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études-coloniales
2 juillet 2013

débat sur les massacres du 5 juillet 1962 à Oran

Oran 5 Juillet 62

 

à propos du 5 juillet 1962 à Oran (1)

débat avec Jean-François Paya

 Jean MONNERET

 

Introduction

Il paraît important de revenir sur le sujet du 5 juillet 1962 à Oran. En effet, Jean-François Paya contestant une partie de ce que j’ai écrit, je dois m’efforcer de lui répondre. Autant le dire d’emblée : un scepticisme croissant me gagne à mesure qu’il développe ses thèses.

J.F Paya est un ami et comme il ne se départit pas des règles de la courtoisie, il n’y a pas d’inconvénients à entrer avec lui dans une disputatio. J’ai pourtant hésité longuement à le faire, car, trop souvent, les débats entre Français d’Algérie ont tourné au vinaigre. Ceci a nui à notre communauté et l’a affaiblie.

Ici, je m’en tiendrai à une explication sereine en évitant tout jugement péremptoire ou péjoratif et en me bornant à fournir des éléments d’information.

Notre excellent ami Jean-Pierre Pister a écrit dans le numéro de juin 2012 de l’Algérianiste que je ne croyais pas : «à  un quelconque complot pour expliquer le déchaînement de violences» du 5 juillet.

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Je crois utile de rappeler à cet égard qu’en Histoire, il n’y a pas à croire ou à ne pas croire. L’universitaire expérimenté qu’est J-P Pister me comprendra aisément si je lui dis qu’une machination se démontre preuves à l’appui.

Dans les milieux journalistiques et politiques, on a beaucoup abusé des théories complotistes, et sur mille sujets. Il est donc naturel que la science historique soit exigeante en la matière. Je ne rejette pas a priori l’idée d’un complot, mais la démonstration qu’en donne Paya me semble peu convaincante.

Je vais m’efforcer d’expliquer pourquoi. Dans cette première livraison, je traiterai la question des chiffres. Dans la suivante, j’évoquerai les faits. Ils sont loin d’être tous clairement  établis.

Pour finir j’essaierai de montrer que la thèse du complot benbelliste n’est qu’une hypothèse.

__________________________

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En matière de chiffres, qu’il s’agisse du 5 juillet ou de tout autre épisode de la guerre d’Algérie, une règle devrait s’imposer : éviter de copier le FLN en faisant de la propagande ou de la contre-propagande.

Le FLN raconte que la répression de l’insurrection du 8 mai 1945 à Sétif et Guelma fit 45 000 morts dans la population musulmane. Selon cette organisation, la guerre d’Algérie aurait fait un million de morts dans cette même population. Ce chiffre lui paraissant sans doute trop faible, le FLN l’éleva, à partir de 1962, à un million 500 000 personnes. Ses propagandistes ont imaginé ensuite qu’en les répétant inlassablement ces chiffres finiraient par s’imposer. Grosse erreur ! Ils sont fort justement qualifiés de «chiffres idéologiques» par les historiens.

En ce qui concerne les victimes du carnage d’Oran, il convient de nous en tenir à une démarche toute différente : n’utiliser que des chiffres susceptibles d’être prouvés, même si d’autres, plus élevés, peuvent paraître plus séduisants. En ce domaine, la rigueur paie, même si les difficultés sont plus grandes.

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Dans mon livre sur Oran (1), j’écris à la page 150 que les dossiers (nombreux) du Deuxième Bureau recensent 435 cas d’enlèvements d’Européens (2). Après soustraction des personnes retrouvées ou libérées, on atteint le chiffre de 365 personnes disparues. Il est intéressant de constater que Mme Ducos-Ader, à partir d’une liste et d’une recherche différentes atteint des nombres relativement comparables aux miens.

Toutefois, je me suis gardé de tout dogmatisme et j’ai écrit dans mon livre comme dans différents articles que l’on ne saurait sans doute jamais le bilan exact des victimes de cette funeste journée.

En particulier, il y avait un problème qui n’avait jamais quitté mon esprit : enlevés, disparus et décédés confirmés correspondent à trois catégories qu’il convient de distinguer : une personne peut avoir été enlevée sans être portée disparue. Elle entre alors dans la catégorie des personnes retrouvées, ou libérées, ou encore dans celle des morts dont on a récupéré le corps.

