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études-coloniales
30 septembre 2007

Il y a cinquante ans : Albert Camus reçoit le Prix Nobel de littérature… (Benjamin Stora)

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Il y a cinquante ans :

Albert Camus reçoit le Prix Nobel

de littérature…

Benjamin STORA

 

«Je comprends qu’on discute mon œuvre. C’est à moi qu’elle paraît discutable, et en profondeur. Mais je n’ai rien à dire si on fait le procès de ma personne. Toute défense devient ainsi apologie de soi. Et ce qui frappant, c’est cette explosion d’une détestation longtemps réprimée (…) Je ne m’explique pas l’extrême vulgarité de ces attaques. (…) Ces messieurs veulent, appellent, exigent la servitude. Ils seront probablement servis. À leur santé.» (1) 

L’annonce

Le 16 octobre 1957, Albert Camus est attablé au premier étage d’un restaurant du Quartier latin lorsqu’un jeune chasseur vient lui annoncer qu’il a reçu le prix Nobel de littérature. Camus devient pâle, paraît bouleversé et commence à répéter inlassablement qu’il aurait dû aller à André Malraux. Il est vrai que le nom de Malraux avait été suggéré par divers groupements littéraires en France comme en Suède, et avait fait l’objet de nombreuses spéculations ; le Roi de Suède l’avait même reçu lorsqu’il était venu, sous les acclamations, donner une conférence sur Rembrandt à Stockholm. En cette année 1957, d’autres nomsCamus_proteste circulaient, comme ceux de Boris Pasternak, Saint-John Perse ou Samuel Beckett….  qui tous allaient recevoir plus tard le Prix Nobel.

C’est donc Albert Camus, à peine âgé de 44 ans qui aura le plus prestigieux des prix littéraires. L’annonce est un coup de tonnerre, car l’idée généralement admise est que le Prix récompense, couronne une œuvre déjà achevée, une carrière déjà accomplie. Il est vrai que vingt auparavant, Roger Martin du Gard avait été préféré à son aîné et maître André Gide, qui avait dû attendre encore dix ans pour se voir décerner le prix….
Mais Camus n’est le candidat d’aucun groupe extérieur, d’aucune chapelle littéraire. Bien au contraire, il doute de lui à ce moment, il fait aveu de stérilité, ne se croit plus capable de créativité. Il est aussi l’objet d’attaques venant de tous les milieux de droite comme de gauche…

Dans l’Express, François Mauriac fustige son jeune rival qui a pris position contre la peine de mort au moment où éclatent les affaires de torture commises pendant la «Bataille d’Alger» : «Abolir la peine de mort quand on rétablit la torture ? Un peu de logique, voyons, Camus !» (2)  Sur le plan littéraire, il publie un de ses plus beaux livres, L’Exil et le Royaume, et Gaëtan Picon écrit dans la revue Mercure de France en mai 1957 : «Ici nous sommes ramenés à l’entre-deux, à la confusion, au mixte discret de l’existence ordinaire». Le bruit de l’attribution du Prix court pourtant avec insistance… «Quand son éditeur américain, Blanche Knopf, rendit visite à Camus à Paris au mois d’août, au retour de Stockholm, elle lui raconta qu’elle avait entendu mentionner son nom à propos du prix. "Nous en avions tous ri – cela nous paraissait impossible", raconta t-elle plus tard». (3)

Les réactions.
Bien sûr, les réactions sont innombrables dès l’annonce de l’attribution. Pour les milieux conservateurs, Albert Camus n’a jamais hésité sur la question algérienne. Il est, au contraire, un dangereux ami des «rebelles», une sorte de gauchiste dangereux de l’époque. Les milieux proches aujourd’hui des pieds-noirs «ultras» (toujours favorables cinquante ans après l’indépendance algérienne aux thèses de l’Algérie française) ont oublié tout cela, préférant ne retenir que le Camus du silence avant sa mort…. L’hebdomadaire de droite Carrefour, observe qu’habituellement le prix Nobel est acamusldécerné après consultation du ministre des Affaires étrangères du pays concerné, mais que cette fois l’Académie suédoise a délibérément «favorisé un homme de gauche» plutôt qu’un partisan de l’Algérie française. «Quelle étrange et nouvelle forme d’ingérence dans nos affaires intérieures !».

Le commentaire le plus cruel venant de droite est celui d’Arts, où paraît en première page une caricature de Camus en tenue de cow-boy, avec des pistolets en mains, sous ce titre : «En décernant son prix à Camus, le Nobel couronne une œuvre terminée». L’auteur de l’article, Jacques Laurent (rédacteur en chef d’Arts, polémiste de droite et romancier populaire) écrit : «Les académiciens ont prouvé par leur décision qu’ils considéraient Camus comme fini…».
À l’autre extrémité de l’éventail politique, Roger Stéphane, dans France-Observateur, affirme plus ou moins la même chose: «On se demande si Camus n’est pas sur son second versant et si, croyant distinguer un jeune écrivain, l’Académie suédoise n’a pas consacré une précoce sclérose». Roger Stéphane qui avait servi de cible au mépris de Camus, croit tenir maintenant sa revanche. Il voit Camus très au-dessous de Malraux, Camus étant pour lui une sorte de Sartre domestiqué….

Dans Paris-Presse, Pascal Pia déclare que son ancien camarade n’est plus un «homme révolté» mais un «saint laïque» au service d’un humanisme suranné. Et dans l’ancien journal de Camus, Combat, le critique Alain Bosquet note que «les petits pays admirent les parfaits petits penseurs polis». Albert Camus reçoit de la part des communistes dans l’Humanité  une virulente critique, ce qui n’est pas étonnant compte tenu des positions de l’écrivain contre l’invasion soviétique de la Hongrie un an auparavant : «C’est le "philosophe" du mythe de la liberté abstraite. Il est l’écrivain de l’illusion.» (4)

Jean-Paul Sartre y va de sa formule assassine en disant de ce Nobel attribué à Camus : «C’est bien fait !».0002970815 Dans son autobiographie, La force des choses, Simone de Beauvoir écrit : «Devant un vaste public, Camus déclara : «J’aime la Justice, mais je défendrai ma mère avant la justice », ce qui revenait à se ranger du côté des pieds-noirs. La supercherie, c’est qu’il feignait en même temps de se tenir au dessus de la mêlée, fournissant ainsi une caution à ceux qui souhaitent concilier cette guerre et ses méthodes avec l’humanisme bourgeois.» (5)

Saint John Perse écrit : «C’est assez pour le Poète, d’être la mauvaise conscience de son temps.». Henriette Levillain propose de lire cette clausule comme une attaque adressée à Albert Camus (6). En effet, Perse, comme il l’avouait à Claudel dans des lettres datant des années 1940-1950, méprisait l’existentialisme de Sartre et la pensée de Camus, qui amoindrissaient l’homme, et se détournaient de la recherche du divin dans le monde pour se contenter d’en constater l’absurdité. Camus, à qui on avait reproché son silence sur la guerre d’Algérie, serait la «mauvaise conscience de son temps».

La société parisienne de dénigrement, comme la baptise Camus, ignore et ne s’intéresse pas au fait que ce prix Nobel enthousiasme l’Europe tout entière et la jeunesse. «Elle s’adonne à la dérision aux dépens d’un écrivain décrété mineur tandis que tous les dissidents de l’Est explosent de joie. Dans leur presse clandestine, leurs "samizdat" célèbrent le livre qui fut et demeure celui de leur délivrance projetée : L’homme révolté», note Jean Daniel (7).


Lisons à ce propos Milan Kundera parler de Camus, de ce Prix Nobel attribué, des jalousies et des livre_Kun_rideaumesquineries parisiennes, du mépris à l’égard de ses origines sociales, des accusations de vulgarité portées contre cet homme du Sud, de l’Algérie :
«Après l’anathème politique jeté contre lui par Sartre, après le prix Nobel qui lui valut jalousie et haine, Albert Camus se sentait très mal parmi les intellectuels parisiens. On me raconte que ce qui, en plus, le desservait, c’étaient les marques de vulgarité qui s’attachaient à sa personne : les origines pauvres, la mère illettrée ; la condition de pied-noir sympathisant avec d’autres pieds-noirs, gens aux «façons si familières» (si «basses») ; le dilettantisme philosophique de ses essais ; et j’en passe. Lisant les articles dans lesquels ce lynchage a eu lieu, je m’arrête sur ces mots : «Camus est un paysan endimanché. (…) un homme du peuple qui, les gants à la main, le chapeau encore sur la tête, entre pour la première fois dans le salon. Les autres invités se détournent, ils savent à qui ils ont à faire». La métaphore est éloquente : non seulement, il ne savait pas ce qu’il fallait penser (il parlait mal du progrès et sympathisait avec les Français d’Algérie) mais, plus grave, il se comportait mal dans les salons (au sens propre ou figuré) ; il était vulgaire. Il n’y a pas en France de réprobation plus sévère. Réprobation quelquefois justifiée, mais qui frappe aussi le meilleur : Rabelais.» (8)

L’éditeur Gallimard organise le 17 octobre une réception en l’honneur de Camus. Albert Camus arrive de bonne heure pour s’entretenir avec les journalistes, vêtu d’un élégant complet bleu marine à fines rayures, avec une cravate bleu sombre et une chemise blanche. On luimichelgallimard demande comment il a appris la nouvelle. «Avec beaucoup de surprise et de bonne humeur», répond-il.

Son nom avait été mentionné à plusieurs reprises cette année-là, mais il n’avait pas pensé que cela pût vraiment se produire. «Je pensais, en effet, que le prix Nobel devait couronner une œuvre achevée ou du moins, plus avancée que la mienne.» Il déclare également : «Je tiens à dire que si j’avais pris part au vote, j’aurai choisi André Malraux pour qui j’ai beaucoup d’admiration et d’amitié, et qui fut un des maîtres de ma jeunesse.» Plus tard, André Malraux, quoi qu’il ait pensé de l’attribution du prix décerné à Albert Camus, n’hésitera pas à le féliciter et à bien marquer qu’il est sensible aux propos tenus par Camus à son sujet : «Cette réponse nous honore tous les deux.»
Interrogé sur ses projets, il mentionne qu’il se consacre à son nouveau roman, dont le titre provisoire est Le premier homme, qu’il appelle un «roman d’éducation»….. Toujours l’Algérie, le tourment de la guerre et de ses origines, la fidélité aux siens et à la justice pour les «indigènes»….. Son plus beau livre, publié après sa mort.

KatebBenAknounLe 17 octobre, arrive une lettre de Kateb Yacine….

Mon cher compatriote,
Exilés du même royaume nous voici comme deux frères ennemis, drapés dans l’orgueil de la possession renonçante, ayant superbement rejeté l’héritage pour n’avoir pas à le partager. Mais voici que ce bel héritage devient le lieu hanté où sont assassinées jusqu’aux ombres de la Famille ou de la Tribu, selon les deux tranchants de notre Verbe pourtant unique. On crie dans les ruines de Tipasa et du Nadhor. Irons-nous ensemble apaiser le spectre de la discorde, ou bien est-il trop tard ? Verrons-nous à Tipasa et au Nadhor les fossoyeurs de l’ONU déguisés en Juges, puis en Commissaires-priseurs ? Je n’attends pas de réponse précise et ne désire surtout pas que la publicité fasse de notre hypothétique co-existence des échos attendus dans les quotidiens. S’il devait un jour  se réunir en Conseil de Famille, ce serait certainement sans nous. Mais il est (peut-être) urgent de remettre en mouvement les ondes de la Communication, avec l’air de ne pas y toucher qui caractérise les orphelins devant la mère jamais tout à fait morte.
Fraternellement, Kateb Yacine

Le discours
Le 10 décembre 1957, au moment de la clôture des cérémonies des remises des Prix Nobel, Albert Camus prononce un discours magnifique et prophétique sur l’avenir du monde privé de «ses dieux» et «victime d’unediscours_full folle technologie», sur le poids qui pèse sur les générations :
«[…] Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. Héritière d’une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd’hui tout détruire mais ne savent plus convaincre, où l’intelligence s’est abaissée jusqu’à se faire la servante de la haine et de l’oppression, cette génération a dû, en elle-même et autour d’elle, restaurer, à partir de ses seules négations, un peu de ce qui fait la dignité de vivre ou de mourir. Devant un monde menacé de désintégration, où nos grands inquisiteurs risquent d’établir pour toujours les royaumes de la mort, elle sait qu’elle devrait, dans une sorte de course folle contre la montre, restaurer entre les nations une paix qui ne soit pas celle de la servitude, réconcilier à nouveau travail et culture, et refaire avec tous les hommes une arche d’alliance. […]» (9)

Albert Camus dit que chaque génération, jusqu’à la fin de l’humanité, devra se battre contre l’instauration des «royaumes de la mort». Mais la génération à venir aura surtout à se battre pour éviter que le «monde ne se défasse». Comme Sisyphe, il lui faudra poursuivre l’effort, malgré l’atroce constatation que nous marchons sur les talons de la destruction, de la guerre et des fanatismes aux innombrables visages sous toutes les latitudes, tous points cardinaux confondus. Comment devancer les fléaux qui menacent ?

