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études-coloniales
18 janvier 2014

critique du livre de Raphaëlle Branche ("Palestro") par Roger Vétillard

9782200353858FS

 

L'embuscade de Palestro selon

Raphaëlle Branche (Armand Colin, 2010)

Roger VÉTILLARD

 

Ce livre est à ce jour le seul publié qui veut étudier la problématique de cette embuscade, mais finalement n'étudie qu'une seule hypothèse. Sa lecture m'a mis mal à l'aise. C'est pourquoi j'ai repris son étude.

Rappel des faits

En Algérie depuis 18 mois des attentats, des guets-apens, des affrontements ensanglantent le pays. Ce 18 mai 1956, une tragédie éclate dans le ciel métropolitain. Jusqu'ici les drames, les morts, les mutilations ne touchaient que les populations d'Algérie.

Cette fois des familles métropolitaines sont confrontées à l'horreur. La presse s'empare de l'événement et en fait l'archétype du sort des jeunes Français dans une guerre qui ne dit pas son nom. Les opposants idéologiques au conflit s'en emparent pour condamner la mobilisation des jeunes Français.

À 60 km au sud-est d'Alger dans les gorges de Beni Amrane, 21 soldats rappelés du 9e RIC sont en patrouille sous les ordres du lieutenant Hervé Artur. Ils n'ont pas 25 ans, ils appartiennent au contingent de 50000 hommes que le gouvernement de Guy Mollet vient d'envoyer en Algérie pour faire la guerre et non la pacification ou le maintien de l'ordre. Ils sont originaires de l'Île-de-France, ils ont déjà fait leur service militaire, mais ne sont nullement préparés à affronter un ennemi dont ils ne savent rien.

La région est sauvage, le danger y est quotidien. Dans les mois qui précèdent 35 Européens y ont été tués.

Le 25 février 1956 une embuscade au col de Sakamody, non loin de là, sous la conduite d'Ali Khodja a fait 8 morts dont une femme et une enfant de 8 ans. Ali Khodja est le responsable de l'ALN de cette région. Cet ancien sous-officier de l'armée française dispose d'une centaine d'hommes répartis en quatre groupes. Il a reçu un mois plus tôt une livraison d'armes et de munitions amenées par Henri Maillot aspirant déserteur et militant communiste.

La section a ses quartiers dans une maison forestière. Artur est un intellectuel né à Casablanca, rappelé à sa demande alors qu'il préparait l'agrégation de philosophie. Il est toujours de bonne humeur et a conquis ses hommes par sa gentillesse. Il a pour mission de sécuriser la RN5 qui relie Alger à Constantine et qui est régulièrement coupée dans les gorges éponymes.

Au petit jour, les 21 hommes dont 5 pères de famille quittent la maison cantonnière. Ils escaladent une piste raide, l'arme à la bretelle, laissant entre eux un espace d'une dizaine de mètres. Serge Dumas porte le FM, il sera le seul rescapé de cette expédition, celui grâce auquel nous en connaissons les détails.

Palestro gorges photo
gorges de Palestro

À l'approche d'une ligne de crête la fusillade éclate. Les échanges de coups de feu durent une vingtaine de minutes. Il y a 15 tués : 6 rescapés sont faits prisonniers, 4 sont blessés, seuls Dumas et Nillet sont indemnes. Avec Caron, le moins touché, ils suivent les rebelles. Les 3 autres sont abandonnés dans une mechta. Les rebelles ont eu 4 morts et des blessés qui seront soignés par les villageois voisins.

L'alerte est donnée par le sergent Raymond Callu resté à la maison cantonnière. Une section du 9e RIC arrive vers 18 heures. Le lendemain 2 cadavres sont retrouvés sur les lieux du combat en compagnie d'un djounoud blessé qui donne des informations : le piège a été monté avec la complicité de la population du douar Amal. 16 corps sont retrouvés affreusement mutilés à 1 km du douar, déplacés vraisemblablement pour tenter de protéger leurs auteurs. Pour le médecin légiste la mort de plusieurs des victimes est survenue plusieurs heures après les combats. Le 23 mai, les légionnaires du 1er REP localisent la bande de Khodja, tuent 27 hors la loi, font 3 prisonniers et délivrent Dumas. Dans le feu du combat, Jean David-Nillet est tué. Les médias s'emparent de cet épisode.

 

L'exégèse de Raphaëlle Branche

L'analyse de Raphaëlle Branche en replaçant l'épisode dans un contexte historique du siècle précédent a un côté séduisant mais aussi un aspect vulnérable criticable.

L'embuscade a fait date. Elle reste un des rares moments distingués dans les récits de cette guerre. Mais elle n'est pas unique. Elle n'est ni la première, ni la dernière, ni la plus meurtrière. Pourquoi occupe-t-elle cette place? Plusieurs arguments sont avancés :

- Souvent évoquée de façon subliminale, les erreurs ou les fautes ducommandement sont soulignées : "Les hommes envoyés garder les gorges de Palestro comme leurs camarades installés en d'autres points du territoire algérien, sont peu au fait des réalités locales… Le Français rappelé "type 1956" a une formation morale de petit syndiqué en campagne. Quant à la formation militaire, elle laisse bien à désirer".

C'est le bilan de la troupe qu'il a eu à commander depuis le printemps [1] dressé par le commandant Chabot fin 1956. Une étude menée à propos de plusieurs embuscades similaires durant la guerre d'Algérie mais non exhaustive montre que l'erreur de commandement n'est pas exceptionnelle. Ces bévues de la hiérarchie sont autant d'arguments utilisés par les opposants à ce conflit colonial et d'une façon symétrique par les partisans d'une armée de métier. On touche ici l'une des tensions résultant de la mise en place accélérée des renforts en Algérie [2]. Toutefois, l'historienne modère cette critique en rappelant que le bilan de l'embuscade s'inscrit dans la moyenne de la mortalité militaire pour la deuxième partie de l'année 1956 [3].

- la conjoncture politique : le gouvernement de Guy Mollet vient de procéder à un recours massif au contingent, et il utilise cet événement pour justifier sa décision.

- la violence et la cruauté des Algériens sont montrées du doigt et une analogie est suggérée avec l'ensemble de la situation en Algérie, mais les dimensions politiques et militaires de l'engagement sont passées sous silence [4],

- pour en comprendre les ressorts, il faudrait revenir à son nom "Palestro". L'embuscade a lieu sur les hauteurs de ce petit bourg, c'est son nom que les Français utilisent pour désigner abusivement l'événement, dit-elle, car pour les Algériens c'est la bataille de Djerrah.

- plus loin elle affirme que si l'embuscade marque, c'est parce qu'elle fait rejouer des failles anciennes, qu'elle révèle d'anciennes tensions. Sous cet événement une autre histoire est présente : c'est un "palimpseste mémoriel".

Diapositive1
la criticable hypothèse du palimpseste/mémoriel

On revient 85 ans en arrière au moment du massacre de Palestro du 20 avril 1871 pour décrypter celui du 18 mai 1956. Pour elle [5] "Parler de l'embuscade de Palestro [de 1956-nda], c'est inscrire l'action militaire de la guerre dans la continuité de ce massacre [de 1871]".

- Tendre une embuscade puis mutiler les soldats n'est ni original, ni propre aux maquisards des hauteurs de Palestro, ni aux Kabyles, ni aux Algériens ou aux combattants musulmans.

- Enfin, Ali Khodja est un chef exemplaire aimé de ses hommes qui apprécient sa gentillesse et ses qualités humaines, qui épargne les vaincus et impose que des prisonniers soient faits. D'autres épisodes où cet officier est impliqué infirment cette appréciation : les détails de l'embuscade du col de Sakamody le 25 février 1956 ou surtout ceux de la rencontre du 21 septembre suivant avec la section A. G. [6] ne doivent pas avoir été portés à sa connaissance.

 

Des explications singulières ?

Écrire un ouvrage pour dire que le nom de Palestro renverrait plus au souvenir d'un événement antérieur qu'à la localisation de l'embuscade est singulier. En Algérie, dit-elle, on parle de l'embuscade de Djerrah [7], mais sait-elle qu'un tract de l'ALN en juin 1956 la nomme embuscade des Beni-Amrane ? De plus l'embuscade s'est déroulée à 5 km à vol d'oiseau de Palestro bourg de plus de 4000 habitants, alors que Djerrah était une mechta de quelques centaines d'âmes sur les hauteurs des gorges des Beni Amrane appelées aussi gorges de Palestro.

