technologie et art militaire lors des opérations
extérieures de l’armée française
général Maurice FAIVRE
L'armée française a une expérience ancienne des guerres coloniales, des décolonisations et aujourd'hui des opérations extérieures. Il paraît donc intéressant de rappeler ce qu'ont été les technologies militaires mises en œuvre autrefois, de les comparer à celles mises en oeuvre actuellement, et de voir si certaines techniques anciennes sont encore utilisées ou ont été éliminées par le progrès scientifique. La conclusion soulignera l'influence de la technique sur la tactique et sur l'organisation des unités.
La monarchie française a possédé une Empire colonial, en particulier en Amérique du Nord, qu'elle a perdu lors du traité de Paris de 1763, et récupéré en partie en 1814 ; il n'est pas étudié dans cet exposé. Au XIXe siècle, la colonisation française se réfère à l'idéologie des Lumières, exprimée par Victor Hugo : «un peuple éclairé va trouver un peuple dans la nuit».
Cet exposé se limite aux conquêtes coloniales du XIXe siècle, aux décolonisations du XXe siècle et aux opérations extérieures qui ont commencé dans les années 1950 et se poursuivent au XXIe siècle.
un zouave en Algérie
carte postale ancienne
Les conquêtes coloniales
La conquête de l'Algérie, de 1830 à 1849, se poursuit jusqu'en 1891 par l'occupation du Sahara. Des années 1840 aux années 1890, la colonisation française se développe en Afrique noire, en Tunisie, en Indochine et dans les océans Indien et Pacifique. Le protectorat du Maroc est établi en 1912, et des mandats sont confiés à la France après la guerre de 1914-18 (Togo, Cameroun, Liban et Syrie).
fusil mokhala kabyle
L'Algérien Mohammed Harbi écrit que «l'armée d'Abd-el-Kader est vaincue par une armée supérieurement équipée». Contre la cavalerie algérienne, très mobile et agressive, des lignes de blockhaus sont édifiées en 1832 et 1840. Les fusils mokhala de fabrication locale, utilisés de façon désordonnée, sont inférieurs aux fusils français modèle 77 et surtout 1842 à percussion, et à la carabine rayée de 1837.
fusil français 1842
À l'occasion de deux trêves, des accords secrets ont sans doute permis à l'émir de recevoir des armes modernes, mais il dispose de peu d'artillerie, et la poudre des munitions est de mauvaise qualité, alors que Bugeaud dispose du système d'artillerie Valée et des canons Gribeauval. Enfin Abd-el-Kader n'a pas de logistique organisée.
Un des procédés utilisés est celui de la razzia, qui prive l'ennemi de ses ressources alimentaires. Les colonnes mobiles de Bugeaud alternent le feu et le mouvement, et ses formations en losange désorganisent l'armée marocaine à la bataille de l'Isly. «La sauvagerie des indigènes, selon Daniel Rivet, rejaillit sur l'occupant par effet de contagion mimétique».
Le recrutement de soldats et de supplétifs locaux, l'utilisation de mulets pour le transport, et de dromadaires pour le combat en zone saharienne, renouvellent les procédés mis en œuvre par Bonaparte en Égypte. Des Bureaux arabes initient au progrès les populations.
transport de guerre pour la campagne du Maroc, 1907-1911
Sur le théâtre marocain en 1912, la supériorité de l'armement se confirme. Le fusil Lebel à tir rapide de 1886, le mousqueton de 1892, les mitrailleuses Hotchkiss, les canons de 65 et 75 mm réalisent des portées doubles de celles des armes antérieures.
Lyautey, à l'école des principes de Gallieni, progresse en tache d'huile en évitant les destructions, et en multipliant le recours aux goumiers et aux officiers des Affaires indigènes ; pour lui, quatre médecins valent quatre compagnies d'infanterie. En 1925, la guerre du Rif pilotée par le maréchal Pétain met en œuvre les blindés et l'aviation qui ont été expérimentés en 1917.
artillerie au Maroc, batterie de 75
En Afrique noire, les comptoirs côtiers sont protégés par des fortins en bois contre les incursions des potentats locaux qui disposent d'armes de traite modernes. Le général Faidherbe, ayant l'expérience de l'Algérie, est le pacificateur du Sénégal de 1854 à 1863. Il construit un fort à Médine, base avancée à 600 km à l'est pour les expéditions vers le Soudan. Il forme les unités d'élite des tirailleurs sénégalais et crée pour les enfants des notables une école des otages, destinée à former les futurs administrateurs.
