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études-coloniales

1 février 2007

Mostefa Lacheraf (1917-2007)

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Mostefa Lacheraf, historien algérien

1917-2007



arton58430_152x200L'historien algérien Mostefa Lacheraf est mort le vendredi 12 janvier 2007, à l'âge de 89 ans. Né le 7 mars 1917 sur le territoire de la commune mixte de Sidi Aïssa (Algérois), il fut un intellectuel à la double culture et un militant de l'indépendance algérienne. Nommé ministre de l'Éducation nationale de ce pays en 1977, il critiqua la politique démagogique qui lui succéda ainsi que le danger politique et culturelle que représentait l'islamisme. Mostefa Lacheraf est l'auteur de Algérie, nation et société (1965, réédité par Casbah éd.), de Les ruptures et l'oubli (Casbah éd.) et Des noms et des lieux. Mémoire d'une Algérie oubliée (Casbah éd.). Nous donnons un extrait de ce dernier ouvrage dans lequel Mostefa Lacheraf évoque quelques références et modalités de sa formation intellectuelle dans une narration qui mêle son enfance, sa jeunesse et le poids de celles-ci sur l'homme accompli mais toujours curieux et tendu vers l'idéal de culture universelle.


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les dirigeants du FLN passagers de l'avion arraisonné le 22 octobre 1956



l'enfance d'un intellectuel

Mostefa LACHERAF

tiré du livre Des noms et des lieux (Casbah éd., 1998)


r56fw5À lire le grand voyageur andalou Ibn Jobaïr (1145-1217), l'historien Tabarî (839-923), l'autre grand voyageur maghrébinb Ibn Battouta, on éprouve un véritable plaisir intellectuel qui satisfait l'esprit par la densité du style, la clarté de l'expression, le souci de préciser d'une façon non laborieuse ou embarrassée les moindres détails quand il décrit un monument (la fameuse coupole de la mosquée des Omeyyades à Damas) ou les gîtes d'étape ou voyages en groupe au cours d'un long périple. Et c'est pour cela qu'en ce qui concerne l'oeuvre de ce dernier, le ministère égyptien de l'Instruction publique avait publié à l'intention des élèves de l'enseignement secondaire, déjà en 1934, un recueil de textes significatifs d'Ibn Battouta (1304-1377) relatant, dans une édition claire et munie de notes explicatives et de cartes, leslbatuta péripéties et les grands moments de ses voyages.

Ce livre dû aux soins éclairés, au pertinent souci pédagogique et à l'annotation appropriée à l'importance de l'ouvrage et au niveau, assez sérieux, pour l'époque, des élèves égyptiens des lycées et collèges, avait été préparé par deux inspecteurs de la langue arabe du ministère de l'Instruction publique au Caire, et leurs noms sont passés à l'histoire de la littérature arabe. Il s'agit de Ahmed al-‘Awâmiri bey et surtout de Mohammed Ahmed Jâd al-Mawla bey (1). Ce livre de morceaux choisis de la Rihla d'Ibn, Battouta, je l'avais trouvé chez un bouquiniste de l'ancienne place de l'Opéra du Caire [photo ci-dessous, en 1924] il y a une trentaine d'années. À son exemple, en rassemblant des extraits de grands chefs-d'oeuvre des "humanités arabes" anciennes on rendrait service à nos élèves en leur donnant - comme cela se passe pour tous les degrés de l'éducation scolaire dans le monde entier - le goût de beaux textes bien commentés et munis de notes explicatives concernant la langue, et surtout l'appétit de lire lecaire1924placeOp_raplus tard d'autres oeuvres de l'esprit humain en commençant, d'abord, par ceux dont le jeune élève a eu déjà un agréable aperçu par l'intermédiaire de tels morceaux choisis tirés d'un seul et même auteur. (...)

Dans mon jeune âge, et parce que nos premiers maîtres, dans un espace paisible, homogène, cohérent avaient quelque chose à nous communiquer sans volontarisme ni souci de répandre une quelconque idéologie personnelle, non seulement leurs propos et réflexions plus graves pouvaient (étant donné notre innocence) ne pas avoir d'impact durable et pervers, mais les textes scolaires bien choisis, beaux et généreux qu'ils proposaient en y mettant du leur, pouvaient, eux, se répercuter pour l'essentiel dans le courant de toute une vie.GibranFrame

Je me rappelle à vingt-cinq ou trente ou quarante ans d'intervalle, parce que je l'avais lu à l'école ou auprès du taleb cultivé de mes premières classes d'arabe, des textes isolés de Jabrane Khalil Jabrane (2) [ci-contre], d'Al-Mouaylihi (3), des pages d'un roman de Saintine (4), de Amaci ou Jorgi Zaïdane (5) et de certains écrivains du "Mahdjar" ou émigration intellectuelle libanaise aux Amériques, les avoir recherchés plus tard et relus avec un réel profit littéraire et un rare plaisir fait de lointaines retrouvailles mêlées à l'enfance transfigurée et ses mystérieuses et attachantes relations avec un monde auquel on s'évertuait alors à s'initier par tous les pores de son existence charnelle et les facultés encore vierges et enthousiastes de son esprit.


la joie de lire, la joie d'apprendre

On peut rarement se faire une idée exacte de cette passionnante "remontée vers les sources" de la joie de lire, de la joie d'apprendre si on ne l'a pas pratiquée dès le jeune âge, d'une façon fortuite, à travers des extraits d'oeuvres historiques ou littéraires dans une anthologie destinée aux écoliers d'abord ; ensuite, à un niveau plus élevé, aux lycéens et, plus tard, aux futurs étudiants dans les grandes classes de lettres et philosophie de l'ancien système d'enseignement des années 1930. Sans exagérer, c'était là le creuset non délibéré mais naturellement consenti d'une somme d'habitudes intellectuelles, de réflexes, de goûts, d'élans, de prédispositions susceptibles de constituer plu stard l'esprit de recherche.

À quarante ou cinquante ans d'intervalle, et même aujourd'hui à plus de soixante-seize ans d'âge, quand je retrouve les livres dont j'avais eu une sorte de "primeur" (...), je me hâte de les acquérir si je ne les ai pas 137déjà dans ma bibliothèque. Je viens de parler, en passant, de Saintine, écrivain français peu connu, né à la fin du XVIIIe siècle, auteur d'un roman célèbre écrit en 1836 sous le titre de Picciola et relatant la très curieuse histoire d'un prisonnier, seul dans une forteresse par la volonté de l'empereur Napoléon Ier, et se vouant à l'amour d'une fleur dans une longue crise mystique aggravée par la solitude et la perte de liberté.

Ce livre, l'un des mieux écrits de la langue française d'après les critiques littéraires, je ne sais dans quelles circonstances, il se trouva dans notre modeste maison de Sidi-Aïssa, parmi les ouvrages de travail de mes deux frères aînés, lycéens, et cela en 1926 ou 1927, et pourquoi il resta à traîner pendant de longues années encore dans une édition peu ordinaire, soignée bien que brochée, c'est-à-dire non reliée, avec sa couverture bleue, ses caractères d'imprimerie très nets sur des feuillets blancs comme neige. Cette "logistique" matérielle, nouvelle pour moi à dix ans et tranchant sur le déjà vu d'autres livres d'édition courante, jointe à une mise en appétit, esthétiquement parlant, envers le romantisme littéraire de grande époque, contribuèrent à graver dans ma mémoire, non pas l'histoire elle-même, mais tout ce qui peut constituer à travers cette très ancienne lecture le souvenir encore vivant à ce jour de véritables textes d'anthologie contenus dans le roman de Joseph-Xavier Boniface Saintine et conçus comme des réflexions philosophiques attachantes sur l'Art, le Nature, l'Humanité. Il est clair, cependant,  que ce n'est pas à neuf ou dix ans et même à douze et quatorze ans que ces textes plus ou moins ardus et théoriques m'étaient abordables, en dehors du schéma romanesque et du souffle étrange de révolte dont s'animaient l'histoire et l'ensemble du livre.

Tout cela indique, au contraire, comme derrière une brume de la mémoire, la durée de la "fréquentation" d'un roman dont l'attrait avait pour moi des aspects dus non pas à une langue qui ne m'était pas familière à un certain niveau colaire, mais au sens d'une culture orale collective ambiante existant alors dans mon apprentissage algérien lié à la littérature populaire, aux contes, aux récits de famille, aux témoignagesplateau d'une vie précoce menée par notre génération dans une région des Hauts-Plateaux riche en traditions, décontractée, nourrie, avant l'école ou simultanément à l'école coranique et française, d'un parler bédouin nuancé et presque adulte pour notre juvénile pratique des acquis de l'observation assidue de la campagne steppique avec ses pierres, ses plantes, ses insectes, ses oiseaux, des intempéries et des fêtes dont elle était le théâtre au milieu d'autres épreuves et d'autres joies.

Pour ce qui est des générations précédentes dont la nôtre héritait quant à l'ancrage profond dans une Algérie algérienne, comme pour les autres générations jusqu'à la fin de la guerre de libération nationale, la "déculturation" telle que décrite plus tard et jusqu'à nos jours, n'existait pratiquement pas.

Un jour on fera remonter la date fatale de la perte d'une algériannité ancienne et fervente qui nous avait forgés et nous était chère, à l'intrusion dans notre société, d'un malentendu dont l'école et le nationalisme allaient payer le prix fort, à l'égal d'une véritable catastrophe : celui d'un Baâth spécifique et sournois, idéologie minorative, édulcorante, aux ravages incalculables pour les mentalités et le simple credo de la patrie et le bon sens dans l'action politique. Il serait juste de dire qu'à cette forme d'acculturation ravageuse et néanmoins semi-officielle s'ajoute une autre plus réduite dans ses effets, d'origine européenne et, pour cette raison, assez suspecte depuis l'ère coloniale.

Mais loin d'être le produit de l'école et des déviations néo-nationalistes, elle concerne un domaine et des franges citadines ou récemment urbanisées d'une population s'étant peut-être mal engagée dans la 10096532_pmodernité universelle en optant, par inclination de milieu et d'affinités paresseuses, pour une sous-culture petite-bourgeoise occidentale qui se retrouve d'ailleurs - comble de la dérision ! - sous une forme arabisée dans les films et le "music-hall" et autres apports mimétiques douteux de l'Égypte contemporaine et de certaines capitales arabes. Cette copie conforme du mauvais goût petit-bourgeois européen d'expression arabe, précisément parce qu'elle est arabophone et nous vient du Proche-orient, rencontre auprès d'un certain public arabisé selon l'évangile baâthiste, une faveur exagérée à laquelle ne peut pas prétendre la culture traditionnelle maghrébine et notamment son fleuron andalou ancien dans le domaine de la musique élaborée. (...)



les bilingues invétérés

Mais revenons aux livres lus et relus ; à ceux qu'on découvre pour la première fois ou qu'on retrouve après une très longue absence dans d'autres univers ! L'enfance, la jeunesse, l'âge adulte et parfois la vieillesse ont alors, étrangement, le même fil conducteur qui aide, par des souvenirs pertinents, sûrs ou intuitifs, à traverser le labyrinthe des ans et des épreuves jusqu'au dernier bénéficiaire de cette ancienne "lecture" revenue à lui comme un fantôme désirable.

C'est ainsi qu'en octobre 1966, dans un autre continent et une ville éloignée géographiquement de notre Méditerranée, j'ai découvert chez un bouquiniste de Sào Paulo (Brésil) d'origine syrienne - un Yazigiibn_roshd_averroes apparenté au fameux encyclopédiste arabe du XIXe siècle - deux ouvrages dont j'avais parcouru, il y avait bien longtemps de cela, des passages assez substantiels et significatifs sans pouvoir jamais me les approprier ou les lire en entier. C'était Tahâfut at-tahâfut du grand philosophe Ibn Roshd (Averroès) recherché vainement au Caire où il avait pourtout été édité, et Charh Manâzil al-ansâri d'Ibn Quayyim al-Jawzia (XIVe siècle), célèbre théologien et juriste disciple du réformateur hanbalite Ibn Taymîya et qui fut persécuté et emprisonné avec son maître. "Admirable prosateur", selon le jugement de tous ceux qui ont étudié son oeuvre dans le passé, il est aussi compté parmi les grands noms de la littérature arabe.

