a rebondi dans les années 1990, après la publication de Documents pour servir à l’histoire de l’élaboration de la Constitution du 4 octobre 1958 [14], suivis par des études sur L’écriture de la Constitution de 1958 [15], qui ont montré comment celle-ci avait été conçue de manière à faciliter le changement de statut de territoires faisant partie de la République une et indivisible.

En 1995, l’ancien magistrat Georges Bensadou a estimé que, selon l’article 72 de la Constitution, l’Algérie était une «collectivité territoriale créée par la loi» (celle du 20 septembre 1947) et pouvait changer de statut pour sortir de la République par l’effet d’une autre loi [16].

En 1998, Jean-François Paya est revenu sur la question du statut constitutionnel de l’Algérie dans la Constitution de 1958 [17], et il a conclu que celle-ci avait bien été conçue pour permettre la séparation en utilisant les articles 72, 73, 11 et 53. On sait que le général de Gaulle avait réservé à l’Algérie, dans son allocution du 13 juillet 1958 [18], une «place de choix» dans la «Communauté plus large que la France» [19] que la Constitution allait bientôt instituer, mais aussi qu’il avait une manière très personnelle d’interpréter «sa» constitution, qui ne faisait pas l’unanimité des juristes. N’étant pas juriste, je préfère ne pas me prononcer sur ce sujet.

Quoi qu’il en soit, le référendum du 8 janvier 1961 était bien un fait politique d’une importance capitale. En métropole, avec une participation de 76,5% des inscrits, le «oui» avait réuni 75,26% des suffrages exprimés. Sachant que le PCF et le PSU avaient préconisé le «non» par crainte d’une tentative gouvernementale de prolonger la guerre en l’algérianisant, les partisans de l’Algérie française ne pouvaient revendiquer qu’une minorité des 24,74% de «non».

Le président de la République n’avait donc pas tort de croire que la grande majorité des Français lui faisait confiance pour mettre fin à la guerre d’Algérie, et que l’ouverture de négociations avec le FLN élargirait encore sa majorité dans le pays. La décision qu’il prit aussitôt après, avec l’accord du premier ministre Michel Debré, de donner la priorité à une négociation avec ses dirigeants sur la création immédiate d’institutions provisoires algériennes était donc logiquement prévisible (surtout après les manifestations nationalistes de décembre 1960 dans les grandes villes d’Algérie).

 

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Au contraire, les résultats du référendum en Algérie n’étaient pas aussi clairs. L’abstention, conforme aux consignes impératives du FLN, avait obtenu une majorité relative de 42% des inscrits, et triomphé dans les quartiers musulmans des grandes villes ; le «oui», recommandé par les autorités civiles et militaires, 39% (surtout dans les campagnes) ; alors que le «non» prôné par les partisans de l’Algérie française en avait rassemblé 18%, et même obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés dans les départements d’Alger et d’Oran et dans les arrondissements de Bône et de Philippeville. On pouvait en déduire, tout au moins, que la grande majorité des Français d’Algérie n’avait pas mandaté le gouvernement pour mettre fin à l’Algérie française, ni pour livrer le pays au FLN.

Quoi qu’il en soit, les négociations qui s’étaient engagées bientôt dans le secret, puis publiquement le 20 mai 1961 à Évian, n’avaient pas été décidées par «la volonté d’un seul homme, vieillard entêté», contrairement à l’expression de Maurice Allais [20].

Même si le général de Gaulle prenait «toutes les décisions importantes sans consulter qui que ce soit», il n’en avait pas moins tenu compte des suggestions venues de son opposition de gauche, prête à lui prêter son appui conditionnel pour mettre fin à la guerre d’Algérie.

En effet, la procédure suivie ne fut pas celle qu’avait annoncée le président de la République dans son discours du 16 septembre 1959 (libre choix de leur avenir par tous les habitants de l’Algérie entre trois options, quatre ans au plus tard après le rétablissement de la paix, sans privilégier le FLN qui devrait cesser le feu et rendre ses armes) ; elle correspondit aux propositions faites par des juristes et militants de gauche réunis en congrès à Royaumont (juin-juillet 1960), Aix-en-Provence (décembre 1960), et Grenoble (mars 1961) : négocier avec le FLN sur les conditions du cessez-le-feu, mais également sur les garanties de l’autodétermination, l’organisation de la période transitoire, l’avenir de l’Algérie et des relations franco-algériennes, de façon à présenter un programme commun à l’approbation du peuple algérien.

 

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Comme l’écrivit le maire socialiste de Marseille, Gaston Defferre, dans Le Provençal du 5 mars 1962, «la procédure qui a été choisie est exactement celle que nous n’avons pas cessé de préconiser : accord sur le fond et ratification par le peuple algérien à la demande du gouvernement français et du GPRA» [21].

Pour ouvrir ces négociations, le général de Gaulle dut renoncer successivement à des principes qu’il avait longtemps proclamés intangibles : le préalable de la remise des armes (accepté en juin 1960 par le chef de la wilaya IV, Si Salah, mais refusé par les émissaires du GPRA à Melun) et celui d’un cessez-le-feu, remplacé en mai 1961 par une trêve unilatérale des opérations offensives que le FLN dénonça comme un piège, les discussions parallèles avec le MNA de Messali Hadj et d’autres tendances politiques, la limitation de l’ordre du jour au cessez-le-feu et aux garanties de l’autodétermination.

Il accepta ainsi de reconnaître de fait le GPRA comme seul interlocuteur valable et comme futur gouvernement probable de l’Algérie indépendante (même s’il refusa toujours, comme on l’a vu, de le reconnaître formellement).

 

la relance des négociations après les échecs de 1961

Pour relancer ces négociations suspendues après les conférences d’Évian (mai-juin 1961) et de Lugrin (juillet 1961), et pour les faire aboutir, il dut reconnaître la souveraineté du futur État algérien sur les deux départements sahariens (5 septembre 1961) et consentir de nouvelles concessions sur les droits de la communauté européenne et des musulmans voulant conserver leur nationalité française [22] dans l’Algérie indépendante.

Il obtint en contrepartie un régime transitoire privilégié de binationalité pendant trois ans pour les Français d’Algérie, et des garanties générales de sécurité, censées protéger contre toutes représailles tous ceux qui avaient pris parti contre le FLN en actes ou en paroles :

«Nul ne peut être inquiété, recherché, poursuivi, condamné, ni faire l’objet de décision pénale, de sanction disciplinaire ou de discrimination quelconque, en raison d’actes commis en relation avec les événements politiques survenus en Algérie avant le jour de la proclamation du cessez-le-feu.»

«Nul ne peut être inquiété, recherché, poursuivi, condamné, ni faire l’objet de décision pénale, de sanction disciplinaire ou de discrimination quelconque, en raison de paroles ou d’opinions en relation avec les événements politiques survenus en Algérie avant le jour du scrutin d’autodétermination.» [23]

La rédaction de ces garanties ne prêtait à aucune équivoque, et le FLN savait à quoi il s’était engagé, car le gouvernement français avait fait d’un engagement de non-représailles la condition de la reprise des pourparlers à la fin d’octobre 1961 [24].

 

les révélations de Rossfelder

Et pourtant, l’idée s’est répandue dès 1962 parmi les partisans de l’Algérie française que celles-ci étaient démenties par des clauses secrètes qui auraient livré les Français d’Algérie et les musulmans fidèles à la vindicte du FLN. D’où venait cette idée ?

De révélations faites, peu après la fin de la conférence secrète des Rousses, à André Rossfelder (dirigeant de l’OAS en exil à Rome) par son frère Roger, porteur de valises du FLN. Ce dernier lui aurait apporté «l’essentiel des agréments secrets qui venaient d’intervenir aux Rousses entre le gouvernement et le FLN le 18 février et que le congrès du FLN s’apprétait à discuter».

Ces renseignements comportaient deux parties : «1 - les éléments d’une convention qui s’est révélée plus tard plus vraie que les accords dits d’Evian, 2 - le scénario de la transmission du contrôle des grandes villes au FLN... (durcissement de l’armée à l’égard des Français d’Algérie, isolement des quartiers populaires ... ouverture du feu si l’occasion s’en présentait ... coopération FLN-Polices spéciales, etc.» ; l’informateur affirma que ces points avaient été «moins une exigence du FLN qu’une offre faite par les délégués gouvernementaux pour amener les autres à signer» [25]. André Rossfelder et Jacques Soustelle informèrent aussitôt un journaliste du Tempo, qui publia un article, démenti peu après par le ministre des Affaires algériennes Louis Joxe [26].

André Rossfelder a raconté cet épisode plus en détail dans ses récents Mémoires [27]. On y apprend que son frère ne lui avait pas apporté le texte des prétendus «accords secrets», mais seulement «quelques lignes griffonnées sur un papier et le reste inscrit dans sa tête»

Il semble bien s’agir de révélations sur le contenu de l’accord préliminaire des Rousses, et sur des décisions déjà prises par le gouvernement (directives données dès le 20 décembre 1961 pour faire face à une insurrection de l’OAS à Alger et Oran [28], licenciement et désarmement des supplétifs musulmans annoncés au Conseil des ministres du 21 février 1962 [29]) qui auraient été communiquées par ses représentants aux délégués du GPRA pour les convaincre.

Le rapport présenté par le GPRA au CNRA (réuni à Tripoli du 22 au 27 février 1962 pour autoriser ou non la conclusion des négociations par la deuxième conférence d’Évian) explique pourquoi ce projet d’accord lui semblait acceptable : parce qu’il sauvegardait «les principes intangibles de notre révolution», qui étaient «aujourd’hui pleinement reconnus par la France». Celle-ci avait reconnu en fait le GPRA comme futur gouvernement algérien en acceptant «une négociation globale sur l’avenir de l’Algérie».

Dans ces conditions, «l’autodétermination apparaît désormais comme une formalité - à laquelle la France, pour des raisons à la fois politiques et juridiques, reste attachée - , et la question des garanties en vue d’un scrutin libre est devenue celle, beaucoup plus concrète, d’une préparation à l’indépendance. Il ne s’agit plus en effet de déterminer les conditions d’un référendum loyal, ce qui (...) s’avérera toujours quelque peu illusoire, mais de créer en Algérie, dès la proclamation du cessez-le-feu, les conditions psychologiques, politiques et administratives de l’ère nouvelle, l’ère de l’indépendance. C’est sous cet éclairage que prennent tout leur sens, et toute leur portée, l’institution d’un Exécutif provisoire qui doit être contrôlé par le FLN, la mise sur pied d’une force locale indépendante de l’armée française, l’algérianisation accélérée de l’administration dans toutes les branches, etc.» [30].

En somme, le GPRA avait acquis la conviction que le gouvernement français ne s’opposerait pas à sa prise du pouvoir, pourvu qu’il ménageât les transitions et les apparences. Mais rien de tout cela ne prouve l’existence d’autres accords secrets, ou de clauses secrètes [31] des accords d’Évian, contredisant et annulant la déclaration des garanties.

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application ou violation des accords d’Évian

Les accords d’Évian ont-ils été appliqués ? Ils l’ont été formellement. Du côté français, le gouvernement les a aussitôt publiés, avec leurs décrets d’application, et a organisé en métropole (mais pas en Algérie) le référendum du 8 avril 1962, destiné à ratifier les accords, à donner au gouvernement les pleins pouvoirs pour les appliquer, et à l’autoriser à conclure des actes de coopération avec l’Algérie indépendante.

Le Délégué général du gouvernement, Jean Morin, fut aussitôt remplacé par le Haut commissaire de France, Christian Fouchet, et l’Exécutif provisoire comprenant six membres du FLN, trois musulmans indépendants et trois européens libéraux, présidé par l’ancien président de l’Assemblée algérienne Abderrahmane Farès [32], fut installé à Rocher Noir le 13 avril.

Sur sa proposition, la date du référendum d’autodétermination de l’Algérie fut fixée au 1er juillet, raccourcissant la période transitoire à trois mois et dix jours. La commission centrale de contrôle déclara le 3 juillet qu’à la question posée, «Voulez-vous que l’Algérie devienne indépendante en coopérant avec la France ?», environ 5.975.000 votants sur 6.000.000 avaient répondu «oui». Aussitôt, le président de l’Exécutif provisoire proclama l’indépendance de l’Algérie, et le président de la République française la reconnut.

L’Exécutif provisoire resta en fonction pour organiser l’élection d’une Assemblée nationale (dans laquelle les citoyens français d’Algérie obtinrent 10% des sièges), et lui remit ses pouvoirs le 25 septembre 1962 (en même temps que ceux du GPRA) [33]. Mais ce respect formel de la procédure prévue n’avait pu cacher longtemps de très nombreuses et très graves violations des clauses fondamentales des accords d’Évian, qui les vidèrent de leur contenu.

 

accords bafoués

En effet, le cessez-le-feu et la déclaration des garanties furent très vite bafoués. Le dispositif des accords fut rapidement démantelé, d’abord par une insécurité généralisée, puis par des décisions prises par le nouveau gouvernement algérien.

L’Organisation armée secrète a été et est encore très souvent considérée comme la seule responsable de la faillite des accords d’Évian. En effet, l’OAS a condamné ces accords qu’elle jugeait illégaux et illégitimes, et s’est efforcée d’en empêcher l’application en sabotant le cessez-le-feu. Ses commandos ont redoublé leurs attaques, à la fois contre le FLN et contre les forces gouvernementales, qu’ils considéraient désormais comme «forces ennemies». Ils ont ainsi provoqué des affrontements sanglants avec celles-ci (bataille, bouclage et ratissage de Bab-el-Oued, puis fusillade de la rue d’Isly le 26 mars 1962 [34]).

 

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En même temps, ils ont tenté de provoquer la rupture du cessez-le-feu par le FLN, en chassant les musulmans des quartiers européens par des meurtres en série et en les harcelant dans leurs propres quartiers, afin d’obliger l’armée française à s’interposer et à rompre à son tour le cessez-le-feu.

Ces faits sont vrais, et ils ont aggravé les souffrances des Français d’Algérie. Ceux qui ont délibérément provoqué les représailles dont ils ont souffert sont mal placés pour les dénoncer.