Dans les années 1890, des expéditions pénètrent en profondeur jusqu'au Tchad et au Nil (Opérations Foureau-Lamy et Marchand : en 1896, le colonel Marchand traverse l'Afrique d'Ouest en Est en passant par Fachoda ; avec 150 soldats, il parcourt 7.500 km en deux ans et demi) ; leur logistique repose sur le recours aux pirogues et aux porteurs. À Madagascar en 1896, Gallieni applique les procédés de pacification qu'il a mis au point en Indochine.
Lors des guerres mondiales, les troupes indigènes, et en particulier les tabors marocains, deviennent des unités classiques disposant de toute la technologie moderne des armements d'infanterie.
tout à fait à gauche, thabor marocain
Contre-insurrection
Les guerres d'Indochine, d'Algérie, et les combats du Maroc et de Tunisie ont débuté par des insurrections nationalistes. Ce sont pour la France des guerres post-coloniales ou de décolonisation, pour les nationalistes des guerres de libération, d'indépendance et des révolutions politiques. Ayant duré de 7 à 9 ans, ces conflits asymétriques, où prédominent la guérilla et le terrorisme, sont dénommés à tort conflits de basse intensité, car des batailles de type classique ont été conduites sur la Route coloniale n°4, à Na San, à Dien-Bien-Phu, et sur la frontière tunisienne (bataille de Souk-Ahras).
Guerre d'Indochine
La guérilla du Vietminh débute en 1946 avec des armes livrées par les occupants japonais et par les service américains, avant d'être alimentée massivement par la Chine de Mao-Tse-Tung. Grâce à ce renforcement, la guérilla généralisée se transforme en corps de bataille de 125.000 hommes, contre lequel le Corps expéditionnaire français d'Extrême-Orient, composé de soldats de métier, de légionnaires et de troupes coloniales se trouve en infériorité numérique, dans un terrain difficile, où la forêt montagneuse, la brousse dense et les marécages constituent les deux-tiers du territoire. La montée en puissance d'unités autochtones, et l'armement de maquis dans les minorités montagnardes, contribuent au contrôle en surface, tandis que l'aide américaine permet peu à peu d'assurer le recomplètement des armes et des munitions.
Corps expéditionnaire français d'Extrême-Orient
Dans cette guerre sans front, le commandement français réagit avec le maximum d'efficacité et résiste à la pression communiste en mettant en œuvre des moyens technologiques avancés :
- la recherche électromagnétique lui permet de suivre les grandes unités adverses et de suppléer à la carence du renseignement local ;
- la construction de tours et de points d'appui fortifiés assure la protection du delta tonkinois contre les incursions rebelles, grâce à l'appui d'une artillerie de position et d'intervention permanente et instantanée ;
- 18 groupements mobiles interarmes (dont 7 vietnamiens) ont pour mission de «casser du Viet», en bénéficiant de l'appui des blindés et de l'aviation (4 groupes de chasse et 4 de bombardement). 14 bataillons parachutistes motivés (dont 8 vietnamiens) effectuent 150 opérations aéroportées et mettent au point une doctrine d'emploi adaptée à la menace adverse ;
- le regroupement des populations contribue à la pacification et à l'action psychologique. Les hiérarchies parallèles du Vietminh sont mises en évidence.
