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études-coloniales

11 janvier 2014

Palestro vu par Raphaëlle Branche - critique de Jean Monneret

Historia innocents Palestro

 

Algérie 1956 :

l’embuscade de Palestro

vue par Raphaëlle Branche (A.Colin 2010) [1]

 Jean MONNERET

 

Introduction

18 mai 1956.
Partie en mission près des gorges de Palestro à 80 km au Sud Est d’Alger, une section de militaires français tombe dans une embuscade. Elle fait 17 morts  dans leurs rangs à la suite d’un échange de coups de feu avec les hors-la-loi se réclamant du FLN. «Dépouillés de leurs armements et vêtements, les Français sont mutilés. Certains visages rendus méconnaissables…..» R. Branche. p. 6 du livre. Précisons qu’ils ont été mutilés par les villageois voisins après que les blessés aient été achevés.

 

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le corps d'une victime, Maurice Feignon, médecin, à Palestro

Une opération fut déclenchée pour retrouver 4 soldats faits prisonniers (9e RIC). L’un d’eux fut tué accidentellement pendant l’opération de sauvetage. Un survivant put être ramené. Demeurèrent deux disparus dont les corps ne furent jamais retrouvés.

Bilan très lourd du côté français. Il faut dire que ces soldats, plutôt inexpérimentés, étaient tombés sur une des plus redoutables sections de l’ALN en Wilaya 4 : le commando bien équipé et très actif d’Ali Khodja, déserteur de l’armée française.

Le lendemain 19 mai. Une opération de ratissage eut lieu au douar des Ouled Jerrah (Djerrah). 44 personnes y furent abattues. Raphaëlle Branche (R.B. ci-après) suggère qu’il s’agit d’exécutions sommaires [2].

Il faut à présent entrer dans le livre de R.B. Non pas pour être éclairé sur Palestro, mais plutôt, pour être familiarisé avec sa thématique personnelle et sa façon particulière d’aborder les évènements de la Guerre d’Algérie. Sa méthode est analysée ci-après. Les faits étant connus des spécialistes, l’important pour elle sera l’avant et l’autour. À quoi s’ajoute une autre question : pourquoi Palestro ?

Palestro vidéo Branche


Car, c’est l’époque du rappel sous les drapeaux des réservistes et de l’envoi du contingent en Algérie. Or, ce sont eux, jeunes du contingent et réservistes qui ont été tués, achevés et mutilés durant ce sombre épisode. Cela frappe les esprits. Dès lors, et un peu paradoxalement, la France interpellée par ces morts alors qu’elle est assez réticente, dans ses profondeurs, à cet engagement des siens, - nous sommes encore à l’époque de la conscription et du service militaire obligatoire -, va abandonner une partie de sa réserve.

R.B. le comprend : «...c’est en fait la violence des Algériens [Pour R. B. les Algériens sont les Musulmans. Les autres habitants de l’Algérie sont les colons, les Français ou plus rarement les Pieds Noirs] qui est montrée du doigt et commentée. C’est elle qui choque et qui constitue l’axe principal autour duquel s’organise la représentation de l’évènement en France.» (p. 8).

R.B. va donc s’efforcer, tout au long du livre, de nous expliquer que ledit évènement se situe en un lieu historiquement particulier, et, que la violence des indigènes, membres de l’Armée rebelle ou simples villageois, auxquels elle attribue, contrairement aux habitudes de l’époque, une nationalité algérienne putative (qu’ils n’avaient pas et dont sont, déjà, exclus les Européens et, accessoirement, les Juifs locaux) [3] est, en somme, le produit d’une lourde histoire renvoyant à d’autres violences. Pourquoi R.B. est-elle amenée à parler des villageois, dans cet épisode hautement militaire ? Parce qu’ils sont impliqués dans l’assassinat des blessés et les mutilations des soldats morts.

Ecrit-elle dès lors pour justifier cette violence ? Non. Mais n’aura-t-elle pas tendance à l’amoindrir et à la relativiser ? Elle est semble-t-il, persuadée qu’elle fait ainsi son travail d’historienne. Certaines formulations sont pourtant des plus délicates, parfois inappropriées. Ne serions-nous pas en fait dans la culture de l’excuse ?

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l'adjectif "colonial"

Entrons dans ce livre, lequel intéresse autant par les faits racontés que par ce qu’il révèle des générations ayant grandi après le conflit, et, de leurs perceptions particulières de cette guerre.

Palestro est d’abord qualifié de bourg colonial, appellation qui paraîtra anodine à certains et qui est pourtant loin de l’être. L’adjectif a en effet pour R.B. un sens nettement péjoratif. Son emploi ressemblera donc davantage à un jugement préconçu qu’à une catégorie à valeur véritablement historique.

L’entreprise militaire opposée à la rébellion est coloniale. «Colonial» l’état d’esprit des Français qui ont conquis l’Algérie. «Colonial» l’ensemble du passé français en ce pays. Palestro, bourg colonial est aussi le symbole, - (R.B. parle bizarrement d’icône) – de ce qui s’est passé avant : «ce qu’ont subi les Algériens et aussi leurs réactions», attribuées au «peuple», à la «population», plus rarement «aux masses» et analysées, bien entendu, comme traduisant une relation de cause à effet.

Palestro est donc «un espace colonisé [qui] se combine à un espace ignoré [4], un espace domestiqué à un espace de résistance. Si l’embuscade marque, c’est sans doute parce qu’elle fait rejouer les failles anciennes» (page 9).

On touche là un point caractéristique de la façon d’écrire de R.B. Elle est soucieuse de faire revivre le passé comme les contradictions du moment et du lieu, mais, elle le fait d’une manière imagée, littéraire, presque poétique par moment ce qui la dispense parfois de fournir des faits précis. Ajoutons, sans méchanceté aucune, que les effets littéraires qu’elle utilisé sont parfois discutables. Que signifie faire rejouer les failles anciennes ? On fait jouer des articulations, mais des failles ! Passons !

Acceptons pourtant une autre affirmation : «sous la surface de l’évènement, d’autres histoires sont présentes» que l’historienne va «identifier, décrypter, et restituer dans leur épaisseur» (sic). D’accord. Mais l’auteur, à son insu, ne révélera-t-elle pas quelques présupposés ou préjugés ? Au risque d’en affaiblir ses analyses ?

Un groupe de frères, embryon de la nation, se révélant alors à elle-même… (p. 21)

Étrange expression : où il y a nation il y a lutte nationale, là c’est la lutte «nationale» qui est censée créer une nation. On nous dit même qu’il s’agit d’un embryon, on ne saurait mieux dire que ladite nation n’a pas encore vu le jour.

Dans ce chapitre, l’auteur semble éprouver quelque sympathie pour l’ALN. Elle ne craint pas d’embellir l’activité de ses combattants systématiquement appelés maquisards. Elle note avec une certaine fascination la rigueur de l’organisation et de l’entraînement de ces derniers.

L’implication des civils

R.B. est persuadée que les hommes d’Ali Khodja sont soutenus par la population. Elle se base sur ce que lui ont raconté les anciens du commando. «Aucune guérilla» écrit-elle «ne peut survivre sans l’appui des civils.» Il faudra donc qu’elle explique pourquoi celle-ci n’a pas survécu puisque dans son esprit (à elle R.B.) elle avait le soutien de la population. C’est une des contradictions fondamentales de ce livre. Nous y reviendrons.

p. 26. «Ce qui prouve que le peuple algérien est avec nous c’est que nous ne sommes jamais dénoncés» avait dit Ouamrane (le chef de la Wilaya 4 à cette époque) à Robert Barrat, un propagandiste du FLN.

Raphaëlle Branche enregistre cette affirmation sans sourciller. Or, s’il n’y a pas de dénonciation - à cette époque précise -, c’est que les éventuels opposants savent ce qui les guette : la mort précédée des supplices les plus affreux. Ultérieurement, quand la montée des exactions FLN sera devenue immense et la présence militaire française accrue, des musulmans s’enhardiront à dénoncer les «maquisards». Tout simplement parce qu’ils sauront à qui s’adresser pour le faire. On verra alors se modifier les rapports de force. La rébellion se sera évaporée et le prétendu soutien de la population avec.

Mais R.B. continue sa description des hommes du FLN. «Le soutien aux combattants de l’ALN se traduit par une aide quotidienne pour les loger et les nourrir… etc. Elle nous indique pourtant : …que les plus récalcitrants sont éliminés… Elle ajoute d’ailleurs : «Parfaire l’exécution de l’embuscade, c’est aussi achever les blessés français. Sans doute en fut-il ainsi à Djerrah [5] (hameau où eut lieu l’embuscade) pour certains d’entre eux (sic). Mesure propitiatoire dérisoire afin d’éviter les représailles, les cadavres français sont déplacés loin du village

Et en effet, des civils indigènes n’ont pas apprécié que les «maquisards» aient frappé si près de chez eux. «On va tout nous brûler.» disent-ils (p. 32). Les rebelles ont alors frappé les civils et infligé des amendes à certains. Tiens donc ! On croyait que les civils soutenaient les rebelles. C’est ce que nous explique R.B. «même à Djerrah, village acquis aux maquisards (sic) tous doivent être soumis et obéir absolument (resic).»

C’est bien donc d’avoir le soutien de la population mais cela n’empêche que celle-ci se doit de la boucler et de marcher droit (p. 32). Après tout la «nation» est encore à l’état embryonnaire.

Les choses changeront quand l’armée française implantera des SAS. Nous verrons cela plus loin.

Dans sa proclamation du 1er novembre 1954, le FLN affirmait qu’il était le seul représentant authentique, «qualifié» du peuple algérien. Qualifié par quoi ? Par le fait, qu’il dirigeait un soulèvement. Nos braves socialistes français de l’époque eurent toujours du mal à avaler cela. Comment pouvait-on prétendre représenter un peuple sans élection, et de surcroît  en maniant le gourdin et le couteau envers les dissidents .

R.B. (p. 33) évoque cependant la chose. «Le terrain militaire vient confirmer ce que les négociations politiques tentent d’obtenir : seul le FLN peut être le représentant du peuple algérien. ( !!)»

Car l’influence du FLN est forte. «Cependant la population est loin de lui être acquise partout. La situation est instable et un mouvement de balancier est nettement perceptible ( ?)» (p. 33)

Cet aveu qui contredit la propagande précédente démontre donc que tout le babil antérieur sur le soutien de la population était de la rhétorique. Car, nous dit R.B. «La présence du FLN s’est traduite aussi par des formes de pression diverses (ô le bel euphémisme !) de l’exécution d’individus considérés comme traîtres et dont les cadavres sont ensuite exhibés ; à la multiplication d’interdits entravant la vie ordinaire [6]…..» Entre mars et août 1956, 120 personnes sont tuées sur le territoire de la commune (par le FLN).

«Des Français aussi peuvent être visés (R.B. veut dire des Européens) …ils paient de leur vie leur lien avec l’entreprise de domination coloniale rejetée.» (p. 35). Leur lien !!

R.B. nous apprend pourtant que les enfants (en mars 1956) ne sont pas épargnés. Quel lien ont-ils avec la domination coloniale ? Mais, nous assure l’auteur, il se trouve qu’au sein de l’ALN, la décision de s’en prendre à des civils non armés est discutée, voire contestée. Et par qui ? Et quand ? R.B. n’a pas le temps de nous informer.

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Mustapha "Ali" Khodja

Alors faisons-le ici :

Ce sera discuté et, vite oublié, en août 1956, plusieurs mois après donc, lors de ce que le FLN a appelé le congrès de la Soummam. L’opportunité de ces actes sera contestée, mais, Krim et Ouamrane couvriront leurs subordonnés : Ali Khodja et Amirouche. Ensuite, on en parlera plus. Le FLN continuera donc à massacrer des civils non armés Européens et arabo-berbères confondus.

«La peur touche aussi les civils algériens» nous dit en effet R.B. Aurait-elle compris que le terrorisme consiste à terroriser ?

Car des régions entières demandent la protection de l’Armée française (p. 37). C’est au point qu’à en croire R. B., Abane lui-même chef FLN très influent se demande, en mars 1956, si ce n’est le commencement de la fin. Pour lui certainement, puisqu’il sera liquidé par ses propres compatriotes, «frères» et compagnons d’armes dans les mois qui suivront.

Madame Branche nous garde le meilleur pour la conclusion «alors que le renforcement de l’ALN / FLN est incontestable, le fait que les français continuent d’être informés de ce renforcement et possèdent de bons renseignements atteste un contrôle (R.B. veut dire mainmise) encore imparfait des habitants [7].» On nous avait dit le contraire avant, à savoir que les «maquisards» n’étaient pas dénoncés.

Décidément, ce chapitre aurait dû s’appeler vicissitudes du soutien populaire aux rebelles. Néanmoins R. B. continue à parler de la région de Palestro comme d’un espace sûr pour les insurgés.

 

1 - Coup d’éclat d’une guérilla conquérante

 

Histoires d’une embuscade

Son introduction est en effet étonnante. Logiquement le début d’un livre d’Histoire a pour objectif de présenter la recherche, l’enquête (istoria = enquête en grec) à laquelle va se livrer l’historien. Il annonce ce qu’il faut éclairer et comment il va s’y prendre. La lumière apparaître au fur et à mesure de ses découvertes.

Rien de semblable dans le livre de R.B. dont l’Introduction s’appelle Histoires d’une embuscade p. 11. «Le lecteur est invité à y [étude] entrer par une attention soutenue aux espaces». Arrive ensuite un développement où R.B. ne semble pas craindre d’afficher d’emblée quelque a priori... «[Espaces] ceux-ci sont en effet les enjeux essentiels de la guerre ; il s’agit fondamentalement de lutter pour ou contre l’Indépendance de l’Algérie.» (p. 11)

Or, toutes les guerres à ce jour ont eu, fondamentalement ou pas, dans leurs objectifs la conquête de certains espaces. Pour prendre le premier exemple qui me vient à l’esprit, l’actuel conflit qui ravage la Syrie, a montré l’importance pour le pouvoir comme pour la rébellion de tenir telle ou telle ville ou, a contrario, de les perdre.

R.B. semble persuadée que le but de l’activité militaire française durant la Guerre d’Algérie était de lutter contre l’Indépendance de ce pays. Il n’en était rien. Jamais la classe politique française que ce soit sous la IVe république ou sous le régime gaulliste n’a affirmé un tel objectif.

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Sans entrer dans le détail, on peut affirmer ceci : tout historien étudiant cette période notera que les dirigeants de la France, exceptés peut-être Mitterrand et Mendès-France, au tout début, n’ont jamais exclu l’évolution de l’Algérie vers un changement de statut. Depuis l’affirmation de la personnalité algérienne, jusqu’à l’autodétermination de 1959 en passant par le slogan : …la France restera en Algérie [mais sans dire sous quelle forme] jusqu’au fameux triptyque de Guy Mollet : cessez-le-feu, élections, négociations. Nous pouvons écrire que jamais [ou presque si l’on excepte les premières réactions de 1954] les dirigeants politiques français n’ont affirmé comme leur objectif de guerre (puisque Guerre il y avait) l’opposition à l’Indépendance de l’Algérie.

À plus forte raison ne fut-ce jamais l’objectif des opérations militaires, officiellement en tout cas, mais il n’y a pas d’objectifs militaires «officieux»). Le but fut : la pacification et l’organisation d’une consultation populaire. En mêlant la question de l’Indépendance, aux opérations militaires R. B. démontre une erreur d’analyse de ce que fut le conflit algérien. L’objectif réel était différent : ne pas négocier sous la contrainte d’une défaite militaire [8].

«…Empli du sens que les acteurs historiques investissent en lui, il [l’évènement] peut déployer toute sa force et même révéler à ses acteurs le pouvoir qu’ils ont de faire l’histoire.» (p. 11). Peut-être, mais encore faut-il ne pas partir de prémices fausses. Or, que lisons-nous ? «…Dans tout le pays en effet, l’identité s’est construite par le jeu de différences et de ressemblances qui a été celui de l’entreprise coloniale française (coloniser pour civiliser, coloniser pour assimiler, coloniser pour réduire l’altérité ou la cantonner) comme il a été celui de la lutte anticoloniale du FLN (mettre les Français dehors, redéfinir les contours d’une identité collective algérienne dégagée de cette influence)... Être attentif à ce qui s’est joué dans cette partie extrême [9] de l’Algérie, à l’entrée de la Kabylie c’est tenter d’éclairer ces constructions identitaires

identité collective ?

Constructions identitaires ! [10] Le mot est lâché. On pourrait même parler de reconstructions identitaires car, s’il y a une chose qui n’existe pas et n’existera probablement jamais, c’est l’identité algérienne [À moins de détruire médiatiquement ou par pression politique la véritable culture autochtone : la berbère].

Aucune identité collective algérienne ne s’est construite dans ce pays, ni durant le conflit ni après. Je ne sais pas au juste ce qu’entend R.B. par le jeu de différences et de ressemblances, mais dans une contrée où les Berbères sont profondément attachés à leur particularisme, où beaucoup sont conscients d’être pris dans un processus d’anéantissement culturel engagé depuis plusieurs siècles, l’identité algérienne est une abstraction, plus précisément une construction de la propagande FLN.

Et puisque R.B. est très intéressée par l’épaisseur du temps colonial, invitons-là à remonter jusqu’à la colonisation arabe qui vit la terre profondément berbère de Saint Augustin, de Saint Cyprien et de Tertullien devenir une conquête de l’Islam.

Dire que le but de la colonisation française fut de civiliser, d’assimiler, de réduire l’altérité ou de la cantonner ressemble à une inutile concession à la propagande du FLN.

La IIIe république a pu laisser entendre, parfois, que son but était d’assimiler l’Algérie à la France, non pas d’assimiler les populations mais les institutions. Cet objectif fut explicitement abandonné dans les années 1930. Il faut tenir compte également de la longue politique ethno-différentialiste des Bureaux Arabes puis de l’Empereur, qui précéda 1870. De plus ce qui a suivi les années 1920 du XXe siècle, fut une lente, malheureusement trop lente, avancée vers un accès croissant des Musulmans à la citoyenneté.

Menée au travers d’une évolution chaotique, avec des oppositions diverses et un manque d’audace que, rétrospectivement, on peut juger affligeant, cette progression trop timide, n’excluait pas la perspective de  l’émancipation complète de l’Algérie y compris sur le plan institutionnel. Raymond Aron l’avait bien compris qui affirmait dans son livre La tragédie algérienne que reconnaître la personnalité algérienne, ce qui fut fait par le statut de 1947 conçu par Edouard Depreux, c’était reconnaître, à terme, et compte tenu du contexte international, que l’Indépendance de l’Algérie ne pouvait être exclue (à jamais). Le but de l’Armée française ne fut donc pas de s’opposer à l’Indépendance de l’Algérie (quoi qu’aient pu dire, penser ou croire certains militaires de l’époque).

Aron tragédie couv

 

Mais revenons à R.B. :

«À sa manière (?), l’embuscade du 18 mai 1956 est une occasion de réfléchir sur les violences en jeu dans ces affrontements. Là aussi, l’articulation de l’infime et du global est aussi celle du singulier et du similaire» (p. 12)

«En effet tendre une embuscade puis mutiler les soldats n’est ni original ni propre aux maquisards des hauteurs de Palestro, ni aux Kabyles, ni aux Algériens ou encore aux combattants musulmans.»

«Les pratiques violentes évoquent en effet une forme de violence classique des guerres en terrain colonial (souligné par nous – c’est l’explication tautologique type), lorsque la guérilla est le mode dominant de combat, que la technologie s’oppose à la connaissance du terrain, la violence à distance à la violence de corps à corps, etc….. (?) Rapprocher cet évènement d’autres embuscades similaires [11] conduit à se défier du piège culturaliste qui en rabattrait (sic) les traits saillants sur des caractéristiques indigènes spécifiques.»

Les atrocités commises après le combat contre nos soldats relèveraient-elles de la spécificité du combat anticolonial ? Ou du contexte algérien auquel R.B. associe une longue habitude de la violence (du côté français) qui amène une violence en retour du «colonisé ».

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On pourrait discuter longtemps sur ce point. On pourrait analyser ligne à ligne le texte un peu jargonneux de l’historienne. Il tend à relativiser la violence atroce du FLN, violence gratuite [12] autant que contre-productive – car elle a durablement dressé l’opinion publique en France contre les insurgés – mais aussi violence aux conséquences imprescriptibles et ineffaçables.

Dans un prochain chapitre, nous reviendrons sur ce point. Mais plutôt que de prolonger les réfutations et les contestations, nous préférons rappeler ici ce que dit un jour le père de Camus et qui fut rapporté plus tard à son fils. Il s’agissait d’un contexte voisin et assez semblable. Faisant son service militaire au Maroc dans l’entre-deux guerres, le père de l’écrivain avait eu à connaître du cas d’un soldat français enlevé, tué et mutilé par des insurgés. Son commentaire fut le suivant : «Un homme ça s’empêche.» Ceci marqua le jeune Albert, qui le raconte dans Le Premier Homme. Ce sera aussi notre commentaire pour clore ce premier chapitre.

 

2 - Le vrai visage de la guerre (p. 41)

Cette partie du livre est largement consacrée à la présentation de la section martyre.

188 000 hommes ont été fournis en renfort à l’Armée de Terre en Algérie.

Hervé Artur, le sous-lieutenant qui commandait la section présente à Palestro a été volontaire pour l’Algérie. Il avait résilié (R.B. dit, on ne sait trop pourquoi, «dénoncé») son sursis. Ses parents vivaient au Maroc. Il était de ces Français très hostiles à la rébellion et décidés à la combattre. Il a 30 ans. Il est l’aîné de ses hommes.

Ces derniers malgré une formation en métropole, étaient loin d’être aguerris. La 6e compagnie du 2e Bataillon s’était vue confier la garde des Gorges de Palestro. Ce qui peut paraître quelque peu aventureux.

Aux Beni Amrane [13], le capitaine Bonafos fait office d’introducteur aux réalités locales. Le sous-secteur de Palestro a à sa tête le colonel Fossey-François officier chevronné et déjà prestigieux.

À l’échelon de la section, un lieutenant d’active, le lieutenant Pierre Poinsignon est le commandant de la 6e compagnie.

Le sous-lieutenant Hervé Artur aurait dû être au milieu de ses hommes durant l’embuscade. Il a choisi de marcher en tête, ce qui est, paraît-il, une faute. En outre, l’effectif minimal est de 2 sections réglementairement. Ce point n’a pas été respecté. Ainsi que d’autres d’ailleurs : la section Artur a eu 2 semaines de formation quand il faudrait 2 mois. Les media annonceront 22 rappelés égorgés ou disparus dans une embuscade. L’information sera reprise dans le Journal du Dimanche.

R.B. parle des «atrocités» subies. Pourquoi les guillemets ? (p. 55). Elle récidive en parlant de soldats «massacrés». Un des soldats Raymond Serreau est toujours porté disparu à ce jour.

Une évocation diverse de la presse de l’époque suit. France Observateur - c’est à noter – estime que les récits de mutilation sont de pures créations du service d’action psychologique de l’Armée.

Autre point à remarquer : le 18 mai 1956 est, en France, le jour d’une très grande manifestation des rappelés à la gare de Grenoble.

p. 60. R.B. écrit «morts pour la France». Pourquoi les guillemets ? Les parents du lieutenant Artur viendront à Beni Amrane. On lui décernera la croix de la valeur militaire à titre posthume.

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obsèques des victimes de Palestro, Benni Amrane

p. 68. Les commentaires de R.B. (Personnalité de l’Algérie) montrent qu’elle comprend fort mal la politique du gouvernement français de l’époque. Guy Mollet jugera plus tard que France Soir et Paris Presse ont fait plus de mal que les communistes (p. 69).

Le 19 juin 1956 – importance de la chronologie. Les premières exécutions de condamnés à mort FLN ont lieu à la prison Barberousse à Alger. Ceci déclenche un cycle d’attentats aveugles contre les Pieds Noirs.

R.B. pense (mais sans le prouver de manière précise) que ces exécutions ont un lien avec Palestro. Elle va jusqu’à dresser un portrait d’Abd-el-Qader Ferradj un des condamnés à mort exécuté. Il a participé à l’attentat du Col de Sakamody qui s’est traduit entre autres, par l’assassinat de la petite Françoise Salle (février 1956). Mais R.B. «plaide» que son engagement nationaliste était récent. Ce qui n’est pas le cas de Zabana  son co-accusé.

Pour reprendre son expression, l’auteur écrit que cette exécution (Zabana et Ferradj) est un ersatz (sic) de celle des responsables de l’embuscade de Palestro.

La vague d’attentats aveugles contre les Européens qui suivra dans Alger (le 20 juin) a, bien entendu, pour but affiché de venger les 2 exécutés. Les méthodes du FLN n’ont pas varié. R.B. suggère (emploi du conditionnel) que les 2 militaires portés disparus à Palestro auraient pu être fusillés en représailles par les rebelles. Ceci sous-entend que de mai 1956 jusqu’au 19 juin, ils auraient été prisonniers de l’ALN (Le Monde du 12 juin 1956) d’après un renseignement de la DST et 1H1504 SHD.

 

3 - L’Algérie sauvage (p. 77)

La sauvagerie des attaquants est mise en doute par l’historienne (p. 81) ; elle n’hésite pas à écrire «terroristes» avec des guillemets. On ne verra pas de photos des militaires mutilés ni à l’époque, ni aujourd’hui. Voici ce que devient le tout sous la plume de R. B. «les récits de mutilations lors de l’embuscade du 18 mai 1956, lesquels n’ont trouvé aucune traduction photographique médiatisée».

Par cette phrase jargonneuse, R.B. veut dire que les photos des corps mutilés n’ont pas été publiées dans la grande presse. Bien évidemment, le respect des familles, le souci de ne pas choquer expliquent largement cette réserve.

Mais R.B. n’est jamais en peine de produire des analyses particulières : «L’absence des corps mutilés des militaires français a offert une caisse de résonnance extraordinaire à l’imaginaire colonial.» (sic) L’emploi du mot imaginaire est ici significatif imaginaire et fruits de l’imagination sont proches. Toute l’information qui circule alors est en fait retenue. Ne pas montrer les corps profanés, c’est en fait respecter les familles et ne pas tomber dans le piège FLN qui a fait massacrer ces hommes (les blessés) et les a fait mutiler pour effrayer le contingent… «Voilà ce qui vous attend si vous tombez entre nos mains».

R.B. ne comprend pas tout cela et préfère s’étendre sur l’imaginaire «colonial». Que seraient les «imaginations» en réalité si l’on avait montré les cadavres défigurés et mutilés ?

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carte postale, Les gorges de Palestro

Ce qui apparaît en fait c’est que les [bandes ALN ne respectent ni les règles de la guerre ni celles de l’honneur] ce qui a été démontré de façon superfétatoire, tout au long du conflit, et pas seulement à Palestro (p. 84).

Puis, développement quelque peu fantaisiste sur la psychologie collective en France. Les images mentales vont venir combler l’absence de représentations photographiques et de récits précis des violences subies. Aurait-il fallu montrer ces photos, pour éviter ces «images mentales ». Il est au contraire vraisemblable qu’elles auraient suscité une répulsion bien plus grande encore et que lesdites images mentales qu’évoque l’auteur sont encore à des lieues,  au-dessous, de la réalité. Ce qui n’est pas écrit c’est que pour R.B. l’imaginaire des Français doit être empli d’images négatives racistes.

Car l’auteur est là qui va mettre de l’ordre dans tout ce désordre… Ils [les Français] y voient confirmé l’un des discours les plus prégnants [fréquents ?] sur les indigènes d’Algérie : celui d’un peuple sauvage et cruel. L’existence de structures culturelles coloniales anciennes s’y trouve en même temps révélée et attestée... démontrant, écrit-elle (p. 84) que les indigènes d’Algérie sont restés des sauvages, elle est une illustration parfaite de leur caractère criminel

Or, ceci est inexact. À aucun moment, les populations d’Algérie ne sont mises en cause collectivement mais comme tout est censé se dérouler dans l’imaginaire, R.B. peut tout affirmer même si rien de ce qu’elle assène n’est confirmé par les documents et les textes de l’époque. Il est vrai qu’elle prend des précautions purement rhétoriques comme celle-ci : «Même si les discours officiels s’efforcent de maintenir une distinction entre les rebelles et l’ensemble de la population musulmane» (p. 87).

Ils ne s’efforcent pas. Ils le font ; c’est tout. Il faudrait n’avoir aucun bon sens, aucune connaissance du pays et, aucune idée de la communication pour faire l’inverse.

Ceci n’empêche pas l’auteur de s’enfoncer dans son ornière interprétative : «Les violences des maquisards et des civils sont, en réalité, confondues dans un récit qui insiste sur le déchaînement, le dérèglement et l’atavisme.» Ce «en réalité» en dit long sur le côté interprétatif des analyses de l’historienne.

Il n’y a pas besoin de beaucoup d’imagination pour saisir ce que signifient dans cet épisode massacres et mutilations. Ils constituent le déshonneur du FLN qui les a ordonnés (ou laissés commettre dans le meilleur des cas).

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4 - Dans la voie de la violence (p. 105)

 C’est l’histoire de Palestro qui va revivre quelque peu dans les pages de ce chapitre. Elles s’ouvrent par un anachronisme ; nous renvoyons nos lecteurs à l’annexe en fin de chapitre où nous étudions ce point.

p. 105 suite. R.B. s’engage dans un développement prévisible. Lequel ? La violence du colonisé, celle du 18 mai 1956 à Palestro comprise, ne peut être examinée (et moins encore condamnée) sans tenir compte des «violences coloniales»les précédant. L'auteur ne parlera pas de circonstances atténuantes ; elle ne le suggère même pas. Pour elle, il s’agit d’une chose allant de soi.

Elle cite au début de son chapitre - tout naturellement est-on tenté d’écrire -, Franz Fanon (quelle référence !) : «Le colonialiste ne comprend que la force.» L’on pense irrésistiblement à ce que Camus appelait la légitimation du meurtre.

Ce que la préface de Jean-Paul Sartre à ce livre de Franz Fanon Les damnés de la terre a rendu encore plus explicite :

«Tuer un Européen, c’est faire d’une pierre deux coups ; restent un homme mort et un homme libre».

Mais il n’y a pas que le meurtre… Quid des mutilations et de la barbarie ? Faut-il croire que le colonialiste ne comprend que cela aussi ? Si tuer un Européen c’est faire d’une pierre deux coups, est-ce que le mutiler ce sera faire d’une pierre trois coups ? À tous ces errements de Sartre et de Fanon, nous opposerons encore une fois la phrase de Camus «Un homme ça s’empêche. »

(p. 105). Dans la vallée de l’Isser, le développement du village européen et de l’agriculture reposa, pour R.B., sur une spoliation massive et un appauvrissement brutal de la population locale.