Mais il ne faut pas oublier le fait que la tactique de provocation raciale était contraire aux instructions répétées du général Salan [35], qui voulait encore espérer une participation d’une partie des musulmans au soulèvement de l’OAS. Et que son terrorisme était resté moins meurtrier que celui du FLN jusqu’en janvier ou février 1962, suivant les préfets de police d’Alger et d’Oran et le ministre des Affaires algériennes Louis Joxe.

Les responsabilités du FLN ont été non moins importantes. On a souvent rendu hommage à la modération dont il aurait fait preuve dans les premières semaines du cessez-le-feu, en empêchant les foules musulmanes de réagir aux provocations de l’OAS.

 

enlèvements de Français par le FLN à partir d'avril 1962

Mais sa modération ne dura pas. À partir du 17 avril 1962, il multiplia les enlèvements de Français de souche européenne à Alger, à Oran, et dans les régions voisines. Ce «terrorisme silencieux» (suivant l’expression de Jean Monneret [36]) visait à démanteler l’OAS ou à riposter à ses provocations sans rompre visiblement le cessez-le-feu [37] ; il devint rapidement incontrôlable, et créa une insécurité dont nul ne pouvait se croire à l’abri, qui déclencha directement l’exode massif des Français d’Algérie.

Dès le premier jour, le FLN prépara sa prise du pouvoir suivant sa propre interprétation des accords d’Évian, mais contrairement à de nombreuses clauses du cessez-le-feu et de la déclaration des garanties. Les troupes de l’ALN sortirent en armes de leurs «zones de stationnement» pour faire de la propagande, lever des contributions financières, faire des réquisitions, et recruter des volontaires pour regonfler leurs effectifs, en appelant à déserter les soldats et supplétifs musulmans de l’armée française, mais aussi ceux de la force locale.

Les messalistes furent systématiquement pourchassés et emprisonnés sauf s’ils acceptaient de renier leur parti. Les harkis et autres «traîtres» furent parfois massacrés (dès le 19 mars à Saint-Denis du Sig), ou le plus souvent rassurés par des promesses de pardon, qu’ils croyaient garantir en reversant au FLN leurs indemnités de licenciement ; mais des instructions des wilayas et de l’état-major de l’ALN annonçaient que leur sort serait règlé par la justice du peuple après la proclamation de l’indépendance [38].

 

divisions internes du FLN-ALN

Seules les divisions internes du FLN-ALN pouvaient l’empêcher de prendre le pouvoir dès cette proclamation. En effet, les tensions entre ses différentes factions aboutirent à l’échec du CNRA réuni à Tripoli en mai et juin 1962 pour lui donner un programme et une nouvelle direction politique. À la veille du référendum d’autodétermination, le GPRA présidé par Benyoucef Ben Khedda était contesté par le Bureau politique dirigé par Ahmed Ben Bella, et par l’état-major général de l’ALN commandé par le colonel Boumedienne.

Le 3 juillet, le GPRA entra à Alger, accueilli par l’Exécutif provisoire qui lui remit sa démission [39] (contrairement aux accords d’Évian) ; mais il la refusa et le pria de rester à son poste jusqu’à l’élection et la réunion de l’Assemblée nationale.

Ainsi, la souveraineté algérienne et la responsabilité du maintien de l’ordre échurent à un exécutif sans prestige et privé de toute autorité par la désertion massive de la force locale vers les wilayas, alors que deux coalitions instables se réclamant également du FLN-ALN s’affrontaient pendant trois mois pour le pouvoir, jusqu’au bord de la guerre civile.

Les garanties de sécurité données aux Français d’Algérie et aux Algériens pro-français sombrèrent dans le chaos. Le plébiscite de la liste unique du FLN à l’Assemblée nationale [40] démentit les illusions démocratiques des auteurs des accords, et camoufla la prise du pouvoir par la force militaire la mieux organisée, l’armée des frontières du colonel Boumedienne [41]. Ainsi, les négociateurs algériens des accords d’Evian furent écartés du pouvoir.

 

le gouvernement de Ben Bella

Après la formation du premier gouvernement de l’Algérie indépendante par Ahmed Ben Bella, les dirigeants algériens s’efforcèrent de mettre fin aux enlèvements de Français et de retrouver les disparus. Ils mirent beaucoup plus de temps à empêcher les massacres d’anciens «harkis», et continuèrent à les détenir en prison, contrairement aux garanties d’Évian.

 

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Bien loin d’encourager les Français d’Algérie repliés en France à revenir, ils forcèrent à s’en aller la plupart de ceux qui avaient tenté de rester, par une politique de nationalisation et de socialisation. En effet, le programme de Tripoli adopté sans débat par le CNRA en mai 1962 - avant la ratification des accords d’Évian par le peuple algérien - les avait dénoncés comme une «plate-forme néo-colonialiste» et un obstacle à la révolution algérienne [42]. Aucun des deux camps qui s’étaient affrontés pendant l’été 1962 ne souhaitait le maintien d’une importante minorité française en Algérie [43].

 

responsabilités du gouvernement français

Enfin, les responsabilités du gouvernement français dans l’échec des accords ne sont pas négligeables. Il les avait présentés comme «la solution du bon sens», la meilleure solution pouvant sauvegarder dans toute la mesure du possible les intérêts légitimes de la France et ceux des Français d’Algérie. Puis il a rejeté sur l’OAS toute la responsabilité de leur effondrement. Or, deux constats s’imposent.

Le gouvernement français n’a pas réagi avec la même énergie contre toutes les violations du cessez-le-feu, suivant qu’elles ont été commises par l’OAS ou par le FLN. Dans le premier cas, il a recouru à la force des armes et a fait ouvrir le feu, notamment à Alger du 22 au 26 mars 1962. Dans le second cas, il a été beaucoup plus modéré.

La priorité donnée avant même le cessez-le-feu à la lutte contre l’OAS l’a conduit à collaborer avec le FLN, et à minimiser l’ampleur et la gravité des enlèvements jusqu’à la mi-mai [44]. Une grande partie des campagnes a été rapidement abandonnée à l’ALN par le retrait des troupes françaises. Le regroupement et le transfert préventifs des anciens «harkis» menacés vers la métropole ont été refusés, puis ils ont été autorisés sous la pression de l’urgence, mais avec beaucoup de réticence.

Dès la proclamation de l’indépendance, l’armée française a perdu le droit d’intervenir sans l’accord des nouveaux responsables algériens, notamment le 5 juillet à Oran [45]. Il y a bien eu deux poids et deux mesures, parce que les violations du cessez-le-feu par l’OAS empêchaient la France de mettre fin à la guerre d’Algérie, alors que celles du FLN-ALN en empêchaient seulement une fin honorable.

D’autre part, le gouvernement a mené de front deux politiques théoriquement incompatibles, la coopération et «l’arrachement», et il en a cumulé les inconvénients. À plusieurs reprises, depuis son discours du 16 septembre 1959 sur l’autodétermination, le général de Gaulle avait menacé le FLN de refuser toute aide à l’Algérie si la majorité des Algériens optait pour la sécession, et de regrouper tous ceux qui voudraient rester français, puis de les évacuer vers la métropole, pendant que les ressortissants algériens en seraient expulsés. Comme il l’a dit lui-même le 2 avril 1962 au journaliste Raymond Tournoux, «c’est parce que j’ai menacé le FLN de l’arrachement qu’il y a eu la coopération. Si cela devenait nécessaire, je procéderais encore à l’arrachement».

Or, la rapide dégradation de la situation en Algérie l’a conduit à accélérer le retrait des troupes et de la souveraineté française, mais sans remettre en cause la coopération autrement que par des menaces verbales. Il a ainsi donné l’impression d’ignorer ou de minimiser volontairement des actes contraires aux accords d’Évian et incompatibles avec une coopération sereine, pour éviter de constater la caducité des accords. Dans l’hypothèse de «l’arrachement», la France aurait conservé toute la responsabilité de la sécurité des habitants de l’Algérie qui auraient voulu rester français, puis celle de leur réinstallation et de leur indemnisation.

Mais la signature des accords d’Évian a entraîné son gouvernement à se décharger d’une part croissante de ses responsabilités sur des dirigeants algériens qui ne pouvaient ou ne voulaient pas les assumer. Du point de vue des Français et des Français musulmans d’Algérie, il aurait mieux valu que ces accords n’eussent pas été signés [46].

Plus de quarante ans après, comment juger les accords d’Évian ? En Algérie, où le 19 mars est devenu «fête de la victoire», les reproches formulés dans le programme de Tripoli contre la «plate-forme néo-colonialiste» semblent oubliés. L’ancien président du GPRA, Benyoucef Ben Khedda, a répété jusqu’à sa mort un bilan triomphal, citant comme premier titre de gloire de la Révolution algérienne celui d’avoir réussi «à déloger du territoire national un million d’Européens, seigneurs du pays» [47]. Mais aujourd’hui des Algériens osent dire que l’Algérie aurait eu intérêt à rester française, ou tout au moins à ne pas chasser les «Pieds-Noirs ».

En France, il est impossible de parler de victoire, à moins de considérer que le seul but des accords d’Évian était de la débarrasser du boulet algérien à tout prix. On comprend aisément qu’une grande partie des rapatriés continuent à les juger illégitimes dans leur principe.

Mais il n’était pas nécessaire de croire à la possibilité d’intégrer l’Algérie dans la France pour les juger avec sévérité, comme l’a fait Maurice Allais, partisan d’une véritable autodétermination qui aurait respecté les droits des minorités : d’après-lui, c’était moins les accords d’Évian que l’absence de garanties réelles, de sanctions contraignantes contre leur violation prévisible, qui était condamnable [48].

Mais quoi que puissent en penser les rapatriés, il n’en est pas moins vrai que les accords d’Évian sont la meilleure base légale pour toute action de nature juridique ou judiciaire qu’ils voudraient entreprendre pour la défense de leurs intérêts matériels ou moraux : ils auraient tort de se priver de leur meilleur argument [49]

Guy Pervillé (2003)

 

 


Delegation-algerienne-a-Evianune partie de la délégation du FLN, en mais 1961, dans le parc de la villa
du Bois d'Avault en Suisse, avant de rejoindre Évian en hélicoptère

 

NB : Ce colloque, diffusé sous forme de textes photocopiés, comporte aussi des contributions de :

- Jean Monneret : Les derniers moments de l’Algérie française ;

- Général François Meyer : Le drame des harkis ;

- Colette Santerre - Ducos-Ader : Témoignages sur les disparitions ;

- Monseigneur Pierre Boz : Témoignage sur la recherche des disparus ;

- Jean-Jacques Jordi : Actualité des problèmes des enlevés et des harkis ;

- Général Maurice Faivre : Le point sur les archives de la guerre d’Algérie.

