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études-coloniales
24 décembre 2019

Sylvie Thénault et les disparus de la guerre d’Algérie, par Jean Monneret

L'Histoire, Sylvie Thénault

 

 

Sylvie Thénault

et les disparus de la guerre d’Algérie

Jean MONNERET

 

J’aime bien Sylvie Thénault, car, elle a le mérite de dire les choses sans fioritures. Il lui arrive même de montrer de l’humour. Dans son livre Histoire de la guerre algérienne d’Indépendance, elle écrit des choses instructives. On lit ainsi à la page 248 : «Le cessez-le-feu marque la fin de la guerre pour les autorités officielles (sic) des deux pays.» Pour cet auteur, le GPRA-FLN était donc, au 19 mars 1962, une autorité officielle.

Elle ajoute à la page 248 également : « La situation qui perdure au-delà n’est pas de leur fait et, pour cette raison, il serait difficile aujourd’hui, pour les pouvoirs publics français, d’admettre une autre date que celle du 19 mars pour célébrer (sic) officiellement la fin du conflit. Cette conjoncture postérieure au cessez-le-feu créée par les jusqu’au-boutistes de l’Algérie française, explique en grande partie pourquoi les accords d’Evian sont restés lettre morte pour les Français d’Algérie, contraints, dans leur immense majorité à un départ précipité, sans retour ultérieur. »

Elle ajoute à la page 252 : «S’ils fuient le climat de violence créé par l’OAS, les Français d’Algérie partent aussi par peur des réactions algériennes. Ils craignent les vengeances, enlèvements et tortures, de la part de groupes armés qui agissent en se parant de la lutte contre l’OAS

Autrement dit, pour Madame Thénault les groupes armés qui s’en prennent aux Européens et se livrent à une épuration ethnique, ne sont pas du FLN. Ils « se parent de la lutte contre l’OAS » mais ils ne sont pas le FLN qui lui, si l’on comprend bien l’historienne, respecte le cessez-le-feu. De toute manière, les actes dirigés contre les Français d’Algérie, écrit-elle, sont très inférieurs en quantité à ceux de l’OAS … «Ils n’atteignent pas l’ampleur de ceux de l’organisation … lorsque le commandant Azzedine envoie ses hommes, en petits commandos exercer des représailles dans les quartiers européens [1]. Ils font dix-sept morts au hasard.» Une broutille en somme !

 

Que d’approximations...

Que d’approximations ! Rappelons au passage que Si Azzedine n’est pas à la tête d’un groupe armé «se parant de la lutte contre l’OAS», il est le plus important chef FLN d’Alger dont ses commandos font évidemment partie. Si Azzedine revendique d’ailleurs sans ambages la responsabilité des enlèvements d’Européens à Alger, dans son livre Et Alger ne brûla point (Ed. Stock pages 217 à 231).

Sylvie Thénault se risque ensuite à l’esquisse d’un bilan : «… du 19 mars au 31 décembre 1962, on comptabilise 3 018 Français d’Algérie enlevés, dont 1 245 ont été retrouvés, 1 165 décédés … 603 sont restés disparus.» 1 165 morts (nous voici loin des 17 morts attribués à Si Azzedine [2].

Encore y a-t-il erreur, il ne s’agit pas de morts mais de gens présumés décédés et toujours portés disparus. Le chiffre de 603 que Sylvie Thénault croît être celui des disparus est celui d’une autre catégorie : il s’agit des cas incertains, ceux pour lesquels les informations sûres ont fait défaut. L’auteur a donc tout mélangé en reprenant, sans bien les analyser, des chiffres parus dans le livre de M.M. Stora et Harbi. La Guerre d’Algérie, page 279.

Tout le monde, certes, peut se tromper. Le problème est que cette historienne n’a que partiellement rectifié le tir et corrigé ce type d’erreur. Ainsi, dans un article de la revue L’Histoire en décembre 2019, intitulé Les Disparus de la Guerre d’Algérie, a-t-elle fini par s’apercevoir qu’il y avait effectivement un problème des Européens disparus après le « cessez-le-feu » du 19 mars 1962. Le sort déplorable du disparu Maurice Audin, remontant à cinq années auparavant en 1957, ne pouvait à lui seul, épuiser les données de ce problème. Dans l’article en question, ceci se matérialise, à la fin, par un paragraphe sous-titré «1961-1962, enlèvements et massacres

 

Ne jamais évoquer une responsabilité du FLN...