«Le discours que prononce Camus à Stockholm est d’une si grande importance que l’on pourrait en recommander la lecture, aussitôt après le Premier homme, son roman posthume, à ceux qui veulent s’initier à son œuvre», note justement Jean Daniel. Camus souligne qu’avec lui, c’est un Français d’Algérie qui reçoit cette distinction mondiale. Il veut rappeler que parmi cette population, désignée sous le nom de «pieds-noir» que l’on dit alors constituée de colons aisés et sans scrupules, il peut se trouver des êtres issus des milieux les plus pauvres et capables de faire honneur à l’humanité. Le Camus algérien est entièrement dans ce rappel (ou ce défi) et on l’y retrouve mieux encore que dans la fameuse réplique, d’ailleurs toujours tronquée quand on la cite, qui fut celle de Camus en réponse à des étudiants algériens résidant à Stockholm : «Entre ma mère et la justice, je préférerai toujours ma mère».

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Catherine Sintès, mère de Camus


La polémique

Cette phrase célèbre, «la mère contre la justice», signifiant simplement qu’il redoute que sa mère, modeste femme européenne d’Alger, soit victime des violences qui secouent la ville, le poursuivra jusqu’à sa mort... Cette phrase, passée à une malheureuse postérité, («ma mère contre la justice») n’est pas tout à fait exacte, si l’on en croit les Oeuvres complètes d’Albert Camus (10).

Rendant compte de la conférence de presse donnée par Albert Camus le 13 décembre 1957, Le Monde publiait dans son édition du 14 décembre 1957 l’article suivant :
«Interrogé sur un ton véhément par un jeune Algérien présent, il [Albert Camus] aurait alors répondu : «Je 82n’ai jamais parlé à un Arabe ou à l’un de vos militants comme vous venez de me parler publiquement... Vous êtes pour la démocratie en Algérie, soyez donc démocrate tout de suite et laissez-moi parler... Laissez-moi finir mes phrases, car souvent les phrases ne prennent tout leur sens qu’avec leur fin...» Constamment interrompu par le même personnage, il aurait conclu : «Je me suis tu depuis un an et huit mois, ce qui ne signifie pas que j’aie cessé d’agir. J’ai été et suis toujours partisan d’une Algérie juste, où les deux populations doivent vivre en paix et dans l’égalité. J’ai dit et répété qu’il fallait faire justice au peuple algérien et lui accorder un régime pleinement démocratique, jusqu’à ce que lajeudi_29_novembre_1956_2_ haine de part et d’autre soit devenue telle qu’il n’appartenait plus à un intellectuel d’intervenir, ses déclarations risquant d’aggraver la terreur. Il m’a semblé que mieux vaut attendre jusqu’au moment propice d’unir au lieu de diviser. Je puis vous assurer cependant que vous avez des camarades en vie aujourd’hui grâce à des actions que vous ne connaissez pas. C’est avec une certaine répugnance que je donne ainsi mes raisons en public. J’ai toujours condamné la terreur. Je dois condamner aussi un terrorisme qui s’exerce aveuglément, dans les rues d’Alger par exemple, et qui un jour peut frapper ma mère ou ma famille. Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice.»

Amplifiée par la presse française de gauche, la polémique est énorme. La célèbre réplique de Camus à2020086921 l’étudiant algérien à Stockholm éclipse la réception du prix dans la capitale suédoise. Pendant «La Bataille d’Alger», et durant toute l’année 1957, Albert Camus a suivi avec attention, intensément, différentes «affaires algériennes». À plusieurs reprises, Yves Dechezelles et sa jeune assistante Gisèle Halimi lui demandent son appui pour sauver différents algériens musulmans condamnés à mort. Et, comme le souligne Herbert Lottmann dans sa biographie de Camus, «défendre un musulman accusé de terrorisme constituait un acte de bravoure»… (11)

Mais contrairement à d’autres intellectuels «libéraux» originaires d’Algérie, Albert Camus n’a pas pris de position tranchée sur l’indépendance de l’Algérie. Profondément attaché à sa terre natale, il tente d’adopter un discours plus nuancé, dénonçant les violences commises aussi bien par le FLN (12) que par les forces françaises. De fait, lui qui, dès les années 1930, dénonçait la misère des «indigènes» et l’oppression coloniale et qui était favorable à une décolonisation des esprits, vit comme un véritable déchirement la perspective d’un «divorce» entre l’Algérie et la France, semblant anticiper l’inévitable exode de la population européenne («pied-noire») au sein de laquelle il a grandi. Cela lui est amèrement reproché par les anticolonialistes «radicaux» français aussi bien qu’Algériens, tandis que les ultras le considéraient comme un «traître» favorable à l’indépendance. Ces derniers scandaient «Camus au poteau» lorsque l’écrivain voulut organiser une «trêve civile» en janvier 1956, avec l’accord du FLN et des libéraux d’Alger… (13). Profondément ébranlé par le drame algérien, l’écrivain pressent très vite la profondeur du déchirement entre les deux principales communautés. Il plaide pour le rapprochement, tente d’éviter l’irréparable, dit combien les «deux peuples se ressemblent «dans la pauvreté et une commune fierté» (14).

El_Moujahid

En avril 1957, un lecteur du périodique anglais Encounter écrit à Camus pour lui demander d’expliquer ses positions sur «la campagne française en Algérie». La réponse paraît dans Encounter du mois de juin est un «résumé» des positions adoptées par Camus pendant la guerre d’Algérie. Il s’y déclare favorable à la proclamation par la France de la fin du statut colonial de l’Algérie (avec les deux collèges de vote réduisant les Algériens musulmans à la catégorie de sous-citoyens), à la constitution d’une nation autonome fédérée à la France sur le modèle suisse des cantons (c’était en quelque sorte la position exprimée par Ferhat Abbas après la Seconde Guerre mondiale), qui garantirait les droits des deux populations vivant dans ce pays. Mais il ne peut, explique-t-il aller plus loin. Il ne veut pas s’engager dans un soutien aux maquis algériens, approuver le terrorisme, la violence qui frappe aveuglement les civils, plus d’ailleurs les Musulmans que les Européens. Il ne peut protester contre la répression française déployée pendant la «Bataille d’Alger» et garder le silence  sur la violence exercée par les nationalistes algériens…

Jean Daniel revient sur ce silence et la position de Camus :
«Dans cette affaire algérienne, Camus, si proche en cela d’une Germaine Tillion, toujours "solidaire et solitaire", refuse qu’un écrivain puisse s’exclure de l’histoire de son temps. Mais il en arrive à penser, dès l’apparition du terrorisme et de la répression, qu’une certaine forme d’engagement s’impose. Toute dénonciation de la barbarie de l’un encourage celle de l’autre. Or il refusera toujours que la revanche puisse tenir lieu de justice, que le mal réponde au mal, que la violence soit encore accoucheuse d’histoire et que même Auschwitz puisse jamais justifier Hiroshima» (15).

 

vue_sur_le_village_de_lourmarin
Lourmarin (Vaucluse)

 

Camus, de Lourmarin à Oran. La fin d’un exil ?

Le 12 juin 2005, à Oran s’est tenu le premier colloque en Algérie autour de la grande figure d’Albert Camus. En juin 2007, deux universitaires algériennes, Afifa Berhi et Naget Khadda, écrivent dans l’Introduction d’un recueil d’essais publiés autour de la figure de Camus, et publiés en Algérie :
«Éminemment universelles, la pensée et l’écriture d’Albert Camus sont en même temps passionnément arrimés à la terre d’Algérie. Pourtant l’intelligentsia algérienne, parmi lesquels il comptait bien des amis et de nombreux admirateurs, l’a boudé au lendemain de l’indépendance de l’Algérie. Indexé sur le nœud gordien de la question nationale à un moment où celle-ci se négociait par les armes, le différend, sans avoir été réellement apuré à ce jour, a cependant enregistré au cours de ces dernières années, un recul de la polémique, révélateur d’un apaisement des passions.»

L’écrivain «pied-noir» fait lentement retour dans l’espace public algérien. Celui qui avait été cloué au pilori pour avoir, en pleine guerre d’Algérie, déclaré «préférer sa mère à la justice» parle de plus en plus aux jeunes générations, des deux côtés de la Méditerranée. En mai 2006 le président de la République algérienne, Abdelaziz Bouteflika, déclare que la préférence ainsi donnée par Camus à la mère traduit un sentiment vraiment et profondément algérien…

yasmina_khadraDe nouveaux écrivains se revendiquent ouvertement de son héritage. Ainsi, prisonnier de labyrinthes absurdes, Yasmina Khadra, comme l’auteur de l’Étranger cherche l’explication des destins imperceptibles aux autres. Dans son dernier ouvrage, L’attentat, comme Meursault, l’innocent Amine au bout de son chemin est condamné à mort. «Privé, comme l’écrivait Camus des souvenirs d’une patrie perdue ou de l’espoir d’une terre promise.». Et dans un autre de ses livres, l’écrivain, Khadra, dans les pas de Camus, osait écrire : «Pourquoi faut-il, au crépuscule d’une jeunesse, emprunter à celui du jour ses incendies, puis son deuil ; pourquoi la nostalgie doit-elle avoir un arrière-goût de cendre ?».

 

Résonances

Une grande partie de l’œuvre d’Albert Camus est habitée, hantée, irriguée par l’histoire cruelle et compliquée qui emportera l’Algérie française. Ses écrits rendent un son familier dans le paysage politique et intellectuel d’aujourd’hui. À la fois terriblement «pied-noir», et terriblement algérien, il adopte cette position de proximité et de distance, de familiarité et d’étrangeté avec la terre d’Algérie qui dit une condition de l’homme moderne : une sorte d’exil chez soi, au plus proche. La sensation de se vivre avec des racines, et de n’être ni d’ici, ni de là (17). Lorsqu’on le voit être un étranger chez lui, avec cette présence énigmatique, fantomatique, lointaine des «indigènes» simple figurants fondus dans un décor colonial, cela signale aussi une étrangeté au pays, et à soi-même. Camus est, pour moi, d’abord notre contemporain pour ce rapport très particulier d’étrangeté au monde.

Il est aussi celui qui cherche, qui fouille dans les plis de sa mémoire les commencements d’une tragédie, chrocamusd’une guerre, et décide de n’être pas prisonnier des deux communautés qui se déchirent. Il sera donc un «traître» pour les deux camps. À l’intersection de deux points de vue, ceux qui veulent se réapproprier une terre qui est la leur à l’origine, les Algériens musulmans, et ceux qui considèrent que cette terre leur appartient désormais, les Français d’Algérie, Albert Camus annonce ce que peut être la position d’un intellectuel : dans l’implicationpeste passionnée, ne pas renoncer à la probité, dans l’engagement sincère, se montrer lucide. Ses Chroniques algériennes (1939-1958) révèlent ce regard critique et subtil.