Quelques années auparavant, sur la même place de l'Opéra, au Caire, où, quelques temps après ma sortie de prison, j'avais trouvé l'Ibn Battouta dont je viens de parler plus haut, j'eus la chance de découvrir les vieux bouquins exposés pêle-mêle, les poèmes d'Henri Michaux (en français) et la Taghribat Bani-Hilâl, ou Geste aventureuse des Beni Hilal (en arabe), autre version de ce que j'avais entendu dans mon enfance bédouine du Hodna-Titteri sur Dhiâb ben Ghanem. Ne disait-on pas que le légendaire coursier dudit Dhiâb, héros de l'épopée Rambert2hilalienne, avait laissé la marque de son sabot sur le rempart de Sour-el-Ghozlane, [ci-contre] ville voisine de mon village natale ? Mais, en passant, ce qu'il faut retenir de cette évocation de livres et de lectures dont le souvenir remonte pour moi au passé proche ou lointain, c'est, entre autres, le fait ignoré ou méconnu, par sectarisme idéologique en Algérie et nulle part ailleurs, qu'au Caire, capitale de l'arabité intellectuelle, les bouquinistes exposaient en plein air des vieux livres en plusieurs langues européennes en plus de ceux, nombreux et de valeur, en langue arabe. Cela n'est pas fait pour nous étonner quand on sait que les plus grands écrivains proches et moyen-orientaux étaient et sont toujours d'éminents... bilingues et trilingues tels que Taha Hussein (6), Mahmoud al-‘Aqqâd (7), Mahmoud Teymour (8), Tawfik el-Hakim (9), Abdel-Qâdir Al-Mâzini (10), Naguib Mahfouz (11) et, avant eux (ou leurs contemporains) les pionniers de la littérature moderne née en exil comme Jabrane Khalil Jabrane, Chekib Arslâne (12), Mikhaïl Na'ïmah (13), Amine Rayhani (14), etc., déjà cité et, bien entendu tous les écrivains universitaires, hommes de culture maghrébins (sauf les algériens militants du Baâth spécifique).

Figurez-vous aussi que les écrivains japonais et autres asiatiques dignes, aujourd'hui, d'écrire et de connaître le vaste Univers, ainsi d'ailleurs que les plus célèbres parmi les écrivains de l'Europe, sont des bilingues invétérés. On ne peut imaginer, de nos jours, dans l'ensemble du monde arabe et ses régions les plus reculées, des universitaires, des diplomates (eh ! oui), des responsables d'institutions culturelles ou éditoriales ou de presse (instituts scientifiques et de recherche, radio-télévision, informatique et centres de documentation et d'archives, bibliothèques nationales et salles de lecture publique, maisons d'édition, laboratoires et centres d'expérimentation, musées de toutes sortes, etc.), qui seraient monolingues, ni, d'ailleurs, dans le reste du monde et davantage encore dans les pays développés d'Europe et d'Amérique du Nord.

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J'ai déjà dit - je crois - que dans mon enfance, celui qui nous fournissait en livres et en publications arabes vers les années 1930 s'appelait Si El-‘Azzouzi et était originaire d'El-Oued. Il faisait à peu près tous les marchés de la région jusqu'à Biskra en transportant d'Alger, chaque semaine, de la friperie et ces livres et revues usagés qu'il se procurait je ne sais comment et réservait exclusivement à des amis et lettrés deFRCAOM08_9FI_00106R_P village. Il existait alors - comme on le verra plus loin - des filières spécialisées dans la vente de vieux livres, interdits ou pas, surtout [dans la vente] des vieilleries, assimilées par les autorités coloniales à la friperie vestimentaire dont il faudra un jour écrire l'histoire parce qu'elle fut une pénible constante dans l'Algérie appauvrie et parfois loqueteuse jusqu'à la veille de l'indépendance. Cependant, ces ouvrages et ces revues arabes périmées, acheminées clandestinement sans doute d'Égypte en passant par la Tunisie trouvaient, non seulement des lecteurs, mais surtout, dans chaque village ou à peu près, l'homme, le taleb qui savait en tirer parti convenablement, étant lui-même assez ouvert, capable de bien lire et bien comprendre après avoir dépassé le stade de "déchiffreur", commun au plus grand nombre comme aujourd'hui encore, hélas ! Ces rares talebs-lettrés modernistes rompaient souvent avec une tradition maraboutique paresseuse sans adhérer, pour autant  à "l'Association des Oulémas musulmans algériens" dont c'était l'avènement en ces années-là dans l'Algérie citadine et beaucoup moins dans les campagnes, en dehors du Sud constantinois et d'une partie de la Kabylie orientale ou "Petite Kabylie".

Le "taleb" du village n'était pas toujours une personnalité marquante mais un éducateur utile (quand il était lui-même bien formé et dévoué aux enfants et à leurs familles), pris en charge par les parents d'élèves, c'est-à-dire très modestement et parfois nourri. Autodidacte et libre, ce maître d'école savait aussi qu'il était le parent pauvre de l'institution scolaire officielle française,quand elle existait dans le village ou la petite localité urbaine. Le rythme de fréquentation par les écoliers tour à tour de son humble lieu d'enseignement - une petite salle ouvrant sur la rue - et de l'école française, n'était commode ni pour lui ni pour ses élèves. Ceux-ci se levaient aux aurores pour aller d'abord à l'école coranique, avant de la quitter à l'approche de huit heures pour courir vers l'école française. Il était fréquent que ces écoliers, après le déjeuner de midi, retournent pour moins d'une heure de temps à l'école arabe mais plus sûrement encore ils le faisaient après le sortie des classes de l'école française à seize heures. Si le jeudi (contrairement au dimanche) était férié à l'école coranique, il ne devenait effectif comme jour de repos qu'après la séance du matin consacrée au tikràr ou révision, à haute voix, de tout ou partie des chapitres du Coran déjà appris par les gamins sous la direction du maître.

Le temps partagé entre les deux écoles pouvait paraître éreintant pour des enfants de six à douze ans, très souvent mal nourris et insuffisamment vêtus en hiver, mais en général ils s'en tiraient assez bien, l'endurance native aidant à l'adaptation à un climent continental rigoureux, chaud et froid et toujours sec. Dans l'une des deux écoles, tout se faisait ou presque en silence, dans une salle équipée de tables et de sièges placés en face du tableau noir ; dans l'autre, espace nu pourvu de nattes en alfa, rudimentaire, mais hospitalier, on récitait tous ensemble à tue-tête, et quand la voix collective faiblissait, le rappel véhément du taleb, assis lui aussi par terre, relançait la lecture, l'harmonieuse psalmodie enfantine. À cet âge, il n'y a ni passions ni phobies.

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école arabe, Biskra

Le colonisateur croyait peut-être que les jeunes enfants et leurs parents seraient tentés de comparer le "confort" matériel et "l'archaïsme", et d'opter en faveur du premier, mais les écoliers et leurs tuteurs ne pensaient pas à mal, n'avaient pas de préférence proclamée et c'était cela qui faisait leur force, leur capacité d'apprentissage et de décontraction tolérante dans l'un et l'autre secteurs du savoir.

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école arabe, Biskra

Et puis, l'école officielle du village de Sidi-Aïssa était une école dite "indigène" où il n'y avait pas un seul élève européen mais une grande majorité d'élèves musulmans en même temps qu'une douzaine de petits israélites parlant l'arabe comme leur langue maternelle et fortement arabisés dans leurs genres de vie. Eux et leurs familles, certainement de citoyenneté française, appartenaient à la communauté juive du Sud algérien et portaient cinq ou six noms parmi ceux de l'ancienne diaspora andalouse judaïque réfugiée au Maghreb entre le XIVe et le XVIIe siècle et débordant depuis 1830, les lieux habituellement citadins pour s'intégrer à des centres villageois dans la mouvance de grands foyers rabbiniques traditionnels tels que Ghardaïa, Laghouat, Bou Saâda.

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"Constantine, enfants arabes et juifs", carte postale ancienne

Notre village se trouve précisément au voisinage de cette dernière ville, et les noms les plus connus de la petite communauté juive de Sidi-Aïssa étaient ceux de Sellem, El Baz, Chicheportiche, Nedjar, Benguetta. Peut-être que la mode religieuse n'était pas, à l'époque, pour le "m'as-tu vu" et le côté spectaculaire de la simple pratique, de l'observance rituelle exagérée comme aujourd'hui, car, dans ce centre villageois pourtant bien situé et peuplé d'habitants à la spiritualité mystique ou monothéiste affirmée, il n'existait ni mosquée officielle, ni église, ni synagogue connue édifiée en tant que telle.

Femmes juives et femmes musulmanes se rendaient visite pendant les fêtes religieuses de l'une ou l'autre communauté, et leurs familles partageaient parfois l'usage de la même cour dans la grande maison où elles habitaient côte à côte dans des logements séparés, autonomes. Curieusement encore, ces femmes de foi religieuse différente mais parlant la même langue et vivant en bon voisinage avec leurs familles, se rencontraient parfois ensemble en "pélerinage" au tombeau de Sidi Aïssa ben M'hammed sur les collines austères et nues qui dominent le village au sud-ouest. Ayant toujours été sensible aux belles voix de femmes modulant une harmonie classique consacrée par le temps, je me rappelle encore ce que chantaient quelques femmes israélites venues offrir à ma mère du pain azym de la Pâque juive en entonnant sur le pas de la porte, en partant, un air célèbre d'origine andalouse. C'était toujours, en quelque sorte, dans les années 1920 chez les femmes algéroises et citadines en général, de la région du centre du pays, le chant nostalgique de "l'Au-revoir".

Ces visiteuses attentionnées et, naturellement toutes arabophones de mère en fille, avaient comme la plupart des femmes entre elles, plus d'humanité et de décontraction affectueuse et spontanée dans leurs rapports, surtout dans le monde méditerranéen. Il en va autrement des relations entre hommes au masculin et cela est vrai du monde entier et de l'histoire de toute l'espèce humaine depuis les origines.

Ce qui ne veut pas dire - pour ce qui est de notre village - qu'il existait par principe une hostilité collective envers les juifs de la part des habitants musulmans de Sidi-Aïssa. Les relations entre les deux communautés allaient sans doute changer à l'avènement du sionisme agressif, militaire et colonial lors de la spoliation de la Palestine par le nouvel État d'Israël, mais je n'étais plus là pour en juger puisque ma famille a quitté définitivement le village dans l'été de l'année 1935. de mon temps, et plus tard à l'école - de la fin des années 1920 au milieu des années 1930 - et dans mon quartier, la fillette, puis la jeune fille et la femme mariée la plus belle et la plus indépendante d'esprit était Sawda, une jeune juive qui, je l'appris en 1964, était restée dans la région de Sidi-Aïssa/Chellalet-el-Adhaoura après le départ massif de ses coreligionnaires et des rares Européens, et avait rendu clandestinement de grands services au F.L.N-A.L.N. et à la cause nationale pendant notre guerre de libération.

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"fillettes juives", carte postale ancienne, Algérie

Déjà, quand je fréquentais Si Ahmed Medouas, le taleb autodidacte et cultivé qui fut mon maître et l'école coranique dès 1925 et, occasionnellement, un compagnon et un ami de la famille jusque dans les années 1940, il me parlait d'elle toujours avec infiniment de respect comme si elle était elle-même musulmane, et lui apportait de la nourriture en s'attardant à converser avec lui sur un tas de sujets dont se préoccupaient, à l'époque, les plus politisés des Algériens.

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Si Ahmed Medouas est ce vieux maître d'école coranique un peu plus âgé que le plus "vieux" de ses élèves et qui enseignait le Coran et, parfois, les rudiments de la grammaire arabe et beaucoup d'autres choses concernant la littérature. Menant une existence d'ascète en vivant de peu, il consacrait ses loisirs à la lecture des livres et publications arabes apportés chaque semaine par Si El-‘Azzouzi, marchand de friperie et voyageur infatigable de la culture malgré ses connaissances limitées en la matière. Si Ahmed qui, à la longue, était devenu un ami, un frère aîné, après avoir été le maître attentif et sévère des premières années de mon enfance studieuse à Sidi-Aïssa, nous changeait d'emblée, jusque dans le milieu des années 1930, des autres talebs traditionnels d'école arabe que nous eûmes dès 1924 ou 1925 à peu près. Aussi consciencieux  que lui et dévoués, ces maîtres pédagogues de village n'avaient pas son ouverture d'esprit, sa curiosité intellectuelle et sa bonté, ni une certaine chaleur affective de l'algérianité.

Mostefa Lacheraf, Des noms et des lieux.
Mémoire d'une Algérie oubliée
,
éd. Casbah, 1998, p.  19-30.


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Mostefa Lacheraf et Boudiaf en octobre 1955

 

 

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notes (Michel Renard)gibran

(1) Mohammed Ahmed Jâd al-Mawla bey, est notamment l'auteur de Muhammad al-Mathal al-Kamil (Mahomet, l'exemplaire perfection) (Le Caire, 1932 ; rééd. Beyrouth, 1972).

(2) Jabrane Khalil Jabrane (en arabe) ou Khalil Gibran (1883-1931) [photo ci-contre], célèbre écrivain et poète libanais, chrétien maronite. Le Prophète est publié en 1923.