En 1873, la loi Warnier permet la distribution de titres de propriété individuelle. Un marché foncier (important selon R.B.) se met en place (p. 100). La mise sous séquestre des terres des tribus révoltées accroît ce mouvement.

Notons que ce «mouvement» est entièrement l’œuvre du nouveau régime républicain qui va s’efforcer de prendre le contrepied de la politique de l’Empereur et de bureaux arabes qui respectaient l’identité musulmane (ou prétendue telle) de la population.

Certaines familles européennes venant d’Alsace-Lorraine - que le Traité de Francfort du 10 mai 1871 contraignit à partir -, dans leur désir de rester françaises se rendirent en Algérie. Le nom de la famille Becker qui fournit plusieurs maires au village est passé à l’Histoire.

1889. La population européenne de ce centre s’oriente à la baisse dès la fin du XIXe siècle néanmoins,à l’échelon de la commune mixte et cela en valeur absolue et relative. La cause : de mauvaises années agricoles. 1899, 10,5 de Français européens en moins. 48,5 de Français musulmans. Thiers et Beni Amrane se vident. 445 personnes à Palestro au début de la rébellion en 1954.

(p. 102-103). Développement consacré au monument commémorant les colons de 1871. R.B. le qualifie d’imposant.

R.B. nous invite alors à plonger dans le passé de dépossession de l’époque y compris dans ce qui a précédé l’insurrection de 1871.

Un long développement

Une longue histoire de bornages et de conflits domaniaux suit. Elle expliquerait le soulèvement quasi unanime des tribus locales qui voient l’administration française comme biaisée et injuste envers eux. Les confréries appellent à la guerre sainte. La Rahmaniyya, selon R.B., a un pouvoir d’implication réel. Selon l’auteur qui s’appuie sur Louis Rinn [14], le marché de Palestro ruine celui des Ammals et obère d’importance celui des Beni-Khalfoun.

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Janvier 1873. 8 condamnés à mort. 8 autres envoyés en déportation. Une pétition amènera une remise de peine pour Saïd ou Ali ou Aïsse plus Ben Ramdane et 3 autres allègements (p. 115). Saïd Ben Ramdane précédemment condamné à mort et Ahmed Ben Dalmane arrivent à faire lever le séquestre sur leurs terres. Les tribus Ammals et Krachnas seront plus particulièrement visées.

12 familles européennes doivent s’installer aux Beni-Amrane. Le Préfet devra expulser par la force les indigènes qui refusent de partir vers d’autres terres. Les 600 ha du petit centre de colonisation sont multipliés par 5. Les terres disponibles augmentent en superficie. Les Beni-Khalfoun perdent leur terre sur le versant droit de l’Isser. Un tiers environ. R.B. affirme que les terres les plus fertiles sont perdues pour les indigènes.

Les indigènes doivent donc se resserrer sur leurs terres et utiliser les moindres parcelles. À la fin du siècle, la pression démographique commence à devenir considérable. Pour R.B., c’est naturellement un effet du séquestre. Toutefois, la pression démographique a d’autres causes dont elle ne dira rien : progrès de l’hygiène due à la présence européenne, recul subséquent de la mortalité infantile.

L’offre de travail manuel sans qualification croît aussi largement. Les habitants de cette région vont donc travailler en Mitidja. Bien sûr, une certaine exploitation en résulte. Des bandes criminelles apparaissent aussi (p. 119).

L’État dit «colonial» n’adhère d’ailleurs pas à toutes les entreprises et initiatives des «colons». En 1890, le Préfet refuse d’exproprier les indigènes. Le village de Palestro se développe. À la fin du XIXe siècle, il est l’un des plus prospères. Toutefois, et selon R.B., il semble à ce moment avoir acquis tout son développement. Pour appuyer sa démonstration, R.B. cite la note 71 du chap. 4 plus cote 77 du dossier ANOM ; un palier est atteint suivi d’une décroissance.

(p. 121). R. B. reconnaît qu’elle part d’un postulat : celui d’une «identité collective définie par l’Histoire et, en l’occurrence ici par la dépossession foncière».

À notre avis, il s’agit là d’un élément bien réducteur : en particulier pour former une identité collective. Naturellement, on ne peut attendre de R.B. qu’elle fasse allusion à l’Islam, religion taboue dans la France d’aujourd’hui. Or, il y a bien d’autres éléments encore qui entrent en jeu : l’identité berbère toute proche et très vivace [15].

L’attitude des tribus locales vis-à-vis du pouvoir turc avant la conquête. Madame Branche qui aime beaucoup évoquer l’épaisseur du temps historique n’en tient compte que lorsqu’il s’agit de la période française. Turcs, Arabes, Berbères, absents !

La violence déployée dans la région de Palestro au printemps 1956, revêt des sens multiples : criminelle pour les uns, libératrice pour les autres. Soyons attentifs car nous allons bientôt retrouver les arguments poids-plume à la Franz Fanon.

«Plus intimement aussi [la violence] témoigne qu’il existe, au sein de la société algérienne, une envie collective (souligné par moi) d’autres formes de pouvoir et d’avenir.» (p. 122)

Pas si collective que ça. Et là nous retrouvons à nouveau l’idéologie anticoloniale avec sa manie de voir des peuples unanimes partout. Tel est le sens de ce collectif.

«Sur cette terre marquée par la violence et l’humiliation, tuer des militaires français, abimer leurs corps, c’est reprendre possession de soi (sic) : agir» (p. 122 dernier paragraphe).

Et voilà ! Passez muscade.

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Et cela continue. p. 123. R.B. se livre à une hypothèse (gratuite ?) sur le lieutenant Artur qui commandait la section.

«Ne jugeait-il pas en effet qu’il était nécessaire de tutoyer tout le monde, y compris les chefs de djemaa qu’il tenait pour les responsables personnels de la lutte contre le FLN ?»

Réponse de R.B. : «Peut-être a-t-il payé de sa mort son arrogance. »

En tout cas, Artur n’est plus là depuis longtemps pour répondre à ce type d’accusation. Heureusement : R.B. a nuancé son propos : «La vengeance ciblée est une hypothèse peu probable

La violence n’est jamais émancipatrice. Voilà ce qu’il convient de dire à cette historienne. Ce qui compte ce n’est pas l’épithète, c’est le substantif.

Certaines révoltes sont peut-être inévitables. Lorsqu’elles éclatent il faut leur imposer des limites car elles sont toujours un mal. Comme le souhaitait Camus, le révolté doit mettre sa fièvre et sa passion à diminuer l’occurrence du meurtre autour de lui. Car, et oui, «il y a des moyens qui ne s’excusent pas

Enfin pages 124, 125, 126, on trouvera encore une analyse relative à la mutilation des soldats. Selon R.B., celle-ci fut opérée par des femmes et elle fait l’objet d’une analyse psycho-anthropologique plutôt faible.

«Le FLN a su se présenter comme le vengeur de ces violences séculaires» p. 128.

Mais cela ne suffit pas pour R.B. il faut aussi que ces actions fassent exister une collectivité politique nationale (?) discriminée par les Français et désormais en lutte.» (p. 129). R.B. ne prend-elle pas pour argent comptant la rhétorique FLN la plus creuse ?. Un peu plus loin on apprend qu’Ali Khodja a peut-être (merci pour ce peut-être) réussi l’amalgame de l’homme d’honneur et du maquisard (on dit d’habitude bandit d’honneur).

p. 123. «Dans cette embuscade à laquelle ils participent, les habitants de Djerrah ont su trouver leur place !» (?)

«Ils l’ont inscrite à l’intérieur du cadre élaboré par la société locale : elle fonctionne comme ces pratiques violentes qui ressortissent aux gestes de l’honneur social [16] (entendre comme un ensemble de réalités qui colorent leurs interactions à l’intérieur de leur société et qui, de ce fait, sont aussi soumises à des variations selon les situations). Dans le Rif (où se trouvait le père d’Albert Camus, noté par Jean Monneret) celui qui a triomphé de cette manière c’est-à-dire par ruse s’expose ensuite en tirant un coup de feu en l’air


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1er commentaire

annexe au chapitre 4


Sur des Tyroliens «italophones »

À la page 93, est mentionnée l’arrivée en 1868 de «Tyroliens»... Madame Branche les décrit curieusement comme tels. Il est pourtant précisé que la première messe fut dite, à leur venue, en italien (p. 95). L’auteur, malgré cette indication opposée, continue d’affirmer qu’ils étaient Tyroliens, ce qui peut surprendre. Le Tyrol du Sud en Italie, se confond avec le Haut Adige, région bien connue pour être germanophone.

Cette région fait aujourd’hui partie de la République Italienne mais, à l’époque dont parle R.B., en novembre 1868, elle était sous domination autrichienne. Pour cette période, des Tyroliens italophones ça sonne bizarre. Il est invraisemblable que telle ait été l’origine des immigrants venus à Palestro. Il est plus probable qu’ils étaient originaires du Trentin zone voisine de l’Adige autour de Bolzano, territoire italophone celui-là.

Ce n’est qu’après la Grande Guerre, en 1919 donc, que l’Italie s’empara du Haut Adige, territoire d’ailleurs demeuré germanophone jusqu’à ce jour. Il résista en effet à la vaste immigration italienne que le régime mussolinien y avait organisée pour des motifs nationalistes. L’assimilation recherchée fut mise en échec et aujourd’hui nombre d’habitants de cette zone, toujours germanophone se verraient bien rattachés à l’Autriche.

Puisque la messe d’inauguration du village fut dite (le sermon) en italien, ce détail eut dû empêcher R.B. de commettre un anachronisme en parlant de Tyroliens. Mais ne soyons pas sévère. Sans doute, l’auteur n’a-t-elle fait que retranscrire les archives qu’elle a lues. Pour les scribes de l’époque : Tyrol, Haut Adige, germanophones, italophones cela devait paraître obscur et compliqué. Une vraie tchoutchouka comme l’eût dit Cagayous.

 

2e commentaire

annexe au chapitre 4


Sur le tutoiement

Lorsque quelqu’un dans l’Algérie d’antan reprochait à un Français d’Algérie de tutoyer un peu trop facilement les arabo-berbères, il révélait immédiatement, et sans évidemment en être conscient, son ignorance des réalités locales. Mgr Duval en arrivant en Algérie «s’illustra» de la sorte.

Dans un pays méditerranéen, les gens se tutoient très facilement. En Italie, par exemple, le tutoiement est de rigueur entre collègues de travail, amis des amis, voisins, paroissiens etc… Aujourd’hui encore lorsque des pieds noirs se rencontrent, comme cela nous arrive souvent, pour la première fois, dans une conférence, un colloque, une commémoration, une réunion quelconque, le tutoiement est aisé et naturel.

Il en était bien évidemment ainsi avec les Musulmans, collègues de travail, voisins, amis etc… Il en était d’autant plus facilement ainsi que la langue arabe ignore le vouvoiement. L’arabo-berbère s’adressant à un pied-noir le tutoyait donc tout naturellement. Celui-ci savait qu’il n’avait pas à s’en offusquer et tutoyait à son tour. La chose était banale, naturelle et sauf à s’adresser à des notables, elle ne posait aucun problème. Y voir aujourd’hui une familiarité déplacée reposant sur une sorte de mépris raciste est une reconstruction a posteriori, inspirée par l’européocentrisme.

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5 - Empreintes et échos

Une région bouleversée p. 142. Nous sommes en 1957.

À Palestro, se concentrent les Français et les pouvoirs... ce que résume ainsi R.B. : «une commune qui tente en fait de rattraper en quelques années comme ailleurs en Algérie, les retards accumulés vis-à-vis de la population autochtone pendant de longues décennies». Ce qui est vrai malheureusement. Mais ces retards ne sont pas dus aux Européens du coin quoiqu’on dise aujourd’hui. Néanmoins, c’est à eux qu’on les a fait payer. Injustice suprême

Palestro est élevée au rang de sous-préfecture.

Note 9 / 2 bureau / + DOP y pratiquent la torture.

Note 10. 11. 12.

Sur tous ces points, des vérifications s’imposent. La torture ne fut pas absente du conflit. Mais les adversaires de l’Armée française n’ont jamais prouvé qu’elle fût généralisée. R.B. parle en outre ici de viols. La note 14 du Père Luca demanderait ainsi que la note 15 appuyée sur Mgr Duval, dont l’objectivité est sujette à caution, de sérieuses vérifications.

On y lirait ceci : «Là où passe compagnie il ne reste plus un poulet ni une vierge. Le colonel fait le mort. [Le] capitaine de SAS tue.» (note 15). Présenter ceci comme un témoignage valide alors que le témoignage humain est des plus fragiles et alors qu’il s’agit d'affirmations, sans preuves, contre l’Armée française, est intellectuellement discutable.

R.B. écrit alors ceci : «L’existence de cette violence, arbitraire bien souvent, débridée parfois, ne peut seule rendre compte des évolutions de la population algérienne, qui tantôt paraît (sic) passive tantôt semble pencher vers la France tantôt lui préfère le FLN.» (p. 144)

L’utilisation ici des verbes paraître et sembler est remarquable. Si R.B. est contrariée par l’évolution en question, elle écrira : elle paraît passive, si elle est contrariée par son ralliement à la France, «elle semble pencher en faveur de la France».

Dans ces cas-là, il s’agit d’une illusion. C’est ce qu’elle suggère. Mais si la population préfère le FLN, faut-il comprendre que là c’est du solide ? En fait, comme elle semble tenir le FLN en estime, elle a du mal à comprendre que la population se rallie à la France.

On apprend même que les habitants de Beni-Amran (qu’elle s’obstine à écrire sans "e" pour ne pas faire comme à l’époque coloniale) se sont distingués par leur peu de soutien à la cause du FLN.

Sans doute est-ce le travail du capitaine de la SAS ? N’a-t-il pas réussi, ici, à constituer une alternative fiable aux actions des nationalistes ?

Question ? Est-ce de lui que parlait Mgr Duval précédemment ? Rappelez-vous Le capitaine de SAS tue. Tiens ! Il ne faisait pas que cela, dirait-on ! Le capitaine Bonafos est l’artisan d’une manifestation de 3 000 femmes aux Ouled Hadada. Tiens ! Là aussi les viols étaient, nous a-t-on suggéré, innombrables.

Le capitaine Bonafos demande même au sous-préfet de libérer des internés administratifs retenus pour délits mineurs. Il fait même distribuer de la semoule aux familles. R.B. en profite pour souligner que le village des Ouled Djerrah a été rasé après l’embuscade. D’après les cartes de 1853 et celle de 1959, lorsqu’on les rapproche, cette zone est devenue zone interdite entre ces deux dates. La population afflue donc dans la vallée.

Néanmoins (et, pour R.B. ce n’est pas négligeable), Omar Oussedik, chef adjoint de la W. 4, affirme que la Zone 1 s’est maintenue durant tout le conflit.

Au printemps 1958, il faut bien néanmoins le constater, de nombreux jeunes s’engagent dans les harkas ou les SAS.

Le curé (Luca ?) [17] note un accroissement des volontaires pour les forces de l’ordre, chez les indigènes. Des groupes d’autodéfense apparaissent (et non paraissent ou semblent) partout.

La réalité c’est que le FLN est vu comme l’ennemi de la paix par la population.

p. 149. Malgré cela, R.B. pense que Ali Khodja et ses «hommes» sont des sortes de héros ! Comprenne qui pourra !

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p. 151. Tout le passage sur les harkis est à lire.

De tels passages dans le livre de R.B. compensent. Elle ne veut pas qu’on lui reproche, d’ignorer délibérément les violences du FLN et ses crimes. Alors, de tels aperçus de sa part, montrent qu’elle est au courant. Ce qui ne l’empêche pas de faire preuve d’un petit a priori pour ses chers «maquisards».

 

6 - Conclusion

À propos du village de Ouled-Djerrah qui fut rasé

[souvent appelé simplement Djerrah ou Djerah]

p. 153. R.B. signale que vers 1972, le cinéma de Lakhadria (Palestro), à son ouverture, prit le nom de Djerrah. Ce village où eut lieu l’embuscade, et auquel les habitants furent associés dans la participation aux mutilations de nos soldats, a connu un destin tragique.

En effet, l’Armée française l’a détruit en rasant systématiquement les maisons qui le composaient au motif qu’il y avait responsabilité collective des habitants.

R.B. note, sans y insister d’ailleurs que le nom de Djerrah est tenu pour glorieux localement (puisqu’il fut marqué par un échec de l’armée française), mais localement seulement.

Tout au plus note-t-elle que Franz Fanon a signalé «le massacre de la population du village comme l’un des exemples emblématiques de l’inégale valeur de la vie dans l’Algérie française.» (p. 153)

Référence. Dans les Damnés de la Terre, réed. Gallimard, Folio 1991, p. 123

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une référence ?

Je cite Fanon «comptent pour du beurre, la mise à sac des douars Guergour, de la dechra Djerah (sic), le massacre des populations qui avaient précisément motivé l’embuscade».

[On ne sait pas ce que veut dire ce dernier membre de phrase, que nous soulignons].

Or, ceci mérite néanmoins quelques commentaires.

En écrivant dans son livre, p. 153, ce que Fanon a dit dans son propre ouvrage, il me semble que R.B. fait erreur. Fanon n’était pas un historien mais un agitateur politique.

Sa haine de la colonisation, et de bien d’autres choses, ne le portait pas à l’objectivité et personne ne s’en étonnera.

Mais l’historien a le devoir de respecter les faits. Or, si le village a été rasé, sa population n’a pas été massacrée. Fanon, tel qu’il l’écrit, laisse entendre que la population du village fut massacrée par les Français. Connaissait-il d’ailleurs les dessous et le contexte de cet épisode ? L’orthographe fantaisiste du nom, le fait que Fanon évite de dire Palestro, qu’il ait l’air de renverser l’ordre des facteurs et qu’il parle d’une embuscade motivée par le massacre (confusion sur le déroulement chronologique), autant d’éléments ne plaidant pas en faveur de la clarté d’analyse de l’auteur. Laissons-là ce personnage. Notons toutefois que R.B. a cru utile de le citer donnant ainsi du crédit à cette phrase de Fanon pourtant si peu historique ?

Car enfin que s’est-il passé à Ouled Djerrah après l’embuscade ? selon R.B. p. 181.

«Dans l’après-midi qui suit la découverte des cadavres français, 44 Algériens sont liquidés sommairement. La majorité de l’aveu même des autorités militaires responsables, sont des fuyards qui cherchent à échapper à l’encerclement au nord de la zone nord de l’embuscade…».

Le tir sur les fuyards dit R.B. est autorisé depuis une instruction ministérielle de 1955. Ce n’est pas exact à 100%, mais il est vrai que ceci a pu servir à camoufler des exécutions sommaires. Les militaires français engagés dans l’opération Remou [18] eurent à rechercher Artur et sa section antérieurement.

Dans le dossier I H 3452/1, il est indiqué, selon R.B., que l’on avait informé les soldats français de l’état dans lequel on avait retrouvé leurs camarades. Il semble en outre que 1/3e RIC (CR d’opération signé Peillard I H 3452/1) ait découvert un charnier. Aucune indication n’est donnée sur la nature de ce charnier.

Il n’en demeure pas moins - l’historienne semble le comprendre -, que l’état d’esprit des militaires français n’est pas à la gentillesse. «La discipline de feu des intéressés aura à en souffrir» et «la recommandation de ne pas tirer sur des autochtones n’ayant fait aucun acte hostile» également.

Il semble, écrit-elle, que la retenue n’ait pas été l’effet recherché dans cette opération. [19] (p. 181).



bilan Palestro

Toutefois et même si l’historienne a raison sur ce point, 44 exécutions sommaires ce n’est pas «le massacre de la population du village» comme l’écrivit mensongèrement Fanon. R.B. aurait peut être dû prendre nettement ses distances par rapport à cette affirmation ?

N’importe quel lecteur lisant aujourd’hui qu’après l’embuscade et l’acharnement ignoble contre nos soldats, le village d’Ouled Djerrah «fut rasé», pensera que les habitants du village subirent le même sort que ceux d’Oradour.

R.B. évoque quant à elle la destruction du temple de Jérusalem par Nabuchodonosor et celle du Palais Royal de Persépolis par Alexandre.

Pourtant, et même si des excès furent commis, il est à peine nécessaire de préciser qu’en fait, il n’y eut rien de comparable. L’exécution de 44 «fuyards», avec ce que ce terme comporte d’ambigu, ne représente qu’une partie de la population. Sans doute était-ce trop. Mais laisser entendre que toute la population fut passée par les armes serait bien peu objectif.

R.B. veut ensuite à démontrer, que ces excès en retour favorisèrent finalement les maquisards lesquels, jusqu’au bout, restèrent populaires dans les montagnes. On avait cru comprendre le contraire…

Jean Monneret

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Indications bibliographiques

- Jean Noël, Journal d’un administrateur à Palestro, Ed. Baconnier, voir dans le livre p. 32 – note 50 de R. B. p. 189.

- M.Guily qui fut un des premiers présidents du CDHA, avait été administrateur à Palestro.

- Voir aussi I H 1651 (SHD) en plus de 1 H 3452.

- p. 145, indications de R.B. sur Ouled Djerrah rasé. Les cartes militaires l’indiqueraient

 


[1] Raphaëlle Branche, L'embuscade de Palestro. Algérie 1956, Armand Colin, 2010.

[2] D’autres comme Franz Farron laisseront entendre que les villageois furent massacrés, comme si tous avaient été passés par les armes. Ce qui inexact.

[3] Et alors que sont inclus dans cette nationalité putative les Musulmans hostiles au FLN même si leur hostilité va jusqu’au rejet de l’Indépendance.

[4] Le français de R.B. est parfois très moderne. Il faut sans doute comprendre ici : ignoré délibérément voire laissé de côté. Le dialecte français moderniste est truffé d’anglicismes.

[5] Tout le monde retint le nom de Palestro à l’époque mais le village le plus proche s’appelait Ouled Djerrah. Le plus étrange, c’est que ce nom signifie chirurgien en français. Pour un lieu où l’on achevait les blessés !! Quel paradoxe !

[6] Quels sont ces interdits ? fumer, priser, faire appel à la justice française. R.B. nous précise qu’il s’agit là de la vie ordinaire telle que la France coloniale l’avait organisée. Fumer, priser, aller au tribunal c’est cela en effet l’abjection coloniale.

[7] (comprendre sur les habitants).

[8] Comme à la suite de Dien Bien-Phu en Indochine par exemple.

[9] À 80 km d’Alger ( ? )

[10] On notera le pluriel prudent.

[11] R.B. ne nous dit pas lesquelles.

[12] Gratuite mais pas inutile car elle vise à terroriser les jeunes soldats du contingent. Ceci fut aussi contre-productif car sachant ce qui les attendait s’ils tombaient aux mains du FLN, ceux-ci se radicalisèrent alors que beaucoup étaient venus en Algérie avec bien des réticences. Tout ceci aggrava la violence générale. Mais après tout n’était-ce pas aussi le but du FLN : la montée aux extrêmes ?

[13] Lieu de cantonnement des militaires tués.

[14] Louis Rinn  Marabouts et Khouans.

[15] Si vivace que dans certains villages arabophones, une partie des habitants (à cette époque) parle berbère et l’autre un patois mi arabe mi kabyle que de purs arabophones comprennent mal.

[16] Julien Pitt-Revers. Cambridge. Essay on the Anthropology of the Mediterranean p. 215.

[17] Il semble que dans l’esprit de l’auteur, les témoignages des ecclésiastiques sont considérés comme particulièrement valables. Certes, ces personnes doivent être créditées a priori d’une valeur morale, mais les hommes, en matière de témoignage, ne sont pas immunisés, loin de là, contre le subjectivisme. Ils réagissent en fonction de leurs habitudes mentales et pas uniquement en fonction de ce qu’ils ont vu.

[18] Opération de recherche des soldats français et de chasse aux rebelles.

[19] Si tel fut le cas, on peut toujours estimer que la répression collective est en toute hypothèse une erreur dans ce type de guerre. En l’occurrence seul le FLN en aura tiré bénéfice. Mais il est facile d’écrire cela 56 ans après. Sur le moment et dans ce contexte les excès sont difficiles à éviter.

 

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 - sur ce livre : Blog-Notes, 23 décembre 2013

 

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26 décembre 2013

Daniel Lefeuvre, par Guy Pervillé

Daniel Lefeuvre 2008
Daniel Lefeuvre, Paris, 2008

 

Daniel Lefeuvre,

11 août 1951 - 4 novembre 2013

 Guy PERVILLÉ

 

Daniel Lefeuvre nous a quitté le 4 novembre dernier, à l’âge de 62 ans, par suite d’une grave maladie dont il avait informé ses amis il y a plus de trois ans, le 24 mai 2010, et dont plusieurs traitements successivement essayés n’ont pas pu venir à bout. Pendant plus de trois ans, à part quelques éclipses momentanées, il nous a fait croire qu’il se portait aussi bien que possible et il continuait à vouloir se projeter dans l’avenir. Maintenant qu’il a cessé d’être des nôtres, le moment est venu de nous interroger sur ce que nous avons su de lui et ce qu’il nous a apporté.

Résumer sa carrière par une notice biographique est relativement simple, à condition d’être bien informé par ceux qui l’ont connu mieux que moi. Son camarade et ami de longue date, Michel Renard, m’a fourni le texte de l’émouvant exposé qu’il a lu le 12 novembre dernier devant une nombreuse assistance réunie pour lui rendre un dernier hommage à l’Hôpital Lariboisière.

Né dans une famille ouvrière très modeste dans la banlieue parisienne, orphelin de père, Daniel Lefeuvre fut très jeune un militant convaincu des Jeunesses communistes, puis de l’Union des étudiants communistes, et il participa au groupe «Union dans les luttes» qui militait pour l’union de la gauche au début des années 1980. Très engagé dans la vie syndicale et dans celle de l’Université de Paris VIII où il étudiait l’histoire, initié à l’histoire économique par Jean Bouvier, il mit du temps à s’investir totalement dans une thèse de doctorat dirigée par Jacques Marseille, et portant sur l’industrialisation de l’Algérie de 1930 à 1962, qu’il soutint en 1994.

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Devenu, la même année, maître de conférences à l’Université de Paris-VIII-Saint-Denis, il passa son habilitation à diriger des recherches (HDR) à la Sorbonne le 18 décembre 2001, devant un jury composé des professeurs Jacques Marseille, Daniel Rivet, Jacques Frémeaux, Marc Michel, Michel Margairaz et Benjamin Stora - auquel il succéda en tant que professeur en 2002.

En même temps, il devint secrétaire général de la Société et de la Revue française d’histoire d’outre-mer durant plusieurs années ; à ce poste, il inaugura la nouvelle formule de la revue, qui de trimestrielle devint semestrielle à partir du premier semestre 1999, et il réalisa la publication immédiate et simultanée des actes du grand colloque en l’honneur de Charles-Robert Ageron réuni à la Sorbonne du 23 au 25 novembre 2000, sous le titre La guerre d’Algérie au miroir des décolonisations françaises [i].

colloque Ageron 2000

Peu à peu j’ai appris à connaître ce nouveau collègue sympathique et dynamique, qui s’était présenté à moi un jour que nous travaillions l’un et l’autre à la Bibliothèque nationale pour préparer nos communications à un même colloque. Mais à vrai dire son nom ne m’était pas inconnu, et il vaut la peine de raconter pourquoi.

En effet, alors que j’avais publié un premier article sur la guerre d’Algérie dans la revue L’Histoire en mars 1983, j’avais eu à répondre dans le numéro de mai à trois lettres de lecteurs, parmi lesquelles deux venaient d’intellectuels anticolonialistes, dont l’un s’appelait Daniel Lefeuvre. Il me paraît intéressant de reproduire aujourd’hui ce texte vieux de trente ans, auquel j’avais répondu de mon mieux :

 

«Les responsabilités de la France» [ii] (1983)

«Guy Pervillé s’efforce de d’établir le nombre de morts de la guerre d’Algérie. En s’appuyant sur les analyses d’André Prenant, il propose une fourchette entre 300.000 et 400.000 victimes. Reste à répartir les cadavres. G. Pervillé conteste les versions officielles des deux parties et pense qu’un certain équilibre s’est réalisé dans les pertes infligées au peuple algérien par les deux camps.

L’image que donne G. Pervillé de la guerre d’Algérie est donc celle d’une guerre où s’affronteraient deux ennemis : l’armée française et le FLN. Tous les deux étrangers au peuple algérien cantonné au rôle de victime des exactions de l’une et de l’autre. Derrière la froideur d’une analyse comptable, cette thèse habille de neuf la vieille propagande des tenants de "l’Algérie française", pour qui le FLN se réduisait à une poignée de fanatiques dirigée de Moscou ou du Caire et dont les relations avec le peuple algérien étaient basées uniquement sur la terreur. Et de cette hypothèse découle une affirmation attendue : "Quel que soit le bilan définitif, ces observations contraires au mythe du soulèvement national unanime suggèrent qu’une guerre civile entre Algériens accompagna la guerre franco-algérienne".

Cette deuxième "découverte" est surprenante de la part d’un historien, puisque toutes les guerres de libération nationale ont toujours revêtu ce double caractère, et que cela tient aux conditions mêmes de la domination coloniale qui, pour s’imposer et se maintenir, a dû s’appuyer sur une partie des populations indigènes, couches privilégiées et supplétifs engagés dans les force armées et de police. Que les caractéristiques propres au mouvement national algérien, mouvement messianique, essentiellement à base rurale à parti de 1956, organisé comme Armée-État, aient aggravé ce que Pervillé appelle des "règlements de compte", nul n’en disconviendra.            

Mais l’essentiel est escamoté par l’article : de 1954 à 1962 l’Algérie fut le théâtre d’une guerre de libération nationale à laquelle la plus grande part du peuple algérien donna son adhésion, comme le prouvent les ralliements successifs au FLN en 1955 et 1956 (de l’UDMA, des Oulémas, du PCA) ainsi que les manifestations de masse que le Front fut capable d’organiser tant à Paris qu’à Alger. Le peuple algérien en faut pas seulement spectateur et victime de la guerre,  il en fut aussi, à des degrés divers, acteur. L’analyse qui nous est proposée, en renvoyant dos-à-dos les adversaires, aboutit en fin de compte à masquer les responsabilités de la France dans le bilan très lourd de la guerre d’Algérie. Elle fait dévier le débat : tous coupables, inutile d’ouvrir le procès.

