Blancs de mémoire, un documentaire de la Cinq
Notes rapides et à «la volée»
d’un téléspectateur
sur le documentaire «Blancs de mémoire»
Jean-Pierre RENAUD
Compte tenu du sujet d’histoire coloniale choisi, je m’attendais au pire, car en France, on a le plus souvent l’habitude de glorifier nos turpitudes que le contraire. Donc une agréable surprise relative, mais avec au moins deux questions.
Première question : le cadrage historique
Il est évident que l’épisode colonial commenté fait partie des abominations de la conquête coloniale, mais il parait difficile d’en conclure que cette conquête a été toujours et partout un tissu d’horreurs semblables. Le téléspectateur non averti pourrait donc en conclure que tel a été le cas.
L’historien interviewé déclare que la violence est au cœur du régime colonial, mais il convient de mettre en regard la violence qui existait dans beaucoup de régions d’Afrique de l’Ouest, du Centre, de l’Est, et du Sud, à l’époque considérée, un contexte de guerres permanentes entre villages et royaumes, entre entités musulmanes et animistes. À simple titre d’exemples, combien de villages qui résistaient à l’Almamy Samory, au demeurant un grand chef d’empire, ont été entièrement brûlés, détruits, et leurs habitants tués ou réduits à l’esclavage ? Keniera, Samarula, Sétigia, Numadagha… pour ne citer que quelques uns de ceux tirés de la somme que l’historien Person a consacrée à l’Almamy, en exploitant tout à la fois la tradition orale et les comptes rendus militaires. Et je précise que cet historien portait un regard plutôt favorable sur le chef d’empire.
Il ne s’agit pas d’excuser, de minimiser l’ignominie, mais d’éclairer historiquement l’époque, et de savoir qu’en ce qui concerne la paix civile, l’Afrique, immense continent, ne ressemblait pas toujours au décor idyllique de Paul et Virginie, si bien décrit par Bernardin de Saint Pierre. Généralisation, simplification, et anachronisme minent trop souvent le travail de reconstitution historique.
Cadrage militaire historique et local aussi : la colonne Voulet Chanoine était effectivement nombreuse, mais il en était ainsi de la plupart des colonnes militaires, avec leur caractère antique, leurs tirailleurs, leurs femmes, leurs porteurs, et leur bétail. Et cette colonne pourvue de moyens insuffisants par le gouvernement français allait se déplacer dans une zone désertique, dénuée de points d’eau et de ravitaillement, dans l’entre deux de la guerre permanente que se livraient les touaregs et les villages animistes, entre nomades et sédentaires. Un ensemble de facteurs qui n’excusent pas la folie des deux officiers, mais qui renseignent sur l’épisode.
Car derrière la colonne infernale, il faut mettre en cause la responsabilité des gouvernements de la Troisième République qui ont pris la décision de lancer ces colonnes en Afrique, et dans le cas présent dans la course vers le lac Tchad, des gouvernements de gauche animés par une franc maçonnerie des «lumières» omniprésente.
Dans le même genre, et à la même époque, les mêmes gouvernements ont lancé la folle expédition de Fachoda, avec des moyens encore plus dérisoires, et donc avec son cortège de razzias de porteurs et de ravitaillement, et de morts.
Alors, folie ? Oui, mais d’abord celle des gouvernements de la République !
Une deuxième question relative à la mémoire locale
de ces événements tragiques
Le commentaire met en évidence, sauf vision trop rapide de ma part, la grande pauvreté des mémoires de ces événements dans les villages et cités razziées et incendiées, et il serait intéressant de savoir pourquoi. L’avis de l’anthropologue interviewé aurait pu être plus précis à ce sujet.
On peut d’ailleurs se demander, au sujet de ce documentaire historique, animé par des acteurs connus, sur quel terrain de compétence se situait l’avis du spécialiste.
Pourrait-il s’agir de blancs de mémoire qui seraient à raccorder avec la mémoire d’autres événements tragiques qui ont touché gravement la vie passée de ces villages ?
De façon très étrange, le documentaire fait alors surgir la mémoire magique de certains de ces villages, celle des génies. Nous sommes alors loin de ce que nous appelons chez nous la mémoire, historique ou non. Donc de bien étranges blancs de mémoire chez les noirs de ces villages !
Jean Pierre Renaud
le 5 juillet 2008
- le documentaire Blancs de mémoire de Manuel Gasquet, en vidéo (54 mn)
- acheter le documentaire Blancs de mémoire
- Capitaine des ténèbres, un film de Serge Moati : sur le blog imagescoloniales
- un livret pédagogique contestable
- biblio : Henri Wesseling, Le partage de l'Afrique, 1880-1914, Denoël, coll. "L'aventure coloniale de la France", 1996, p. 289-294.
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les sépultures des capitaines Voulet et Chanoine
le capitaine Voulet dans le film de Serge Moati
le colonel Klobb dans le film Capitaine des ténèbres