Albert Camus est, enfin, celui qui refuse l’esprit de système et introduit dans l’acte politique le sentiment d’humanité. À ceux qui croient que seule la violence est la grande accoucheuse de l’histoire, il dit que le crime d’hier ne peut autoriser, justifier le crime d’aujourd’hui. Dans son appel pour une Trêve civile, préparée secrètement avec le dirigeant algérien du FLN Abane Ramdane, il écrit en janvier 1956 : «Quelles que soient les origines anciennes et profondes de la tragédie algérienne, un fait demeure : aucune cause ne justifie la mort de l’innocent».  Il pense que la terreur contre des civils n’est pas une arme politique ordinaire, mais détruit à terme le champ politique réel. Dans Les Justes, il fait dire à l’un de ses personnages : «J’ai accepté de tuer pour renverser le despotisme. Mais derrière ce que tu dis, je vois s’annoncer un despotisme, qui, s’il s’installe jamais, fera de moi un assassin alors que j’essaie d’être un justicier».

product_957309Les «années algériennes» de Camus résonnent toujours dans les conflits du présent, de la Tchétchènie au Moyen-Orient. Le tout-militaire affaiblit le politique et installe progressivement dans les sociétés une dangereuse culture de la force, de la guerre. À contre courant de la haine qui se déverse pendant la guerre d’Algérie, Camus a tenté de comprendre pourquoi ce couple, la France et l’Algérie, apparemment soudé, se brise à grands fracas. Y a-t-il jamais eu de l’intimité entre eux ? Il en doute, l’exprime, et se réfugie dans sa «communauté» celle des Européens d’Algérie, comme plusieurs témoignages le laissent penser.

À l’affût des âmes blessées, prenant comme toujours le parti de celui qui crée le trouble, Camus ne cesse d’intriguer. Rapport à la violence, refus du terrorisme, peur de perdre les siens et sa terre, nécessité d’égalité et cécité devant le nationalisme des Algériens : son œuvre apparaît comme un palais dans la brume. Plus le lecteur s’en approche, plus l’édifice se complique sans pour autant perdre sa splendeur.

BStora

Benjamin Stora
dernier ouvrage publié : Les trois exils, juifs d’Algérie, Paris, Ed Stock, 2006.

Stora

 

notes

1) Lettre d’Albert Camus à Francine Camus, 17 septembre 1952.
2) L’Express, 12 juillet 1957. À ce moment, dans un article, «Réflexions sur la guillotine», Albert Camus avait soulevé le problème moral de la peine de mort.

3) Herbert R. Lottman, Albert Camus, Paris, Ed du Seuil, 1978, page 609.4) Alors que Camus se trouvait à Stockholm pour recevoir le prix, la revue de l’Union des écrivains tchèques, Literarni Novini, proclama qu’en décernant le prix à Camus l’Académie suédoise avait rejoint le camp de la guerre froide.
5) Simone de Beauvoir, La force des choses, Paris, Ed Gallimard, 1964, page 406). Saint-John Perse (1945-1960), Une poétique pour l'âge nucléaire, textes réunis par Mireille Sacotte et Henriette Levillain, Paris, Klincksieck, 2005.
7) Jean Daniel, Albert Camus, in Célébrations nationales 2007, Ed. Ministère de la Culture, page 124.
8) Milan Kundera, Le rideau, Paris, Ed Gallimard, 2005, pages 68 et 69.
9)  Albert Camus, Discours de Suède, collection folio, éd. Gallimard, 1958 (1997 avec une postface de Carl Gustav Bjurström).
10) Tome 2 (Essais) des Oeuvres complètes d’Albert Camus, dans la bibliothèque de la Pléiade (4e trimestre 1965, pages 1881-1883).
11) Herbert R. Lottman, op. cit., p. 607. Les témoignages de Gisèle Halimi et Yves Dechezelles que j’ai recueillis vont dans le même sens.
12) Albert Camus condamne ainsi le massacre à Paris des responsables du syndicat impulsé par les messalistes du MNA, commis en septembre et octobre 1957, le moment ou il reçoit le Nobel, ce qui l’isole davantage encore parmi l’intelligentsia engagée aux côtés du FLN.
13)  Le 29 janvier 1956, Albert Camus, en contact avec l’avocat des nationalistes algériens, Yves Dechezelles, organise à Alger une conférence pour promouvoir une «Trêve civile» où les belligérants s’engageraient à respecter les populations civiles. La réunion, à laquelle participe Ferhat Abbas avec l’accord du dirigeant du FLN, Abane Ramdane, ne donna rien. Sur ce sujet, voir le livre de Benjamin Stora et Zakia Daoud, Ferhat Abbas, Paris, Ed Denoël, 1995, Ed Casbah, Alger, 1999. 

14) Dans L’Express du 14 mai 1955. Il s’agit du premier article de presse écrit par Camus depuis de longues années. Cet article marque sa rentrée dans le journalisme actif qu’il avait abandonné après avoir quitté la direction du premier Combat. C’est de Grèce, où il voyage en 1955, qu’Albert Camus inaugure sa collaboration à L’Express.
15) Jean Daniel, Célébrations nationales, art. cit., 2007. De Jean Daniel, voir également, Avec Camus, comment résister à l’air du temps, Paris, Ed Gallimard, 2006, 160 pages.

16) Albert Camus et les Lettres algériennes : l’espace de l’inter discours, en deux tomes, 493 pages, sous la direction de Afifa Berhri, Ed. Université d’Alger, juin 2007.
17) Sur ce point, voir le beau livre de Jean Jacques Gonzales, Camus, l’Exil absolu, Paris, Ed. Le Marteau sans maitre, 2007, 196 p.

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29 septembre 2007

Il faut dépasser les mémoires pour arriver à l'histoire (Patrick Rotman)

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Il faut dépasser les mémoires

pour arriver à l'histoire

Patrick ROTMAN
co-scénariste du film L'Ennemi intime

 

Le Figaro Magazine, samedi 29 septembre 2007

Rotman_interviewLe Figaro Magazine - De quelle manière avez-vous utilisé votre travail documentaire pour écrire le scénario de L'Ennemi intime ?
Patrick Rotman - Il n'était pas question de faire un panorama de la guerre d'Algérie. Il me semblait plus intéressant de la montrer à travers la vie d'un microcosme, d'une petite section, en puisant dans mon vivier de témoignages, d'histoires et d'anecdotes. Le lieutenant Terrien, que joue Benoît Magimel, je l'ai rencontré. C'est un homme brisé, broyé par cette guerre. Quarante ans après, il pleure encore en racontant son histoire. J'avais son visage en tête quand j'écrivais. Ce qui m'a plu, c'est d'aller voir ce qui se cachait derrière les apparences, de montrer le côté profondément humain de ces hommes, leurs souffrances, le sentiment de défaite qu'ils intériorisaient.

Avez-vous songé à une seconde version du film, qui aurait montré cette histoire du point de vue algérien, comme Clint Eatswood avec a bataille d'Iwo Jima ?
Patrick Rotman - Il m'a fallu beaucoup de temps pour entrer dans la complexité de cette guerre, pour me glisser dans la tête d'un soldat français en Algérie et traduire tout cela en mots, en états d'âme, en18783369 situations. Je suis incapable de me mettre à la place d'un jeune Kabyle. À chaque peuple d'écrire son histoire.

Vous avez consacré trente ans de votre vie à la guerre d'Algérie. Pourquoi ce sujet vous passionne-t-il autant ?

Patrick Rotman - Je n'ai aucun lien personnel ou familial particulier avec l'Algérie. Mais cet événement m'a toujours fasciné. En lisant les livres d'Yves Courrière, j'ai senti que ce drame constituait une coupure essentielle dans notre Histoire. Il coïncide avec un changement de République et le retour de De Gaulle aux affaires. Et puis, comme toutes les périodes charnières, c'est un moment d'observation priviliégié pour un scénariste. Les passions sont à vif, les tempéraments se révèlent.

Votre regard sur cette période a-t-il changé ?
Patrick Rotman
 - Il y a trente ans, mon regard était influencé par le contexte idéologique assez simpliste de l'époque. Pour moi, le dernier joyau de l'Empire aspirait naturellement à son indépendance et les Algériens menaient une guerre de libération anticoloniale. Mais cette dimension, juste, est réductrice. en recueillant des centaines de témoignages et en délaissant les schémas idéologiques, je me suis davantage intéressé au rapport des hommes à l'Histoire qui les embarque, les domine. Cette guerre coloniale était aussi une guerre civile, et même une double guerre civile. Ce télescopage de conflits interdit de porter un regard univoque sur l'événement. Il y a tant de mémoires juxtaposées dans cette guerre : les harkis, les pieds-noirs, les Algériens, les combattants du FLN... chacun a sa perception, sa vision. Si on veut essayer de comprendre quelque chose, il faut assimiler, dépasser toutes ces mémoires pour arriver à l'Histoire. Le cinéma le permet.

18779787

 

Je ne comprends pas ce que signifie

la repentance

La manière dont cette guerre est présentée aujourd'hui en Algérie est-elle fidèle à la réalité ?
Patrick Rotman - Les événements historiques sont toujours instrumentalisés ou mythifiés. L'État algérien indépendant s'est construit sur l'idée d'un peuple tout entier dressé derrière le FLN libérateur. Cette mythologie-là a fonctionné et fonctionne toujours en Algérie. La vérité en est évidemment très éloignée. Les atrocités commises par le FLN sont un sujet tabou en Algérie.

Que pensez-vous de ceux qui, en France, utilisent cette tragédie pour réclamer un acte de repentance nationale ?
Patrick Rotman - La repentance relève du domaine religieux et je ne suis pas religieux. C'est commode de s'ériger, cinquante ans après, en grand tribunal de l'Histoire. En revanche, il faut comprendre le comportement des hommes, rechercher la vérité dans toutes ses dimensions. Le climat me semble plus propice aujourd'hui, nous sommes entrés dans le temps deRotman_interview l'Histoire et on peut raconter cette guerre sans déchaîner les passions. Bien sûr que la torture a existé en Algérie, et il faut le dire, tout en rappelant que les Renseignements étaient le nerf de cette guerre. Mais la repentance, je ne comprends pas bien ce que cela signifie.

propos recueillis par Sébastien Le Fol
Le Figaro Magazine, 29 septembre 2007

 

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25 septembre 2007

Cérémonie d’hommage national aux Harkis

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Cérémonie d'hommage national

aux harkis

discours de François FILLON, Premier ministre,

Invalides, le 25 septembre 2007

 

 

Mesdames et messieurs,

Avec force, avec solennité et émotion, je veux réaffirmer aujourd’hui, au nom du Gouvernement français, la reconnaissance de la Nation envers les Harkis.

Musulmans d’Algérie, ils ont entendu l’appel de la République française, et ils ont pris les armes, aux côtés ou au sein des troupes régulières.

Par fidélité, par loyauté, avec abnégation, ils ont accepté de mener sur leur sol un combat cruel et incertain.

Dans cette guerre masquée, ils se sont déclarés soldats. Ils sont devenus harkis, tirailleurs, spahis, moghaznis [moraznis], assès.

Ils ont rejoint les Groupes mobiles de sécurité, les groupes d’autodéfense, les sections administratives spécialisées.

L’histoire les a dressés contre d’autres hommes qui, la veille, étaient leurs frères.

Dans ce conflit, la République a considéré leur vaillance, leur courage, le dévouement que le sens de l’honneur leur inspirait.

Mais elle a fermé les yeux sur leur jeunesse, leur vulnérabilité, la précarité extrême de leur situation personnelle et familiale, le fardeau d’incertitude que le règlement de la guerre déposait sur leurs épaules et sur celles de leurs descendants.