Malheureusement, il faut bien constater que l’argumentation de base reste la même : Les enlèvements d’Européens, après le 19 mars 1962, renvoient à la responsabilité de l’OAS, laquelle s’est lancée dans un regain de violences après le cessez-le-feu. Cet argument, qui fut celui des anticolonialistes de tout poil pendant des décennies est, il faut bien le dire, plutôt lourdingue. Sylvie Thénault a toutefois la subtilité de ne pas s’en contenter. Elle admet donc que le FLN a également une responsabilité.

Mais attention, pas le FLN en tant que tel. Il ne faut pas faire de tort à cette organisation, parée à ses yeux d’on ne sait quels mérites. Non. Les chefs du FLN ont été « débordés » ; voilà tout. L’auteur va plus loin : ce serait surtout dans la wilaya 4 érigée « en Zone Autonome d’Alger » qu’il y a eu des enlèvements.

Il y a là une très nette confusion : la wilaya 4 n’a jamais été érigée en Zone Autonome d’Alger. C’est la région algéroise, la capitale et sa périphérie donc qui, étant à couteaux tirés avec le chef de la wilaya 4 Si Hassan, décida de faire sécession. Il est vrai néanmoins qu’en matière d’enlèvements d’Européens la Zone Autonome a un bilan fort lourd, autant que celui de la willaya 4 d'ailleurs : un millier de rapts environ entre le 17 avril 1962 et la fin du mois de juillet, en trois mois [3] donc, si l'on additionne les deux activités.

Cette date du  17 avril est précisément celle du déclenchement des rapts à Alger, à Oran, dans l’Algérois et l’Oranie. Cette simultanéité en des lieux aussi dispersés fait évidemment penser à un mot d’ordre central. Un autre fait historique va dans le même sens : le GPRA, dirigé par le FLN a toujours refusé (avant l’Indépendance du moins) de condamner les enlèvements. Des dirigeants très importants du FLN, Ben Khedda, Si Azzedine déjà cité, Reda Malek [4], Ben Bella lui-même [5] ont maintes fois mentionné les enlèvements de Pieds-Noirs dans cette période, sans nier qu’ils aient été commis par le FLN.

Dans son article, Madame Thénault, elle, veut à tout prix, que le FLN ait été «débordé». Elle utilise trois fois cet argument sur deux pages.

Quant au massacre des harkis, définis comme tous ceux qui étaient considérés comme des traîtres à la cause de l’Indépendance - Ce qui est inexact car nombre de harkis étaient favorables à une Algérie indépendante mais non soumise au FLN- , elle en parle à la va-vite, tout en précisant que les disparitions de ces derniers « n’étaient pas recherchées en tant que telles ». On ne peut que déplorer que l’auteur ait jugé inutile de s’attarder sur ce sujet.

Jean Monneret

 



[1] Le 14 mai 1962, Si Azzedine lança ses commandos dans les quartiers européens limitrophes, violant ainsi ouvertement le cessez-le-feu, qu’il se contentait jusque-là, de violer silencieusement en pratiquant les enlèvements.

[2] Jean-Jacques Jordi qui travailla ensuite sur ce bilan basé sur la liste de 3 018 personnes enlevées, publiée par le Ministère des Affaires Etrangères a pu réduire ces cas incertains à 170. Le véritable bilan est donc le suivant :
Européens enlevés : 3 018, chiffre donné par J. de Broglie au Sénat.
Retrouvés décédés : 111 inhumés sans que la plupart des familles soient informées.
Européens toujours portés disparus : 1583
Européens retrouvés vivants ou libérés (après torture souvent) : environ 1435.
Dossiers actuellement incertains : 170.

[3] Nous ne pouvons sur ce point que renvoyer les lecteurs à notre ouvrage La Phase Finale de la Guerre d’Algérie.

[4] L’Algérie à Evian (page 251) Ed. Seuil, 1995.

[5] Hostile aux enlèvements, Ben Bella, une fois au pouvoir, fit libérer de nombreux Pieds-Noirs détenus. En juillet 1962, ses alliés dans l’Algérois Khider et Yacef Saadi firent abattre Rampe Valée le responsable des enlèvements d’Européens au sein de la Zone Autonome.

 

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