[1] Selon Robert Buron, Carnets politiques de la guerre d’Algérie, Plon, 1965.
[2] Le texte originel a été intégralement publié par Redha Malek, ancien porte-parole de la délégation du FLN, dans son livre L’Algérie à Évian, Histoire des négociations secrètes, 1956-1962, Le Seuil, 1995, pp. 313-365. Le dernier feuillet a été reproduit en fac similé par Maurice Faivre dans Les archives inédites de la politique algérienne, L’Harmattan, 2001, p. 340. Les 93 feuillets sont reproduits intégralement dans Vers la paix en Algérie. Les négociations d’Evian dans les archives diplomatiques françaises, Bruxelles, Bruylant, 2003, pp. 381-473. Cf. les versions publiées : la version française dans le Journal officiel du 20 mars 1962, et la version algérienne dans El Moudjahid n° 91 du 19 mars 1962 (réédition de Belgrade, août 1962, t. 3, pp. 706-709).
[3] «Il s’agit de déclarations du seul Gouvernement français n’engageant que lui», Jacques Ribs, Plaidoyer pour un million de victimes, Robert Laffont, 1975, p. 75, repris par Bernard Coll et Taouès Titraoui, Le livre des harkis, Bièvre, Jeune Pied-Noir, 1991, p. 263. Cf. Bernard Moinet, Ahmed, connais pas, réédition, Athanor, 1989, p. 21.
[4] JORF, Lois et décrets, du 20 mars 1962, reproduit avec les décrets du 19 et du 20 mars par Abderrahmane Farès, La cruelle vérité, L’Algérie de 1945 à l’indépendance, Plon, 1982, pp. 174-224, et sans les décrets par Benyoucef Ben Khedda, Les accords d’Évian, Paris, Publisud, et Alger, OPU, 1986, pp. 76-111.
[5] Vers la paix en Algérie, op. cit., p. 381.
[6] Op. cit., p. 382.
[7] Op. cit., p. 411.
[8] Op. cit., p. 460.
[9] Décrets du 19 mars sur l’organisation provisoire des pouvoirs publics et sur le règlement du référendum d’autodétermination en Algérie, du 20 mars sur l’organisation d’un référendum en métropole le 8 avril, et décrets du 22 mars sur l’amnistie des infractions commises au titre de l’insurrection algérienne et dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre.
[10] El Moudjahid, n° 91, 19 mars 1962, réédition de Belgrade, t. 3, p. 706.
[11] Idée exprimée au début du chapitre II de la Déclaration générale : «Si la solution d’indépendance et de coopération est adoptée (par le référendum d’autodétermination), le contenu des présentes déclarations s’imposera à l’État algérien».
[12] Deuxième édition complétée par l’auteur en 1999 aux Editions Jeune Pied-Noir.
[13] Op. cit., p. 81 note 1.
[14] La Documentation française, 3 vol., 1987, 1988 et 1991.
[15] Sous la direction de Didier Maus, Louis Favoreu et Jean-Luc Parodi, Economica et PUAM, 1992.
[16] «Le 3 juillet 1962. L’Algérie devient un État indépendant», in L’Algérianiste, n° 71, septembre 1995, pp. 42-48.
[17] «La Constitution de 1958», in Pieds-Noirs d’hier et d’aujourd’hui, n° 94, octobre 1998, pp. 22-23.
[18] Charles de Gaulle, Discours et messages, t. 3, Plon, 1970, pp. 24-25.
[19] Formule déjà employée par de Gaulle dans sa conférence de presse du 30 juin 1955, Discours et messages, t. 2, pp. 637-639.
[20] Allais, op. cit., p. 87.
[21] Cité par Le Monde, 7 mars 1962.
[22] Cette catégorie n’est pas mentionnée par les accords d’Évian, contrairement aux demandes initiales de la délégation française. Le gouvernement déclara d’abord que nul ne serait privé de la nationalité française sans le vouloir, puis il changea d’avis : l’ordonnance du 21 juillet 1962 en priva tous les citoyens algériens de statut civil de droit local, à l’exception de ceux qui viendraient en territoire français pour souscrire une «déclaration recognitive de nationalité française».
[23] Début de la Déclararation des garanties, «De la sécurité des personnes».
[24] Benyoucef Ben Khedda, Les accords d’Évian, op. cit., pp. 27 et 30, confirmé par Redha Malek, op. cit., p. 184.
[25] Lettre d’André Rossfelder à Francine Dessaigne, citée par Maurice Faivre, Les combattants musulmans de la guerre d’Algérie, des soldats sacrifiés, L’Harmattan, 1995, pp. 212-213, confirmée par une lettre à Maurice Faivre du 27 janvier 1995 : «L’essentiel est certain : il y avait accords secrets, les harkis venaient d’être non simplement abandonnés mais livrés sur demande, et les pieds-noirs allaient être impitoyablement forcés à prendre la valise»(Ibid., p. 213).
[26] Dépêche de l’AFP, dans Le Monde, 27 février 1962.
[27] André Rossfelder, Le onzième commandement, Gallimard, 2000, pp. 545-547.
[28] Décision du Comité des Affaires algériennes du 20 décembre 1961, signée Charles de Gaulle, et directive d’application signée Michel Debré, reproduites par Maurice Faivre, Les archives inédites de la politique algérienne, L’Harmattan, 2000, pp. 286-288. Cf. les notes du secrétaire général du gouvernement, Faivre, op. cit., pp. 315-316.
[29] Communiqué du ministère des armées, du 22 février 1962, exposant les possibilités offertes aux «Français musulmans en service» dans la perspective d’un retour à la paix.
[30] «Base et contenu de l’accord intervenu avec la France», rapport du GPRA au CNRA, reproduit par Redha Malek, op. cit., pp. 305-312. L’ouvrage cité plus haut, Vers la paix en Algérie, ne contient rien sur les pourparlers des Rousses.
[31] Un semblant de preuve à été fourni en 1997 par l’enquête du journaliste Vincent Jauvert (Le Nouvel Observateur, 23 octobre 1997) sur la base d’expérimentation d’armes chimiques B2 Namous, près de Beni-Ounif, en service de 1935 à 1978, qui a fait l’objet d’une annexe secrète, renouvelée en 1967 et en 1972. Mais ce secret se justifiait par des raisons particulières, indépendantes du reste des accords d’Evian.
[32] Il s’était mis à la disposition du FLN dès la fin 1956. Voir son livre La cruelle vérité, op. cit..
[33] Farès, op. cit., pp. 133-148.
[34] Dans ce dernier cas, la provocation de l’OAS alléguée par les autorités n’est pas établie. Voir l’enquête de Francine Dessaigne et Marie-Jeanne Rey, Un crime sans assassins, Ivry-sur-Seine, editions Confrérie Castille, 1998, et la thèse de Jean Monneret, La phase finale de la guerre d’Algérie, L’Harmattan, 2001, pp. 77-104.
[35] Voir OAS parle, archives de l’OAS présentées par Pierre Nora, Paris, Julliard, 1964, pp. 169-178, et le journal du capitaine Jean Ferrandi, 600 jours avec Salan et l’OAS, Paris, Fayard, 1969, pp. 265-273.
[36] Voir sa thèse citée, pp. 118-149.
[37] Le 14 mai, la Zone autonome d’Alger riposta ouvertement à l’OAS par une série d’attentats publiquement revendiqués.
[38] Maurice Faivre, Les combattants musulmans, op. cit., pp. 152-161.
[39] Les 6 membres désignés par le GPRA lui avaient envoyé leur démission dès le 27 juin, en dénonçant leur impuissance face à l’anarchie générale. Cf. Mohammed Harbi, Les archives de la Révolution algérienne, Editions J. A., 1981, pp. 340-342.
[40] Les députés censés représenter les Français d’Algérie ne représentaient qu’eux-mêmes, et leurs électeurs étaient absents.
[41] Il avait voté contre la ratification de l’accord des Rousses par le CNRA, préalable à la négociation finale d’Evian.
[42] Mohammed Harbi, Le FLN, mirage et réalité, Éditions Jeune Afrique, 1980, pp. 330-336.
[43] Mohammed Harbi, L’Algérie et son destin, Arcantère, 1992, p. 169.
[44] Monneret, op. cit., pp. 150-168.
[45] Monneret, op. cit., pp. 243-277.
[46] Pour plus de précisions, voir notre livre, Pour une histoire de la guerre d’Algérie, Picard, 2002, pp. 206-230.
[47] Benyoucef Ben Khedda, L’Algérie à l’indépendance, La crise de 1962, Alger, Editions Dahlab, 1997, p. 43.
[48] Allais, op. cit., pp. 15, 54 et 189.
[49] Erreur commise par les auteurs de la plainte contre X déposée par plusieurs familles de harkis le 30 août 2001 (texte à la fin du livre de Boussad Azni, Harkis, crime d’État, Editions Ramsay, 2002).

PS : Je persiste néanmoins à redouter les conséquences prévisibles de la multiplication des tentatives de dépôt de plaintes devant la justice. Lire à ce sujet dans la même rubrique mon article La guerre d’Algérie cinquante ans après : le temps de la mémoire, de la justice, ou de l’histoire ?

 

sur-le-parvis-de-l-hotel-du-parc-ou-se-sont-signes-les-accords-d-evian-les-membres-des-delegationsune partie de la délégation algérienne à Évian en mars 1962 :
Taïeb Bouhlarouf, Saad Dahlab, Mohamed Ben Yahia, Belkacem Krim qui salue de la main,
Mostefa Ben Aouda, Reda Malek, Lakhdar Ben Tobbal, M’hamed Yazid et Chouki Mostefai

 

source du texte : http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=30

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La date maudite du 19 mars 1962

 Jean MONNERET

 

Le 18 mars 1962, les négociateurs d’Évian signaient un accord de cessez-le-feu entre l’armée française et le FLN qui dirigeait la rébellion indépendantiste. Le texte était accompagné de «déclarations gouvernementales» censées garantir la sécurité des Européens présents en Algérie, comme de ceux, de toutes origines, qui s’étaient opposés au FLN. Les harkis (1), supplétifs de l’armée française n’étaient pas mentionnés. La promesse, toute verbale, du FLN qu’il n’y aurait pas de représailles contre eux, fut jugée suffisante par L. Joxe. (2)

Le texte d’Évian fut publié le 19 mars 1962. Depuis, certaines organisations «anticolonialistes» considèrent cette date comme celle de la fin de la Guerre d’Algérie. Il faut pour cela tout le cynisme dont sont capables les tenants du marxisme, leurs alliés et compagnons de route, car, loin que le conflit s’apaisât à partir du 19 mars, il ouvrit une période de massacres et de violences sans précédent. Il en fut ainsi non seulement jusqu’au 3 juillet, où Paris reconnut l’indépendance de l’Algérie, mais ensuite également, jusqu’à l’automne de 1962 et au-delà.

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La période suivant l’indépendance fut marquée d’un surcroît d’enlèvements et d’horribles massacres. Les victimes musulmanes du FLN furent probablement plus nombreuses durant ces six mois qu’elles ne l’avaient été durant les huit années précédentes.

Le nombre des Pieds-Noirs enlevés quintupla (3), contraignant l’immense majorité d’entre eux à un exil définitif résultant d’une épuration ethnique pure et simple. Ajoutons que durant ce semestre abominable, nombre de militaires français furent tués ou enlevés ; 177 d’entre eux demeurent portés disparus à ce jour (chiffre provisoire sans doute inférieur à la réalité) (4)

Donner la date du 19 mars à des places, à des rues, à des ponts (prochainement à Toulouse), fêter cette journée, prétendre y voir la fin du conflit algérien, est donc une insulte à toutes les victimes de cette époque, un outrage à l’Armée française, un défi au sens national le plus élémentaire et une injustice criante.

En effet, contrairement à ce qui s’affirme parfois avec légèreté, le FLN représenté par Krim Belkacem , à l’époque homme fort de ce mouvement, a bien signé et paraphé les accords d’Évian. Cette organisation a donc délibérément violé le texte auquel elle avait souscrit (et qu’elle négocia durement). Elle a donc totalement engagé sa responsabilité morale et matérielle dans ce qui suivit.

La participation ouverte de ses commandos, de son armée et de ses militants aux enlèvements massifs et aux exécutions durant les neuf mois postérieurs au 19 mars devrait inspirer une condamnation unanime. Ce n’est pas le cas, ce qui illustre le relativisme troublant de l’idéologie des droits de l’homme, devenue le fondement de l’univers occidental actuel. L’opprobre ne devrait d’ailleurs pas épargner certains responsables politiques français de l’époque.

 

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Dès le 17 avril 1962, l’encre d’Évian étant à peine sèche, le FLN inaugura le terrorisme silencieux, les enlèvements massifs d’Européens à Alger, à Oran, dans la campagne oranaise et en Mitidja. Ces rapts prenaient pour prétexte : la lutte contre l’Organisation Armée Secrète(OAS). (5) Après l’échec du putsch des généraux en avril 1961, les partisans de l’Algérie française avaient en effet tous rejoint cette organisation clandestine. Ils usaient de méthodes violentes.

Les «anticolonialistes» qui donnent le ton aujourd’hui dans les médias et les milieux officiels font de l’OAS la responsable de l’échec d’Évian et de l’exil des Pieds-Noirs. C’est un procédé commode mais malhonnête. L’organisation secrète, surtout en fin de course, en juin 1962 n’avait plus ni stratégie, ni tactique.

Il en résulta des dérives diverses et une confusion chaotique terminées par une (pseudo) négociation avec le FLN. (6). À ce stade, l’OAS menaça de pratiquer la «terre brûlée». Des historiens de pacotille lui imputent cette politique depuis sa naissance, alors qu’elle ne dura qu’une semaine.

L’histoire de l’OAS s’étend sur seize mois, de mars 1961 à juin 1962. Quelles que furent ses errances finales, -elles furent indéniables et eurent des conséquences -, en faire le bouc-émissaire de tous les échecs ultimes des autorités françaises n’est qu’une manière peu subtile d’exonérer le pouvoir d’alors et de blanchir le FLN de ses crimes vis-à-vis de l’Algérie, des harkis et des Pieds-Noirs.

Car après le ratissage de Bab-el-Oued, ceux-ci subirent aussi la fusillade du 26 mars 1962 rue d’Isly (7), puis la longue succession des crimes des nouveaux maîtres du pays. Un exemple en donnera une idée : en mai 1962, 272 Européens furent enlevés  en Alger contre 44 en avril. À la fin du mois de juin, on évaluait à près de 1000 les victimes européennes de rapts dans la seule capitale.

À partir du 17 juin, à la suite d’un accord FLN-OAS, les enlèvements ralentirent. Ils reprirent de plus belle après le 3 juillet, date de la proclamation de l’indépendance. Deux jours après, le 5 juillet à Oran, une manifestation venue des quartiers musulmans submergea le centre-ville européen. Quelque 700 Pieds-Noirs et une centaine de Musulmans (sans doute pro-français) furent massacrés. (8) Ceci accentua l’exode et le rendit irréversible.

Les victimes les plus nombreuses se situent toutefois parmi les Musulmans. Dès la signature des accords du 19 mars, des harkis furent attaqués à Saint-Denis-du-Sig. À Saïda, des membres du commando Georges furent enlevés et tués par l’organisation indépendantiste alors même que plusieurs d’entre eux étaient des officiers français.

Après le 3 juillet, les représailles contre les Musulmans ayant combattu le FLN s’intensifièrent. Des dizaines de milliers furent assassinés, emprisonnés ou persécutés de diverses manières. (9) Quelque 90 000 harkis, familles comprises, furent transférés en France grâce à l’action clandestine de quelques officiers. Les autorités militaires, tout en signalant les épreuves subies par nos compatriotes musulmans, n’en relayèrent pas moins des recommandations insistantes et répétées de ne pas les faire venir en France. Ces faits largement établis historiquement n’en sont pas moins dissimulés voire niés aujourd’hui par quelques chercheurs «engagés».

Ceux qui ont vécu les événements de ce vilain temps en sont marqués à jamais. La date du 19 mars 1962 demeurera celle d’une ineffaçable forfaiture.

Jean Monneret

notes

1 - Harkis : supplétifs mobiles de l’armée française. Par extension, tout Musulman ayant combattu le FLN.
2 - Ministre d’État chargé des affaires algériennes, dirigeait la délégation française à Évian.
3 – Jean-Jacques Jordi, Un silence d’État, Ed. Soteca 2011, p. 155, chiffre à 300 les Européens disparus avant le 19 mars et à 1253 après. S’y ajoutent 123 personnes dont les corps furent retrouvés et 170 cas incertains.
4 - À ce jour, le gouvernement français a refusé d’ouvrir ces archives concernant ces militaires disparus. Seuls les civils ont été étudiés.
5 - M. Faivre, Les archives inédites de la politique algérienne, éd. L’Harmattan 2001. Vers la Paix en Algérie op. collectif, éd. Bruylant. Bruxelles 2003. Les pages signées y sont reproduites.
6 - L’OAS fut créée à Madrid le 10 février 1961 et devint active en mars et surtout à l’automne suivant. Le FLN et ses séides prétendent aujourd’hui que les enlèvements ciblaient des militants de l’OAS. Dans La Phase Finale de la Guerre d’Algérie, éd. L’Harmattan 2011 nous avons montré que les rapts pouvaient toucher aveuglément n’importe quel Européen.
7 - Voir notre ouvrage Une Ténébreuse Affaire : La Fusillade du 26 mars 1962, éd. L’Harmattan 2009.
8 - Jordi, op.cit ,p.155.
9 - Maurice Faivre, Les combattants musulmans de l’Armée française, éd. L’Harmattan 1995.

 

Brève chronologie

19 mars 1962         Publication des accords d’Évian

17 avril 1962          Le FLN lance une campagne massive d’enlèvements d’Européens.

3 juillet 1962          Le gouvernement français reconnaît l’indépendance de l’Algérie.