(3) Al-Mouaylihi, ou Mohammed al-Muwaylihi (1858-1930), écrivain égyptien auteur deimage_liv69x Hadith ‘Isa ibn Hisham (1898 et 1907) ; traduction en langue française : Ce que nous conta ‘Isâ ibn Hichâm, éd. du Jasmin, Clichy, 2005, préface de Luc-Willy Deheuvels [dans l'édition en langue française du journal égyptien al-Ahram : interview de Randa Sabry, professeur de critique littéraire à l'université du Caire et traductrice de al-Muwaylihi].

(4) Joseph-Xavier Boniface Saintine (1798-1865), auteur de théâtre et de ce roman dont parle Lacheraf, Picciola, qui date de 1836, qui est sous-titré "la fleur et le prisonnier" et qui a connu des dizaines (!) de rééditions.

(5) Jirji Zaydan (1861-1914), chrétien libanais d'Égypte, auteur de nouvelles et romansarton14609782842721800FS historiques ; de tendance réformiste (Nahda), il fonde la revue al-Hilal en 1892 ; a publié Tarikh al-Tamaddun (1902-1906), Rihlah ila Urubba (1912). Cf. Anne-Laure Dupont, Girgi Zaydan, 1861-1914, écrivain réformiste et témoin de la renaissance arabe, Institut français du Proche-Orient, Damas, 2006. Cf. L'autobiographie de Jurji Zaidan, comprenant quatre lettres à son fils (en langue anglaise). Cf. aussi Saladin et les assassins, éd. Paris-Méditerranée, 2006.

(6) Taha Hussein [ou : Husayn] (1889-1973), le "doyen de la littérature arabe", écrivain égyptien marqué par la cécité dont il fut victime dès l'âge detaha1 trois ans, et par la confrontation avec la culture occidentale. En 1919, il soutient une thèse en Sorbonne sous la direction de Durkheim, consacrée à la philosophie politique d'Ibn Khaldûn. En 1926, il publie La poésie antéislamique (fi al-shi'r al-jahili) qui fait scandale car il doute de l'authenticité du poète Imrû'l-Qays (mort vers 530 ou 540) et y affirme le caractère apocryphe de la célèbre poésie antéislamique (muallaqat). Celle-ci, d'après lui, aurait été rédigée aux temps desTaha_Hussein_photo Abbassides, deux ou trois siècles après sa prétendue origine. Il dut renoncer à la radicalité de cette thèse en publiant, en 1927, La littérature antéislamique (al-adab al-jahilî). Taha Hussein a rédigé une autobiographie : Le Livre des jours (premier livre paru en 1926, troisième en 1955). Il fut recteur de l'université d'Alexandrie (1942) et ministre de l'éducation nationale (1950). Cf. l'introduction de Jacques Berque au recueil Au-delà du Nil (Gallimard/Unesco, 1977), p. 9-42. Évocation radiographique de Taha Hussein, rénovateur de la littérature arabe par Amina Taha Hussein (petite-fille) et André Miquel.

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(7) Abbas Mahmoud al-‘Aqqâd (1889-1964), intellectuel égyptien, à la curiosité encyclopédique et auteur prolifique. Il écrivit des biographies de Averroès, de Benjamin Franklin, de Francis Bacon... Malheureusement, il s'employa à alimenter l'antisémitisme en traduisant en 1951, le Protocole des sages de Sion et en créditant ce faux connu d'une mise en oeuvre déjà commencée et d'une suite à venir. Il diffusa également un conservatisme anti-féministe par son livre La femme dans le Coran. Bio-bibliographie, en langue anglaise.21550

(8) Mahmoud Teymour (1894-1973), pionnier de la nouvelle, publie dès les années 1920, auteur de : Les Amours de Sami : roman égyptien suivi de dix contes (1938) ; Bonne Fête et autres contes égyptiens (1954) ; La vie des fantômes, Nouvelles Editions Latines, 1956.

(9) Tawfiq al-Hakim [ou : Tewfik El Hakim] (1898-1987), écrivain égyptien,tewfik_el_hakim_couvhakim_t01mah16 dramaturge et auteur du célèbre Journal d'un substitut de campagne en Égypte (1940), publié en France dans la collection "Terre Humaine" (Plon, 1974). Ci-contre, sur la photo de groupe, de gauche à droite : la chanteuse Oum Khalsoum (lunettes noires), Naguib Mahfouz et Tawfiq al-Hakim (cliquer sur l'image pour l'agrandir).977424947X

(10) Abdel-Qâdir Al-Mâzini (1890-1949), écrivain égyptien, auteur de nouvelles, de critiques et portraituriste de la classe moyenne caïrote des années 1930 et 1930  (note en langue anglaise sur al-Mâzini).

(11) Naguib Mahfouz (1991-2006), mondialement connu pour sa Trilogie (Impasse des deux palais, le Palais du désir, le Jardin du passé) publié en 1952 et pour son prix Nobel obtenu en 1988. Ses premiers récits, de 1939 à 1946, portaient sur l'histoire ancienne de l'Égypte. Sur la photo de groupe ci-contre, le cinquantième anniversaire de Naguib Mahfouz (cliquer pour agrandir).

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(12) Chakib Arslan (1869-1946), homme politique druze libanaisShakib_Arslan partisan du panarabisme, portant le titre d'«émir». Il fut député au parlement d'Istanbul, s'exila au Caire en 1921 où il devint chef de la délégation du Comité syro-palestinien, et s'installa à Genève en 1928 comme représentant de ce Comité auprès de la S.D.N. (Société des Nations). L'historien Charles-André Julien écrivait de lui : "Singulière personnalité que celle de ce féodal libanais qui, de son bureau de Genève, distribua dix-huit ans durant, les mots d'ordre à l'Islam méditerranéen et dont l'influence survit à toutes les crises et à toutes les compromissions. Ce fut surtout comme écrivain et propagandiste que s'affirma son action. Sa maîtrise de la langue arabe lui valut le titre de «prince de l'éloquence» et la présidence de l'académie arabe de Damas. Formé à l'école de Djamal ed-Din al-Afghani et du cheikh Abdu, compagnon de Rachid Rida, il se révéla conducteur d'hommes d'uneSyroPalestinian rare maîtrise grâce à sa dévorante activité et son ascendant personnel" (L'Afrique du Nord en marche, 1952, rééd. 2002, p. 24-26). Il publia un journal, La Nation arabe. Chakib Arslan rencontra Mussolini. Henry Laurens conclut au sujet de son rôle : "Par son inlassable activité de propagandiste, Arslan a été l'artisan de la transformation du panislamisme maghrébin en un nationalisme arabe à tendance islamique. Il a dans le même temps popularisé en Orient arabe les grands thèmes de la lutte des activistes maghrébins. On lui doit ainsi un complet dépassement du cadre géographique primitif de l'arabisme et sa généralisation à l'ensemble du monde arabe" (L'Orient arabe, arabisme et islamisme de 1798 à 1945, Armand Colin, 1993, p. 290).

(13) Mikhaïl Na'ïmah [orthographié par erreur dans le livre : Mikhaïl No'aïma] (1889-1988), écrivain et critique libanais. A vécu en Ukraine de 1905 à 1911, puis aux États-Unis, de confession chrétienne.

(14) Amine Rayhani (1876-1940), écrivain libanais considéré comme lerayhani_couvrayhani_portrait père de la littérature du Mahjar (adab al-mahjar) produite par l'émigration arabe-américaine. Il est de confession chrétienne et s'exprima autant en anglais qu'en arabe. Rayhani fut l'une des voix du nationalisme arabe. Il écrivit un ouvrage sur  Ibn Séoud, fondateur de l'Arabie Séoudite (muluk al-‘arab, Le roi des Arabes) qui fut un succès. Cf. un site très complet : ameenrihani.org.

 

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liens

- Mostefa Lacheraf sur Dz Lit



Esprit_Lacheraf_1955
la revue Esprit de mars 1955 publie un article de
Mostefa Lacheraf intitulé "le patriotisme rural en Algérie"


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31 janvier 2007

Enseigner l’histoire des immigrations en France (mercredi 14 mars)

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histoire des immigrations en France

 

Les immigrations, étrangères et coloniales, ont profondément marqué l’histoire démographique, économique, sociale, politique et culturelle de notre pays, en particulier à partir de la seconde moitié du XIXe siècle.

Objet d’étude depuis de nombreuses années pour les spécialistes des sciences sociales, cette histoire, qui a donné lieu à de très nombreuses publications, reste cependant, aujourd’hui encore, un domaine relativement ignoré des programmes d’enseignement scolaire. Pourtant, la demande sociale de connaissances et de compréhension, sur ce sujet et sur ses implications présentes, est considérable.

C’est pourquoi, le département d’histoire de l’Université Paris VIII - Saint-Denis, organise le mercredi 14 mars 2007, de 9 h à 17 h 30, salle B 106, une journée de formation destinée aux enseignants (toutes disciplines) sur le thème :


Enseigner

l’histoire des immigrations en France



Ouverture par Jacques Toubon
Président de la CNHI

Marie-Claude Blanc-Chaléard, maître de conférence en histoire contemporaine, Université Paris I-Sorbonne
Pourquoi enseigner l’histoire de l’immigration ?

Laure Barbizet-Namer, Directrice du projet scientifique et pédagogique Cité nationale de l'histoire de l'immigration - Nathalie Héraud, responsable du département Education
Une Cité nationale d’histoire de l’immigration : pour quoi faire ?

Caroline Douki, maître de conférence en histoire contemporaine, Université Paris VIII
Politiques migratoires depuis la fin du XIXè siècle : contrôles et aspects sociaux

Daniel Lefeuvre, professeur d’histoire contemporaine, Université Paris VIII,
Les immigrés dans la reconstruction et les Trente Glorieuses

Philippe Rygiel, maître de conférence, Université Paris I-Sorbonne
Intégration et assimilation hier et aujourd'hui

Michèle Tribalat, démographe, directrice de recherches à l’INED
Combien d’immigrés ? statistique publique et maîtrise quantitative de l'immigration en France et dans l’espace européen


Inscription : adresser par mail (Daniel.Lefeuvre@tele2.fr) votre nom, prénom, discipline, établissement.


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30 janvier 2007

Courriel à Madame Florence Beaugé, du Monde (Gilbert Meynier)

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sur la "bataille", ou le "nettoyage",

d'Alger (1957)

Courriel à Madame Florence Beaugé, du Monde

Gilbert MEYNIER

Madame,

Votre article (Le Monde, daté du 30 janvier 2007), qui est intitulé "50 après : Les survivants du "nettoyage d'Alger", me paraît globalement honnête et bien  informé, si ce n'est qu'il appelle de moi les commentaires suivants :

- Vous avez grandement raison de discuter les termes du syntagme "bataille d'Alger".57 En cela nous nous rejoignons, puisque, dans mon livre, Histoire intérieure du FLN (Fayard, Paris, 2002, et Casbah Editions, Alger, 2003), je n'emploie jamais que l'expression de "grande répression d'Alger" pour désigner les faits dont il est question : il n'y a, en effet, pas de bataille lorsqu'il y a une aussi grande disproportion des forces en présence.

- Votre article comporte une erreur relative en ce qui concerne les "attentats qui ensanglantent la population européenne depuis l'automne 1956 et créent la psychose". En effet, le plus précoce, et le plus meurtrier des "attentats" d'Alger de cette période, fut l'attentat de la rue de Thèbes, du 10 août 1956 ; et ce fut un attentat préparé et commis par les ultras européens d'Algérie : ce furent Philippe Castille et Michel Fessoz qui déposèrent une bombe au plastic de 30 Kg, dont l'explosion causa la mort de 15 (version européenne) à 60 (version algérienne) personnes (Cf. mon livre, p. 322).

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Zohra Drif, arrêtée le 24 septembre 1957

- Autre erreur : vous écrivez que Zohra Driff était "originaire d'Oran". En réalité, elle était originaire de Tiaret, à 200 km au sud-est d'Oran, et elle était issue d'une notable, et très connue, famille du Sersou.

- Toujours au sujet de la même Zohra Driff, vous auriez pu, en deux mots, renseigner vos lecteur sur ce qu'est une "sénatrice " dans l'Algérie d'aujourd'hui: quelqu'un de nommé par le pouvoir d'État (elle vient d'y être reconduite), et en aucun cas une élue désignée de façon démocratique. On peut dire, en effet, qu'elle est de celles (ceux) qui ont été récupéré(e)s par le pouvoir d'État pour administrer la leçon moralisatrice et héroïsante de la période de la guerre coloniale de 1954-1962. Sans compter qu'il n'aurait pas été inintéressant, aussi,  de noter que Zohra Driff est veuve de Rabah Bitat, un des neuf chefs historiques du FLN, et qui a longtemps président de l'Assemblée nationale, et qui était considéré comme un cacique du régime.

arton57963_137x170- Au sujet de Abdelhamid Mehri, il est important de savoir qu'il a été, au 2e CCE et au 1er GPRA, ministre "des Affaires sociales et culturelles". Mehri était (est encore, puisqu'il est toujours de ce monde) un homme d'esprit particulièrement ouvert. De formation exclusivement arabe (université de la Zaytûna, Tunis), il a été de ces arabisants qui, tout seuls, ont appris le français le dictionnaire à la main, et sont parvenus à maîtriser cette langue de manière exemplaire. Il n'aurait peut-être pas été inutile de rappeler à vos lecteurs, en lieu et place de détails moins substantiels, que Mehri fut la personnalité la plus ouverte du FLN (il a été secrétaire général du FLN) du début des années 1990, à l'époque du ministère de Mouloud Hamrouche, lequel fut sans doute ce que l'Agérie indépendante connut de plus éclairé comme gouvernement - Hamrouche étant lui-même officier de formation, et aussi arabisant originel, mais bien distinct du directoire militaire qui régit l'Algérie, éventuellement sous la couverture de fusibles civils, depuis des décennies.

