La Force Noire et la «chair à canon»,
Diagne contre Mangin, 1917-1925
Marc MICHEL, historien, universitaire
«Les régiments défilèrent ensuite devant Mangin. Au fur et à mesure les commandants de compagnies ordonnaient «Tête ! gauche !» devant le Général, mais pendant tout le défilé, presque imperceptiblement, mais cependant audible, un sourd murmure accompagnait le bruit des pas : «Assassin, assassin, assassin !»… la dernière compagnie s’éloigna sur la route. Le défilé prit fin. Mangin se tourna vers ses voisins. “Eh bien ! Ils sont très gentils, ces petits. Cela se passera très bien”. Il savait qu’ils marcheraient».
Cette anecdote, peut-être apocryphe mais cependant significative, et lourde de terribles souvenirs, a été racontée par le général de Gaulle à la fin de sa vie, à propos de la reprise du fort de Douaumont en 1916 par les troupes de Mangin (1).
Elle indique que celui-ci fut qualifié de «boucher des Blancs» bien avant qu’il le fut «broyeur des Noirs». Mais il est certain, par ailleurs, que l’interpellation du député du Sénégal, Blaise Diagne, dans le fameux Comité secret de la Chambre des députés, le 29 juin 1917, contribua fortement à sa légende.
Cependant, au-delà de la dénonciation de l’impéritie des chefs, c’est la question encore plus délicate du crime de discrimination raciale qui aurait fait des soldats noirs de la simple chair à canon. Sans l’accuser ouvertement de «crime», Diagne désigna Mangin, coupable.
La tache ainsi attachée au nom de ce dernier fut associée intimement à l’idée de la violence coloniale. Ce que nous voudrions montrer c’est comment, en réalité, le procès contre Mangin a été aussi un sous-produit de controverses à replacer dans le contexte des luttes politiques nouvelles de l’après-guerre.
Dans un premier temps, on examinera donc le sens et la portée des accusations formuléées par Diagne en 1917. Puis, dans un second temps, on tentera d’établir, autant que faire se peut, le bilan des pertes des troupes noires au cours de la Grande Guerre. Enfin, on verra comment le thème de la chair à canon de la guerre a été repris et instrumentalisé.
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le général Charles Mangin (1866-1925) et le député du Sénégal Blaise Diagne (1872-1934)
l'intervention de Blaise Diagne à l'Assemblée, 29 juin 1917
Le 29 juin, lorsque Diagne prend la parole, la polémique sur l’échec de l’offensive d’avril fait encore rage. Nivelle vient juste d’être «mis en congé» après les échecs militaires d’avril et de mai ; il est censé partager le commandement avec Pétain (2). Par contre, Mangin, relevé de son commandement depuis deux mois, attend dans l’indécision. Les députés, qui se réunissent pour la nouvelle session de la Chambre, le 22 juin, réclament des sanctions.
Paul Painlevé, ministre de la Guerre en 1917 (source Gallica Bnf et ici)
Au gouvernement, le ministre de la Guerre, Paul Painlevé, est très monté contre le «couple Nivelle-Mangin» et le président de la République, Poincaré, n’est guère mieux disposé. Les mutineries qui ont éclaté dans une série de régiments sont presque éteintes ; mais il est impossible de les ignorer. Au total, fin juin, la France en guerre peut sembler privée de commandement militaire, et, en outre, elle paraît dirigée par un gouvernement en faillite. C’est donc dans un climat extrêmement tendu que se réunit le Comité secret de juin.
Précisons aussi que Diagne est alors une étoile montante. Son élection à la députation du Sénégal en mai 1914, peut-être considérée comme la première victoire politique noire en Afrique de l’Ouest française (3). À la Chambre, il s’était placé sur les bancs de Gauche de l’assemblée, mais distinct des socialistes. Il s’était très vite imposé comme un orateur talentueux et un débatteur fougueux, capable aussi d’une maitrise remarquable de l’argumentation et démontrant une connaissance aiguë de la vie parlementaire métropolitaine.
Ses premiers mois avaient été discrets. Il sort vraiment de l’ombre à l’occasion des débats sur la citoyenneté des «Originaires» des «Vieilles colonies» (Antilles, Guyane, Réunion, Cochinchine, Inde, Quatre Communes du Sénégal) en juillet et septembre 1915 pour faire reconnaitre la citoyenneté pleine et entière de leurs habitants en contrepartie de l’impôt du sang. Il obtient à ces occasions de beaux succès et un brevet de patriotisme.
Dans ses premiers succès, il est incontestable que Diagne fut servi par son appartenance ancienne à la Franc-Maçonnerie, ce qui lui permit de parler d’égal à égal avec les administrateurs (dont beaucoup étaient également francs-maçons) et les députés. Cette appartenance n’indiquait d’ailleurs pas forcément communauté de vue ; Victor Augagneur, par exemple, appartenait à la même loge que lui. Mais elle avait fourni à Diagne un tremplin.
Il existait, en outre, une sorte de coalition des députés des «Vieilles colonies» ; on l’avait bien vu dans les débats à propos des lois de juillet et de septembre. Une sorte de «camaraderie parlementaire» liait les élus de ces terres d’Outre-mer derrière deux figures, le député de la Guadeloupe Gratien Candace et Blaise Diagne, député des Quatre Communes du Sénégal.