Décidément, la guerre d’Algérie n’a pas fini de démanger désagréablement notre conscience». Daniel Lefeuvre. [iii]     

 

Un premier tournant scientifique (1988-2006)

Cinq ans plus tard, à l’occasion du colloque sur La guerre d’Algérie et les Français organisé par Charles-Robert Ageron en 1988 et publié par Jean-Pierre Rioux en 1990, c’est un autre Daniel Lefeuvre qui s’est révélé à moi.

Converti à la discipline intellectuelle de l’histoire économique par son maître Jacques Marseille - qui avait le premier renoncé aux idées reçues du marxisme tiers-mondiste en réalisant sa propre thèse, Empire colonial et capitalisme français, histoire d’un divorce, publiée en 1984 - il s’était attaché à en appliquer la méthode au cas de l’Algérie en recherchant ce qu’avaient été l’importance économique de l’Algérie pour la France et la timide apparition d’une politique d’industrialisation de ce pays par la France entre 1930 et 1962.

N’étant pas compétent dans cette branche de l’histoire, j’ai d’autant plus apprécié ce qu’il m’apportait que j’y trouvais un complément et un approfondissement de ce que j’avais moi-même trouvé aux Archives d’outre-mer sur la nouvelle politique algérienne élaborée par le CFLN à Alger en 1944, et qui visait à rendre l’Algérie vraiment française par un ensemble de réformes politiques, économiques et sociales tendant à accélérer l’intégration de l’ensemble de ses habitants dans la France.

J’ai donc lu avec le plus grand intérêt sa thèse, qui fut publiée à deux reprises en 1999 par la SFHOM [iv]  et en 2005 par les éditions Flammarion [v]. Et j’ai lu avec la plus grande attention toutes les communications qu’il a présentées dans de nombreux colloques sur des sujets concernant la dimension économique et financière de la politique de la France en Algérie [vi], mais aussi les conditions dans lesquelles les «rapatriés» d’Algérie ont été accueillis et recasés en France métropolitaine, notamment son étude sur «Les pieds-noirs» publiée en 2004 dans le grand ouvrage collectif dirigé par Mohammed Harbi et Benjamin Stora sous le titre La guerre d’Algérie, 1954-2004, la fin de l’amnésie [vii].

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Je l’ai aussi invité à l’Université de Toulouse-Le Mirail pour participer, le 19 mai 2003,  à une journée d’étude sur les exodes d’Algérie en 1962. Dans son exposé, il avait décomposé l’exode des citoyens français d’Algérie en quatre périodes chronologiques distinctes : la première allant de 1943 à 1959, la deuxième de septembre 1959 à mars 1962, la troisième, d’avril à août 1962, étant «la ruée», et la quatrième, de septembre 1962 à 1965, la queue du mouvement.

Faisant le point sur les modalités de cet exode avec la plus grande exactitude, il observait néanmoins que «contrairement à ce qu’a retenu la mémoire douloureuse des rapatriés, le rapatriement avait été pensé et préparé par l’administration».

Dans les débats, il avait vigoureusement insisté sur cet «énorme décalage entre les représentations et la réalité», montré que le bilan avait été positif pour la population accueillie, parce que, la société métropolitaine étant alors plus ouverte que celle de l’Algérie coloniale, avait offert aux «pieds-noirs» des possibilités de promotion plus grandes.

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Le pays d’arrivée en avait également bénéficié, étant donné que l’économie française n’avait pas souffert de la «perte» de l’Algérie, parce que le rapatriement avait transféré en France l’essentiel de son potentiel économique (main d’œuvre qualifiée, capitaux et consommation).

Quant au pays de départ, Daniel Lefeuvre posait ainsi le problème : y avait-il compatibilité entre le maintien d’une population française en position économiquement et socialement dominante, et la volonté légitime de promotion des Algériens musulmans ? Mais n’y a-t-il pas eu aussi un appauvrissement de l’Algérie par le départ massif de presque tous ses cadres ? [viii]

 

Un nouveau tournant vers une histoire engagée ?

(2006-2008)

Pourtant, je n’avais pas prévu le nouveau tournant qu’il allait prendre dans les années 2006 à 2008, et je ne sais même pas s’il l’avait prévu lui-même. Essayons donc d’en reconstituer les étapes avant d’en mesurer les conséquences.

À première vue, rien ne laissait prévoir ce tournant quand il avait lancé en 2006 un projet de revue scientifique en ligne appelée Études coloniales.

Dans un message daté du 18 mars 2006, il m’avait ainsi expliqué son projet : «J'ai sauté le pas et décidé, avec Marc Michel et Michel Renard, de créer une nouvelle revue : Études coloniales. Jacques Frémeaux a également accepté de participer à l'aventure. L'originalité de cette revue est double : une édition exclusivement hypermédia; une diffusion par abonnement gratuit (liste de diffusion). Ces caractéristiques ont pour objectif de diffuser la revue auprès des publics pour lesquels les revues "classiques" sont inaccessibles. Je pense, en particulier à nos collègues (et aux institutions universitaires) des pays du "Sud" (un réseau de correspondants sera à construire) qui n'ont pas les moyens de payer des abonnements qui représentent une fraction importante de leur traitement. Je pense aussi à la masse des étudiants, aussi bien de France qu'étrangers, ainsi qu'à nos collègues de l'enseignement secondaire. Chaque numéro (il y aurait deux livraisons par an) sera construit autour d'une thématique augmentée de varia, de comptes rendus de lectures. Nous nous proposons de publier un premier numéro en septembre autour de la notion d"'années ruptures", puisque nous fêtons le 50e anniversaire de 1956».

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Ce projet fut réalisé, mais sous une forme très différente de celle d’une revue scientifique : un blog portant le même titre, mais invitant ses lecteurs à réagir immédiatement à des publications (livres ou autres) présentées par lui. Daniel Lefeuvre proposait aussi un cycle de colloques sur les colonisations comparées, dont le premier eut lieu à Metz en 2007.

Mais au moment où aurait dû sortir le premier numéro de la dite revue en ligne, en septembre 2006, Daniel Lefeuvre publia chez Flammarion un livre au ton inhabituel de la part d’un historien, intitulé Pour en finir avec la repentance coloniale [ix].

C’était un ouvrage politique, au meilleur sens du terme, écrit par un historien qui s’élevait contre l’utilisation d’arguments pseudo-historiques par d‘autres auteurs nommément cités, parmi lesquels se trouvaient aussi quelques collègues universitaires. S’il était rédigé avec une évidente vigueur polémique, il n’en restait pas moins solidement fondé sur l’histoire. Qu’on en juge d’après son introduction et sa conclusion.

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La première définissait clairement son objet et sa raison d’être : «Après celle de la guerre d’Algérie, une nouvelle génération d’anticolonialistes s’est levée. Courageuse jusqu’à la témérité, elle mène combat sur les plateaux de télévision et dans la presse politiquement correcte. Multipliant les appels ou les pétitions en faveur des "indigènes de la République", elle exige de la France, de la République et des Français qu’ils expient ce huitième péché capital traqué avec obstination dans avec obstination dans les moindres replis de la conscience nationale : notre passé colonial et son héritage.

La discrimination sociale dont sont victimes les jeunes Français – et les immigrés – noirs et arabes de nos banlieues et de nos quartiers déshérités ? Héritage colonial ! Le racisme de la police ou de l’administration ? Héritage colonial ! La difficile insertion de l’islam dans l’espace national ?  Héritage colonial ! Et lorsque la justice condamne un jeune délinquant, pour peu qu’il soit arabe ou noir, c’est  encore l’œuvre d’une justice toujours coloniale ! Car, un demi-siècle après la fin de la décolonisation, l’esprit des "bureaux arabes" créés par l’administration française en Algérie perdure sournoisement au sein des institutions de la République. Rien ne serait plus urgent que d’extirper les séquelles immondes du colonialisme qui corrompent, aujourd’hui encore, la société française.

Aussi, d’ouvrages en articles, de radios en télévisions, les Repentants se sont-ils lancés dans cette salutaire mission : éveiller les Français au devoir de mémoire qu’il leur faut accomplir par rapport à leur histoire coloniale, érigée en nouveau "passé qui ne passe pas", par analogie avec les pages les plus sombres de la France de Vichy». 

Quant à la conclusion, elle ne laisse aucun doute sur l’attachement de Daniel aux principes républicains : «Prétendre que les Français doivent faire acte de repentance pour expier la page coloniale de leur histoire et réduire les fractures de la société française relève du charlatanisme ou de l’aveuglement. Cela conduit à ignorer les causes véritables du mal et empêche donc de lui apporter les remèdes nécessaires. Le risque est grand, alors, de voir une partie des Français, bien persuadés qu’ils seront à jamais les indigènes d’une République irrémédiablement marquée du sceau de l’infamie coloniale, vouloir faire table rase  et jeter, en même temps, nos institutions et le principe sur lequel elles reposent depuis la Révolution française : l’égalité en droit des individus. Belle révolution en perspective – peut-être même déjà en cours – , qui amènerait à créer en France un patchwork de communautés, avec leurs spécificités, leurs règles, leurs droits, leur police et leur justice, à l’appartenance desquelles les individus seraient assignés, avec ou sans leur accord. Une France, grâce à l’action du MRAP, définitivement débarrassée de l’horreur laïque, où chacun pourrait exhiber au sein des établissements scolaires ses convictions religieuses ou politiques. Une France où l’on serait blanc, noir ou arabe, chrétien, juif ou musulman – éventuellement athée – avant d’être Français. Bref, une France de l’Apartheid».

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Cet ouvrage, dont j’ignore à quel moment il en avait conçu le projet, était sans aucun doute le fruit de ses réflexions sur les querelles qui avaient divisé et opposé les historiens à propos d’enjeux mémoriels depuis plus d’une douzaine d’années. J’en avais rendu compte plus d’une fois, dans de nombreux textes placés sur mon site auxquels je me permets de renvoyer, notamment «Les historiens de la guerre d’Algérie et ses enjeux politiques en France» [x], présenté dans un colloque à Paris en septembre 2003.

J’y citais notamment une tribune libre sur «les historiens et la guerre d’Algérie» publiée dans Le Monde du 10-11 juin 2001 par le sociologue Aïssa Kadri et les historiens Claude Liauzu, André Mandouze, André Nouschi, Annie Rey-Goldzeiguer, et Pierre Vidal-Naquet, qui réclamait une ouverture des archives publiques beaucoup plus large : «Sans hypocrisie, il importe de veiller à l’ouverture des fonds militaires et civils, non pas au compte-goutte, pour quelques privilégiés dont on a testé l’échine souple, mais à tous les chercheurs et surtout aux jeunes qui découvrent une réalité difficile à imaginer».

Daniel Lefeuvre lui avait répondu par une lettre que le journal n’avait pas publiée, où il contestait «les exagérations de l’analyse de ses collègues (à l’exception de l’opacité de la gestion des archives de la préfecture de police de Paris), la revendication d’un accès illimité aux archives, et l’idée que celles-ci manquent aux historiens qui veulent les consulter». Il concluait ainsi : «cette histoire coloniale que l’on peut faire, rien ne justifie de la réduire à ses manifestations les plus sanglantes, les plus négatives, dans une perspective de dénonciation plus que de connaissance et de compréhension, comme nous y conduit la fin de la tribune publiée par Le Monde».

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Daniel Lefeuvre attendait des réactions constructives à son livre de ses principaux collègues, cités ou non. Il obtint par mail une appréciation plutôt favorable de Gilbert Meynier – qui avait organisé du 20 au 22 juin 2006 à Lyon un important colloque «Pour une histoire franco-algérienne, en finir avec les pressions officielles et les lobbies de mémoire»  auquel Daniel n’avait pas participé - même si celui-ci aurait aimé le voir ne pas réserver ses traits aux seuls «anticolonialistes», puisque le «lobby victimaire pied-noir» en était le symétrique idéologique.

Daniel Lefeuvre lui répondit que, s’il ne s’était pas attaqué à l’idéologie des organisations pieds-noirs, parce que le livre était consacré aux «Repentants», il avait pris soin, aux pages 165 et suivantes, de «consacrer un chapitre à "l’Algérie clochardisée", qui est un démenti apporté à l’idée d’une colonie prospère qui assurerait le bien être de sa population» [xi].

Puis Olivier Pétré-Grenouilleau, que Daniel Lefeuvre avait contribué à défendre contre la menace d’un procès abusif durant l’année précédente, publia un compte rendu très favorable dans Le Monde des livres du 28 septembre 2006 : «De tout cela on pourra évidemment discuter dans le détail tel ou tel point. Par ailleurs fallait-il être aussi direct vis-à-vis d'une "nébuleuse repentante" plus mise en avant que présentée ? Mais, utile, courageux, et pensé avec civisme, ce livre montre qu'il peut exister un espace entre repentance et "mission" colonisatrice (lesquelles renvoient toutes deux - est-ce un hasard ? - au même registre du théologique et du sacré) : celui de l'histoire et de l'historien. Car, à un moment où les mémoires deviennent traumatiques, l'histoire - une histoire assumée et dépassionnée - peut, aussi, être thérapeutique».

Benjamin Stora donna ensuite son avis sur le livre de Daniel Lefeuvre dans une interview accordée à Marianne n° 493 du 30 septembre au 6 octobre 2006, p. 69. Celui-ci lui répondit sur son blog personnel le 5 novembre 2006, avec modération mais fermeté, en distinguant trois points de désaccord avec lui : le reproche de ne travailler que sur des archives écrites de la puissance coloniale, celui de s’inscrire «dans une querelle plus idéologique qu’historique», et enfin un désaccord sur la fonction même de l’histoire : «Contrairement à Daniel Lefeuvre, je ne crois malheureusement pas qu’on puisse combler cette demande de reconnaissance de la souffrance par des faits et des chiffres. Les arguments rationnels ne viennent pas à bout de l’affect. Du moins cette réponse rationnelle, si elle est indispensable, n’est pas suffisante».

Daniel Lefeuvre lui répondit nettement : «J’avoue ne pas suivre B. Stora dans cette voie qui tend à construire une histoire compassionnelle. Connaître, comprendre, expliquer le passé pour permettre aux hommes de mieux se situer dans le présent, voilà l’objet et l’ambition de notre discipline, ce qui n’est pas peu. La souffrance des victimes n’est pas de son ressort, sauf à en faire un objet d’histoire. Reste, et bien des drames collectifs du vingtième siècle le montrent,  la vérité est bien souvent la première exigence des victimes - ou de leurs proches - qui veulent savoir et comprendre. C’est donc en faisant leur métier que les historiens peuvent contribuer aux apaisements nécessaires, et non en se donnant comme mission d’apporter du réconfort» [xii].

Claude Liauzu, qui avait été le promoteur de la pétition signée l’année précédente par de nombreux historiens et enseignants d’histoire contre la loi du 23 février 2005 exposa en détail sur Études coloniales du 4 octobre 2006 un avis partagé entre l’approbation et l’irritation : «D. Lefeuvre exprime à n’en pas douter un point de vue largement partagé parmi les spécialistes en rappelant clairement que la colonisation n’a pas été synonyme de génocide, que les procès ad satietatem et la surenchère victimaire n’ont rien à voir avec l’histoire.  (…) Cependant, comment critiquer les "repentants" sans faire de même pour les nostalgiques de la colonisation ? Ces tâches sont indissociables, car il s’agit de deux entreprises de mémoires minoritaires, qui cultivent les guerres de cent ans, se nourrissent l’une de l’autre et font obstacle à ce qui est désormais un enjeu fondamental pour notre société : élaborer un devenir commun à partir de passés faits de conflits, de relations aussi étroites qu’inégales, d’une colonisation ambigüe (…). Que Lefeuvrix (sic), descendant d’Arverne, ironise sur l’idée de poursuites contre les descendants de Jules César pour crime contre l’humanité, soit, mais le "Cafre" des Iles à sucre n’a peut-être pas encore atteint la distance permettant cette attitude envers un esclavage dont les traces n’ont pas disparu».

Rappelant le sens de sa lutte contre la loi du 23 février 2005, il prenait très clairement ses distances avec les excès des militants de la mémoire anticoloniale : «Contre les certitudes assénées au nom de la lutte idéologique, il faut maintenir le devoir d’histoire. Affirmer qu’on ne saurait avoir d’ "ennemis à gauche" et donc qu’il ne faut pas critiquer les historiens "anticolonialistes", c’est confondre les rôles, mélanger science et politique et se tromper d’époque. Les associations antiracistes, si elles veulent conserver des relations cohérentes avec les chercheurs, doivent revenir au modèle de l’affaire Dreyfus, quand les historiens et les archivistes assuraient leur fonction, celle d’expert et non de caution "scientifique" aux idéologues».

Mais il décochait aussi une flèche à Daniel Lefeuvre : «Cependant, on a du mal à croire que la société du maire de Marseille ou celle d’un Georges Frèche [xiii] et des associations nostalgiques de l’OAS, d’un ministre des anciens combattants qui insulte les historiens, soient plus gratifiantes que celle des associations antiracistes. Les projets de mémoriaux de la France d’outre-mer ou de l’Algérie française pour lesquels les politiciens sollicitent les historiens sont-ils scientifiquement plus solides ? Sur tout cela, le silence de Daniel Lefeuvre affaiblit sa démonstration».

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Enfin, Catherine Coquery Vidrovitch, qui avait été relativement peu attaquée par Daniel Lefeuvre dans son livre, réagit très vigoureusement (probablement par solidarité avec d’autres cibles de sa polémique [xiv]) sur le site du Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire le 29 mars 2007, puis Daniel lui répondit à son tour le 18 mai 2007 sur Etudes coloniales, et elle lui répondit sur un ton plus conciliant sur le site du CVUH le 26 juin 2007.

Même si cette polémique connut encore d’autres rebondissements plus tard, les textes en sont suffisamment longs et faciles à trouver pour que je n’y revienne pas davantage. Signalons seulement que, dans ma réponse au livre de Catherine Coquery Vidrovitch paru en 2012, Enjeux politiques de l’histoire coloniale, j’ai essayé de leur montrer un terrain d’entente possible [xv], et que son message publié sur le site Etudes coloniales après le décès de Daniel a en quelque sorte enterré le passé [xvi].

Daniel Lefeuvre avait pourtant relancé une nouvelle polémique en critiquant, dans un article du Figaro-Magazine du 30 juin 2007 («L’identité nationale et la République», co-signé avec Michel Renard) une pétition de quelque 200 universitaires et intellectuels (publiée à la une de Libération du 22 juin 2007) rassemblés autour de Gérard Noiriel, qui dénonçait «la dénomination du ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du co-développement», parce que «l’identité nationale constitue, aujourd’hui, une synthèse du pluralisme et de la diversité des populations et ne saurait être fixée dans le périmètre d’un ministère».

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Leur réponse, qui se réclamait notamment de Marc Bloch et de Vidal de la Blache,  posait ainsi le problème : «ce que souhaitent les pétitionnaires, dans leur appel au président de la République, ne relève pas des "traditions démocratiques françaises" qu’ils invoquent, mais, bien au contraire, leur tourne le dos : leur revendication conduit à ce que la République renonce à sa tradition assimilatrice au profit d’un multiculturalisme et d’un communautarisme destructeurs des valeurs universelles dont notre pays se veut le porteur. Ce débat sur l’identité nationale montre que la République est, aujourd’hui, à une croisée des chemins. Deux voies sont proposées. La première, dans la perpétuation des "traditions démocratiques françaises", entend maintenir la République dans ses valeurs universelles, une République une et indivisible, laïque, composée de citoyens égaux en droits et en devoirs, assurant l’égalité des hommes et des femmes, etc. quitte à lutter pour que les réalités se rapprochent chaque jour un peu plus de cet idéal. L’autre voie, qu’esquisse le texte de la pétition, jusque dans le vague de sa formulation, suggère d’abandonner l’universalisme républicain au profit d’une République de la cohabitation, du voisinage entre communautés, chacune disposant de ses valeurs, de ses normes, de son droit et de ses représentants». La réponse de Catherine Coquery-Vidrovitch, publiée le 31 juillet sur le site du CVUH était relativement brève et modérée.

Dans la même perspective, Daniel Lefeuvre et Michel Renard publièrent en octobre 2008 aux Editions Larousse (dans la collection «À dire vrai» dirigée par Jacques Marseille) un petit livre intitulé Faut-il avoir honte de l’identité nationale ?» [xvii].

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Ce livre commençait ainsi : «Dans la plus ancienne nation d’Europe, l’identité nationale n’a plus la cote. Il n’est question que "d’identité fantasmée", de "mythe national", "d’intolérance culturelle", de "xénophobie d’État". On écrit que la «"nation porte la guerre en son sein comme la nuée porte l’orage» selon une fausse citation de Jaurès (…). On affirme que c’est la "droite qui, depuis un siècle, a toujours privilégié le national contre une gauche rassemblée autour du social", etc. Ceux des Français qui tiennent la notion d’identité nationale pour autre chose qu’une pathologie développeraient une ringardise du national, une obsession des origines, voire un racisme honteux Il faudrait sacrifier toute fierté d’être français et se défaire d’une "construction" de l’histoire de France, fruit des idéologues d’une IIIe République qui, par "bourrage de crâne patriotique", aurait envoyé au massacre des millions d’hommes, un beau soir d’août 1914.

Nous refusons cette dévaluation arbitraire de la notion d’identité nationale comme si, tout au long de l’histoire, elle n’avait eu qu’une seule signification. Nous refusons la mise en accusation, quelque peu paranoïaque, d’une prétendue machine républicaine qui ferait violence à la "France plurielle et métissée", en lui inculquant une "identité" qui ne serait pas la sienne».

Et dans leur conclusion ils citaient plusieurs bons auteurs pour distinguer le patriotisme de la xénophobie : «Les idéologues de l’à-peu-près devraient entendre cette herméneutique républicaine. À défaut de vaines "leçons", pour un avenir qui toujours produira de l’original et de l’inattendu, l’histoire dégage du passé une multitude de références qui, entre les deux écueils de la honte et de l’orgueil, et à l’écart de tout essentialisme, rappellent ce que la culture, la fraternité et la démocratie doivent à l’identité nationale de la France. Quelle meilleure défense de l’identité nationale que celle prononcée par l’historien britannique Théodore Zeldin, dans son Histoire des passions françaises : "Aucune nation, aucune démocratie ne peut écrire sa propre histoire sans reconnaître à la France une dette ou une influence directe. L’histoire de France aura toujours un sens pour l’histoire universelle". Avons-nous le droit de renier cette identité ?».

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Théodore Zeldin

Mais entre temps,  Daniel Lefeuvre avait accepté pour la première fois de participer en tant qu’invité au congrès national des Cercles algérianistes, à Perpignan le 24 novembre 2007. À en juger d’après mes souvenirs, et d’après ma collection des Informations de L’Algérianiste, c’est à la suite de la venue du président du cercle de Reims, Gérard Rosenzweig, au colloque «L’Europe face à son passé colonial» organisé à l’Université de Metz du 25 au 27 avril 2007 par Olivier Dard et Daniel Lefeuvre, que ce dernier aurait été invité à participer au prochain congrès des Cercles algérianistes qui allait se réunir à Perpignan et coïncider avec l’inauguration du mémorial national des disparus le 25 novembre 2007.

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congrès algérianiste, Perpignan, 24 novembre 2007 ;
deuxième en partant de la droite, Daniel Lefeuvre

Dans un débat qui eut lieu la veille, sur le droit à la mémoire des Français d’Algérie, Daniel Lefeuvre eut la lourde tâche de défendre l’histoire, sinon tous les historiens, qui furent très critiqués à cause d’un «rapport récent d’un collectif d’historiens fort engagés» dont je reparlerai plus loin. Il reconnut que «toute mémoire est légitime», que la vertu cardinale des historiens doit être «l’honnêteté intellectuelle», mais qu’il n’était pas certain de faire le même métier que certains de ses collègues.

Pour mieux comprendre cette décision prise par Daniel Lefeuvre, il me faut revenir sur l’initiative prise le 20 janvier 2007 par le politologue Eric Savarese de réunir une table ronde d’historiens le 19 avril 2007 au Centre universaire de Narbonne. J’acceptai d’y participer sans lui cacher pour autant, dès ma première réponse, mon profond scepticisme sur les chances de succès de son entreprise, parce qu’elle se présentait d’une manière contradictoire comme une tentative de médiation entre les adversaires du projet de mémorial des disparus français d’Algérie à Perpignan et le Cercle algérianiste de cette ville qui l’avait conçu, mais sollicitée uniquement par les premiers.

La journée du 19 avril fut en elle-même une journée de discussion entre collègues très intéressante, mais les difficultés apparurent quand il fallut en tirer une synthèse. Pour mettre fin à de longues discussions par mail,  après avoir formulé toutes mes objections le 24 mai, j’acceptai de guerre lasse le texte d’Eric Savarese le 28 mai, tout en maintenant ma position personnelle que j’avais exprimée oralement le 19 avril et rédigée ensuite sous le titre «Les raisons de l’échec du traité d’amitié franco-algérien».

À la suite de quoi le rapport de synthèse d‘Eric Savarese fut publié sur le site de l’Université de Perpignan http://www.univ-perp.fr (page d'accueil, rubrique "A la une, actualité") le 29 mai. Par la suite, j’acceptai que le texte de mon intervention fût publié dans les actes de cette journée que publia son organisateur en octobre 2008, mais avec un renvoi à la mise au point que j’avais publiée sur mon site le 5 septembre 2007 sous le titre : «Ma position sur l’annexe au rapport d’Eric Savarese : « une note sur le ‘mur des disparus’», et qui se terminait ainsi :

«Pour conclure, je propose de réfléchir aux remarques suivantes :
Le groupe d’historiens qui s’est réuni le 19 avril dernier à Narbonne n’avait pas vocation à exercer la fonction d’arbitres du conflit mémoriel de Perpignan.
Le projet de “site public de documentation et d’exposition sur l’Algérie” qu’il a élaboré à juste titre peut être réalisé aussi bien à Perpignan, ou ailleurs.
Le Mémorial des disparus français d’Algérie en cours de préparation à Perpignan n’est pas a priori moins acceptable que les activités mémorielles de la Fondation du 8 mai 1945 ou de l’association “17 octobre 1961 contre l’oubli”. Il ne peut donc pas être jugé isolément sans tenir compte de ces précédents» [xviii].

Venu à Metz pour participer au colloque L’Europe face à son passé colonial organisé par Olivier Dard et Daniel Lefeuvre une semaine après la journée de Perpignan, j’y avais présenté la même communication sur «Les raisons de l’échec du traité d’amitié franco-algérien» [xix], qui fut également  publiée dans les actes de ce colloque en octobre 2008, afin de donner la plus large diffusion à mes analyses. Après coup, il me paraît évident que Daniel avait tiré les leçons de cette expérience.

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Et ce d’autant plus que dans le même temps plusieurs des participants au groupe réuni autour d’Eric Savarese, avec la participation très active de Gilbert Meynier, avaient pris l’inititiative de publier à la veille du voyage officiel du nouveau président français Nicolas Sarkozy en Algérie, le 1er décembre 2007, une pétition intitulée «France-Algérie : dépassons le contentieux historique», et sous-titrée «Le voyage à Alger de Nicolas Sarkozy doit être l’occasion de faire face au passé et de penser l’avenir», à la fois en France dans Le Monde et L’Humanité, et en Algérie dans El Watan et Le Quotidien d’Oran en français et dans Al Khabar en arabe.

Invité à participer à cette initiative quelques mois plus tôt, j’avais fait connaître mes critiques aux premières versions. Après avoir lu le texte final, ramassé en une page, qui avait été signé par plusieurs historiens dont j’approuvais le plus souvent les opinions, j’ai décidé de publier sur mon site, le 16 décembre 2007, mes points d’accord et de désaccord, pour aboutir à un essai de synthèse.

J’y approuvai les efforts déployés par le président Sarkozy pour «arriver à tenir un discours qui parvienne à satisfaire toutes les sortes de mémoires représentées en France, et si possible en Algérie», et je conclus ainsi : «Cependant, une implacable actualité est venue rappeler aux Algériens, le 11 décembre dernier, que leur vrai problème n’était pas d’obliger le président de la République française à prononcer les mots qu’ils lui réclament depuis tant d’années, mais de faire en sorte que le terrorisme cesse d’être considéré comme un moyen d’action légitime par des Algériens contre d’autres Algériens. Et ce problème-là, qui tient à l’idéologie enseignée par l’Etat algérien à son peuple depuis l’indépendance du pays il y aura bientôt un demi-siècle, mérite d’être enfin pris en considération si l’on veut que l’avenir des Algériens soit meilleur que leur passé». [xx]

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Mais la même initiative inspira à Daniel Lefeuvre et Michel Renard une réponse beaucoup plus tranchée que la mienne, datée du 3 janvier 2008 et intitulée «France-Algérie : l’impossible travail historique». Elle fut ensuite fut publiée sur le site de Julien Landfried, L’Observatoire du communautarisme, puis sur Etudes coloniales du 20 février 2008, mais aussi dans L’Algérianiste n° 121 de mars 2008, puis dans Historiens et géographes n° 402 de mai 2008 (à la suite du texte de l’appel «France-Algérie : dépassons le contentieux historique»).

«"Dépasser le contentieux historique" qui oppose la France et l’Algérie, tel et le vœu d’un appel lancé par des universitaires et diverses personnalités françaises et algériennes.

Au-delà de la démarche généreuse dont il témoigne, et à laquelle nous sommes sensibles, ce texte suscite bien des réserves qui justifient que nous ne pouvons nous y associer.

Ses auteurs appuient leur démarche sur l’idée que le passé colonial ferait "obstacle à des relations apaisées entre la France et les pays qu’elle a autrefois colonisés", en particulier avec l’Algérie. Dès lors, ils pressent "les plus hautes autorités de la République française de reconnaître publiquement l’implication première et essentielle de la France dans les traumatismes engendrés par la colonisation".

Comment ne pas s’étonner du recours à une conception aussi simpliste de la causalité en histoire qui ressemble plus à la théorie du "premier moteur" d’Aristote qu’aux structures de longue durée de Fernand Braudel ou aux temporalités plurielles et fragmentées de l’historiographie des mémoires. S’il fallait penser les relations entre la France et le Maghreb en terme de traumatismes, pourquoi alors ne pas revisiter une histoire longue, également "traumatique", intégrant les conquêtes arabes, la piraterie "barbaresque" et la mise en esclavage des chrétiens faits captifs ?

En réalité, les auteurs du texte semblent avoir été piégés par la rhétorique des dirigeants algériens qui, pendant la guerre d’Algérie et depuis l’indépendance du pays, utilisent une histoire mythifiée et diabolisée de la colonisation pour justifier leur dictature sur le peuple algérien, l’incurie de leur gestion, la prévarication des richesses nationales, en particulier des hydrocarbures, leur incapacité à assurer sécurité et progrès social à leurs concitoyens.