- À propos de Yacef Saadi : il a été, en effet, un combattant illustre de l'époque de la grande répressionSaadiYacef d'Alger, d'origine purement activiste, et en aucun cas d'origine politique/militante. Il est aujourd'hui de ceux qui, à l'instar de Zohra Driff, sont utilisés par le pouvoir algérien, lequel tire son origine dirigeante originelle de l'armée des frontières et de l'EMG de Boumediene, lesquels n'avaient jamais, eux, combattu, dans les maquis.

D'authentiques combattants de terrain comme Yacef Saadi ont été ultérieurement HOUARI_BOUMEDIANErécompensés de leur combat par diverses sinécures, cela, à mon sens, pour compenser leur exclusion de fait du pouvoir réel par l'EMG de Boumediene [ci-contre] à l'été 1962, lequel EMG s'est ouvert un chemin sur Alger à l'été 1962 par une conquête militaire qui a écrasé les maquisards de la wilâya 4 (Algérois), conquête qui, en trois jours, début septembre 1962, et d'après des sources officielles algériennes, a fait 1 000 morts.

- On ne comprend pas de manière limpide, d'après votre article, en quoi "les idéaux de la révolution" ont été "trahis", selon la formule du Professeur de médecine Ali Hattab que vous citez.

Merci, en tout cas, pour votre article éclairant.
Avec mon plus respectueux compliment,

Gilbert Meynier



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le film de Gillo Pontecorvo (1966)A3532

 



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- sur le film La bataille d'Alger

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Brahim Hadjaj dans le rôle de Ali Lapointe

 

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Reportage

50 ans après : les survivants du

"nettoyage d'Alger"

Florence BEAUGÉ

 

Il porte un jean, un pull-over noir usé et une casquette. Un sécateur à la main, il accueille ses visiteurs en s'excusant de sa tenue. Il ne s'agit pas du jardinier mais de Yacef Saadi, l'homme le plus recherché d'Algérie en 1957, celui dont la tête avait été mise à prix par l'armée française, le "fellagha" immortalisé par le célèbre film de Pontecorvo, La Bataille d'Alger, dans lequel il joue d'ailleurs son propre rôle. "Quand les paras m'ont enfin capturé, le 24 septembre 1957, Massu s'est exclamé : "Ça y est, la guerre d'Algérie est terminée !" C'est peu dire qu'il se trompait !", sourit cet homme petit et vif, aujourd'hui âgé de 78 ans, en parcourant le parc de sa maison, une superbe demeure avec piscine, située sur les hauteurs d'Alger.

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Yacef Saadi

De Yacef Saadi, on dit tout et son contraire. Ceux qui l'ont connu à l'époque où il était responsable de la Zone autonome d'Alger (ZAA) continuent de le vénérer. Ils se souviennent "d'un chef fantastique", à "l'autorité naturelle", qui savait tisser autour de lui "de vrais liens de fraternité et de solidarité". Les autres l'exècrent. Ils ne retiennent que le notable "récupéré par le pouvoir", le sénateur plusieurs fois nommé par le président Bouteflika, détenteur, dit-on, "d'une immense fortune".

Peu importe. Yacef Saadi, enfant de la Casbah, est un irremplaçable acteur et témoin de la "bataille d'Alger", une victoire militaire pour la France, mais une écrasante défaite politique. Côté algérien, on récuse l'expression, puisqu'il s'est agi non d'une bataille à armes égales, mais d'une "opération de nettoyage" de l'armée française, d'une "effroyable escalade dans la répression et la pratique de la torture".

 

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image du film de Pontecorvo

La "grève des huit jours" ? Yacef Saadi se souvient de ses protestations quand l'état-major de la révolution algérienne, le Comité de coordination et d'exécution (CCE, auquel appartiennent Abane Ramdane et Larbi Ben M'Hidi), décide de lancer cette opération, il y a tout juste cinquante ans, le 28 janvier 1957. L'objectif est d'attirer l'attention des Nations unies sur la question algérienne. Une semaine, avertit alors Saadi, homme de terrain, "c'est beaucoup trop". La population n'arrivera pas à tenir aussi longtemps, même si le Front de libération nationale (FLN) a pris soin de ravitailler à l'avance les familles plus démunies.

De fait, la grève est brisée au bout de trois jours. Les paras enfoncent les rideaux métalliques des magasins, ordonnent la réouverture des échoppes et embarquent les commerçants récalcitrants. La Casbah, zone "libérée" par le FLN, ne va pas tarder à être reprise en main par l'armée française. La direction de la ZAA, elle, achèvera d'être décapitée avec la mort d'Ali la Pointe le 8 octobre 1957. Ce jour-là, cet adjoint de Yacef Saadi et ses trois jeunes compagnons de combat refusent de se rendre et meurent déchiquetés dans leur réduit plastiqué par les paras.

Tortures. Exécutions sommaires. Viols. Internements arbitraires dans des camps... Tout est bon, cette année-là, pour "purger" Alger du FLN, mettre fin aux attentats qui ensanglantent la population européenne depuis l'automne 1956 et créent la psychose, et décourager la population algérienne de basculer dans le camp indépendantiste. Peine perdue. C'est l'inverse qui va se produire. "Ami, si tu tombes, un ami sort de l'ombre à ta place. Demain, l'ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes", chantonne soudain Saadi, en déambulant dans son jardin, son sécateur toujours à la main. "J'aimais ce Chant des partisans, surtout chanté par Yves Montand ! Je me souviens aussi que je me prenais pour Chen, le héros de La Condition humaine (André Malraux). J'admirais son courage, le fait qu'il luttait pour une cause", sourit-il, nostalgique.

De cette époque, le chef de la ZAA ne garde pas que des souvenirs tragiques, loin de là. "On s'amusait, onMassuJacques rigolait, on provoquait Massu (le chef de la 10e division parachutiste). Ce sont mes meilleures années ! Elles ont donné un sens à ma vie."

Zohra Drif, adjointe de Yacef Saadi, capturée le même jour que lui, ne dit pas autre chose. Devenue avocate et sénatrice, celle qui n'a alors que 19 ans va vivre toute la bataille d'Alger cachée dans la Casbah. Originaire d'Oran, la jeune fille imagine la vieille ville comme un "endroit mal famé", presque "un bordel à ciel ouvert". Elle découvre en fait de petits palais de l'époque ottomane d'une beauté étonnante, propres, ornés de marbre, de céramique, de fleurs... Cachée sous un aïk blanc, elle déambule dans des ruelles obscures qui débouchent "sur des éclaboussures de lumière". Surprise par la misère des habitants, Zohra Drif l'est plus encore par "la solidarité et l'extrême générosité" dont ils font preuve. Bien sûr, elle n'a pas oublié son angoisse et son stress permanents, ni sa découverte horrifiée de la "torture à domicile" pratiquée sur les suspects par les parachutistes, ni le silence de mort qui s'abattait sur la casbah après l'exécution d'un "frère" à la prison toute proche de Barberousse, mais elle se souvient plus encore de "fous rires monumentaux" avec ses "soeurs" de combat, les moudjahidate, notamment Djamila Bouhired.

germaineTSi Yacef Saadi conserve, aujourd'hui encore, une grande estime pour Germaine Tillion, cette ethnologue spécialiste du Maghreb, devenue pour un temps médiatrice dans le conflit algérien, Zohra Drif parle avec une certaine distance de l'ancienne résistante déportée à Ravensbrück. "Quand Germaine Tillion est venue nous voir, dans notre cache de la Casbah, pour nous demander d'arrêter de poser des bombes, elle nous a traités de terroristes. Je me disais : "Mais elle est folle, cette femme ! On nous torture, on largue des bombes au napalm sur la population civile, on balance les prisonniers algériens vivants du haut des hélicoptères, et elle nous fait des leçons de morale !"", raconte la sénatrice, encore interloquée, cinquante ans plus tard.

Avec sa crinière blanche, ses yeux bleus et son élégante silhouette, Habib Reda garde, à 86 ans, sa réputation de bel homme. Cet ancien acteur de cinéma et de théâtre, dont tout le monde connaissait la voix, à la radio d'Alger, dans les années 1950, est aujourd'hui citoyen américain. Il partage sa vie entre Alger, Paris et Tampa, en Floride, où résident son fils et ses deux petits-enfants.

Habib Reda ne se vante de rien. Ni d'avoir été affreusement torturé, l'été 1957, à l'école Sarouy, l'un des pires centres d'interrogatoire de l'armée française tenu par le capitaine Chabanne et le lieutenant Maurice Schmitt (qui deviendra plus tard le chef d'état-major des armées françaises). Ni d'avoir été un poseur de bombes, lui, l'homme cultivé, qui jouait Molière et Shakespeare sur toutes les scènes d'Algérie. L'attentat "des lampadaires", qui fera 8 morts et une soixantaine de blessés, le 3 juin 1957, à Alger, c'est lui. "Oui, 30_09_1956_echo_vous pouvez parler de terrorisme. Mais croyez-moi si vous voulez : la veille de ces attentats, le jour même, et les nuits suivantes, je n'en dormais pas, confesse cet ancien moudjahid. Nous posions ces bombes à contrecoeur. Ce ne sont pas des choses qu'on efface facilement. Mais nous n'avions pas d'autre choix pour nous faire entendre..."

C'est à la fin de l'année 1956 qu'Habib Reda a été chargé par Yacef Saadi d'organiser un "réseau bombes" à Alger. Le FLN a promis de venger la population algérienne de l'attentat de la rue de Thèbes, qui a fait, en plein coeur de la Casbah, dans la nuit du 10 au 11 août, 80 morts et une centaine de blessés. La bombe a été placée par des ultras, partisans de l'Algérie française. Commence alors un cycle d'attentats et de représailles qui ne cessera qu'avec l'indépendance de l'Algérie, en 1962.

Capturé et condamné à mort deux fois, Habib Reda échappe à la guillotine - comme Yacef Saadi et une centaine d'autres combattants indépendantistes - grâce à de Gaulle qui prononce une amnistie générale, peu après son arrivée au pouvoir. "Quand on me demande en quelle année je suis né, je réponds toujours : en 1958 !", raconte l'ancien acteur en riant. À la fin des années 1970, Reda ira se recueillir, avec sa femme, sur la tombe du général de Gaulle, à Colombey-les-Deux-Églises. Dans la petite librairie de la place centrale du village, il achètera les Mémoires de celui qui lui a sauvé la vie.

Désillusion. Il n'y a pas d'autre mot pour qualifier l'Algérie d'aujourd'hui. "Qu'avons-nous fait de notre indépendance ?", s'interrogent les uns et les autres. Au sein de la population, le désenchantement est profond. On se méfie des commémorations à venir, redoutant toujours une récupération du pouvoir. "Qui aurait pu imaginer que l'Algérie en serait là aujourd'hui ? L'injustice, la misère, la corruption à grande échelle... Les vivants ont trahi les morts. Je n'ai pas autant d'amertume envers la France qu'envers les miens, car eux ont trahi les idéaux de la révolution", assène calmement Ali Hattab, professeur de médecine et fils de chahid (martyr).

"Nos parents se sont sacrifiés pour que nous puissions vivre dans un pays juste, débarrassé de la hogra (l'humiliation). Mais la hogra est toujours là. Les "purs" sont morts. Les gens du pouvoir sont les nouveaux colons de l'Algérie", lâche, désabusé, un journaliste, lui aussi fils de chahid. "L'indépendance de l'Algérie ? Nous l'avons obtenue, résume de sa voix calme et douce Abdelhamid Mehri, ancien ministre du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). La libération, elle, reste à gagner..."

Florence Beaugé
article paru dans l'édition du Monde daté 30.01.07

 

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image du film de Pontecorvo

 

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le général Massu, et le capitaine Graziani

 

 

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24 janvier 2007

Points de contact entre les cultures, hérités du fait colonial

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Points de contact entre les cultures

hérités du fait colonial

colloque, Toulon, 21, 22 et 23 mars 2007



Le laboratoire de recherches Babel de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université du Sud Toulon-Var et le Centre interdisciplinaire de recherche sur la culture des échanges de l’Université de la Sorbonne Nouvelle-Paris III (CIRCE) organisent un colloque international sur le thème du colonialisme, qui se tiendra à Toulon les 22 et 23 mars 2007.