Très vite, on lui a reconnu une sorte de compétence «naturelle» pour toutes les questions concernant les soldats noirs. Jusqu’en 1917, il s’abstint de tout commentaire sur l’emploi des tirailleurs au combat. Mais il suivait de près leurs conditions de vie dans les «camps d’hivernage» créés dans le Midi de la France et au Courneau, près d’Arcachon en 1916, un camp où les conditions de vie étaient si mauvaises qu’il fut rapidement surnommé «camp de la misère».
camp "d'hivernage" des Sénégalais à Courneau, en Gironde
passage de tirailleurs sénégalais à La Teste, en Gironde
Après avoir en vain protesté auprès des autorités militaires, Diagne en en avait demandé officiellement la fermeture dans sa troisième grande intervention à la Chambre des députés, le 9 décembre 1916 (4). Il avait acquis ainsi certainement un degré de plus dans la «respectabilité parlementaire».
De sa longue intervention d’une heure au moins, savamment graduée et documentée, ressortent de très graves accusations. La première visait l’expérimentation sur des soldats noirs, comparés à des animaux, d’un vaccin contre le tétanos, révélée la veille par le journal Le Pays (5). Sans les démentir formellement, Victor Augagneur, souligne alors de son banc qu’il ne s’agirait pas d’un fait de discrimination, mais de la simple constatation que les Noirs seraient plus sujets au tétanos que les Blancs… Personne ne relève la remarque parmi les parlementaires.
Quoiqu’il en soit, ce qui paraîtrait aujourd’hui un scandale n’est pour Diagne que la manifestation d’une «certaine déformation de la mentalité». Il n’évoque pas non plus l’affaire du Courneau où est expérimenté un «vaccin» contre le pneumocoque sous l’égide des médecins de Santé militaire et de l’Institut Pasteur. Ménage-t-il ainsi le sous-secrétaire d’État à la Santé militaire, Justin Godart, qui tente de s’opposer à cette expérimentation qui, estime-t-il, est contraire à la dignité des hommes ? On ne saurait trancher.
Seconde accusation sur le terrain des discriminations, dans le travail. Les Noirs, affirme-t-il, n’auraient été utilisés qu’à des travaux subalternes et à des corvées. En avril 1917, «comme dans les régiments coloniaux sont amatelotés à des régiments européens (6), il est entendu que les camarades européens ne doivent rien faire et que ce sont eux qui doivent faire les corvées».
tirailleurs sénégalais en corvée de bois dans la Somme, 1914-1917
La question peut paraitre mineure ; pour Diagne, elle ne l’est pas car elle touche à la question sensible de la discrimination raciale. Interrompu à ce sujet par le député de l’Aisne, Pascal Ceccaldi, rapporteur de la commission des Troupes coloniales, celui-ci se fait «remettre en place» très vivement par le député du Sénégal qui s’érige en porte-parole des Noirs colonisés en Afrique «française» :
«L’interruption de M. Ceccaldi ne me gêne pas, elle me permet de dire une fois pour toutes, que lorsque nous discutons des questions coloniales, celles que nous avons vécues, celles que nous vivons, vous, Monsieur Ceccaldi, qui ne connaissez les colonies que par les rapports de la commission du budget et n’êtes pas qualifié pour nous donner des démentis»
Évidemment, là aussi Diagne marque des points car il est vrai que les soldats noirs servirent souvent de main d’oeuvre pour les corvées, surtout dans la «zone des étapes». Le député noir remporte un nouveau succès salué par des exclamations «Très bien ! Très bien» et des «Mouvements divers». En ajoutant que le député de l’Aisne était bien allé sur le front, mais en «hôte des généraux», Diagne écrase son contradicteur et l’accuse d’avoir eu «une large part de responsabilité» dans les «erreurs» du commandement.
tirailleurs sénégalais en colonne de marche
C’est bien en effet cette troisième accusation qui, pour lui, est la plus grave : le commandement a failli, promettant à «un véritable massacre» les soldats de couleur, «sans utilité» ajoute-t-il. Ce qui importe, aux yeux de Diagne, est de dénoncer «l’inimaginable légèreté de certains généraux» et, répondant à une assemblée impatiente de connaître le grand coupable, il lâche : «le Général Mangin, puisqu’il faut le nommer».
le général Mangin, un "chef de guerre"
Mangin est alors au sommet de son impopularité. Mais pour le comprendre, il est nécessaire de remonter en arrière.
On sait comment le nom de Mangin avait été associé à celui de Nivelle depuis la bataille de Verdun, au point qu’on put parler à leur propos dans les milieux militaires d’une «l’école de Verdun», visant par là une conception d’une bataille de rupture combinant des assauts offensifs avec un puissant appui d’artillerie. Cette conception correspondait bien au tempérament de Mangin. Il l’avait déjà démontré et avait toujours suscité à la fois admiration et méfiance.
tirailleurs sénégalais et leurs femmes partant pour le Maroc
tirailleurs sénégalais contournant les remparts de Salé au Maroc
Après Fachoda, ses actions audacieuses au Maroc, la prise de Marrakech en 1912 et la soumission du Moyen-Atlas en 1913 l’avaient consacré comme chef de guerre. Elles l’avaient également consacré comme une forte tête, mal vu par l’État-major en métropole et par Lyautey au Maroc qui juge utile d’avertir Paris dès 1912 «de ne surtout pas lui donner la sensation qu’il est indispensable, sinon il devient intenable» (7).
La Force Noire, lieutenant-colonel Mangin, 1911
Le fait est que le général exaspère et que sa campagne pour la création d’une Force noire qu’il poursuit depuis 1910 n’a rien retranché à sa réputation d’ambitieux et de gêneur. Ce projet avait été fraîchement accueilli en France. Il avait eu tout de même deux résultats tangibles ; il avait enraciné le mythe de l’Afrique «terre à soldats» et consolidé le réseau d’influence de Mangin dans les milieux qu’on peut qualifier de «nationaux-expansionnistes» (8).
