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études-coloniales
17 mars 2012

critiques du documentaire de Gabriel Le Bomin et Benjamin Stora

la+dechirure

 

mises au point sur la Déchirure

général Maurice FAIVRE

 

Gabriel Le Bomin et Benjamin Stora, La déchirure. Texte récité par Kad Merad.
Émission TV de FR2 le 11 mars 2012.

Ce documentaire de deux heures avait le mérite de faire défiler les principaux évènements de la guerre d’Algérie, de mai 1945 à 1962, plus un rappel sur la loi de 1999. Ainsi nous sont présentés :

- les atrocités et mutilations commises contre des civils en mai 1945 et août 1955, contre des militaires en mai 1956 près de Palestro ; la lutte fratricide du FLN contre le MNA (Melouza en mai 1957) ; les enlèvements d’Européens et le massacre des harkis en 1962 ;

- les réactions politiques des autorités françaises : la paix pour 10 ans du général Duval, l’intégration de Soustelle accordant les mêmes droits aux communautés, la pacification conduite avec générosité, le détournement de l’avion de Ben Bella, les pouvoirs spéciaux, les zones interdites et les regroupements de population, le fiasco de Suez, la fraternisation de mai 1958, l’engagement des harkis, la paix des braves et l’autodétermination du général de Gaulle, les référendums, la politique d’abandon à Évian ;

 

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- le congrès FLN de la Soummam en août 1955, l’installation du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) à Tunis, le terrorisme transféré en métropole ; la manifestation du 17 octobre 1961 contre le couvre-feu, la lutte pour le pouvoir et l’anarchie de l’État algérien en 1962 ;

- les oppositions franco-françaises : barricades, insoumission, procès Jeanson, OAS et putsch des généraux, manifestation communiste de Charonne.

 

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Lors du débat qui a suivi le documentaire, Benjamin Stora a reconnu que la victoire militaire n’était pas suffisante pour rétablir la paix, en raison de l'isolement diplomatique de la France et des problèmes du Sahara, mais que les négociations avaient été conduites dans des circonstances discutables.

Jean-Jacques Jordi a rapidement exposé ce qu’avait été «le silence de l’État» face à l’épuration ethnique de 1962. Jeannette Bougrab ou Karima Chaalal auraient été plus objectives que Dalila Kerchouche. Les autres témoins n’étaient pas particulièrement bien choisis, et l’on a pu noter le refus de la victime d’un attentat de condamner l’immoralité du terrorisme contre des civils innocents (1).

 

mises au point

La pertinence historique des commentaires appelle quelques mises au point.

- le suspect tué dans le dos sur une route est un montage de la Fox Movietone, tourné devant plusieurs journalistes pour impressionner le public américain, on ne montre pas la mort du suspect ; les archives de la gendarmerie d’Alger et de Guelma prouvent que le gendarme qui a tiré a été sanctionné, mais a bénéficié d’un non-lieu du Tribunal ;

- de nombreux villages ont été rasés pour qu’ils ne servent pas de refuges aux djounoud, mais la population avait été évacuée auparavant ; certains regroupements effectués dans la hâte ont été reconvertis par Delouvrier, qui contredit la famine dénoncée par Rocard ; en 1961-62, 90% des regroupés ont préféré rester dans les villages où ils bénéficiaient du confort (2)

- d’après le CICR, le napalm est interdit sur les habitations civiles, mais pas contre les combattants (3)

- les parachutistes n’ont pas soutenu le soulèvement du 13 mai, mais un civil a «emprunté» un camion du RCP pour défoncer les portes du GG ; ensuite Massu s’est efforcé de canaliser le mouvement ; l’armée n’a pas pris le pouvoir, mais Pflimlin puis de Gaulle ont donné les pouvoirs civils et militaires à Salan ;

- le droit de vote aux Algériens a été accordé par Robert Lacoste et mis en œuvre par de Gaulle ;

- des attentats à la bombe ont été effectués par le FLN dans le Constantinois et à Alger avant l’attentat contre-terroriste de la rue de Thèbes, le 10 août 1956 (réf. Colonel Schoen) ;

- des affaires importantes semblent avoir été oubliées : la loi-cadre de R. Lacoste, les centres militaires d’internement créés par Salan, la bleuîte, l’affaire Si Salah, le discours gaulliste du 4 novembre 1960 ;

- de nombreuses estimations chiffrées appellent la critique : des dizaines de milliers de victimes de la répression en mai 1945 et en août 1955, 3.000 disparus dans la bataille d’Alger, 60.000 maquisards en 1958 (disposant de 20.000 armes de guerre !), 400.000 morts dont 30.000 appelés, des centaines de noyés dans la Seine en octobre 1961 ; toutes ces évaluations sont à vérifier ;

 

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- les centres de transit des harkis sont fermés en 1964 ; sur 66.000 rapatriés, il ne reste alors que 10.000 personnes dans les hameaux forestiers et les cités d’accueil ; ces dernières ferment en 1975, 90% des familles sont alors recasées en métropole ;

- Soustelle, Bourgès-Maunoury et le général de Gaulle évoquent la guerre d’Algérie et non «les évènements d’Alger» camouflage médiatique de la réalité. La loi de 1999 n’a fait que reconnaître tardivement les droits juridiques des combattants.