Ce n’est pas le passé colonial, en lui-même, qui fait obstacle à des relations franco-algériennes apaisées, mais bien plutôt l’usage politique et diplomatique qu’en font, selon les circonstances, les dirigeants algériens. La démagogie historique qu’ils déploient vise surtout à manipuler les ressentiments et les frustrations de la population ainsi qu’à mettre en difficulté le partenaire français. Quel autre sens accorder à cette mise en accusation des faits du passé ? Et quel sens aujourd’hui à vouloir les juger ? Le colonialisme serait-il d’actualité ? La re-colonisation de l’Algérie serait-elle planifiée ? Quand l’Algérie était sous domination française, les contemporains ont eu à réagir, et nombre d’entre eux l’ont fait. Mais, comme Marc Bloch le soulignait, "Le passé est, par définition, un donné que rien ne modifiera plus" et l’historien ne peut que l’étudier et s’attacher à le comprendre. Tout le reste n’est que littérature ou posture d’un anticolonialisme anachronique». (…)

Passons sur le développement très détaillé de l’argumentation, qui faisait un sort presque à chaque mot de ce bref appel, pour en venir à la conclusion :

«Enfin, quel pays, aujourd’hui, "utilise les mémoires meurtries à des fins politiques", sinon l’Algérie ? Qui instrumentalise un passé réécrit pour la circonstance ? Qui évoque les soi-disant "génocides" perpétrés par la France en Algérie ? Qui,  sinon les responsables algériens ? Il est bien inutile de s’indigner contre les "entreprises mémorielles unilatérales" parce que, par définition, la mémoire est toujours spécifique à un individu ou à un groupe. Comme telle, elle est nécessairement unilatérale et ne saurait être partagée avec d’autres individus ou d’autres groupes n’ayant pas vécu les mêmes événements.

Seul, et nous rejoignons sur ce point les auteurs de l’appel, "un travail historique rigoureux" est possible. Mais comment pourrait-il se faire, aujourd’hui, dans ce "partenariat franco-algérien" que le texte réclame, dès lors qu’en Algérie, une histoire officielle corsète la recherche et sa diffusion ? que la plupart des archives, notamment celle du FLN, restent pour l’essentiel fermées aux chercheurs ? Dès lors, au fond, que l’histoire, qui reste un élément central de justification du pouvoir pour des caciques qui n’ont plus guère d’autre source de légitimité, ne dispose d’aucune véritable liberté ? À moins, et le contenu du texte est hélas ! sur ce point particulièrement ambigu, d’entrer dans le jeu des autorités algériennes».

Daniel et Michel
Daniel Lefeuvre et Michel Renard

Ainsi, cette réponse particulièrement énergique refusait délibérément toutes les formules équivoques nécessaires pour rassembler le maximum de signatures des deux côtés de la Méditerranée. Elle dénonçait clairement l’exploitation de la mémoire dont le pouvoir algérien était et reste coutumier, et dont le texte de la pétition s’interdisait de parler explicitement tout en le désavouant implicitement.

Elle refusait ainsi le risque persistant d’une instrumentalisation de la mémoire par le pouvoir algérien afin de soumettre les esprits des Français (comme ceux des Algériens) à sa volonté affichée d’obtenir une déclaration de repentance pour les crimes de la colonisation, [xxi] ce qui lui aurait permis de continuer à se décharger de toutes ses responsabilités propres sur la seule France. En refusant délibérément ce risque, Daniel Lefeuvre et Michel Renard avaient délibérément pris le risque de couper les ponts avec ceux qui avaient fait le choix inverse.

bibliothèque 3 24 juin 2008

Pour autant, Daniel Lefeuvre n’avait pas renoncé à son rôle d’historien, bien au contraire. Dans l’introduction au colloque L’Europe face à son passé colonial, présentée à Metz en mars 2007 et publiée en octobre 2008, il partait, avec Olivier Dard, d’un tableau inquiétant de la «guerre des mémoires» qui prévalait en France depuis une quinzaine d’années :

- «La colonisation a-t-elle eu un "caractère positif" ou a-t-elle été facteur d’une exploitation et d’une domination féroces des peuples et des territoires colonisés ? Faut-il la traiter comme une page d’histoire parmi d’autres ou bien l’expier comme un péché, qui entache la France depuis plus d’un siècle ?  Glorifier l’œuvre française outre-mer ou entrer en pénitence et demander pardon pour les prétendus "génocides" perpétrés par la France dans ses colonies, comme l’exige le président algérien A. Bouteflika ?  Depuis la loi du 23 février 2005 et son article 4, le débat dait rage en France autour de ces questions».

Rappelant l’article de Daniel Rivet paru en mars 1992 dans Vingtième siècle sous le titre «Le fait colonial et nous, histoire d’un éloignement», ils devaient malheureusement constater son erreur : «Quinze ans plus tard, il faut bien le constater, loin d’être enfin devenu un objet froid de la recherche historique, le passé colonial nourrit une véritable "guerre des mémoires", selon l’expression de Benjamin Stora. Une guerre où tout se mêle : les lois mémorielles et leur légitimité, le projet de traité d’amitié franco-algérien et son échec, le poids du passé colonial dans les phénomènes d’exclusion au sein de la société française, les racines coloniales du racisme, les responsabilités de la colonisation dans le sous-développement, etc. Une guerre dans laquelle, bien souvent, l’historien peine à se reconnaître, tant les règles de sa discipline sont mises à mal, dès lors que l’histoire n’entre plus dans une démarche de connaissance et de compréhension, mais qu’elle est mise au service de calculs idéologiques ou politiques» [xxii].

un double enjeu 2007

Et dans sa propre contribution à la fin du livre, intitulée La France face à son passé colonial, un double enjeu,  il se faisait en quelque sorte l’historien de cette histoire très récente, de manière à défendre l’indépendance de l’histoire contre son exploitation idéologique.

Dans sa première partie, il commençait par dresser «les jalons d’une récurrence», celle de la dénonciation du fait colonial depuis les années 1990, mais aussi de sa célébration. Il constatait les excès de la «nostalgérie» d’un certain nombre de rapatriés d’Algérie, qui n’était le plus souvent que «l’expression de la mélancolie du pays perdu de leur jeunesse (…) et de l’irritation et même de la colère face aux caricatures qui sont faites de ce que fut l’Algérie française et de ce qu’étaient les Français d’Algérie. D’autres poussent plus loin, et défendent, en réaction, une image idéalisée des réalités coloniales en s’attachant à ne voir que l’aspect "positif" de la présence française outre-mer».

Mais il rappelait aussi la réalité d’une œuvre positive de la colonisation («la colonisation s’est bien accompagnée du développement d’infrastructures modernes, de services sanitaires et scolaires, etc. On doit aussi porter à son crédit l’essor démographique des populations colonisées qui résulte en grande part de cette intrusion de la modernité»).

Il maintenait donc le cap de l’historien entre l’apologie et le dénigrement : «L’Algérie au temps des Français était une société coloniale, marquée par des inégalités non seulement sociales – lesquelles d’ailleurs traversaient aussi le peuplement français, en très grande proportion constitué de petites gens et non de ces gros colons trop souvent évoqués – mais aussi des inégalités et de même, des infériorités qui distinguaient la masse des Algériens musulmans des Français. Quel que soit le domaine considéré, économique, social, politique, juridique – au moins jusqu’en 1946 - , culturel, médical, etc, ces inégalités sont frappantes» (…).

Puis il distinguait du fait colonial sa condamnation aujourd’hui en vogue : «La condamnation, quant à elle, est le fait d’une nébuleuse qui soutient que la société française serait, aujourd’hui, une société post-coloniale. Dans la France du XXIe siècle, "la gangrène coloniale s’empare des esprits". Dès lors, l’histoire est mise à contribution pour justifier à la fois cette analyse et les revendications mémorielles ou matérielles qui l’accompagnent. Car qui est en jeu, à ce niveau, c’est donc moins la réalité du passé qu’on convoque que ce qu’il permet d’affirmer quant au présent de la République, de son fonctionnement, ainsi que des origines et des causes des disparités sociales et des discriminations de toute nature qui la minent».

C’était l’objet de la partie suivante, intitulée «le sens d’une légende noire». Il aboutissait à un jugement sévère sur des écrits qui confondaient l’histoire avec la justice : «Condamner la colonisation par un jugement politique, à la limite pourquoi pas, même si je trouve cela inepte, mais par un jugement historique ! Faut-il, pour la cause, changer la fonction de la discipline ? La transformer en procureur du passé et exiger que, désormais, elle rassemble les pièces d’accusation – voire qu’elle en fabrique de fausses si nécessaire -  en vue de du procès qu’elle est désormais chargée d’instruire ? Que la revue L’Histoire, pourtant de bonne tenue en général, publie, en octobre 2005, un numéro spécial sous le titre "La colonisation en procès", souligne combien la même dérive menace même des esprits éclairés. D’un enjeu politique, le débat sur la colonisation se double donc d’un enjeu académique, l’un s’articulant à l’autre».

Il en venait donc à proposer dans sa dernière partie un «retour sur quelques règles de la science historique», en s’appuyant sur la figure tutélaire de Marc Bloch, rappelant que «l’historien n’est pas un juge (…) pas même un juge d’instruction». Il formulait alors quatre critiques essentielles contre l’histoire-procès : la «confusion établie entre discours et pratiques», puis «l’anachronisme, ce "péché mortel" des historiens dénoncé naguère par Lucien Febvre», puis «la généralisation de l’exceptionnel ou du contingent qui deviennent alors des caractéristiques faisant de la colonisation un "système"», et enfin «l’absence de comparatisme».

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Daniel Lefeuvre, Metz, 2007

Et Daniel Lefeuvre concluait avec fermeté : «On le voit bien (…), l’histoire de la colonisation n’est pas seulement un objet de curiosité intellectuelle ou de controverses académiques. L’intérêt qui lui est accordé, au-delà du cercle limité des spécialistes, se justifie dans la mesure où elle parle de la France d’aujourd’hui et offre, par analogie plus que par analyse, des explications commodes et paresseusement satisfaisantes à la crise sociale et identitaire que traverse notre pays. C’est pourquoi on peut gager que le passé colonial ne disparaîtra pas prochainement de l’actualité française. Mais, dans ces conditions, il revient aux historiens de s’arc-bouter sur les principes et les pratiques consacrés de leur discipline, afin qu’un savoir frelaté ne se substitue pas aux connaissances accumulées depuis plusieurs décennies et que de nombreuses nouvelles recherches savantes ne cessent d’enrichir. C’est, en tant que tel, leur seul devoir civique».

Ce remarquable manifeste, qui me rappelle ce que Charles Robert Ageron avait écrit en 1993 sur le devoir d’impartialité incombant aux historiens de la guerre d’Algérie [xxiii], devrait rester présent dans les esprits de tous nos collègues.

 

Les cinq dernières années (2008-2013)

Durant les cinq années suivantes, et surtout durant les trois dernières qui furent pour Daniel une sorte de course contre la montre, est-il resté fidèle à ce beau programme ? Ou bien faut-il croire, comme ceux dont il avait dénoncé les pratiques et les idées, qu’il avait de plus en plus dérivé vers la droite et vers un «révisionnisme» colonaliste ? C’est ce qu’il me reste à examiner, sans oublier que je lui ai été associé dans le même opprobre. En effet, c’est lui qui m’annonça le 23 septembre 2010 que nous avions été l’un et l’autre cloués au pilori de la bien-pensance par un article de Thierry Leclère dans Télérama : «Nous voilà mis dans le même bateau du révisionnisme colonial par un édito de Télérama. Naviguer en ta compagnie est un honneur» [xxiv].

Durant ces années, Daniel Lefeuvre continua à participer à des colloques, voire à les organiser ou les éditer. Citons en quelques uns dans l’ordre chronologique :

- 11-12 décembre 2008 : colloque Pierre Mendès France et les outre-mers, de l’empire à la décolonisation, dans lequel il traita «Pierre Mendès France et l’Algérie coloniale» [xxv] ;

- 29 et 30 avril 2009 : Colloque L’Histoire nationale en débat, regards croisés sur la France et le Québec [xxvi], dans lequel il présenta, avec Michel Renard, leur analyse commune sur «L’identité nationale, enjeux politiques et controverses académique» -  condensé de leur livre antérieur, Faut-il avoir honte de l’identité nationale ?, à la jonction de l’histoire et du débat civique ;

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- 4 et 5 mars 2010 , colloque «Démonter les empires coloniaux» [xxvii] à Aix-en-Provence, dans lequel il avait présenté « le repli en métropole des Français d’Algérie, entre prévisions et improvisations». Mais sa communication écrite manquait dans la version imprimée de ce dernier colloque, qui parut trois ans plus tar [xxviii], sans doute à cause de sa maladie qui ne lui permettait plus de maintenir une activité continue à partir du milieu de l’année 2010. Pour la même raison il ne put participer au colloque «De Gaulle et l’Algérie» organisé par Maurice Vaïsse à Paris les 9 et 10 mars 2012, où il devait présenter «la politique du Général à l’égard de l’Algérie indépendante».

Pendant ce temps le revue en ligne Études coloniales continua sa parution, en donnant de plus en plus la parole à des défenseurs de la colonisation (ce qui en faisait une utile alternative au site internet de la Ligue des droits de l’homme de Toulon). Daniel Lefeuvre eut encore à y défendre en 2012 son livre Pour en finir avec la repentance coloniale contre une disciple de Catherine Coquery- Vidrovitch qui le qualifiait de «pamphlet politique réactionnaire», quand ce livre avait été placé au programme du concours de l’IEP de Grenoble, en répondant aux nombreuses questions du préparateur à ce concours Quentin Ariès [xxix].

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Études Coloniales, 13 février 2012

Mais il réagit lui-même plusieurs fois au nom de la discipline historique pour critiquer, en des termes toujours mesurés mais toujours fermes, certaines prises de positions de Benjamin Stora qui lui semblaient faire preuve de plus en plus souvent d’une «vision étonnamment angélique» ; il critiqua notamment sa présentation du film Les hommes libres, sorti en septembre 2011 [xxx] : «Au total, trop d’erreurs, parfois grossières, trop d’affirmations non étayées, trop de non-dits entachent ce dossier pour qu’il constitue un outil pédagogique fiable et dont on puisse en recommander l’usage aux professeurs (…). Par ailleurs, je ne prête évidemment aucune arrière-pensée, ni au metteur en scène, ni à Benjamin Stora et je suis persuadé de leur entière bonne foi lorsqu’ils espèrent que le film permettra de rapprocher les communautés musulmanes et juives de France. Je ne peux qu’exprimer mon scepticisme à cet égard».

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Puis de nouveau en avril 2012 il critiqua le film de montage intitulé La déchirure de Gabriel Le Bomin et Benjamin Stora [xxxi]. Ce qui n’avait pas empêché Daniel Lefeuvre de s’associer à moi en novembre 2010 pour défendre la présence espérée de Benjamin Stora dans un débat organisé par la MAFA [xxxii] ambitieusement intitulé «Vers la paix des mémoires ?», où sa présence annoncée avait soulevé une tempête de protestations de militants «pieds-noirs» : «j'assume totalement le fait de leur avoir proposé, parmi les historiens à inviter, le nom de Benjamin Stora. Il me paraît, en effet, comme le rappelle justement Guy Pervillé, important qu'un tel débat, qui manque depuis trop longtemps, associe des historiens dont les points de vue peuvent différer sur tels ou tels événements, la place à leur accorder ou l'interprétation à en donner. C'est aussi par la confrontation que la connaissance historique avance et nul n'a intérêt, aujourd'hui pas plus qu'hier, à vouloir une expression monolithique de la parole historienne».

En même temps, la multiplication de ses interventions dans la sphère des médias – qui lui donna aussi  l’occasion de défendre efficacement ses idées dans des débats télévisés arbitrés par Yves Calvi ou Franz-Olivier Giesbert (notamment celui du 5 avril 2009 où il s’opposa vigoureusement à Jack Lang) -  multipliait aussi les risques de malentendus, ce que prouve par exemple le soutien apporté par Daniel Lefeuvre, habitant du XVIIIe arrondissement de Paris, à la campagne menée par le site Riposte laïque contre l’occupation illégale et répétée chaque vendredi d’une rue de cet arrondissement au nom de l’islam pour la transformer en mosquée de facto.

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Daniel Lefeuvre, 5 avril 2009

Soutien motivé, comme il le disait dans son message du 14 juin 2010, en tant que citoyen par le refus de voir les lois républicaines régulièrement violées par des islamistes avec le soutien de fait des autorités, et en tant qu’historien «qui s’efforce de combattre, à son échelle, les présentations mensongères de ce que fut l‘histoire des colonisations françaises et la fausseté des affirmations qui rejettent la notion d’indentité nationale à l’extrême droite de l’échiquier politique, alors qu’elle s’est affirmée à partir de la Révolution française comme élément constitutif du corpus idéologique de la gauche, y compris du Parti communiste français» [xxxiii].

Mais c’était courir un risque de malentendu, puisque Riposte laïque identifiait l’islamisme à l’islam, alors que Daniel Lefeuvre et Michel Renard – ancien directeur de la revue Islam de France - avaient lancé en 2004 une campagne pour la reconstruction de la kouba des tirailleurs de 1914-1918 au cimetière de Nogent-sur-Marne [xxxiv], qui aboutit à son inauguration le 28 avril 2011.

En même temps Daniel Lefeuvre maintint puis développa de plus en plus nettement sa coopération avec les cercles algérianistes. En effet il revint au congrès algérianiste qui se tint à Saint-Raphaël du 24 au 26 octobre 2008 avec deux autres historiens (Jean-Jacques Jordi et Jacques Valette) pour participer à un débat sur les lieux de mémoires, dans lequel il «martela ses certitudes d’une voix égale».

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congrès algérianiste à San Raphaël, 25 octobre 2008
à partir de la droite, Jean-Jacques Jordi puis Daniel Lefeuvre
(source)

Peu après à l’Université de Metz, le 5 novembre 2008, une table ronde fut organisée par les professeurs Olivier Dard et Daniel Lefeuvre, avec la participation de Jean Monneret, pour comparer les enlèvements perpétrés en Argentine durant la dictature militaire des années 1976-1983 avec ceux qui avaient frappés tant de Français d’Algérie en 1962.

Le contraste était frappant entre la réprobation générale dont ces enlèvements étaient l’objet en Argentine et l’occultation presque totale qui leur était réservée en France. À cet égard, «Daniel Lefeuvre a repris brièvement ses arguments majeurs développés récemment au Congrès de Saint-Raphaël : aucun groupe de pression, notamment chez les historiens, n’a la moindre légitimité à contester ce devoir de mémoire. La science historique en peut en aucun cas se confondre avec le champ mémoriel, et les historiens n’ont pas à s’ériger en moralistes».

Son intervention n’était pas prévue au congrès des cercles algérianistes tenu à Aix-en Provence les 23, 24 et 25 octobre 2009,  mais il participa au deux congrès suivants, à Béziers les 5, 6 et 7 novembre 2010 – pour un débat sur «Cinéma, médias, université : l’histoire de la guerre d’Algérie est-elle condamnée à une représentation idéologique ?» -  puis à Perpignan les 27, 28 et 29 janvier 2012 pour le 50e anniversaire de l’exode des Français d’Algérie (avec la participation du ministre de la Défense Gérard Longuet) et l’inauguration du Centre national de documentation des Français d’Algérie.

Béziers 2010
congrès algérianiste de Béziers, 2010
de g. à d. : Roger Vétillard, Lionel Luca, Thierry Rolando,
Jean-Pierre Lledo, Jean-Paul Angelelli, Daniel Lefeuvre

À cette occasion, Daniel Lefeuvre publia pour la première fois dans Les informations de l’Algérianiste [xxxv] un article très combatif consacré à la justification de l’existence de ce centre, en tant que membre de son comité de pilotage, le défendant contre ses nombreux détracteurs. Justifiant l’existence de centre d’archives privées à côté des centres d’archives publiques, il défendait celui de Perpignan contare le procès d’intention qui lui était fait :

- «Il faut être prisonnier d’une conception très étriquée de l’histoire pour s’indigner d’une telle initiative, au lieu de s’en féliciter et de l’encourager. Ne devons-nous pas être comme les abeilles ? Toute fleur n’est-elle pas bonne à faire notre miel, où qu’elle se trouve ? J’ajouterai que pour les historiens il n’y a pas de "bonnes" ou de "mauvaises" archives. Quant à moi, je préfère remercier les promoteurs de ce centre et me tenir à leur disposition pour contribuer à le faire vivre comme lieu de rencherche sur l’histoire, mal connue – et trop souvent caricaturée – des Français d’Algérie».

Puis, passant de la défense à l’attaque, il s’en prenait à l’argument majeur des adversaires d’un centre d’archives ainsi conçu : «Enfin, que signifie cette revendication d’une "histoire franco-algérienne non falsifiée" de la part d’organisations et de personnalités qui ont une conception hémiplégique de l’histoire, dénonçant à qui mieux mieux les "crimes" du colonialisme français, qui ont de l’histoire une conception procédurale, mais qui restent très discrets – c’est un euphémisme – sur les crimes et les massacres perpétrés par le FLN, dont ont été victimes des milliers d’Européens et des dizaines de milliers d’Algériens musulmans ? Qui sont si peu prolixes – autre euphémisme – sur la politique de terreur du FLN, sur son recours massif aux enlèvements, à la torture et aux viols, pour imposer sa domination sur les populations algériennes et contraindre les Européens à quitter un pays qui les a vus naître. Qui n’évoquent que du bout des lèvres le drame des harkis, victimes d’abord de la barbarie et de l’esprit de vengeance du FLN, qui ne leur pardonnait pas d’avoir combattu aux côtés de l’armée française, foulant au pied l’engagement souscrit lors des "accords" d’Evian, avant même que l’encre n’en soit séchée. Qui vitupèrent l’ouverture d’un centre de documentation mais font silence sur la fermeture des archives du FLN aux chercheurs ! Que ces donneurs de leçons, ces parangons de vertu, balaient donc devant leur porte !»

De même quelques mois plus tard, après l’élection du président François Hollande, Daniel Lefeuvre participa en quelques jours à deux activités des cercles algérianistes. D’abord une table ronde à Masseube, dans le Gers, les 30 juin et 1er juillet, sur «la transmission de la mémoire des pieds noirs», [vidéo intervention D.L.] avec plusieurs autres participants dont Roger Vétillard et moi-même. Quelques jours plus tard à Perpignan, le 5 juillet 2012, il participa à un hommage aux disparus et victimes civiles de la guerre d’Algérie, suivi par une table ronde qu’il dirigea brillamment devant un auditoire de 180 personnes.

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Puis, au début novembre 2012, plusieurs personnalités algériennes ayant relancé leur vieille revendication de repentance de la France dans l’attente du voyage du président François Hollande en Algérie, l’ancien ministre de la Défense Gérard Longuet, interviewé sur la Chaîne parlementaire et croyant la caméra coupée, crut bon de répondre à cette revendication par un bras d’honneur, ce qui fit scandale. Les informations de L’Algérianiste  consacrèrent une page entière à cet événement [xxxvi] dont la majeure partie était un texte de Daniel Lefeuvre intitulé «Pardon à l’Algérie», d’abord publié le 2 novembre sur plusieurs sites internet, puis sur Études coloniales le 4 novembre. Il mérite d’être reproduit :

«Quelle honte ! Tu l’as bien cherché Longuet, ce seau de déjections qui tombe sur ta tête. Quoi ! Un bras d’honneur pour toute réponse à cette légitime revendication de repentance, exigée de la France par le ministre algérien des moudjahidin ! Parce qu’enfin, il faut bien que la France s’agenouille, n’a-t-elle pas d’ailleurs commencé à le faire, pour tous les malheurs dont elle fut la cause ?

Oui, nous devons demander pardon pour ces génocides, perpétrés pendant cent trente années de colonisation, qui ont conduit à un triplement de la population indigène. Oui, nous devons demander pardon au FLN pour l’avoir contraint, pendant la guerre d’Algérie, à massacrer des dizaines de milliers d’Algériens — hommes, femmes et enfants — qui refusaient de se plier à sa loi et à ses exigences. Pardon d’avoir forcé cette grande organisation démocratique à mener à coups d’enlèvements, d’attentats, de tortures et d’assassinats, une guerre d’épuration ethnique. Il fallait bien contraindre les Européens à fuir l’Algérie, pour que le colonisé puisse coucher dans le lit du colonisateur. D’ailleurs, ces pieds-noirs n’étaient-ils pas des occupants ? Bon, d’accord, la plupart étaient nés en Algérie, de parents et, souvent, de grands-parents eux-mêmes nés sur place. Mais Gérard, quand comprendras-tu que la nationalité de la "troisième génération" ne vaut que pour les descendants d’immigrés installés en France ?

Pardon d’avoir laissé sur place, en 1962, une infrastructure routière, ferroviaire, aéroportuaire, scolaire, agricole et industrielle à nulle autre pareille en Afrique. Pardon d’avoir ouvert notre marché aux produits algériens et pardon de les avoir payés à des prix beaucoup plus élevés que les cours mondiaux, pétrole et gaz compris des années durant.

Pardon aussi, pour avoir accueilli entre 1962 et 1967, à la demande de Bouteflika, 300 000 Algériens — dont de nombreux anciens dirigeants nationalistes — venus travailler et résider, ou se réfugier, dans une France coloniale et raciste. Pardon, encore, et jamais assez, pour avoir délivré aux apparatchiks du régime, le premier d’entre eux en tête, des permis de séjour pour se soigner dans les hôpitaux parisiens. Pardon d’avoir introduit le poison de la démocratie et de la liberté de la presse en Algérie, dont le FLN a eu tant de mal à se débarrasser.

Pardon pour être de toute façon, toujours et pour toujours, responsable de cinquante ans de gabegie, de détournement de fonds, de mépris du peuple, de répression contre les opposants, d’asservissement de la femme aux contraintes patriarcales et islamiques. Tout cela, comme le chômage qui frappe 40 % des jeunes, le manque de logements et d’eau courante, ne saurait connaître d’autre explication que l’héritage colonial.

La meute a donc raison, Gérard, de te clouer au pilori médiatique. Ce bras d’honneur est inexcusable. Surtout pour ceux qui ont perdu le sens de l’honneur et de la France».

Ce texte percutant, plus encore que l’article paru dans le n° 137 de mars 2012, donnait l’impression d’une rupture totale de Daniel Lefeuvre avec les règles bien connues de la discipline historique, d’une conversion sans retour au métier de polémiste. Et pourtant, cet exemple éclatant de ce que ses vieux amis appellent son «humour sarcastique» n’était pas une preuve de reniement de cette discipline. C’était plutôt l’un des styles dont il savait user pour exprimer sa pensée.

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Daniel Lefeuvre, studio de RFI en 2007

Qu’on en juge en comparant ce texte décapant avec l’analyse plus pondérée qu’il plaça sur le site Études coloniales le 18 décembre 2012 sous le titre «La réconciliation au prix de la falsification ? À propos du voyage de F. Hollande en Algérie».

«Si le président algérien s’est, jusqu’à maintenant, gardé de demander à la France de faire acte de "repentance" pour les crimes qu’elle aurait commis en Algérie durant la période coloniale, en revanche, d’autres dirigeants algériens exigent un tel acte de contrition.
Ainsi, mardi dernier, le ministre des Mouhdjahidin, Mohamed-Cherif Abbas, réclamait-il "une reconnaissance franche des crimes perpétrés" à l’encontre du peuple algérien. De son côté, le président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme, Farouk Ksentini avait déclaré, la veille, que "La colonisation a été un crime massif dont la France doit se repentir si elle envisage d'établir avec l’Algérie […] de véritables relations délivrées d'un passé tragique, dans lequel le peuple algérien a souffert l'indicible, dont il n'est pas sorti indemne et qu'il ne peut effacer de sa mémoire"
[xxxvii].

Quand on connaît un tant soit peu le fonctionnement du pouvoir algérien, on ne peut pas imaginer que de tels propos aient été tenus sans l’aval du président Bouteflika. Cela révèle une forme de partage des rôles au sommet de l’État algérien entre, d’une part, un président qui souhaite l’essor de la coopération – notamment économique – avec la France, dont son pays a besoin et, d’autre part, le ministre des Moudjahidine et les représentants des associations mémorielles (en particulier la Fondation du 8 mai 1945), dont les discours sont surtout à destination intérieure.

Ces demandes réitérées de repentance ont, en effet, pour fonction première de tenter de détourner le peuple algérien des difficultés qui l’accablent depuis des décennies : chômage massif, touchant en particulier la jeunesse ; crise du logement ; délabrement des services publics scolaires et universitaires, de santé, de transport, etc. Difficultés qui témoignent de l’incurie et de la corruption du parti au pouvoir depuis 1962.

une histoire falsifiée de la colonisation française et du nationalisme algérien

Cette exigence de repentance repose sur une histoire falsifiée de la colonisation française et du nationalisme algérien. Le but : légitimer le pouvoir accaparé par une fraction du FLN lors de l’indépendance de l’Algérie et jalousement conservé depuis.

Certes, la conquête (1830-1849, 1857) puis la guerre d’Algérie (1954-1962) ont été des conflits meurtriers. Mais en aucun cas génocidaires, ni dans les intentions, ni dans les actes. Le simple constat que la population algérienne a triplé entre 1830 et 1954 (hors populations d’origine européenne et juive) en est la démonstration la plus indiscutable. Faut-il, par ailleurs rappeler, que lors des années de conquêtes, l’émir Abd-el-Kader s’est montré impitoyable à l’égard des tribus qui lui refusaient allégeance ou qui s’étaient rangées aux côtés de la France, n’hésitant pas à les combattre et à en exterminer les hommes – y compris les prisonniers !

Quant au bilan des pertes algériennes, lors de la guerre d’Algérie, il ne s’élève pas à un million, voire à un million et demi de "martyrs", comme l’histoire officielle algérienne s’évertue à en convaincre les Algériens, mais à 250 000 morts au maximum, parmi lesquels au moins 50 000  sont à mettre au compte du FLN : assassinats, en Algérie et en France, de militants nationalistes d’obédience messaliste ou supposés tels, assassinats d’Algériens refusant d’obéir aux ordres du FLN et de ceux favorables à la France, massacres de milliers de harkis, perpétrés pour la plupart au lendemain de l’indépendance, dans des conditions d’indicible horreur.

L’évocation par certains de "génocides culturels" relève, elle-aussi, de la propagande la plus grossière et non du constat historique. Jamais la France n’a tenté ni voulu empêcher la liberté du culte musulman et sa pratique. N’est-ce pas, au contraire, le seul pays à avoir acquis deux hôtels, l’un à Médine, l’autre à La Mecque, destinés aux pèlerins musulmans venus de son empire colonial ? Sous la colonisation, les Algériens n’ont pas cessé d’être des musulmans et ils ont pu, librement, s’adonner à leur culte et en observer les prescriptions – y compris lorsqu’ils ont été mobilisés dans l’armée française. Une telle tolérance religieuse existe-t-elle dans l’Algérie actuelle ?