Trop longtemps, la France a baissé les bras devant l’obligation contractée à l’égard des Harkis. Parce que le sacrifice de leurs biens, de leurs terres, de leurs droits et de leur sécurité, parfois de leurs vies, dépassait toute mesure, elle n’a pas su le reconnaître.

De son impuissance, elle a fait un abandon. Au moment où les Harkis s’en remettaient à elle, elle les a conduits par les chemins de l’oubli vers les camps de transit de Lascours, de Rivesaltes, de Saint-Maurice-l’Ardoise, de La Rye, de Bias, de Bourg-Lastic, de Sainte-Livrade. Elle les a écartés dans une soixantaine de "hameaux forestiers", cantonnés dans les 42 "cités urbaines". Elle a prolongé leur angoisse, leur détresse, leur déchirement.

Depuis 2001, la Journée nationale des Harkis interdit cette démission de la mémoire. Elle célèbre leur fidélité et leur bravoure. Elle aide à honorer cette communauté large, à faire connaître et comprendre la dette que la France lui conserve.

Pour que la France rende aux Harkis ce premier et légitime hommage, pour que la loi du 11 juin 1994 soit votée à l’unanimité au Parlement, il a fallu plus de 30 ans.

Aujourd’hui, nous devons poursuivre sur cette voie. Nous avons besoin d’une réconciliation sincère des mémoires, d’un apaisement véritable des esprits et des coeurs. Une fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie sera créée à cet effet en 2008. Ces questions lui seront confiées. Des historiens indépendants effectueront ce travail.

À cet instant, dans tous les départements français, les Harkis reçoivent un juste hommage, et celui-ci doit rejaillir sur leurs enfants et petits-enfants. Ici, aux Invalides, où résonnent les cris de gloire et de douleur de l’histoire militaire française, c’est l’hommage du Gouvernement que je leur rends devant vous.

Vive la République, vive la France !

source

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harkis

 

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tentes dans un camp de harkis en métropole après 1962 (source)

 

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Dreux (Eure-et-Loir), plaque d'hommage aux harkis (source)



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23 septembre 2007

Le massacre des tirailleurs sénégalais en mai-juin 1940 (Raffael Scheck)

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Le massacre des tirailleurs sénégalais

en mai-juin 1940

un livre de Raffael Scheck (Tallandier)



présentation du livre par l'éditeur

9782847343762FSMai-juin 1940 : s'engouffrant dans la percée réalisée par ses divisions blindées, l'armée allemande déferle sur la France.
Ce Blitzkrieg fulgurant a fait l'objet de nombreux ouvrages d'histoire militaire, qui ont souligné dans l'ensemble le comportement korrekt des troupes allemandes à l'égard des populations civiles et des prisonniers de guerre. C'est oublier pourtant le sort des dizaines de milliers de soldats venus d'Afrique noire pour défendre la métropole contre les armées du Reich. Ils furent des milliers - 1 500 au moins, 3 000 sans doute - à être victimes de massacres, qu'ils aient été fusillés en groupe ou abattus isolément.
Et cela sans compter le traitement discriminatoire et souvent brutal qui leur fut infligé dès leur capture. Dans ce livre sans complaisance, l'historien allemand Raffael Scheck retrace le déroulement de ces crimes de guerre et s'interroge sur leur généalogie, faisant la part des préjugés raciaux contre les Noirs, de la peur des francs-tireurs, de la propagande haineuse des nazis et de la dynamique des combats.
Ces massacres, bien qu'ils soient connus dès le moment de leur perpétration, n'ont fait l'objet d'aucun débat public et d'aucun procès après la guerre. Leur commémoration et la recherche historique à leur sujet sont toujours restées discrètes. Ils donnent pourtant à la campagne de 1940 une dimension inédite : celle d'une guerre raciale, maillon essentiel entre les crimes de la Wehrmacht pendant l'invasion de la Pologne et les atrocités systématiques du front de l'Est.

 

biographie de Raffael Scheck

scheckRAFFAEL SCHECK est professeur d'histoire moderne de l'Europe à Colby College (Maine). Ses recherches ont porté notamment sur la Kriegsmarine et la droite allemande et sur le rôle politique des femmes sous la République de Weimar. Il s'intéresse actuellement au sort des prisonniers de guerre originaires des colonies dans les camps allemands pendant la Seconde Guerre mondiale.

 

 



- Une saison noire. Les massacres de tirailleurs sénégalais, mai-juin 1940, Raffael Scheck, Tallandier, 2007.

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Dédiée aux 18 Tirailleurs sénégalais massacrés
par les SS de la division Totenkopf, cette stèle fut décidée
par un vote du conseil municipal de Lentilly du 5 avril 1942.
Elle fut d’abord érigée sur le lieu principal des exécutions,
au "Valluy". En 2002, elle a été déplacée près de l’église du village
pour être plus visible
(source)

 

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Champagne-au-Mont-d’Or (Rhône), à l’angle de la N 6 et de la rue Louis-Tourte

(source)

 

 

- sur le capitaine Ntchorere, prisonnier fusillé le 7 juin 1940 à Airaines dans la SommeCHARLE43

 

 

- le "tata sénégalais" (cimetière) à Chasselay dans le Rhône

- sur les massacres de Chasselay

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tata

 

- le "Tata" sénégalais de Chasselay dans le Rhône, un film de Patrice Robin et Evelyne Berruezo

 

 

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18 septembre 2007

Algérie (1954-1962) : Une guerre sans «non» ? (Tramor Quemeneur)

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Henri Maillot mort le 5 juin 1956, Jean Müller mort le 27 octobre 1956

 

soutenance de thèse

Une guerre sans «non» ?

Insoumissions, refus d’obéissance et

désertions de soldats français pendant

la guerre d’Algérie (1954-1962)

Tramor QUEMENEUR

 

16994655

 

 

 

 

 

 







Thèse préparée sous la direction de
Benjamin STORA, Professeur d’Histoire contemporaine
à l’INALCO.

La soutenance se déroulera le
lundi 15 octobre à 9 heures,
à l’Université de Paris 8 – Saint-Denis,

Salle des thèses- Bâtiment A - Salle 010

Le jury sera composé de :
- Jean-Charles JAUFFRET
Professeur d’Histoire contemporaine à l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix-en-Provence et à l’Université Paul-Valéry de Montpellier
- Daniel LEFEUVRE
Professeur d’Histoire contemporaine à l’Université Paris-VIII
- Abdelmajid MERDACI
Professeur de sociologie à l’Université Mentouri de Constantine
- Benjamin STORA
Professeur d’Histoire contemporaine à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales
- Danielle TARTAKOWSKY
Professeur d’Histoire contemporaine à l’Université Paris-VIII
- Michel WIEVIORKA
Directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales



Résumé succinct

Trois périodes de refus se dégagent de la quantification des désertions, des insoumissions et des refus d’obéissance de soldats français pendant la guerre d’Algérie. En 1955 et en 1956, les «manifestations de rappelés» posent la question de la désobéissance, qui se cantonne cependant à un niveau individuel. De 1957 à 1959, les réfractaires contestent dans le cadre militaire, s’organisent en exil pour les insoumis et les déserteurs, ou en prison pour les objecteurs de conscience et les «soldats du refus» communistes. Le débat public explose en 1960 avec la découverte de Jeune Résistance, composée de réfractaires. Des intellectuels les soutiennent en rédigeant la Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie dite «Manifeste des 121». Les réfractaires deviennent de plus en plus nombreux, contre la guerre d’Algérie ou en faveur de «l’Algérie française» avec l’Organisation armée secrète. Enfin, l’Action civique non-violente se mobilise en faveur des objecteurs de conscience.

Bellecour19611
place Bellecour à Lyon, source


Présentation détaillée

Qui sont les réfractaires français de la guerre d’Algérie (1954-1962) ? Le terme générique de réfractaire regroupe trois catégories juridiques d’illégalités – les désertions, les insoumissions et les refus d’obéissance – définies dans le Code de justice militaire. Les Français de métropole et d’Algérie, regroupés dans les archives militaires dans la catégorie «Français de souche européenne» (FSE), servent de population de référence.

Le nombre de réfractaires a fait l’objet de controverses dès la guerre d’Algérie, c’est pourquoi chacune des formes de désobéissance est quantifiée d’après les statistiques militaires, tant en nombres absolus que relatifs. Ainsi, les insoumissions et les refus d’obéissance sont analysés par rapport aux recrutements de l’armée française, et les désertions par rapport aux effectifs mensuels de l’armée française en Algérie. Cette étude permet d’appréhender l’évolution de chacune des formes de désobéissance au cours de la guerre. Les limites, tant en terme de définitions que de statistiques, sont ensuite présentées. Une géographie de chaque forme de refus est également dressée, pour la France métropolitaine et pour l’Algérie. Enfin, une brève étude comparative par rapport aux réfractaires algériens de l’armée française et aux légionnaires déserteurs est effectuée. Cette première partie permet de dégager l’existence de trois périodes de refus de participation à la guerre d’Algérie.

La première période concerne «le temps des rappelés». Deux phases marquent une contestation collective importante de la part des soldats. La première se déroule à la fin de l’année 1955. Différentes manifestations de soldats scandent cette période ; la question de la désobéissance surgit au même moment, dans les débats intellectuels et dans les publications militantes. Cette première phase de contestation de la guerre d’Algérie contribue à la chute du gouvernement à la fin de l’année 1955 et à la victoire du Front républicain en janvier 1956. Mais, au printemps 1956, de nouvelles mesures de maintien et de rappel sous les drapeaux entraînent une deuxième phase de contestation des rappelés encore plus importante que celle de 1955. L’évolution des manifestations de 1956 permet d’étudier dans quelle mesure il est question de la désobéissance au cours de ces manifestations et de remarquer que les violences augmentent au fur et à mesure que la contestation se prolonge et que les rappelés se sentent de plus en plus isolés. La fin de leur contestation collective au cours de l’été 1956 conduit à ce que les désobéissances se cantonnent à un niveau individuel. Les désobéissances qui sont alors étudiées constituent des « parcours précurseurs ». Trois d’entre eux (Henri Maillot, Noël Favrelière et Alban Liechti) ont été érigés au rang de figures emblématiques. En regard, des désobéissances beaucoup moins connues sinon anonymes, dites «ordinaires», peuvent aussi révéler des caractères originaux.

La deuxième période qui s’ouvre de 1957 à 1959 peut être qualifiée de «temps du témoignage et de l’organisation». Le «témoignage» passe d’abord par la réalisation de «micro-désobéissances», commises par des soldats qui restent dans le cadre militaire, sans quitter la légalité. Ces «micro-désobéissances» se caractérisent essentiellement par une volonté des soldats qui les commettent de rendre compte à des tiers de leur désaccord par rapport à la guerre d’Algérie. Parallèlement à ces «micro-désobéissances», des soldats désobéissent. Les insoumis et les déserteurs, au départ isolés, commencent à se regrouper. A cet égard, certains font figure de «structurateurs» ou d’«organisateurs». Ainsi, des réfractaires créent Jeune Résistance à la fin de l’année 1958 et commencent à tisser un réseau de soutiens à l’étranger. De leur côté, certains objecteurs témoignent de leur refus de participer à la guerre d’Algérie : ils font ainsi figure de «diffuseurs». Louis Lecoin tente aussi de structurer les objecteurs de conscience en menant une campagne en faveur d’un statut. Au même moment, des soldats communistes refusent de participer à la guerre en Algérie, ce qui amène leur parti à développer une campagne qui démarre en 1957, s’intensifie en 1958, avant de prendre fin en 1959.