Cette pratique de dénomination des faits de la guerre d'Algérie est courante. Sans remonter aux massacres dits de Sétif où les affrontements dans cette ville ont fait 33 morts dans la population musulmane et se sont terminés à 11h le 8 mai 1945 alors que l'essentiel de l'événement a eu lieu à des dizaines de km les 15 jours qui ont suivi, on peut citer le massacre de Melouza du 3 juin 1957 qui s'est en fait déroulé à Mechta Kasbah près du douar de Beni Ilemane à 11 km à l'ouest de Melouza ou encore la bataille de Souk Ahras en avril 1958 qui s'est déployée à près de 20 km de cette petite ville.

Parler ici de Palestro n'est pas indu, d'autant plus que le nom est familier au vocabulaire français au contraire de ceux des Beni Amrane ou d'Ouled Djerrah. Enfin, il a été donné par la presse française alors que le souvenir de 1871 évoqué par madame Branche est celui des Algériens, cela parait antinomique.

On peut être dubitatif devant la démarche psycho-analytique de Raphaëlle Branche. Où veut-elle en venir ? Attaque-t-elle les théories de l'école de psychiatrie d'Alger pour combattre l'analyse [8] qui explique que la mutilation des corps renvoie à la nuit des temps ? Les psychiatres d'Alger auxquels Franz Fanon s'opposa violemment ont en effet parlé au cours de la première moitié du XXe siècle du primitivisme de la population indigène qui la prédestinerait à une conduite végétative et instinctive. Conception évidemment en accord avec l'air du temps.

Diapositive1
pour Frantz Fanon, ce serait la "dépersonnalisation" le facteur, explicatif
et légitimant, des mutilations des Français par le FLN

Pour Fanon, il faut prendre en compte le fait colonial et la dépersonnalisation qu'il entraine. Pour lui la dépersonnalisation engendrée par la déculturation que subit le colonisé explique son agressivité et dans le cas de Palestro, permet d'interpréter les mutilations des corps.

En quelque sorte, les dégradations imposées aux victimes de l'embuscade de Palestro de 1956 répondraient plus ou moins consciemment à la répression sévère qui a suivi le massacre de 1871. Or aujourd'hui la connaissance de l'inconscient est moins naïve : la dépersonnalisation est surtout névrotique et signe d'une angoisse intense. Elle peut mener à un syndrome dépressif ou en tout cas à la passivité, mais pas à un passage à l'action violente.

À Palestro et ailleurs en Algérie ce sont des révoltés qui agissent. Et la révolte est une action réfléchie mise en œuvre par un groupe conscient qu'il lui est interdit de vivre sa culture et pour lequel éliminer l'ensemble culturel dominant est la seule solution. La révolte n'entre pas dans le champ de la déviance.

Pour le 5e bureau qui conduisait l'action psychologique lors de la guerre, cette pratique de la mutilation des corps relevait d'une pratique culturelle. Il l'a utilisée à des fins de propagande, comme en témoignent les photos de cadavres profanés qui ont été largement diffusées dans la presse ou dans des opuscules de propagande. Il a même utilisé cette méthode brutale en exposant sur la place des villages les cadavres des hors la loi tués au combat, probablement parce que ces spécialistes de l'action psychologique (psychologues, psychiatres, sociologues, ethnologues) étaient convaincus que cette communication était remplie de sens pour ceux qui la subissaient.

Ce n'était pas l'avis de tous les intervenants dans cette guerre psychologique : David Galula était très réservé sur une pratique difficilement admise dans nos sociétés, car elle heurte notre sensibilité où le respect des morts est une valeur très forte. C'est ainsi que France Observateur des 24 et 31 mai 1956 est allé jusqu'à accuser les récits des mutilations d'être de pures créations des services d'action psychologique.

"Mes frères, ne tuez pas seulement…"

Enfin si la mutilation des corps pouvait recevoir une explication liée au palimpseste mémoriel et/ou aux traumatismes causés par la déculturation coloniale, comment analyser les mutilations des corps des moghaznis tués au Abdellys en novembre 1956, ou encore des indépendantistes du MNA massacrés à Melouza en mai 1957, celles de l'officier français blessé, fait prisonnier en janvier 1958 à Aïn Belkacem près de la frontière tunisienne, décédé de ses blessures et dont le corps rendu à l'armée française quelques jours plus tard était également mutilé ou encore des 72 corps retrouvés le long de l'autoroute en juin 1994 dans la même région de Palestro-Lakhdaria, sauf à suggérer que certaines théories résistent mal à la confrontation avec le réel ?

Et puis, faut-il rappeler cette exhortation parue fin 1955 dans "Le Journal des Etudiants" de la Grande Mosquée Ez Zitouna de Tunis à l'attention des algériens en révolte : "Mes frères, ne tuez pas seulement… Mais mutilez vos adversaires sur la voie publique… crevez-leur les yeux… coupez leurs bras et pendez-les" [9] .

Roger Vétillard

vetillard

 


[1] Rapport sur le moral du II/9e RIC, 13 décembre 1956, SHD 1H 2423/1 cité p 42.
[2] P. 52.
[3] P. 53.
[4] P. 8 et 9.
[5] P. 93.
[6] Cet épisode fera l'objet d'une publication prochaine.
[7] P. 10 et 85.
[8] P. 88.
[9] Cité par Jean-Jacques Jordi, Un silence d'État, Soteca éd., p 16.

 

 

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11 janvier 2014

Palestro vu par Raphaëlle Branche - critique de Jean Monneret

Historia innocents Palestro

 

Algérie 1956 :

l’embuscade de Palestro

vue par Raphaëlle Branche (A.Colin 2010) [1]

 Jean MONNERET

 

Introduction

18 mai 1956.
Partie en mission près des gorges de Palestro à 80 km au Sud Est d’Alger, une section de militaires français tombe dans une embuscade. Elle fait 17 morts  dans leurs rangs à la suite d’un échange de coups de feu avec les hors-la-loi se réclamant du FLN. «Dépouillés de leurs armements et vêtements, les Français sont mutilés. Certains visages rendus méconnaissables…..» R. Branche. p. 6 du livre. Précisons qu’ils ont été mutilés par les villageois voisins après que les blessés aient été achevés.

 

palestro
le corps d'une victime, Maurice Feignon, médecin, à Palestro

Une opération fut déclenchée pour retrouver 4 soldats faits prisonniers (9e RIC). L’un d’eux fut tué accidentellement pendant l’opération de sauvetage. Un survivant put être ramené. Demeurèrent deux disparus dont les corps ne furent jamais retrouvés.

Bilan très lourd du côté français. Il faut dire que ces soldats, plutôt inexpérimentés, étaient tombés sur une des plus redoutables sections de l’ALN en Wilaya 4 : le commando bien équipé et très actif d’Ali Khodja, déserteur de l’armée française.

Le lendemain 19 mai. Une opération de ratissage eut lieu au douar des Ouled Jerrah (Djerrah). 44 personnes y furent abattues. Raphaëlle Branche (R.B. ci-après) suggère qu’il s’agit d’exécutions sommaires [2].

Il faut à présent entrer dans le livre de R.B. Non pas pour être éclairé sur Palestro, mais plutôt, pour être familiarisé avec sa thématique personnelle et sa façon particulière d’aborder les évènements de la Guerre d’Algérie. Sa méthode est analysée ci-après. Les faits étant connus des spécialistes, l’important pour elle sera l’avant et l’autour. À quoi s’ajoute une autre question : pourquoi Palestro ?

Palestro vidéo Branche


Car, c’est l’époque du rappel sous les drapeaux des réservistes et de l’envoi du contingent en Algérie. Or, ce sont eux, jeunes du contingent et réservistes qui ont été tués, achevés et mutilés durant ce sombre épisode. Cela frappe les esprits. Dès lors, et un peu paradoxalement, la France interpellée par ces morts alors qu’elle est assez réticente, dans ses profondeurs, à cet engagement des siens, - nous sommes encore à l’époque de la conscription et du service militaire obligatoire -, va abandonner une partie de sa réserve.

R.B. le comprend : «...c’est en fait la violence des Algériens [Pour R. B. les Algériens sont les Musulmans. Les autres habitants de l’Algérie sont les colons, les Français ou plus rarement les Pieds Noirs] qui est montrée du doigt et commentée. C’est elle qui choque et qui constitue l’axe principal autour duquel s’organise la représentation de l’évènement en France.» (p. 8).

R.B. va donc s’efforcer, tout au long du livre, de nous expliquer que ledit évènement se situe en un lieu historiquement particulier, et, que la violence des indigènes, membres de l’Armée rebelle ou simples villageois, auxquels elle attribue, contrairement aux habitudes de l’époque, une nationalité algérienne putative (qu’ils n’avaient pas et dont sont, déjà, exclus les Européens et, accessoirement, les Juifs locaux) [3] est, en somme, le produit d’une lourde histoire renvoyant à d’autres violences. Pourquoi R.B. est-elle amenée à parler des villageois, dans cet épisode hautement militaire ? Parce qu’ils sont impliqués dans l’assassinat des blessés et les mutilations des soldats morts.