Elle n’a pas, non plus, cherché à éradiquer la langue arabe, ni le tamazight, qui jusqu’à la fin de la période coloniale ont été les langues vernaculaires des populations locales. En revanche, c’est l’affirmation de l’arabité de l’Algérie, par le FLN – on se souvient de la déclaration de Ben Bella à l'aéroport de Tunis, le 14 avril 1962 : "Nous sommes arabes. Nous sommes arabes. Nous sommes arabes!" – qui a mis en péril la langue et la culture berbères.

Mais admettre ces réalités est impossible pour les dirigeants algériens, sauf à reconnaître qu’ils n’ont cessé de mentir et que le FLN a dû imposer son autorité – sa dictature - en usant aussi de la terreur contre le peuple dont il s’est proclamé l’unique représentant» [xxxviii].

18 déc 2012
Études Coloniales, 18 décembre 2012

C’était donc une analyse politiquement engagée, sans aucun doute, et défavorable à la politique algérienne de la gauche française actuelle, mais qui continuait de se fonder sur l’histoire. Même si elle était elle-même discutable, puisque j’ai pu aboutir à des conclusions sensiblement différentes après un mois d’enquête et de réflexion sur le voyage du président Hollande en Algérie [xxxix].

En même temps, à partir d’octobre 2010, Daniel Lefeuvre était entré en relation avec la Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie – dont la création par l’État et par certaines associations d’anciens combattants était une conséquence de la loi du 23 février 2005 – pour voir à quelles conditions la participation d’historiens à son conseil scientifique serait utile et donc acceptable. Il exposa à plusieurs de ses collègues sa conception de ce que pourrait être  l’utilité de cette fondation :

- «Ce serait faire oeuvre utile, je crois, si la Fondation prenait en charge la construction d'un site internet (parce qu'évolutif et qui pourrait s'enrichir constamment) qui ne présenterait pas un inventaire des sources à proprement parlé, travail démesuré, mais qui constituerait une sorte de centre d'information sur les différents lieux conservant des fonds relatifs à la guerre d'Algérie et aux combats en Afrique du Nord, avec un descriptif sommaire permettant aux chercheurs intéressés de se rapprocher directement du détenteur de ces fonds. Bien entendu, cela suppose de travailler en étroite collaboration et en priorité avec le réseau des archives nationales (…). Ce serait au fond une sorte de guichet de première information, une plateforme d’orientation, auquel s'adresseraient les chercheurs et qui permettrait de faire connaître et vivre des ressources très largement inexploitées. La connaissance de la guerre d'Algérie et des combats en Afrique du Nord en serait tout à la fois approfondie et élargie à des champs jusque-là peu labourés».

Il voulut aussi faire connaître sa position en répondant à une tribune libre publiée dans Le Monde.fr du 10 novembre 2010 par l’éditeur François Gèze et le vice-président de la Ligue des droits de l’homme Gilles Manceron, qui s’attachaient à démontrer que la création de cette fondation participait d’une «vaste opération de réhabilitation de la colonisation».

Daniel Lefeuvre discutait la validité de leurs arguments, qui reprochaient à cette fondation son «péché originel» (l’article 3 de la loi du 23 février 2005) et son nom («Fondation pour la Mémoire, et non pour l’histoire, ce qui conduirait inévitablement à en faire le lit et la caisse de résonnance des nostalgiques de la colonisation, en particulier des rapatriés d’Afrique du Nord et de leurs associations»).

bureau Daniel 24 juin 2008 (1)

Il concédait que cet argument n’était pas sans valeur, mais le relativisait : «Comme beaucoup, dès lors qu’une fondation se créait, j’aurais préféré une fondation pour l’histoire de la guerre d’Algérie et des combats en Afrique du Nord. Reste qu’il ne faut peut-être pas se rendre prisonnier de ce nom. D’ailleurs, combien d’historiens se sont-ils élevés contre la dénomination de la Fondation pour la mémoire (et non pour l’histoire)  de la shoah ? Combien aujourd’hui contestent-ils le travail considérable que cette Fondation a accompli jusqu’ici, notamment dans sa dimension proprement historique ?»

Et il remarquait qu’une autre fondation, la Fondation algérienne du 8 mai 1945, «dont le but est d'obtenir du gouvernement français la reconnaissance des "génocides" que la France aurait perpétrés lors des répressions des mouvements qui ont alors ensanglantés le Constantinois et plus généralement ceux qu’elle aurait commis durant toute la période coloniale», n’a pas inspiré la même opposition.

Il remarquait aussi que le conseil d’administration est composé en majorité de représentants des donateurs qui ne sont pas des militaires, mais des associations d’anciens combattants. Cependant, le point essentiel était  le statut et la composition du Conseil scientifique : si  ce Conseil «est composé d’historiens reconnus, français et étrangers, et s’il dispose de la maîtrise totale des orientations scientifiques et des activités – y compris mémorielles – de la fondation et de la ventilation des fonds disponibles, le Conseil d’administration se contentant de veiller à la bonne gestion financière de l’institution, alors, me semble-t-il, et compte tenu de ses moyens financiers importants, cette fondation peut-être utile à la recherche et aux chercheurs».

Daniel Lefeuvre critiquait ensuite l’argument suivant lequel la dotation généreuse de la Fondation nuirait à celle des universités et du CNRS en rappelant que les organisateurs de colloques font appel à tous les soutiens publics et privés possibles.

Enfin il répondait à l’argument essentiel, suivant lequel sur un tel sujet une fondation franco-algérienne serait préférable à une fondation française :

Le statut de l’histoire de la domination coloniale...

- «Certes, j’admets bien volontiers que, de prime abord, l’idée peut paraître séduisante. Mais je constate aussi qu’elle relève, et je le crains pour de longues années encore, de l’utopie. Qui, d’ailleurs, ne  le sait pas ? Le statut de l’histoire de la domination coloniale et de la guerre d’Algérie est d’une nature différente de part et d’autre de la Méditerranée. Ici, elle est l’objet d’une recherche fructueuse, déjà ancienne, reposant sur des archives – publiques et privées – très largement accessibles  qui ont permis aux historiens – de quelques nationalités qu’ils soient par ailleurs – de faire leur travail dans une totale liberté intellectuelle et de pouvoir en publier les résultats sans être soumis à une censure directe ou indirecte. Peut-on en dire autant en Algérie ? Certes, des progrès notables sont à souligner.

Là-bas aussi, la recherche progresse, des témoignages importants sont livrés, des travaux de grande qualité sont produits et publiés. Mais cela tient au courage des chercheurs algériens, beaucoup plus qu’à une volonté de l’Etat de dépolitiser l’histoire du nationalisme algérien et de la guerre d’Algérie. Le pouvoir politique, ses antennes institutionnelles ou militantes et ses relais médiatiques n’ont toujours pas renoncé aux mythes sur quoi repose leur reste de légitimité : unanimité du peuple algérien qui dès le 1er novembre 1954 se soulève à l’appel du FLN contre la domination coloniale ; FLN unique mouvement authentiquement nationaliste ;  guerre qui aurait coûté la vie à un million et demi de martyrs, etc.

Or, la création d’une Fondation, surtout bi-nationale, relève toujours, en bonne part,  de la décision des États concernés. Dès lors, de deux choses l’une : si l’État algérien donne son feu vert à une telle initiative, ce serait pour en contrôler l’activité afin qu’elle reste en conformité avec les dogmes du FLN, et, in fine pour obtenir de la France cette fameuse "repentance" et les réparations – morales et matérielles - qui vont avec, et qu’il exige depuis des lustres. Ou bien, si les historiens imposent de travailler selon les règles admises de leur discipline, alors l’État algérien refusera de s’associer à une entreprise qui conduirait, inéluctablement, à détruire ces mythes et ces dogmes auxquels il  s’accroche encore. Or, rien ne peut l’inquiéter plus qu’une histoire critique de la colonisation et de la guerre d’Algérie.

Dès lors, pourquoi cette revendication d’une Fondation commune  de la part de collègues ? Sans espoir que celle-ci puisse voir le jour et où ils pourraient travailler sérieusement, librement, comme ils le font dans leurs université ou au CNRS, le seul but que j’aperçois à cette demande est quelle permet de délégitimer a priori la Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie.

En revanche, si une coopération institutionnelle n’est pas envisageable, rien n’interdit, bien au contraire, d’associer aux travaux de la Fondation des historiens de toutes origines, y compris, bien entendu, algériens».

Et il tirait donc de ce constat la conclusion suivante : «Dès lors, la question que je me pose est de savoir s’il faut persévérer dans le refus de principe que lui opposent non pas LES historiens mais CERTAINS d’entre eux, ou bien, au contraire, plutôt que de jouer le jeu de la chaise vide (pour combien de temps d’ailleurs ?) ne vaut-il pas mieux saisir les opportunités que la Fondation offre pour dynamiser notre champ de recherche, en lui apportant le concours de notre expertise et de nos exigences et en lui proposant ou en soutenant des  projets utile à l’avancée de la connaissance historique – y compris de chercheurs étrangers, notamment algériens ? Il serait alors toujours temps, si la Fondation trahissait la mission qui lui a été officiellement assignée, d’en dénoncer les éventuelles orientations partisanes, pièces à l’appui».

Fondation Algérie

En conséquence de cette analyse, et après de nombreuses péripéties dont certaines m’ont échappé, Daniel Lefeuvre, qui avait été élu à l’Académie des sciences d’outre-mer en 2012, accepta en juin 2013 la présidence du Conseil scientifique de la Fondation, qui lui rendit hommage lors de son colloque sur les harkis [xl] les 29 et 30 novembre 2013.

Historien engagé donc, il voulait néanmoins rester toujours fidèle à l’histoire, et il le manifesta encore une fois avec éclat le 27 février 2012, quand le maire de Paris intervint dans l’organisation d’une exposition sur «les Parisiens et la guerre d’Algérie», dont le commissariat général avait été confié à Jacques Frémeaux et Daniel Lefeuvre par le Comité d’histoire de la Ville de Paris.

Convoqués à un entretien avec le cabinet du maire pour s’entendre dire que ce commissariat général devait être élargi pour trouver «une solution scientifiquement rigoureuse et politiquement consensuelle», ils démissionnèrent pour les raisons suivantes : «Vous estimez donc que nous ne sommes pas capables de proposer aux Parisiens une exposition "scientifiquement rigoureuse",  contestant ainsi notre compétence scientifique en la matière. D’autre part, votre exigence que cette exposition présente un discours historique "politiquement consensuel" ne laisse pas de nous surprendre. Notre conception de l’histoire, comme discipline scientifique, ne saurait reposer sur une telle exhortation. Il n’existe pas une histoire "de gauche" et une histoire "de droite" qu’il conviendrait de rendre consensuelles. Il existe des faits historiques que l’historien, par un long travail de recherche et d’analyse critique, doit s’attacher à découvrir et à expliquer. Cela vaut pour l’histoire de la guerre d’Algérie comme pour tout autre sujet».

J’ai revu Daniel Lefeuvre, apparemment en pleine forme, le 14 mars 2013 au colloque de la MAFA intitulé «Vers la paix des mémoires ? Les accords d’Evian, traité ou chimère ?», où il présenta la situation économique de l’Algérie en 1962, et une dernière fois le 6 avril 2013 quand il vint à Bordeaux, à l’invitation du Cercle algérianiste local, pour répondre sur le thème «le cercueil et la valise» au livre de Pierre Daum intitulé Ni valise ni cercueil, auquel j’avais moi-même déjà répondu sur mon site [xli].

Avant de céder au nouvel assaut de sa maladie, il avait donné son accord pour participer au Congrès des cercles algérianistes qui s’est réuni à Perpignan du 8 au 10 novembre 2013, dans un débat avec Dimitri Casali prévu pour le samedi 9, qui aurait porté sur le thème : «Peut-on encore sauver l’histoire de France ?».

colloque Reims

Il aurait dû participer aussitôt avant (les 7 et 8 novembre) au colloque organisé à Reims sur «les troupes coloniales et la Grande Guerre» en parlant de l’hôpital colonial de Nogent-sur-Marne. Mais deux semaines plus tôt, le 18 octobre, un article du journal local fondé sur des sources anonymes avait dénoncé un scandale : «des historiens invités sont réputés complaisants avec la mémoire de la colonisation», et précisé : «C’est un colloque déséquilibré faisant la part belle à une idéologie nostalgique coloniale très marquée à droite, ce qu’on n’attendait pas de la part d’une municipalité de gauche», et «Le programme aux thématiques importantes laisse croire qu’il s’agit d’une rencontre sérieuse alors que la parole va être donnée à des historiens au discours réactionnaire», à savoir Daniel Lefeuvre et ses amis Michel Renard et Marc Michel, qui feraient partie des «historiens révisionnistes» [xlii].

La fin de l’article signalait pourtant la réaction des autorités universitaires qui avaient défendu la liberté du débat intellectuel, et celle de l’organisateur du colloque Philippe Buton : «Ce sont des bruits de sanitaire indignes d’un journal d’information».

En effet, à lire cet article, on est stupéfié de voir à quel point la notion même de liberté de l’histoire paraît avoir disparu des esprits de journalistes, mais aussi de soi-disant historiens nostalgiques du temps de l’Inquisition ou du KGB. Mais pour tous ceux qui l’ont connu et apprécié, Daniel restera dans leur mémoire comme un modèle de courage : courage intellectuel, courage civique – jusqu’au bord de  la témérité - et courage privé.

Guy Pervillé
professeur émérite d'histoire contemporaine
à l'université de Toulouse - Le Mirail

Conference-Guy-Perville--n--1-25-09-2012

 


[i] La guerre d’Algérie au miroir des décolonisations françaises, Paris, Société française d’histoire d’outre-mer, 2000, 683 p.

[ii] Sous-titre choisi par la rédaction de la revue pour sa lettre.

[iii] L’Histoire, n° 56, mai 1983, pp. 98-101.

[iv] Chère Algérie, comptes et mécomptes de la tutelle coloniale (1830-1962),  Paris, Société française d’histoire d’outre-mer, 1999, 397 p.

[v] Chère Algérie, la France et sa colonie (1930-1962), Paris, Flammarion, 2005, 512 p.

[vi] Par exemple son étude sur «Le coût de la guerre d’Algérie» dans les actes du colloque Ageron publié par lui en 2000, pp. 501-514.

[vii] «Les pieds-noirs», in Mohammed Harbi et Benjamin Stora s. dir. La guerre d’Algérie, 1954-2004, la fin de l’amnésie, Paris, Robert Laffont, 2004, pp. 267-286.

[viii] Le texte rédigé de son intervention fut publié dans les Cahiers d’histoire immédiate n° 28 hiver 2005 (pp. 67-76) sous le titre : «Les prémices de l’exode des Français d’Algérie».

[ix] Pour en finir avec la repentance coloniale, Paris, Flammarion, 2006, 231 p.

[x] «Les historiens de la guerre d’Algérie et ses enjeux politiques en France» (2003), http://guy.perville.free.fr/ spip/article.php3?id_article=20.

[xi] Échange de mails indirectement restransmis. Daniel Lefeuvre avait développé la même analyse dans la partie explicative de la correspondance qu’il avait publiée d’un appelé mort en 1959, Lettres d’Algérie, André Segura, la guerre d’un appelé (1958-1959), Paris, éditions Nicolas Philippe, 2004.

[xii] Blog personnel de Daniel Lefeuvre : www.blog-lefeuvre.com/

[xiii] Daniel Lefeuvre avait accepté de participer à la réalisation d’un projet de «musée de la France en Algérie» à Montpellier, mais il avait claqué la porte en novembre 2005 : «Nous ne sommes pas là pour servir la soupe aux politiques ni aux rapatriés».

[xiv] Daniel s’en prenait beaucoup plus à Olivier Lecour-Grandmaison, Gilles Manceron, Pascal Blanchard…

[xv] Réponse au livre de Catherine Coquery-Vidrovitch, Enjeux politiques de l’histoire coloniale (2012), http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=282.

[xvi] Daniel Lefeuvre (1951-2013), http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/2013/11/05/28368217.html.

[xvii] Faut-il avoir honte de l’identité nationale ?, Paris, Larousse, 2008, 189 p. Ce livre répondait à celui de Gérard Noiriel, À quoi sert l’identité nationale ? éditions Agone, 2007, 156 p.

[xviii] http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=156.

[xix] http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=231.

[xx] Voir sur mon site : http://guy.perville.free.fr, ma réponse à la pétition «France-Algérie, dépasser le contentieux historique», http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_ article=162.

[xxi] Voir mon texte sur «La revendication algérienne de repentance de la France» (2004), http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_ article=22.

[xxii] L’Europe face à son passé colonial, Paris, Riveneuves, 2009, 391 p.

[xxiii] Préface de Charles-Robert Ageron à L’Algérie des Français, Paris, le Seuil, 1993, p. 13.

[xxiv] Voir sur mon site ma «réponse à Thierry Leclère» du 3 octobre 2010, http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=256.

[xxv] Paris, éditions Les Indes savantes, 2012, 130 p.

[xxvi] Publié par Eric Bédard et Serge Cantin, avec la collaboration de Daniel Lefeuvre, Paris, éditions Riveneuve, 2010, 240 p.

[xxvii] Publié sous la direction de Jean Fremigacci, Daniel Lefeuvre et Marc Michel, Paris, Riveneuve, 2013, 507 p.

[xxviii] Les actes des deux derniers colloques cités rejoignirent L’Europe face à son passé colonial (2007) dans la même collection des éditions Riveneuve.

[xxix] http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/____pour_en_finir_avec_la_repentance_coloniale/index.html

[xxx] http://www.rue89.com/2011/10/04/lhistorien-benjamin-stora-repond-aux-detracteurs-des-hommes-libres-224831, et http://ripostelaique.com/la-vision-etonnament-angelique-de-benjamin-stora-presentant-le-film-les-hommes-libres.html.

[xxxi] http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/2012/04/10/23971171.html.

[xxxii] Maison des agriculteurs français d’Algérie, dirigée par un fils de disparu de 1962, Jean-Félix Vallat.

[xxxiii] http://ripostelaique.com/Bien-des-raisons-me-conduisent-a-m.html.

[xxxiv] http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/2007/01/15/3708854.html.

[xxxv] Complément de la revue L’Algérianiste, n° 137, mars 2012, pp. 12-13.

[xxxvi] Supplément au n° 140 de L’Algérianiste, décembre 2012, p. 10.

[xxxvii] En fait, Daniel Lefeuvre confondait la dernière déclaration de Farouk Ksentini, avec la précédente. Voir mon analyse dans la référence suivante.

[xxxviii] http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/2012/12/18/25952048.html; Les mêmes réponses se retrouvent le lendemain dans une interview accordée au site Atlantico :  http://www.atlantico.fr/decryptage/faut-se-reconcilier-avec-algerie-tout-prix-daniel-lefeuvre-dimitri-casali-ahmed-rouadjia-581616.html.

[xxxix] «Le voyage du président Hollande en Algérie, 19-21 décembre 2012», placé sur mon site le 17 janvier 2013, http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=287.

[xl] Colloque Les harkis, des mémoires à l’histoire, Paris, Hôtel national des Invalides, Amphi Austerlitz, 29-30 novembre 2013.

[xli] Réponse au livre de Pierre Daum : Ni valise ni cercueil, les pieds-noirs restés en Algérie après l’indépendance (2012), http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=280.

[xlii] http://www.lunion.presse.fr/region/des-invites-controverses-au-colloque-sur-les-troupes-coloniales-ia3b24n232134.

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5 novembre 2013

Daniel Lefeuvre (1951-2013)

Daniel 2007Daniel Lefeuvre en 2007, dans sa maison de la Creuse (photo M.R.)

 

la disparition de l'historien Daniel Lefeuvre

spécialiste de l'Algérie coloniale

 biographie - iconographie - hommage - réactions

 

I - Décès de Daniel Lefeuvre

Daniel Lefeuvre, historien de l'Algérie Coloniale, est mort le lundi 4 novembre 2013 à 23 heures dans une chambre de l'hôpital Saint-Louis à Paris. À l'âge de 62 ans. Prennent ainsi fin trois années d'une maladie dévastatrice dont il savait l'issue inéluctable. Et pourtant, jamais, il n'a renoncé, supportant courageusement tous les traitements sévères prescrits par le médecin très compétent et très attentionné qui s'occupait de lui.

Jamais il n'a renoncé à préserver les siens, son épouse et ses deux fils, ses proches et tous ceux qu'il côtoyait, des douleurs qu'il endurait. Il a gardé, jusqu'au bout, une belle allure et l'envie de chercher, d'écrire, de combattre et d'aider les jeunes chercheurs.

Jamais Daniel n'a abdiqué. Il a toujours répondu aux sollicitations de conférences, de débats, de publications, de projets, de responsabilités. Dernièrement, en juin 2013, il était devenu président du Conseil scientifique de la Fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie, des combats du Maroc et de Tunisie. Il avait été élu, l'année dernière, membre de l'Académie des Sciences d'Outre-mer.

La douleur, la peine, le chagrin de sa famille, de ses amis, de ses collègues, de ses nombreuses connaissances, sont immenses. Chacun perçoit l'injustice devant le départ prématuré d'un homme si plein d'humanité, de gentillesse, d'humour, de dévouement et d'abnégation.

Je connaissais Daniel depuis près de quarante ans. On me pardonnera cette incursion personnelle. Nous avons partagé tant de moments et de défis intellectuels, professionnels et personnels. Témoin de mariage, parrain de mon deuxième fils aujourd'hui âgé de 9 ans.
Cheminement parallèle dans la rédaction de nos mémoires de maîtrises (Daniel, avec Jean Bouvier) et de DEA, préparation des concours, réussite au Capes. Nos parcours universitaires ont, par la suite, divergé. Daniel a mené, sans se laisser distraire, les recherches minutieuses qui l'ont conduit à sa thèse de doctorat, sous la direction de Jacques Marseille (décédé lui aussi prématurément le 4 mars 2010), L'industrialisation de l'Algérie (1930-1962), soutenue en 1994.

 

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Devenu, en 1994, maître de conférence à l'université Saint-Denis/Paris VIII, à laquelle il est resté fidèle, il passe son H.D.R. (habilitation à diriger des recherches), en salle Duroselle à la Sorbonne, le 18 décembre 2001. Le jury est composé de Jacques Marseille, de Daniel Rivet, de Jacques Frémeaux, de Marc Michel, de Benjamin Stora et de Michel Margairaz.

À la fin des années 1990, il s'implique dans la relance de la Revue Française d'Histoire d'Outre-mer, avec la connivence de Pierre Brocheux.

RFHOM 1999

 

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Accédant au rang de professeur des universités en 2002, il anime des séminaires sur l'histoire coloniale, il devient même, un moment, directeur du Département d'Histoire à Paris VIII.
Daniel prend des initiatives - auxquelles il m'associe souvent - comme ces sessions de formation à l'histoire de l'islam et de la laïcité. Il dirige le travail de nombreux étudiants en les incitant toujours à la rigueur du chercheur. Daniel Lefeuvre a été un infatigable prescripteur de recherches en archives dont il connaissait de très nombreux centres.

En 2006, nous fondons avec Daniel Lefeuvre, Marc Michel et moi-même, l'association Études Coloniales. Puis le blog homonyme, espace hybride entre la revue et le magazine, lieu d'informations, de contacts et de confrontations, ressource à laquelle ont puisé des chercheurs de dizaines de pays à travers le monde.

Tout en poursuivant inlassablement ses propres recherches dans de multiples dépôts d'archives - dont de nombreux résultats, hélas, ne donneront pas lieu à des publications scientifiques -, Daniel publie le retentissant Pour en finir avec la repentance coloniale (Flammarion, 2006).
 

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Les controverses sur cet ouvrage n'ont pas toujours été honnêtes. On trouvera sur ce blog les échanges polémiques de Daniel Lefeuvre avec quelques-uns de ses contradicteurs. En d'autres occasions, il a pu s'exprimer sereinement et infliger une leçon de rigueur historique à l'ancien ministre Jack Lang.
http://www.dailymotion.com/video/xi5ds_chez-f-o-g-jack-lang_news

2006 chez FOG

 

En 2008, nous écrivons ensemble Faut-il avoir honte de l'identité nationale ? (Larousse) pour montrer à tous les détracteurs ingorants du passé intellectuel de notre pays, que l'essentiel de l'historiographie française - à commencer par les plus grands (Michelet, Lavisse, Seignobos, Mathiez, Bainville, Marc Bloch, Braudel, Duby, Mandrou, Girardet, Chaunu, Agulhon, Zeldin, Colette Beaune, Nora, Burguière, etc.) - parlait de l'identité française sans xénophobie, sans collusions barrésiennes ni maurassiennes.
Reçus par un ministre, à Paris, en avril 2009 pour évoquer les idées de cet ouvrage, nous sortons sans trop d'illusions.
Daniel venait d'acheter L'Identité malheureuse de Finkielkraut qu'il comptait lire lors du prochain séjour projeté dans sa chère maison creusoise. Il s'apercevait que nous en avions déjà beaucoup dit sur le sujet.

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Sorbonne 9 avril 2009à Paris, sortant d'un ministère, dans la cour de la Sorbonne, le 9 avril 2009

 

En 2008, également, il organise avec le professeur Olivier Dard, à l'université de Metz, un colloque international intitulé L'Europe face à son passé colonial.
Daniel Lefeuvre termine sa propre communication par les propos suivants : "C'est pourquoi on peut gager que le passé colonial ne disparaîtra pas prochainement de l'actualité française. Mais, dans ces conditions, il revient aux historiens de s'arc-bouter sur les principes et les pratiques consacrés de leur discipline, afin qu'un savoir frelaté ne se substitue pas aux connaissances accumulées depuis plusieurs décennies et que de nombreuses nouvelles recherches savantes ne cessent d'enrichir. C'est, en tant que tel, leur seul devoir civique" (éd. Riveneuve éditions, 2008, p. 377).

 

9782914214551FS

 

En 2009, il est associé au projet de déménagement des Archives nationales quittant ainsi le centre de la capitale. Il participe à la pose de la première pierre avec Isabelle de Neuschwander, conservateur du patrimoine, chargée du projet de nouveau centre à Pierrrefitte-sur-Seine.

get-attachmentpose de la première pierre
du nouveau Centre des Archives nationales à Peyrefitte

 

En 2010, il collabore au colloque organisé par Serge Cantin et Olivier Bédard, L'histoire nationale en débat. Regards croisés sur la France et le Québec, publié par Riveneuve éditions.

9782360130153FS

 

En 2004, je découvre aux Archives d'Outre-mer le dossier racontant l'histoire de l'édification de la kouba de Nogent-Sur-Marne, dédiée aux combattants musulmans décédés en métropole (1919), mais entièrement disparue depuis. Il nous apparaît, à Daniel et à moi que ce témoignage d'histoire et de mémoire méritait d'être relevé.
Après plusieurs années de démarches après des ministères, des organismes d'anciens combattants, des communes et départements - combats politiques, financiers et épistolaires menés avec persévérance par Daniel -, le projet voit le jour. La kouba est reconstruite et inaugurée le 28 avril 2011.

kouba 28 avril 2011inauguration de la kouba du cimetière de Nogent-sur-Marne reconstruite

 

En 2013, Riveneuve éditions publie les actes du colloque organisé par Daniel, Jean Fremigacci, spécialiste de l'histoire malgache et Marc Michel, africaniste, tous trois amis de longue date : Démontages d'empires.

 

9782360131495FS

 

Daniel avril 2012Daniel Lefeuvre, avril 2012

 

Nous reviendrons sur le bilan scientifique de son oeuvre. L'heure est à l'affliction. Nous pensons à toi, Daniel.

 

Philippe Conrad et couv DANIEL
une évocation de Daniel Lefeuvre dans une émission de Philippe Conrad
avec Jean Monneret en 2021

 

Michel Renard

 

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II - quelques images de Daniel, notre ami

 

Union dans les luttes 2Jean-Charles Venturini, Daniel Lefeuvre, Michel Renard, mai 1981 (© Denise Arias)

 

Union dans les luttes 1vente militante de journal Union dans les Luttes, mai 1981 à Paris (© Denise Arias)

 

Daniel Creuse 19821982, dans la Creuse

 

Daniel Creuse 1982 avec Pierrot1982, dans la Creuse, avec mon fils Pierre

 

Daniel Creuse août 82
1982, dans la Creuse, avec mon fils Pierre

 

avec Maurice Creuse 19831983, dans la Creuse, avec le paysan, Maurice, (mort le 11 octobre dernier)
et mon fils Pierre

 

3 juillet 20043 juillet 2004

 

Daniel à la cuisine 23 oct 2005Daniel... rabelaisien généreux, 23 octobre 2005

 

m_Dany3à Paris, XVIIIe arrondissement, en 2005



Daniel 2006Daniel Lefeuvre à Paris, en 2006

 

Daniel portant ÉmileDaniel et son filleul Émile, dans la Creuse, juillet 2007

 

IMG_1448_1 copieessai d'une nouvelle tenue professorale pour la rentrée 2007...

 

24 juin 200824 juin 2008, dans son bureau

 

7 avril 20097 avril 2009, avec son filleul

 

8 avril 20098 avril 2009

 

Daniel 2011Daniel à i-télé, le 9 mai 2011 (source)

 

avril 2012 rue Simartavril 2012, chez lui

 

 

DSCN0486 - Version 2le 17 mars 2013 à Saint-Chamond/Saint-Étienne

 

juin 2013 resto (1)en juin 2013, Paris, avec André Fontaine, médecin, et Michel Renard

 

juin 2013en juin 2013, Paris, avec André Fontaine, médecin, et Pierre Renard

 

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III - la bibliothèque de travail de Daniel Lefeuvre

 

bibliothèque 3 24 juin 200824 juin 2008

 

bureau Daniel 24 juin 2008 (1)24 juin 2008

 

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IV - Hôpital Lariboisière, le mardi 12 novembre 2013

 

faire-part Mondefaire-part du Monde, 9 novembre 2013

 

faire-part Figarofaire-part du Figaro, 8 novembre 2013

 

IMG_7986-630x350hôpital Lariboisière, Métro "Gare du Nord" ou "Barbès-Rochechouart"

 

1472772_10201681314288086_1992170892_nGuy Konopnicki (journaliste, écrivain) et Gérard Molina (agrégé de philosophie)
le 12 novembre 2013, évoquant le souvenir de Daniel, leur ami

 

Néness et Konop (1)Jean-Pierre Janesse, dit "Nénesse" et Konop, la force des souvenirs

 

André, Malika, 12 nov (3) 2013Malika et André Fontaine, amis de Daniel


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V - Hommage, le mardi 12 novembre 2013


Quatre allocutions ont été prononcées lors de la cérémonie d'hommage, en présence de plus de cent cinquante personnes, avec Denise Lefeuvre, son épouse, et Guillaume et Louis, ses deux fils.

