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études-coloniales
17 juillet 2006

La colonisation française redéfinie à partir de l'histoire de l'Amérique française

Champlain_embarcation
Samuel Champlain dans la Georgian Bay (lac Huron) vers 1615,
par J. D. Kelly (1875)

 

La colonisation française redéfinie

à partir de

l'histoire de l'Amérique française

 

180px_Samuel_de_champlain_s
Samuel Champlain (1567-1635)
fondateur de Québec, père de la Nouvelle France

 

un processus de colonisation

ne s'accompagne pas, par définition,

de la soumission des peuples autochtones

Gilles HAVARD et Cécile VIDAL

 

Il est possible, à condition de refuser la seule perspective métropolitaine, d'écrire une autre histoire de l'Amérique française. Cet ouvrage, qui se veut à la fois synthétique et "global", s'efforce ainsi de réconcilier les deux tendances majeures de l'histoire coloniale : l'histoire diplomatique, militaire et économique, présentée traditionnellement selon le point de vue européen, et l'histoire socioculturelle attachée à l'étude des populations allochtones et autochtones du Nouveau Monde. Dans la même optique, nous nous interrogeons sur le rôle de tous les acteurs de la scène coloniale : l'État, l'Église, les compagnies, les colons d'origine européenne, ainsi que les Amérindiens et les Africains, libres ou esclaves.

 photo064
Georgian Bay aujourd'hui

Ces interrogations permettent de redéfinir les concepts souvent galvaudés de colonisation et d'impérialisme. L'importance du peuplement allochtone, comme le signalent les dictionnaires des XVIIe et XVIIIe siècles, constitue évidemment un critère majeur pour jauger une entreprise coloniale, mais des formes de colonisation peuvent s'établir alors même que l'immigration européenne se révèle dérisoire. Il convient également de dire qu'un processus de colonisation ne s'accompagne pas par définition de la soumission des peuples autochtones (assujettissement, déculturation, etc.), ni de la domination, en tous lieux et à toute période, des colons (lesquels sont soumis, pour le moins, à des formes d'adaptation au nouveau territoire et à leurs habitants) ; ce processus n'a pas non plus nécessairement pour conséquence la confrontation entre autochtones et allochtones.

Le cas de l'Empire français est ici éclairant. La colonisation, en effet, y a pris la forme d'une alliance interculturelle entre Français et Amérindiens, placés dans une situation d'interdépendance ; de la même façon, dans la société louisianaise, les esclaves d'origine africaine n'étaient pas totalement impuissants et ont réussi à préserver une autonomie économique et culturelle relative.
Si nous parlons "d'Empire" à propos de la Nouvelle-France, c'est bien parce que l'espace concerné, d'une manière ou d'une autre, subit l'impérialisme français. On ne saurait définir nécessairement un "empire" comme un territoire placé sous le joug d'une autorité politique. Il s'agit avant tout d'un espace dont l'unité, si relative soit-elle, est dictée par l'action d'un "centre" impérial, en l'occurrence la monarchie française, et de tous les acteurs qui agissent plus ou moins en son nom. Que les peuples qui l'habitent – régnicoles français, autochtones, esclaves, etc. - le veuillent ou non, et qu'ils en aient conscience ou non, cet espace est soumis objectivement à une entreprise de domination et d'unification.

carte_Nouvelle_France
la Nouvelle France au XVIIe siècle

L'Empire français en Amérique du Nord n'existait pas, au sens strict, comme espace de souveraineté unifiée, mais en tant que s'exerçaient en son sein des formes de pouvoir qu'il avait suscitées. Loin d'être une entité juridique reconnue comme telle par toutes ses composantes, il constituait plutôt une unité territoriale et sociale qui s'élaborait tant localement, à travers l'interaction des peuples et des individus, que par l'entremise des directives coloniales venues de Versailles. La Nouvelle-France, dans ses marges n'était qu'une zone d'influence française et, de façon générale, tous les groupes ethniques présents au sein de l'Empire ont joué un rôle actif dans le processus de colonisation et dans la construction de sociétés nouvelles.