 

la torture

Le débat sur la torture reste un des sujets privilégiés de la propagande médiatique. Il n’est pas question de nier sa pratique, qui a été reconnue par maintes autorités ; dans le manifeste de 2002 des 521 officiers généraux anciens d’Algérie , le général Gillis écrit :

- «certains pendant la bataille d’Alger en particulier, ont été confrontés à un dilemme : se salir les mains en interrogeant durement de vrais coupables, ou accepter la mort d’innocents. S’il y eut des dérives, elles furent marginales et en contradiction même avec les méthodes voulues et les objectifs poursuivis par la France et son armée».

Dans l’été 1962, le colonel Godard poursuit la bataille d’Alger sans violence, par infiltration des groupes terroristes (4), il élimine le colonel Aussaresses ; Zora Driff reconnaît que «ces méthodes n’avaient plus court quand j’ai été prise» (septembre 1957)

Maurice Patin, président de la Commission de sauvegarde du droit et des libertés (16 enquêteurs), fait le point dans ses rapports successifs :

- septembre 1958 : l’emploi est proscrit mais persiste dans des cas isolés ;

- juin 1960 :les déclarations tardives de Djamila Boupacha ne sont pas convaincantes ;

- octobre 1960 : il n’y a plus de tortures spectaculaires ;

- février 1961, diminution des pratiques illégales ;

- décembre 1961, l’ordre a été rétabli par les Procureurs militaires, le système a fini par se disloquer ;

- 20 chefs de corps, en majorité parachutistes, cités par JC Jauffret, ont dit non à la torture (5) ; parmi eux, le colonel Trinquier à El Milia ;

- 400 enquêtes du CICR (6) dans les centres d’internement en Algérie et en métropole établissent à moins de 20% le nombres des prisonniers qui ont été torturés.

Ces différents constats ne confirment pas la pratique généralisée de la torture. Il est donc injuste d’accuser tous les combattants de s’être mal conduits, alors que la plupart sont venus en aide à la population musulmane.

 Maurice Faivre
membre de l'Académie des sciences d'Outre-mer

 

1 - anticolonialiste et disciple de Sartre, ignore-t-elle le conseil du philosophe dans sa préface à Franz Fanon : "il faut tuer, abattre un Européen, c’est supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre". On sait que Jean Daniel a condamné le démoniaque égarement de Sartre et de Fanon.

2 - M. Faivre, Les mille villages de Delouvrier, L’esprit du Livre, 2009

3 - M. Faivre, La Croix-Rouge pendant la guerre d’Algérie, Lavauzelle

4 - Maurice Schmitt, La deuxième bataille d’Alger, L’Harmattan 2008

5 - Ces officiers qui ont dit non, Autrement , 2005. À compléter par les témoignages du ministre P. Messmer, colonel Dabezies et général Pierre Jacquinet.

6 - M. Faivre, La Croix-Rouge pendant la guerre d’Algérie, op. cit.

 

________________________________

 

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quelques remarques (incomplètes)

Michel RENARD

 

Le début du documentaire, avec un dérayage de train, inscrit le soulèvement algérien dans la figure de la Résistance française au nazisme. On croirait revoir La Bataille du rail de René Clément (1946) ou Lucie Aubrac de Claude Berri (1997).

Mais, ces images sont fictives. Et induisent un parallèle quasi subliminal entre la présence nazie en France et la présence coloniale en Algérie. Or le temps de l'Occupation (1940-1944) ne fut pas celui de la colonisation (1830-1962). Les époques historiques sont différentes, les temporalités ont créé des rapports distincts. L'oppression allemande et nazie pendant quatre ans ne peut être comparée à la domination coloniale sur l'Algérie pendant des dizaines d'années : les objectifs ne furent pas les mêmes, les résultats et conséquences non plus.

Des rapports humains se sont édifiés entre "affrontements" et "accomodements" (Marc Michel, La colonisation positive, éd. Perrin, 2009). Le rapprochement est donc illégitime.

 

le hiatus commentaire/image

L'un des problèmes de ce documentaire est le décalage entre le commentaire et les images. Dès le début, on "voit" un soldat abattre un civil algérien sortant de sa tente. Il aurait fallu préciser qu'il s'agissait d'images tournées en août 1955 (alors qu'on les fait souvent passer pour des preuves des massacres de mai 1945 à Sétif…) dans des circonstances particulières - les massacres d'Européens à Philipeville -, et non de la réalité quotidienne de ce conflit.

 

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Suit immédiatement une image d'un homme mutilé au visage dont il aurait fallu dire si il fut une victime du FLN ou de l'armée française.

Une image n'est pas une preuve en elle-même. Elle doit être accompagnée d'un appareil critique d'identification, de contextualisation, éventuellement de démystification.