5 juillet 1962          Massacre à Oran de plus de 700 Européens et d’une centaine de Musulmans
                             L’exode des Pieds-Noirs s’accentue.

Automne 1962       Le tandem Ben Bella – Boumedienne prend le pouvoir en Algérie.
                            Les enlèvements ralentissent puis cessent progressivement.

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- liens : "50 ans après les accords d'Évian: un silence d'État pour masquer un crime d'État"

 

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17 mars 2012

critiques du documentaire de Gabriel Le Bomin et Benjamin Stora

la+dechirure

 

mises au point sur la Déchirure

général Maurice FAIVRE

 

Gabriel Le Bomin et Benjamin Stora, La déchirure. Texte récité par Kad Merad.
Émission TV de FR2 le 11 mars 2012.

Ce documentaire de deux heures avait le mérite de faire défiler les principaux évènements de la guerre d’Algérie, de mai 1945 à 1962, plus un rappel sur la loi de 1999. Ainsi nous sont présentés :

- les atrocités et mutilations commises contre des civils en mai 1945 et août 1955, contre des militaires en mai 1956 près de Palestro ; la lutte fratricide du FLN contre le MNA (Melouza en mai 1957) ; les enlèvements d’Européens et le massacre des harkis en 1962 ;

- les réactions politiques des autorités françaises : la paix pour 10 ans du général Duval, l’intégration de Soustelle accordant les mêmes droits aux communautés, la pacification conduite avec générosité, le détournement de l’avion de Ben Bella, les pouvoirs spéciaux, les zones interdites et les regroupements de population, le fiasco de Suez, la fraternisation de mai 1958, l’engagement des harkis, la paix des braves et l’autodétermination du général de Gaulle, les référendums, la politique d’abandon à Évian ;

 

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- le congrès FLN de la Soummam en août 1955, l’installation du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) à Tunis, le terrorisme transféré en métropole ; la manifestation du 17 octobre 1961 contre le couvre-feu, la lutte pour le pouvoir et l’anarchie de l’État algérien en 1962 ;

- les oppositions franco-françaises : barricades, insoumission, procès Jeanson, OAS et putsch des généraux, manifestation communiste de Charonne.

 

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Lors du débat qui a suivi le documentaire, Benjamin Stora a reconnu que la victoire militaire n’était pas suffisante pour rétablir la paix, en raison de l'isolement diplomatique de la France et des problèmes du Sahara, mais que les négociations avaient été conduites dans des circonstances discutables.

Jean-Jacques Jordi a rapidement exposé ce qu’avait été «le silence de l’État» face à l’épuration ethnique de 1962. Jeannette Bougrab ou Karima Chaalal auraient été plus objectives que Dalila Kerchouche. Les autres témoins n’étaient pas particulièrement bien choisis, et l’on a pu noter le refus de la victime d’un attentat de condamner l’immoralité du terrorisme contre des civils innocents (1).

 

mises au point

La pertinence historique des commentaires appelle quelques mises au point.

- le suspect tué dans le dos sur une route est un montage de la Fox Movietone, tourné devant plusieurs journalistes pour impressionner le public américain, on ne montre pas la mort du suspect ; les archives de la gendarmerie d’Alger et de Guelma prouvent que le gendarme qui a tiré a été sanctionné, mais a bénéficié d’un non-lieu du Tribunal ;

- de nombreux villages ont été rasés pour qu’ils ne servent pas de refuges aux djounoud, mais la population avait été évacuée auparavant ; certains regroupements effectués dans la hâte ont été reconvertis par Delouvrier, qui contredit la famine dénoncée par Rocard ; en 1961-62, 90% des regroupés ont préféré rester dans les villages où ils bénéficiaient du confort (2)

- d’après le CICR, le napalm est interdit sur les habitations civiles, mais pas contre les combattants (3)

- les parachutistes n’ont pas soutenu le soulèvement du 13 mai, mais un civil a «emprunté» un camion du RCP pour défoncer les portes du GG ; ensuite Massu s’est efforcé de canaliser le mouvement ; l’armée n’a pas pris le pouvoir, mais Pflimlin puis de Gaulle ont donné les pouvoirs civils et militaires à Salan ;

- le droit de vote aux Algériens a été accordé par Robert Lacoste et mis en œuvre par de Gaulle ;

- des attentats à la bombe ont été effectués par le FLN dans le Constantinois et à Alger avant l’attentat contre-terroriste de la rue de Thèbes, le 10 août 1956 (réf. Colonel Schoen) ;

- des affaires importantes semblent avoir été oubliées : la loi-cadre de R. Lacoste, les centres militaires d’internement créés par Salan, la bleuîte, l’affaire Si Salah, le discours gaulliste du 4 novembre 1960 ;

- de nombreuses estimations chiffrées appellent la critique : des dizaines de milliers de victimes de la répression en mai 1945 et en août 1955, 3.000 disparus dans la bataille d’Alger, 60.000 maquisards en 1958 (disposant de 20.000 armes de guerre !), 400.000 morts dont 30.000 appelés, des centaines de noyés dans la Seine en octobre 1961 ; toutes ces évaluations sont à vérifier ;

 

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- les centres de transit des harkis sont fermés en 1964 ; sur 66.000 rapatriés, il ne reste alors que 10.000 personnes dans les hameaux forestiers et les cités d’accueil ; ces dernières ferment en 1975, 90% des familles sont alors recasées en métropole ;

- Soustelle, Bourgès-Maunoury et le général de Gaulle évoquent la guerre d’Algérie et non «les évènements d’Alger» camouflage médiatique de la réalité. La loi de 1999 n’a fait que reconnaître tardivement les droits juridiques des combattants.

 

la torture

Le débat sur la torture reste un des sujets privilégiés de la propagande médiatique. Il n’est pas question de nier sa pratique, qui a été reconnue par maintes autorités ; dans le manifeste de 2002 des 521 officiers généraux anciens d’Algérie , le général Gillis écrit :

- «certains pendant la bataille d’Alger en particulier, ont été confrontés à un dilemme : se salir les mains en interrogeant durement de vrais coupables, ou accepter la mort d’innocents. S’il y eut des dérives, elles furent marginales et en contradiction même avec les méthodes voulues et les objectifs poursuivis par la France et son armée».

Dans l’été 1962, le colonel Godard poursuit la bataille d’Alger sans violence, par infiltration des groupes terroristes (4), il élimine le colonel Aussaresses ; Zora Driff reconnaît que «ces méthodes n’avaient plus court quand j’ai été prise» (septembre 1957)

Maurice Patin, président de la Commission de sauvegarde du droit et des libertés (16 enquêteurs), fait le point dans ses rapports successifs :

- septembre 1958 : l’emploi est proscrit mais persiste dans des cas isolés ;

- juin 1960 :les déclarations tardives de Djamila Boupacha ne sont pas convaincantes ;

- octobre 1960 : il n’y a plus de tortures spectaculaires ;

- février 1961, diminution des pratiques illégales ;

- décembre 1961, l’ordre a été rétabli par les Procureurs militaires, le système a fini par se disloquer ;

- 20 chefs de corps, en majorité parachutistes, cités par JC Jauffret, ont dit non à la torture (5) ; parmi eux, le colonel Trinquier à El Milia ;

- 400 enquêtes du CICR (6) dans les centres d’internement en Algérie et en métropole établissent à moins de 20% le nombres des prisonniers qui ont été torturés.

Ces différents constats ne confirment pas la pratique généralisée de la torture. Il est donc injuste d’accuser tous les combattants de s’être mal conduits, alors que la plupart sont venus en aide à la population musulmane.

 Maurice Faivre
membre de l'Académie des sciences d'Outre-mer

 

1 - anticolonialiste et disciple de Sartre, ignore-t-elle le conseil du philosophe dans sa préface à Franz Fanon : "il faut tuer, abattre un Européen, c’est supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre". On sait que Jean Daniel a condamné le démoniaque égarement de Sartre et de Fanon.

2 - M. Faivre, Les mille villages de Delouvrier, L’esprit du Livre, 2009

3 - M. Faivre, La Croix-Rouge pendant la guerre d’Algérie, Lavauzelle

4 - Maurice Schmitt, La deuxième bataille d’Alger, L’Harmattan 2008

5 - Ces officiers qui ont dit non, Autrement , 2005. À compléter par les témoignages du ministre P. Messmer, colonel Dabezies et général Pierre Jacquinet.

6 - M. Faivre, La Croix-Rouge pendant la guerre d’Algérie, op. cit.

 

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quelques remarques (incomplètes)

Michel RENARD

 

Le début du documentaire, avec un dérayage de train, inscrit le soulèvement algérien dans la figure de la Résistance française au nazisme. On croirait revoir La Bataille du rail de René Clément (1946) ou Lucie Aubrac de Claude Berri (1997).

Mais, ces images sont fictives. Et induisent un parallèle quasi subliminal entre la présence nazie en France et la présence coloniale en Algérie. Or le temps de l'Occupation (1940-1944) ne fut pas celui de la colonisation (1830-1962). Les époques historiques sont différentes, les temporalités ont créé des rapports distincts. L'oppression allemande et nazie pendant quatre ans ne peut être comparée à la domination coloniale sur l'Algérie pendant des dizaines d'années : les objectifs ne furent pas les mêmes, les résultats et conséquences non plus.

Des rapports humains se sont édifiés entre "affrontements" et "accomodements" (Marc Michel, La colonisation positive, éd. Perrin, 2009). Le rapprochement est donc illégitime.

 

le hiatus commentaire/image

L'un des problèmes de ce documentaire est le décalage entre le commentaire et les images. Dès le début, on "voit" un soldat abattre un civil algérien sortant de sa tente. Il aurait fallu préciser qu'il s'agissait d'images tournées en août 1955 (alors qu'on les fait souvent passer pour des preuves des massacres de mai 1945 à Sétif…) dans des circonstances particulières - les massacres d'Européens à Philipeville -, et non de la réalité quotidienne de ce conflit.

 

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Suit immédiatement une image d'un homme mutilé au visage dont il aurait fallu dire si il fut une victime du FLN ou de l'armée française.

Une image n'est pas une preuve en elle-même. Elle doit être accompagnée d'un appareil critique d'identification, de contextualisation, éventuellement de démystification.

Les photos de membres de l'ALN sont suspectes d'inauthenticité. Il serait étonnant que l'ALN ait filmé, avec le risque que cela supposait d'identification ultérieure, des témoignages de ses actions. De plus leur équipement n'est pas crédible. Cela sent la propagande filmée parmi les armées des frontières en Tunisie ou au Maroc.

La référence à l'antériorité de Messali Hadj dans la constitution d'une conscience indépendantiste algérienne est bienvenue, et historiquement juste ("le père fondateur du nationalisme algérien"). Le problème est de savoir comment ce mouvement s'est disloqué. Qui, et au nom de quel projet, a pris l'initiative des "événements" du 1er novembre 1954 ?

Le retour sur 8 mai 1945 est partial. Il n'évoque ni l'interdiction de la manifestation, ni surtout, le fait que cette initiative fut une tentative d'insurrection consciemment préparée par le PPA et les AML (voir les propos de Mohammed Harbi et le livre de Roger Vétillard, Sétif, Guelma, mai 1945, massacres en Algérie, éd, de Paris, 2008, dont les 600 pages ne doivent pas dissuader les chercheurs de vérité).

 

un nationalisme en partie anachronique

Un commentaire du film est également critiquable – il est d'ailleurs une réplique d'une phrase de l'écrivain Kateb Yacine - : "c'est là dans les milliers de morts civils de cette répression que le nationalisme algérien va se cimenter et puiser la vigueur de son combat à venir". Cest faux. Le nationalisme algérien ne devient prépondérant dans la population non-européenne, évidemment - qu'à la fin de l'année 1960. Avec cette version, on reste dans la mythologie du nationalisme algérien réécrit par le FLN pour feindre une rétroaction du sentiment national.

François Mitterrand, ministre de l'Intérieur de Pierre Mendès-France, débarquant à Alger, est convaincu de l'influence égyptienne, dans les attentats de novembre 1954. "L'Algérie, c'est la France, et la France ne reconnaîtra pas chez elle d'autre autoritité que la sienne". On peut juger rétrospectivement ce jugement en décalage avec ce que l'avenir nous a appris. Mais, à l'époque, il correspondait, certes à un aveuglement devant le danger potentiel des indépendantistes, mais il ne faut pas commettre d'anachronisme. Il reflétait le rapport des consciences en Algérie ainsi qu'en métropole. Comme le note le commentaire : "toute la classe politique en est convaincue".

 

la question de l'Aurès

Par contre, le film dit peu après : "l'objectif de l'armée française est de prendre l'insurrection de vitesse : éviter qu'elle ne dépasse le massif des Aurès ; c'est là que se trouve le berceau de la révolte ; une région montagneuse sous-administrée, comme oubliée, un terrain idéal pour la guerilla".

Intéressant. C'est justement le territoire qu'étudiait Germaine Tillion, l'ethnologue familière de ces régions dès avant la guerre. Elle revient en 1957 dans ce milieu qu'elle avait bien connu et constate une dégradation de la situation économique : "Comment expliquer cela ? Les explications abondent mais beaucoup ne valent pas cher. En voici une première série classique : «Ils sont imprévoyants... ce sont de grands enfants... le fatalisme musulman», etc.Malheureusement pour les explications en question, j'étais là, précisément là, il y a quinze ans, et j'ai connu ces mêmes hommes, les mêmes enfants, ni imprévoyants, ni fatalistes, ni «grands enfants», mais au contraire, pleins de sagesse, de gaieté, d'expérience et d'ingéniosité. Seconde série d'explications, également classique : le Colonialisme, vieux Croquemitaine. Malheureusement encore, il n'y a jamais eu de colon ni hier ni aujourd'hui, à moins de cent kilomètres à la ronde et seuls le vent de sable et les chèvres peuvent à la rigueur être accusés d'une diminution de la surface des terres cultivables (mais ce n'est pas le «colonialisme» qui a inventé les chèvres et le vent") (L'Algérie en 1957, p. 27-28).

Il faudrait peut-être trouver une autre explication que l'oppression coloniale pour rendre compte de la naissance de la révolte dans ce "berceau"…

Michel Renard

  

guelma-setif-massacre1une image n'est pas une preuve en elle-même...