Les guerres, massacres, destructions…, perpétrés par les puissances colonisatrices, les années d’occupation et d’exploitation, ont aujourd’hui encore de lourdes conséquences sur les rapports entre ex-colonisateurs et ex- colonisés. Pourtant, malgré les heurts et la violence, au-delà du rapport de dominants à dominés, des contacts se sont établis et ont donné naissance à un échange interculturel.

C’est à ces contacts que nous proposons de nous intéresser, aussi bien dans une perspective historique que contemporaine, cette approche du fait colonial se voulant non pas une relecture du passé mais bien au contraire une tentative de donner une base solide au dialogue entre les cultures si souvent souhaité et, dans les faits, si peu pratiqué. Il pourra s’agir des voix qui, par le passé, se sont élevées contre les puissances colonisatrices, proposant un autre rapport entre les civilisations, ou des situations actuelles héritées du fait colonial, en particulier lors des migrations de populations originaires des ex-colonies vers l’ancienne puissance d’occupation.

Les laboratoire de recherches Babel et CIRCE, par nature pluridisciplinaires, souhaitent accueillir des chercheurs de toutes disciplines (lettres et langues, mais aussi philosophie, histoire, histoire de l’art, géographie,droit, économie…) qui voudront contribuer à cette réflexion sur le colonialisme et qui, sans limite spatio-temporelle, voudront se pencher sur les points de contact entre les cultures, hérités du fait colonial.

Comité scientifique : José Garcia-Romeu, Isabelle Felici, Monique Léonard, Jean-Charles Vegliante.


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cliquer sur chaque image pour l'agrandir

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Isabelle D. Felici : bio-biblio

- elici@univ-tln.fr- 

FELICI Isabelle, La Cecilia. Histoire d’une communauté anarchiste et de son fondateur Giovanni Rossi, éditions Atelier de création libertaire, 2001.

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Toulon

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BABEL



- laboratoire BABEL

Le laboratoire BABEL a été créé en 1996 à l'UFR des Lettres et Sciences humaines de l'Université du Sud - Toulon - Var, à l'initiative de James Dauphiné. Il a été contractualisé par le ministère de l'Éducation Nationale le 1er janvier 1998 (EA 2649) et sa contractualisation a été renouvelée pour les années 2000-2003, puis 2004-2007. Il est dirigé depuis octobre 1998 par Monique Léonard , professeur à l'Université de Toulon et du Var.

Babel est né de la collaboration pluridisciplinaire réalisée au sein de l'UFR Lettres et Sciences humaines en langue et littérature française, littérature comparée, cultures et civilisations anglophones, espagnoles et hispano-américaines, italiennes. Les premiers travaux ont été consacrés à l'étude des Langages et des Mythes, puis Babel a réorganisé son activité autour de trois axes majeurs : Langage, Imaginaires (et en particulier Imaginaires des lieux), Civilisations.

Babel favorise les échanges avec les disciplines extérieures (histoire, sociologie, sciences politiques, études cinématographiques, médecine, éthologie, experts en sports…) susceptibles d'enrichir ponctuellement les recherches menées dans tel ou tel domaine. Des relations sont entretenues aussi bien avec les universités proches du Sud de la France - Aix, Nice, Corte -, qu'avec des universités étrangères - Ljubljana et Novossibirsk en particulier.

BABEL est associé à la formation doctorale qui dispense l'enseignement de Master Recherche, Domaine Lettres et Sciences humaines, Mention Langues, littérature et civilisaion, Spécialités Langage, Imaginaires et Civilisations et accueille les doctorants préparant une thèse sous la conduite d'un directeur de recherche à l'UFR Lettres.

Privilégiant la thématique méditerranéenne, BABEL s'est donné pour objectif au cours des années 2004-2007 d'approfondir l'emprise de la mer sur l'imaginaire dans les disciplines littéraires.


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Toulon



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23 janvier 2007

La controverse autour du «fait colonial» (note de lecture, par Claude Liauzu)

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Mémoires d'empire, un livre de Romain Bertrand

 

La controverse autour du «fait colonial»

Claude LIAUZU, note sur le livre de Romain Bertrand



BERTRAND Romain, Mémoires d’Empire. La controverse autour du «fait colonial», aux Éditions du Croquant, Broissieux, Bellecombe-en-Bauges, 2006, 221 p.

9851786Ce livre de Romain Bertrand est à lire par tous ceux qui se préoccupent des enjeux publics du passé colonial. Il traite des guerres de mémoires, liées notamment à la loi du 23 février 2005 sur le «rôle positif» de la colonisation...

Il présente une analyse intéressante des conditions dans lesquelles cette loi a pu passer : lobbying des associations de rapatriés, certes, mais aussi rôle d’élus de la majorité cherchant à s’affirmer sans appartenir aux cercles du pouvoir. La fronde de l’UMP contre le président de la République, quand elle a refusé de voter l’abrogation de l’article 4 imposant un enseignement officiel, le montre ; cela malgré la campagne des historiens contre la loi, les pépins dans les relations franco-algériennes, les pressions de l’Elysée. Il faudrait aussi souligner les problèmes du gaullisme lors de la guerre d’Algérie : ses divisions et hésitations (Massu, Debré, Papon, Soustelle, …), les variations de de Gaulle lui même…. Il faudrait ajouter aussi les contradictions de la culture républicaine : l’assimilation entre colonisation et civilisation et les affres des décolonisations (mort de la IVe, de la SFIO, amnisties-amnésies répétées, marchandages sur les suffrages des nostalgiques de l’Algérie française en 1981 et autres exemples que Romain Bertrand relève avec humour dans les textes récents du parti socialiste…).

Au delà, c’est  toute la société française qui n’a pas pu ni voulu se décoloniser, qui a traité par un silence honteux ce qui avait appartenu à la mémoire nationale, qui n’a pas su dépasser les visions manichéennes d’une colonisation ambiguë. En réaction contre ce trop de vide, on multiplie à l’initiative de l’Etat, de municipalités, d’associations, depuis une décennie surtout, les commémorations particularistes, les lieux de mémoires, en sollicitant les historiens comme experts - ou plutôt comme cautions ès-vérité -, sans qu’ils aient les moyens le plus souvent de contrôler ce type d’opérations.

Dans un pays où les rapports des historiens avec les fastes de la chronique officielle, comme disait Althusser, ont toujours été extrêmement complexes, cette situation fait problème. La quasi disparition du passé colonial dans les programmes scolaires, dans la formation des enseignants, la marginalité de ce domaine dans les recherches dans le dernier demi-siècle ont pesé lourd. Si les études scientifiques n'ont jamais cessé, si une relève de génération s’est manifestée récemment, si une accumulation de connaissances importante a été réalisée, bien peu de tout cela est passé dans le «grand public». Il faudrait s’interroger de plus sur l’oubli des débats et combats de la période des décolonisations (où Charles-André Julien, Vidal-Naquet, Mandouze, Nouschi, Chesneaux, etc. ont impulsé un mouvement d’histoire critique). Cet oubli et le refoulement d’un tiersmondisme intellectuel, qui n’a pas fait l’objet d’une autocritique au bon sens du terme par les intéressés, ont laissé s’installer l’illusion du caractère nouveau et novateur de la critique anticolonialiste post-coloniale.

arton46Cela permet d’instrumentaliser le passé dans des manipulations telles que celles des Indigènes de la République, réduisant la colonisation à un crime, réduisant les problèmes actuels à la reproduction du racisme colonial, réduisant l’étude de ce passé à une repentance.  Romain Bertrand démonte avec clarté cette opération, et l’attitude complaisante d’intellectuels ayant signé l’appel des Indigènes.

Il montre la place laissée ainsi libre aux entrepreneurs de mémoires, et il signale au passage les liens très étroits de l’Achac (inventrice des «zoos humains» et de la «fracture coloniale», attachée à fustiger le péché originel colonialiste de la République, son «anneau dans le nez»), avec l’agence les Bâtisseurs de mémoire.

Cette dernière est «une agence de communication historique qui propose aux marques différents supports de communication utilisant l’histoire, le patrimoine et la mémoire au service d’une entreprise, d’un produit ou d’une marque»… «il s’agit rarement d’un acte gratuit… de fait, le client est roi…. reste de décideur final de ce qui doit être fait pas, de ce qui doit être dit ou pas». L’agence a travaillé pour l’Oréal.

C’est dans cette situation que les réactions des historiens, l’appel contre la loi du 23 février, paru dans le Monde du 25 mars 2005, la création du CVUH, l’appel des 19 pour la liberté de l’histoire contre toutes les lois mémorielles s’expliquent. Les juristes s’inquiètent également : la Semaine juridique de novembre 2006 publie un appel de 60 universitaires demandant l’abrogation de toutes les lois mémorielles. Quant aux historiens, une de leurs responsabilités est de fournir, contre l’instrumentalisation du passé, l’histoire spectacle, la marchandisation, des œuvres rigoureuses,  des synthèses, une vulgarisation de qualité. Affaire à suivre !

Claude Liauzu

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de Romain Bertrand

 

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- État colonial, noblesse et nationalisme à Java. La Tradition parfaite, Paris, Karthala, 2005.

présentation de l'éditeur

La   formation de l'Etat à Java, du XVIIe au XXe siècle, est inséparable de celle de la noblesse de robe des priyayi. L'exercice de l'autorité en est venu à se dire et à se vivre dans les termes propres à la façon priyayi de se penser et de penser le monde social. La relation de domination s'est énoncée selon un langage mystique. Celui-ci pose l'existence d'un envers invisible du réel, et donc d'une manière spécifique d'acquérir et de mettre en œuvre, par la pratique de l'ascèse, un pouvoir sur soi et sur autrui. Les scribes des palais ont élaboré une "vision" de Java comme ordre social idéal, comme domaine moral inaltérable. Ils ont ilustrasi95affirmé l'existence d'une "façon javanaise" de (bien) faire les choses : une "tradition parfaite" enserrant la vie sociale dans une litanie de règles de conduite, porteuses d'un rapport particulier de soi à soi.

C'est sur cette "vision" de Java que les premiers hérauts du nationalisme anticolonial, en majorité issus du milieu priyayi, ont pris appui pour doter la nation à naître d'une théorie antidémocratique de l'État. Mais pour que le Java éternel des poètes de cour devienne la condition du discours nationaliste, il fallait que le langage de la "tradition parfaite" cesse d'être une illusion collective et soit passible d'usages proprement instrumentaux. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l'Etat colonial néerlandais en Insulinde était devenu producteur et certificateur d'un "savoir sur Java". Concurrençant l'imaginaire de la "tradition parfaite", ce dernier avait permis aux priyayi de développer un rapport réflexif et stratégique à leur propre trajectoire identitaire. Cherchant à lutter contre cette représentation coloniale de Java, mais aussi à se la réapproprier, les priyayi se sont alors assujettis à leur règle morale sur un mode inédit. Auparavant, il n'était possible que d'être priyayi. Il était maintenant possible de le paraître, de jouer à l'être. À travers l'histoire de la constitution morale de la noblesse de robe des priyayi, et bien au-delà du seul cas javanais, cette somme magistrale renouvelle la recherche sur la situation coloniale, l'historicité de l'Etat, la contingence du nationalisme et la subjectivité politique.

Romain Bertrand est chargé de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques (CERI). Après avoir consacré ses premières recherches à l'historicité de l'Etat colonial à Java et à la société politique indonésienne, il a étendu ses travaux à la Malaisie. Il a publié Indonésie : la démocratie invisible (Karthala, 2002) et co-dirigé (avec Emmanuelle Saada) un numéro spécial de la revue Politix sur "L'Etat colonial" (2004). Il prépare actuellement un ouvrage sur Islam et politique en Indonésie (à paraître chez Perrin) et co-dirige, en collaboration avec Christian Lechervy, une Histoire politique de l'Asie du Sud-Est (à paraître chez Fayard). Membre du comité de rédaction de Politix, il est co-responsable du Groupe d'analyse des trajectoires du politique au CERI.

 

Romain_Bertrand_couv

 

présentation de l'éditeur

Cet essai retrace l'histoire des débats et des mobilisations autour de la loi du 23 février 2005 sur le "rôle positif" de la colonisation française, qui a pavé la voie à la montée en puissance du thème des "guerres de mémoire". Il s'interroge à cette fin aussi bien   sur les stratégies des députés de la majorité, qui ont voté et défendu ce texte, que sur le discours et les tactiques des organisations militantes qui ont réclamé son abrogation. Revenant en détail sur les relations clientélaires entre les élus et les associations de "rapatriés" d'Algérie, il s'efforce de mettre au jour les processus politiques - non pas exceptionnels mais terriblement ordinaires qui ont concouru à la "mise en controverse" du "fait colonial".