La troisième période est marquée par «le temps du débat». La diffusion de l’information au cours de la période précédente et la structuration de réseaux entraînent un débat très important au début de l’année 1960. Des insoumis et des déserteurs sont en effet arrêtés et d’autres relatent leurs parcours dans des livres, ce qui amène la société française à s’interroger sur la désobéissance dans la guerre d’Algérie. Certains intellectuels français approuvent cette désobéissance, ce qui conduit à la publication du «Manifeste des 121» en septembre 1960, au moment où s’ouvre le procès du «réseau Jeanson», jugeant des Français soutenant le FLN. Ce débat important amène des jeunes de plus en plus nombreux à désobéir sans pour autant se regrouper. Au contraire, Jeune Résistance se délite, s’enfonçant dans une action de type révolutionnaire. En cela, elle s’oppose à l’Organisation armée secrète caractérisée par des désertions et des actions violentes. Parallèlement, des non-violents se regroupent dans l’Action civique non-violente, se mobilisant contre la torture, contre les camps de regroupement et enfin en faveur de réfractaires qui choisissent l’emprisonnement. Leurs actions non-violentes suscitent aussi un débat public, qui se poursuit en 1962 et qui aboutit à l’adoption du statut des objecteurs de conscience en décembre 1963.

Tramor Quemeneur

 

9782707317247

 

 

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16 septembre 2007

La «guerre d’Algérie», histoire et historiographie (Omar Carlier)

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La «guerre d’Algérie», histoire

et historiographie

séminaire Omar CARLIER (Paris VII)

 

Master 2.  Spécialité : Sociétés du Sud

M2   43 HI 5263 - La «guerre d’Algérie», histoire et historiographie
- semestre 1, septembre-décembre 2007.Tous les lundis de 9 h à 11h.
université Paris VII, Site de Tolbiac.
Métro Olympiades (ligne 14) Immeuble Montréal, R de C, salle 6
Omar Carlier

24 septembre   :  Approches, sources, méthodes, enjeux,   Omar Carlier  (Paris VII) 
Temps court et  événement : Le premier novembre 1954 à Alger (OC)

1er octobre :   Histoire et historiographie : nouvelles tendances historiographiques, Raphaëlle Branche (Paris I) 
   
8 octobre :  Nouvelles sources, nouveaux objets - 1. Images et iconographie : la photographie,  Marie Chominot, (Paris VIII). Le film, Mathilde Marx (Paris VII)    

15 octobre :  Les archives par les archivistes 
Les Archives Nationales : Christelle Noulet. Le ministère de la Justice : Louis Faivre d’Arcier

22 octobre :  Histoire et sciences sociales : la démographie historique et la guerre d’indépendance algérienne, Kamel Kateb  (INED) 

29 octobre : Nouvelles sources, nouveaux objets - 2. La littérature.
a Les sources : La BNF, France Frémeaux (BN) b -  La littérature : Zineb Benali (Paris VIII) (sous réserve), Mourad Yellès (Paris VIII) (sous réserve).

5 novembre :  La guerre et les minorités - 1. Minorités ethno-communautaires : les Juifs d’Algérie, Paul Siksik (Langues O)

12 novembre   : 2. Minorités «politiques» : les «Libéraux», Fanny Colonna (CNRS).
NB En contrepoint, les communistes (OC).

19 novembre :  Les «groupes sociaux» dans la guerre : le cas des instituteurs, Aïssa Kadri (Tours) 


26 novembre :  Violences de guerre : camps de regroupement, camps d’internement  (Sylvie Thénault (Paris I CNRS) 

3 décembre :  Souffrances de guerre : a) histoire et traumas, Stéphane Audoin-Rouzeau (EHESS) (sous-réserve), b) les femmes algériennes dans la guerre, Souriya Guiddir (Paris I)

10 décembre : Terrains. Acteurs. Echelles
1.  Territoires, régions et Wilayas. Les Aurès et la Wilaya I, Warda Tengour (CRASC)
2 . Les bases arrières de l’ALN : Maroc, Tunisie, Libye, Daho Djerbal (Alger) (sous réserve)

 

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1956

 

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12 septembre 2007

Critique du livre L'Illusion coloniale (Jean-Pierre Renaud)

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L'illusion coloniale (Tallandier, 2005)

un livre d'Éric Deroo avec la collaboration de Sandrine Lemaire

Jean-Pierre RENAUD

 

1156Un très beau livre d’images qui s’inscrit dans la suite des beaux livres d’images qui semblent à la mode et ont l’ambition de faire revivre le passé colonial de la France.
Un titre très ambitieux : deux cents pages pour couvrir deux siècles et demi d’histoire coloniale (1750-1962).
Un titre ambigu à l’exemple du beau livre d’images intitulé Images d’Empire (La Documentation française-La Martinière- 2003) dont l’immense majorité des clichés ne datait pas de l’Empire, mais de Vichy ou de la Quatrième République, et donc de l’Union française.
Ici, dans le déroulement chronologique des images au cours de la période 1750-1962, le commentaire n’explique pas le titre du livre, pourquoi l’Illusion coloniale ? La tâche était d’ailleurs impossible.

Le commentaire des images s’inscrit dans la ligne de pensée et d’écriture du collectif de chercheurs, dont fait partie l’historienne Sandrine Lemaire, collectif qui a produit une série d’ouvrages sur la Culture coloniale, la Culture Impériale, et la Fracture Coloniale.

Ne nous attardons pas sur au moins deux des erreurs historiques du commentaire, la conquête de Madagascar par Gallieni en 1895 (p. 43) et le fait que l’École coloniale ait donné naissance à l’ENA (p. 83).

Quant au commentaire lui-même, s’il est vrai qu’il est difficile de justifier, chaque fois par des chiffres précis, beaucoup d’affirmations et de jugements sur les périodes successives examinées et illustrées, l’absence complète de mesure et d’évaluation donne une grande fragilité historique à la plupart des affirmations. Lesquelles n’ont pas été démontrées dans les livres du collectif.

Relevons quelques unes d’entre elles pour éclairer le lecteur :

La fabrique de l’opinion (p. 70) avec la propagande coloniale, une multitude de relais, la radio et le cinéma sont mobilisés et financés par l’Etat, des milliers de publications et de supports.

Les femmes (p. 129) et la notation, un des sujets les plus reproduits dans les cartes postales coloniales, avec l’inévitable référence aux érotiques mauresques. Représentation des femmes des colonies qui n’est pas celle reconnue par les meilleurs spécialistes.

L’Agence économique des colonies, recréée par le régime de Vichy en 1941, elle bénéficie de moyens1156 considérables, (p. 156),  mais aucun chiffre précis n’est avancé sur ces moyens et sur leur poids relatif dans les valeurs économiques de l’époque ?

Permanence des images héritées de la colonisation (p. 214) : cette interprétation est un des fils conducteurs du commentaire et est, en cela, tout à fait fidèle à l’interprétation historique donnée à l’histoire coloniale par ce collectif de chercheurs, avec une généalogie historique non encore démontrée, mais répétée au fil des discours, entre cette histoire, une fracture coloniale supposée, et en définitive la crise des banlieues, et pourquoi pas l’existence de nouveaux indigènes de la République.

 Jean-Pierre Renaud, 22 mai 2007
paru dans le numéro 12 de la revue
de l'association AROM  amitié-réalité-outre mer
auteur du livre Le vent des mots...

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- L'Illusion coloniale, Éric Deroo
avec la collaboration de Sandrine Lemaire, Tallandier, 2006
.

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Éric Deroo

 

 

 


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6 septembre 2007

Les dérives de l'anticolonialisme (Yves Montenay)

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Les dérives de l'anticolonialisme

Yves MONTENAY


résumé
L’objet de cette communication d’histoire des idées politiques (et non de recherche historique) n’est pas l’anticolonialisme, mais ses dérives. Nous pensons qu’elles ont été facilitées par la primauté du couple «mentor métropolitain–étudiant indigène» par rapport à d’autres acteurs locaux (économiques, populaires, religieux), qui conceptualisaient moins et avaient moins de relais en métropole.
Ce «couple» a ensuite subi les pressions de la politique soviétique qui ont partiellement «instrumentalisé» l’anticolonialisme. Une première dérive a été alors l’apologie de certains régimes post-coloniaux et a contribué à leur échec économique. D’où une deuxième instrumentalisation, notamment par les nouveaux dirigeants, pour expliquer ces échecs par le passé colonial. Ces deux dérives ont amené certains anticolonialistes à cautionner des «inexactitudes» historiques et des comportements à l’opposé de leur éthique d’origine. Ils ont ainsi contribué à fonder une «sensibilité» qui complique l’analyse historique et économique, et est très présente dans «l’altermondialisation».

 

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Charles-André Julien :
"Il n'y a pas d'histoire colonialiste,
il n'y a pas d'histoire anticolonialiste"

Charles-André Julien, socialiste de longue date et ami de Léon Blum disait : «On considère comme une faute inexpiable ce qu'a été le phénomène colonial et l’on craint qu'une critique de l'ancien colonisé ne soit considérée comme une persistance de l'esprit colonial". Et il ajoute : "C'est pour cela que, jamais, je ne me suis prêté à ce que l'on appelle l'histoire anticoloniale. Il n'y a pas d'histoire colonialiste, il n'y a pas d'histoire anticolonialiste, il y a l'Histoire. Croire qu'il faut absoudre les abus actuels de pays qui l'ont subie, je ne peux pas le souffrir. Le plus grand service que l'on puisse rendre aux pays anciennement colonisés, c'est la vérité.» (Le Monde, 16 août 1981).
C’est dans cet esprit qu’est voulue cette communication, qui se situe dans le mouvement actuel de réexamen des dérives de l’anti-colonialisme.

 

9782070393107FS

Une « culpabilité » qui pèse sur l’analyse
Le sentiment de culpabilité a été développé par Gide dans Le voyage au Congo et dans La route mandarine de Roland Dorgelès. Il a été tellement répété depuis, avec une pertinence inégale, qu’il finit par insupporter d’aussi peu «réactionnaires» que Pascal Bruckner (Le Sanglot de l’Homme Blanc), qui pointe la perversion du tropisme occidental vers le Sud : «Ils se sont persuadés que la solidarité avec les pays sous-développés exige qu’ils admirent et non qu’ils corrigent l’infortune de ces pays» (p. 41) : «On se cloître avec délice dans la certitude de notre ignominie» (p. 118). Ce que nous examinerons ici n’est pas de savoir si ce sentiment est justifié, mais son poids sur l’analyse historique. Un premier exemple est celui de «l’humiliation».

L’humiliation «coloniale»
Un enseignant d’histoire et géographie du secondaire français, cité ici en tant que l’un des leaders d’opinion dans une sorte de forum regroupant environ 2000 de ses collègues, résumait l’opinion d’une grande partie d’entre eux en écrivant : «Ce décalage entre le discours (intégration, égalité, école républicaine, mission civilisatrice) et la réalité (rapport hiérarchique, humiliation, dévalorisation de soi) est, me semble-t-il, consubstantiel à la colonisation».

De même, les musulmans insistent sur cette humiliation, qui est un des moteurs de leurs réactions actuelles. Ils considèrent comme un drame la colonisation et se demandent comment ils ont pu devenir «les esclaves de ceux qui avaient été leurs esclaves». Cette impression permanente a des causes bien plus anciennes et profondes que la colonisation, mais elle est «captée» par la vulgate actuelle et nourrit le sentiment de culpabilité occidentale.

Or l'humiliation (ainsi que la morgue et le mépris qui en sont la cause) n’est pas un phénomène créé par la colonisation. Elle est consubstantielle aux rapports entre le fort et le faible, dont la colonisation n'est qu'un cas particulier, et pas le pire. Dans un pays pauvre, ce rapport est plus écrasant, car le faible n’y est pas menacé dans son confort, mais dans sa liberté, sa santé ou sa vie. La période coloniale a mis en place des rapports intermédiaires, qui sont indignes vus de métropole, mais qui sont un progrès localement : les périodes pré et post coloniales (ou néo-coloniales) sont pires dans de nombreux pays que la période coloniale, comme l’illustrent la hogra en Algérie, ou les brutalités dans certains pays situés plus au sud.