Ecrit-elle dès lors pour justifier cette violence ? Non. Mais n’aura-t-elle pas tendance à l’amoindrir et à la relativiser ? Elle est semble-t-il, persuadée qu’elle fait ainsi son travail d’historienne. Certaines formulations sont pourtant des plus délicates, parfois inappropriées. Ne serions-nous pas en fait dans la culture de l’excuse ?

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l'adjectif "colonial"

Entrons dans ce livre, lequel intéresse autant par les faits racontés que par ce qu’il révèle des générations ayant grandi après le conflit, et, de leurs perceptions particulières de cette guerre.

Palestro est d’abord qualifié de bourg colonial, appellation qui paraîtra anodine à certains et qui est pourtant loin de l’être. L’adjectif a en effet pour R.B. un sens nettement péjoratif. Son emploi ressemblera donc davantage à un jugement préconçu qu’à une catégorie à valeur véritablement historique.

L’entreprise militaire opposée à la rébellion est coloniale. «Colonial» l’état d’esprit des Français qui ont conquis l’Algérie. «Colonial» l’ensemble du passé français en ce pays. Palestro, bourg colonial est aussi le symbole, - (R.B. parle bizarrement d’icône) – de ce qui s’est passé avant : «ce qu’ont subi les Algériens et aussi leurs réactions», attribuées au «peuple», à la «population», plus rarement «aux masses» et analysées, bien entendu, comme traduisant une relation de cause à effet.

Palestro est donc «un espace colonisé [qui] se combine à un espace ignoré [4], un espace domestiqué à un espace de résistance. Si l’embuscade marque, c’est sans doute parce qu’elle fait rejouer les failles anciennes» (page 9).

On touche là un point caractéristique de la façon d’écrire de R.B. Elle est soucieuse de faire revivre le passé comme les contradictions du moment et du lieu, mais, elle le fait d’une manière imagée, littéraire, presque poétique par moment ce qui la dispense parfois de fournir des faits précis. Ajoutons, sans méchanceté aucune, que les effets littéraires qu’elle utilisé sont parfois discutables. Que signifie faire rejouer les failles anciennes ? On fait jouer des articulations, mais des failles ! Passons !

Acceptons pourtant une autre affirmation : «sous la surface de l’évènement, d’autres histoires sont présentes» que l’historienne va «identifier, décrypter, et restituer dans leur épaisseur» (sic). D’accord. Mais l’auteur, à son insu, ne révélera-t-elle pas quelques présupposés ou préjugés ? Au risque d’en affaiblir ses analyses ?

Un groupe de frères, embryon de la nation, se révélant alors à elle-même… (p. 21)

Étrange expression : où il y a nation il y a lutte nationale, là c’est la lutte «nationale» qui est censée créer une nation. On nous dit même qu’il s’agit d’un embryon, on ne saurait mieux dire que ladite nation n’a pas encore vu le jour.

Dans ce chapitre, l’auteur semble éprouver quelque sympathie pour l’ALN. Elle ne craint pas d’embellir l’activité de ses combattants systématiquement appelés maquisards. Elle note avec une certaine fascination la rigueur de l’organisation et de l’entraînement de ces derniers.

L’implication des civils

R.B. est persuadée que les hommes d’Ali Khodja sont soutenus par la population. Elle se base sur ce que lui ont raconté les anciens du commando. «Aucune guérilla» écrit-elle «ne peut survivre sans l’appui des civils.» Il faudra donc qu’elle explique pourquoi celle-ci n’a pas survécu puisque dans son esprit (à elle R.B.) elle avait le soutien de la population. C’est une des contradictions fondamentales de ce livre. Nous y reviendrons.

p. 26. «Ce qui prouve que le peuple algérien est avec nous c’est que nous ne sommes jamais dénoncés» avait dit Ouamrane (le chef de la Wilaya 4 à cette époque) à Robert Barrat, un propagandiste du FLN.

Raphaëlle Branche enregistre cette affirmation sans sourciller. Or, s’il n’y a pas de dénonciation - à cette époque précise -, c’est que les éventuels opposants savent ce qui les guette : la mort précédée des supplices les plus affreux. Ultérieurement, quand la montée des exactions FLN sera devenue immense et la présence militaire française accrue, des musulmans s’enhardiront à dénoncer les «maquisards». Tout simplement parce qu’ils sauront à qui s’adresser pour le faire. On verra alors se modifier les rapports de force. La rébellion se sera évaporée et le prétendu soutien de la population avec.

Mais R.B. continue sa description des hommes du FLN. «Le soutien aux combattants de l’ALN se traduit par une aide quotidienne pour les loger et les nourrir… etc. Elle nous indique pourtant : …que les plus récalcitrants sont éliminés… Elle ajoute d’ailleurs : «Parfaire l’exécution de l’embuscade, c’est aussi achever les blessés français. Sans doute en fut-il ainsi à Djerrah [5] (hameau où eut lieu l’embuscade) pour certains d’entre eux (sic). Mesure propitiatoire dérisoire afin d’éviter les représailles, les cadavres français sont déplacés loin du village

Et en effet, des civils indigènes n’ont pas apprécié que les «maquisards» aient frappé si près de chez eux. «On va tout nous brûler.» disent-ils (p. 32). Les rebelles ont alors frappé les civils et infligé des amendes à certains. Tiens donc ! On croyait que les civils soutenaient les rebelles. C’est ce que nous explique R.B. «même à Djerrah, village acquis aux maquisards (sic) tous doivent être soumis et obéir absolument (resic).»

C’est bien donc d’avoir le soutien de la population mais cela n’empêche que celle-ci se doit de la boucler et de marcher droit (p. 32). Après tout la «nation» est encore à l’état embryonnaire.

Les choses changeront quand l’armée française implantera des SAS. Nous verrons cela plus loin.

Dans sa proclamation du 1er novembre 1954, le FLN affirmait qu’il était le seul représentant authentique, «qualifié» du peuple algérien. Qualifié par quoi ? Par le fait, qu’il dirigeait un soulèvement. Nos braves socialistes français de l’époque eurent toujours du mal à avaler cela. Comment pouvait-on prétendre représenter un peuple sans élection, et de surcroît  en maniant le gourdin et le couteau envers les dissidents .

R.B. (p. 33) évoque cependant la chose. «Le terrain militaire vient confirmer ce que les négociations politiques tentent d’obtenir : seul le FLN peut être le représentant du peuple algérien. ( !!)»

Car l’influence du FLN est forte. «Cependant la population est loin de lui être acquise partout. La situation est instable et un mouvement de balancier est nettement perceptible ( ?)» (p. 33)

Cet aveu qui contredit la propagande précédente démontre donc que tout le babil antérieur sur le soutien de la population était de la rhétorique. Car, nous dit R.B. «La présence du FLN s’est traduite aussi par des formes de pression diverses (ô le bel euphémisme !) de l’exécution d’individus considérés comme traîtres et dont les cadavres sont ensuite exhibés ; à la multiplication d’interdits entravant la vie ordinaire [6]…..» Entre mars et août 1956, 120 personnes sont tuées sur le territoire de la commune (par le FLN).

«Des Français aussi peuvent être visés (R.B. veut dire des Européens) …ils paient de leur vie leur lien avec l’entreprise de domination coloniale rejetée.» (p. 35). Leur lien !!

R.B. nous apprend pourtant que les enfants (en mars 1956) ne sont pas épargnés. Quel lien ont-ils avec la domination coloniale ? Mais, nous assure l’auteur, il se trouve qu’au sein de l’ALN, la décision de s’en prendre à des civils non armés est discutée, voire contestée. Et par qui ? Et quand ? R.B. n’a pas le temps de nous informer.

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Mustapha "Ali" Khodja

Alors faisons-le ici :

Ce sera discuté et, vite oublié, en août 1956, plusieurs mois après donc, lors de ce que le FLN a appelé le congrès de la Soummam. L’opportunité de ces actes sera contestée, mais, Krim et Ouamrane couvriront leurs subordonnés : Ali Khodja et Amirouche. Ensuite, on en parlera plus. Le FLN continuera donc à massacrer des civils non armés Européens et arabo-berbères confondus.

«La peur touche aussi les civils algériens» nous dit en effet R.B. Aurait-elle compris que le terrorisme consiste à terroriser ?

Car des régions entières demandent la protection de l’Armée française (p. 37). C’est au point qu’à en croire R. B., Abane lui-même chef FLN très influent se demande, en mars 1956, si ce n’est le commencement de la fin. Pour lui certainement, puisqu’il sera liquidé par ses propres compatriotes, «frères» et compagnons d’armes dans les mois qui suivront.