Des formes non orthodoxes de combat participent à l'action : commandos d'action en profondeur, groupements amphibies équipés de crabes M29C et alligators LVT4, dinassauts [divisions navales d'assaut] d'action côtière et fluviale (2 LCM et 4 LCVP), bataillons légers vietnamiens, aviation légère d'observation d'artillerie, escadre d'hélicoptères (25 Hiller et 25 Westland en 1952 - 9.640 évacuations soit deux tiers des blessés), lucioles d'éclairage nocturne, réseau de transmissions performant, groupe d'exploitation de l'Intendance, recours accru au personnel féminin (4.200 radios, plieuses et ambulancières).
évacuation sanitaire dans le camp retranché de Na-San, 1952
Le système des bases de manœuvre permet de fixer et détruire les grandes unités ennemies ; c'est un succès à Na San qui est évacué par surprise, mais un échec à Dien-Bien-Phu où 60.000 vietminh, ravitaillés par des milliers de coolies en bicyclette, et par camions chinois, grignotent la position tenue par 15.000 combattants, grâce à des travaux de tranchées et de sapes. Son artillerie enterrée en contre-pente (11 batteries de 105) interdit le terrain d'aviation et contrebat l'artillerie française. Les pertes sont très lourdes pour les deux camps.
Guerre d'Algérie
Après une première tentative de soulèvement, le 8 mai 1945, écrasée brutalement, les nationalistes algériens, initialement divisés et minoritaires, disposant d'armes anciennes et dépareillées (fusils Mauser et Stati, FM Bren), n'entraînent pas derrière eux la majorité du peuple algérien. Ils suppléent à cette faiblesse en employant conjointement la propagande identitaire et la brutalité du terrorisme aveugle, des mutilations corporelles, et l'organisation politico-administrative des villageois, chargés d'actions de sabotages.
Ils organisent en même temps le trafic d'armes obtenues dans les pays arabes et socialistes, et acheminées par les frontières de Tunisie et du Maroc. Organisant alors leur implantation dans les campagnes (Congrès de la Soummam), ils décident en 1956 d'installer le terrorisme urbain en ville d'Alger. Ils perdent successivement trois batailles, le 20 août 1955 dans le Constantinois, en 1957 la bataille d'Alger, et en avril 1958 la bataille des frontières.
Ils décident alors de transférer l'action terroriste en France, et d'agir par le canal de la diplomatie à l'ONU, dans les pays socialistes et dans le Tiers monde. Ils mettent enfin sur pied une armée des frontières en Tunisie et au Maroc, organisée de façon régulière et disposant de mitrailleuses MG 34 et 42, et d'artillerie (canons de 75 et de 105 sans recul, mortiers de 120) ; après son échec de 1958, cette armée bien équipée se contente de harceler les barrages.
ALN, armée des frontières, en Tunisie, 1962
Les réactions du pouvoir français sont d'abord de renforcer les effectifs en faisant appel à la conscription et au recrutement de nombreux supplétifs. Deux systèmes de forces sont alors constitués :
- 75 Secteurs qui quadrillent le territoire et protègent la population (5.000 postes pas toujours confortables) ;
– trois divisions de réserve générale, à base de parachutistes et de tirailleurs musulmans, qui, dans de grandes opérations de nomadisation, balaient le territoire d'Ouest en Est en détruisant les maquis algériens.
piton 517, une batterie d’artillerie en appui d’une opération dans la vallée, grande Kabylie (source)
Simultanément, l'édification de barrages frontaliers, minés, électrifiés et surveillés par un système de radars-canons, asphyxient peu à peu la rébellion intérieure. 20 batiments de la marine surveillent la mer et saisissent les bateaux de ravitaillement.
Quant à la lutte contre le terrorisme urbain, elle est conduite d'abord par l'emploi de sévices. «Certains, pendant la bataille d'Alger en particulier, ont été confrontés à un dilemme : se salir les mains en interrogeant durement de vrais coupables, ou accepter la mort certaine d'innocents. S'il y eut des dérives, elles furent marginales» (Livre blanc de l'armée française, 2002) lors des interrogatoires, dans un deuxième temps par la pénétration des réseaux terroristes. L'intoxication des chefs rebelles se traduit par le massacre de centaines de faux traîtres (bleuïte).