Il y a eu des difficultés considérables pour évaluer ces derniers. Des voyageurs pieds-noirs qui avaient visité le cimetière d’Oran faisaient état d’un registre où l’on dénombrait une vingtaine d’Européens non identifiés inhumés le 5 juillet. Fouad Soufi, fonctionnaire et historien algérien, évoquait de son côté une cinquantaine de décès d’Européens consignés sur les registres d’état civil d’Oran.

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Loin d’accorder à ces chiffres une valeur qu’ils ne pouvaient avoir, je faisais part, p. 149, des incertitudes qui n’étaient pas dissipées. Je me suis toujours efforcé, que ce soit lors de la participation à l’enquête de 2004 menée par l’ANIFOM ou à celle de 2011 dirigée par Jean-Jacques Jordi de faire prévaloir une classification rigoureuse des victimes : enlevées, libérées, retrouvées mortes.

Cette dernière catégorie était de loin la plus difficile à préciser, ne serait-ce que parce que Soufi avait parlé d’inhumations clandestines à propos des Européens tués le 5 juillet.

Ne disposant pas à l’époque, en 2006, date de sortie de mon livre, de documents fiables, je m’en suis tenu aux chiffres que livraient les archives militaires. C’est la démarche la plus rationnelle pour un historien s’il l’accompagne des réserves d’usage, malheureusement les lecteurs oublient souvent ces dernières et ne retiennent que les chiffres.

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Quelques années plus tard, un nouveau progrès fut accompli grâce à la recherche de Jean-Jacques Jordi [ci-contre]. Je n’ignorais pas que des personnalités importantes comme le docteur Couniot, chirurgien oranais très connu, ayant continué à vivre en Algérie après l’Indépendance et lié à beaucoup de gens importants de tous milieux, avait parlé de 700 victimes. Le regretté Monseigneur Boz, éminent collaborateur de Monseigneur Lacaste, le rejoignait dans son évaluation.
Jean-Pierre Chevènement dans son livre (3) parlait, lui, de 800 victimes. Sans négliger ces indications, il était évident qu’elles ne pouvaient pas fonder un bilan solide. La discipline historique - j’y reviendrai -, est très réservée au sujet de la fiabilité des témoignages individuels (4). Il fallait compléter par des documents.

Ce fut le mérite incontestable de Jordi de les mettre à jour, ce qui permit de procéder à une évaluation nouvelle et certainement plus complète.

Au sein de l’armée, en effet, différents rapports avaient été rédigés relativement au 5 juillet 1962. Ces rapports, sur ordre de Pierre Messmer, ne furent pas transmis à la Croix-Rouge, ce qui affaiblit d’autant le texte que celle-ci remit plus tard aux gouvernements, tant français qu’algérien.

Mais un homme, Jean-Marie Huille, commissaire de la Marine (5), fut chargé de croiser l’ensemble des rapports militaires avec les notes qui lui étaient parvenues, pour en tirer une synthèse d’ensemble. Il aboutissait au chiffre de 671 victimes disparues et décédées.

Jean-Jacques Jordi, après lecture du rapport Huille, consulta les dossiers des personnes concernées au Service Central des Rapatriés, il aboutit à un chiffre très voisin de 679 personnes, qu’il ventila en 353 disparues (chiffre proche du mien), et 326 personnes décédées (soit beaucoup plus que nous n’avions pu le savoir jusque là) (6).

C’est là une percée absolument remarquable en matière de recherche historique, qu’il faut saluer hautement. Une très large part du mérite en revient personnellement à Jean-Jacques Jordi.

Un consensus devrait pouvoir se faire aujourd’hui sur un bilan se situant, à quelques unités près, autour de 700 victimes européennes, et de 800 si l’on ajoute les victimes musulmanes, signalées par la presse de l’époque.

 Jean Monneret

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Jean-François Paya

 

1 - La Tragédie dissimulée. Oran 5 juillet 1962. Ed. Michalon. 2006 et 2012 (seconde édition).

2 - J-F Paya conteste que les 440 dossiers de plaintes remis à Ben Bella par le consul général J. Herly confortent ce chiffre au motif qu’une plainte pouvait concerner plusieurs personnes. J-F Paya a raison, mais toutes les plaintes ne concernaient pas non plus des enlèvements. Ce chiffre de J. Herly n’est qu’une indication relative.