Madame Branche nous garde le meilleur pour la conclusion «alors que le renforcement de l’ALN / FLN est incontestable, le fait que les français continuent d’être informés de ce renforcement et possèdent de bons renseignements atteste un contrôle (R.B. veut dire mainmise) encore imparfait des habitants [7].» On nous avait dit le contraire avant, à savoir que les «maquisards» n’étaient pas dénoncés.

Décidément, ce chapitre aurait dû s’appeler vicissitudes du soutien populaire aux rebelles. Néanmoins R. B. continue à parler de la région de Palestro comme d’un espace sûr pour les insurgés.

 

1 - Coup d’éclat d’une guérilla conquérante

 

Histoires d’une embuscade

Son introduction est en effet étonnante. Logiquement le début d’un livre d’Histoire a pour objectif de présenter la recherche, l’enquête (istoria = enquête en grec) à laquelle va se livrer l’historien. Il annonce ce qu’il faut éclairer et comment il va s’y prendre. La lumière apparaître au fur et à mesure de ses découvertes.

Rien de semblable dans le livre de R.B. dont l’Introduction s’appelle Histoires d’une embuscade p. 11. «Le lecteur est invité à y [étude] entrer par une attention soutenue aux espaces». Arrive ensuite un développement où R.B. ne semble pas craindre d’afficher d’emblée quelque a priori... «[Espaces] ceux-ci sont en effet les enjeux essentiels de la guerre ; il s’agit fondamentalement de lutter pour ou contre l’Indépendance de l’Algérie.» (p. 11)

Or, toutes les guerres à ce jour ont eu, fondamentalement ou pas, dans leurs objectifs la conquête de certains espaces. Pour prendre le premier exemple qui me vient à l’esprit, l’actuel conflit qui ravage la Syrie, a montré l’importance pour le pouvoir comme pour la rébellion de tenir telle ou telle ville ou, a contrario, de les perdre.

R.B. semble persuadée que le but de l’activité militaire française durant la Guerre d’Algérie était de lutter contre l’Indépendance de ce pays. Il n’en était rien. Jamais la classe politique française que ce soit sous la IVe république ou sous le régime gaulliste n’a affirmé un tel objectif.

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Sans entrer dans le détail, on peut affirmer ceci : tout historien étudiant cette période notera que les dirigeants de la France, exceptés peut-être Mitterrand et Mendès-France, au tout début, n’ont jamais exclu l’évolution de l’Algérie vers un changement de statut. Depuis l’affirmation de la personnalité algérienne, jusqu’à l’autodétermination de 1959 en passant par le slogan : …la France restera en Algérie [mais sans dire sous quelle forme] jusqu’au fameux triptyque de Guy Mollet : cessez-le-feu, élections, négociations. Nous pouvons écrire que jamais [ou presque si l’on excepte les premières réactions de 1954] les dirigeants politiques français n’ont affirmé comme leur objectif de guerre (puisque Guerre il y avait) l’opposition à l’Indépendance de l’Algérie.

À plus forte raison ne fut-ce jamais l’objectif des opérations militaires, officiellement en tout cas, mais il n’y a pas d’objectifs militaires «officieux»). Le but fut : la pacification et l’organisation d’une consultation populaire. En mêlant la question de l’Indépendance, aux opérations militaires R. B. démontre une erreur d’analyse de ce que fut le conflit algérien. L’objectif réel était différent : ne pas négocier sous la contrainte d’une défaite militaire [8].

«…Empli du sens que les acteurs historiques investissent en lui, il [l’évènement] peut déployer toute sa force et même révéler à ses acteurs le pouvoir qu’ils ont de faire l’histoire.» (p. 11). Peut-être, mais encore faut-il ne pas partir de prémices fausses. Or, que lisons-nous ? «…Dans tout le pays en effet, l’identité s’est construite par le jeu de différences et de ressemblances qui a été celui de l’entreprise coloniale française (coloniser pour civiliser, coloniser pour assimiler, coloniser pour réduire l’altérité ou la cantonner) comme il a été celui de la lutte anticoloniale du FLN (mettre les Français dehors, redéfinir les contours d’une identité collective algérienne dégagée de cette influence)... Être attentif à ce qui s’est joué dans cette partie extrême [9] de l’Algérie, à l’entrée de la Kabylie c’est tenter d’éclairer ces constructions identitaires

identité collective ?

Constructions identitaires ! [10] Le mot est lâché. On pourrait même parler de reconstructions identitaires car, s’il y a une chose qui n’existe pas et n’existera probablement jamais, c’est l’identité algérienne [À moins de détruire médiatiquement ou par pression politique la véritable culture autochtone : la berbère].

Aucune identité collective algérienne ne s’est construite dans ce pays, ni durant le conflit ni après. Je ne sais pas au juste ce qu’entend R.B. par le jeu de différences et de ressemblances, mais dans une contrée où les Berbères sont profondément attachés à leur particularisme, où beaucoup sont conscients d’être pris dans un processus d’anéantissement culturel engagé depuis plusieurs siècles, l’identité algérienne est une abstraction, plus précisément une construction de la propagande FLN.

Et puisque R.B. est très intéressée par l’épaisseur du temps colonial, invitons-là à remonter jusqu’à la colonisation arabe qui vit la terre profondément berbère de Saint Augustin, de Saint Cyprien et de Tertullien devenir une conquête de l’Islam.

Dire que le but de la colonisation française fut de civiliser, d’assimiler, de réduire l’altérité ou de la cantonner ressemble à une inutile concession à la propagande du FLN.

La IIIe république a pu laisser entendre, parfois, que son but était d’assimiler l’Algérie à la France, non pas d’assimiler les populations mais les institutions. Cet objectif fut explicitement abandonné dans les années 1930. Il faut tenir compte également de la longue politique ethno-différentialiste des Bureaux Arabes puis de l’Empereur, qui précéda 1870. De plus ce qui a suivi les années 1920 du XXe siècle, fut une lente, malheureusement trop lente, avancée vers un accès croissant des Musulmans à la citoyenneté.

Menée au travers d’une évolution chaotique, avec des oppositions diverses et un manque d’audace que, rétrospectivement, on peut juger affligeant, cette progression trop timide, n’excluait pas la perspective de  l’émancipation complète de l’Algérie y compris sur le plan institutionnel. Raymond Aron l’avait bien compris qui affirmait dans son livre La tragédie algérienne que reconnaître la personnalité algérienne, ce qui fut fait par le statut de 1947 conçu par Edouard Depreux, c’était reconnaître, à terme, et compte tenu du contexte international, que l’Indépendance de l’Algérie ne pouvait être exclue (à jamais). Le but de l’Armée française ne fut donc pas de s’opposer à l’Indépendance de l’Algérie (quoi qu’aient pu dire, penser ou croire certains militaires de l’époque).

Aron tragédie couv

 

Mais revenons à R.B. :

«À sa manière (?), l’embuscade du 18 mai 1956 est une occasion de réfléchir sur les violences en jeu dans ces affrontements. Là aussi, l’articulation de l’infime et du global est aussi celle du singulier et du similaire» (p. 12)

«En effet tendre une embuscade puis mutiler les soldats n’est ni original ni propre aux maquisards des hauteurs de Palestro, ni aux Kabyles, ni aux Algériens ou encore aux combattants musulmans.»

«Les pratiques violentes évoquent en effet une forme de violence classique des guerres en terrain colonial (souligné par nous – c’est l’explication tautologique type), lorsque la guérilla est le mode dominant de combat, que la technologie s’oppose à la connaissance du terrain, la violence à distance à la violence de corps à corps, etc….. (?) Rapprocher cet évènement d’autres embuscades similaires [11] conduit à se défier du piège culturaliste qui en rabattrait (sic) les traits saillants sur des caractéristiques indigènes spécifiques.»

Les atrocités commises après le combat contre nos soldats relèveraient-elles de la spécificité du combat anticolonial ? Ou du contexte algérien auquel R.B. associe une longue habitude de la violence (du côté français) qui amène une violence en retour du «colonisé ».

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On pourrait discuter longtemps sur ce point. On pourrait analyser ligne à ligne le texte un peu jargonneux de l’historienne. Il tend à relativiser la violence atroce du FLN, violence gratuite [12] autant que contre-productive – car elle a durablement dressé l’opinion publique en France contre les insurgés – mais aussi violence aux conséquences imprescriptibles et ineffaçables.

Dans un prochain chapitre, nous reviendrons sur ce point. Mais plutôt que de prolonger les réfutations et les contestations, nous préférons rappeler ici ce que dit un jour le père de Camus et qui fut rapporté plus tard à son fils. Il s’agissait d’un contexte voisin et assez semblable. Faisant son service militaire au Maroc dans l’entre-deux guerres, le père de l’écrivain avait eu à connaître du cas d’un soldat français enlevé, tué et mutilé par des insurgés. Son commentaire fut le suivant : «Un homme ça s’empêche.» Ceci marqua le jeune Albert, qui le raconte dans Le Premier Homme. Ce sera aussi notre commentaire pour clore ce premier chapitre.