Michel Renard, Michel Margairaz, Marc Michel et Jean Fremigacci se sont exprimés.

Michel Margairaz            Marc Michel
Michel Margairaz                                                     Marc Michel

   

in memoriam Daniel Lefeuvre (1951-2013)

Michel Renard, 12 novembre 2013

La vie de Daniel Lefeuvre, son parcours, sa pensée n’appartiennent à personne. Ils les emportent avec lui.

Mais chacun, ici, en gardera des moments, des fragments, le souvenir de discussions vives dont on ressortait plus lucide, le souvenir de l’extraordinaire humanité de Daniel, de son humour sarcastique mais toujours fraternel, de son dévouement gratuit, de la modestie qui ne sied qu’aux grands esprits, et bien sûr de son incontournable œuvre d’historien.

Je livrerai quelques fragments du Daniel que j’ai connu. En espérant que Denise, son épouse, Guillaume et Louis, ses deux fils y trouveront le témoignage de ma fidélité et de mon admiration pour leur mari et pour leur père, mon ami.

22 juillet 2007 Daniel et ÉmileDaniel Lefeuvre et son filleul, 22 juillet 2007

Daniel Lefeuvre est issu d’un milieu socialement modeste. Son père était fossoyeur au cimetière de Pantin et Daniel en parlait toujours avec vénération. Cet ouvrier, d’origine bretonne, est décédé l’année où son garçon passait son Bac à 18 ans.

Louis, le fils cadet de Daniel perd aujourd’hui son papa, à l’âge où son propre père perdait le sien. Triste symétrie d’un crève-cœur familial.

cimetière Pantincimetière parisien de Pantin

La mère de Daniel, Irène, que nous sommes plusieurs à avoir connue, était ouvrière. Je salue avec affection sa mémoire. C’était un «cœur simple» comme aurait dit Flaubert, mais avec plus de liberté acquise dans sa destinée.

Son petit pavillon de banlieue, à Bondy, était ouvert et d’une inoubliable hospitalité. On y était reçu avec spontanéité et générosité.

Il a manqué un Willy Ronis pour fixer avec poésie l’image de ces instants de «bonheur modeste» qu’Irène dispensait à tous les amis de Daniel qui devenaient immédiatement les siens.

La scolarité et les études de Daniel Lefeuvre ont été marquées par les convictions politiques et les engagements militants de l’époque. Son milieu familial ouvrier et les rencontres loyales qui accompagnèrent sa jeunesse l’orientèrent «naturellement» vers le communisme, les Jeunesses communistes au lycée, l’Union des étudiants communistes (UEC) à l’université, parallèlement au syndicalisme étudiant au sein de l’UNEF.

Il sacrifia une partie de son cursus universitaire à son volontariat partisan. Y contractant des amitiés indéfectibles et y croisant des individus dont la carrière ultérieure put lui sembler une trahison.

 

les amitiés fécondes

Au chapitre des amitiés fécondes, il y aurait une belle brassée de figures.

Parmi les plus anciennes, il faudrait citer Jean-Pierre Janesse, dit «Nénesse», avec qui Daniel effectua un mémorable tour d’Europe en moto et avec peu d’argent… ; Daniel Milekitch et Denis Maresco, étudiants à Villetaneuse, l’université des fils de banlieue, que j’ai connue quelques années après eux ; André Fontaine, notre ami médecin, et son épouse Malika, amis ultimes ; la haute stature de Gérard Vaugon, dit «Bakou», disparu en 2003 ; la culture littéraire et le sens politique de Guy Konopnicki, dit «Konop» ; l’exceptionnelle intelligence de Gérard Molina.

Entrée de VincennesParis VIII, à Viincennes

Et dans cette université de Paris VIII, à Vincennes, c’est là qu’il rencontra Denise, élève de l’historienne Germaine Willard, qui devint la compagne de toute sa vie.

J’ai rencontré Daniel, la première fois, à Villetaneuse, avec Bakou à la rentrée universitaire 1974. Bakou, inimitable Mirabeau des campus, le verbe étincelant et le charisme rayonnant. Daniel, véritable boule de révolte, en guerre avec tout ce que le monde avait fait naître en lui de déceptions et de désillusions.

Tous les deux fondèrent, peu après, une librairie dans un local de la cité HLM «Allende», à la sortie du campus de Villetaneuse. Ils croyaient en la diffusion de la culture. Pour eux, l’université devait être une grande prêtresse du livre. Ils en seraient les officiants.

Auparavant, comme élu national étudiant, Daniel fut membre du CNESER. Et il y a quelque ruse de l’histoire à ce qu’il fût devenu, il y a quelques années, membre du CNU, ayant à examiner la qualification des futurs maîtres de conférence et professeurs des universités.

 

Entre-temps, son trajet le conduisit, plusieurs années durant, à la vente du livre, de manière itinérante d’abord sur les campus universitaires, puis dans une librairie ouverte dans la Zup d’Argenteuil et intitulée «La halte des heures».

Il s’y dépensa avec Denise pour tenter d’offrir une vraie littérature à tous et des conseils de lecture pour les enfants.

Zup Argenteuilune dalle de la Zup d'Argentueil

Puis il reprit le chemin des études et des concours. En commençant par le professorat, en tant que maître-auxiliaire, dans les LEP. Et par la préparation du Capes-Agrégation à la Sorbonne où nous suivîmes les cours passionnants de Michel Vovelle, de Robert Fossier, de Michel Zimermann, de François Hincker, de François Rebuffat et de Joël Cornette dont Daniel, plus tard, devint le collègue à Paris VIII Saint-Denis.

 

la recherche historienne en histoire coloniale

Il engagea parallèlement ses recherches en archives, sous la direction de Jacques Marseille dont la lecture de Empire colonial et capitalisme français l’avait convaincu des illogismes de nos simplistes convictions de jeunesse en matière d’histoire coloniale.

Marseille couv

Daniel Lefeuvre eut le courage intellectuel de renoncer à celles-ci et de se confronter à la rigueur de l’histoire positiviste, particulièrement en matière économique.

Son souci de l’exactitude factuelle et de la méthodologie historienne le poussèrent, à travers l’investigation archivistique de sources nouvelles, à réfuter quelques mythes, plus politiques qu’historiens d’ailleurs.

Il retrouvait, renouvelait et prolongeait une historiographie française attachée à la neutralité axiologique qu’avait illustrée, en 1960, Henri Brunschwig dans Mythes et réalités de l’impérialisme colonial français, 1871-1914.

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La thèse de Daniel, parue en 1997 sous le titre amphibolique de Chère Algérie, 1930-1962, suscita des débats mais aucune réfutation étayée.

La colonisation, qu’elles qu’en furent les affres militaires, ne fut jamais un «pillage».

Oui, Daniel doit à Jacques Marseille. Mais il édifia son propre cheminement historien et ne suivit pas ce dernier dans l’éloge du libéralisme.

Il resta un historien libre qu’aucun «camp» ne put jamais s’approprier.

Ni les nouveaux adeptes des «études post-coloniales», qui ne voient qu’«images» et «discours» comme démiurges d’une réalité dont ils ignorent l’épaisseur sociale ; ni les nostalgiques a-critiques de l’Algérie coloniale qui oublient les injustices et inégalités de la domination des conquérants.

À distance de toutes les reconstructions mémorielles, l’historien ne sombra jamais ni dans l’anachronisme ni dans la téléologie.

Il faut dire que Daniel Lefeuvre était un infatigable lecteur en archives, acceptant ce qu’elles pouvaient lui apprendre et ce qui pouvait le surprendre. Cela le préserva de tous les dogmes partisans.

 

Caom 20 juillet 2004 copiesalle de lecture du Caom

Nous nous sommes maintes fois retrouvés au Centre des archives d’Outre-mer à Aix-en-Provence, présents à la première heure et derniers partis, en négligeant souvent le repas.

Le soir, nous retrouvions notre ami, le conservateur André Brochier, et d’autres passionnés de la recherche, comme Jean-Louis Planche et Jean Fremigacci, qui ne pouvaient se satisfaire des huit petites heures quotidiennes à compulser les papiers sortis des célèbres et épais cartons gris.

 

André Brochier 6 août 2004André Brochier, 6 août 2004

C’est dans ce scriptorium des temps modernes, et dans une multitude d’autres, que Daniel découvrit et analysa les données qui constituèrent son œuvre historienne.

Je ne dirais pas qu’il avait la religion de l’archive, parce que son esprit critique, son positivisme analytique et son sens de la problématisation l’interdiraient. Mais il avait la «passion de l’archive», comme le formula un jour l’historienne Arlette Farge.

Cette passion de l’archive et de la rigueur historienne lui fit écrire l’éclatant Pour en finir avec la repentance coloniale (2006) qui, sous une forme ramassée et d’apparence polémique est d’abord un livre de démonstration historique.

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Par son expérience politique et sa connaissance de l’histoire, Daniel Lefeuvre savait très bien qu’on ne peut jamais vraiment «en finir» avec les préjugés et les idéologies partisanes, mais à ne pas le tenter on se montrerait infidèle aux vertus du savoir comme à l’éthique du savant.

En 2006, nous fondons, Daniel Lefeuvre, Marc Michel et moi-même l’association Etudes Coloniales. Puis le blog homonyme, espace hybride entre la revue et le magazine, lieu d’informations, de contacts et de confrontations, ressource libre à laquelle ont puisé des chercheurs de dizaines de pays à travers le monde. Daniel y répondit, avec précision, caractère et courtoisie, à ses contradicteurs.

Dans la foulée est mis en ligne le Répertoire des historiens du temps colonial, comportant ce jour 225 notices auxquelles Daniel contribua largement.

 

l'identité nationale

J’ai partagé avec Daniel, la joie et la stimulation intellectuelle d’écrire Faut-il avoir honte de l’identité nationale ? (2008).

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Il ne s’agissait pas d’une histoire de l’identité française, seulement d’une réaction contre une logomachie honteuse du passé national mais ignorante de celui-ci, d’une réaction contre les ponts-aux-ânes d’un militantisme de slogans.

Il fallait rappeler l’extraordinaire bilan de l’école historique française, et anglo-saxonne, qui sut définir l’identité française sans jamais sombrer dans aucun barrésisme, dans aucun maurrassisme ni dans une quelconque xénophobie.

Historien de l’Algérie coloniale, ayant voyagé en Algérie et au Maroc, Daniel avait fait de la Creuse son havre de ressourcement. Il y retrouvait le paysan Maurice, son complice, disparu le mois dernier à l’âge de 84 ans.

Il y retrouvait aussi les traces de la longue histoire agraire de la France. Un  moment, Daniel avait envisagé de racheter la maison creusoise de l’immense historien médiéviste, Marc Bloch : «ça aurait de l’allure !», disait-il…

le Bourg d'Hem CreuseLe Bourg d'Hem, patrie creusoise de Marc Bloch

Daniel Lefeuvre avait «sous le coude» et dans les innombrables fichiers de son ordinateur des centaines de pages destinées à la rédaction de plusieurs livres que la maladie lui a interdit de mener à terme.

Mais il est une entreprise qu’il eut la force d’accompagner jusqu’à sa réalisation concrète et à l’égard de laquelle il éprouva un indéniable amour-propre, ce fut la reconstruction de la kouba de Nogent-sur-Marne.

Cette initiative, selon nous, symbolisait la fusion du savoir historique et de l’hommage mémoriel.

En 2004 – pardonnez-moi de dire «je» en ce jour -, je découvre aux Archives d'Outre-mer le dossier racontant l'histoire de l'édification de la kouba de Nogent-sur-Marne, dédiée aux combattants musulmans décédés en métropole et inaugurée en 1919, mais entièrement disparue depuis 1982.

C'est principalement à Émile Piat, consul général, attaché au cabinet du ministre des Affaires étrangères et chargé de la surveillance des militaires musulmans dans les formations sanitaires de la région parisienne, que l'on doit la construction de cette kouba.

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Le monument fut édifié à la fin de la Première Guerre mondiale grâce à une conjonction d'initiatives qui importait à Daniel : la politique de gratitude et de reconnaissance de l'institution militaire à l'endroit des soldats venus du domaine colonial, l'empathie d'un consul entreprenant et l'entremise d'un officier des affaires indigènes en poste à Alger, le soutien d'un édile communal et la générosité d'un marbrier. Cette osmose dépassait toute politique d'intérêts au sens étroit.

C'est ce surplus de signification, le signe d'une mutuelle reconnaissance, qui avaient toutes raisons d'être rappelés malgré le temps passé.

Après plusieurs années de démarches après des ministères, des organismes d'anciens combattants, des communes et départements - combats politiques, financiers et épistolaires menés avec persévérance par Daniel tout seul -, le projet voit le jour. La kouba est reconstruite et inaugurée le 28 avril 2011.

Daniel disparaît alors que débutent toutes les commémorations du centenaire de la Grande Guerre. Il y aura magnifiquement participé avec la renaissance de la kouba, au sein du carré musulman du cimetière de Nogent-sur-Marne.

 

un testament d'historien

En 2008, il avait organisé avec le professeur Olivier Dard, à l'université de Metz, un colloque international intitulé L'Europe face à son passé colonial.

Il terminait sa propre communication par les propos suivants qui, aujourd’hui, résonnent comme un testament d’historien :

"C'est pourquoi on peut gager que le passé colonial ne disparaîtra pas prochainement de l'actualité française. Mais, dans ces conditions, il revient aux historiens de s'arc-bouter sur les principes et les pratiques consacrés de leur discipline, afin qu'un savoir frelaté ne se substitue pas aux connaissances accumulées depuis plusieurs décennies et que de nombreuses nouvelles recherches savantes ne cessent d'enrichir. C'est, en tant que tel, leur seul devoir civique".

Daniel 6 juin 2013Daniel Lefeuvre, 6 juin 2013

Daniel affectionnait la lecture du Journal de Jules Renard. J’y puise cette dernière formule, dont la presque inconvenance n’aurait pas, je crois, déplu à Daniel : «On ne s’habitue pas vite à la mort des autres. Comme ce sera long quand il nous faudra nous habituer à la nôtre ! ». Sans toi, Daniel…

Et ainsi que tu ponctuais souvent la fin de nos innombrables discussions : Kenavo, mon ami !

 Michel Renard

 

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VI a - L'article de l'historien Guy Pervillé

- lire ici

Conference-Guy-Perville--n--1-25-09-2012

 

VI b - L'hommage de l'historien Olivier Dard

Olivier Dard pour Daniel Cercle algérianiste
publication du Cercle Algérianiste

Olivier Dard
Olivier Dard

 

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VII - Articles de presse et liens vers des sites

Figaro 11 nov 2013 articleLe Figaro, 11 novembre 2013

 

Le monde 0
Le Monde 1
Le Monde 1_2

Le Monde, 12 novembre 2013

 

- département d'histoire de l'Université Paris VIII / Saint-Denis
http://www2.univ-paris8.fr/histoire/?p=5258

- Cril 17 info
http://cril17.info/2013/11/09/in-memoriam-daniel-lefeuvre/

- articles et vidéos où apparaît Daniel Lefeuvre
http://www.fdesouche.com/429527-lhistorien-daniel-lefeuvre-est-mort

- autres vidéos sur le site Prêchi-Prêcha
http://www.prechi-precha.fr/colonisation-de-lalgerie-rappel-historique-avec-daniel-lefeuvre-video/

- "Comment la France s'est ruinée en Algérie : hommage à Daniel Lefeuvre", par Bernard Lugan
http://bernardlugan.blogspot.de/2013/11/comment-la-france-sest-ruinee-en.html

- le site Boulevard Voltaire a relayé l'article de Bernard Lugan
http://www.bvoltaire.fr/bernardlugan/daniel-lefeuvre-un-africaniste-libre,40719

- le site Noix Vomique
http://noixvomique.wordpress.com/2013/11/13/daniel-lefeuvre-1951-2013/

- "Hommage à Daniel Lefeuvre qui vient de nous quitter", sur le site Agora Vox
http://www.agoravox.tv/tribune-libre/article/hommage-a-l-historien-daniel-41684

- "Hommage à Daniel Lefeuvre", par Pierre Cassen sur le site Ripsote Laïque
http://ripostelaique.com/hommage-a-daniel-lefeuvre-auteur-de-faut-il-avoir-honte-de-lidentite-nationale.html

- Nicolas Marty sur le site de l'Association française d'histoire économique
http://afhe.hypotheses.org/3510

- le site Enquête et débat, Jean Robin
http://www.enquete-debat.fr/archives/hommage-a-lhistorien-daniel-lefeuvre-qui-vient-de-nous-quitter-20188

- "Disparition de Daniel Lefeuvre", sur le site Bir-Heicheim, le rombier
http://www.bir-hacheim.com/disparition-de-daniel-lefeuvre/

- "Daniel Lefeuvre est mort" sur le blog de l'histoire
http://blog.passion-histoire.net/?p=13776

- "Daniel Lefeuvre", sur le site Le coin du Popodoran
http://popodoran.canalblog.com/archives/2013/11/06/28371538.html

- le site de l'APHG (Association des professeurs d'histoire-géographie), l'article nécrologique préparé par Hubert Bonin
http://popodoran.canalblog.com/archives/2013/11/06/28371538.html

- le même article sur le site de la SFHOM (Société française d'histoire d'outre-mer)
http://sfhom.free.fr/daniellefeuvre.pdf

- "un historien courageux au service de la République", site Apolocalisse laica
http://apocalisselaica.net/index.php?option=com_content&view=article&id=195393%3Adaniel-lefeuvre-un-historien-courageux-au-service-de-la-r%C3%A9publique&catid=226%3Aestero&Itemid=222

 

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VIII - Réactions, messages et condoléances

 

Daniel 30 sept 200630 septembre 2006

 

1) Messages reçus

 

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Bien chers amis,

C'est avec beaucoup de tristesse que nous avons appris le décès, hier soir, de notre ami Daniel Lefeuvre qui luttait depuis trois ans déjà contre la maladie.
Daniel était très proche du cercle qu'il avait rejoint, il devait à nouveau intervenir devant les congressistes le week-end end prochain à l'occasion de notre congres national.
Son fils Guillaume qui m'apprenait cet après-midi la triste nouvelle me disait combien son père se sentait bien parmi les algérianistes lui qui nourrissait plein de projets avec le cercle Algérianiste. Il me disait aussi l'émotion qui étreignait son père lorsque le chant des africains retentissait parmi les nôtres.
Merci à Daniel pour son soutien, pour sa compréhension de nos drames, pour avoir eu le courage de dire au sein du monde universitaire bien trop souvent monolithique une autre vérité.
Un hommage lui sera rendu samedi prochain lors du 40e anniversaire du cercle à Perpignan.
Avec mes fidèles amitiés

Thierry ROLANDO
5 novembre 2013

 

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Cher Monsieur,

Je n'ai pas eu le temps de vous répondre hier, pardonnez m'en.
La nouvelle que vous m'avez apportée m'a touché. Je connaissais peu Daniel Lefeuvre personnellement, mais chacun de nos contacts avait été simple et direct. Je crois qu'il s'est battu courageusement contre la maladie. C'est une perte douloureuse pour ses proches et ses amis, dont vous êtes, mais aussi pour l'histoire.
Le prochain numéro du Figaro Histoire (sortie fin novembre) lui rendra hommage.
Bien cordialement

Jean SÉVILLA
6 novembre 2013

 

Fondation Algérie

 





Monsieur le Président, Madame, messieurs les administrateurs, madame, messieurs les conseillers scientifiques,  Nous apprenons avec une très grande tristesse le décès de notre ami le Professeur Daniel Lefeuvre, survenue le 4 novembre. Homme d'un dévouement exceptionnel, historien de très grande qualité, Daniel Lefeuvre, était un universitaire rigoureux et respecté, d'une grande honnêteté intellectuelle.
Il avait accepté avec courage d'être  le président du conseil scientifique de la Fondation à laquelle il a immédiatement apporté un soutien éclairé. Sa présence et sa bonne  humeur vont nous manquer.  La Fondation adresse à sa famille ses condoléances les plus sincères.

Paul MALMASSARI Directeur de la FM-GACMT
6 novembre 2013

 

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Cher Michel,
Je viens d’apprendre par un message de Hubert Bonin, la triste nouvelle, le décès de Daniel Lefeuvre. Je sais combien vous étiez proches tous les deux, et devine la peine qui doit être la tienne. Je connaissais Daniel depuis le début des années 1990 à Paris 8, et j’avais participé à son jury d’habilitation. Nous nous étions opposés ces dernières années, notamment à propos des ouvrages sur “la repentance coloniale” et “l’identité nationale”, ou sur le documentaire La déchirure.  Mais je crois pouvoir dire que nous avions un respect mutuel pour chacun de nos travaux.
Je présente à sa famille mes plus sincères condoléances.
Bien à toi.

Benjamin STORA
7 novembre 2013

 

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J’ai appris avec tristesse le décès de Daniel Lefeuvre. C’était un homme sympathique, plein d’humour et de joie de vivre. Il avait toujours plein de projets à soumettre à son entourage. Je le connaissais depuis peu de temps. Après notre rencontre de septembre 2008, nous nous sommes revus régulièrement et à chaque fois c’est avec beaucoup de plaisir que nous avons pu échanger sur bien des sujets, et pas seulement sur l’Histoire .
Le bel hommage que Michel Renard  - son complice de toujours - lui rend sur le site d’Études Coloniales mérite d’être lu. Daniel Lefeuvre a écrit sur des sujets difficiles, pas toujours politiquement conformes, avec une grande rigueur, sans langue de bois, ce qui lui a attiré des critiques pas toujours très honnêtes. C’est un grand historien qui nous quitte, nous ne l’oublierons pas.

Roger VETILLARD
8 novembre 2013

 

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Pour Daniel Lefeuvre
Pourquoi avais-je de l’estime pour l’historien Daniel Lefeuvre ?
Après avoir servi la France comme officier SAS du contingent pendant les années 1959-1960, et cru, à un moment donné, court, aux chances d’une communauté franco-africaine, je m’étais imposé une sorte de «jeûne» colonial.
C’est en reprenant contact avec l’histoire coloniale, plus de trente années plus tard, que j’ai découvert dans l’air du temps toutes sortes de nouveaux romans «nationaux», qui valaient bien celui de notre Lavisse national, porté aux nues d’une nouvelle histoire coloniale tout à la fois anachronique, médiatique, «entrepreneuriale», et à la fin, repentante.
Et dans tout ce tumulte plus idéologique qu’historique, le flux montant et renouvelé des histoires ou des mémoires de la guerre d’Algérie, et de l’Algérie elle-même, des histoires ou des mémoires dont j’avais eu soin de me garder, tant elles envahissaient tout le champ de l’histoire coloniale, en même temps qu’elles faisaient aussi top belle part à l’émotion, à la passion, et au cas personnel.
Les ouvrages de Daniel Lefeuvre m’ont sorti de cette sorte d’exil historique intérieur parce qu’elles s’inscrivaient dans le type d’histoire qui seul à mes yeux en a les caractéristiques, c’est-à-dire le respect de la chronologie et des faits, mais en même temps, et ce qui n’est pas si courant dans l’histoire coloniale, l’analyse des faits sous leur angle statistique, économique et financier, au-delà donc des histoires des idées seules beaucoup plus malléables.
Au fin du fin, l’exemple d’un historien authentique qui pratiquait son métier à contre-courant, contre toutes les dérives de notre temps.

Jean-Pierre RENAUD
9 novembre 2013

 

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J’ai connu assez tard Daniel Lefeuvre, un printemps, aux Centre national des archives d’Outre-Mer à Aix-en-Provence où il travaillait avec le rythme soutenu de ceux qui savent où ils vont, et que le chemin sera ardu. Conduit par la nécessité à suspendre un temps ses études, jeune père de famille, il entendait ne gaspiller ni un instant ni un centime. Le seul loisir qu’il se soit accordé, à la veille de son départ, fut un détour par le centre-ville pour acheter un modeste cadeau à l’intention de ses deux garçons.

Le sujet de thèse qu’il avait choisi n’était pas non plus au demeurant des plus faciles. Il entendait démontrer par l’étude du cas de l’Algérie que l’abandon par la France de ses colonies, au tournant des années soixante, avait été dicté par un raisonnement financier bien compris : le coût en était devenu bien supérieur au rapport. Il suffit de se rappeler le gouffre financier que provoquait la guerre d’Algérie, au moment où en Afrique noire des groupes armés commençaient de se constituer dans la brousse. La France qui entrait dans le Marché commun se retrouvait en concurrence face à une Allemagne, une Italie et une Hollande, débarrassées de leurs charges coloniales.

Tout, certes, ne se monnaye pas. Comment comptabiliser l’apport au rayonnement de la France qu’avait apporté un auteur comme Albert Camus ? Comment estimer la profondeur stratégique que conférait l’Algérie et qui explique le choix par les Anglo-américains en 1942 d’amorcer par leur débarquement la reconquête de l’Europe, Alger devenant du coup la capitale de la France en guerre, et le siège du gouvernement de la République ?

Cependant Chère Algérie, 1930-1962, ouvrage que Daniel Lefeuvre tira de sa thèse, provoqua parmi les progressistes et les marxistes étriqués un tollé. Il fut d’autant plus vif que la démonstration par le cas algérien venait conforter l’étude générale menée par son directeur de thèse, Jacques Marseille, sur le poids qu’était devenu pour la France son empire colonial.
On parla d’un renouveau de «cartiérisme», rangeant Daniel Lefeuvre et Jacques Marseille parmi les héritiers du journaliste Raymond Cartier, anticolonialiste conservateur, célèbre un moment pour sa phrase «plutôt la Corrèze que le Zambèze».

Mais le fait que l’Algérie soit toujours aujourd’hui le premier client de la France, et que la ville de Marseille, seconde ville de France, lui doive de garder son rang de premier port de Méditerranée, sans sombrer dans une misère totale, prouvent qu’ils savaient raison garder. Si être marxiste est d’abord faire l’analyse réelle de faits réels, Daniel Lefeuvre, accusé comme Jacques Marseille par les «bien-pensants» d’avoir trahi, restera un auteur incontournable.

Jean-Louis PLANCHE
10 novembre 2013

 

roger saboureau










Roger SABOUREAU (association Secours de France) n'a pas laissé de message écrit mais plusieurs témoignages oraux lors de conversations téléphoniques. Je puis en témoigner. Les signes de son attachement à l'humanité et à l'intelligence historique de Daniel ont été touchants et sincères. Il l'a plusieurs fois reçu sur Radio Courtoisie. Une complicité était née entre entre eux. Roger Saboureau est un homme droit qui a su écouter Daniel et lui prodiguer, dans les derniers temps, les soutiens et aides nécessaires, sur nombre de projets en cours et notamment sur le dossier de la Kouba de Nogent-sur-Marne. (M.R.)
- "Daniel Lefeuvre nous a quitté !" sur le site de Secours de France
http://www.secoursdefrance.com/content/view/1311/9/

 

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À Monsieur Michel RENARD
Cher Monsieur,
C'est avec une très grande tristesse - immédiatement exprimée sur le site www.clan-r.fr - que j'ai appris le décès de Daniel Lefeuvre pour qui j'avais beaucoup d'estime et même de l'amitié. Nous nous connaissions assez bien. Il était mon confrère à l'Académie des Sciences d'Outre-Mer où il présidait le conseil scientifique du Centenaire et nous siégions ensemble au conseil scientifique de la Fondation dont il était le Président.
Compétent, rigoureux, courageux, Daniel avait d'immenses qualités humaines et morales qui le faisaient apprécier d'un très grand nombre.
Il va laisser un énorme vide mais son oeuvre subsistera, je dirais même se poursuivra ; vous allez la faire vivre, nous allons tous la faire connaître et elle va assurément être à l'origine de vocations.
L'Académie des Sciences d'Outre-Mer lui rendra hommage vendredi prochain, le 22 novembre à 15 heures ; il serait bien que vous-même et ceux qui vous entourent à l'Assocation puissiez être présents.
Je vous prie d'agréer, cher Monsieur, l'expression de ma profonde sympathie.