 

- voir : "La Déchirure"; erreurs de méthodes et graves oublis, Guy Pervillé

- voir "La Déchirure" : ce documentaire n'est pas un outil de référence, Daniel Lefeuvre

 

- retour à l'accueil

15 mars 2012

morts de la guerre d'Algérie

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les mécomptes d'Hélène Cixous

à propos de l'Algérie

 

On se trompe avec Hélène Cixous ce matin dans Libération (15 mars 2012)... Il n'y a jamais eu 600 ou 700 000 morts durant la guerre d'Algérie, comme elle l'affirme mais moins de 300 000 selon l'historien Xavier Yacono voire même un chiffre inférieur à 250 000 selon l'historien Charles-Robert Ageron. Ce qui est déjà important. Les pertes françaises seraient de 24 000 dont 15 000 au combat ou par attentats.

La période de la guerre de conquête (1830-1856) provoque bien une baisse de 20% de la population mais qui ne saurait être imputable aux seules opérations militaires ; il faut compter avec les épidémies, que la Tunisie voisine connaît à la même époque sans qu'il n'y ait eu de guerre.

Enfin, les Pieds-noirs n'ont pas été 1 million et demi mais 800 000 à quitter l'Algérie en 1962.

Hélène Cixous dirige le "Libé des écrivains" aujourd'hui. Cela ne l'empêchait pas de vérifier ses dires...

Daniel Lefeuvre - Michel Renard

 

- retour à l'accueil

19 février 2012

la torture en Algérie... en prévision d'un anniversaire à venir 1962-2012

9782070760657FS 

 

 

Raphaëlle Branche :

L’armée et la torture pendant

la guerre d’Algérie

1954-1962 (2001)

Guy PERVILLÉ (2004)

 

- Ce compte-rendu du livre de Raphaëlle Branche, L’armée et la torture pendant la guerre d’Algérie, 1954-1962, Paris, Gallimard, 2001, 474 p, a été publié dans la revue Annales, Histoire, Sciences sociales, 59ème année, n° 3, mai-juin 2004, pp. 683-684. [nous le republions en prévision des débats, des controverses affrontées et effrontées de mémoires pour le 50e anniversaire de l'indépendance de l'Algérie]

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Peu de thèses d’histoire ont davantage attiré l’attention des médias que celle de Raphaëlle Branche sur les violences illégales de l’armée française pendant la guerre d’Algérie, brillamment soutenue le 5 décembre 2000 à l’Institut d’études politiques de Paris.
Sa notoriété a bénéficié de la résurgence de la mémoire de cette guerre que l’on constate depuis quelques années, et de l’exacerbation de la «guerre des mémoires», provoquée en juin 2000 par la demande de repentance du président algérien Bouteflika et par la campagne de presse lancée aussitôt après par Le Monde (puis relayée par L’Humanité), sur le thème «La France face à ses crimes en Algérie».
C’est pourquoi elle a été utilisée ou rejetée. Philippe Bernard l’a louée dans Le Monde du 7 décembre 2000 : «Une thèse souligne la généralisation de la torture. La thèse de Raphaëlle Branche montre que la torture s’inscrit dans l’histoire de la colonisation». Puis le Livre blanc de l’armée française en Algérie l’a stigmatisée comme étant la «caution de l’Université» à une campagne de dénigrement.
Raphaëlle Branche ne se cache pas de situer sa recherche dans le prolongement des livres de Pierre Vidal-Naquet - historien de métier qui a le premier affronté le problème en tant que citoyen engagé - mais elle est bien consciente de la différence entre le point de vue des témoins et des politiques d’un côté, et celui des historiens qui cherchent à connaître et à comprendre le passé de l’autre.
 
Elle a défini sa problématique en s’inspirant des nombreuses recherches d’histoire et de sciences humaines actuellement en cours sur la violence de guerre dans les deux guerres mondiales. Elle s’est attachée à comprendre ce qui a rendu possible les violences illégales commises par l’armée française, en distinguant la torture et les exécutions sommaires à l’encontre des «hors-la-loi» - qui relevaient de l’inavouable parce que le commandement les jugeait nécessaires sans pouvoir le proclamer - et celles qui n’ont jamais été autorisées parce que nuisibles à la «pacification», telles que les vols et les viols au détriment des civils.
Elle en a recherché les traces dans les archives publiques et privées, qui ont le mérite de se démarquer des discours de propagande (même s’ils camouflent certains faits sous un langage codé) ; et par des entretiens permettant d’approcher le vécu subjectif de témoins qu’elle a choisis parmi des soldats français ayant fait la guerre sur le terrain (à l’exclusion des chefs et des états-majors). Cette entreprise était particulièrement difficile, et demandait beaucoup de courage intellectuel.  
 
 livre Raphaëlle Branche pagepage 325 du livre de Raphaëlle Branche
 
Si la lecture de la thèse est éprouvante, en dépit d’un style d’une haute tenue littéraire, cela tient à la dureté de la réalité qu’elle étudie, et qui «offre un angle de vue sur toute la guerre, permet de la saisir dans son contexte colonial mais aussi dans une histoire plus vaste de la violence de guerre» (introduction, p. 15).
Le livre suit un plan bien ordonné, combinant habilement la périodisation et l’analyse, pour montrer comment les dirigeants de la Quatrième République ont laissé les chefs militaires instaurer en Algérie le règne de l’arbitraire au nom des nécessités de la guerre anti-subversive, puis comment ceux de la Cinquième ont tenté à la fois de le limiter en le codifiant et de reprendre l’armée en main. Sa lecture attentive ne donne pas la même impression que certains résumés parus dans la presse. En suivant sa démonstration pas à pas, je l’ai trouvée globalement convaincante, à l’exception de quelques phrases.
 
confiance excessive en des idées reçues de l’anticolonialisme
Certaines affirmations m’ont semblé faire preuve d’une confiance excessive en des idées reçues de l’anticolonialisme, au sujet des bilans chiffrés de la répression de mai 1945 et de celle d’août 1955. L’étude de la «bataille d’Alger» est rigoureuseusement conduite, mais ne fournit pas la preuve indiscutable des 3024 disparitions d’Algériens affirmées par le secrétaire général de la préfecture d’Alger Paul Teitgen (p. 144).

Le-mepris-absolu-de-la-dignite-humainevictimes des barbaries du FLN

Le passage le plus malencontreux est celui de la page 44 sur les mutilations sexuelles commises par des Algériens sur les cadavres de leurs ennemis, laissant supposer qu’il s’agit d’une pratique normale et légitime. Le constat d’une suspicion généralisée des soldats français envers les musulmans et d’une volonté de terroriser les «hors-la-loi» et leurs complices est juste, mais je ne suis pas convaincu par l’affirmation que la torture visait, non seulement à arracher des renseignements, mais à «terroriser tout un peuple» (notamment dans la conclusion, p. 425).
 
En effet, le soutien unanime du peuple algérien postulé par le FLN est plutôt un problème historique à résoudre qu’un fait indiscutable. Si les responsables militaires et politiques français avaient eu conscience d’avoir contre eux un peuple unanime, auraient-ils pu persévérer si longtemps dans leur action ? Dans leur esprit, le FLN-ALN était une minorité organisée qui s’était imposée à la masse par la terreur et la propagande, et la recherche du renseignement par tous les moyens, y compris la torture, visait à éviter une répression aveugle et indiscriminée.
 
Il est vrai qu’ils ne considéraient pas les «rebelles» comme des «adversaires dignes», mais ce n’était pas seulement une «disqualification a priori» héritée du racisme colonial : l’horreur du terrorisme leur inspirait une bonne conscience relative. En histoire comme en photographie, c’est le cadrage qui crée l’image et qui lui donne son sens. La thèse de Raphaëlle Branche est un gros plan sur un aspect, particulièrement pénible à regarder en face, de l’action de l’armée française durant la guerre d’Algérie. Son très grand mérite est de l’avoir fait.

En même temps, l’image qu’elle renvoie aux anciens combattants français explique la véhémence des réactions de ceux qui n’ont pas voulu s’y reconnaître : ceux qui ont combattu ou «pacifié» sans torturer, ceux qui connaissaient l’existence de la torture mais en avaient une vision abstraite d’état-major, et enfin ceux qui l’ont pratiquée mais croient encore se justifier en disant que «ceux d’en face avaient fait bien pire» (sans voir qu’ils se sont ainsi en partie alignés sur leur comportement).

mutilation+algérieAlgérien dont le nez et les lèvres ont été mutilés
par le FLN pour avoir fumé pour avoir fumé

Peut-être Raphaëlle Branche aurait-elle pu prévenir ces réactions si elle avait davantage pris en considération les violences extrêmes de l’autre camp (reconnues dans l’introduction, p. 12, puis évacuées du sujet dès la page 14) et leurs interactions et influences réciproques avec celles de l’armée française. On ne peut lui reprocher de s’en être tenue à son sujet. Depuis lors, la publication par Gilbert Meynier en 2002 d’une Histoire intérieure du FLN sans complaisance a montré qu’une histoire dialectique de la violence de guerre dans les deux camps à la fois est désormais possible. Elle est aussi nécessaire pour dépasser enfin la guerre des mémoires, et permettre une vraie réconciliation par des examens de conscience simultanés.
Guy Pervillé
2004 - samedi 3 mai 2008.
source

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Raphaëlle Branche

L’armée et la torture pendant la guerre d’Algérie

général Maurice FAIVRE


Cette thèse se présente sous la forme de 5 volumes : volumes 1 et 2 de texte (753 pages) ; volume 3 d’archives (81 pages) ; volume 4 de témoignages (non consultables) ; volume 5 de bibliographie, sources et index (107 pages).

L’auteur a eu accès par dérogation à plus de 150 cartons du SHAT. Elle a consulté également les archives d’Outre-mer, de l’Intérieur, de la Justice, de l’Assemblée nationale, du CARA, du POURS, du PCF, de Radio-France, de la Ligue des droits de l’Homme, et de nombreux fonds privés (dont ceux du colonel Godard à Stanford).

Le texte est articulé en quatre séquences de deux ans.

Après l’introduction consacrée à Violences de guerre, les soldats et les corps, la 1ère partie est intitulée Les nouveaux visages de la guerre (fin 1954-fin 1956). Raphaëlle Branche conclut que pour atteindre les buts de guerre : rétablir l’ordre et renforcer l’Algérie française, les lois et règlements donnent les moyens de répression dans une nouvelle "guerre de conquête qui n’épargne pas les civils".

La recherche du renseignement, nerf de la guerre, conduit à des illégalités qui sont couvertes par les autorités politiques et militaires. La pratique de la torture contre les suspects est répandue, "bien qu’on n’en trouve pas de traces écrites dans les archives" (p. 113). Des O.R. (Officiers de Renseignement) sont mis en place dans toutes les unités.

La 2e partie, de 1957 à mai 1958, consacre le triomphe des rationalisateurs. La bataille d’Alger révèle le règne de la torture, c’est le modèle et le moteur de la guerre contre-révolutionnaire, selon la théorie du 5e Bureau. L’arbitraire est organisé sous la forme des DOP (Détachements Opérationnels de Protection), qui, spécialisés dans la violence extrême, renforcent les officiers de renseignement et les CRA (Centres de Renseignement et d’Action) dans la lutte contre l’OPA (Organisation Politico-Administrative) hors des villes.

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De juin 1958 à la fin de 1959, les violences illégales sont pratiquées en toute impunité, en particulier à la ferme Améziane de Constantine. La guerre se durcit, les femmes et les enfants n’échappent pas à la torture, "les viols sont prémédités ou opportunistes" (p. 387), le corps médical est complice ou impuissant, le Délégué Delouvrier sans pouvoir contre les militaires. Mais, après le discours du 16 septembre 1959, le pouvoir politique reprend peu à peu la main.

De 1960 à mars 1962 se produit une rupture radicale. Retour dans la règle ? se demande Raphaëlle Branche. L’armée est sous haute surveillance, des procureurs militaires sont mis en place, dans les Secteurs, les Centres de tri et de transit (CTT) sont contrôlés, "le 5e Bureau (utopie totalitaire) est dissous" (p. 589). Les DOP sont débaptisés et intégrés dans la hiérarchie, mais "leur statut reste ambigu".

La Justice est impuissante, alors qu’elle a été "l’auxiliaire de la répression". Le décret d’amnistie du 22 mars 1962 interdit l’inculpation pour les actes en liaison avec le maintien de l’ordre, à l’exception des désertions. Des ordonnances de non-lieu sont prononcées par la Justice. Bien que "leur souffrance [soit] difficile à repérer", certains appelés restent traumatisés par le souvenir de la torture (p. 752).

Dans le volume 3 sont reproduits plusieurs documents intéressants : directives du commandement et des ministres, dénonciations de sévices, extraits de rapports du CICR et de la Commission de Sauvegarde des libertés, lettre de 35 prêtres à leur évêque en mars 1959.

L’importance de la recherche effectuée est impressionnante, et l’on comprend qu’elle ait convaincu une assistance venue pour applaudir et encourager la doctorante. Rédigé avec une application certaine, le texte est davantage littéraire qu’historique (1).

L’argumentation est habile, malgré un certain nombre d’erreurs factuelles (2) et l’on trouve dans la conclusion des phrases qui semblent contredire la thèse : "La torture n’était pas pratiquée systématiquement sur tous les suspects et tous les OR n’y avaient pas recours. De même bien sûr, tous les prisonniers ne la subissaient pas" (p. 750). Or trois lignes plus loin, est affirmée la thèse, à savoir que "la torture a été pratiquée sur tout le territoire algérien pendant toute la guerre et dans tout type d’unité". Ceci est présenté comme une pétition de principe, faisant suite à la "révélation" ressentie à la lecture des ouvrages de son maître Pierre Vidal-Naquet, et allant au-delà de leur confirmation.

Il ne s’agit pas pour nous de nier le fait que la torture et les exécutions sommaires ont existé. Des témoignages de militaires le reconnaissent. Mais nous pourrions citer des centaines d’officiers, dont une dizaine de chefs de corps parachutistes, qui se sont refusé à employer de tels moyens. Des milliers d’appelés, consultés par leurs associations, sont traumatisés non par le souvenir de la torture, mais par les accusations portées par une certaine presse. C’est pour eux que ces associations ont publié un Livre blanc qui met à plat tous les aspects, positifs et négatifs, de cette guerre.