 

2 - Le vrai visage de la guerre (p. 41)

Cette partie du livre est largement consacrée à la présentation de la section martyre.

188 000 hommes ont été fournis en renfort à l’Armée de Terre en Algérie.

Hervé Artur, le sous-lieutenant qui commandait la section présente à Palestro a été volontaire pour l’Algérie. Il avait résilié (R.B. dit, on ne sait trop pourquoi, «dénoncé») son sursis. Ses parents vivaient au Maroc. Il était de ces Français très hostiles à la rébellion et décidés à la combattre. Il a 30 ans. Il est l’aîné de ses hommes.

Ces derniers malgré une formation en métropole, étaient loin d’être aguerris. La 6e compagnie du 2e Bataillon s’était vue confier la garde des Gorges de Palestro. Ce qui peut paraître quelque peu aventureux.

Aux Beni Amrane [13], le capitaine Bonafos fait office d’introducteur aux réalités locales. Le sous-secteur de Palestro a à sa tête le colonel Fossey-François officier chevronné et déjà prestigieux.

À l’échelon de la section, un lieutenant d’active, le lieutenant Pierre Poinsignon est le commandant de la 6e compagnie.

Le sous-lieutenant Hervé Artur aurait dû être au milieu de ses hommes durant l’embuscade. Il a choisi de marcher en tête, ce qui est, paraît-il, une faute. En outre, l’effectif minimal est de 2 sections réglementairement. Ce point n’a pas été respecté. Ainsi que d’autres d’ailleurs : la section Artur a eu 2 semaines de formation quand il faudrait 2 mois. Les media annonceront 22 rappelés égorgés ou disparus dans une embuscade. L’information sera reprise dans le Journal du Dimanche.

R.B. parle des «atrocités» subies. Pourquoi les guillemets ? (p. 55). Elle récidive en parlant de soldats «massacrés». Un des soldats Raymond Serreau est toujours porté disparu à ce jour.

Une évocation diverse de la presse de l’époque suit. France Observateur - c’est à noter – estime que les récits de mutilation sont de pures créations du service d’action psychologique de l’Armée.

Autre point à remarquer : le 18 mai 1956 est, en France, le jour d’une très grande manifestation des rappelés à la gare de Grenoble.

p. 60. R.B. écrit «morts pour la France». Pourquoi les guillemets ? Les parents du lieutenant Artur viendront à Beni Amrane. On lui décernera la croix de la valeur militaire à titre posthume.

L’embuscade-de-Palestro
obsèques des victimes de Palestro, Benni Amrane

p. 68. Les commentaires de R.B. (Personnalité de l’Algérie) montrent qu’elle comprend fort mal la politique du gouvernement français de l’époque. Guy Mollet jugera plus tard que France Soir et Paris Presse ont fait plus de mal que les communistes (p. 69).

Le 19 juin 1956 – importance de la chronologie. Les premières exécutions de condamnés à mort FLN ont lieu à la prison Barberousse à Alger. Ceci déclenche un cycle d’attentats aveugles contre les Pieds Noirs.

R.B. pense (mais sans le prouver de manière précise) que ces exécutions ont un lien avec Palestro. Elle va jusqu’à dresser un portrait d’Abd-el-Qader Ferradj un des condamnés à mort exécuté. Il a participé à l’attentat du Col de Sakamody qui s’est traduit entre autres, par l’assassinat de la petite Françoise Salle (février 1956). Mais R.B. «plaide» que son engagement nationaliste était récent. Ce qui n’est pas le cas de Zabana  son co-accusé.

Pour reprendre son expression, l’auteur écrit que cette exécution (Zabana et Ferradj) est un ersatz (sic) de celle des responsables de l’embuscade de Palestro.

La vague d’attentats aveugles contre les Européens qui suivra dans Alger (le 20 juin) a, bien entendu, pour but affiché de venger les 2 exécutés. Les méthodes du FLN n’ont pas varié. R.B. suggère (emploi du conditionnel) que les 2 militaires portés disparus à Palestro auraient pu être fusillés en représailles par les rebelles. Ceci sous-entend que de mai 1956 jusqu’au 19 juin, ils auraient été prisonniers de l’ALN (Le Monde du 12 juin 1956) d’après un renseignement de la DST et 1H1504 SHD.

 

3 - L’Algérie sauvage (p. 77)

La sauvagerie des attaquants est mise en doute par l’historienne (p. 81) ; elle n’hésite pas à écrire «terroristes» avec des guillemets. On ne verra pas de photos des militaires mutilés ni à l’époque, ni aujourd’hui. Voici ce que devient le tout sous la plume de R. B. «les récits de mutilations lors de l’embuscade du 18 mai 1956, lesquels n’ont trouvé aucune traduction photographique médiatisée».

Par cette phrase jargonneuse, R.B. veut dire que les photos des corps mutilés n’ont pas été publiées dans la grande presse. Bien évidemment, le respect des familles, le souci de ne pas choquer expliquent largement cette réserve.

Mais R.B. n’est jamais en peine de produire des analyses particulières : «L’absence des corps mutilés des militaires français a offert une caisse de résonnance extraordinaire à l’imaginaire colonial.» (sic) L’emploi du mot imaginaire est ici significatif imaginaire et fruits de l’imagination sont proches. Toute l’information qui circule alors est en fait retenue. Ne pas montrer les corps profanés, c’est en fait respecter les familles et ne pas tomber dans le piège FLN qui a fait massacrer ces hommes (les blessés) et les a fait mutiler pour effrayer le contingent… «Voilà ce qui vous attend si vous tombez entre nos mains».

R.B. ne comprend pas tout cela et préfère s’étendre sur l’imaginaire «colonial». Que seraient les «imaginations» en réalité si l’on avait montré les cadavres défigurés et mutilés ?

0002 Palestro Gorges
carte postale, Les gorges de Palestro

Ce qui apparaît en fait c’est que les [bandes ALN ne respectent ni les règles de la guerre ni celles de l’honneur] ce qui a été démontré de façon superfétatoire, tout au long du conflit, et pas seulement à Palestro (p. 84).

Puis, développement quelque peu fantaisiste sur la psychologie collective en France. Les images mentales vont venir combler l’absence de représentations photographiques et de récits précis des violences subies. Aurait-il fallu montrer ces photos, pour éviter ces «images mentales ». Il est au contraire vraisemblable qu’elles auraient suscité une répulsion bien plus grande encore et que lesdites images mentales qu’évoque l’auteur sont encore à des lieues,  au-dessous, de la réalité. Ce qui n’est pas écrit c’est que pour R.B. l’imaginaire des Français doit être empli d’images négatives racistes.

Car l’auteur est là qui va mettre de l’ordre dans tout ce désordre… Ils [les Français] y voient confirmé l’un des discours les plus prégnants [fréquents ?] sur les indigènes d’Algérie : celui d’un peuple sauvage et cruel. L’existence de structures culturelles coloniales anciennes s’y trouve en même temps révélée et attestée... démontrant, écrit-elle (p. 84) que les indigènes d’Algérie sont restés des sauvages, elle est une illustration parfaite de leur caractère criminel

Or, ceci est inexact. À aucun moment, les populations d’Algérie ne sont mises en cause collectivement mais comme tout est censé se dérouler dans l’imaginaire, R.B. peut tout affirmer même si rien de ce qu’elle assène n’est confirmé par les documents et les textes de l’époque. Il est vrai qu’elle prend des précautions purement rhétoriques comme celle-ci : «Même si les discours officiels s’efforcent de maintenir une distinction entre les rebelles et l’ensemble de la population musulmane» (p. 87).

Ils ne s’efforcent pas. Ils le font ; c’est tout. Il faudrait n’avoir aucun bon sens, aucune connaissance du pays et, aucune idée de la communication pour faire l’inverse.

Ceci n’empêche pas l’auteur de s’enfoncer dans son ornière interprétative : «Les violences des maquisards et des civils sont, en réalité, confondues dans un récit qui insiste sur le déchaînement, le dérèglement et l’atavisme.» Ce «en réalité» en dit long sur le côté interprétatif des analyses de l’historienne.

Il n’y a pas besoin de beaucoup d’imagination pour saisir ce que signifient dans cet épisode massacres et mutilations. Ils constituent le déshonneur du FLN qui les a ordonnés (ou laissés commettre dans le meilleur des cas).