Chemin faisant, il montre de quelle façon l'argument de la "République coloniale" brandi par les Indigènes de la République et les associations du mouvement autonome de l'immigration a été dévoyé pour imposer une grille de lecture spécifique des "émeutes urbaines" d'octobre-novembre 2005 référées non plus à des problèmes concrets d'exclusion et de discrimination appelant une action (et une auto-critique) des pouvoirs publics, mais à d'élusifs ressentiments mémoriels. Il dresse de la sorte l'inventaire des mécanismes, et surtout des conséquences, de l'émergence d'un nouvel espace de débat où la "question (post) coloniale" en vient à éluder la "question sociale".

 

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"gestion coloniale des quartiers"...!
le ressentiment mémoriel éludant la question sociale

 

 

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22 janvier 2007

Commentaires sur la "repentance" et le discours de P. Blanchard

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Lamentations, Charles Sprague Pearce, 1877


Commentaire sur la "repentance" et sur

le discours de Pascal Blanchard



- Pour que le débat soit plus visible, nous éditons sous forme d'article ce commentaire à l'interview de Pascal Blanchard dans Africa international.

la repentance de P. Blanchard

Je suis un peu étonné par le contenu du débat actuel sur la repentance, la mémoire, l'histoire, et aussi le révisonnisme. Je suis sans doute un innocent intellectuel, bien que je crois avoir reçu une assez bonne formation universitaire. Ne serions pas retournés vers l'univers des "filles repenties" de notre histoire religieuse ? Je me demande ce que la repentance peut avoir à faire avec l'histoire ? La déontologie des historiens sans doute beaucoup plus, et c'est la véritable question. Et à cet égard, il semble que beaucoup de lectures de l'histoire coloniale soient obsédées par celle de l'Algérie, et M. Blanchard, à ma connaissance, et à la lecture de ses ouvrages, écrits, coécrits ou dirigés, et à ce sujet, ne me parait pas indemne de la critique qu'il fait.

Le même historien répond "C'est une manière de décrédibiliser les travaux. C'est ce qu'on fait quand on n'arrive pas à les contester sur le plan scientifique." Et c'est là toute la question : est-ce que les fameux travaux scientifiques dont il est fait référence, le sont vraiment ?

Est-ce qu'un historien sérieux, déontologiquement parlant, peut énoncer aujourd'hui, dans l'état des recherches historiques, la conclusion d'après laquelle la crise des banlieues trouve sa "généalogie" - terme utilisé par ces historien(ne)s - dans notre histoire coloniale, hors Algérie précisément ? Cette thèse n'est pas démontrée.

Et pour agrémenter notre lecture, et en conclusion, pourquoi ne pas citer le propos éclairant d'un historien, membre de l'équipe Blanchard, M. Bancel, quand il écrit, à propos du scoutisme de l'époque coloniale : "Ici, c'est par la mise en mouvement du corps que se trame l'incorporation des valeurs coloniales." (Culture coloniale, page 189)
Alors effectivement, il faut passer au crible ces discours scientifiques !

posté par jp renaud, lundi 22 janvier 2007 à 10:48

 

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20 janvier 2007

Réponse d'un «repentant» à un «non-repentant» (Pascal Blanchard)

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Réponse d'un «repentant» à un

«non-repentant»

interview de Pascal Blanchard par Olivier Menouna

 

Dans Pour en finir avec la repentance coloniale (éd. Flammarion), Daniel Lefeuvre entend rétablir la vérité sur la colonisation. De «mensonges» en «lamentos compassionnels», les «Repentants» auraient falsifié la mémoire coloniale. L'historien Pascal Blanchard, spécialiste de la question, lui répond.

 

Africa International. - M. Lefeuvre vous fait «l’honneur» de vous classer en compagnies d’autres historiens dans le camps des «Repentants». Que cela vous inspire-t-il ?
pascal_blanchardPascal Blanchard. Quand on veut se fabriquer des ennemis, on leur attribue des qualificatifs qui renvoient à des choses qui n’existent pas. Cette méthode et [sic] bien connue des penseurs d’extrême-gauche et d’extrême-droite. C’est trop facile de citer quelques auteurs, pour englober ensuite sous le même qualificatif les centaines de chercheurs sur la mémoire collective. En fait, la notion de «repentance» est plutôt anglosaxonne. Il n’y a pas d’héritage de dette entre les colons et un blanc d’aujourd’hui. Je réprouve cela autant que le raisonnement d’un Africain qui exigerait des papiers français au nom d’un lien entre lui, l’histoire de son grand père colonisé et celle de la France. Je ne réponds donc pas aux critères de M. Lefeuvre qui construit, a posteriori, la vision d’une école de pensée pour arriver ainsi à construire une opposition de discours. C’est une manière de décrédibiliser les travaux. C’est ce qu’on fait quant on n’arrive pas à les contester sur le plan scientifique.

A. I. - Mais M. Lefeuvre prétend justement se baser sur des faits et des chiffres historiques précis et non sur des extrapolations ou des partis pris comme le feraient les «Repentants»…
P.B. 99 % de ses chiffres ne concernent que l’Algérie. C’est une manière assez curieuse de lire l’histoire que de prendre le cas extrêmement particulier qu’est l’Algérie qui était un département français, pour l’étendre à tout l’empire et prétendre ainsi qu’il y a eu des bienfaits. Car M. Leufeuvre [sic !] est bien plus explicite dans son ouvrage précédent, où il explique qu’il est un auteur «révisionniste», et que si la France n’était pas allée en Algérie, les «pauvres Algériens» seraient morts de faim. Par ailleurs, les chiffres, vous pouvez en faire ce que vous voulez à partir du moment où vous n’en prenez qu’une partie. C’est ce que fait Lefeuvre, avec peu de qualité d’ailleurs. Ses chiffres ont une valeur intrinsèque mais pas une valeur analytique. Dire qu’au moment des Trente Glorieuses l’immigration algérienne représentait moins de 1 % de la main-d’œuvre française, pour en conclure que la jeunesse française d’origine algérienne n’aurait pas de mémoire coloniale légitime, c’est aberrant ! Ce n’est pas parce que le pourcentage des Français morts dans les camps de la Shoah est faible que la célébration de la mémoire de la Shoah n’est pas légitime en France.

A.I. - Un tel livre ou du moins, avec un tel titre, aurait-il pu être publié par Flammarion il y a dix ans ?
P.B. Lefeuvre s’inscrit dans la mouvance du marketing du moment. C’est un mauvais livre avant tout, mais il tombait à un moment où les médias en avaient besoin, un an après les événements des banlieues, six mois après la loi du 23 février 2005. Il n’y a qu’à voir Le Figaro, qui a titré «On peut enfin être fier de la colonisation», sans même s’attarder sur le fond du livre.

A.I. - M. Lefeuvre critique le concept de «fracture coloniale» qui lie la situation actuelle des Français issus de l’immigration à celle de leurs ancêtres. Faut-il, comme il le préconise, tourner la page, afin qu’ils trouvent leur place dans la société au lieu de s’enfermer dans le sentiment d’être un «indigénat [sic !] de la République» ?
P.B. A-t-on tourné la page sur Napoléon ? Sur Jeanne d’Arc ? Les quatre siècles et demi de présence française en Afrique ont été rejetés à la périphérie de notre histoire. Le débat sur la colonisation émerge à peine en France ! Tourner la page, bien sûr, mais avant il faut faire acte de connaissance. La jeunesse française originaire des anciennes colonies doit avoir une identité commune avec la Nation et pour cela on doit laisser l’histoire s’écrire. Sinon ces jeunes vont s’inventer une identité mythologique et dans dix ans ce sera bien plus violent qu’aujourd’hui. C’est la connaissance de l’histoire qui fonde les valeurs de la République.

Africa international, n° 346, novembre-décembre 2006

 

Pascal_Blanchard
© La Découverte

 

- sur les "entrepreneurs d'idéologie fonctionnant à la médiatisation..." : voir, sur ce site, la lettre de Gilbert Meynier (5 février 2006) à Arte après la diffusion du documentaire Les trois couleurs de l'empire.

 

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19 janvier 2007

Militantisme algérien et franco-algérien en Algérie coloniale (Gilbert Meynier)

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Militantisme algérien et franco-algérien

en Algérie coloniale

Gilbert MEYNIER

 

GALLISSOT René (dir.), Algérie : Engagements sociaux et question nationale. De la colonisation à Gallissot_chez_les_Indig_nes_R_pl’indépendance de 1830 à 1962. Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier. Maghreb, Les Éditions de l’Atelier, Le Maitron, Paris, 2006, 605 p.


Voici le dernier né du «Maitron». Y ont collaboré une douzaine de chercheurs  autour de René Gallissot [photo ci-contre], qui en fut le maître d’œuvre et a rédigé la grande majorité des notices. Gallissot fait partie de ces savants modestes qui ont fureté quatre décennies durant dans l’histoire du Maghreb. Il est pourtant peu connu du grand public, cela en raison même de son ampleur de vues et de ses talents, qui ne le désignent pas précisément à occuper une place de vedette dans le système médiatico-rentier contemporain ; pas plus, par exemple, que le regretté historien-militant Abderrahim Taleb-Bendiab, qu’un Louis-Pierre Montoy, auteur de recherches approfondies sur le Constantinois, mais qui n’a jamais été publié, ou qu’un Jean-Louis Planche, qui, dans les années 1980, a publié sans bruit la douzaine de numéros de la revue Parcours, l’Algérie, les hommes et l’histoire, à laquelle l’auteur de ces lignes a collaboré, et dont plusieurs notices du «Gallissot» sont inspirées.

Et pourtant, toute l’œuvre de Gallissot fait de lui un expert en matière de mouvement ouvrier maghrébin et de militantisme national. En témoigne ce dernier né, auquel il a travaillé vingt ans durant. L’enquête, vaste, féconde et productive, a débouché sur ce bel instrument de travail érudit, enfermant pas moins de 471 notices biographiques de responsables, de militants et de dirigeants, une indispensable table des sigles et une non moins nécessaire chronologie, ainsi qu’une introduction fermement problématisée qui entremêle histoire du nationalisme, histoire sociale et réflexions sur le militantisme politique.

 

trois types d’itinéraires militants

Gallissot a conçu ce dictionnaire comme un carrefour de trois types d’itinéraires : celui de «la part européenne» d’Afrique du Nord, qui releva souvent de ce qu’il a ailleurs dénommé un «socialisme colonial», en tout cas un socialisme marqué de créolité ; cela même si - il le montre - elle put s’interpénétrer et s’aboucher avec l’itinéraire d’une autre «part», celle des «nationaux», nationaux qu’il ne réduit pas pour autant aux seuls nationalistes. Il y a enfin la «part», si historiquement productive, de «l’émigration-immigration». Le tout est surplombé au XXe siècle par la marche vers la nation algérienne : peu ou prou elle se réfère, volens nolens, à ces trois «parts». Il y a donc centralité de la question nationale, cela sans contradiction avec une centralité de la question sociale. En tout cas, on n’est plus, avec ce grand livre, seulement dans un «dictionnaire du mouvement ouvrier», sauf à énoncer en Algérie l’intrication substantielle du «mouvement ouvrier» avec le mouvement national : ce qui est à la fois plausible et inexact.

Dans nombre de cas, en effet, le militantisme ouvrier n’a pas débouché sur l’engagement nationaliste ; et il y eut bien des responsables du FLN à n’avoir été, ni dans le syndicalisme, ni dans des partis du mouvement ouvrier français et/ou algérien - la plupart, naturellement, passèrent par le PPA-MTLD. Il reste que, en Algérie, un mouvement ouvrier, un combat de classes, ne pouvaient pas ne pas se poser la question nationale : le colonialisme français y était à la fois expression du national français et volonté de mise en oeuvre d’un îlot capitaliste. Il reste que la grande majorité des notices que publie Gallissot parlent de gens qui, à un titre ou à un autre, et au moins à un moment de leur vie, ont été dans le système français en colonie, ou à sa marge, ou encore en réaction contre lui, comme syndicalistes, socialistes, communistes, étoilistes/PPA-MTLDistes, FLN…

On en jugera par le palmarès des gens les plus honorés par le dictionnaire en termes de nombre de pages : il est indicatif de valeurs, et aussi des choix finalement retenus. La palme échoit à Henri Curiel (10 pages) ; viennent ensuite Frantz Fanon (8 pages), Messali Hadj (6,5 pages), Henri Alleg, Maurice Laban et André Mandouze (6 pages), Charles-André Julien (5,5 pages), Idir Aïssat (5 pages), Mohamemd Harbi, Amar Ouzegane et Maurice Viollette (4,5 pages), François Chatelet, Gaston Donnat, Sadek Hadjeres et Max Marchand (4 pages), Abdelhamid Benzine, Mohammed Boudiaf, Émilie Busquant et Yacine Kateb (3,5 pages), 9561919René Justrabo et Victor Spielmann (>2 pages), Roger Garaudy (2 pages). Certes la documentation plus ou moins abondante peut expliquer, en partie, ces résultats. En tout état de cause, on aura perçu l’extrême variété - politique, religieuse, nationale…–  des humains nommés  à ce tableau d’honneur.