Le commandement français a peu à peu réorganisé 20 divisions, qui à l'exception des unités rapatriées d'Indochine, n'étaient pas préparées à la contre-guérilla. Les matériels sont alors modernisés : fusils Garant remplacés par le Mas 36 puis le Mas 49/56 semi-automatique et lance-grenade.
pistolet-mitrailleur Mat 49 ("Mat 49" signifie : manufacture d'armes de Tulle, 1949)
Sont peu à peu mis en place : le pistolet-mitrailleur Mat 49 et la mitrailleuse AA52, les mortiers de 60 et 81 au niveau compagnie et bataillon, les canons sans recul et les obusiers de 105HM2 et TF50, les postes radios TRPP8, ANGRC10 et C9, les chars Chaffee M24 puis AMX13. Trois cents automitrailleuses AMM8, achetées en 1956, sont complétées par les Engins blindés de reconnaissance Panhard.
Les camions GMC sont blindés, puis remplacés par des Simca 4X4 et des Berliet GBC, aménagés pour un débarquement rapide. Les tenues de combat allégées favorisent la mobilité, les rations de combat sont généralisées. Le soutien logistique est porté à 13 kg par homme-jour. Le ravitaillement en munitions est abondant (40.000 obus par mois).
L'effort le plus important concerne les moyens aériens qui comptent 900 avions et 400 hélicoptères. L'aviation légère de l'armée de terre est mise sur pied aux côtés de l'armée de l'Air et de l'Aéronavale. 25% des appareils sont des avions d'appui T6, complétés ensuite par les T28 Fennec. Les autres appareils sont des Corsair de la marine, des chasseurs Skyraider et des bombardiers B26.
L'emploi du napalm est autorisé sur les groupes armés. Les hélicoptères lourds comptent 55 Banane H21 et 120 Mammouth H34 ou HSS (certains, appelés Pirates, sont armés d'un canon de 20 ; d'autres sont équipés de missiles SS1 et spécialisés dans l'attaque des grottes). La doctrine d'emploi des Détachements d'intervention hélicoptères (DIH) est mise au point, en même temps que la coopération Air-Terre est assurée par l'organisation de 3 Groupements tactiques, de PC Air directeurs et de PC volants. En 1955, les Alouette II médicalisées sont complétées par les Vertol et les Mamouth ; on compte 30 minutes pour les évacuations sanitaires, plus 30 minutes pour l'hospitalisation.
impact sur le sol de bidons de napalm lâchés par un B-26 du GB 2/91 durant la guerre d'Algérie.
Le B-26 pouvait emporter sous ses plans quatre bidons de napalm qu'il ne fallait pas larguer de trop haut,
les bidons ayant de très mauvaises qualités balistiques et le tir n'étant pas précis (source)
Comme en Indochine, la source principale du renseignement est constituée par la recherche électromagnétique. Les postes radios ennemis sont localisés par goniométrie et homing, ou soumis à des intrusions.
Le général Challe puis Crépin décident de supprimer les postes HF de l'ennemi. La surveillance aérienne relève les traces menant vers les postes de commandement insurgé (méthode Lanlignel). De nombreux organismes participent successivement à la centralisation des renseignements : Service des liaisons nord-africaines – Sécurité du territoire – Deuxième Bureau - Système Renseignement-Action-Protection, devenu Centre de Coordination interarmées – Centres de renseignement et d'action – Bureau études et liaisons – Service technique de recherche opérationnelle – Mission choc (en 1962).
Des formations de combat spécialisées (cavaliers, méharistes, gendarmes, supplétifs, commandos) font face à toutes les formes de menace (maxima atteints) :
- 3 régiments de cavalerie et 5 compagnies muletières (au total 2.500 chevaux et 2.000 mulets) ;
- 434 brigades de gendarmerie départementale et 71 Escadrons de gendarmerie mobile ;
- les Services de sécurité (SSNA), dont 40 compagnies républicaines de sécurité( CRS) ;
- 75 commandos de chasse chargés de marquer les unités rebelles ;
- 2.000 autodéfenses de villages, confiées aux anciens combattants de 1945 ;
- 4 trains blindés ;
- 700 maghzens de protection des officiers SAS qui administrent les communes ;
- 110 Groupes mobiles de sécurité et 800 harkas ;
- 5 compagnies méharistes (montées sur dromadaire), et 9 compagnies sahariennes portées, ;
- 2 détachements secrets d'infiltration au Maroc et en Tunisie.