Gilles Havard et Cécile Vidal, Histoire de l'Amérique française, Flammarion, 2003 ;
éd. Champs-Flammarion, 2006, p. 18-20.

 

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- auteurs : Gilles Havard est l'auteur de Empire et métissages, Indiens et Français dans le Pays d'En-Haut (1660-1715), Septentrion-Presses universitaires de Paris-Sorbonne, 2003. Spécialiste de la Louisiane, Cécile Vidal est maître de conférences à l'université de Grenoble.

284050281X


 

 

Le pays d'en Haut, sis au cœur de l'Amérique du Nord, sur les rives des Grands Lacs et du Mississippi, est né de l'imbrication de deux "sociétés" : quelques centaines de Français d'un côté (coureurs des bois, missionnaires et militaires) et plusieurs dizaines de milliers d'Indiens de l'autre. Cette rencontre suscita de multiples formes d'échanges, d'acculturation, de métissage et d'interdépendance. Dans cette approche reposant à la fois sur l'histoire, l'anthropologie et la géographie, Gilles Havard étudie la genèse de ce territoire. Il met en scène les relations franco-autochtones entre 1660 et 1715, époque où la Nouvelle-France, d'abord confinée dans la vallée du Saint-Laurent commence à se dilater à l'échelle du continent. Attentif à la dimension "génésique" du contact, mais aussi aux mécanismes objectifs de la colonisation et de la conquête, l'auteur analyse simultanément l'indianisation des Français et la manière dont le pays indien se transforme en marge d'empire. Loin des préjugés ethnocentriques de l'historiographie traditionnelle comme des poncifs de la bienséance politique, cet ouvrage renouvelle notre compréhension de la construction des empires coloniaux et des relations interculturelles à l'époque moderne (présentation de l'éditeur).

- source de la carte ci-dessus : université du Québec à Montréal

-  la France en Amérique : quelques références bibliographiques (BnF Galica)

-  histoire du Québec : quelques notes bibliographiques

 

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cliquer dessus pour agrandir l'image (source)

 

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4 juillet 2006

Algérie coloniale - tyrannie des mémoires

diapositive11

 

après les déclarations du président algérien Bouteflika sur l'Algérie coloniale, l'historien Claude Liauzu évoque des "affirmations outrancières" dans une interview accordée au NouvelObs.com

 

"Une tyrannie des mémoires"

 

liauzu3

 

 

 


par Claude Liauzu, historien
et l'un des animateurs
du mouvement pour l'abrogation
de l'article 3 de la loi de février 2005
sur le "rôle positif" de la colonisation

 

 

diapositive12 L'occupation de l'Algérie par la France a-t-elle réellement été "une des formes de colonisation les plus barbares de l'histoire", comme l'affirme le président Bouteflika ?


- Je vous répondrai par une anecdote: il y a quelques années Aït Ahmed, s'exprimant sur une question du même type, avait répondu, en substance: "oui la colonisation française a été épouvantable, mais nous avons largement préféré avoir à faire aux Français plutôt qu'aux Russes".
Bien entendu, la conquête a été épouvantable, une "guerre de ravageurs", comme a pu le dire le général Bugeaud, au cours de laquelle, entre 1830 et 1870, un tiers de la population a disparu en raison des massacres, des famines et de la paupérisation. La France a effectivement tendance à sous-estimer cet aspect et, plus on attend pour dire les choses, plus elles sont dures à dire.
Ce que, malheureusement, Bouteflika ne dit pas, c'est que la colonisation est une réalité également beaucoup plus ambiguë. Elle a bel et bien existé, apportant parfois le pire. Mais elle a également laissé des espaces de liberté, des ouvertures, comme la francophonie
Il faut rendre compte de la complexité du phénomène, tout en n'enlevant rien aux crimes qui ont été commis. L'esclavage et la colonisation sont bien des crimes contre l'humanité. Mais, une fois que l'on a dit cela, les historiens doivent faire leur travail et celui-ci s'apparente en grande partie à des poupées gigognes, les problèmes imbriqués les uns dans autres. Par exemple, le 5 juillet est la date de la fête de l'indépendance, mais c'est également le début du processus de prise du pouvoir par Boumediene.