Quand éclate la guerre, il est rappelé et obtient le commandement d’une brigade d’active puis il reçoit celui de la 5e division d’infanterie, qu’il garde jusqu’en mai 1916. Il continue aussi de manifester ce goût prononcé du panache qui avait déjà exaspéré certains de ses pairs avant la guerre. Il démontre encore plus ses capacités de meneur d’hommes (9).
le général Mangin et son ordonnance Baba Coulibaly, Le Miroir, 28 septembre 1916
En fait, son grand moment arrive en 1916 lorsque sa division rejoint Verdun et qu’il passe sous les ordres de Nivelle. Leur relation est immédiatement bonne et c’est ensemble qu’ils conçoivent les deux offensives pour la reprise du fort de Douaumont, la première qui échoue en mai, la seconde qui réussit, le 24 octobre. Or, lors de cette seconde attaque, les deux bataillons de Tirailleurs sénégalais utilisés, ont démontré une valeur combative exceptionnelle et une ardeur que se plut à souligner Mangin :
«Hier les Sénégalais ont traversé Verdun ; ils brandissaient leur coupe-coupe en criant “Douaumont ! Douaumont !”. Je ne suis pas très certain qu’ils comprenaient, mais pour eux, Douaumont, ce sera la dernière tranchée qu’on leur permettra de prendre (avant d’aller à Fréjus) et, après tout ils ont raison» (10).
tirailleurs sénégalais au repos à Fréjus
Lorsque l’offensive de 1917 est mise au point par Nivelle, la valeur des soldats noirs n’est plus discutée, d’autant plus qu’ils l’ont aussi démontrée sur la Somme. En 1917, Mangin est cette fois au cœur du dispositif de Nivelle, à la tête de la VIe Armée. Il réclame «ses» Sénégalais dont il escomptait la puissance de choc et il est écouté au GQG où certains cherchent à tout prix à récupérer des hommes et, des Noirs pourquoi pas afin «d’économiser du sang blanc» comme on l’évoqua alors (11).
Quelles que soient les intentions, qui présidèrent à l’envoi des Noirs au Chemin des Dames, pour la première fois, un nombre considérable de «Sénégalais» y furent envoyés en mars 1918 ; ils furent regroupés en régiments de marche et placés au coeur du dispositif d’attaque de la VIe Armée.
Après les tergiversations qui présidèrent au rassemblement de ces hommes entre janvier et mars, vingt-et-un bataillons noirs furent affectés au 1er et au 2e Corps d'Armée Colonial (CAC) (12). Ils ne furent pas employés par la suite de la même manière, certains regroupés en régiments homogènes (le 57e et le 59e cités par Diagne dans son réquisitoire), d’autres «panachés» dans des régiments mixtes (le 57e également cité par Diagne) ou encore dans des brigades mixtes.
Le député du Sénégal était très bien renseigné. Il est vrai que rarement au cours de la guerre, les opérations furent plus suivies par nombre d’observateurs de tout genre, comme le démontrèrent les controverses postérieures entre Mangin et Painlevé (13).
tirailleurs sénégalais passés en revue
Effectivement, parlementaires, journalistes, curieux voulurent «voir sur place»… des deux côtés d’ailleurs, français et allemand. Ainsi, est-il consigné dans un JMO de BTS, «deux dames furent même aperçues en compagnie de quelques soldats allemands et des observateurs dans les arbres» (14). Diagne fit même état d’informations directes d’officiers et de la communication de rapports militaires qu’il cite abondamment au cours de son interpellation afin de montrer les pertes exceptionnellement élevées des unités noires.
Au total, pour Diagne, les choses sont claires : tout ce qui est arrivé est de la «faute à Mangin». Il en surestime d’ailleurs l’influence car, affirme-il, «il faisait du général Nivelle, ce qu’il voulait». Sans doute mélange-t-il ici tactique et stratégie, mais il est exact que Mangin obtint d’employer le maximum de soldats noirs contre les réticences de la Direction des Troupes coloniales et de Lyautey, alors ministre de la Guerre. Arrivés au front dans des conditions déplorables de transport et d’installation, ces hommes déjà décimés par le froid, abordèrent l’offensive dans un état physique déplorable avec des instructions de combat déraisonnables.
Pourtant, ce que dénonce Diagne, ce ne sont pas tellement les pertes des troupes noires que les conditions d’emploi qui rendirent inévitable leur énormité, entre autres, l’envoi prématuré au front et l’absence de «précautions» du haut-commandement, contraire à la dignité même de ces combattants :
«Nous avons des raisons de combattre, mais nous demandons à combattre dans des conditions humaines rationnelles ; nous demandons que celui qui a un fusil à la main n’ait pas l’impression qu’il est un peu du bétail».
Le Rire, samedi 17 février 1917, avec deux formules :
"le général Mangin et ses exécutants" et "Musique de guerre : un Noir vaut deux Boches"
Et, ajoute-t-il plus loin, pour être complètement explicite : «J’ai le droit de dire au Gouvernement, pour celui qui l’a précédé, c’est chaque fois un crime contre la défense nationale de traiter ainsi les hommes qui viennent ici, n’ayant rien d’autre à défendre que la liberté que vous devez demain leur donner d’une façon complète…»
Après une telle déclaration de patriotisme, il est évidemment applaudi par ses pairs, surtout à gauche, et termine son intervention par un grand effet d’éloquence en renouvelant ses accusations contre Mangin :
«La seule personne que je voie, je suis obligé de la voir, c’est le général Mangin ; c’est lui qui a semé l’idée de ces légions de millions d’hommes noirs. Cette idée-là procède de celle même que M. Dalbiez formulait, à savoir qu’on a encore la prétention que du matériel humain peut résister au canon et à la mitraille. Eh bien ! non, même pas des nègres.»