Denis FADDA
Président (h) de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer
18 novembre 2013

 

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2) Commentaires sur Daniel Lefeuvre (1951-2013), postés sur le blog

 

Habib-Kazdaghli

 





- J'adresse toutes mes condoléances à sa famille, à ses amis et à ses collègues. C'est un collègue généreux et disponible, à chaque fois que je l'ai rencontré à Paris 8, j'ai gardé une très bonne impression. Paix à son âme.
Habib Kazdaghli, professeur d'Histoire contemporaine
Doyen de la Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de Manouba-Tunisie.
Posté par Habib Kazdaghli, 5 novembre 2013

- Je m'associe à la peine de ceux qui ont côtoyé Monsieur LEFEUVRE historien émérite sur l'Algérie. J'ai rencontré le général Maurice FAIVRE et Monsieur Jean MONNERET, tous deux historiens dans le même domaine, mais je n'ai jamais eu l'opportunité de rencontrer Monsieur LEFEUVRE. En revanche, je serai heureux de pouvoir rencontrer Monsieur Michel RENARD qui doit habiter à Saint Chamond. Personnellement, je réside à St Jean Bonnefonds.
Posté par anicaud, 5 novembre 2013

- Toutes mes très sincères condoléances à sa famille, a ses amis.
Il reste une Œuvre et pour cela nous le remercions; mais nous le remercions surtout, pour sa recherche de la vérité , qui demandait le vrai courage d'aujourd'hui : le courage intellectuel.
JLF
Posté par JLf, 6 novembre 2013

- Je ne connaissais pour ainsi dire pas Daniel Lefeuvre, croisé seulement quelques fois dans des séminaires parisiens, mais j'ai toujours eu beaucoup d'estime pour le combat qu'il menait à juste titre contre ce que vous appelez le "savoir frelaté". Sur ce point tout particulièrement je partage votre analyse.
J'essaye, à ma mesure, autant que l'Université veuille bien m'en donner la possibilité de mener moi aussi ce même combat qui est, après le combat pour la vie, le seul qui vaille vraiment la peine.
Toutes mes condoléances à la famille de Daniel Lefeuvre. Très sincèrement.
J.A.
Posté par J.A., 6 novembre 2013

- Une nouvelle bien triste et des photos profondément touchantes. Mes plus sincères condoléances vont à la famille et aux proches de M. Lefeuvre.
Posté par Benjamin, 6 novembre 2013

coquery










- Une vieille amitié nous liait, remontant à Jacques Marseille. Nous ne nous sommes pas fait mutuellement de cadeau dans le domaine historique, ayant assez souvent des interprétations divergentes depuis quelques années. Mais nous avions, je crois pouvoir le dire, une sincère affection l'un pour l'autre, faite de respect mutuel, sensible à chacune de nos rencontres. Je présente à sa famille mes plus sincères condoléances.
Catherine Coquery-Vidrovitch
Posté par Catherine C. Vid, 6 novembre 2013

 

Badr Maqri













- Mes sincères condoléances à sa famille, ses proches et ses ami(e)s.
Badr Maqri / Université Mohammed I / Oujda / Maroc
Posté par Maqri, 7 novembre 2013

Jean-François Paya













- Profondement touche j’ai eu l'honneur de rencontrer plusieures fois le professeur Lefeuvre lors de colloques et conférences dont une à notre cercle Algerianiste de Poitiers où il m’avait vivement en courage à poursuivre mes recherches sur les massacres du 5 juillet 62 à Oran, contre vents et marées, en m’affirmant que l’Histoire n’était pas le privilege des universitaires, sa vision de notre histoire algérienne reste lumineuse et toujours présente, impérissable. Merci cher Professeur.
Jean Francois Paya AC/ Algérie classe 54/2
Posté par JF PAYA, 7 novembre 2013

- Une mémoire s’en va, un drame pour notre pays au moment où nous aurions besoin de tant de tolérance
Posté par Mogondi, 7 novembre 2013

- C'est avec tristesse que j'apprends la mort de mon cher professeur. Il a été mon directeur de recherche pour ma maitrise et mon DEA.
J'ai toujours apprécié sa liberté de pensée hors des cadres dogmatiques et son exigence intellectuelle qui le caractérisait. Je prenais énormément de plaisir à assister à ces cours et à nos rencontres de suivi de travaux. Je garde le souvenir d'un homme profondément humain, sans prétention, dans ses rapports avec ses étudiants.
Toutes mes condoléances à sa famille et à ses proches.
Rodolphe Belmer
Posté par Rodolphe, 7 novembre 2013

- J'ai eu l’honneur de connaître le professeur Daniel Lefeuvre et de travailler avec lui de 2008 jusqu'à son départ. Il était mon directeur de recherche pour mon Master2 (2008-2009) et dirigeait ma thèse en cours. Je demeure très reconnaissant à son égard pour ses qualités humaines et scientifiques, son humilité, ses conseils et son accompagnement dans des conditions extrêmement difficiles et particulières.
Son départ est une grande perte pour les étudiants, les chercheurs et pour le domaine de l'histoire.
Je présente toutes mes condoléances pour ses proches et ses amis. (Tu nous a quitté mais nous ne t'oublions pas).
MARGHICH Moussa
Posté par MARGHICH, 7 novembre 2013

- Bonsoir,
j'avais dévoré son livre sur la repentance coloniale
j'apprends sa disparition sur "Enquête et Débat"
j'adresse toutes mes condoléances à sa famille
je prie pour son âme sans connaitre ses convictions religieuses et/ou sa foi
Je suis très triste car il a y a bien peu d'hommes capables comme lui de défendre la vérité historique à partir de quoi se construit la mémoire et l'identité.
Bref je pleure la disparition de cet homme que je ne connaissais pas personnellement
RIP
Posté par WOILLEMONT, 7 novembre 2013

 

Maxime Gauin







- Un historien aussi rigoureux que courageux, et un homme plein d'humanité. Sa mort est une perte à tous égards. Je renouvelle ici mes condoléances.
Posté par Maxime Gauin, 7 novembre 2013

En souvenir des années militantes à Paris XIII-Villetaneuse. Mes condoléances les plus attristées à sa famille et à ses proches.
Posté par christophe93200, 7 novembre 2013

- La lutte contre le politiquement correct et l'histoire frelatée, contre les bien-pensants démagos et les réflexions binaires blancs mauvais noirs gentils, basée sur le socle de la vérité vient de perdre son plus grand serviteur.
Je m'amuse encore très souvent à regarder M. Lefeuvre "moucher" quelques énergumènes du genre en direct à la télévision, sur youtube… sincères condoléances….
Posté par GAULMIN, 8 novembre 2013

 

Jean Pavée









- Professeur d'histoire dans un lycée de la banlieue de Nancy, militant et contributeur à Riposte Laïque, je remercie Daniel Lefeuvre pour m'avoir éclairé grâce à la lecture de "Pour en finir avec la repentance coloniale" et de "Faut-il avoir honte de l'identité nationale ?".
Merci à sa rigueur et à son courage.
Jean Pavée
Posté par Jean Pavée, 8 novembre 2013

- La France a perdu en la personne de Daniel Lefeuvre un très grand bonhomme, un très grand historien.
Je vous salue M .Lefeuvre. Condoléances à la famille.
Posté par lanceur, 8 novembre 2013

- Étudiant à Paris 8 il y a un peu plus de 10 ans, j'ai connu brièvement M. LEFEUVRE. Sa disparition m'attriste beaucoup. Toutes mes condoléances à sa famille.
Posté par Cyril, 9 novembre 2013

- Pour être un grand historien comme M. Lefeuvre il faut être habité par le doute et obsédé par la vérité.
Toutes mes condoléances à sa famille.
Posté par bernard, 10 novembre 2013

- C'est grâce à l'enseignement de Daniel Lefeuvre que j'ai appris ce qu'est la recherche en Histoire. Sa culture historique, sa connaissance des archives et sa rigueur resteront pour toujours un modèle. C'est aussi l'homme bienveillant et généreux que j'ai découvert au fil de ces années.
J'ai une pensée pour sa famille pour laquelle j'adresse mes sincères condoléances.
Monsieur Lefeuvre, je ne vous oublierai jamais.
Posté par DH, 10 novembre 2013

- Ma fille a été une de ses étudiantes il y a quelques années. J'ai le souvenir d'un enseignant extrêmement attentif et bienveillant, qui donnait beaucoup de conseils avisés, et mettait les mains dans le cambouis pour aider ses étudiants. Je l'ai vu malmené dans des émissions, plus ou moins accusé de relents colonialistes, alors qu'il ne faisait que dire la réalité des choses, j'en avais ressenti un profond malaise.
Mais dans ce pays, lorsqu'on s'éloigne du politiquement correct, on est sanctionné et rudoyé. Tout mon soutien à sa femme et ses enfants. C'était un monsieur bien, très bien, un honnête homme, et il y en a peu, finalement.
Posté par Dominique, 11 novembre 2013

- Simple lecteur de ses ouvrages et de ce blog, j'en apprécie la volonté de rigueur sur la période coloniale, traitée de manière historique et non manichéenne.
Il était aussi intervenu à l'émission C dans l'air, lors de la visite de F. Hollande en Algérie l'an dernier ; j'apprends donc qu'il se savait gravement malade à cette date.
Mes condoléances à ses amis et à sa famille.
Posté par ted, 12 novembre 2013

- C'est bien d'avoir posté ces photos personnelles. Elles montrent que ce n'est pas qu'un chercheur et un historien qui disparaît (et dont les commentaires déplorent avec raison la disparition) mais aussi un homme qui laisse un vide douloureux chez ses proches. De tout coeur avec vous et sa famille.
Posté par Sisyphe, 12 novembre 2013

 

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- Nous avions participé à un colloque ensemble et j'avais admiré son propos courageux car à contre courant d'une pensée dominante. C'est une grande perte pour la recherche historique. Toutes mes condoléances à sa famille.
Posté par G. Crespo, 12 novembre 2013

- je m'associe aux condoléances de tous ceux pour qui le savoir est plus important que le pouvoir ...
Posté par emmanuel, 15 novembre 2013

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- Très touché par sa disparition, je tiens à saluer Daniel Lefeuvre pour ses grandes qualités humaines, son ouverture d'esprit et son honnêteté intellectuelle. Il m'a permis de publier mon premier article et m'a donné confiance en moi.
Toujours disponible pour échanger à la fin d'un séminaire. Courageux de se montrer à contre-courant de la pensée dominante et toujours critique dans ses démarches. Boycotté par les médias traditionnels car pas assez "politisé" dans le "bon sens".
Il va nous manquer.
Mes condoléances à ses proches et l'assurance de tout mon soutien.
Posté par Olivier Berger, 15 novembre 2013

- Merci pour le partage. Il était une source d'inspiration.
Posté par emmanuel, 22 novembre 2013 

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- Ces photos de Daniel publiées en son hommage suscitent l'émotion et ravivent la douleur de sa perte. Ce fut un honneur que de travailler avec lui ; ce fut un honneur que de l'avoir comme ami. À Daniel qui continuera d'accompagner nos pensées.
Posté par Diane Sambron, 23 novembre 2013

 

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3 novembre 2013

HUỲNH KHƯƠNG AN dit LUISNE (1912-1942)

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un hommage a été rendu à

HUỲNH KHƯƠNG AN dit LUISNE

7 avril 1912  -  22 octobre 1941

 

Huynh-Khuong An, dit Luisne est né en 1912 à Saïgon (Indochine française).

Ainsi que le précise Emmanuel Dang Tran, lors de l'hommage : "Il avait une spécificité, celle d’être Vietnamien, Indochinois comme on disait alors improprement, Annamite comme il est écrit, également improprement, sur cette plaque même. (...) Il avait été envoyé tôt poursuivre ses études en France, jeune mais déjà imprégné par sa famille du sentiment patriotique et anticolonialiste".

Secrétaire de l’Union des étudiants communistes (UEC) à Lyon en 1936, il devient professeur de Lettres à Paris et au lycée de Versailles. Il est un militant communiste très actif.

Selon Võ Thành Thọ JJR 68, Huyn-Khuon An "était le fils du directeur d’un établissement scolaire à Saïgon, le professeur Huỳnh Khương Ninh. An est venu à Lyon pour poursuivre ses études. Il y a connu Germaine Barjon qui est devenue sa compagne et avec laquelle il a eu un enfant. En 1938, il prépare l'agrégation et en 1940, il est nommé professeur stagiaire au lycée de Versailles".

Selon le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, dit le Maitron : "À la déclaration de guerre, il participa à la vie clandestine du Parti communiste. De son côté, pour les Amis de l'Union soviétique, Germaine Barjon [la compagne de Huyn] rétablit les liens entre Paris et la province. Huynh Khuong An qui écoutait Radio-Moscou fournissait à Germaine Barjon des éléments permettant la parution illégale de Russie d'aujourd'hui, l'organe des Amis de l'Union soviétique. En 1940 il obtint un poste de professeur stagiaire au lycée de Versailles".

Russie d'aujourd'hui 1938

 

Russie d'aujourd'hui 1939

 

Arrêté le 18 juin 1941 pour participation à la reconstitution du Parti Communiste dissout par le gouvernement français en 1939.

Arrêté par mesure de sûreté puis livré aux Allemands, il fut interné comme otage au camp Choisel à Châteaubriant (Loire-Atlantique)

Fusillé par les Allemands le 22 octobre 1941 ainsi que 26 de ses camarades communistes internés dont Guy Môquet au titre de représailles contre l’attentat du lieutenant colonel Karl Hotz abattu le 20 octobre 1941 par la Résistance. Il avait 29 ans.

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L'hommage a eu lieu le samedi 26 octobre 2013 à 14 h au cimetière du Père Lachaise, 97ème section, monument érigé à la mémoire des martyrs de Chateaubriand.

 

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témoignage de Pierre Brocheux

Le père de Huynh Khuong An, avait ouvert et dirigeait une école privée situé rue d'Ariès, baptisée Huynh Khuong Ninh après l'indépendance, dans le quartier de Dakao.
L'école était située à proximité du cimetière principal de Saïgon, rasée après 1980 pour faire place à un parc municipal accolé à une base de télécommunications.
Dans la même rue, habitait une famille où, en 1958, séjourna Lê Zuân, secrétaire général du parti communiste, venu clandestinement et brièvement se rendre compte de la situation au sud Vietnam, avant de relancer la lutte armée.
Mes grands-parents maternels puis mes parents étaient domiciliés dans cette rue jusqu'en 1970.

P-S : sans vouloir faire le pion, je fais remarquer que les mots indochinois et annamite sont les termes de l'époque ; ils étaient utilisés par les Vietnamiens eux mêmes, réformistes, communistes, indépendantistes confondus.
Lorsque l'empereur Gia Long réunifia la royaume du Dai Viêt en 1802, il l'appela Viêt Nam.
Pour des raisons politiques évidentes, les conquérants français tronçonnèrent le royaume en trois pays avec des régimes administratifs différents : Cochinchine, Annam, Tonkin.
Vietnam ne fut pas une appellation interdite (contrairement à ce qu'écrivent certains ignorants), mais il n'était pas d'usage surtout officiellement, Pendant la Seconde Guerre mondiale, il réapparut fréquemment d'autant que l'amiral-gouverneur général vichyste Jean Decoux donna son aval à l'usage du terme. (je me permets de vous renvoyer à mon dernier livre: "Viet Nam. la nation résiliente").

 

9782213661674FS

 

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le Saïgon qu'a peut-être connu Hyun An dans son enfance ;

cartes postales anciennes antérieures à la Premère Guerre mondiale

Saïgon pont messageries

 

Saïgon cpa 8 juin 1913

 

Saïgon palais Gouv

 

Saïgon rivière

 

Saïgon rue Catinat

 

JSaïgon Jardin botanique

 

 

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2 novembre 2013

les troupes coloniales et la Grande Guerre

colloque Reims

 

colloque international

les troupes coloniales et la Grande Guerre

Reims, 7 et 8 novembre 2013

 

Marocains à Compiègne

 

«Les Troupes coloniales et la Grande Guerre»

Colloque international

Reims, Salle Clovis, Centre des Congrès

7 et 8 novembre 2013

Organisé par le Centre d’Études et de Recherche en Histoire Culturelle

(CERHIC) de l’Université de Reims Champagne-Ardenne

Avec le soutien financier de Reims Métropole et du CERHIC

 

tirailleurs algériens Reims

 

Séance inaugurale

8 h 30 – Accueil des participants

9 h 00 – Introduction par Jean-Jacques Becker (Université Paris X-Nanterre)

 

Première partie. Combattre

9 h 30 – Lancelot Arzel (Centre d’Histoire de Sciences-Po),

«La Force Publique dans l'État indépendant du Congo : à la pointe de la violence coloniale ? (1885-1908)»

9 h 50 – Julie d'Andurain (École militaire – CDEF),

«La genèse de la Force noire, au détour de la correspondance Gouraud-Mangin et de la littérature coloniale (1900-1920)»

10 h 10 - Antoine Champeaux (Lieutenant-colonel, officier adjoint du général délégué au patrimoine de l’armée de terre),

«Les tirailleurs sénégalais dans la Grande Guerre : instruction, entraînement, emploi»

10 h 30 - Richard Fogarty (Université d’Albany, États-Unis),

«Les “bons musulmans” : la propagande allemande en direction des prisonniers de guerre nord-africains» des troupes coloniales françaises»

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10 h 50 – Discussions

11 h 00 – Pause-café

11 h 10 - Julien Fargettas (Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence),

«La bataille du Dobro Polje, les troupes coloniales françaises et le front d'Orient»

11 h 30 - Laurent Jolly (Université de Pau, LAM),

«Les tirailleurs africains de Djibouti»

11 h 50 - Bastien Dez (Chercheur en Histoire),

«La mutinerie du 61e BTS en 1917»

goumiers algériens

12 h 10 – Discussions

12 h 30 – Déjeuner

14 h 10 - Colette Dubois (Université d’Aix-Marseille),

«Les occultés de la Grande Guerre en Afrique : les porteurs de la Campagne du Cameroun (1914-1916)»

14 h 30 - Daniel Lefeuvre (Université Paris VIII-Saint-Denis),

«L’hôpital militaire colonial de Nogent-sur-Marne pendant la Grande Guerre»

14 h 50 - Michaël Bourlet (Commandant, Chef du cours histoire militaire, Écoles militaires de Saint-Cyr Coëtquidan),

«La promotion des Africains aux grades d'officier»

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15 h 10 – Discussions

15 h 25 – Pause-café

15 h 40 - Anne Samson (Independent Historian),

«The diversity of troops in the South, Central and East African campaigns»

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Deuxième partie. Politique et polémiques

16 h 00 - Vincent Joly (Université de Rennes II),

«Le concept de "races guerrières" dans les armées coloniales européennes»

16 h 20 - Romain Rainero ((Université de Milan, Italie),

«Le refus italien d’utiliser les troupes coloniales»

16 h 40 - Discussions

tirailleurs algériens Bordeaux

 

— Vendredi 8 novembre —

8 h 30 - Michel Bodin (Chercheur en Histoire),

«Les troupes coloniales et la présence impériale française en Indochine durant la Première Guerre mondiale»

8 h 50 - Jean-Charles Jauffret (Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence),

«La Grande Guerre, Indochine et front Ouest, vue par le chef de bataillon d’infanterie coloniale Maurice Darnault : journal de marche d’un grand témoin»

9 h 10 - Gilbert Meynier (Université de Lorraine),

«Les Algériens et la Première Guerre mondiale»

9 h 30 - Michel Renard (Université Paris VIII),

«Le fait religieux musulman et l’armée française»

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Diffa (3) Nogent 1918diffa du 16 septembre 1918 organisée dans le Jardin Colonial de Nogent-sur-Marne

 

9 h 50 – Discussions

10 h 15 – Pause-café

10 h 30 - Catherine Nicault (Université de Reims Champagne-Ardenne),

«Le détachement français de Palestine (1917-1918)»

10 h 50 - Dominique Chathuant (Chercheur en Histoire),

«La question des races, source d'un malentendu dans la relation franco- américaine (1918-1919)»

11 h 10 - Pap Ndiaye, (Centre d’Histoire de Sciences-Po),

«Le pari de la dette de sang’ : W.E.B. Du Bois, Blaise Diagne et Gandhi pendant la Première Guerre mondiale»

11 h 30 - Marc Michel (Université d’Aix-Marseille),

«La Force noire et la ‘chair à canon’, Diagne contre Mangin, 1917-1925»

11 h 50 – Discussions

12 h 15 - Déjeuner

Sénégalais Toulouse

 

Troisième partie. Mentalités et représentations

14 h 15 - François Cochet (Université de Lorraine),

«D'un mythe à l'autre : de l'invincibilité à la fragilité. La perception des troupes coloniales (1914-1917)»

14 h 35 - Jérôme Buttet (Université de Reims Champagne-Ardenne),

«Des identités militaires d’outremer ? Le point de vue des graffiti»

14 h 55 - Jean-Yves Le Naour (Université de Toulouse II),

«Inverser le regard : la France et les Français vus par les tirailleurs coloniaux (1914-1918)»

15 h 15 - Joëlle Beurier (Université de Reims Champagne-Ardenne),

«Les troupes coloniales dans les presses illustrées européennes»

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15 h 35 – Discussions

15 h 50 – Pause

16 h 00 - Pieter Lagrou (Université libre de Bruxelles, Belgique),

«Dick van Galen Last et la Honte noire»

16 h 20 - Sandra Maß (Université de Bielefeld),

«Schwarze Schmach : Gender, Race and the Nation in Post-War Germany, 1918-1923»

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16 h 30 - Cheikh Sakho (Université de Reims Champagne-Ardenne),

«La mémoire de pierre et d'airain des troupes africaines»

16 h 50 - Discussions

17 h 10 - Philippe Buton (Université de Reims Champagne-Ardenne), Conclusions

17 h 30 - Clôture du colloque

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Comité scientifique

- Pr. Jean-Jacques Becker, Professeur émérite d’Histoire Contemporaine à

l’Université Paris X-Nanterre, président du Centre de recherche de l’Historial de la Grande Guerre à Péronne

- Pr. Philippe Buton, Professeur d’Histoire Contemporaine à l’Université de Reims Champagne-Ardenne

- Pr. Tony Chafer, Professeur d’Histoire Moderne à l’Université de Portsmouth

- Pr. François Cochet, Professeur d’Histoire Contemporaine à l’Université de Lorraine

- Pr. Colette Dubois, Professeur d’Histoire Contemporaine à l’Université d’Aix- Marseille

- Pr. Richard Fogarty, Professeur d’Histoire Moderne à l’Université d’Albany (États-Unis)

- Pr. Jacques Frémeaux, Professeur d’Histoire Contemporaine à l’Université Paris-Sorbonne

- Pr. Jean-Charles Jauffret, Professeur d’Histoire Contemporaine à l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence

- Pr. Vincent Joly, Professeur d’Histoire Contemporaine à l’Université de Rennes II

- Pr. Gerd Krumeich, Professeur d’Histoire Contemporaine à l’Université de Düsseldorf (Allemagne)

- Pr. Peter Lagrou, Professeur d’Histoire Contemporaine à l’Université libre de Bruxelles

- Pr. Marc Michel, Professeur émérite d’Histoire Contemporaine à l’Université d’Aix-Marseille

- Pr. Romain R. Rainero, Professeur émérite à l’Université de Milan (Italie)

- Pr. Janos Riesz, Professeur émérite de Littérature comparée à l’Université de Bayreuth (Allemagne)

blessé allemand soigné

 

Comité de pilotage

- Dr. Joëlle Beurier, Université de Reims Champagne-Ardenne

- Pr. Philippe Buton, Professeur d’Histoire Contemporaine à l’Université de Reims Champagne-Ardenne

- Pr. Marc Michel, Professeur émérite d’Histoire Contemporaine à l’Université d’Aix-Marseille

- Cheikh Sakho, Université de Reims Champagne-Ardenne

 

Sénégalais Toulouse 2

 

Contact et inscriptions

Marie-Hélène Morell – Ingénieur d’Études

Tél. : 03.26.91.36.75

Mail : mh.morell@univ-reims.fr

Gratuité pour tout le monde mais inscriptions obligatoires auprès de Marie-Hélène Morell

 

tombe soldat 36e Colonial

 

Saint)-Raphaël camp Sénégalais

 

Sénégalais traversant une ville

 

Goumiers caïds Toulouse

 

blessé marocain conduit ambulance

 

blessé marocain transporté

 

Hindous parc Borély Marseille

 

spahis marocains Ribécourt

 

spahis pont de bateaux Compiègne

 

Villers-Cotterets officier

 

zouaves soupe Compiègne

 

goumiers halte-repas

 

Sénégalais blesséTirailleurs sénégalais au dépôt de convalescents de Saint-Gaudens

 

 

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26 août 2013

le débat à propos du 5 juillet 1962 à Oran (3) - Jean Monneret

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Oran, 5 juillet 1962,

ce qui reste à démontrer

Jean MONNERET

 

De multiples interrogations subsistent en ce qui concerne cette journée du 5 juillet. On peut les ramener à deux :

- 1) Qui a déclenché la fusillade ?

- 2) Y a-t-il eu une machination et ourdie par qui ?

S’il est une question à laquelle les gens sont susceptibles de répondre en fonction de leurs présupposés personnels, c’est bien la première. Or, il ne s’agit pas de convaincre les convaincus mais de faire un travail aussi scientifique que possible. N’ayant pas personnellement l’assurance qui permet de tout trancher, je reste sur ce point dans l’incertitude.

En revanche, tout le monde ou presque (1) paraît d’accord pour mettre hors de cause l’OAS, dont les commandos avaient quitté Oran. Seul le Général Katz fait allusion, dans son livre (2) à de possibles desperados de l’Organisation (sans la nommer). Sa démonstration est toutefois des plus laborieuses. Je l’ai souligné à la page 109 de mon ouvrage sur le sujet (3).

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Répondre à la deuxième question est tout aussi difficile. J.F Paya s’estime, pour sa part capable de résoudre ces deux énigmes. Il semble persuadé que sa présence en Oranie en 1962, qui s’est prolongée à Mers-el-Kébir jusqu’en 1965, lui donne un avantage pour analyser le 5 juillet. Toutefois ce qu’il écrit est loin d’être toujours convaincant.

Paya insiste sur le conflit qui opposait alors le GPRA (4) au clan Ben Bella/Boumediene. Ce dernier étant le chef de l’État Major Général de l’Armée de Libération Nationale (5), basée aux frontières algéro-marocaine et algéro-tunisienne. C’était en effet le problème de l’heure et toute la presse nationale et internationale ne parlait que de cela.

L’EMG défiait l’autorité du GPRA, ce qui avait pour résultat d’introduire au sein du FLN une très grave cassure à la veille du référendum. Celui-ci eut lieu néanmoins, mais au lendemain de sa tenue, les deux groupes antagonistes se redisputèrent avec ardeur la direction de la future Algérie.

L’Indépendance ayant été proclamée le 3, qu’elle était la situation le 5 juillet ? C’était une veillée d’armes. Le GPRA avait quitté Tunis pour Alger. Le clan Ben Bella/Boumediene était installé à Oujda, au Maroc, c’est pourquoi Paya les désigne comme les conjurés d’Oujda (6).

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le G.P.R.A.

Le GPRA dirigé par Ben Khedda, son président, avait le soutien de la Wilaya 4, l’algéroise ; il recevait aussi l’appui de la wilaya 3, la kabyle. Le GPRA avait lancé un appel à manifester le 5 juillet, date anniversaire symbolique de la prise d’Alger en 1830 (7), afin de fêter la «libération» du pays. L’Oranie, bien tenue en mains par les benbellistes (Paya dixit), n’avait pas prévu de manifestation (toujours selon Paya).

Néanmoins les appels à cette célébration lancés sur les ondes de Radio-Alger furent naturellement entendus à Oran et un défilé s’organisa. Paya présente les choses ainsi : «Mais à Oran, les animateurs (?) assez anti-FLN de l’extérieur, s’empressèrent d’obéir au GPRA».

Cette situation ne pouvait que déplaire à l’EMG qui voyait en le GPRA l’ennemi juré. Or, ces manifestations le mettaient en valeur. Les benbellistes entreprirent, dit Paya, de les saboter.

Ainsi, toujours selon Paya, la ville d’Oran allait devenir le 5 juillet 1962 un théâtre important de l’affrontement entre le GPRA et l’EMG. Notre auteur est très affirmatif : le massacre des Européens résulte d’une machination tramée par le clan Ben Bella /Boumediene.

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Des agents dudit clan déclenchèrent une provocation en centre-ville durant le défilé des Musulmans. Leur but : discréditer le GPRA. Citons Paya :

«…Pour les conjurés d’Oujda Ben Bella et Boumediene, qui allaient s’installer à Tlemcen, cela ne pouvait se passer ainsi. Il leur fallait démontrer que les partisans du GPRA n’étaient pas capables d’assurer l’ordre, tout en conjurant le risque d’une enclave européenne dans la zone Oran- Oran/Mers-el-Kébir (souligné par nous).

Mais surtout, ils préféraient avoir un prétexte pour faire intervenir massivement cette armée des frontières sans paraître faire un coup d’État (souligné par nous).

Bien sûr, la population ne comprenait rien à ce qui se passait. Mais une fois sur place, elles (les troupes venues du Maroc) mirent surtout au pas leurs opposants et les éléments musulmans perturbateurs que la provocation avait déchaînés…» (8).

Comme on le voit, notre auteur procède surtout par affirmations. Il est persuadé que l’appel du GPRA lancé sur les ondes fut repris à Oran par des éléments hostiles à l’EMG.


Oran benbelliste ?

De tels éléments ont sûrement existé, mais Paya les présente comme «influents». Il parle même de «responsables». Ceci paraît à première vue, contradictoire avec le fait qu’il évoque lui-même ensuite une Oranie «bien tenue en mains par les benbellistes» (9).

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Notre auteur va plus loin en affirmant quelque chose d’étonnant qui aurait bien besoin d’être solidement étayé : des banderoles furent confectionnées avec le slogan : «À bas le culte de la personnalité».

Paya a parfaitement raison d’y voir un mot d’ordre codé contre Ben Bella. Ainsi dans Alger, où dominait la wilaya 4, hostile à ce dernier, ce slogan était, à la même époque, placardé sur tous les murs. Mais la capitale où je me trouvais alors (10), était aux mains de gens farouchement opposés à l’EMG.

Rien de semblable à Oran où la situation était rigoureusement différente. L’Oranie (la wilaya 5) était un bastion benbelliste. Adhérer à l’analyse de Paya impliquerait de reconsidérer tout ce que l’on sait de la situation locale. L’Oranie, (en tous cas Oran), aurait été non pas traversée mais profondément ravagée par les luttes de clans du moment.

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Oran pourtant tenue par Si Bakhti, homme lige de Ben Bella est curieusement présentée comme influencée par les partisans du GPRA. Et bigrement puissants pour être capables d’organiser un vaste défilé, de leur propre chef (c’est le cas de le dire), et avec leurs propres slogans anti Ben Bella. C’est là un renversement de perspective surprenant qui va à l’encontre de tout ce qui s’écrivit sur le moment et dans les chroniques ultérieures. Nous verrons plus loin quelles justifications donne Paya à cette présentation des faits.

Car notre auteur va toujours plus loin. Rappelons qu’il prête à l’EMG, qu’il désigne comme  «les conjurés d’Oujda», une intention machiavélique : «…Il  leur fallait démontrer que les partisans du GPRA n’étaient pas capables d’assurer l’ordre, tout en conjurant le risque d’une enclave européenne dans la zone Oran/Oran-Mers-el-Kébir».

Attention ici ! Si les mots ont un sens, cette phrase porte inévitablement à penser que le maintien de l’ordre à Oran-ville dépendait de partisans du GPRA. Sans cela, comment les accuser d’incompétence après le massacre ?

Or, comment souscrire à une telle vision des choses ? Et Bakhti compagnon de route de Ben Bella depuis les lointains épisodes de l’Organisation Spéciale était-il une potiche ? Ou bien était-il lui-même partisan du GPRA ? Là, ce serait un scoop ! Et Souaiah El Houari, le préfet désigné par la wilaya 5 ?

Les questions sont donc nombreuses et l’analyse de Paya paraît plus que sommaire. Évidemment chacun a le droit de s’écarter des sentiers battus et de chercher à expliquer les choses à sa manière. Encore faut-il le faire avec des arguments solides et être cohérent. Est-ce le cas ?

 

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arrestation d'Européens par des membres de l'ALN à Oran au lendemain
des fêtes de l'indépendance proclamée le 3 juillet 1962.
Photo publiée dans
Paris-Match du 14 juillet 1962


enclave européenne ?