L'armée conduit en même temps des actions civilo-militaires de pacification par le canal des officiers SAS, des équipes médico-sociales itinérantes, de l'assistance médicale gratuite, des instituteurs militaires, des Comités de salut public, du Service de formation de la jeunesse, des Procureurs militaires de Secteur, du regroupement des populations (2 millions de personnes), des campagnes d'action psychologique (compagnies de haut-parleurs).
782e Compagnie d'écoutes et de radio goniométrie, Algérie 1957 (source)
Opérations extérieures.
Dès 1948, l'armée française a participé à une mission d’observation en Palestine, qui a été suivie d'une quarantaine de missions de maintien de la paix ou d’interposition, réalisées avec l’accord des parties au conflit. Certaines missions sont des initiatives françaises (Cameroun, Tchad, Congo, Calédonie, Côte d’Ivoire), d’autres sont commanditées par l’ONU.
Depuis la fin de la Guerre froide (1989), les OPEX se sont intensifiées et ont eu recours à des spécialistes civils et à une composante policière. L’ONU a pris en charge des États en décomposition en vue de les reconstruire, avant d’être relayée par l’OTAN, puis par l’Union européenne. Ce fut le cas lors de la guerre du Golfe de septembre 1990 à janvier 1991, où la division Daguet comptait 13.000 Français. Ensuite les OPEX ont engagé 8.000 hommes dans les années 1990, elles ont atteint 13.000 soldats français en 2008, et ont été réduites à 9.500 en 2010. En novembre 2007, l'opération EUFOR au Tchad, dirigée par un général Irlandais, comprend des unités polonaises, autrichiennes, suédoises et néerlandaises.
en Afghanistan
Les OPEX conduites par la France ne peuvent pas être toutes mentionnées dans cet exposé, qui se limitera à une analyse thématique des technologies particulières mises en action. Une observation majeure réside dans le fait que l'État-Major américain se réfère à la doctrine mise au point par des officiers français qui ont servi en Indochine et en Algérie. Il s'agit des colonels Roger Trinquier et David Galula, et de leurs inspirateurs Gallieni et Lyautey.
Considéré comme le Clausewitz de la contre-insurrection, le lieutenant-colonel Galula a observé les révolutions chinoise, grecque et algérienne. Il en tire un plan de lutte en 8 étapes, qui est essentiellement une politique de prise en main des populations, et n'aborde les conditions militaires que sous l'angle de la supériorité des forces ; il préconise une progression en tache d'huile, par l'occupation progressive de tous les villages, ce qui à l'évidence n'a pas été la solution retenue en Afghanistan. Le colonel Trinquier en revanche préconise de porter la guerre chez l'ennemi en spécialisant des commandos supérieurement armés, et en regroupant les populations hors des zones-refuges des insurgés.
Parmi les procédés de supériorité militaire, l'action aérienne tient la première place. On lui doit la destruction d'unités insurgées en Mauritanie, en Côte d'Ivoire, et en Afghanistan, grâce à d'étroites liaisons Air-terre, mais au prix de dégats collatéraux sur les populations. Des succès stratégiques ont été obtenus en Serbie (1995), au Kossovo (1999) et en Libye.