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4 - Dans la voie de la violence (p. 105)

 C’est l’histoire de Palestro qui va revivre quelque peu dans les pages de ce chapitre. Elles s’ouvrent par un anachronisme ; nous renvoyons nos lecteurs à l’annexe en fin de chapitre où nous étudions ce point.

p. 105 suite. R.B. s’engage dans un développement prévisible. Lequel ? La violence du colonisé, celle du 18 mai 1956 à Palestro comprise, ne peut être examinée (et moins encore condamnée) sans tenir compte des «violences coloniales»les précédant. L'auteur ne parlera pas de circonstances atténuantes ; elle ne le suggère même pas. Pour elle, il s’agit d’une chose allant de soi.

Elle cite au début de son chapitre - tout naturellement est-on tenté d’écrire -, Franz Fanon (quelle référence !) : «Le colonialiste ne comprend que la force.» L’on pense irrésistiblement à ce que Camus appelait la légitimation du meurtre.

Ce que la préface de Jean-Paul Sartre à ce livre de Franz Fanon Les damnés de la terre a rendu encore plus explicite :

«Tuer un Européen, c’est faire d’une pierre deux coups ; restent un homme mort et un homme libre».

Mais il n’y a pas que le meurtre… Quid des mutilations et de la barbarie ? Faut-il croire que le colonialiste ne comprend que cela aussi ? Si tuer un Européen c’est faire d’une pierre deux coups, est-ce que le mutiler ce sera faire d’une pierre trois coups ? À tous ces errements de Sartre et de Fanon, nous opposerons encore une fois la phrase de Camus «Un homme ça s’empêche. »

(p. 105). Dans la vallée de l’Isser, le développement du village européen et de l’agriculture reposa, pour R.B., sur une spoliation massive et un appauvrissement brutal de la population locale.

En 1873, la loi Warnier permet la distribution de titres de propriété individuelle. Un marché foncier (important selon R.B.) se met en place (p. 100). La mise sous séquestre des terres des tribus révoltées accroît ce mouvement.

Notons que ce «mouvement» est entièrement l’œuvre du nouveau régime républicain qui va s’efforcer de prendre le contrepied de la politique de l’Empereur et de bureaux arabes qui respectaient l’identité musulmane (ou prétendue telle) de la population.

Certaines familles européennes venant d’Alsace-Lorraine - que le Traité de Francfort du 10 mai 1871 contraignit à partir -, dans leur désir de rester françaises se rendirent en Algérie. Le nom de la famille Becker qui fournit plusieurs maires au village est passé à l’Histoire.

1889. La population européenne de ce centre s’oriente à la baisse dès la fin du XIXe siècle néanmoins,à l’échelon de la commune mixte et cela en valeur absolue et relative. La cause : de mauvaises années agricoles. 1899, 10,5 de Français européens en moins. 48,5 de Français musulmans. Thiers et Beni Amrane se vident. 445 personnes à Palestro au début de la rébellion en 1954.

(p. 102-103). Développement consacré au monument commémorant les colons de 1871. R.B. le qualifie d’imposant.

R.B. nous invite alors à plonger dans le passé de dépossession de l’époque y compris dans ce qui a précédé l’insurrection de 1871.

Un long développement

Une longue histoire de bornages et de conflits domaniaux suit. Elle expliquerait le soulèvement quasi unanime des tribus locales qui voient l’administration française comme biaisée et injuste envers eux. Les confréries appellent à la guerre sainte. La Rahmaniyya, selon R.B., a un pouvoir d’implication réel. Selon l’auteur qui s’appuie sur Louis Rinn [14], le marché de Palestro ruine celui des Ammals et obère d’importance celui des Beni-Khalfoun.

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Janvier 1873. 8 condamnés à mort. 8 autres envoyés en déportation. Une pétition amènera une remise de peine pour Saïd ou Ali ou Aïsse plus Ben Ramdane et 3 autres allègements (p. 115). Saïd Ben Ramdane précédemment condamné à mort et Ahmed Ben Dalmane arrivent à faire lever le séquestre sur leurs terres. Les tribus Ammals et Krachnas seront plus particulièrement visées.

12 familles européennes doivent s’installer aux Beni-Amrane. Le Préfet devra expulser par la force les indigènes qui refusent de partir vers d’autres terres. Les 600 ha du petit centre de colonisation sont multipliés par 5. Les terres disponibles augmentent en superficie. Les Beni-Khalfoun perdent leur terre sur le versant droit de l’Isser. Un tiers environ. R.B. affirme que les terres les plus fertiles sont perdues pour les indigènes.

Les indigènes doivent donc se resserrer sur leurs terres et utiliser les moindres parcelles. À la fin du siècle, la pression démographique commence à devenir considérable. Pour R.B., c’est naturellement un effet du séquestre. Toutefois, la pression démographique a d’autres causes dont elle ne dira rien : progrès de l’hygiène due à la présence européenne, recul subséquent de la mortalité infantile.

L’offre de travail manuel sans qualification croît aussi largement. Les habitants de cette région vont donc travailler en Mitidja. Bien sûr, une certaine exploitation en résulte. Des bandes criminelles apparaissent aussi (p. 119).

L’État dit «colonial» n’adhère d’ailleurs pas à toutes les entreprises et initiatives des «colons». En 1890, le Préfet refuse d’exproprier les indigènes. Le village de Palestro se développe. À la fin du XIXe siècle, il est l’un des plus prospères. Toutefois, et selon R.B., il semble à ce moment avoir acquis tout son développement. Pour appuyer sa démonstration, R.B. cite la note 71 du chap. 4 plus cote 77 du dossier ANOM ; un palier est atteint suivi d’une décroissance.

(p. 121). R. B. reconnaît qu’elle part d’un postulat : celui d’une «identité collective définie par l’Histoire et, en l’occurrence ici par la dépossession foncière».

À notre avis, il s’agit là d’un élément bien réducteur : en particulier pour former une identité collective. Naturellement, on ne peut attendre de R.B. qu’elle fasse allusion à l’Islam, religion taboue dans la France d’aujourd’hui. Or, il y a bien d’autres éléments encore qui entrent en jeu : l’identité berbère toute proche et très vivace [15].

L’attitude des tribus locales vis-à-vis du pouvoir turc avant la conquête. Madame Branche qui aime beaucoup évoquer l’épaisseur du temps historique n’en tient compte que lorsqu’il s’agit de la période française. Turcs, Arabes, Berbères, absents !

La violence déployée dans la région de Palestro au printemps 1956, revêt des sens multiples : criminelle pour les uns, libératrice pour les autres. Soyons attentifs car nous allons bientôt retrouver les arguments poids-plume à la Franz Fanon.

«Plus intimement aussi [la violence] témoigne qu’il existe, au sein de la société algérienne, une envie collective (souligné par moi) d’autres formes de pouvoir et d’avenir.» (p. 122)

Pas si collective que ça. Et là nous retrouvons à nouveau l’idéologie anticoloniale avec sa manie de voir des peuples unanimes partout. Tel est le sens de ce collectif.

«Sur cette terre marquée par la violence et l’humiliation, tuer des militaires français, abimer leurs corps, c’est reprendre possession de soi (sic) : agir» (p. 122 dernier paragraphe).

Et voilà ! Passez muscade.

9782200353858FS

Et cela continue. p. 123. R.B. se livre à une hypothèse (gratuite ?) sur le lieutenant Artur qui commandait la section.

«Ne jugeait-il pas en effet qu’il était nécessaire de tutoyer tout le monde, y compris les chefs de djemaa qu’il tenait pour les responsables personnels de la lutte contre le FLN ?»

Réponse de R.B. : «Peut-être a-t-il payé de sa mort son arrogance. »

En tout cas, Artur n’est plus là depuis longtemps pour répondre à ce type d’accusation. Heureusement : R.B. a nuancé son propos : «La vengeance ciblée est une hypothèse peu probable

La violence n’est jamais émancipatrice. Voilà ce qu’il convient de dire à cette historienne. Ce qui compte ce n’est pas l’épithète, c’est le substantif.

Certaines révoltes sont peut-être inévitables. Lorsqu’elles éclatent il faut leur imposer des limites car elles sont toujours un mal. Comme le souhaitait Camus, le révolté doit mettre sa fièvre et sa passion à diminuer l’occurrence du meurtre autour de lui. Car, et oui, «il y a des moyens qui ne s’excusent pas

Enfin pages 124, 125, 126, on trouvera encore une analyse relative à la mutilation des soldats. Selon R.B., celle-ci fut opérée par des femmes et elle fait l’objet d’une analyse psycho-anthropologique plutôt faible.

«Le FLN a su se présenter comme le vengeur de ces violences séculaires» p. 128.

Mais cela ne suffit pas pour R.B. il faut aussi que ces actions fassent exister une collectivité politique nationale (?) discriminée par les Français et désormais en lutte.» (p. 129). R.B. ne prend-elle pas pour argent comptant la rhétorique FLN la plus creuse ?. Un peu plus loin on apprend qu’Ali Khodja a peut-être (merci pour ce peut-être) réussi l’amalgame de l’homme d’honneur et du maquisard (on dit d’habitude bandit d’honneur).

p. 123. «Dans cette embuscade à laquelle ils participent, les habitants de Djerrah ont su trouver leur place !» (?)