C’est avec joie qu’on voit la place assignée au peu connu, mais remarquable philosophe François Chatelet, à l’ancien maire communiste de Bel Abbès René Justrabo, à Émilie Busquant, qui n’est plus seulement reléguée à son seul rôle de compagne de Messali. (son origine ouvrière lorraine est bien notée, mais pas les ancrages anarcho-syndicalistes de son père, ouvrier aux hauts fourneaux de Neuves Maisons, au sud de Nancy. Pourtant, sur sa tombe, à Neuves Maisons, une seule mention : «Madame Messali»), ou encore à Victor Spielmann, dont les sympathies anarchistes sont, là, bien notées ; mais qui n’est pas mort en 1943, mais en 1938 : le chaykh Abdelhamid Ben Bâdis (mort en 1940) a rédigé pour lui dans son journal, Al Chihâb, une notice nécrologique émue et enthousiaste, rendant grâce à l’homme des éditions du Trait d’Union et ancien porte-plume de l’émir Khaled, où il l’appelle «l’ange gardien du peuple algérien». Autre libertaire originel, devenu un semi-officiel libéral proche de Lyautey, Victor Barrucand, dont l’historien désireux de comprendre l’Algérie du début du XXe siècle ne peut ignorer le journal, L’Akbar. En revanche, pour Spielmann, l’affirmation selon laquelle lui et son journal, Le Cri de l’Algérie, étaient plus anticapitalistes qu’anticolonialistes est à nuancer : les dénonciations inlassables du régime inique des communes mixtes coloniales, et ses accents de fraternité internationaliste qu’on y trouve ne relèvent pas seulement, à mon sens, du seul anticapitalisme.

Pour dire le vrai, l’auteur de ces lignes a été un peu troublé par la quasi absence de notices sur des militants libertaires/anarchistes, alors même que le journal Le Flambeau est sur le sujet un document important à dépouiller ; et que le mouvement ouvrier, du moins le socialisme colonial,  ne peuvent s’étudier sans lui. Sur un point précis, pourquoi une notice Barrucand, mais rien sur Paul Vigné d’Octon, qui fut pourtant nettement plus engagé ? Plus généralement, les anars, en Algérie, étaient, dans bien des sensibilités européennes, plus importants que ne l’indique le livre, même s’il est bien vrai qu’ils furent in fine secondarisés par le PCA, quand ils ne furent pas engloutis dans le colonio-colonial. Mais, avec honnêteté, René Gallisot m’a appris qu’il avait dû sacrifier les deux tiers de ses notices originelles pour cause de manque de place. À preuve, il m’a fait parvenir toutes les notices des Ripoll qu’il a enlevées - Ripoll fut le patronyme de nombreux militants anarchistes d’Algérie. Soit, mais le lecteur est en droit d’être mis au courant des raisons qui ont présidé aux choix terminaux. Et, avis aux jeunes chercheurs : on attend encore à ce jour la thèse qui fera le point sur l’anarchisme en Algérie et au Maghreb.

 

une réalité historique finalement plus large que le titre du livre

Il n’empêche : Gallissot fait connaître, ou mieux connaître des militants inconnus ou jusque là laissés dans l’ombre, ou au parcours atypique, comme des gens aussi différents que Gaston Donnat et Roger Garaudy. Et ce qui est dit dans son livre est bien dit et emporte la plupart du temps l’adhésion. On est heureux de voir souligné, par exemple, le fait que, chez Messali Hadj, les références à l’arabisme et à l’islam existaient bien avant sa rencontre avec Chekib Arslan, en Suisse, en 1935, qui a parfois été tenue pour fondamentale et initiatrice en la matière. En effet, Messali fut sans doute davantage influencé dès sa jeunesse pas un «milieu arabo-musulman très fervent» qu’il ne fut marqué par une condition ouvrière dans laquelle il ne vécut pas très durablement, au sein d’une ghurba très tôt marquée pour lui par la professionnalisation de la politique. Concernant Messali, j’ajouterai que la Darqawa était bien une «confrérie populaire en Oranie», mais bien aussi «populaire» pas son recrutement social et ses aspirations.

Ce qui, à mon sens, pourrait être étoffé dans nombre de notices, c’est le poids du communautarisme d’estampille musulmane de tels acteurs. Même chez un Benyoussef Ben Khedda, il y eut durablement9561919 méfiance communautariste, cela malgré telles de ses sympathies de jeunesse dans le scoutisme, les œuvres sociales et le dialogue islamo-chrétien. On comprend pourtant, même si ce trait n’est pas noté, que Ben Khedda ait été retenu pour le dictionnaire. Aït Ahmed aussi, même si son activité à l’assemblée nationale, au lendemain de l’indépendance, en faveur de l’autogestion, n’est pas relevée. Si, pour l’auteur, la question sociale est centrale, on saisit bien pourquoi un Hocine Zehouane, dont le rôle est signalé dans le redémarrage de l’UGTA en 1962, a droit à une notice.

Mais on comprend mal pourquoi Larbi Ben M’hidi a été retenu quand Rabah Bitat ne l’a pas été. Question de stature, sans doute. Mais, à notre connaissance, Ben M’hidi n’a jamais été ni ouvrier ni syndicaliste quand Bitat a, lui, connu la situation de salarié. Ou alors il aurait fallu mieux marquer le statut social d’où proviennent les gens retenus, ou le statut qu’ils se sont construit : salarié, Bitat fut néanmoins assez tôt un professionnel de la politique, tout comme Mourad Didouche, également absent du dictionnaire. Le passage à la CGT d’un commandant Si Mohammed (Djilali Bouanama) ou d’un colonel Si M’hamed (Ahmed Bouguerra) est bien noté pour le début de leur carrière. Soit. Mais alors, pourquoi n’avoir pas retenu le chef historique du FLN Mohammed Khider, issu originellement d’une petite élite syndicale ? Va pour le silence sur Ahmed Ben Bella et sur Belkacem Krim. En revanche, Boudiaf a droit à une notice de trois pages et demi. Pourquoi ? Serait-ce parce que, politiquement, il a été estimé mieux correspondre au faisceau de critères énoncés par René Gallissot, ou bien parce que sont en passant notées ses «aspirations sociales» ?

Bien sûr, aucun choix n’est jamais parfait, et la perfection n’existe qu’en Dieu si on y croit, ou dans sa propre configuration de valeurs si on n’y croit pas. Le choix de René Gallissot a été, finalement, de peindre, grâce à une vaste palette, une réalité historique finalement plus large que le titre de son livre ne le laisse présager. Il aurait pu finalement l’appeler Militantisme algérien et franco-algérien en Algérie coloniale. Le Gallissot fait notamment réfléchir sur les possibles de l’histoire algéro-française, où s’entrechoquèrent un terroir algérien profond et des vents de l’extérieur inaboutis, mais dans de telles contradictions qu’elles débouchèrent in fine sur la cruelle guerre algéro-française de 1954-1962, à la fois, côté français, guerre de reconquête nationale/coloniale, et côté algérien, guerre de décolonisation et de libération nationale. Pour terminer, un vœu : on aimerait que René Gallissot, sur le même sujet, livre une synthèse destinée à un plus large public : la somme ineffaçable qu’il a conçue et dirigée mérite d’être rendue abordable pour d’autres que les seuls familiers du «Maitron».

Gilbert Meynier

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- voir la présentation du livre par l'éditeur, et la liste des entrées du Dictionnaire

 

 

 

 

- Répertoire des historien(ne)s du temps colonial

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15 janvier 2007

Appel et souscription pour la reconstruction de la kouba de Nogent

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seule trace iconographique de la kouba de Nogent
© Michel Renard




Appel et souscription pour

la reconstruction

de la kouba de Nogent-sur-Marne

association Études Coloniales



En 1919, dans le cimetière de Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne), fut élevée une kouba. Dans les pays de tradition islamique, la kouba est un petit édifice qui vient signaler la tombe d'un pieux personnage. Ce monument, aujourd'hui disparu, honorait le dévouement et la mort, au cours de la Première Guerre mondiale, de soldats musulmans provenant de l'espace colonial français.

C'est principalement à Émile Piat que l'on doit la construction de la kouba de Nogent. Consul général, attaché au cabinet du ministre des Affaires étrangères et chargé de la surveillance des militaires musulmans dans les formations sanitaires de la région parisienne (Nogent, Carrières, Moisselles), il opta pour ce type de mausolée afin d'honorer le souvenir collectif de soldats musulmans décédés. Dans une lettre du 14 juin 1918, il explique à son ami, le capitaine Jean Mirante, officier traducteur au Gouvernement général en Algérie, les origines de son projet :

«Ayant eu l’impression que l’érection d’un monument à la mémoire des tirailleurs morts des suites de leurs blessures aurait une répercussion heureuse parmi les populations indigènes de notre Afrique, j’ai trouvé à Nogent-sur-Marne, grâce à l’assistance de M. Brisson, maire de cette ville, un donateur généreux, M. Héricourt, entrepreneur de monuments funéraires qui veut bien faire construire un édifice à ses frais dans le cimetière de Nogent-sur-Marne

L'édifice fut inauguré le 16 juillet 1919 mais peu entretenu dans les années qui suivirent. Ses vestiges furent finalement détruits en 1982.

La kouba de Nogent fut édifiée à la fin de la Première Guerre mondiale grâce à une conjonction d'initiatives : la politique de gratitude et de reconnaissance de l'institution militaire à l'endroit des soldats venus du domaine colonial, l'empathie d'un consul entreprenant et l'entremise d'un officier des affaires indigènes en poste à Alger, le soutien d'un édile communal et la générosité d'un marbrier. Cette osmose dépasse toute politique d'intérêts au sens étroit.

C'est ce surplus de signification qui en fait un symbole d'une mutuelle reconnaissance qui a toutes raisons d'être rappelée aujourd'hui.

C'est pourquoi, nous appelons à la reconstruction de la kouba du cimetière de Nogent. Elle marquerait comment la République assume, par-delà le temps, son devoir de mémoire à l'égard de tous ceux qui ont laissé leur vie pour défendre ses idéaux. Et constituerait, à quelques encablures de la Cité nationale de l'histoire de l'immigration, un excellent lieu de mémoire et d'histoire.

pour l'association Études Coloniales
Daniel Lefeuvre, Michel Renard

contact : Études Coloniales - reconstruction kouba de Nogent


- Voir le dossier des premières démarches entreprises auprès des autorités administratives et religieuses en 2005 : lettres à M. Hamlaoui Mekachera, ministre des Anciens Combattants et à Dalil Boubakeur, recteur de l'Institut Musulman de la Mosquée de Paris, réponse de celui-ci.


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malades et imams de l'hôpital militaire du Jardin Colonial à Nogent (Caom)



L'association "Études Coloniales"


lance un appel à la reconstruction de la


kouba de Nogent-sur-Marne,


et une souscription destinée à son financement

 

un Comité de soutien

à cette initiative est en cours de constitution


pour apporter votre accord : envoyez vos nom, prénom, profession,

commune de résidence et adresse e-mail à

Études Coloniales - reconstruction kouba de Nogent

 


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Les coordonnées bancaires d'Etudes Coloniales

Banque Populaire Rives de Paris
Code banque : 1020
Code guichet : 00135

n° compte : 20193166569

clé RIB : 12

Adressez vos courriers à : Études Coloniales, 38 rue du Ruisseau - 75018 Paris

Études Coloniales - reconstruction kouba de Nogent

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seule_photo_kouba
inaugurée en 1919, elle fut finalement détruite en 1982 © Michel Renard


parmi les sépultures musulmanes, l'emplacement est conservé

pour l'érection de la kouba au cimetière de Nogent


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un espace modeste, d'environ 2 m sur 2 m


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tombes musulmanes à Nogent-sur-Marne


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Klienze Dembele, tirailleur sénégalais, tué le 13 (?) août 1918


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Mohammed Ben Ali, travailleur auxiliaire kabyle, tué le 8 mars 1917


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rendre hommage à ceux qui, venus de l'espace colonial, sont morts pour la France


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juste à côté des tombes musulmanes, les soldats indochinois ont leur monument


- photographies : 31 août 2004, Michel Renard

- voir le site : islam en France, 1830-1962 et le dossier consacré à la kouba de Nogent

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Études Coloniales - reconstruction kouba de Nogent

Adressez vos courriers à : Études Coloniales, 38 rue du Ruisseau - 75018 Paris



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12 janvier 2007

History and the Culture of Nationalism in Algeria, un livre de James Mac Dougall (Gilbert Meynier)

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L’Algérie : nation, culture et idéologie

Gilbert MEYNIER

 

 

JamesMcDougallAu sujet d’un livre excitant : James MAC DOUGALL, History and the Culture of Nationalism in Algeria, Cambridge University Press, Cambridge, 2006, XIV-266 p. (ISBN: 0521843731 hardback, prix: 48,00£) - autre lien vers l'auteur

Ce livre a pour auteur un historien, qui est aussi un érudit arabisant, d’une variété encore assez rare à trouver parmi tant de maghrébologues français, qui n’ont souvent guère été à même de réaliser en eux-mêmes la décolonisation de l’Algérie en se mettant résolument à l’arabe. Je le dis avec d’autant plus de vergogneuse sérénité que, personnellement, l’auteur de ces lignes ne lit l’arabe que lentement, et toujours un dictionnaire à portée de main.