9782702513149FS

 

désaccords de fond

Après une lecture attentive de l’ouvrage, il nous paraît opportun et salutaire de souligner les désaccords de fond qui doivent être opposés aux arguments de Madame Branche.

Le premier est relatif à sa méconnaissance des problèmes liés au renseignement. Sans doute le renseignement a-t-il une importance primordiale dans la guerre et plus particulièrement dans une guerre subversive, mais ce n’est pas le seul problème, et surtout, les interrogatoires n’en constituent qu’une petite partie.

Le renseignement d’habitant (anciens combattants et familles de supplétifs et de tirailleurs), les honorables correspondants des polices et de l’administration, l’observation terrestre et aérienne, la surveillance maritime, les écoutes électro-magnétiques, les documents récupérés sur le terrain, et à l’extérieur les agents des Services et les dépêches diplomatiques, sont autant de sources riches et variées qui appellent une coordination entre les deuxièmes Bureaux et les Services de renseignement, coordination assurée par les CRO, CRA et autres COMIR créés à cet effet.

Quant aux officiers de renseignement, ils n’ont pas été créés pour l’Algérie (p. 300) ; il existait des OR dans tous les régiments et bataillons du temps de paix, que l’on a retrouvés dans les Secteurs et les Quartiers de pacification, et que le commandement s’est employé à adapter au contexte algérien.

 

la plus franche exagération

La torture fut-elle au centre des violences illégales relevées par cette thèse ? Ancien directeur à la Délégation générale, au temps de M. Delouvrier, le libéral René Mayer note que R. Branche, "inspirée par des considérants psychanalytiques, affirme que la torture fut motivée non seulement par la recherche du renseignement, mais par la volonté de terroriser une population entière pour la dominer. On glisse là dans la plus franche exagération... Ceux qui faisaient la guerre cherchaient surtout à ne pas la perdre, à regagner le terrain perdu et à rallier les populations". Quant à la terreur, elle s’exerçait dans les villages sous la forme d’égorgements, de mutilations faciales, d’enlèvements, et dans les villes par les bombes déposées dans les lieux publics.

Ainsi les atrocités du FLN, génératrices à leur tour de répression et de contre-terrorisme, sont-elles sous-évaluées, de même que les actions de pacification des SAS, qui ne sont pas traitées parce que les SAS étaient des organismes civils (p. 568). Le soutien de la population au FLN, affirmé par l’auteur, était loin d’être total, au moins jusqu’aux manifestations de décembre 1960.

Le thème de l’illégalité conduit à oublier le contexte historique, et à évaluer les événements d’une guerre cruelle avec les idées humanitaires de l’an 2000. C’est la guerre qui est une violence illégale, et l’État de droit est incompatible avec les lois de la guerre ; il est vrai que dans l’urgence celles-ci ne sont pas toujours respectées. Les présidents des Commissions de Sauvegarde le reconnaissent ; M. Patin estime que "la nature du conflit rend très difficile le maintien scrupuleux de la légalité". Mais l’auteur semble ignorer ce rapport, elle cite surtout les membres des Commissions qui ont démissionné (Delavignette et Me Garçon).

La focalisation de la thèse sur les violences des militaires entraîne l’auteur à des interprétations abusives et partiales. Les directives des généraux sont soumises à la critique interne et externe, base de la recherche historique. Elles lui paraissent peu claires, ambiguës, entachées de thèmes de propagande. En revanche, les témoignages des dénonciateurs sont tous crédibles, ils sont sans appel, leurs dossiers sont parfaits (pp. 204, 548, 659, 689).

Il n’est pas dit que le capitaine Thomas est un ancien FTP (p. 135), que tel journaliste est communiste ou proche du FLN, que 7 sur 12 des témoins civils consultés sont des porteurs de valises, que sur 22 témoins ex-militaires (faible pourcentage sur 1 million d’appelés, mais pour l’auteur (pp. 97, 121) ils sont innombrables), plusieurs ont déjà fait campagne contre la torture et pour l’insoumission.

Il n’est pas dit que les dénonciateurs de la torture enseignée à l’École Jeanne d’Arc se sont rétractés, ils voulaient seulement "inquiéter les bourgeois". Alors que Gisèle Halimi, citée dans la thèse, affirme que 80 % des femmes arrêtées ont été torturées, Djemila Amrane-Minne n’a recueilli aucune information sur la torture dans sa thèse sur les combattantes du FLN.

 

Djamila Amrane

 

Le même pourcentage de 80 % est attribué aux interrogés du colonel Allaire, qui déclare que "9 sur 10 parlent tout de suite". Et comme il semble que le témoin Allaire n’a pas tout dit, Raphaëlle Branche affirme sans rire : "C’est dans ce blanc qu’aurait pu être raconté l’interrogatoire de Mohamed !" N’y a-t-il pas un blanc dans la déclaration de cet autre témoin, qui déclare que "Monseigneur Duval m’a appris à lui raconter ?"

Même interprétation des archives des DOP, qui n’apportent rien de précis, mais sont interprétées dans le même sens : un suspect réticent ou difficile est forcément un suspect torturé. Les sources les plus citées sont en définitive les articles de la presse orientée, dont ceux d’El Moudjahid et de Vérité-Liberté, la feuille de Vidal-Naquet.

Alors que les viols ont été peu nombreux, et sanctionnés quand ils étaient connus, le chapitre qui leur est consacré est particulièrement excessif, et frise l’absurdité. Toutes les femmes arrêtées ont été violées, affirme Gisèle Halimi, citée dans la thèse. Le viol est même considéré par Raphaëlle Branche comme "participant à la conquête de la population", ilvise "à maintenir la France dans le corps des femmes" !…

 

témoins ignorés

Dans sa recherche de témoins, l’auteur s’est refusé à consulter des témoins à décharge, qui lui avaient été signalés par une lettre du 8 décembre 1999. Elle n’a donc pas rencontré l’ancien chef des DOP (Lieutenant-colonel Ruat), ni le capitaine Léger inventeur des bleus, ni le commandant de Saint-Marc, ni le lieutenant Durand responsable de la SOR (Section opérationnelle de recherche) de Duperré. Le témoignage du général F. Meyer a été tronqué. M. Patin émet des doutes sur la plainte tardive de Djemila Boupacha, le P. de la Morandais, dans L’honneur est sauf, contredit la thèse de la torture généralisée.

Tout n’est pas à rejeter dans la thèse de Raphaëlle Branche. Certaines analyses sont intéressantes, comme le chapitre consacré à la position des aumôniers militaires, les réflexions sur l’éthique de responsabilité, les contrôles effectués par les Inspecteurs des Centres d’internement et de détention administrative, ou les relations entre civils et militaires. D’autres sont carrément hors sujet, et inconvenantes, comme l’évocation du Bataillon de police n°101, qui en Pologne met en œuvre la solution finale !

Maurice Faivre
mai 2001, source

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Notes

1 - Cela l’amène parfois à des expressions dignes de M. Prudhomme, comme p. 748 : "La France coloniale réveillée de son sommeil civilisateur" ; p. 753 : "La loi soulève le voile opaque et lourd du décret du 22 mars".

2 - il n’y a pas eu 2 millions d’appelés en Algérie, mais 1,1 million ; le cumul des pouvoirs de Salan est une décision de F. Gaillard et de P. Pflimlin dans la nuit du 13 au 14 mai 1958, confirmée par de Gaulle début juin ; le colonel Schoen (bulletin mensuel du SLNA) estime à 1 200 le nombre des victimes de la répression en août 1955 ; le plan de Constantine n’était qu’une reconduction du plan Maspetiol de 1955 ; M. Delouvrier a critiqué le rapport de M. Rocard sur les centres de regroupement, publié par Le Monde du 18 avril 1959 ; ce rapport incomplet ne lui avait pas été demandé

 

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Raphaëlle Branche,

La torture et l’armée pendant

la guerre d’Algérie

(1954-1962)

Paris, Gallimard, 2001, 474 p.
Sharon Elbaz

Raphaëlle Branche, La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie (1954-1962), Paris, Gallimard, 2001, 474 p.

Cet ouvrage de Raphaëlle Branche, comme celui de Sylvie Thénault, est issu d’une thèse de doctorat d’histoire soutenue en décembre 2000, au moment précis où une polémique fait rage sur la pratique de la torture pendant la Guerre d’Algérie.
Un débat relancé par l’appel des douze, d’intellectuels demandant à l’État, dans L’Humanité (31 octobre 2000), la reconnaissance et la condamnation de la torture durant cette période, appel à son tour relayé par les révélations du Général Aussaresses, personnage-clé de la «Bataille d’Alger», dans son livre Services Spéciaux, Algérie 1955-1957 (mai 2001).
Pur hasard de calendrier qui témoigne néanmoins des relations complexes que la recherche historique entretient avec la «demande sociale» articulée autour du devoir de mémoire. Un travail que l’accès aux archives publiques notamment celles de l’Armée de Terre (directives, rapports, journaux de marche) distingue de travaux plus militants, contemporains ou postérieurs à la guerre d’Algérie, à la documentation naturellement plus fragmentaire, tels que les travaux de Pierre Vidal-Naquet.
 
un objet circonscrit
Pour parer à toute critique Raphaëlle Branche prend soin dès l’introduction de circonscrire l’objet de sa recherche : «on ne traitera pas ici de l’internationalisation du conflit, des violences des nationalistes algériens, notamment en métropole, ni de l’OAS», mais de «l’utilisation de la torture par l’armée française dans la répression du nationalisme algérien entre novembre 1954 et mars 1962» (p. 14).
Si la pratique de la torture durant cette période est présentée comme «arme de guerre, une violence employée à dessein, pour gagner», elle est inséparable de la logique de domination à l’œuvre dans le rapport colonial. Pourtant l’historienne réintroduit la chronologie dans cette longue durée coloniale en démontrant comment à partir de 1957 et de la «Bataille d’Alger» la torture devient «l’arme reine du conflit». La période gaullienne ne s’inscrit pas immédiatement en rupture avec un processus qui place la torture au cœur du système répressif. Il faut attendre le printemps 1960 et le «rappel à l’ordre de l’armée d’Algérie par le pouvoir politique» pour qu’une «amélioration lente et très imparfaite» intervienne. Mais jusqu’à la fin de la guerre tant que les illégalités servent la raison d’État, et restent commises dans l’ombre, elles demeurent «autorisées au plus haut niveau».
Au-delà d’une périodisation qui rejoint celle de Sylvie Thénault, Raphaëlle Branche substitue une approche de la torture comme «système», produit de la «guerre contre-révolutionnaire» chère au général Salan, à une approche de la torture comme «dérapage» inhérent à ce type de conflit, aux vertus absolutoires.
En effet l’auteur s’attache à démontrer le processus qui conduit à une institutionnalisation de la torture allant de pair avec la priorité accordée au Renseignement : l’officier de Renseignement (OR) constitue ainsi avec l’officier d’action psychologique l’un des piliers de la «guerre contre-révolutionnaire» puis en 1957 un Centre de Coordination interarmées (CCI) est mis sur pied en Algérie, qui coordonnera l’action des Détachements Opérationnels de Protection (DOP), véritables «instruments sur mesure de la guerre contre-révolutionnaire» qui évolueront jusqu’à la fin de la guerre dans la semi-clandestinité.
Dans une optique pluridisciplinaire, Raphaëlle Branche enrichit la méthode historique d’une approche anthropologique dans la lignée des historiens de la Grande Guerre en s’attachant à restituer les «microhistoires de la douleur». Pour ce faire, elle explore minutieusement aussi bien les lieux que les différentes méthodes de tortures dans toute leur âpreté.

«la torture visait bien autre chose que des renseignements» [1]

Aux termes de cette analyse, il est clair que «la torture visait bien autre chose que des renseignements, plus que faire parler, elle voulait faire entendre», perdant par là même sa justification externe, l’obtention du renseignement, pour recouvrer son vrai visage, celui d’un instrument politique au service d’un discours de domination : «Jusque dans le corps des prisonniers, l’électricité peut être considérée comme une marque de civilisation française…».
outefois, décontextualisée, la pratique de la torture pendant la Guerre d’Algérie perd quelque peu de sa spécificité. Consubstantielle au rapport colonial, elle n’est pas l’apanage de la Guerre d’Algérie, ni de l’Algérie elle-même comme l’attestent les multiples exemples de répression en Indochine ou à Madagascar.
À la différence certaine que le drame algérien introduit des «tortionnaires ordinaires», des appelés confrontés directement ou indirectement à une réalité à laquelle ils n’étaient pas accoutumés. L’ouvrage, s’il rend compte avec précision de la constitution d’un groupe de professionnels militaires prenant la relève de policiers dans la pratique de la question, ne permet pas de déterminer avec certitude le degré d’implication du contingent soumis au volontariat pour le service de renseignement ou les «corvées de bois».
En conclusion, Raphaëlle Branche envisage l’épineuse question des responsabilités en soulignant la difficulté de saisir des responsabilités collectives alors que le droit ne reconnaît que des responsabilités individuelles. Au delà c’est bien la question de la responsabilité de l’État qui est posée, un débat aux réminiscences très contemporaines.

Sharon Elbaz, «Raphaëlle Branche, La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie (1954-1962)», Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique [En ligne], 85 | 2001, mis en ligne le 22 novembre 2009, Consulté le 06 février 2012. URL : http://chrhc.revues.org/index1759.html

source : http://chrhc.revues.org/index1759.html
Doctorant Paris X, prépare une thèse sur «Les avocats de la décolonisation de 1945 à 1962»

[1] thèse réfutée par le général Maurice Faivre dans l'article ci-dessus

 

monde21juin2000-51038

 

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GUERRE D’ALGERIE, TORTURE, JUSTICE : LA PAROLE AUX HISTORIENS

Dans l’OURS n°310 (juin 2001) nous avons ouvert un premier dossier sur la guerre d’Algérie à l’occasion de la sortie de l’ouvrage de Denis Lefebvre, Guy Mollet face à la torture en Algérie 1956-1957 (Editions Bruno Leprince).
Les choix et attitudes des gouvernements français pendant les « événements » d’Algérie
(1954-1962), et notamment le ministère Guy Mollet, continuent à susciter débats et controverses, historiques et politiques et à mobiliser les éditeurs.
Vincent Duclert analyse ici deux ouvrages issus de travaux universitaires soutenus récemment par deux jeunes historiennes.