Mais l’opinion publique du Nord a sa vue influencée par les «occidentalisés», pour qui le décalage entre valeurs métropolitaines et comportement local de certains colonisateurs était le plus sensible. Traités en égaux par leurs enseignants métropolitains, ils étaient à juste titre extrêmement humiliés de redevenir «indigènes» dans certains milieux coloniaux, au point de souvent militer dans les «mouvements de libération», d‘autant que ces derniers étaient dans la mouvance des idées de leurs enseignants. Mais la colonisation terminée, ils se sont souvent réfugiés dans cette métropole proclamée détestable, illustrant ainsi que leur situation "au pays" à l'époque coloniale était meilleure (ou moins mauvaise) qu'ensuite.

 

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École de Kaya (Haute-Volta), travaux pratiques, mise en place d'un jeune citronnier
source : Caom, base Ulysse

 

Or ce sont ces occidentalisés qui ont transmis l’image dominante de la colonisation, du simple fait qu’ils «savaient écrire», puis diffuser leur opinion grâce à leurs contacts avec les métropolitains, en particulier avec les enseignants avec qui ils avaient gardé un rapport privilégié. On entend très souvent (y compris par Hassan II ou un anticolonialiste virulent comme Ahmadou Bâ) : "les colons me méprisaient, par contre mes profs ..." . C'est plus que sympathique, mais privilégie cette source très minoritaire qui conduit à oublier que l'humiliation et l'oppression étaient (et sont souvent redevenues) des données de base des sociétés du Sud, considérées comme "naturelles" avant l'ouverture coloniale. Par ailleurs, il s'agit des réactions des "occidentalisés" du milieu intellectuel, celles des milieux économiques, occidentalisés ou non, étant différentes. Mais leur témoignage a moins d'occasion de passer. En particulier, l’on caricature encore aujourd’hui les relations colons/employés, notamment en négligeant le témoignage des ouvriers agricoles du Zimbabwe.

J’ai ainsi noté les réactions d’un haut fonctionnaire colonial et celles d’industriels qui, lisant la littérature anti-coloniale, se sont sentis profondément humiliés et déclarent : «nous n’avons pas été de tels monstres».Michel_Jobert_rivi_re_grenades Mais qui a entendu cela ? Ce ne sont pas des gens qui écrivent des livres. Remarquons à cette occasion le témoignage de Michel Jobert, dans La rivière aux grenades [photo ci-contre], qui raconte comment a été modernisée l’agriculture marocaine par des colons ayant la conviction d’être utile au développement du pays. Il ne s’agissait pas d’une conviction abstraite puisqu’un exploitant agricole, même vivant dans une belle maison, est en symbiose et souvent en sympathie avec ses ouvriers (qui se savent privilégiés, comme on l’a constaté au Zimbabwe) et les villageois du cru. Cet exploitant apportait un certain bien-être à des communautés villageoises jusqu’alors misérables et victime de la famine et des maladies. La baisse rapide de la mortalité en témoigne d’ailleurs. Les patrons «blancs» de PME et leurs ouvriers ont partagé des expériences analogues. Mais «l'air du temps» faisait que les enseignants ne voyaient qu’«exploitation» dans ces rapports sociaux.

L’influence du marxisme et de la guerre froide
L'idée que la colonisation faisait vivre l'Occident a été exposée par Lénine dans L'Impérialisme, stade suprême du capitalisme (1917) : «Tant que le capitalisme reste le capitalisme, l'excédent de capitaux est consacré non pas à élever le niveau de vie des masses dans un pays donné - car il en résulterait une diminution des profits pour les capitalistes - mais à augmenter ces profits par l'exportation de capitaux à l'étranger, dans les pays arriérés». Ce petit texte, qui par ailleurs illustre deux erreurs de l’analyse marxiste, a lancé l’attaque de l’Europe par le Sud, via le contrôle de «mouvements de libération» et par l’instrumentalisation des mouvements anti-colonialistes du Nord, qui se rendent peu à peu ingénument complices de la mise en place de régimes contraires à leurs propres valeurs.

Mais le capitalisme survivant à la décolonisation, il fallut trouver de nouveaux arguments et cette 29702_0instrumentalisation prit une allure plus économique via la théorie du pillage, lancée par Pierre Jalée (Le Pillage du Tiers-monde, Maspero, 1965) et Samir Amin (L’accumulation à l'échelle mondiale, 1970), théorie encore très présente de nos jours. Le non-sens conceptuel et pratique de ce genre de thèses et leurs conséquences catastrophiques sur le développement du Sud ont été amplement constatés et démontrés. Elles ont fait néanmoins oublier la constatation, de Clemenceau à Jacques Marseille, que  la colonisation a été globalement une charge pour la France et qu’avoir un empire plus vaste n'a pas donné à la France un avantage important par rapport à l'Allemagne. De même, la Grande-Bretagne est entrée en décadence bien avant la perte de son empire. Et que dire de l'Espagne, durablement ruinée par ses conquêtes, après la brève euphorie de l'or inca ? Que dire aussi du Portugal, métropole si pauvre du dernier grand empire ? Enfin, la décolonisation n’a en rien «ruiné» la France, la Belgique ou la Hollande.

Pascal Bruckner (op. cit.) a rassemblé des citations et réflexions qui portent cette empreinte du marxisme et de la guerre froide. Ainsi, pour Edgar Morin, il importe de combattre «le système qui régit les démocraties occidentales, à savoir le capitalisme, et son stade suprême, l’impérialisme» (p. 26). De même : «En ces temps lointains tout ce qui n’entrait pas dans le schéma impérialisme/révolution, comme par exemple les deux guerres du Cachemire, le conflit indo-pakistanais, la guerre civile des seigneurs Shan contre le pouvoir birman, l’affrontement de l’Erythrée contre l’Ethiopie ou encore le génocide du Biafra, était déjà discrètement relégué aux basses-fosses du silence» (p. 42).

Ou encore cette interview donnée par Jean Genet au Monde Diplomatique en juillet 1974 : «Pourquoi les Palestiniens ? Il était tout à fait naturel que j’aille non seulement vers les plus défavorisés, mais vers ceux qui cristallisaient au plus haut point la haine de l’Occident » (p. 28). Autre exemple, cette déclaration de Claude Bourdet 19 février 1979 dans Témoignage Chrétien lors du renversement du Shah d’Iran par les mouvements islamistes : «Maintenant, tout est changé dans le Golfe Arabo-Persique. Peu importe le nouveau régime : de toutes les façons, l’Iran ne sera plus le gendarme des États-Unis et le complice d’Israël» (p. 61). Enfin : «Le glissement de l’anticolonialisme de l’après-guerre au tiers-mondisme des années 60 -voir plus bas- fut le passage de l’allergie à soi-même à l’effusion envers les tropiques régénérateurs» (p. 26).

bidonvilCe contexte est également illustré par la démarche (dont j’ai été témoin) d’Edgar Pisani, alors ministre, auprès d’un dirigeant du Crédit Lyonnais pour lui demander de financer la sidérurgie algérienne. « Pourquoi diable ? avait demandé le banquier, C’est probablement un mauvais risque » (ce qui s’est vérifié). «Eh bien, répondit Pisani, il faut aider ce pays à créer la base ouvrière dont il a besoin». Bref, l’air du temps voulait que les pays en voie de développement se constituent «une base» d’industrie lourde. Ce qui s’est révélé une catastrophe dans les pays mal gérés et une difficulté dans les pays mieux gouvernés comme la Corée du Sud.
Les militants anti-colonialistes ont ainsi peu à peu amenés à des attitudes contraires à leurs valeurs, sauf, pour les plus rigoureux, à «décrocher» et avoir l’amertume de douter de la validité de leurs combats concrets.

Le Zimbabwe
Le cas du Zimbabwe est intéressant quant à la confusion des valeurs entraînée par une lecture purement anti-colonialiste de l'histoire. Au moment de l'indépendance des autres pays africains, la minorité blanche de la Rhodésie du Sud prend le pouvoir. C’est le cas extrême du régime «néo-colonial». Le pays garde sa prospérité antérieure. Les blancs contrôlent les mines, une grande partie des terres et de l'industrie. Ils fournissent directement et indirectement une part très importante des emplois de la population noire. Les fermes blanches ont une bonne productivité et assurent la nourriture et les exportations du pays. La majorité noire a des petites exploitations sans cesse réduites par la croissance démographique, et malwelcome_to_zimbabwe exploitées. Il y a donc, comme en Afrique du Sud, une pression pour acquérir les terres des blancs : «la faim de terre».

Rappelons que ce régime est raciste de façon avouée et délibérée, d’où sa condamnation tant par Mugabe que par Londres. Contrairement à Mandela, qui aura à gérer une situation analogue (une minorité raciste ayant le pouvoir économique, mais assurant la prospérité du pays, et des rivalités tribales dans la majorité noire), Mugabe se révèle doublement raciste en écrasant la minorité noire du Matabeleland et en expulsant par la violence les fermiers blancs. Il s'agit en fait de donner les terres blanches à de soi-disant «héros de la guerre d'indépendance», en fait des barons du régime, absentéistes, ce qui laisse sans emploi les centaines de milliers d'employés et donc les millions de personnes qu’ils faisaient vivre.

Le «complexe colonial» se traduit par le fait que l’on s’est longtemps borné à critiquer la répression politique 20050608_zimbabwe_riotsexercée par Mugabe, et non le racisme, au nom duquel avait pourtant été combattu le régime de Ian Smith, qui assurait au moins l’ordre public et la prospérité. Par ailleurs, remplacer les blancs par des amis ne résout en rien «la faim de terre». Or le «mugabisme» a été longtemps présenté avec indulgence : on ne parle pas de «racisme» mais de nationalisme. La répression accrue depuis l’année 2000 et surtout la famine ont fini par attirer l’attention. Mais il reste encore une trace de l’indulgence de naguère : «Les fermes industrielles, installés sur de vastes espaces fertiles, appartiennent à 70% d'entre elles aux blancs, qui représentent 1% de la population (les agriculteurs français avec 100 % des terres représentent 4 % de la population) … C'est sur cette injustice foncière que le président a fondé sa réforme agraire». Bref, un affameur raciste et violent ne peut être tout à fait mauvais, puisque anticolonialiste ! A-t-on demandé leur avis aux Zimbabwéens

L’attribution du sous développement à la colonisation
Pour beaucoup, il reste en effet impensable de ne pas excuser les nombreux échecs de dirigeants du Sud par la colonisation : «À la fin du XIXe siècle, le monde arabe a failli basculer dans une modernité inspirée par l’Occident, mais riche également des sources scientifiques et culturelles de sa propre civilisation (coup583_a de chapeau diplomatique sans signification précise). Cette renaissance -la Nahda- a échoué parce que l’Europe et la France, devenues coloniales, ont trahi «les élites» : la domination européenne a remplacé la domination ottomane.» («Renaissance arabe et avenir de l’Europe» Jean-Louis Guigou, Le Monde, 10 février 2004).

Et cette domination européenne est enseignée et médiatisée de manière lacunaire. Ainsi, le citoyen français en saura plus sur les tortures de son armée pendant la «bataille d’Alger» que sur cette bataille elle-même, encore moins sur cette guerre dans son ensemble, pratiquement rien sur la présence française des 130 années précédentes et moins encore sur l’économie de l’Algérie coloniale !

Cette économie n’est plus guère évoquée que très idéologiquement, comme le faisait, par exemple, le quotidien algérien El Moudjahid des années 1980 avec ses phrases du genre : "Aux yeux de l'Histoire, il est bien établi que le sous-développement de tous les pays du tiers-monde est une somme de privations, de spoliations et d'usurpations découlant de plusieurs siècles d'occupation et d'exploitation coloniales". La désinformation est d’autant plus profonde que dans les médias français s’étalent les opinions officielles de ceux qui ont intérêt à charger la colonisation de tous les péchés, et à la faire servir d'alibi à leurs échecs.Irrigation Leur prose rencontre peu de démenti pour des raisons diplomatiques, mais aussi parce que les esprits ont été longuement imprégnés par toute une littérature, allant de la critique justifiée à un délire chargeant la colonisation de tous les traumatismes venant de la modernisation ou de conflits qui n’y étaient pas liés.