«Ils l’ont inscrite à l’intérieur du cadre élaboré par la société locale : elle fonctionne comme ces pratiques violentes qui ressortissent aux gestes de l’honneur social [16] (entendre comme un ensemble de réalités qui colorent leurs interactions à l’intérieur de leur société et qui, de ce fait, sont aussi soumises à des variations selon les situations). Dans le Rif (où se trouvait le père d’Albert Camus, noté par Jean Monneret) celui qui a triomphé de cette manière c’est-à-dire par ruse s’expose ensuite en tirant un coup de feu en l’air


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1er commentaire

annexe au chapitre 4


Sur des Tyroliens «italophones »

À la page 93, est mentionnée l’arrivée en 1868 de «Tyroliens»... Madame Branche les décrit curieusement comme tels. Il est pourtant précisé que la première messe fut dite, à leur venue, en italien (p. 95). L’auteur, malgré cette indication opposée, continue d’affirmer qu’ils étaient Tyroliens, ce qui peut surprendre. Le Tyrol du Sud en Italie, se confond avec le Haut Adige, région bien connue pour être germanophone.

Cette région fait aujourd’hui partie de la République Italienne mais, à l’époque dont parle R.B., en novembre 1868, elle était sous domination autrichienne. Pour cette période, des Tyroliens italophones ça sonne bizarre. Il est invraisemblable que telle ait été l’origine des immigrants venus à Palestro. Il est plus probable qu’ils étaient originaires du Trentin zone voisine de l’Adige autour de Bolzano, territoire italophone celui-là.

Ce n’est qu’après la Grande Guerre, en 1919 donc, que l’Italie s’empara du Haut Adige, territoire d’ailleurs demeuré germanophone jusqu’à ce jour. Il résista en effet à la vaste immigration italienne que le régime mussolinien y avait organisée pour des motifs nationalistes. L’assimilation recherchée fut mise en échec et aujourd’hui nombre d’habitants de cette zone, toujours germanophone se verraient bien rattachés à l’Autriche.

Puisque la messe d’inauguration du village fut dite (le sermon) en italien, ce détail eut dû empêcher R.B. de commettre un anachronisme en parlant de Tyroliens. Mais ne soyons pas sévère. Sans doute, l’auteur n’a-t-elle fait que retranscrire les archives qu’elle a lues. Pour les scribes de l’époque : Tyrol, Haut Adige, germanophones, italophones cela devait paraître obscur et compliqué. Une vraie tchoutchouka comme l’eût dit Cagayous.

 

2e commentaire

annexe au chapitre 4


Sur le tutoiement

Lorsque quelqu’un dans l’Algérie d’antan reprochait à un Français d’Algérie de tutoyer un peu trop facilement les arabo-berbères, il révélait immédiatement, et sans évidemment en être conscient, son ignorance des réalités locales. Mgr Duval en arrivant en Algérie «s’illustra» de la sorte.

Dans un pays méditerranéen, les gens se tutoient très facilement. En Italie, par exemple, le tutoiement est de rigueur entre collègues de travail, amis des amis, voisins, paroissiens etc… Aujourd’hui encore lorsque des pieds noirs se rencontrent, comme cela nous arrive souvent, pour la première fois, dans une conférence, un colloque, une commémoration, une réunion quelconque, le tutoiement est aisé et naturel.

Il en était bien évidemment ainsi avec les Musulmans, collègues de travail, voisins, amis etc… Il en était d’autant plus facilement ainsi que la langue arabe ignore le vouvoiement. L’arabo-berbère s’adressant à un pied-noir le tutoyait donc tout naturellement. Celui-ci savait qu’il n’avait pas à s’en offusquer et tutoyait à son tour. La chose était banale, naturelle et sauf à s’adresser à des notables, elle ne posait aucun problème. Y voir aujourd’hui une familiarité déplacée reposant sur une sorte de mépris raciste est une reconstruction a posteriori, inspirée par l’européocentrisme.

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5 - Empreintes et échos

Une région bouleversée p. 142. Nous sommes en 1957.

À Palestro, se concentrent les Français et les pouvoirs... ce que résume ainsi R.B. : «une commune qui tente en fait de rattraper en quelques années comme ailleurs en Algérie, les retards accumulés vis-à-vis de la population autochtone pendant de longues décennies». Ce qui est vrai malheureusement. Mais ces retards ne sont pas dus aux Européens du coin quoiqu’on dise aujourd’hui. Néanmoins, c’est à eux qu’on les a fait payer. Injustice suprême

Palestro est élevée au rang de sous-préfecture.

Note 9 / 2 bureau / + DOP y pratiquent la torture.

Note 10. 11. 12.

Sur tous ces points, des vérifications s’imposent. La torture ne fut pas absente du conflit. Mais les adversaires de l’Armée française n’ont jamais prouvé qu’elle fût généralisée. R.B. parle en outre ici de viols. La note 14 du Père Luca demanderait ainsi que la note 15 appuyée sur Mgr Duval, dont l’objectivité est sujette à caution, de sérieuses vérifications.

On y lirait ceci : «Là où passe compagnie il ne reste plus un poulet ni une vierge. Le colonel fait le mort. [Le] capitaine de SAS tue.» (note 15). Présenter ceci comme un témoignage valide alors que le témoignage humain est des plus fragiles et alors qu’il s’agit d'affirmations, sans preuves, contre l’Armée française, est intellectuellement discutable.

R.B. écrit alors ceci : «L’existence de cette violence, arbitraire bien souvent, débridée parfois, ne peut seule rendre compte des évolutions de la population algérienne, qui tantôt paraît (sic) passive tantôt semble pencher vers la France tantôt lui préfère le FLN.» (p. 144)

L’utilisation ici des verbes paraître et sembler est remarquable. Si R.B. est contrariée par l’évolution en question, elle écrira : elle paraît passive, si elle est contrariée par son ralliement à la France, «elle semble pencher en faveur de la France».

Dans ces cas-là, il s’agit d’une illusion. C’est ce qu’elle suggère. Mais si la population préfère le FLN, faut-il comprendre que là c’est du solide ? En fait, comme elle semble tenir le FLN en estime, elle a du mal à comprendre que la population se rallie à la France.

On apprend même que les habitants de Beni-Amran (qu’elle s’obstine à écrire sans "e" pour ne pas faire comme à l’époque coloniale) se sont distingués par leur peu de soutien à la cause du FLN.

Sans doute est-ce le travail du capitaine de la SAS ? N’a-t-il pas réussi, ici, à constituer une alternative fiable aux actions des nationalistes ?

Question ? Est-ce de lui que parlait Mgr Duval précédemment ? Rappelez-vous Le capitaine de SAS tue. Tiens ! Il ne faisait pas que cela, dirait-on ! Le capitaine Bonafos est l’artisan d’une manifestation de 3 000 femmes aux Ouled Hadada. Tiens ! Là aussi les viols étaient, nous a-t-on suggéré, innombrables.

Le capitaine Bonafos demande même au sous-préfet de libérer des internés administratifs retenus pour délits mineurs. Il fait même distribuer de la semoule aux familles. R.B. en profite pour souligner que le village des Ouled Djerrah a été rasé après l’embuscade. D’après les cartes de 1853 et celle de 1959, lorsqu’on les rapproche, cette zone est devenue zone interdite entre ces deux dates. La population afflue donc dans la vallée.

Néanmoins (et, pour R.B. ce n’est pas négligeable), Omar Oussedik, chef adjoint de la W. 4, affirme que la Zone 1 s’est maintenue durant tout le conflit.

Au printemps 1958, il faut bien néanmoins le constater, de nombreux jeunes s’engagent dans les harkas ou les SAS.

Le curé (Luca ?) [17] note un accroissement des volontaires pour les forces de l’ordre, chez les indigènes. Des groupes d’autodéfense apparaissent (et non paraissent ou semblent) partout.

La réalité c’est que le FLN est vu comme l’ennemi de la paix par la population.

p. 149. Malgré cela, R.B. pense que Ali Khodja et ses «hommes» sont des sortes de héros ! Comprenne qui pourra !

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p. 151. Tout le passage sur les harkis est à lire.

De tels passages dans le livre de R.B. compensent. Elle ne veut pas qu’on lui reproche, d’ignorer délibérément les violences du FLN et ses crimes. Alors, de tels aperçus de sa part, montrent qu’elle est au courant. Ce qui ne l’empêche pas de faire preuve d’un petit a priori pour ses chers «maquisards».