RAPHAËLLE BRANCHE
La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie (1954-1962)
Gallimard 2001 474 p. 175 F 26,6 e

SYLVIE THENAULT
Une drôle de justice. Les magistrats dans la guerre d’Algérie
préface de Jean-Jacques Becker, postface de Pierre Vidal-Naquet,
La Découverte 2001 347 p. 150,90 F 23 e

Issus de deux thèses de doctorat d’histoire, les ouvrages de Raphaëlle Branche et de Sylvie Thénault traitent de deux sujets distincts, la torture dans la guerre d’Algérie, la magistrature dans la guerre d’Algérie. Malgré cette différence d’objet, ils abordent en réalité une question commune et centrale, celle de l’Armée, de son pouvoir dans la guerre alors même que l’état de guerre n’était pas reconnu à cette époque (1) et de la place qu’elle a fini par occuper dans la République.

Torture et violence coloniale
En effet, tant la torture que la justice relevèrent de la responsabilité de l’autorité militaire. Celle-ci créa des systèmes administratifs propres permettant d’une part l’application d’une violence extrême sur les détenus algériens (ou européens), et d’autre part l’usage aux fins de répression policière de l’outil judiciaire.

Il exista ainsi des institutions interarmées spécialisées, destinées à rationaliser l’administration de la torture, les Détachements opérationnels de protection (DOP) dépendant d’un service né de la guerre d’Indochine et recréé le 1er juin 1956, le Renseignement, action, protection (RAP). Le développement de ces services qui attestent du caractère systématique (au sens de système) de la torture dans la guerre d’Algérie découle notamment des constats faits pendant la bataille d’Alger au cours de laquelle l’action des policiers avait provoqué des dysfonctionnements dans la répression.

Il exista aussi une fonction spécifique, celle de l’officier de renseignement (OR) «entre tâches policières, militaires et judiciaires» qui doit être, avec l’officier d’action psychologique, «l’incarnation de la guerre nouvelle» que veut mener l’armée en Algérie et qui placent ces hommes en position de détenir un droit de vie ou de mort sur les suspects.

Ces dispositifs administratifs à grande échelle organisent et codifient des pratiques qui s’inscrivent dans une double tradition, celle de la violence coloniale que l’on méconnaît et mésestime toujours, et celle de la guerre d’Indochine encore elle aussi très méconnue. Les pratiques elles-mêmes sont décrites et expliquées par Raphaëlle Branche. Elles jettent un regard désespérant sur l’humanité en général et sur la France en particulier.

La torture et l’armée démontre ainsi que la torture n’est pas seulement un outil pour le renseignement (dont le «rendement» est présupposé plutôt que validé) mais aussi l’acte par lequel un pouvoir, et des agents de ce pouvoir, exercent et expriment leur domination. «Torturer un homme, résume Raphaëlle Branche, c’est s’octroyer sur lui un pouvoir absolu, puisque c’est manipuler l’idée de sa mort. […] C’est s’autoriser des gestes qui contiennent la potentialité de la mort de l’autre, c’est transformer le rapport de forces en rapport de domination absolue.»

Les voies par lesquelles des soldats et des officiers se transforment en milliers de bourreaux ordinaires suggèrent inévitablement une réflexion sur les processus de culture de terreur, fondés ici sur des éléments objectifs tels le racisme envers les Algériens, l’obsession de la victoire dans un conflit sans nom et sans issue, le culte de la rationalisation et de l’organisation, l’expression de la supériorité masculine et de la virilité, la construction de la subversion révolutionnaire, ou bien la seule riposte à la violence des nationalistes…

Raphaëlle Branche s’intéresse courageusement aux gestes, aux rites et aux méthodes de la torture, réalisant un travail d’anthropologie sur l’acte, sur le moment et le lieu, sur le rite, sur le bourreau, sur la victime, sur le témoignage enfin qui a permis, incontestablement, à des tortionnaires qui n’étaient pas des monstres de libérer leur conscience. Cette histoire du reste, de ce point de vue-là, ne fait que commencer. De cette lecture de La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie, personne ne peut sortir indemne et pourtant celle-ci est absolument nécessaire, à la fois parce que la qualité d’écriture restaure l’humanité qui a fui cette histoire et parce que l’éthique de connaissance constitue un antidote efficace au retour de ces pratiques.

Une justice aux ordres
Devant la torture menée par l’armée en Algérie, et dans un cadre nécessairement encore civil puisque l’état de guerre n’est pas déclaré (même si l’autorité militaire se voit confier de nombreux pouvoirs et prérogatives), la magistrature ordinaire est impuissante quand bien même elle choisirait de réagir aux violations du droit, de la loi et in fine aux principes fondateurs de l’ordre judiciaire. A partir de 1957, la justice est devenue, à l’instar de la torture, un instrument de la guerre révolutionnaire. La magistrature ordinaire n’existe pratiquement plus en Algérie parce qu’elle est soumise, en droit ou en fait, à l’autorité militaire.

Dès 1956, analyse Sylvie Thénault, la coopération des tribunaux civils avec la justice militaire, inscrite dans les lois et permise par l’état d’urgence, «rodée, s’amplifie […] Par la suite, les pouvoirs spéciaux accentuent la participation de la justice militaire et l‘activité des tribunaux militaires».
Le tout culmine vers le décret du 12 février 1960 qui «rompt avec la procédure aménagée par les décrets issus de l’état d’urgence puis des pouvoirs spéciaux. Il écarte la justice civile, supprime l’instruction, confie aux TPFA [tribunaux permanents des forces armées] le jugement de tous les actes commis par les nationalistes et leurs partisans ; il conduit aussi au rappel massif de magistrats civils sous les drapeaux pour exercer une fonction nouvelle : procureur militaire.»

L’histoire de la magistrature pendant la guerre d’Algérie conduite par Sylvie Thénault est bien celle d’une «drôle de justice» dans la mesure où les juges ont abdiqué de ce qui fait leur souveraineté, leur compétence et leur indépendance afin de servir l’ordre administratif et politique établi dans les trois départements algériens par les autorités militaires.
Certes, des magistrats comme le procureur général Jean Reliquet ou son subordonné Paul Pézaud tentent de démontrer que l’intérêt de la France résidait bien dans la lutte contre «les agissements excessifs de l’Armée». Mais la soumission générale des corps judiciaires, le choix du politique en métropole, le poids des armées en Algérie font que toute défense de la procédure, de la légalité et du droit – et pour ne pas parler d’éthique ou de morale du juge – est vaine.

La magistrature sortira profondément atteinte, dans son identité même et dans celle de ses membres. Elle saura réagir néanmoins à travers un réinvestissement dans des valeurs professionnelles incarnées dans le nouveau Syndicat de la magistrature né des conséquences de ce suicide légal et consenti des serviteurs de la justice. De cette lecture des Magistrats dans la guerre d’Algérie, on ne ressort pas non plus indemne, et pourtant la grande qualité d’analyse de la question judiciaire qui s’y déploie permet de comprendre comment la justice s’est perdue dans l’armée.

Séparer les fonctions, distinguer les pouvoirs, refuser l’impunité constituent les moyens les plus élémentaires et les plus essentiels pour conjurer cette violence d’État que la République a tolérée sans la comprendre. Le livre de Sylvie Thénault démontre la validité de l’histoire intellectuelle, sociale et politique de l’État et la nécessité de connaître le mécanisme des administrations pour reconnaître à la fois le phénomène de la faillite généralisée qui affecte la justice dans la guerre d’Algérie et la portée des actes de résistance qui honore certains magistrats dans l’exercice de leurs fonctions.

l’heure de l’histoire
Dans cette double instrumentalisation à grande échelle de la violence sur les personnes et de l’exercice de la justice, l’Armée, les armées, ses officiers généraux, ses acteurs sur le terrain portent une terrible responsabilité. Il ne s’agit pas d’accabler ses responsables actuels pour des actes dont ils sont bien évidemment étrangers mais il faut inciter toute l’institution à un travail de mémoire sur cette époque où un corps de la République s’est transformé en pouvoir autonome au service d’une mission de terreur.

On sait aujourd’hui que ce travail de mémoire se fonde sur la recherche en histoire : les deux livres de Raphaëlle Branche et de Sylvie Thénault constituent les prolégomènes d’une histoire militaire de la guerre d’Algérie qui serait, ni plus ni moins, qu’une histoire politique de l’État dans une guerre qui ne disait pas son nom.

À cet égard et compte tenu du vœux des plus hautes autorités politiques en faveur d’une lecture lucide du passé national, il conviendrait que ces déclarations d’intention et la ronde des rapports débouchent sur des actions concrètes et volontaires, en matière de politique et de loi pour les Archives en France, un secteur totalement sinistré depuis vingt ans (2).

L’autonomie administrative et la force politique que l’armée a pu conquérir en Algérie s’expliquent par la relative politisation de ce corps confronté au traumatisme non assumé de la Seconde Guerre mondiale et de la fascination pour la guerre subversive apparue dans la guerre d’Indochine.

Tout est stratégie du point de vue des officiers généraux investis de pouvoirs extra-militaires, y compris lorsqu’ils exigent le respect des formes élémentaires de légalité, simples moyens pour récuser les mises en cause de journaux de «trahison». Elles s’expliquent aussi – mais ceci n’excuse pas cela, elle l’éclaire – par la défaillance de l’autorité politique représentée constitutionnellement par le parlement et le gouvernement. Sur ce plan, les années 1956-1957 sont accablantes pour le ministère Guy Mollet.

De manière froide et méthodique, Raphaëlle Branche et Sylvie Thénault montrent que le sommet du système de concentration militaire des pouvoirs est atteint à ce moment. Guy Mollet ne l’a pas objectivement voulu mais il n’a pas voulu s’y opposer comme un de Gaulle en 1960.

Cependant, il ressort des deux livres que la volonté politique en faveur d’une guerre respectueuse du droit et de l’adversaire n’existait pas. Certes, le général de Gaulle combattit l’usage de la torture et l’exercice de la justice par l’armée, mais il le fit d’abord pour restaurer le pouvoir civil et son propre pouvoir de président de la République, chef de l’État, chef des armées. La chronologie établie par Raphaëlle Branche et Sylvie Thénault le montre bien puisque la fin des pratiques les plus scandaleuses sur le plan du droit et de l’intégrité physique intervient à partir de 1960. C’est «le retour à la règle ?».


Histoire de l’insoutenable, histoire difficile, histoire nécessaire, ces recherches publiées ici par deux grands éditeurs aux traditions humanistes posent toutes deux la question de la responsabilité et de son éthique. La responsabilité est aussi celle de l’historien qui n’a pas pour fonction d’accuser ou de juger mais de savoir et de comprendre. Les livres de Raphaëlle Branche et de Sylvie Thénault défendent cette responsabilité-là qui oblige à toujours nuancer, distinguer, contextualiser, une tâche contraignante mais indispensable si l’on veut que la recherche serve non seulement au progrès de l’histoire mais aussi à l’apaisement des mémoires.

Vincent Duclert
source

(1) La loi du 10 juin 1999 a permis de substituer à l’expression d’ «opérations de maintien de l’ordre en Afrique du Nord» celle, plus conforme, de «guerre d’Algérie».
(2) Les recherches qui pourraient être menées actuellement au Service historique de l’Armée de terre se heurteraient tout simplement au fait que les salles de lecture de Vincennes sont fermées jusqu’à nouvel avis !

 

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17 février 2012

sorties de guerre en Algérie, 1962-1963

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Algérie : sorties de guerre

(19 mars 1962-1963)

appel à contributions

 

vendredi 30 mars 2012  |  Saint-Brieuc (22000)

 

Encore souvent prisonnier de «mémoires affrontées», le traitement historique de la guerre d’Algérie a eu peine à sortir de ces questions de mémoires. Qu’il s’agisse des mémoires combattantes (surtout françaises), de celles des victimes de toutes natures, de leurs collatéraux, voire des États, la liste est longue des travaux, colloques, journées d’études portés par le besoin — plus ou moins affirmé et conscient —, de faire le deuil, sans qu’on sache toujours ce qui relève de la mise à jour objectivée ou de l’enfouissement.

La Depeche d Algerie du 24 ma
Dépêche d'Oran, 24 mars 1962

Argumentaire :

L’objet de cette rencontre  (26-27 septembre 2012) n’est précisément pas de verser dans un tel registre. Sa tenue à l’automne 2012 exclut toute dimension commémorative. En revanche, est jugé nécessaire un retour bien compris à l’événementialité, dans le cadre d’une certaine conception de l’«histoire publique».

En la matière, la période postérieure au 19 mars 1962 est souvent absorbée dans les images mentales des métropolitains par un besoin de passer à autre chose, créant une asymétrie voisine et violente, rappelant celle vécue après septembre et surtout décembre 1944. L’oblitération métropolitaine des violences, désormais civiles (dans leur immense majorité) du printemps et de l’été 1962, doit donc être évaluée à l’aune de contemporanéités concurrentes ou du moins divergentes. Ce «hiatus», évoqué notamment par Daniel Lefeuvre, requiert l’examen d’un certain nombre de dossiers.

Quatre thèmes seront privilégiés :

      1 - La sortie de guerre rime, par définition, avec arrêts des combats. Les circonstances et applications effectives de ces modalités méritent d’être replacées dans le temps court. Mais on a moins insisté sur les départs physiques de l’Algérie — notamment en matière de démantèlements logistiques du matériel militaire —, le rapatriement des unités, leur dissolution, ou encore leurs réaffectations territoriales en métropole induisant le transfert par exemple des salles de tradition.
      2 - Au-delà des dérives de la violence d’État — qui ne sera pas abordée ici —, se déploient à la fois des fièvres massacreuses et une conflictuosité latente, à la fois dans le temps court de l’été 1962, en Algérie, et dans le temps un peu plus long de la métropole dont les marges urbaines sont le théâtre d’affrontements transplantés. Disparus, harkis, travailleurs immigrés mais aussi rappelés livrés à eux-mêmes au retour sont les victimes d’un déni d’État dont l’intentionnalité reste un horizon d’attente. Le temps d’un premier bilan en ces domaines est sans doute venu.
      3 - Au plan politique et plus particulièrement à l’échelle régionale, la liquidation du passé colonial dont l’akmé est bien le départ d’Algérie, a contribué à structurer des identités partisanes, à restructurer des rapports de formations et à peser sur les débats. Il ne s’agira pas de mesurer les effets au long cours, mais d’examiner au plus près de la chronologie courte comment la maturation des courants, opérée pendant et à cause de la guerre, a rejailli sur les identités politiques. Ceci avec une nette dimension comparatiste, le Gard ou l’Hérault n’ayant évidemment pas le même rapport au politique que les départements bretons par exemple.
      4 - À cet égard, si la variable confessionnelle peut avoir été valide, il n’est pas sûr en revanche que les dimorphismes religieux régionaux aient, eux, été pertinents. Reste néanmoins, et dans le contexte de temps court, toujours, de crise de l’Église et des débuts de la réunion conciliaire, une très forte interrogation autour du témoignage et de l’engagement. La question de savoir si la guerre d’Algérie a «fait sens» pour les croyants et surtout pour les clercs invite à reconsidérer des trajectoires individuelles.
 