3 - Le vieux, la crise, le neuf. Ed. Flammarion. Paya le présente comme un attaché militaire, ce qui peut surprendre.

4 - Un historien ne peut se permettre d’écrire : «il y a eu tant de morts, tel jour, c’est un tel qui me l’a dit». La discipline historique est plus exigeante.

5 - Le hasard, qui fait bien les choses, m’a permis de rencontrer Jean-Marie Huille, de m’entretenir et de correspondre avec lui.

6 - Jordi pense qu’on peut ajouter à ce total une centaine de musulmans.

 

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Commentaires
M
ECOUTER CET ENREGISTREMENT QUI DATE DE 2006 RECU DERNIEREMENT ? SUR LE MASSACRE DU 5 JUILLET 62 *conservé en archive par inadvertance ?<br /> <br /> <br /> <br /> KLIKER CI DESSOUS<br /> <br /> <br /> <br /> "Expliquer ce massacre inouï" par provocation explicitée ci joint.<br /> <br /> <br /> <br /> Enregistrement monseigneur Boz du 05 07 2006 (pour entendre l'enregistrement : enregistrez CERCLES AUDIO EN HAUT ADROITE qu'en vous clikez dessus cette phrase en principe en haut à droite il sort Des cercles audio en clikant dessus vous obtenez l'enregistrement si non avertissez nous Merci
Répondre
C
Le 5 juillet 1962, mon régiment le 67° RI,qui était logé au Lycée Technique a proximité de l'Av. Sidi Chami, est intervenu vers 17h. Nous avons secourus plus de 70 Européens. En qualité de Chauffeur de Jeep, avec comme chef de bord, un Aspiran Médecin, suivi de 2 GMC, nous les avons raccompagné à leur domicile , non sans avoir été arrêté par une patrouille de l A L N
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E
voilà je m'appelle Péréa Emmanuel, je suis Oranais et le 5/7/1962,j'allais de Choupot à pied à Miramar,rejoindre ma fiancée.Une voiture camionnette a surgit,deux Algeriens armés de FM m'ont fait monter dans la voiture et m'ont emmené dans une villa à Médioni,quartier d'Oran.Là ils m'ont interrogé après m'avoir vidé les poches puis ils m'ont battu et torturé.Au bout d'une heure environ,ils m'ont offert un café et m'ont raccompagné en voiture devant la maison de mes parents avec un laissez passer etabli par leur soins.c'est alors que mes parents me voyant dans cet état,c'est à dire fatigué et meurtri,ils ont décidé de quitter Choupot pour se réfugier à Miramar,puis le 29/8/1962,nous avons quitté Oran pour Marseille.J'en suis sorti vivant de cette affaire,mais je sais que beaucoup ont disparus.j'ai à présent 76 ans et je vis toujours à Marseille.
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P
Pour les mêmes raisons que telaghien j'avais toujours été frappé par le contraste - pour ne pas dire la contradiction - qui ressort de cette photo connue. La seule solution à la question qu'on se pose est d'être en mesure d'authentifier la photo. Peut-être Jean Monneret l'a-t-il fait ? Si c'est lui qui l'a adjointe au texte. A défaut, la seule attitude convenable pour un historien est de ne pas utiliser ce genre de document, encore moins de l'instrumentaliser.
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T
observons honnetement et objectivement la derniere photo :un groupe d europeens en mouvement accompagnes de 2 militaires algeriens,d apparence tres calmes arme canon au sol decontractes .et le groupe europeen tous bien habilles propres une dame ccoiffure impeccable sac a main et sereine.les gens qui pressentent le pire le montrent souvent par des gestes des larmes des cris etc qu un cliché instantané traduit sans grandes difficultes .si reelement on menait ces gens au pire laisseraient t on un reporter s approcher allons dedramatisons et jugeons sur piece au lieu de s etaler sur des hypotheses il y au des derapages sans doute par les equipes du sinistre ATTOU moueddene mais le chiffre avancé est trop eleve de toutes manieres et comme je suis croyant je compatis a la douleur des 2 communautes et paix aux ames des morts ...
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