diapositive12 Pourquoi le chef de l'Etat algérien a-t-il choisi de relancer aujourd'hui cette polémique alors que les relations avec la France semblaient s'apaiser avec l'abrogation de l'article contestée de la loi de février 2005 sur "le rôle positif" de la colonisation ?


- C'est là tout le mystère de cette déclaration! Bouteflika est avant tout un homme politique et je pense qu'il utilise le passé de manière politique afin d'influer sur ses relations avec la France d'aujourd'hui. Mais, pour pouvoir réellement peser les enjeux de ces propos, il faudrait être au courant de ce qu'il se passe dans les arcanes du pouvoir algérien.
Je pense que les propos du président algérien sont dans la même logique que ceux qu'il a tenus il y a peu sur la double nationalité à laquelle il s'oppose. Alors que l'une des conséquences de la colonisation est justement que des milliers de personnes se sentent un peu françaises et un peu algériennes.
Il y a également des enjeux de politique intérieure. Bouteflika s'est lancé dans une surenchère avec les nationalistes au point que, ce qui est assez amusant, même les islamistes l'ont trouvé trop dur sur le sujet. Il y a à Alger un parti anti-français assez fort qui tente de tirer sur le traité d'amitié franco-alégérien et Bouteflika ne veut pas se laissé déborder.
Effectivement, après le retrait de l'article 3 de la loi de février sur le "rôle positif" de la colonisation, il aurait dû y avoir une détente des relations. Mais nous faisons face à des réaction émotionnelles très fortes. Comme pour les pied-noirs en France, nous touchons là quelque chose de très profond, une plaie qui menace de se rouvrir dès qu'on la touche.

diapositive12 Que pourrait faire la France pour apaiser ses relations avec Alger ? Qu'attendent les Algériens de l'Etat français ?


- C'est difficile à dire vu qu'à ce niveau, on pourrait dire qu'il y a plusieurs Algérie. En ce qui concerne Bouteflika, il y a une surenchère inexplicable car il doit très bien savoir qu'un dirigeant français ne peut pas aller trop loin sur le problème de la colonisation, d'autant plus qu'il est actuellement sous pression sur cette question.
Je pense que nous sommes malheureusement entrés dans une logique de guerre des mémoires, je dirais même dans une tyrannie des mémoires, dans laquelle chaque geste provoque une réaction encore plus forte. La loi Taubira a ainsi provoqué une vive réaction chez les rapatriés qui ont exigé une loi sur les pieds-noirs et les harkis, dans laquelle était inséré le fameux article sur le "rôle positif" de la colonisation.
Et vu qu'il n'y a pas de limites à la victimisation, chacun n'a jamais l'impression d'avoir obtenu satisfaction. Cette situation inquiète fortement les historiens. Enormément d'énergie est dépensée dans ces polémiques, au détriment d'autres problèmes à régler comme l'immigration qui, selon moi, est un problème mille fois plus important que les affirmations outrancières de telle ou telle personne.
Les historiens se sont mobilisés et se sont focalisés sur les complaisances néocolonialistes en France, mais il ne faut pas pour autant se laisser enfumer par des propos, ou des silences, officiels. La seule solution est que nous puissions travailler correctement et étudier sereinement ce phénomène complexe qu'est la colonisation.

Propos recueillis par Jérôme Hourdeaux
le lundi 3 juillet 2006

NOUVELOBS.COM | 03.07.06 | 16:40

 

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Il faut rendre compte de la complexité du phénomène,
tout en n'enlevant rien aux crimes qui ont été commis

 

 

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