Ce qu’on retiendra est un réquisitoire véhément contre le général Mangin.
les chiffres de victimes parmi la Force Noire
Reste que les pertes des troupes noires en 1917 ont bien fourni la matière essentielle de l’argumentaire de Diagne. Mais avant de tenter d’en évaluer la validité, quelques réflexions méthodologiques sont nécessaires en préalable.
Dans un article fondamental, Antoine Prost a déjà montré toute la difficulté d’une appréciation indiscutable des pertes françaises de la Grande Guerre et a souligné que la France de l’entre-deux-guerrres «n’a pas cherché à savoir le coût humain de la guerre» (15). A fortiori, sans doute, en ce qui concerne les troupes «coloniales».
tirailleurs sénégalais à Furnes en Belgique
Les réserves concernant l’évaluation des pertes françaises dans leur ensemble sont encore plus fortes en ce qui concerne l’évaluation des pertes «indigènes», des troupes noires en particulier (16).
La première et de loin la plus importante est que les états d’effectifs établis régulièrement par le commandement ne classaient pas les hommes selon leurs origines géographiques ou leur couleur de peau, mais par grades : officiers, sous-officiers, hommes de troupe. L’établissement de statistiques fut aléatoire, parcellaire et très tardif.
Ce n’est qu’au lendemain de l’Armistice que le Ministère de la Guerre demanda aux commandants d’Armées d’établir des états permettant de les identifier car, estima-t-on alors, «il serait utile de pouvoir séparer les indigènes coloniaux et ceux de l’Afrique du Nord du reste du contingent».
Jusqu’alors les états d’effectifs ne les comptaient pas à part et les états qui furent dressés à l’issue des grandes actions ne permettent que des appréciations ponctuelles. Or, même au niveau des bataillons, ces derniers comprenaient au moins 10% des Blancs dans leurs rangs, officiers, sous-officiers, mais aussi soldats. Si l’on ajoute que les hospitalisations, les décès à l’Arrière ou dans les formations sanitaires ne furent pas enregistrés de façon systématique, on constatera qu’il est très difficile de donner des chiffres sûrs.
Il n’existe pourtant pas d’autres sources que les évaluations de l’Armée. La première estimation que nous avons trouvée date du 20 novembre 1917 (17). Elle n’est ni suffisante, ni bien sûr satisfaisante ; la moitié des morts recensés à cette date le furent sous la rubrique «morts divers» à l’arrière. Un an plus tard, les travaux du 1er Bureau qui servirent à l’élaboration du rapport Marin ne sont guère plus satisfaisants et se contentèrent d’évaluations globales et approximatives des pertes des «troupes indigènes».
proppsiition de résolution à la Chambre des députés
sur le bilan des pertes des nations belligérantes,
par Louis Marin, 20 mars 1920
Il faut attendre 1919 pour qu’une étude plus précise de la Direction des Troupes coloniales permette des appréciations plus détaillées. Ce sont ces dernières et celles du rapport Marin qui ont fourni la base d’un rapport complémentaire présenté à la Chambre par le député Henri des Lyons de Feuchin, en mars 1924 (18).
Rapproché des rapports précédents et des documents de diverses sources, il permet d’établir un bilan relativement fiable et de comparer avec les autres contingents métropolitains et coloniaux. La plus grande incertitude dans les bilans porte sur les «disparus». Certains d’entre eux ont été récupérés par les ambulances, d’autres sont décédés par la suite et comptabilisés tantôt parmi les «vrais» disparus, tantôt parmi les morts… dans le désordre qui a parfois suivi les offensives.
Si l’on descend jusqu’au niveau des JMO en 1917, on ne peut que corroborer les affirmations de Diagne. Elles s’expliquent par un faisceau de raisons. Les soldats noirs de 1917 furent souvent de jeunes soldats recrutés en 1916, «instruits» superficiellement dans les camps de Saint-Raphaël et de Fréjus avant d’arriver sur le front dans la seconde quinzaine de mars où, comme le souligna justement Diagne, ils endurèrent de conditions météorologiques épouvantables.
Complètement désemparés dès que leurs cadres furent mis hors de combat aux premiers moments de l’offensive, ils perdirent leur capacité de réactions, créant parfois des paniques au cours de leur reflux vers les lignes arrière comme le souligna d’ailleurs Painlevé en 1919 dans son fameux mémoire intitulé la Vérité sur l’offensive du 16 avril 1917. En effet, il y évoqua les «désordres» qui avaient suivi l’échec de l’offensive du 16 avril et affirma que «l’emploi des Sénégalais avait donné lieu à de gros mécomptes (19)».
Comment finit la guerre, général Mangin, 1920
Euphémisme, car, ainsi que le constate en 1917 un rédacteur de JMO, non seulement «le froid les engourdit et les rend inaptes au combat», mais les évacuations (gelures des pieds, affections pulmonaires aiguës) se comptèrent par milliers. Dans ces conditions, il est incontestable que les pertes des troupes noires (morts, blessés, disparus, prisonniers) furent particulièrement élevées. Pour autant, qu’on puisse les évaluer à partir des données des JMO, elles représentèrent la plupart entre un quart et un tiers des effectifs engagés dans chaque bataillon, dans les deux seules journées du 16 et du 17 avril.
Si l’on tente, maintenant une comparaison avec les autres moments de la Grande Guerre, on constatera, que les pertes des Noirs furent toujours très lourdes, ce qui incita d’ailleurs le commandement à une certaine prudence dans leur emploi. Plus que sur leur emploi massif, on paraît avoir compté surtout sur la peur qu’elles pouvaient inspirer à l’ennemi (20).