Ainsi, pour excuser leurs échecs et obtenir des «compensations financières», beaucoup de dirigeants et d'intellectuels du tiers-monde ressassent les méfaits de la colonisation et entretiennent délibérément le sentiment de culpabilité occidentale. Tout cela porte préjudice en premier lieu au Sud, en faussant l’analyse du sous-développement et donc le choix des remèdes.

Jean-Claude Guillebaud, après beaucoup d'autres, raconte dans Les Années orphelines (Fayard, 1979) cet aveuglement qui pourrait se résumer dans le syllogisme : "l'URSS est anticolonialiste, l'anticolonialisme est une bonne chose, donc tout ce que fait l'URSS dans ce domaine est bon". La façon dont furent si placidement acceptés la normalisation vietnamienne et le massacre cambodgien ne s'explique pas autrement. Il s'agissait d'une politique "progressiste", donc "bonne".

Cela occulte le fait que la ruine actuelle est due au «socialisme» de beaucoup de gouvernements du Sud, parfois simple alibi pour mettre la main sur les biens des «capitalistes» nationaux et étrangers, se débarrasser de concurrents politiques, voire pour se lancer dans l’épuration ethnique. Dans la seule Afrique, l'industrie égyptienne a été ruinée, ainsi que les agricultures algériennes, guinéennes, éthiopiennes, angolaises et mozambicaines ; les étudiants éthiopiens, ainsi que les cadres guinéens et béninois ont été massacrés ou se sont exilés. L’URSS, via les troupes cubaines, a activement contribué à la disparition du tiers de la population de la Guinée-Équatoriale et à d’interminables conflits en Éthiopie et en Angola, laissant ces pays dans l’état que l’on sait !

En Asie, une catastrophe «socialiste» a également eu lieu au Nord–Vietnam APRÈS la fin de la colonisation française et au Sud-Vietnam après le départ des Américains. Comme en Chine, il a suffi que l’on quitte le image005«socialisme» agricole pour que chacun mange à sa faim, et, toujours comme en Chine, que l’on quitte quelques années plus tard le socialisme dans l’entreprise pour que fleurissent boutiques et ateliers, ce qui illustre bien que la colonisation n’était pour rien dans ces décennies de dégringolade. La famine n’a été évitée en Algérie, exportatrice agricole à l’époque coloniale, que par l’argent du pétrole. Quant à la Corée du Nord, son écroulement toujours actuel ne vient pas de sa colonisation par le Japon, mais de son virage socialiste postérieur.

À partir des années 1960, une sorte de credo, dit «tiers-mondiste», s’est répandu. Le colonialisme étant censé avoir été la source des problèmes, il fallait à la fois obtenir des compensations et faire le contraire : «Imposons l’aide au développement, cette aide sera investie par l’État qui pilotera le développement. L’acteur est l’État car il est indépendant et anti-capitaliste et peut s’opposer aux capitalistes locaux et étrangers». L’échec a poussé les États tiers-mondistes à l’autarcie pour se mettrev_2707300179 à l’abri du «centre» capitaliste (cf. Samir Amin «Que la périphérie se coupe du centre»). Cela aboutit à la taxation de l’agriculteur, à la ruine et au déclin général tant de l’agriculture que de l’industrie faute de marché local. Aujourd’hui, la situation est très différente, les populations connaissent le mode de vie occidental et ont mesuré l’ampleur de l’échec de l’État. Par ailleurs, est apparue la privatisation de l’aide par les migrants. Enfin, la guerre froide étant terminée, les rentes stratégiques qui soutenaient certains États tiers-mondistes ont disparu.Mais la situation reste bloquée, car toute réforme revient à demander au prédateur de lutter contre leur propre intérêt.

Le sous-développement par l’élimination des cadres
Cette polarisation sur de (supposés) mécanismes économiques a occulté un fait historique bien plus simple et massif : l’élimination des cadres pendant comme après la décolonisation. Cadres coloniaux, mais aussi et surtout nationaux, tués, emprisonnés ou poussés à l’exil par la crainte ou la concrétisation de l’épuration ethnique (Pieds-noirs, Portugais et mulâtres de l’Angola et du Mozambique, Indiens d’Afrique orientale, chrétiens du Nord Vietnam ou d’Indonésie et autres «minorités»), par l’épuration politique ou sociale envers les intellectuels, bourgeois et professions libérales de ces mêmes pays. Et ce fut suivi d’une «deuxième vague»  au Laos, Cambodge, Sud-Vietnam, Bénin, Syrie, Egypte (en 1956), Irak, Tunisie, et même, dans une moindre mesure, au Maroc...

Etait-ce inévitable ? Bien sûr que non. Dans les pays entraînés dans la guerre froide, comme ceux de l’Indochine, les colonies portugaises ou l’Éthiopie, il s’agissait de mettre au pouvoir un parti totalitaire et dévoué à l’URSS, et d’éliminer tous les opposants, y compris éventuels. Avec des variantes, c’est également ce qui est arrivé en Algérie, et il est intéressant de constater que le remarquable succès de Mandela (notamment l’émigration limitée des cadres «blancs») ne s’est opéré qu’après la perte du soutien de l’ANC par l’URSS puis la disparition de cette dernière.

Le résultat de tout cela est le contraste éclatant avec les pays à comportement pragmatique pendant et après leur décolonisation, dont la plus belle réussite est celle de Singapour, au niveau de vie aujourd’hui européen. Cet État naguère misérable et sans ressources naturelles a non seulement rassuré les cadres étrangers dès l’indépendance, mais a continué à encourager leur arrivée ensuite. Bref il a protégé et fait fructifier l’héritage colonial.

Haiti_Port_au_Prince_23aout2006_1S'abriter derrière la colonisation pour expliquer le sous-développement et masquer ses propres exactions et échecs devrait donc maintenant faire sourire. Il est de plus en plus délicat d'expliquer les catastrophes actuelles par ce qui s'est passé il y a maintenant très longtemps. La colonisation s’est terminée dès 1804 pour Haïti, aujourd’hui moins développée que jamais, au début du XIXe siècle pour l'essentiel de l’Amérique Latine, en 1947 pour l'Inde et le Pakistan, en 1949 pour la Chine (départ des étrangers d'un pays qui n'avait jamais été vraiment colonisé), en 1956 pour le Maroc et Tunisie, voire l’Égypte, en 1962 pour l'Algérie, de 1960 à 1964 pour la plupart des pays d'Afrique. Or, avec un gouvernement «normal», même les plus grandes blessures cicatrisent vite.

L’on répète néanmoins que, de l’époque précoloniale à la mondialisation, tous les problèmes viennent du Nord, à commencer par la saignée humaine de la traite et de la conquête coloniale avant la 1ère guerre mondiale. Ces faits sont quelque peu sortis du contexte, la traite ayant été à son maximum en Afrique Occidentale avant la colonisation, les notables africains apportant aux comptoirs européens «leurs compatriotes», tandis qu’en Afrique Orientale, la traite arabe qui existait de toute éternité, devenait extrêmement violente et dévastatrice, et c’est au contraire la colonisation qui l’a arrêtée.

De même, la très réelle violence coloniale est souvent censée être à l’origine des violences actuelles. C’est une vision angélique de la période précoloniale. Daniel Rivet, dans Le Maghreb à l’épreuve de la colonisation (Hachette Littérature, Paris 2002), rappelle que la férocité de Savary pendant la conquête de l’Algérie a été précédée par une situation éloignée du paradis précolonial apparaissant en creux dans l’enseignement français (et parfois explicitement ailleurs) : «Épidémies, famines, vendettas familiales, guerres entre villages enchaînent les populations dans des misères sans fin. Le pouvoir ne procure nulle part aucun secours. Quatorze dey d’Alger sur vingt-huit prennent le pouvoir sur le cadavre de leur prédécesseur après un complot. Etranges préfigurations du renversement de Ben Bella, du meurtre de Boudiaf, de la subordination de Bouteflika aux janissaires d’aujourd’hui devant la Kabylie en feu. Parmi tant d’erreurs, de fautes, le nouveau maître imposait un impôt plus lourd mais moins injuste. Il arrêtait aussi l’arbitraire et la corruption parmi les agents du pouvoir» (présentation de Gilbert Comte).

De même, le découpage artificiel des territoires et les problèmes de frontières, les capitales excentréesSoutenir_demunis01_01 situées dans les ports plutôt qu’à l’intérieur, les réseaux de transfert orientés vers l’extérieur, la confusion des pouvoirs, la violence et le mépris des dirigeants à l’égard des indigènes, la répression sanglante des rebellions, sont certes une part de la vérité historique. Mais les uns, purement techniques, auraient sans doute existé sans la colonisation, et les autres étaient présents avant comme après, ce qui n’est d’ailleurs pas une excuse pour le colonisateur. L’exode des cerveaux est dû au moins autant aux mauvaises politiques intérieures, voire aux brimades exercées envers certaines minorités (ethniques, religieuses, bourgeoises…) qu’à la mondialisation.

Dire qu’une cause de la crise est que les économies ont été exposées de plein fouet à la concurrence internationale reflète une opinion politique. L’opinion politique inverse, à savoir que le sous-développement vient d’avoir coupé du monde et trop protégé les monopoles locaux pourrait être également défendue. De même, la montée des mafias et des trafics illicites serait reliée aux privatisations, dérégulations et libéralisation : on pourrait soutenir exactement le contraire. De même pour les convoitises suscitées pour les richesses minérales et les ingérences politiques et économiques : voir tel ou tel régime soutenu pour cause de guerre froide n’est pas vraiment lié à la mondialisation ; d’ailleurs les États voisins ont fort bien remplacé, en pire, les puissances coloniales, notamment en RD Congo. Quant au traitement de la crise de la dette et des plans d’ajustement structurel, il s’agit d’un sujet très controversé et pour lequel les responsabilités locales sont au moins aussi importantes que celles du FMI.

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Bref, cela fait 40 ans que l’on assiste à un non-développement de l’Afrique alors que l’Asie accumule les records. Or, à la fin de la période coloniale, le revenu par habitant des pays d’Afrique était supérieur à celui de l’Asie. L’ouverture de cette dernière n’y est pas pour rien, notamment celle aux entreprises internationales, ainsi que le respect corrélatif du droit nécessaire pour les conserver (et qui bénéficie aux acteurs nationaux). Bref la recette asiatique est le contraire du tiers-mondisme. Joan Robinson, connue pour ses opinions altermondialistes a eu l’honnêteté de rapporter ce propos d’un dirigeant du Sud : «Le malheur d'être exploité par les capitalistes n'est rien comparé au malheur de ne pas être exploité du tout».

Un discours plus nuancé
Ce petit exemple d’écoute d’un «non théoricien» symbolise un début d’évolution des idées mise à la disposition du grand public et en particulier des enseignants. Dans un projet de manuel scolaire, l’on remarque un glissement de "la culpabilité coloniale" à "l'origine coloniale des problèmes", ce qui est un changement discret mais profond. Discret parce qu'il reste dans la rubrique "responsabilité coloniale" de ce projet.
L'exemple le plus net est celui de «l'explosion démographique» : la colonisation est certes souvent à son origine. On peut même dire qu'elle en est "responsable", puisqu'il y a eu une politique délibérée de baisse de la mortalité (Certains tiersmondistes emportés par leur élan disent que les populations locales n'ont fait que bénéficier indirectement de mesures destinées aux colons, ce qui ne résiste pas à l'examen : approvisionnement des zones de disette, formation de sages-femmes - très important pour diminuer la mortalité des mères-, vaccination –parfois musclée- et bien d'autres). Mais cette responsabilité est bien sur "positive" (et, par ailleurs, la théorie et l’expérience montrent que cette « explosion » n’est pas un obstacle pour un gouvernement «normal»).