Cette opération de Libye, conduite en 2011 sans engagement au sol, est tout à fait remarquable par la rapidité de l'intervention, par la coordination interarmées et interalliée, et par son soutien logistique à longue distance. Des conseillers des Services spéciaux sont intervenus en Côte d'Ivoire, Somalie, Libye, Afghanistan et Sahara. Les armements les plus modernes ont prouvé leur capacité ; c'est le cas du porte-avion nucléaire, du bâtiment de projection et de commandement, des avions Rafale et Mirage qui ont fait 5.600 sorties et détruit 1.000 objectifs, des hélicoptères qui en vol de nuit ont opéré 600 destructions (30 sorties de 3 à 12 hélicoptères : en général 2 Puma, 4 Gazelle et 2 Tigre), des drônes Male et Harfang, des missiles de croisière et modulaires, de la nacelle de reconnaissance aérienne, des hélicoptères Cougar et Caracal.
avion de combat Rafale
En Afghanistan, un effort particulier a été porté sur la protection des combattants au sol, qui bénéficient d'un appui aérien immédiat, se réfugient dans des bases opérationnelles avancées (FOB), et sont revêtus de l'équipement Félin à liaisons intégrées.
La protection contre les engins explosifs improvisés (EEI ou Improvised Explosive D) est assuré par des robots de détection et des véhicules d'ouverture de route Buffalo et Arcadis ; il fait l'objet d'un plan d'action auquel participent plusieurs nations alliées.
prise en charge d'un blessé afghan, 2010 (source)
Les délais d'évacuation sanitaire vers l'hopital français de Kaboul sont estimées à deux heures (88 tués et 685 blessés depuis 2001). Après le retrait en 2012 des «unités combattantes» (sic), décidé en contradiction avec les plans alliés, il restera en Afghanistan les instructeurs et moniteurs de l'armée afghane (650 hommes des opérations Epidote et Operationnal Mentor Liaison Team).
Les opérations extérieures sont l'occasion de vérifier la fiabilité des équipements. Ainsi sont expérimentés les camions équipés du système d'artillerie CAESAR (155 mm, portée de 40 à 50 km, rapidité de mise en batterie et du calcul de tir, mobilité et précision), les véhicules à haute mobilité, les petits véhicules protégés, les véhicules blindés de combat d'infanterie, le lance-roquette unitaire. Par rapport aux activités du temps de paix, tout cela représente un surcoût, qui est estimé de 60.000 à 100.000 euros par homme et par an selon le territoire considéré.
La participation à ces opérations ne s'improvise pas. C'est ainsi que les unités pour l'Afghanistan sont mises en condition avant projection (MCP) au cours d'un stage de 4 à 6 mois, suivi d'un exercice de vérification de 3 semaines en camp de manœuvre. Un memento du chef de section en contre-rébellion est distribué aux sous-offciers.
Au retour, un SAS de décompression de 3 jours a lieu dans un hôtel de Chypre. Un Groupement interarmées des affaires civilo-militaires, de 100 personnels et 400 stagiaires, a été créé à Lyon. Une cellule d'intervention et de soutien psychologique se préoccupe de sensibiliser les personnels au stress opérationnel. Enfin, une cellule d'aide aux blessés (CABAT) a été constituée, ainsi qu'une Association de Solidarité Défense présidée par l'amiral Lanxade.
Certaines missions ont un caractère humanitaire. C'est le cas de l'Élément médical militaire d'intervention rapide (EMMIR) qui a été dénommé Bioforce et est intervenu en Haïti en 2010. Ce sont aussi les unités de protection civile, engagées lors des catastrophes naturelles.
Influence des technologies sur les opérations
et les formations
L'évolution des opérations évoquées permet de retenir les enseignements suivants :
- la supériorité et la modernisation des armes de contre-insurrection est une réalité, depuis les armes à percussion du XIXe siècle, aux canons et aux aéronefs du XXe siècle, contre lesquels les insurgés réagissent par la guérilla, le terrorisme, la dispersion et les explosifs improvisés. Il leur arrive cependant d'atteindre le niveau du combat classique (Indochine, frontière tunisienne, Libye). Des armes surpuissantes sont utilisées, selon le principe de versatilité : qui peut le plus peut le moins.