Kladderadatsch, journal satirique allemand, 23 juillet 1916 ;
"la civilisation de l'Europe" (source)
Sur la Somme déjà en 1916, déjà, les BTS engagés dans les secteurs de Barleux et de Biaches au sein du 2e Corps d'Armée Colonial (CAC), devant Péronne, subissent des pertes de 20 à 30% des effectifs, 50% pour le 71e BTS par exemple, dans les terribles journées du 1er et au 5 juillet ; ils continuèrent à en enregistrer jusqu’en septembre et leur envoi dans les camps d’hivernage. L’exemple le plus effroyable est peut-être celui, du 61e BTS, le bataillon qui fut justement l’acteur de la seule «mutinerie» de tirailleurs sénégalais pendant la Grande Guerre, en août 1917.
Un an plus tôt, au soir de l’attaque, du 9 juillet, il a perdu les deux-tiers de ses hommes au cours de la tentative pour prendre la position dite de la Maisonnette, au sud de Biaches : 28 morts, 243 blessés, 332 disparus…. «Ces chiffres parlent d’eux-mêmes», commenta le rédacteur du JMO (21). Aussi, l’interminable bataille de la Somme laissa-t-elle un souvenir terrible dans la mémoire des survivants tant les combats furent acharnés.
tirailleurs sénégalais au départ
L’année 1918 est associée à la défense de Reims (22). Une vingtaine de bataillons y participèrent ; les pertes repérées de quatorze d’entre eux en mai et juin 1918 sont si inégales qu’on ne saurait en tirer de conclusion générale. Si elles furent moins importantes qu’en 1917, l’effectif de soldats noirs fut aussi inférieur (environ 12.000 en 1918, 15.000 en 1917) ; par conséquent la proportion par rapport aux effectifs engagés ne fut pas nécessairement différente. Elles semblent aussi avoir été légèrement supérieures à celles des Blancs, surtout parmi les blessés, intoxiqués et disparus, une fois de plus, mais la différence est peu significative.
Bien entendu, il faut tenir compte également des pertes au cours des offensives françaises ultérieures, en particulier celle de la 10e Armée sous les ordres de Mangin, revenu en grâce, en juillet puis de la «Marche à la Victoire» et, surtout, des opérations dans les Balkans. Au total, néanmoins, rien ne permet de contredire vraiment les évaluations données par Lyons de Feuchin après la guerre, seulement d’établir une fourchette variant de 29.000 à 31.000 morts, sans pouvoir réellement établir le nombre des hommes mis «hors de combat»...
Enfin, si une comparaison doit être s’effectuée, elle doit l’être avec les fantassins de l’Armée métropolitaine et non avec l’ensemble des pertes l’Armée française qui furent très variables (23). La paysannerie française, principale pourvoyeuse de l’infanterie, paya du même prix le désastre de la guerre : un homme sur cinq. Ajoutons, que l’effroyable décompte des pertes devrait tenir compte enfin du fait qu’une partie considérable (1/3 ?) d’entre elles, se produisirent à l’Arrière où les tirailleurs furent décimés par les maladies pulmonaires (24).
Au total, la question ne peut être véritablement tranchée. Il est possible cependant de soutenir quelques propositions.
1. Elles n’ont pas été globalement plus élevées que celles des fantassins métropolitains.
2. L’année 1917, et tout spécialement les journées du 16-17 avril, a été effectivement très meurtrière.
3. Diagne eut raison de souligner la responsabilité de Mangin. Mais il n’a pas du tout contesté la légitimité de l’Appel à l’Afrique.
4. Enfin, Mangin, déjà en position d’accusé en 1916, en a gardé une image particulièrement négative. Après la guerre, cette image s’ancra définitivement, comme un des piliers d’un argumentaire antimilitariste, plus encore qu’anticolonialiste.
groupe de sénégalais en 1914-1918
l'après-Mangin
Le 12 mai 1925, le général Mangin s’éteignait après trois jours de souffrance, diagnostiqués en une «crise d’urémie foudroyante et une appendicite aiguë» (25). Immédiatement, les spéculations les plus extravagantes coururent sur cette mort suspecte. Certains parlaient à mots couverts d’assassinat… d’autres, évoquaient les «revanchards allemands».
En Allemagne, on pouvait lui reprocher beaucoup de choses. En France, également. L’homme est classé à droite, et même à l’extrême-droite ; il était très encombrant (26). Clemenceau l’avait abandonné en 1919 en le promouvant au Conseil supérieur de la Guerre. Il y siégea jusqu’en 1922, en même temps qu’il présida une Commission interministérielle sur l’Armée indigène. Il en avait profité pour développer de nouvelles théories sur la prochaine guerre ; mais il supposait aussi une supériorité numérique d’une France où il y aurait «sous les armes à peu près autant de Français de couleur que de Français blancs» (27).
À l’époque, le différend avec Diagne semble dépassé. Celui-ci est passé complètement du côté gouvernemental. Choisi par Clemenceau, en 1917, pour devenir commissaire de la République en AOF, il est devenu un personnage considérable. Après sa réélection triomphale en 1919 au Sénégal, il occupe les fonctions de commissaire général aux effectifs coloniaux. À la Chambre, il soutient l’instauration du service militaire obligatoire en Afrique noire car il considère l’Armée comme l’école de la République et un gage d’obtention de la citoyenneté.
Beaucoup y verront l’amorce d’une trahison scellée lors des élections de 1924 où Diagne fut accusé d’avoir fait alliance avec les maisons de commerce et l’Administration. Quant à ses relations avec Mangin, il est peu probable que les deux hommes s’apprécièrent, encore moins se fréquentèrent…
Cependant, moins de choses qu’auparavant les séparent, d’autant plus que le général accompagnait maintenant son discours colonial d’un programme teinté de progressisme ; il soutenait la promotion des «indigènes» aux grades supérieurs. Désormais, «on ne peut pas traiter les races indigènes comme des races irrémédiablement inférieures» affirmait-il dans un programme de réformes qu’il n’aurait sûrement pas envisagé avant la guerre (28).