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Un autre exemple du glissement de l’usage du terme "responsabilité coloniale" est celui des "pieds rouges" et assimilés. C'est certes parce que la France avait été la métropole que ses chercheurs et universitaires "révolutionnaires" ont été écoutés par leurs anciens élèves et ont si catastrophiquement conseillé certains régimes du Maghreb à Madagascar. Mais les idées en question étaient bien sur à l'opposé de celles des acteurs économiques coloniaux, qui ne sont en rien responsables des catastrophes inspirées par le climat tiersmondiste de l'époque.

Dans une veine voisine, on peut citer Frères et sujets, la France et l’Afrique en perspective, de Jean-PierreA17464 Dozon (Flammarion, 2003). Pour cet anthropologue africaniste le «monde franco-africain qui, aussi problématique fût-il ou soit-il encore, ne se réduit pas aux turpitudes de la Françafrique», terme de «l’anticolonialisme de la 25e heure». Il rejoint Hannah Arendt, qui releva dans son essai sur l’impérialisme que les Français traitaient leurs colonisés « à la fois en frères et sujets ». Il évoque les «cités créoles» que furent les comptoirs sur la côte sénégalaise, comme Saint-Louis, les administrateurs-ethnographes, tel Faidherbe ou Delafosse, et les carrières métropolitaines de Blaise Diagne, Félix Eboué, Léopold Sédar Senghor ou Félix Houphouët-Boigny. Il fait répondre au «besoin d’Afrique» de la métropole un «désir de Franc », à la fois sincère et intéressé.

L’on peut également citer Pourquoi l’Afrique meurt, de Stephen Smith, correspondant du Monde en Afrique (Calmann-Lévy, octobre 2003), exemple d’«afropessimisme sérieux». Son récit exonère largement le Nord, mais l’analyse est prudemment balancée entre condamnation de principe et exonération pratique du colonialisme. Autre témoignage de l’évolution des idées, l’article de Sylvie Brunel sur l’esclavage dans L’histoire d’octobre 2003.

Tout cela commence à se refléter dans les milieux universitaires français. En témoigne «Histoire coloniale et construction des savoirs sur l’Afrique», conférence de Marie–Albane de Suremain à la «Journée de Marly» du 4 février 2004 (voir www.ac-versailles.fr/ pedagogi/gephg/default.htm pour les nombreuses sources citées) : «Tandis que le grand public est alimenté par des essais ou récits où alternent afropessimisme et nostalgies, l’«histoire coloniale» progresse. Il ne s’agit certes pas d’un "révisionnisme" plus ou moins déguisé qui s’attacherait à redorer le blason de la colonisation». (Des historiens ont établi que) «l’impérialisme était porté par des minorités étroites, ou imposé par en haut de façon plus ou moins efficace, sans susciter d’adhésion massive». (D’autres) «ont pratiqué une histoire centrée sur les «résistances» africaines à la domination (et) ont eu tendance à substituer à la geste coloniale, une geste anti-coloniale». (D’autres encore ont eu) «une approche marxiste insistant sur les structures, construite autour de l’opposition centre-périphérie et la mise en dépendance des colonies par les métropoles (…) modèles qui ont montré leurs limites.». Or «qu’on s’attache aux colonisateurs ou aux colonisés, on escamote systématiquement la moitié des acteurs et on est amené à décrire de façon caricaturale l’autre moitié du problème, qu’il s’agisse des indigènes ou du système colonial (…) c’est s’interdire a priori de comprendre des interactions qui ne se limitent ni à l’affrontement pur, ni à de "coupables" collaborations». Suit un passage sur «la mission civilisatrice», ramenée au début de scolarisation et à la politique sanitaire coloniale, pour remarquer, «qu’il est facile de l’opposer à la réalité de la domination coloniale dans ses aspects les plus brutaux».

La notion de «supériorité occidentale» est rejetée avec horreur, induisant implicitement comme souvent de l’indiscutable égalité juridique et morale, qui devrait être universelle, un déni de la supériorité occidentale, qui n’est pas seulement technique et qui est le fondement séculaire des questions coloniales. Occulter diplomatiquement ce constat fausse toute approche des problèmes du Sud, alors qu’il est abordé sans complexe par nombre d’Asiatiques, qui, du coup, érodent rapidement cette supériorité. Pour résoudre un problème, il ne faut pas commencer par le nier.

On voit la prudence avec laquelle est abordé dans les milieux universitaires ce nécessaire tournant historique. On retrouve là l’insuffisance des informations pouvant venir des acteurs économiques, mais aussi la pression des habitués des proclamations anticoloniales.
On peut remarquer en effet la présentation d’un livre récent par Le Monde Diplomatique et La Quinzaine Littéraire : 1944 -1950 : la IVe République et la mise au pas des colonies françaises (Yves Bénot, préface de François Maspéro, La Découverte avril 2001), qui insiste sur (en substance) «les pages sanglantes de l'histoire de France et la répression sauvage pour préserver la cohésion de l’empire».

Ou encore un extrait de cet article tout récent : «le Président de la République a oublié que plusieurs millions d’ indigènes (en Algérie) se sont vu refuser l’égalité avec les autres Français au motif qu’ils étaient musulmans. Cette question aurait exigé des paroles solennelles (comme celles) à propos de la responsabilité de Vichy sous la déportation des juifs. (Il y a là) une blessure indicible que la loi sur les signes religieux n’est pas près d’apaiser» («Chirac et la laïcité», Philippe Bernard, Le Monde, 21-22 décembre 2003).

 

vulnerable
"Gonaïves, Haïti, 2004 : plus de 2000 morts. La seule tempête tropicale Jeanne
n'explique pas tout. La pauvreté, un urbanisme délirant, une déforestation définitive
sont aussi quelques-uns des ingrédients qui expliquent à quel niveau
de vulnérabilité ce pays est arrivé." (université de Bretagne-Sud,
source)
 
 

Les récentes péripéties haïtiennes ont été l’occasion du message aux enseignants français du secondaire : «Un historien, Philippe Pierre-Charles, mit en évidence le fait que le jeune État haïtien fut contraint de payer à la France, une somme colossale, équivalente au budget de l'ancienne puissance coloniale, ce qui enleva dès le départ, toute possibilité d'un éventuel développement à ce nouveau pays,  qui dans les 2 siècles précédents, avait pourtant fait la richesse de la métropole : 75% du commerce extérieur de la France, se faisait avec les colonies de Saint Domingue et des Antilles françaises !» (H-Francais, déjà cité,14/01/04 ). Rappelons que le président Aristide faisait alors miroiter à son peuple le remboursement de cette somme augmentée de 2 siècles d'intérêts.

Ce courant de pensée fait ainsi preuve à la fois de sa permanence et de son incompréhension de la nature et des causes de la situation haïtienne et plus généralement de celles du développement, lequel n'est pas une question d'argent. Le sous-développement haïtien vient plutôt de l'élimination par le meurtre ou l'exil de ses cadres blancs, puis mulâtres puis noirs, ainsi que le retour permanent de dirigeants prédateurs et incompétents, ce qui est intimement lié. Pour la même raison, l'arrivée dans le pays d'une très forte somme ne changerait rien, comme l’illustrent le gâchis des pluies d’or reçues par l'Angola et bien d'autres pays pétroliers. Enfin, dire que "le pays avait pourtant fait la richesse de la métropole" est une formulation qui confond une entité implicitement permanente («le pays») et le rôle individuel des producteurs haïtiens qualifiés (les colons et certains de leurs collaborateurs, esclaves ou non), et surtout celui du respect des institutions leur permettant de «fonctionner» : une organisation humaine détestable, sauf par rapport à ce qui a suivi. De plus, cette formulation ramène "la richesse de la métropole" à sa consommation de sucre, qui était certes un facteur important, mais tout de même secondaire par rapport à "la richesse" générée par le travail d'une vingtaine de millions de métropolitains en ce début de révolution industrielle !

En conclusion, «il faut fonctionner sur le mode de la responsabilité plutôt que sur celui de la culpabilité. Il faut régler notre rapport à ce passé sans l’occulter, ni l’exagérer» (Daniel Rivet aux rencontres Averroès). Autant les études spécialisées sur «les horreurs coloniales» sont légitimes (on en aimerait toutefois de moins traditionnelles, par exemples axées sur des acteurs économiques), autant en tirer (ou même en sous-entendre) des présentations globales de l’histoire coloniale fausse l’Histoire tout court, et donc l’analyse des problèmes d’aujourd’hui.

Yves Montenay
site d'Yves Montenay
mai 2004

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2 septembre 2007

En mémoire de Jean Chesneaux (Pierre Brocheux)

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En mémoire de Jean Chesneaux

Pierre BROCHEUX

L’historien Jean Chesneaux nous a quittés le 23 juillet. Historien connu et reconnu pour ses travaux sur l’Extrême-Orient plus précisément sur la Chine contemporaine (il a consacré sa thèse de doctorat au mouvement ouvrier chinois au début du XXe siècle), il n’a pas limité son horizon à la seule Chine, il a porté un intérêt constant à la péninsule indochinoise, particulièrement au Viet-Nam. Jean Chesneaux n’était pas un savant de cabinet bien que son parcours universitaire soit passé par les étapes et les épreuves requises pour faire une brillante carrière : l’agrégation d’Histoire et le doctorat ès Lettres. Pierre Renouvin, maître des études d’histoire à la Sorbonne, nous le cita en exemple lorsqu’il accueillit  les étudiants de première année  en octobre 1952.

Jean Chesneaux était aussi un homme d’action : militant de la JEC, il était entré jeune dans un réseau de la résistance anti-allemande, il fut incarcéré à Fresnes à 19 ans et fut sauvé de la déportation par la libération de la France. En 1946, il partit pour un voyage d’études en Asie, de l’Égypte jusqu’en Chine ; il fit un bref séjour à Saïgon déjà plongé dans la guerre d’Indochine. Là bas, pendant plus de quatre mois il connut l’hospitalité de la prison centrale pour avoir rendu visite au comité de la résistance vietnamienne dans la Plaine des joncs. Après un séjour dans la Chine en proie à la guerre civile, il revint en France en 1948. De son intérêt pour le pays il nous a laissé une Contribution à l’histoire de la nation vietnamienne ; ce livre de facture classique mais solide, n’a pas vieilli. L’engagement anticolonialiste de son auteur n’oblitérait pas une méthode de travail exigeante, Jean Chesneaux aimait à nous recommander «ne faites pas de l’anticolonialisme à quatre sous». Expulsé vers la France il poursuivit son action anticolonialiste en militant au Parti communiste français jusqu’à ce que les désillusions vis-à-vis du «socialisme réel», le conflit sino-soviétique et finalement la crise de mai 1968, ne le conduisirent à la rupture avec le PCF.

Son engagement dans les luttes sociales et culturelles qui suivirent, le trouvèrent aux côtés des «gauchistes» mais avec une capacité de distanciation permanente. Il eut une carrière d’enseignant riche et novatrice, d’abord à l’École pratique des Hautes études puis à la faculté des lettres de Paris, enfin à l’université Paris 7 dont il fut l’un des fondateurs en 1970. C’est ce rôle de formateur de jeunes historiens de l’Asie orientale et plus largement de ce que l’on appelait le Tiers-monde que je retiens. Il prit une retraite anticipée pour se permettre d’aller plus loin que l’historiographie empirique et de se consacrer à la réflexion philosophico-politique sur notre avenir, l’avenir de nos sociétés étant lié à ses yeux de façon indissociable à celui de notre planète, d’où son engagement écologiste. Il consacra les dernières années de sa vie à voyager, non pas pour rechercher un ailleurs idéal, et confortable mais pour élargir son approche à l’humanité plurielle avec le but d’élaborer un «humanisme générique» c’est-à-dire reconnu par tous les hommes, une façon de dépasser l’universalisme européo-centré, le combat anticolonialiste n’avait été que la première étape d’une vie bien remplie.

Pierre Brocheux

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