- la fortification des bases d'opération est constante, du Sénégal à l'Indochine et à l'Afghanistan. L'exposition Eurosatory en juin 2012 a mis l'accent sur la protection. Une protection excessive (gilets pare-balles) limite cependant la mobilité et impose une motorisation accrue des unités ; le moteur a remplacé le cheval. Des véhicules adaptés sont mis au point (Sherpa light de Renault Trucks Défense) ;
- l'arme aérienne apporte un surcroit de puissance et de réactivité. En Indochine, elle facilite l'observation d'artillerie et contribue à la destruction des unités insurgées, mais se trouve en limite de portée. En Algérie, elle est en concurrence avec la précision et la souplesse des hélicoptères, lesquels remplacent le parachutage. En Afghanistan et en Libye, les drones de différents types (armés, logistiques, détecteurs d'IED) sont expérimentés ;
le Ventura, affecté à l'Extrême-Orient comme avion de liaison
personnel du Haut-commissaire en Indochine (l'Amiral Thierry d'Argenlieu)
(source)
- les performances des armes influent sur la tactique des unités, telles que la formation en losange de Bugeaud, la progression en tache d'huile, l'infiltration des commandos, le recours au recrutement autochtone ;
- les techniques d'information provoquent une nouvelle révolution de l'art militaire. La radio est utilisée pour la propagande, les écoutes, les liaisons interarmes à longue distance et les émissions brèves. Les radars localisent les mouvements ennemis. L'informatique génère les munitions intelligentes, la numérisation de l'espace de bataille, les liaisons par internet, et la robotisation (Félin) ;
- les actions civilo-militaires n'ont cessé de se développer, depuis les Bureaux arabes et les SAS, l'assistance médicale gratuite, les hiérarchies parallèles et le regroupement des populations en Indochine et Algérie jusqu'aux moniteurs de formation en Afghanistan et aux cellules de soutien psychologique et de solidarité.
"l'autoroute de la mort", Koweit-Irak, guerre du Golfe, 1991
Il semble enfin que la technologie joue un rôle négatif sur l'opinion publique. Les frappes chirurgicales à distance de sécurité, les appareils sans pilote et le télé-traitement médical persuadent l'opinion que la guerre est devenue idéale, courte et propre. Le mythe du zéro mort dévalorise la vocation militaire, il réduit le fossé entre les civils et les soldats, lesquels ne sont plus que des techniciens exerçant un métier à risque.
général Maurice Faivre
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Illustrations
1) Poste fortifié en Indochine.
Construit selon les règles de l'art, ce poste de 60 hommes peut résister plusieurs heures à une attaque, jusqu'à l'intervention d'un groupement mobile et de feux aériens et d'artillerie.
2) Manoeuvre d'interception sur le barrage algéro-tunisien.
Le barrage frontalier présente les caractéristiques suivantes : - l'électrification permet de localiser immédiatement un franchissement – 5 régiments blindés patrouillent jour et nuit sur la herse – 5 régiments paras sont en attente pour intervenir sur un groupe ayant franchi le barrage.
3) Porte-avion nucléaire, avions Rafale et batiment de projection et de commandement (BPC).
Les avions Rafale sont prêts à décoller du porte-avion nucléaire. Les hélicoptères d'attaque sont en attente sur le BPC.
4) Memento du chef de groupe et de section en opération en Afghanistan.
Ce memento est distribué aux officiers et sous-officiers avant le départ en Afghanistan.
Biographie du général (2S) Maurice Faivre
Saint-Cyrien de la promotion Rhin et Danube (1947-49), Maurice Faivre a servi 5 ans en Algérie, a commandé le 13ème régiment de dragons parachutistes, puis les 2ème Bureaux des Forces françaises en Allemagne, et de la 1ère Armée à Strasbourg.
Docteur en science politique, il est vice-président de la Commission française d’Histoire militaire et membre de l’Académie des Sciences d’outre-mer.
Outre sa thèse sur les nations armées, il a publié neuf ouvrages sur la guerre d’Algérie, dont les Combattants musulmans, les archives inédites, Conflits d’autorité, le général Ely, le renseignement dans la guerre d’Algérie, l’action sociale de l’armée de 1830 à 2006, et la Croix-Rouge pendant la Guerre d’Algérie. Il a participé à huit ouvrages collectifs et publié des dizaines d’articles historiques.
général Maurice Faivre
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