 

6 - Conclusion

À propos du village de Ouled-Djerrah qui fut rasé

[souvent appelé simplement Djerrah ou Djerah]

p. 153. R.B. signale que vers 1972, le cinéma de Lakhadria (Palestro), à son ouverture, prit le nom de Djerrah. Ce village où eut lieu l’embuscade, et auquel les habitants furent associés dans la participation aux mutilations de nos soldats, a connu un destin tragique.

En effet, l’Armée française l’a détruit en rasant systématiquement les maisons qui le composaient au motif qu’il y avait responsabilité collective des habitants.

R.B. note, sans y insister d’ailleurs que le nom de Djerrah est tenu pour glorieux localement (puisqu’il fut marqué par un échec de l’armée française), mais localement seulement.

Tout au plus note-t-elle que Franz Fanon a signalé «le massacre de la population du village comme l’un des exemples emblématiques de l’inégale valeur de la vie dans l’Algérie française.» (p. 153)

Référence. Dans les Damnés de la Terre, réed. Gallimard, Folio 1991, p. 123

9782070326556
une référence ?

Je cite Fanon «comptent pour du beurre, la mise à sac des douars Guergour, de la dechra Djerah (sic), le massacre des populations qui avaient précisément motivé l’embuscade».

[On ne sait pas ce que veut dire ce dernier membre de phrase, que nous soulignons].

Or, ceci mérite néanmoins quelques commentaires.

En écrivant dans son livre, p. 153, ce que Fanon a dit dans son propre ouvrage, il me semble que R.B. fait erreur. Fanon n’était pas un historien mais un agitateur politique.

Sa haine de la colonisation, et de bien d’autres choses, ne le portait pas à l’objectivité et personne ne s’en étonnera.

Mais l’historien a le devoir de respecter les faits. Or, si le village a été rasé, sa population n’a pas été massacrée. Fanon, tel qu’il l’écrit, laisse entendre que la population du village fut massacrée par les Français. Connaissait-il d’ailleurs les dessous et le contexte de cet épisode ? L’orthographe fantaisiste du nom, le fait que Fanon évite de dire Palestro, qu’il ait l’air de renverser l’ordre des facteurs et qu’il parle d’une embuscade motivée par le massacre (confusion sur le déroulement chronologique), autant d’éléments ne plaidant pas en faveur de la clarté d’analyse de l’auteur. Laissons-là ce personnage. Notons toutefois que R.B. a cru utile de le citer donnant ainsi du crédit à cette phrase de Fanon pourtant si peu historique ?

Car enfin que s’est-il passé à Ouled Djerrah après l’embuscade ? selon R.B. p. 181.

«Dans l’après-midi qui suit la découverte des cadavres français, 44 Algériens sont liquidés sommairement. La majorité de l’aveu même des autorités militaires responsables, sont des fuyards qui cherchent à échapper à l’encerclement au nord de la zone nord de l’embuscade…».

Le tir sur les fuyards dit R.B. est autorisé depuis une instruction ministérielle de 1955. Ce n’est pas exact à 100%, mais il est vrai que ceci a pu servir à camoufler des exécutions sommaires. Les militaires français engagés dans l’opération Remou [18] eurent à rechercher Artur et sa section antérieurement.

Dans le dossier I H 3452/1, il est indiqué, selon R.B., que l’on avait informé les soldats français de l’état dans lequel on avait retrouvé leurs camarades. Il semble en outre que 1/3e RIC (CR d’opération signé Peillard I H 3452/1) ait découvert un charnier. Aucune indication n’est donnée sur la nature de ce charnier.

Il n’en demeure pas moins - l’historienne semble le comprendre -, que l’état d’esprit des militaires français n’est pas à la gentillesse. «La discipline de feu des intéressés aura à en souffrir» et «la recommandation de ne pas tirer sur des autochtones n’ayant fait aucun acte hostile» également.

Il semble, écrit-elle, que la retenue n’ait pas été l’effet recherché dans cette opération. [19] (p. 181).



bilan Palestro

Toutefois et même si l’historienne a raison sur ce point, 44 exécutions sommaires ce n’est pas «le massacre de la population du village» comme l’écrivit mensongèrement Fanon. R.B. aurait peut être dû prendre nettement ses distances par rapport à cette affirmation ?

N’importe quel lecteur lisant aujourd’hui qu’après l’embuscade et l’acharnement ignoble contre nos soldats, le village d’Ouled Djerrah «fut rasé», pensera que les habitants du village subirent le même sort que ceux d’Oradour.

R.B. évoque quant à elle la destruction du temple de Jérusalem par Nabuchodonosor et celle du Palais Royal de Persépolis par Alexandre.

Pourtant, et même si des excès furent commis, il est à peine nécessaire de préciser qu’en fait, il n’y eut rien de comparable. L’exécution de 44 «fuyards», avec ce que ce terme comporte d’ambigu, ne représente qu’une partie de la population. Sans doute était-ce trop. Mais laisser entendre que toute la population fut passée par les armes serait bien peu objectif.

R.B. veut ensuite à démontrer, que ces excès en retour favorisèrent finalement les maquisards lesquels, jusqu’au bout, restèrent populaires dans les montagnes. On avait cru comprendre le contraire…

Jean Monneret

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Indications bibliographiques

- Jean Noël, Journal d’un administrateur à Palestro, Ed. Baconnier, voir dans le livre p. 32 – note 50 de R. B. p. 189.

- M.Guily qui fut un des premiers présidents du CDHA, avait été administrateur à Palestro.

- Voir aussi I H 1651 (SHD) en plus de 1 H 3452.

- p. 145, indications de R.B. sur Ouled Djerrah rasé. Les cartes militaires l’indiqueraient

 


[1] Raphaëlle Branche, L'embuscade de Palestro. Algérie 1956, Armand Colin, 2010.

[2] D’autres comme Franz Farron laisseront entendre que les villageois furent massacrés, comme si tous avaient été passés par les armes. Ce qui inexact.

[3] Et alors que sont inclus dans cette nationalité putative les Musulmans hostiles au FLN même si leur hostilité va jusqu’au rejet de l’Indépendance.

[4] Le français de R.B. est parfois très moderne. Il faut sans doute comprendre ici : ignoré délibérément voire laissé de côté. Le dialecte français moderniste est truffé d’anglicismes.

[5] Tout le monde retint le nom de Palestro à l’époque mais le village le plus proche s’appelait Ouled Djerrah. Le plus étrange, c’est que ce nom signifie chirurgien en français. Pour un lieu où l’on achevait les blessés !! Quel paradoxe !

[6] Quels sont ces interdits ? fumer, priser, faire appel à la justice française. R.B. nous précise qu’il s’agit là de la vie ordinaire telle que la France coloniale l’avait organisée. Fumer, priser, aller au tribunal c’est cela en effet l’abjection coloniale.

[7] (comprendre sur les habitants).

[8] Comme à la suite de Dien Bien-Phu en Indochine par exemple.

[9] À 80 km d’Alger ( ? )

[10] On notera le pluriel prudent.

[11] R.B. ne nous dit pas lesquelles.

[12] Gratuite mais pas inutile car elle vise à terroriser les jeunes soldats du contingent. Ceci fut aussi contre-productif car sachant ce qui les attendait s’ils tombaient aux mains du FLN, ceux-ci se radicalisèrent alors que beaucoup étaient venus en Algérie avec bien des réticences. Tout ceci aggrava la violence générale. Mais après tout n’était-ce pas aussi le but du FLN : la montée aux extrêmes ?

[13] Lieu de cantonnement des militaires tués.

[14] Louis Rinn  Marabouts et Khouans.

[15] Si vivace que dans certains villages arabophones, une partie des habitants (à cette époque) parle berbère et l’autre un patois mi arabe mi kabyle que de purs arabophones comprennent mal.

[16] Julien Pitt-Revers. Cambridge. Essay on the Anthropology of the Mediterranean p. 215.

[17] Il semble que dans l’esprit de l’auteur, les témoignages des ecclésiastiques sont considérés comme particulièrement valables. Certes, ces personnes doivent être créditées a priori d’une valeur morale, mais les hommes, en matière de témoignage, ne sont pas immunisés, loin de là, contre le subjectivisme. Ils réagissent en fonction de leurs habitudes mentales et pas uniquement en fonction de ce qu’ils ont vu.

[18] Opération de recherche des soldats français et de chasse aux rebelles.

[19] Si tel fut le cas, on peut toujours estimer que la répression collective est en toute hypothèse une erreur dans ce type de guerre. En l’occurrence seul le FLN en aura tiré bénéfice. Mais il est facile d’écrire cela 56 ans après. Sur le moment et dans ce contexte les excès sont difficiles à éviter.

 

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 - sur ce livre : Blog-Notes, 23 décembre 2013

 

arton647

 

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