Ainsi, la crainte attribuée à l’EMG de voir s’établir une enclave européenne dans cette zone et à cette époque  est fortement invraisemblable. Le FLN s’en était justement inquiété six mois auparavant, lorsque l’OAS était à son apogée. Le 5 juillet, il n’y avait plus d’OAS. D’autre part, une enclave européenne n’aurait pu exister qu’avec le soutien de l’armée française. Les chefs de celle-ci avaient en juillet 1962 des préoccupations tout autres. Parler, comme le fait Paya, d’une enclave qui se serait créée «de facto» dans la zone concernée est peu crédible. La population européenne y avait déjà considérablement diminué.

Les analyses de notre ami reposent également sur un autre point clé : Ben Bella et Boumediene auraient eu besoin d’un prétexte pour faire intervenir l’Armée des Frontières dans Oran. On ne voit pas pourquoi. La chose est pour lui évidente, et depuis plus de vingt ans, il revient inlassablement sur ce thème.

Or, il y a un point de comparaison. Quelques jours avant et après le 5, l’Armée des frontières s’installa dans le Constantinois à partir de la Tunisie. Elle le fit sans coup férir et sans se soucier de quiconque. Elle occupa d’abord Souk- Ahras puis Constantine en mettant entre parenthèses les chefs locaux trop indépendants. On ne voit pas ce qui l’aurait empêché de faire la même chose à l’Ouest avec ou sans prétexte. D’autant qu’il n y avait pas en Oranie de chefs locaux connus susceptibles de s’opposer à l’EMG. Et comme l’a bien vu Harbi, personne en Algérie n’était prêt à mourir pour le GPRA. (Mohammed Harbi, Le FLN, mirage et réalité.p. 358).

Paya a souvent présenté les troupes FLN de l’intérieur de l’Oranie comme un ramassis de gens réunis à la hâte, équipés de bric et de broc, voire dépenaillés. Absolument rien n’indique qu’ils aient eu l’intention de contrer l’ALN de l’extérieur (11). Mais si tel eût été le cas, comment auraient-ils pu s’opposer aux troupes de Boumediene bien équipées et longuement formées à la conquête du pouvoir ?

 

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Notre auteur semble fermement croire que le prétexte éventuel du maintien de l’ordre défaillant était indispensable à l’EMG pour entrer à Oran. Sans cela, dit-il, cette entrée eût ressemblé à un coup d’État ou à un putsch.

La belle affaire ! C’est là prêter à l’équipe benbelliste une délicatesse de sentiments et des préoccupations morales en politique. Franchement, peu d’indications permettent de l’en créditer et, là encore, ce type d’arguments ne convaincra que les convaincus. Rappelons qu’en investissant Constantine à l’autre bout de l’Algérie, l’ALN des frontières n’a pas hésité à arrêter un chef aussi prestigieux que le colonel Boubnider, dit Saout el Arab. Elle mit également à l’ombre, dans la foulée, un ministre du GPRA et non des moindres : Lakhdar Ben Tobbal.

Pour agir ainsi ses chefs n’avaient eu besoin d’aucun prétexte autre que leur ambition et leur soif du pouvoir. Ils se souciaient peu que cela ressemblât à un putsch, c’est ce à quoi ils se préparaient depuis des années.

 

discussion des justifications de J.-F. Paya

Pétitions de principes, postulats, simples affirmations abondent chez Paya. Voyons maintenant les justifications qu’il lui arrive de fournir de-ci de-là.

Voici ce que je lis en juin dernier sur internet émanant de lui : «…..Aujourd’hui, tous les éléments dont nous disposons : témoignages français et algériens, neutralisation d’unités de la force locale la veille du 5, ordre du jour ALN d’Oujda du 5 au matin tendent à prouver que les conditions de la réussite de la provocation à l’émeute et au désordre furent réunies et sciemment orchestrées par les éléments de l’ALN/FLN qui voulaient prendre le pouvoir en Algérie…».

Paya évoque souvent des informateurs musulmans qui lui auraient fourni des tuyaux exceptionnels. Malheureusement, il s’agit de gens demeurés anonymes dont nous ne savons rien. Leurs témoignages datent-ils de1962 ou de plusieurs années après ? Un seul témoin de ce type est nommé  dans son livre électronique (12). Son texte ne contient aucune révélation et ne prouve rien. D’autant qu’il est unique en son genre. Testis  unus… Historiquement parlant, tout cela est sans valeur.

Autre chose : notre auteur semble persuadé, à partir d’un seul exemple, que la force locale (13) était «neutralisée» le 5 juillet. Au risque de le peiner, je dois lui signaler que les archives militaires ne confirment pas ce point. Le cahier d’enregistrement du GAOR signale au contraire qu’un européen est molesté par des éléments de ladite force locale. L’heure est indiquée : 15H30 (page 399 de mon livre La phase finale...).

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Dans le dossier 1H3206 du SHD, une autre unité de la force locale, la 502e UFO est en revanche signalée pour son souci de protéger les Européens dans les rues d’Oran. Cette unité entièrement composée de Musulmans est conduite par le lieutenant Bacouche, auquel hommage est rendu (14). Je ne vois donc pas d’où l’auteur tient l’information selon laquelle les forces en question auraient été «neutralisées». Il cite le cas d’une unité qui aurait été désarmée, mais ceci ne signifie pas qu’elles le furent toutes et partout.

Venons-en à l’ordre du jour de l’ALN d’Oujda, que Paya a publié à maintes reprises (15) et qu’il brandit comme la preuve décisive de ce qu’il affirme. Ce texte contient une recommandation : «veiller à la sécurité des populations et particulièrement sur celles (sic) de la minorité européenne».

Ceci fait écho à ce qu’avait dit 48 heures auparavant Si Bakhti lors du défilé des katibas de l’ALN (intérieure) à la lisière des quartiers musulmans, à proximité du boulevard du Corps Expéditionnaire Français. Bakhti annonçait que les Européens seraient protégés et même que ceux qui s’en prendraient à eux seraient passés par les armes. Il suffit de reprendre la presse de l’époque : Le Figaro et Le Monde par exemple pour avoir les détails.

Paya interprète le document de l’ALN extérieure d’une façon très surprenante : en effet, il est à première vue étonnant qu’un document, qui recommande de protéger les Européens, soit présenté comme la preuve qu’on va les massacrer. Pas très cartésien.

Mais, aux yeux de notre auteur il n’y a pas de contradiction et l’explication en est très simple : si l’EMG parle de protéger les Européens, c’est tout simplement qu’il sait d’avance qu’ils vont être massacrés puisque c’est ce qu’il a projeté. CQFD. Il suffisait en effet d’y penser.

Autre justification utilisée par Paya à l’appui de sa thèse : il cite un texte de Bruno Étienne de 1977 (16). Celui-ci indiquerait qu’un groupe opérationnel de l’ALN du Maroc serait entré à Oran aux premiers jours de juillet 1962. «C’est lui», dit B. Etienne, «qui paraît responsable des massacres et des disparitions du 5 juillet à Oran» 

Comme on le voit, la date est vague : aux premiers jours, le groupe concerné paraît responsable. Aucune source n’est citée. Notre auteur le constate aussi mais semble considérer qu’un historien du calibre de Bruno Étienne n’aurait pas écrit cela sans raisons. Faisons lui donc confiance et croyons-le sur parole ; c’est tellement plus simple ainsi.

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Autre point qui laisse songeur : Paya a analysé le film d’Yves Courrière : La Guerre d’Algérie, souvent montré à la télévision. Il a établi, à juste titre selon moi, que le montage était «mensonger» (17) et que, concernant Oran, on présente des événements du 5 juillet comme s’étant produits le 17 juin. Mais pourquoi diantre va-t-il ensuite suggérer qu’il détient la preuve photographique de la provocation benbelliste (18) lorsque le même film, dûment trafiqué donc invalide, montre des gens «pris de bas en haut sur un immeuble récent d’Oran, se passant une arme, …car ceux-là ont été pris en plein midi d’après le soleil…» ? !!

Chacun voit midi à sa porte, comme dit le proverbe.

Nous pourrions continuer de la sorte. Il nous semble préférable d’arrêter ici. Dans une lettre qu’il a adressée à Paya, le professeur Pervillé, dont le sens de l’euphémisme est vif, voit dans les écrits de son correspondant «…une vision mémorielle rétrospective à 28 ans de distance.»

C’est aussi mon avis. Je le regrette car les intentions de notre ami sont excellentes mais son parti-pris de négliger les archives (sauf, mais ça n’arrive jamais, si elles confirment ses thèses), la légèreté de ses démonstrations, ses généralisations abusives minent sa recherche pourtant menée avec sincérité et passion.

Il peut continuer dans la même voie et s’accrocher mordicus à ses écrits, au mépris de toute méthode historique. Il y a plus intelligent à faire : revoir l’ensemble en abandonnant l’a priori du complot benbelliste. Qui sait si un jour des archives nouvelles privées ou officielles, algériennes (19) ou françaises ne contribueront pas à nous éclairer davantage. Mais actuellement, présenter de vagues indices comme des preuves, multiplier les démonstrations aventureuses, bref faire de la reconstruction mémorielle, c’est tourner le dos à l’Histoire.

Certes, on trouvera toujours du monde pour se délecter du complotisme. Voyez la légende du Masque de Fer  forgée de toutes pièces par Voltaire et récemment démolie par l’historien Christian Petitfils. Voyez aussi, les centaines d’ouvrages consacrés à la prétendue survie du Dauphin Louis XVII ; thèse aujourd’hui bien mise à mal par la science.

Car le public est ainsi. Comme l’écrivit Erasme : «L’homme est bâti de telle manière que les fictions font beaucoup plus d’impression sur lui que la Vérité».

Jean Monneret

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- débat Oran, 5 juillet 1962 - Jean Monneret (1) : débat avec Jean-François Paya

- débat Oran, 5 juillet 1962 - Jean Monneret (2) : la recherche des faits : l'heuristique

- débat Oran, 5 juillet 1962 - Jean Monneret (3) : ce qui reste à démontrer

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1 - Il est remarquable que le communiqué du FLN d’Oran, diffusé au lendemain du drame, ait évité de mettre en cause l’OAS. Contrairement d’ailleurs au FLN algérois.
2 - L’Honneur d’un général. Ed. L’Harmattan.
3 - La Tragédie dissimulée. Ed. Michalon.
4 - Gouvernement Provisoire de la République Algérienne.
5 - Désigné ci-après comme l’EMG.
6 - Ultérieurement, ils s’installèrent à Tlemcen en Algérie.
7 - Le 5 juillet est une date importante en Islam ; ceci n’est pas souvent dit. Saladin obtint ce jour-là la reddition de Guy de Lusignan après la bataille d’Hattin en 1187, ce qui marqua la fin du Royaume Franc en Terre Sainte.
8 - Livre électronique Ed. Calaméo p. 5
9 - Ibidem p.5                                                                                                              
10 - J’ai relaté ces événements dans un court récit intitulé Mourir à Alger Ed. l’Harmattan
11 - Certes Paya ne l’affirme pas ce qui rend encore moins compréhensible cette histoire de prétexte.
12 - Édition Calaméo p.19 et 20.
13 - Officiellement appelée UFO, Unités de la Force de l’Ordre.
14 - p. 254 de La Phase Finale de la Guerre d’Algérie.
15 - Notamment p.158 et suivantes du tome III du livre l’Agonie d’Oran.
16 - Selon Paya, dans Culture et Révolutions. Ed. du Seuil 1977.
17 - Vol.II p.152. L’Agonie d’Oran.
18 - Ibidem p. 140.
19 - Des historiens algériens se montrent de plus en plus rétifs aux versions historiques d’État que l’on veut leur imposer.

 

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15 août 2013

film "Je vous ai compris", Georges Fleury

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une diffusion internationale

Georges FLEURY

 

Bonjour, je ne tiens pas à revenir [voir ici] sur la critique acide du général Faivre concernant le film Je vous ai compris auquel j'ai participé en tant que coauteur et co-scénariste. Même à ma proche entrée dans ma 75e année, je considère toujours qu'on dort très mal sur le matelas du passé ! Que seul, l'avenir est porteur d'espoir, puisque, au passé, on ne peut plus rien changer, sinon avec d'inutiles "on aurait pu" ou "on aurait dû" ou encore des nuées de "si"...!

Après les deux premières diffusion sur Arte en France, en Suisse alémanique et en Belgique, du film dont je parle, sont nés un DVD, une version plus historique destinée aux lecteurs de tablettes. Puis la version papier paraîtra le 28 août prochain chez Casterman.

Et, grâce aux relais de TV5 Pacifique et TV5 Asie, le film lui-même sera diffusé le 18 septembre en Asie puis le 25 du même mois en Inde. À ces fins, Je vous ai compris a été sous-titré en anglais, français, japonais , vietnamien, chinois et coréen.

TV5 Monde Asie et Pacifique est accessible à 42 millions de foyers en Inde, au Vietnam, au Japon à Hong Kong, à Singapour, au Népal, au Kazakstan, en Papouasie, en Mongolie etc...

Si je me permets de vous adresser ce message, c'est parce-que j'estime sincèrement que votre site ne manque jamais de courage. Dans la vie, il faut savoir cueillir par-ci par-là des petits bonheurs qu'on ne peut se retenir de partager. Je vous ai compris est pour moi de ceux-là.

Comme l'est également la récente et inattendue impression en Algérie - sans aucune censure, je l'ai contrôlé ! - d'un de mes livres publié chez Perrin Comment l'Algérie devint française (1830-1848) par un éditeur de Béjaia !

Cordialement vôtre.

Georges Fleury

 

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12 août 2013

Camus et le terrorisme, par Jean Monneret

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 «À l'heure ou nous parlons, on jette des bombes

dans les tramways d'Alger. Ma mère peut ...»

un livre de Jean Monneret sur Camus

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Dans cet ouvrage, Jean Monneret s'applique à retracer ce que fut l'évolution intellectuelle d'Albert Camus face au système politique du terrorisme. Il analyse les principaux ouvrages de l'auteur, dont l'Homme révolté et Les Justes, et les commentaires qu'en ont tirés Olivier Todd, Robert Zaretsky et Michel Onfray.

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Il part de la déclaration du Prix Nobel en décembre 1947 - déclaration souvent falsifiée - qu'il rectifie comme suit :
«À l'heure ou nous parlons, on jette des bombes dans les tramways d'Alger. Ma mère peut se trouver dans l'un de ces tramways. Si c'est cela la justice, je préfère ma mère». Il contredisait ainsi le sens de l'Histoire des idéologues, et l'idée que «la fin justifie les moyens».
 
Exclu du parti communiste en 1937, Camus a suivi les contradictions du communisme à l'heure du voyage de Laval en Russie. En Algérie, ces contradictions conduisaient à accuser les nationalistes de fascisme.

En 1942-43, l'expérience de la Résistance, à Lyon puis à Paris, révèla à Camus l'abjection totalitaire du nazisme et du stalinisme, et lui fit condamner l'avilissement de l'homme dans les camps. Il constatait également que la résistance française ne pratiquait pas le terrorisme, contrairement à l'opinion de Badinter.
 
L'opposition de Sartre contre Camus, développée dans les colonnes des Temps modernes, met en lumière le rôle des juges-pénitents, compagnons de route de la révolution soviétique, elle-même héritière de la terreur de 1793. La même illusion conduit au soutien du FLN, adepte du terrorisme révolutionnaire, et dont la prétention laïque s'appuie en fait sur la théocratie islamiste et provoque la guerre civile arabo-musulmane.

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Tout en condamnant la pratique de la torture, Camus observe que la dénonciation de la répression encourage les terroristes. L'échec de sa campagne pour la Trève civile entraîne son refuge dans le silence, face à une situation inextricable où l'Algérie meurt de résignation généralisée.
 
Passant en revue les justifications de la violence «libératrice du peuple», de Zohra Driff à Pontecorvo et à l'exposition du Musée de l'Armée, l'auteur relève un nœud inextricable d'accusations qui se poursuit dans la guerre civile des années 90. La vertu du révolté, selon Camus, serait au contraire de ne pas céder au mal.
 
La thèse camusiennne de 1937, Métaphysique chrétienne et néoplatonisme, révèle certains ressorts de sa philosophie. Il oppose l'héritage gréco-latin de Plotin et Saint Augustin au messianisme marxiste et au nihilisme des mauvais génies de l'Europe (Hegel et Nietzsche). Il se prononce ainsi pour la philosophie méditerranéenne de la mesure.
 
En conclusion, Jean Monneret estime que le terrorisme, devenu islamiste et mondial, appelle le recours aux armes spirituelles. Plusieurs annexes documentées complètent cette réflexion enrichissante.
Maurice Faivre
le 12 août 2013

Jean Monneret, Camus et le terrorisme, Michalon, septembre 2013, 190 pages, 16 euros.

 

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10 août 2013

Juifs de Tunisie, 1942-1943, par Claude Nataf

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les juifs de Tunisie sous le joug nazi

9 novembre 1942 - 8 mai 1943

Claude NATAF

 

À l’occasion du 70e anniversaire de la rafle des Juifs de Tunis, la Fondation pour la Mémoire de la Shoah publie en partenariat avec les éditions Le Manuscrit : Récits et témoignages rassemblés, présentés et annotés par Claude Nataf. Préface de Serge Klarsfeld.

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, 90 000 Juifs vivaient en Tunisie. Entre novembre 1942 et mai 1943, le pays fut occupé par les forces de l’Axe. Les Juifs connurent alors «l’angoisse, les rançons, les pillages, les souffrances du travail forcé et des dizaines de morts» (Serge Klarsfled).

L’action anti-juive était dirigée par le colonel SS Walter Rauff. Ce dernier avait été responsable de la mort de centaines de milliers de Juifs, assassinés dans des camions à gaz (ancêtres des chambres à gaz) des pays baltes à la Yougoslavie.

En Tunisie, l’objectif était également de mettre en œuvre la «Solution finale». Quelques personnes furent ainsi déportées vers l’Europe. L’avancée des Alliés et leur domination militaire ont heureusement contrarié les plans nazis.

- Collection «Témoignages de la Shoah» : Les Juifs de Tunisie sous le joug nazi 9 novembre 1942 - 8 mai 1943, 358 pages / 27 illustrations EAN : 9782304040623.
Prix : 25,90 €

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rafle, décembre 1942


Cet ouvrage regroupe plusieurs témoignages, dont celui de Maximilien Trenner, interprète en charge des relations avec les Allemands et celui de Georges Krief, jeune avocat.
Il présente des récits sur les camps de travail comme celui de Bizerte, directement géré par les SS, ou ceux qui dépendaient de l’armée italienne. Le sort des Juifs de Sousse et de Sfax y est également évoqué.
«Ces récits sont éclairés par le remarquable appareil critique de Claude Nataf qui réussit brillamment à faire de ces pages de mémoire des pages d’histoire.»

Serge Klarsfeld

Président de la Société d’histoire des Juifs de Tunisie, Claude Nataf est à l’origine du renouveau d’intérêt pour cette histoire. Il a dirigé cet ouvrage et les deux autres livres de la collection «Témoignages de la Shoah» consacrés à la Tunisie.

 

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blindés allemands à Tunis

 

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grande synagogue de Tunis

 

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8 août 2013

sur l'Afrique : quelques livres lus par Marc Michel

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source

 

lectures africaines critiques

Marc MICHEL

 

- Monsieur X/ Patrick PESNOT, Les dessous de la Françafrique, Les dossiers secrets de Monsieur X, Nouveau Monde éditions, 2008, 396 pages

Il y a des livres qu’il vaut mieux ignorer. Celui-ci en est un. Ramassis de ragots et de soi-disant «révélations» de seconde main, cet ouvrage est du plus mauvais journalisme.

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 __________________________

- Achille MBEMBE, Sortir de la Grande Nuit, Essai sur l’Afrique décolonisée, La Découverte, 2010, 246 pages,

Ce livre ne s’adresse sans doute pas à un public qui voudrait avoir une information générale et pratique sur l’Afrique. On doit à l’auteur, actuellement professeur d’Université en Afrique du Sud, des travaux remarquables sur le «maquis» au Cameroun pendant la décolonisation de ce pays.
Cet ouvrage, écrit dans une langue souvent d’accès difficile, n’est ni un ouvrage d’histoire, ni un ouvrage de géopolitique, ni un ouvrage d’anthropologie, mais une réflexion où se mêlent des considérations, parfois assez obscures, sur les mondes noirs contemporains, sous des rubriques où les néologismes audacieux (la «déclosion» du monde) voisinent avec des images qui désarçonnent le lecteur. Au total, on ne voit pas très bien, en définitive, à qui s’adresse cet essai, en tout cas, pas à l’historien, ni au géographe.

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__________________________

- Tidiane N’DIAYE, Par-delà les ténèbres blanches, enquête historique, Continents noirs/NRF/Gallimard, 2010, 157 pages.

Second livre du même auteur après le Génocide voilé, dénonçant les traites arabes à travers le Sahara, à être diffusé par l’excellente collection des Continents noirs, ce dernier ouvrage est un acte de foi dans l’avenir d’une Afrique du Sud débarrassée de son démon racial.
Il constitue aussi une bonne mise au point sur les problèmes majeurs de l’histoire de cette partie du continent africain : la nature de l’immigration européenne, l’antériorité de l’occupation noire du pays, la résistance bantoue, l’apartheid évidemment, l’espérance enfin.
On pourra discuter, ne pas être toujours convaincu : parler de projet d’extermination des populations noires est contradictoire avec celui d’exploitation de leur force de travail ; faire des Anglais les ancêtres de l’apartheid est, pour le moins, paradoxal. Mais les  points de vue sont étayés, intelligents et méritent considération. Accompagné d’un lexique, d’une chronologie et d’une bibliographie (malheureusement essentiellement francophone) l’ouvrage n’est pas inutile. Il ne remplace pas cependant la remarquable et érudite Histoire de l’Afrique du Sud de François-Xavier FAUVELLE-AYMAR (Le Seuil, 2006).

9782070130412FS


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- Roger BOTTE, Esclavages et abolitions en terres d’islam, André Versaille éditeur, 2010, 388 pages, index.

Voilà un livre dont il est difficile de faire le compte-rendu tant il est riche, dense, érudit et passionnant. Dans son avant- propos, l’auteur, anthropologue et historien arabisant, affirme trop modestement s’en tenir à cinq études de cas pour aborder le sujet. Mais son premier chapitre est d’une toute autre ampleur puisqu’il traite de l’abolition de l’esclavage au regard de la shari’ia.

D’emblée, il pose la question : pourquoi les abolitions de l’esclavage ont-elles été si tardives, parfois très récentes, répétées, en vain, voire inexistantes. Une réponse facile est que le Coran n’a pas clairement interdit l’esclavage et ce qui n’est pas interdit  peut-être licite. Pourtant, la question est d’autant plus importante qu’elle n’a cessé de se poser aux théologiens de l’islam eux-mêmes et que l’esclavage a été – et reste souvent- une institution fondamentale des sociétés musulmanes.

Ces esclaves ont été très longtemps identifiés aux Noirs (aujourd’hui, les travailleurs blancs ou asiatiques des pays du Golfe sont dans une situation comparable) et que le nombre des déportés noirs varie, «selon les auteurs» de 11.500.000 personnes à 17.00.000 plus vraisemblablement et que les sociétés musulmanes n’ont jamais aboli l’esclavage de leur plein gré, sans «fermes pressions extérieures» (p. 15) assimilées d’ailleurs à d’intolérables ingérences extérieures.

Aussi, l’esclavage a-t-il occupé une place formidable dans les sociétés musulmanes, la condition servile elle-même a été extrêmement variable, des esclaves ont pu se trouver partout dans le champ économique comme dans le champ politique et presque à tous les niveaux. Le droit musulman sollicité, en s’appuyant sur trois inégalités fondamentales posées en principes, l’inégalité entre musulman et non-musulman, entre l’homme et la femme, entre libres et non-libres, a pu voler au secours de l’institution (p. 23).

L’affranchissement est une pratique hautement recommandable, comme l’a montré par son propre exemple le Prophète lui-même, mais il  relève d’une démarche personnelle du maître. La comparaison entre islam et christianisme, devenue une tarte à la crème, n’en connut pas moins à la fin du XIXe siècle, un moment précurseur de ce qui fut ressenti comme un premier «choc de civilisation», mais relança aussi les plus grandes controverses à l’intérieur de l’islam lui-même.

À ce sujet, Roger Botte constate que si aucune justification de l’esclavage, religieuse ou raciale (du mythe de la malédiction de Cham)  ne peut être trouvée dans le Coran, la plupart des auteurs musulmans s’accordèrent sur une théorie servitude fondée sur l’accumulation des préjugés infériorisant les Noirs (p. 44) et que le djihad était possible à leur encontre. Plus encore, par une subtile dialectique, certains docteurs peuvent conclure encore en 1940 que «puisqu’il n’y a plus de guerre sainte, autant dire que l’esclavage n’existe plus ou qu’il aura bientôt disparu» (p. 56). Or, le fait est, il a disparu très lentement et il n’a pas disparu comme le montre l’histoire des abolitions dans les cinq cas examinés.

Premier cas, la Tunisie, Etat musulman précurseur même par rapport aux Etats européens chrétiens, l’abolition datant de 1846, sous forme d’une série de mesures visant «l’émancipation» des esclaves noirs qui représentaient 6 à 8% de la population totale. Mais l’esclavage domestique, surtout de femmes, demeurant coutumier, il fallut une «seconde abolition» en 1890. Constat pessimiste : en définitive, l’abolition créa des catégories de sous-prolétaires urbains et ruraux marqués la marque infamante de la servitude et la misère de leur conditions de vie (p.90-92).

Second cas, l’Arabie saoudite. Inutile de rappeler que l’abolition n’y date officiellement que de 1962. Mais les statuts et les conditions des esclaves étaient si variées, si contrastées qu’il est impossible de fournir des chiffres fiables sur leur nombre: 15.000, 30.000, 40.000 dans les années 50, et un nombre très important d’affranchis ? Leur point commun était leur origine africaine, les hommes se trouvant à tous les niveaux de la société, les femmes, par contre, domestiques ou concubines, sort exclusif des Abyssines.

De même dans les émirats voisons. Ce qui est le plus frappant, est d’abord la fonction de grands marchés d’esclaves des villes saintes, alimentés par un flux perpétuel d’arrivées sous le contrôle d’intermédiaires sénégalais, nigérians et maliens (p. 125) ; également, la sensibilité de ces marchés aux fluctuations de l’économie mondiale, décrue pendant la crise des années 30, reprise de la demande pendant la Seconde Guerre mondiale (début de l’exploitation pétrolière), arrêt après la crise de 1956. Paradoxalement, dans la péninsule arabique, islam et servitude ne peuvent aisément être connectés.

Troisième cas, le Maroc. Des isolés se prononcèrent tôt contre l’esclavage, mais le sultan considéra  que la traite et l’esclavage étaient si fondamentalement ancrés dans les traditions et dans la société (on se rappellera la garde noir du sultan et le rôle des favorites) qu’il s’obstina à ne pas les sanctionner, malgré les pressions extérieures de la Grande-Bretagne. Marrakech restait un très grand marché de traite (dont le fonctionnement est remarquablement décrit par l’auteur) au début du XXe siècle. Le Protectorat français, lui, ferma les yeux longtemps sur la traite devenue clandestine dans les années 1930. Le fameux dahir  berbère de 1930, en dressant les nationalistes contre le Protectorat fossilisa la question, l’esclavage ne disparaissant finalement qu’avec l’indépendance ; il n’en reste pas moins que la marque servile subsiste comme ailleurs, associée à l’origine noire.

La Mauritanie et l’insurmontable contradiction entre les termes «République» et «islamique»  (p. 189), quatrième cas étudié est symbolique. Ce pays que connait particulièrement bien l’auteur par ses enquêtes de terrain illustre parfaitement les contradictions entre un État, champion du monde des abolitions (quatre : 1905, 1961, 1980, 2007) et une société dominée par des groupes «blancs», rétive à les admettre et régie par des relations interraciales conflictuelles et dominées par l’esclavage.

Le changement est lent, malgré une tendance ancienne des harâtin à «déguerpir» vers le sud dès les années 1930 ; l’indépendance marqua même un recul de l’émancipation et un renforcement des différences avec l’arabisation; le phénomène nouveau, contemporain, paradoxal et inquiétant, y est peut-être l’apparition d’un islam radical, sans distinction de race ou de classe, s’opposant à un islam conservateur et justificateur d’une institution d’un autre âge.

Enfin, le Soudan, le cas le plus complexe tant ce pays est vaste (le plus grand d’Afrique) et que les divisions ne peuvent se résumer en une simple opposition Nord-Sud, C'est dans cet énorme pays, que la partition a aujourd’hui divisé en deux, que l’esclavage est historiquement enraciné dans le passé au point de représenter 20 à 30 % de la population totale au XIXème siècle, qu’il a engendré une traite meurtrière et qu’un siècle plus tard, dans les années 1990, celle-ci a connu une résurgence contemporaine dramatique dans le nord du Bahr el Ghazal au profit de tribus «arabes» bagara.

La guerre qui a ravagé le pays depuis son indépendance, en 1956 (onze ans de «paix», trente-neuf ans de conflits sanglants, deux millions de morts !), en est évidemment la cause. Mais ce qui rend singulier, et déroutant, le «cas» soudanais est l’imbrication de l’esclavage et de l’ethnicité, et l’instrumentalisation politico-religieuse de la question par le pouvoir central, mais aussi par les forces extérieures, dans un contexte marqué par  la montée en puissance de la «menace terroriste» depuis la dernière décennie du XXe siècle.

À cet égard, le détour de Roger Botte par l’analyse minutieuse de la politique américaine et des stratégies humanitaires est passionnante ; de véritables mises en scène de fausses libérations d’esclaves par rachat ont été organisées à destination de médias internationaux par l’association chrétienne évangélique Christian Solidarity International. Comme au XIXème siècle, lorsque les Pères Blancs rachetaient les esclaves, une complicité objective s’établit entre «acheteurs» et «vendeurs» ayant pour objet la valeur, qu’on ne devrait jamais mesurer, de l’être humain et comme enjeu de la victoire dans une «croisade» de civilisation.

Ajoutons que le livre est accompagné d’un lexique de l’esclavage dans le monde musulman de langue arabe qui est lui-même une mine d’informations.

Roger Bote n’a pas épuisé un sujet. Peut-être. Mais il nous donne tellement à réfléchir avant de juger qu’en même temps, il nous plonge dans des  abîmes de perplexité. On est tenté de lui poser la question : que faire ? Qu’enseigner ? Ce livre est un monument d’érudition et une mise en garde pour ne pas nous céder aux instrumentalisations.

Marc MICHEL

9782874950841FS

 

Roger Botte
Roger Botte

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- la remarquable et érudite Histoire de l’Afrique du Sud de François-Xavier FAUVELLE-AYMAR (Le Seuil, 2006)

9782020480031

 

 

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