En fait, Mangin avait contre lui deux catégories d’adversaires. D’abord, le personnel politique du Cartel mis en place par les élections de 1924, Painlevé, en tête. La gauche radicale, victorieuse en 1924, le soupçonne de vouloir «jouer les Boulanger». En fait, Mangin s’est fait des ennemis dans toute la classe politique. Comme il avait paru véritablement incontrôlable, on l’avait même envoyé représenter la France dans une grande mission de prestige… en Amérique du Sud ! Il y avait été d’ailleurs accueilli en héros. [référence]
le général Mangin en Argentine, au printemps 1921
En fait, la «question Mangin» n’est qu’un épiphénomène de la controverse sur l’offensive ratée de Nivelle d’avril 1917. Les controverses s’éloignaient ; mais elles demeuraient cependant. Au lendemain de la guerre, Painlevé se défend encore d’avoir voulu démissionner le chef de la VIe Armée, affirmant que Nivelle lui avait même demandé l’éloignement de son subordonné en le nommant gouverneur général de l’AOF (29).
Le fait est invérifiable ; en tout cas, le «clan Mangin» n’a pas oublié et sa rancœur se traduit encore aux obsèques quand la veuve du général, conformément à la volonté de ce dernier, refuse la médaille militaire décernée par le gouvernement présidé alors par le même Painlevé. Cette rancœur est d’ailleurs tellement forte qu’elle fait savoir au gouvernement qu’elle s’abstiendra d’assister aux obsèques de son mari, si le président du Conseil y préside (30) ! La presse de droite interprète alors l’abstention gouvernementale comme un camouflet infligé à un héros, une preuve de «la séparation de la République et de l’Armée» (31).
Les adversaires les plus déterminés de Mangin se trouvent cependant à l’extrême-gauche, au Parti Communiste français. En effet, L’Humanité se déchaîne à l’occasion des obsèques de Mangin. Il n’est pas de mots pour le qualifier de «grand tueur d’hommes», de «boucher décoré», de «soudard africain», «d’âme féroce» et, bien sûr, de «broyeur des Noirs»…
Des caricatures outrées le désignent à la vindicte ouvrière en tablier de boucher ou en baudruche galonné au masque impitoyable ; il est vrai que physique et le visage de Mangin s’y prêtaient bien… (32). On rappelle à cette occasion, ses «exploits» au Maroc avant la guerre. En juillet, lorsque la municipalité de Paris vote une subvention à la veuve du général pour l’éducation de ses enfants, le représentant du PCF au conseil s’indigne contre «les hommes dont se servirent Mangin et les autres généraux en Rhénanie ; il cite patrons de maisons closes, repris de justice, condamnés pour vols, brigandage, coups et blessures»…
Le contexte de la guerre du Rif favorise évidemment cette campagne de dénonciation. Quand, en avril, isolé et désavoué, Lyautey a quitté le Maroc, le PCF a pris parti violemment contre lui. Un «comité d’action contre la guerre» créée en 1924, sous la direction de Jacques Doriot et de Pierre Sémard, prépare une grande journée d’action, une grève générale prévue en octobre 1925. En attendant ce grand jour, la mort de Mangin est l’occasion de dénoncer les militaristes et les impérialistes dont il est devenu un symbole.
En fait, la campagne correspond à la ligne du parti suivie depuis sa création. En 1920, une des fameuses vingt-et-une conditions, la huitième, avait spécifié aux futurs partis communistes dans le monde, et en particulier en France, la nécessité de «dévoiler impitoyablement les “prouesses” de ses impérialistes aux colonies».
Emboitant le pas, le PCF avait désigné Mangin à la vindicte révolutionnaire, dès son congrès de 1921, à Marseille. Mais, remarquons-le, ce n’est pas vraiment l’exploitation de la «chair à canon» qui fut dénoncée ; c’est le danger que ferait peser sur la classe ouvrière la constitution d’une telle force entre les mains des militaristes et au service du Capital.
«Le militarisme français se vante par la bouche de Mangin de disposer de 400.000 soldats indigènes ; à la vérité, et par des procédés susvisés, il peut lever 1 ou 2 millions d’Africains et d’Asiatiques. Il espère ainsi des victimes plus dociles que les ouvriers et les paysans français, et aussi se servir des contingents coloniaux comme instrument aveugles pour opprimer et écraser le prolétariat d’Europe». [source seconde]
le Bulletin Communiste, 14 février 1922, Thèses adoptées par le 1er Congrès du PCF ;
dans celle sur les Colonies, le général Mangin est mis en cause
la mise en cause de Mangin qui pourrait "écraser le prolétariat d'Europe"
L’argumentation était fort ancienne, déjà développée avant la guerre. Simplement, la crise marocaine fournissait au PCF l’occasion d’une récupération qui laissait de côté les socialistes embarrassés. L’argument était simple : les troupes coloniales en général, la Force noire, en particulier, n’étaient que des instruments utilisés contre les peuples au Maroc comme en Europe. Replacés dans la fièvre politique du moment et dans la rhétorique révolutionnaire, ces outrances ne surprennent pas. Elles illustrent les ambigüités fondamentales de la question de l’Armée noire.
une "légende Mangin" relayée par Blaise Diagne
En 1920, Mangin écrivit : «il faut avoir une grande habitude de la bataille pour ne pas se laisser impressionner par la nuée de blessés qui refluent sur les arrières de toute grande attaque à la fin de la première journée»… Nul doute qu’il avait en tête que, le 16 avril 1917, l’emploi des tirailleurs sénégalais lui valut sa légende «mensongère» à ses yeux. Il est probable, cependant, que cette «légende» n’aurait pas eue l’écho qu’elle a reçu si elle n’avait pas été relayée par Blaise Diagne, et surtout si elle n’avait pas été amplifiée plus tard par l’extrême-gauche pour dénoncer le militarisme au service du capitalisme.