Une attention toute particulière — sans exclusive cependant —, sera accordée aux propositions de communication à dimension régionale ou introduisant la variable régionale. La question, notamment, des rapatriés dans l’Ouest de la France a besoin d’être éclairée.

Publié le jeudi 16 février 2012 par Julien Gilet

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depeche-algerie
La Dépêche d'Algérie, 9 mai 1962

 

Modalités :

Les propositions de communication (quelques lignes en vue d’une communication ne dépassant pas 30 minutes) sont à envoyer avant le 30 mars 2012

 à patrick.harismendy@wanadoo.fr et/ ou catvin.joly@wanadoo.fr

Pour assurer une publication au plus près de la rencontre, les textes définitifs (30.000 signes maximum) seront à rendre pour le 31 décembre 2012 au plus tard.

Lieu :

Saint-Brieuc, Campus Mazier

Organisateurs :

Patrick Harismendy, Vincent Joly
Université européenne de Bretagne, Rennes 2, UMR CNRS 6258 CERHIO

Comité scientifique :

    • Jacques Frémeaux, Professeur d’histoire contemporaine, Université Paris-Sorbonne Paris IV, Institut Universitaire de France
    • Patrick Harismendy, Professeur d’histoire contemporaine, UEB Rennes 2
    • Vincent Joly, Professeur d’histoire contemporaine, UEB Rennes 2
    • Yvon Tranvouez, Professeur d’histoire contemporaine, UEB UBO Brest
Url de référence

 - les illustrations sont le choix d'Études Coloniales

 

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Ben Bella à l'été 1962

 

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16 février 2012

le 5 juillet 1962, par Jean-François Paya

Oran5juillet1962 
photo D. Alloula

 
Vérité sur le 5 Juillet 1962 à Oran

Jean-François PAYA

 
IL N'EST PAS JUSTE DE DIRE QUE "l'armée française, qui n'avait plus le droit d'intervenir", comme l'écrit le journaliste P. DAUM dans un article du Monde Diplomatique (janvier 2012) (1).

On trouve dans Les Archives de la Révolution Algérienne (2) copies d’une lettre du Groupe FLN (5 membres) de l’Exécutif Provisoire, adressée au GPRA en date du 27 juin 62. Ce groupe se plaint, entre autres, de ne pouvoir signer divers protocoles prévus avec les autorités françaises avant le 11 juillet, vu le manque de directives dudit GPRA, et notamment le protocole sur le maintien de l’ordre, laissant ainsi la «porte ouverte aux risques d’intervention de l’Armée française après le 2 juillet en cas de débordements».

Comme le général Katz le reconnaît dans son livre (3 ): le statut des forces armées françaises en Algérie qui découle de la déclaration de principe des Accords d’Evian (JO du 20 mars) reste imprécis et ambigu et ce au moins jusqu’à la remise des pouvoirs de l’Exécutif Provisoire à une Assemblée Nationale Algériennne élue (prévue dans le chapitre V des accords d’Evian) qui ne sera effective que le 27 septembre 62 par Abderrahman Fares en personne à la tribune de cette Assemblée à Alger (4).

Cet état de fait permet à Katz d’écrire avec raison dans sa note n°99 du 20 juin 62, adressée à ses chefs de corps, que les forces armées françaises «contribueront par leur présence à rétablir et développer la confiance entre les communautés et qu’elles seront en mesure d’intervenir pour porter secours en cas d’agression aux ressortissants se réclamant de la nationalité française» (5).

Inutile de dire que cette note restera lettre morte et qu’elle fut contredite par des ordres stricts de non-intervention la veille de l’indépendance. Il ressort clairement de tout cela que la France était en droit d’intervenir pour protéger ses ressortissants selon les accords signés et en l’absence d’un protocole additionnel plus restrictif (puisque non signé du fait du FLN) au moins jusqu’à la fin des pouvoirs de l’exécutif provisoire, comme les délégués FLN l’écrivaient eux-mêmes au GPRA (qui avait sûrement d’autres chats à fouetter, vu ses dissensions internes).

C’est donc bien la France en la personne du Général de Gaulle (6) qui, de façon unilatérale, n’a pas usé de ses prérogatives – abandonnant au massacre des citoyens français, européens et musulmans, et ce au moins juridiquement jusqu’au 27 septembre 62 où la clause de remise totale de souveraineté prévue par les accords d’Evian a été remplie avec retard du fait de la lutte pour le pouvoir qui sera encore sanglante (7).

À noter qu’on ne trouve pas trace d’un ordre écrit de non-intervention aux Archives (8(. Cependant, la mention de «rappel de consignation des troupes» figure dans certains JMO d’unités (journal de marche et d’opérations) consultés aux Archives, alors que des exactions sur des Français sont signalées (9). Comment comprendre que, pour les victimes françaises, l’Armée Française s’en soit tenue, sans plus approfondir, au chiffre du directeur FLN de l’hôpital d’Oran – 25 morts ! –, alors qu’au Consulat de France on déclarait 800 "disparus" dès les premiers jours (10) ? Aucune enquête sérieuse n’a été effectuée dans les quartiers musulmans où les gens enlevés avaient été amenés et il y eut une complicité évidente entre les autorités militaires françaises et algériennes pour étouffer l’affaire dans le désordre et le chaos provoqués par l’exode des Français d’Oranie (11).

La provocation du 5 juillet avait bien abouti : faire avancer vers le pouvoir l’Armée des frontières, sous prétexte de rétablir l’ordre, faire peur aux Français dans la ville la plus européenne d’Algérie, ce qui correspondait aux vues du clan arabisant d’Oujda conduit par Boumediene et Ben Bella qui faisaient d’une pierre deux coups avec leurs services spéciaux (12) – ils sont toujours au pouvoir en Algérie.

 

non assistance en personnes en danger

Les Forces françaises en présence à Oran, le 5 juillet 1962, passibles de non-assistance à personnes en danger

En fonction des Archives militaires et des destinataires des circulaires du Commandement du "Secteur Autonome d’Oran" nous pouvons donner la liste des unités et des effectifs – 18 000 hommes – présents à Oran ce jour-là (13).

En fait ce 5 juillet à Oran fut ponctuellement la journée la plus sanglante depuis le début de la guerre d’Algérie, mais elle a surtout le triste privilège d’être un cas unique dans l’histoire d’une armée présente sur le terrain à proximité de ses ressortissants civils désarmés et pacifiques les a laissés se faire massacrer par des éléments étrangers sans intervenir – sauf cas rares et isolés.
Si on doit reparler du 17 octobre 61 à Paris qui a eu lieu en pleine guerre d’Algérie alors que le FLN était encore "l’ennemi officiel", pourquoi ne le fait-on pas de cette journée occultée par l’historiographie gaullienne et FLN, qui a eu lieu après la fin supposée de toutes les hostilités et en voie d’effacement de notre histoire avec son millier de victimes identifiables et appelées hypocritement "disparus".

D’autre part cette journée fut un des actes fondateurs de l’État Algérien dans sa composante militaro-mafieuse manipulatoire et provocatrice dont les effets sont plus que jamais présents à ce jour.

Le communiqué de l’état-major général de l’ALN (14).

Ce communiqué de trois pages, diffusé aux cadres le matin du 5 Juillet, ne fait pas référence à cette journée comme historique. Il explique pourquoi le GPRA qui l’a dissous «a failli à sa mission en bafouant la légalité sur tous les plans ...» aprés une référence appuyée aux accords d’Evian ! Il cite la date du 1er Juillet «où le peuple s’est prononcé» comme historique, proclamant que le GPRA « est incapable de maintenir l’ordre», et il se propose de le faire en allant «protéger la minorité européenne» alors qu’on ne sait pas encore ce qui se passe à Oran !

Il faut préciser que, dépourvue de moyens logistiques de transports aprés réquisition de camions et de bus privés dans la zone Tlemcen-Ain-Témouchent, l’ALN des frontiéres arriva à Oran le dimanche 8 Juillet et rétablit effectivement l’ordre tout en prenant le pouvoir. Pour Alger ce fut une autre histoire elle n’y entra qu’en Septembre après des combats avec les willayas 3 et 4 au niveau d’Orléanville et une négociation (15).

Jean-François Paya
Ancien combattant d’Algérie classe /54

19620705oran

 

Notes
NB Toutes les notes sont de Jean-François Paya.

1 - Le Monde Diplomatique, janvier 2012. L'aarticle de Jean-François Paya, qui suit, intitulé «De Gaulle est bien responsable des massacres», est cité page 81, «pour en savoir plus», du N° 231, Avril 1999, de la revue L’Histoire – sans aucune contestation depuis lors.

2-  Les Archives de la révolution algérienne, rassemblées et commentées par Mohamed Harbi, éd. Jeune Afrique, Paris 1981 - Page 340, document 64.

3 - Joseph Katz, L’Honneur d’un Général, Oran - 1962, éd. L’Harmattan, 1993.

4  En effet les Accords d’Evian n’ont jamais prévu la remise des pouvoirs au GPRA mais à une "Assemblée Nationale Algérienne" élue.

5 - Cette note fait référence à une "période de transition" après l’indépendance sous la direction de l’exécutif provisoire qui était une création juridique française.

6 - Cf Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, éd. Gallimard, coll. Quarto.

7 - La responsabilité juridique et morale du pouvoir français était donc bien engagée.

8 - Du moins aux archives "consultables" – pour les autres il faudra attendre 60 ans !

9 - Certains officiers dont le lieutenant Khellif affirment avoir dû émarger la veille de l’indépendance.

10 - Voir Le Vieux, la crise, le neuf, éd. Flammarion, de Jean-Pierre Chevènement, officier issu de l’ENA, chef de cabinet adjoint du Préfet chargé des liaisons militaires et à ce titre supervisant le colonel de la force locale attaché à Jean Herly, consul général de France à Oran (critiqué par Katz qui le trouvait trop curieux sur les "disparus").

11 - Au sujet des victimes, sans entrer dans le débat sur leur nombre évoqué dans la note précédente, il a été signalé 440 plaintes au consulat d’Oran, en sachant qu’une plainte pouvait recouvrer plusieures personnes d’une même famille et que de nombreux hommes isolés (leurs familles étant déjà parties) n’ont pas été signalés à Oran.

Signalons aussil le « Bulletin de renseignement » du 2è Bureau/1515 EM:2em B/ du 12/7/62 classé secret, signalant «l’enfouissement de cadavres F.S.E., victimes du "pogrom" du 5 juillet au bord du Petit lac à coup de bull-dozer» ; une reconnaissance par hélicoptere fut ordonnée et des photos prises dans la soirée du 7 Juillet, mais aucune enquête officielle ne fut déclenchée.

44 ans aprés les faits, on procède enfin à une recherche sur la base de documents, à mon avis, aléatoires. À ma connaissance, les documents originaux comme les registres de relevés de plaintes déposées au consulat n’ont pas eté communiqués (j’y etait passé personnellement déposer une plainte pour deux amis "diparus"). En sachant que certains historiens algériens que je salue reconnaissent au moins 2 charniers au "Petit lac" et au cimetière Tamazouet.

12 - Un montage médiatique fut organisé par les responsables FLN d’Oran à Pont-St-Albin le 10 juillet pour tout "mettre sur le dos d’un sanguinaire mais minable chef de bande M. Attou qui sévissait dans les quartiers Est depuis le 19 Mars (voir presse locale dont l’Écho d’Oran sous "influence depuis l’indépendance). Le pseudo commandant Bakhti (de son vrai nom Némiche) complice de Ben-Bella dans l’affaire de la poste d’Oran et qui lui était tout dévoué tirait les ficelles de cette affaire que personne ne crut à Oran même chez les Musulmans.

13 - Liste des unités présentes à Oran ou à proximité, le 5 juillet 1962

Secteur Oran Ville

3 Régiments d’Infanterie + 1 bataillon : 5è RI - 21è - 67è - 3/43è RI -
3 Régiments d’Infanterie de marine + 3 Bataillons : 8è RIMA - 22è - 66è -1/2è - 1/75è - RIMA - 1/2è RAMA
2 Régiments de Zouaves : 2è et 4è Zouaves
1 Régiment de Cuirassiers : 3è Cuir
3 Bataillons de Chasseurs Portés 10è - 29è - 30è BCP
2 Bataillons RA : 1/27è et 324è RA
2 Groupements GAAL : 452è et 457è
Enfin 23 escadrons de Gendarmerie Mobile
Il faut ajouter les éléments de l’Armée de l’Air basés à la Sénia et de la Marine à Mers-el-Kébir, Arzew et Tafaraoui (Aéro-Navale).

Soit une garnison totale de 18 000 hommes dont 12 000 sur le seul secteur d’Oran-Ville cantonnés sur plusieurs sites, casernes, lycées, collèges, stades, écoles imbriqués dans la ville à proximité immédiate des événements tragiques qui ont eu lieu.

14 - Note de rens 1266:B2:sec-conf /odj EMG ALN du 5 juillet 62.

15 - Cf le texte intégral dans le volume 3 de notre livre L’Agonie d’Oran, publié en 1999.

Personnellement j’adhére à la thése défendue aussi par certains historiens algériens selon laquelle de Gaulle avait choisi de favoriser l’accession au pouvoir du clan d’Oujda.

 

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