Les photos de membres de l'ALN sont suspectes d'inauthenticité. Il serait étonnant que l'ALN ait filmé, avec le risque que cela supposait d'identification ultérieure, des témoignages de ses actions. De plus leur équipement n'est pas crédible. Cela sent la propagande filmée parmi les armées des frontières en Tunisie ou au Maroc.

La référence à l'antériorité de Messali Hadj dans la constitution d'une conscience indépendantiste algérienne est bienvenue, et historiquement juste ("le père fondateur du nationalisme algérien"). Le problème est de savoir comment ce mouvement s'est disloqué. Qui, et au nom de quel projet, a pris l'initiative des "événements" du 1er novembre 1954 ?

Le retour sur 8 mai 1945 est partial. Il n'évoque ni l'interdiction de la manifestation, ni surtout, le fait que cette initiative fut une tentative d'insurrection consciemment préparée par le PPA et les AML (voir les propos de Mohammed Harbi et le livre de Roger Vétillard, Sétif, Guelma, mai 1945, massacres en Algérie, éd, de Paris, 2008, dont les 600 pages ne doivent pas dissuader les chercheurs de vérité).

 

un nationalisme en partie anachronique

Un commentaire du film est également critiquable – il est d'ailleurs une réplique d'une phrase de l'écrivain Kateb Yacine - : "c'est là dans les milliers de morts civils de cette répression que le nationalisme algérien va se cimenter et puiser la vigueur de son combat à venir". Cest faux. Le nationalisme algérien ne devient prépondérant dans la population non-européenne, évidemment - qu'à la fin de l'année 1960. Avec cette version, on reste dans la mythologie du nationalisme algérien réécrit par le FLN pour feindre une rétroaction du sentiment national.

François Mitterrand, ministre de l'Intérieur de Pierre Mendès-France, débarquant à Alger, est convaincu de l'influence égyptienne, dans les attentats de novembre 1954. "L'Algérie, c'est la France, et la France ne reconnaîtra pas chez elle d'autre autoritité que la sienne". On peut juger rétrospectivement ce jugement en décalage avec ce que l'avenir nous a appris. Mais, à l'époque, il correspondait, certes à un aveuglement devant le danger potentiel des indépendantistes, mais il ne faut pas commettre d'anachronisme. Il reflétait le rapport des consciences en Algérie ainsi qu'en métropole. Comme le note le commentaire : "toute la classe politique en est convaincue".

 

la question de l'Aurès

Par contre, le film dit peu après : "l'objectif de l'armée française est de prendre l'insurrection de vitesse : éviter qu'elle ne dépasse le massif des Aurès ; c'est là que se trouve le berceau de la révolte ; une région montagneuse sous-administrée, comme oubliée, un terrain idéal pour la guerilla".

Intéressant. C'est justement le territoire qu'étudiait Germaine Tillion, l'ethnologue familière de ces régions dès avant la guerre. Elle revient en 1957 dans ce milieu qu'elle avait bien connu et constate une dégradation de la situation économique : "Comment expliquer cela ? Les explications abondent mais beaucoup ne valent pas cher. En voici une première série classique : «Ils sont imprévoyants... ce sont de grands enfants... le fatalisme musulman», etc.Malheureusement pour les explications en question, j'étais là, précisément là, il y a quinze ans, et j'ai connu ces mêmes hommes, les mêmes enfants, ni imprévoyants, ni fatalistes, ni «grands enfants», mais au contraire, pleins de sagesse, de gaieté, d'expérience et d'ingéniosité. Seconde série d'explications, également classique : le Colonialisme, vieux Croquemitaine. Malheureusement encore, il n'y a jamais eu de colon ni hier ni aujourd'hui, à moins de cent kilomètres à la ronde et seuls le vent de sable et les chèvres peuvent à la rigueur être accusés d'une diminution de la surface des terres cultivables (mais ce n'est pas le «colonialisme» qui a inventé les chèvres et le vent") (L'Algérie en 1957, p. 27-28).

Il faudrait peut-être trouver une autre explication que l'oppression coloniale pour rendre compte de la naissance de la révolte dans ce "berceau"…

Michel Renard

  

guelma-setif-massacre1une image n'est pas une preuve en elle-même...

 

- voir : "La Déchirure"; erreurs de méthodes et graves oublis, Guy Pervillé

- voir "La Déchirure" : ce documentaire n'est pas un outil de référence, Daniel Lefeuvre

 

- retour à l'accueil

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Commentaires
H
La fameuse séquence de ce soldat tirant avec son fusil sur un indigène sortant d'une tente touareg (on se demande ce que fait une telle tente dans ce qui semble être le verger d'une ferme bâtie en dur...)est déjà montrée dans chaque "reportage" sur la guerre d'Algérie. Je pense qu'elle est tirée d'un film "Avoir vingt ans dans les Aurès", une fiction anti-militariste et anti-colonialiste des années 60...
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