Les soldats noirs n’ont peut-être pas constitué la chair à canon sacrifiée à l’avance dont parlait Diagne, et qu’en définitive leurs pertes globales ne furent pas plus élevées que celles des autres troupes.
Si l’on se place du point de vue africain, toutefois, il est évident que la conviction d’avoir servi de chair à canon devait être partagée par beaucoup d’Africains, et peut-être encore plus aujourd’hui qu’hier (33), et bien que le témoignage de Bakary Diallo puisse inviter à nuancer (34).
Force-Bonté, de Bakary Diallo, 1926 et France et Monde, octobre-novembre 1926
Mais là n’était pas le problème à l’issue de la Grande Guerre. Lorsque celle-ci s’achève, Diagne et ses partisans ne dénoncent pas du tout l’Appel à l’Afrique ni l’emploi des soldats noirs en Europe ; au contraire, ce qu’ils veulent, à leur manière, c’est ouvrir une brèche dans «la forteresse coloniale» pour employer l’expression de Daniel Rivet, s’en servir comme d’un levier en vue d’obtenir les droits d’une véritable citoyenneté.
Il n’en reste pas moins que la Grande Guerre ancra profondément la légende en y ajoutant des dimensions morale et théorique qui ne paraissent pas avoir existé au début.
En effet, une trentaine d’années plus tard une des plus grandes autorités intellectuelles de l’après-Seconde Guerre mondiale, Hannah Arendt, la reprit à son compte en dénonçant dans la Force Noire «une forme économique de chair à canon produite selon les méthodes de fabrication en série» (35).
Hannah Arendt empruntait son raisonnement à un article de presse d’un journaliste britannique du Manchester Guardian, nommé W.P. Crozier, article paru le 21 janvier 1924 dans le périodique New Republic. Elle ajoutait que lors de la Conférence de la Paix, en 1918 (sic !), Clemenceau aurait obtenu «le droit illimité à lever des troupes noires». Elle attestait ainsi la précocité et la diffusion de la légende de la chair à canon au-delà de l’hexagone. Elle montrait aussi involontairement comment une légende peut s’enraciner. Mais, ceci est un autre débat.
Marc MICHEL
communication au colloque international
"Les troupes coloniales et la Grande Guerre"
Reims, 7 et 8 novembre 2013 - programme
Baba Coulibaly, ordonnance du général Mangin, octobre 1914
(source : Archives départementales du Cantal)
Baba Coulibaly, ordonnance, ou "escorte", du général Mangin, 1915
(source : Archives départementales du Cantal)
1 - Christian FOUCHET, Les Lauriers sont fleuris, Paris, Plon, 1973, p. 185. Peut-être apocryphe car le capitaine de Gaulle fut fait prisonnier à Verdun le 2 mars 1916, donc avant l’arrivée de Mangin dans le secteur.
2 - Sur Nivelle, cf. le «livre-réhabilitation» de Denis ROLLAND, Nivelle, l’inconnu du Chemin des Dames, Imago, 2012.
3 - G. Wesley JOHNSON, Naissance du Sénégal contemporain, Aux origines de la vie politique moderne (1900-1920), Karthala, 1991.
4 - Cf. Le documentaire de Serge SIMON, Une pensée du Courneau, Le mystère du camp des nègres, Grand Angle Productions, (2011).
5 - Ce journal presque inconnu avant la guerre, tirait à 64.000 exemplaires en 1917 (cf. Benjamin GILLES, Lectures de Poilus, 2013, p. 308).
6 - Les Tirailleurs conservèrent leur cohérence de base en bataillons, mais furent associés (amatelotés) à des unités blanches pour constituer des régiments de marche en avril 1917.
7 - LYAUTEY Albert-Louis, Lyautey l’Africain, Textes et Lettres…, cité par Louis-Eugène MANGIN, Le général Mangin, 1866-1925, préface de Jean-Baptiste Duroselle, Ed. Lanore-Sorlot, 1986, p. 130. Cette biographie de Mangin, par un de ses fils, reste la meilleure biographie disponible sur Mangin. Il ne cache pas l’hostilité de Lyautey à l’égard de ce subordonné trop remuant et «dangereux»…
8 - Réseau plus que milieu d’officiers coloniaux (les «Soudanais» d’Archinard), des politiques (Gabriel Hanotaux), des journalistes, constitué à la fin du XIXe siècle.
9 - Son fils rapporte, à cet égard, un épisode, qu’a raconté également, Roland Dorgelès dans Les Croix de Bois, à l’occasion de la bataille de Vimy, après la prise du village de Neuville-Saint-Waast, en juin 1915 : «Le général s’est levé sur ses étriers et, d’un grand geste de théâtre, d’un beau geste de son épée nue, il NOUS (souligné par l’auteur) salua… Le régiment, soudain, ne fut plus qu’un être unique. Une seule fierté : être ceux qu’on salue ! Fiers de notre boue, fiers de notre peine, fiers de nos morts.»
10 - MANGIN Charles, Lettres de Guerre, Fayard, 1950, p. 149.
11 - Dans son travail sur Nivelle, Denis Rolland nous reproche d’avoir attribué à Nivelle la rédaction de la note en question, alors qu’elle aurait été signée par le colonel Renouard, homme fort du GQG. Dont acte… La note était tout de même suffisamment provocatrice pour qu’elle fût rayée.
12 - L’appel à l’Afrique,…1982, p. 311 sq. Trois autres bataillons combattants rejoignirent aussi le front, mais ne furent pas sous les ordres de Mangin.
13 - Cf. Paul PAINLEVE, La vérité sur l’Offensive du 16 avril 1917, Presses de la Renaissance, décembre 1919 et Charles MANGIN, Comment finit la guerre, Revue des Deux Mondes et Plon, 1920.
14 - JMO du 69e BTS au 17 avril 1917.
15 - Antoine PROST, «Compter les vivants et les morts, l’évaluation des pertes françaises de 1914-1918», Le Mouvement social, 2008/1 (n° 222).
16 - Nous nous permettons sur ce sujet de renvoyer à notre thèse L‘appel à l’Afrique…, 1982, op. cit., p. 405 sq. dont nous reprendrons ici l’essentiel des conclusions. La question a été reprise par l’historien américain Joe Lun, Memoirs of the Maelstrom, A Senegalese Oral History of the First World War, Heinemann, James Currey, David Phîlip ed., 1999, dont nous ne partageons pas toutes les conclusions.
17 - «Dépôt commun des régiments mixtes et de Sénégalais. État numérique des pertes des sénégalaises parvenues au dépôt pendant le mois de novembre 1917» (SHAT, 7 N 2121).
18 - Rapport fait au nom de la Commission de l’Armée chargée d’examiner la proposition de résolution de M. Louis Marin sur le bilan des pertes en morts et en blessés faites au cours de la guerre par les nations belligérantes», Chambre des députés, annexes à la séance du 18 mars 1924, rapport du baron Lyons de Feuchin.
19 - Paul PAINLEVE, La Vérité sur l’offensive du 16 avril 1917, N° spécial de la Renaissance, 1919 ; on sait comment Mangin, qui attribuait son limogeage à Painlevé, y répondit par Comment finit la guerre.
20 - Peur que pouvaient partager d’ailleurs les fantassins français… Barbusse en fait état dans un passage fameux du Feu mélangeant d’ailleurs les Bicots et les tirailleurs…
21 - 29 N 871, JMI du 61e BTS.
22 - L‘appel…, op. cit., p. 327-328.
23 - Les tableaux des pertes des troupes «françaises» et les pertes «sénégalaises» par année de guerre, établis par l’historien américain Joe Lunn (pp. 143-144) à partir du rapport Marin nous paraît d’autant plus discutable que celui-ci ne fait pas de distinction entre les différentes formations, infanterie, artillerie, génie, train, aviation, etc…
24 - En particulier dans le camp du Courneau où reposent encore 942 tirailleurs, sous un tertre dédié à leur mémoire. (Cf. Le documentaire de Serge Simon, Une pensée du Courneau…).
25 - Louis-Eugène MANGIN, op. cit., p.291.
26 - Le fait d’avoir été le gendre du gendre de Godefroy Cavaignac, antidreyfusard notoire, par son mariage en 1905, ne fut certainement pas étranger à la méfiance des Républicains à son égard.
27 -Charles MANGIN, Comment finit la guerre…, op. cit.
28 - Ibid, p. 798 sq (Mangin souhaite développer la collaboration des indigènes par la consultation de leurs représentants «naturels», le développement d’assemblées locales, l’institution ultérieure de Parlements par colonies, la création d’Écoles normales d’instituteurs, de médecins, de sages-femmes etc…). Au sein de la Commission interministérielle des Troupes indigènes, il s’opposa ouvertement aux représentants de l’Afrique du Nord très hostiles à la formation de cadres indigènes.
29 - Paul PAINLEVE, La vérité sur l’offensive du 16 avril 1917… op. cit. , p. 74.
30 - Louis-Eugène MANGIN, op. cit., p. 293.
31 - Le Temps, 17 mai 1925, Revue de presse.
32 - L’Humanité, 13 mai, 16 mai, 26 mai, 16 juillet 1925.
33 - En témoignent les réactions du public aux deux Rencontres Images et Histoire, organisées à Brazzaville en novembre 2012 et novembre 2013 par Louis Estienne, conseiller pédagogique et professeur au Lycée Saint-Exupéry de Brazzaville, sous l’égide de l’Agence pour l’Enseignement français à l’Étranger.
34 - Bakary DIALLO, Force-Bonté, 1e éd. Préfacée par Jean-Richard Bloch, Paris, Rieder, 1926, 2e éd., NEA-ACCT, Dakar, 1985, préface du doyen Mahamadou Kane.
35 - Hannah ARENDT, Les origines du totalitarisme, Paris, Gallimard, 2002, p. 376.
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arrivée de tirailleurs sénégalais à Marseille, 14 juillet 1913
"adjudants : Martineau, Mamaditararoie, Barkeldiallo"
tirailleurs sénégalais ou marocains ?
passage de "tirailleurs sénégalais" à Amiens, 1914 (?)
passage de" tirailleurs marocains" à Amiens, 1914 (?)
"le passage de l'armée d'Afrique" à Amiens, 1914 (?)
configuration actuelle du lieu de passage des tirailleurs à Amiens
(identification : Archives municipales d'Amiens)
- commentaire : il est fort probable que la première carte postale légendée "tirailleurs sénégalais" le soit par négligence ou par erreur et que les soldats en question soient plutôt - comme légendé sur la seconde carte - des tirailleurs marocains ; leurs tenues, leurs coiffures, leurs visages plaident en faveur de cette identification.
Quant à la troisième légende, elle reste vague en intitulant l'image : "Le passage de l'armée d'Afrique" (l'endroit n'est pas exactement le même... mais les personnages sont identiques).
Michel Renard
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