James Mac Dougall a, lui, mis sa profonde connaissance de l’arabe pour lire, à profusion, et se pénétrer des textes fondateurs de la salafiyya version algérienne – entendons les productions des ‘ulamâ’, qu’il dénomme tout uniment les «salafî(s)» (1). Avec une étourdissante maîtrise de la plupart de ces textes, il nous livre une thèse excitante : il montre avec de solides preuves que la résistance algérienne à la domination coloniale a d’autant plus été exprimée – duzaytuna_mosque_minaret moins proclamée –  qu’elle émanait de milieux exclus du centre de cette domination ; notamment de ces cultivés de culture arabe, expulsés ou exilés, que l’on retrouve, aux XIXe et XXe siècles, au Caire, et surtout à Tunis [ci-contre, université-mosquée al-Zaytûna, Tunis], en commerce avec les plus prestigieux foyers de la civilisation islamo-arabe, les université Al-Azhar et Al-Zaytûna. On sait aussi que le passage formateur par la Tunisie ou/et par l’Égypte fut essentiel pour la formation, au XXe siècle, de nombre d’Algériens de culture arabe.

Dans une analyse circulaire impressionniste – l’impressionnisme ayant souvent mieux laissé voir le réel que l’académisme épris de réalisme formel –, de celles dont les savants anglo-saxons nous ont rendues familiers, J. Mac Dougall étudie le milieu de la khâssa (élite) de culture arabe émigrée. Il montre ses propensions au discours résistant anticolonial à ancrages islamo-arabes, à distance de ces «évolués» de formation scolaire française, qui fluctuèrent longtemps dans le registre de l’entre-deux, voire de la schizophrénie, entre leurs ancrages culturels originels et leurs enthousiasmes francophiles sans lendemain : c’est ce qu’on a pu dénommer le complexe haine/fascination ou, sur un plan plus politique, la «résistance-dialogue» (Abdelkader Djeghloul).

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Même dans un mouvement indépendantiste, et dans une génération acquise à la rupture d’avec le dominateur colonial – celle du PPA-MTLD –, la résistance put toutefois ne pas exclure les ancrages berbères de la définition de la nation algérienne. D’où la «crise berbériste» du MTLD, qui fut jugulée autoritairement sous l’égide de Messali en 1949, sous l’oriflamme de l’islamo-arabisme.  Dès lors, et pendant des décennies, la référence à un fait berbère, valorisé par calcul par le colonisateur, fut par les nationalistes certifiés vouée aux gémonies de la traîtrise. Ce fait berbère, le fabricant d’histoire nationaliste Ahmed «Tawfiq» al-Madanî – qui fut une manière de Lavisse algérien – en fut quelque peu embarrassé : il hésita entre la résolution de le voir comme originellement sémite et frère en arabité des protagonistes échafaudés par les artisans des mythes islamo-arabes, d’une part, et la crainte que ces Berbères des origines n’aient été des ancêtres quelque peu indignes : que faire de leurs croyances et de leur polythéisme initiaux ; et aussi, que faire d’une religion carthaginoise qui s’adonnait aux «sacrifices molek» des enfants ? On y reviendra.

Étant entendu que, dans le même temps, A. T. al-Madanî imaginait les Phéniciens et les Carthaginois en proto-Arabes dispensateurs de civilisation et annonciateurs d’Islam et que les «Romains» avaient une fois pour toutes été déclarés colonisateurs oppressifs. Le discours colonialiste simplificateur manichéen avait bien énoncé que toute civilisation provenait d’Europe. Le contre-pied –c’était de bonne guerre–, était d’affirmer que toute civilisation venait d’Orient. Cela correspondait d’ailleurs à nombre de légendes sui generis, qui évoquaient l’origine cananéenne – palestinienne, dirait-on aujourd’hui– des Afro-Numides. A. T. al-Madanî identifiait pratiquement ces Kan‘anî aux Phéniciens, d’où Carthage était issue.

Ce qui ressort du livre de J. Mac Dougall est que les résistants de l’extérieur (A. T. al-Madanî était né à Tunis en 1898 ; il fut emprisonné, adolescent, pendant la guerre, à Tunis, et il ne «revint» en Algérie qu’en 1925) formaient un peu une catégorie à part, loin des soubresauts immédiats de leur patrie d’origine ; et que, dans l’exil, ils auraient incarné la permanence d’une résistance, à l’abri des contaminations coloniales. En vérité, même une incarnation de la culture arabe classique comme A. T. al-Madanî était loin d’ignorer le français, ce que le livre ne mentionne pas : des témoins qui conversèrent avec lui – Jean-Paul Chagnollaud ou Omar Carlier, pour ne citer qu’eux – peuvent l’attester. Cela même si telles biographies pieuses ne veulent pas le savoir.

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Et on a pu alléguer que, même le parangon de la khâssa arabe cultivée, construit comme un emblème de l’islam réformé et de l’arabe, Abdelhamid Ben Bâdis [photo ci-dessus], ne l’ignorait pas non plus totalement : même l’élite de la cléricature vivait dans un milieu citadin colonisé. Au-delà des prises de position principielles que mentionne justement J. Mac Dougall, il y avait la vie au jour le jour de ces notables, et, entre eux, même à Constantine, qu’on a pourtant dit moins ouverte que Tlemcen, pas vraiment de muraille de Chine séparant «arabisants» et «francisants». Un Mouloud Ben Bâdis fut avocat, donc évidemment francophone, et nombre de membres de la famille furent des élus et/ou des personnages officiels au sens colonial du terme.

Pour nous en tenir au milieu notable constantinois, on peut rappeler la figure de «El Hadj Abdallah». Les cultivés en arabe évoqués par J. Mac Dougall, qui se rangèrent contre la France pendant la première guerre, sous l’oriflamme du pouvoir jeune-turc et de Hadj Guillaume réunis (2), ne furent pas à coup sûr, pour les Allemands, les recrues les plus importantes, en tout cas ceux qui aient été forcément les plus considérés : le «lieutenant indigène» (comprenons lieutenant de seconde zone, en français colonial) Rabah Boukabouya, issu de la notabilité constantinoise, qui déserta de l’armée française sur le front au printemps 1915, se retrouva à Berlin sous le nom de «El Hadj Abdallah». Il avait été avant la guerre instituteur dans le systèmedd_1 d’enseignement colonial : il était donc, évidemment, francophone. Il fut notamment  l’auteur d’un fascicule très diffusé par les Turco-Allemands sur l’Islam dans l’armée française, dont, avec honnêteté, James Mac Dougall m’a dit avoir retrouvé la trace jusqu’à… Singapour. Et il fut, entre autres choses, chargé d’abondance de haranguer les prisonniers musulmans issus des armées anglaise ou russe, mais principalement française, internés dans le Halbmondlager (le camp du croissant), sis à Zossen, à 40 km au sud de Berlin (3). Boukabouya, qui était à même de haranguer des Maghrébins dans son dialecte constantinois par eux compréhensible, fut sans doute, à ce titre, bien aussi considérable que le lettré de culture arabe Salah Cherif sur lequel insiste J. Mac Dougall.

S’il a raison de souligner, de manière exemplairement neuve, le rôle de ces exilés, il ne faut sans doute pas plus les imaginer coupés de leur patrie d’origine qu’il ne faut opposer essentiellement les «salafî(s)» du cru aux «évolués» de l’intérieur restés en terrain algérien. Et, pour parfaire le tableau, il faut dire le poids de la socialisation chez les élites citadines, soudées, notamment, pas l’intrication des liens matrimoniaux. L’auteur dit clairement que jamais aucun «salafî» ne fut un thâ’ir (révolutionnaire) (4) ; en cela, un «salafî» ne se distinguait guère de l’ensemble des a‘iyân (notables), fussent-ils des «Jeunes Algériens» à la Ferhat Abbas. Et rappelons que ce dernier, qui figura tant la francisation, avait commencé à écrire en signant «Kemal Abencérage», un nom (Ibn Sarrâj) qui évoquait bien la nostalgie de l’Andalousie perdue. Et que le dirigeant des «Élus», le docteur Mohammed Salah Bendjelloul, ait pu organiser, par souci de di‘âiya (propagande politique) des zarda(s) festives en l’honneur de tel saint populaire, honnies par les «salafî(s) », ne l’arrime pas pour autant au peuple : quoi qu’il pût faire, un médecin appartenait d’emblée à la khâssa. Et même, dans les rangs des «salafî(s)», James Mac Dougall montre que ces derniers ne formèrent pas un bloc monolithique, même si c’est là plus une idée que le lecteur retire de son texte qu’une démonstration systématique qui en est faite. Il mentionne en tout cas, sous la dénomination générique de «salafî(s)», des personnalités fort différentes.

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Oulémas réformateurs algériens dans les années 1930 (source : CAOM) :
marqué d'une croix, le cheikh Ben Badis ; à sa droite Fodil Ouartilani

Le titre même du livre, où figure le terme de «culture» rend en effet bien compte de l’univers de la salafiyya algérienne (en Algérie, on préférait le terme de islâh), incarnée par un Ben Bâdis. Chez ce dernier, dans le triptyque célèbre énonçant l’islamité, l’arabité et la patrie algérienne, on en reste principalement à un ancrage culturaliste islamo-arabe, qui se suffit à lui-même pour aboutir à une définition identitaire, dont la problématique nationale proprement dite ne me paraît qu’à peine amorcée. Avec l’historien «salafî» Mubarak al-Milî, il en va déjà un peu différemment. Mais avec A. T. al-Madanî, on est indiscutablement déjà dans le national, ainsi que l’indique sa fameuse géographie énonçant, et cartographiant l’Algérie en centre du monde ; ou encore sa «guerre de 300 ans entre l’Algérie et l’Espagne 1492-1792» (5). Son homologue français Ernest Lavisse n’avait, lui, osé n’en bâtir une que de cent ans pour la France. Toute la fantasmatique origine orientale des Algériens porte, là aussi, bien l’estampille du national, de même que l’édification de la galerie nationale algérienne de portraits, de Jugurtha à l’émir Abd El Kader, qui constitua le symétrique de la galerie nationale française de portraits, de Vercingétorix à Napoléon. Et, ressemblance supplémentaire, un semblable traumatisme originel : une fin cruelle dans une prison de Rome, cela à seulement 58 ans de distance.

Avec A. T. al-Madanî, on est indiscutablement dans ce que Eric Hobsbawm et Terence Ranger dénomment «invention of tradition» (6). Certes, dans toute «invention of authenticity»  (J. Mac Dougall), il y a un fort tissu mythique qui ne peut pas ne pas comporter de contradictions. L’auteur montre remarquablement que, chez A. T. al-Madanî, le statut du substrat berbère est assez flottant : tantôt les Berbères sont dits d’origine sémito-orientale, linguistiquement et même ethniquement, tantôt ils sont campés en vrais Algériens originels. Et, on l’a dit, il fut quelque peu embarrassé par Carthage, à la fois hautement célébrée comme annonciatrice du télos –qui fut le vrai commencement : l’aube islamo-arabe – et infestée des condamnables sacrifices d’enfants. A. T. al-Madanî s’en tire par une pirouette, qui ne peut pas quelque peu entacher sa mythification : la destruction de Carthage, en 146 av. J. C. , est évoquée comme une punition divine émanant du vrai Dieu de la vraie foi en devenir. Pour résumer, tout ne se passa-t-il pas comme si, avec Ben Bâdis, on était bien encore dans la culture, quand, avec A. T. al-Madanî, on est bien davantage dans l’idéologie nationaliste ? Mais c’est là un point de vue que Mac Dougall ne formule pas vraiment, ou seulement par prétérition.

Et toute résistance s’inscrit-elle dans le national ? Tout résistantialisme peut-il être uniment dénommé nationalisme ? L’auteur, nous semble-t-il, utilise «nationalism» et «nation» sans que ces termes recouvrent une réalité vraiment élucidée et stable. On le suivra bien sûr dans son «invention of authenticity» ; mais à quel corpus et à quel espace – spatial, mythique – se rapporte ladite «invented authenticity» ? Il note bien incidemment que les références «nationales» flottent, de l’algéro-algérien au monde arabe, via le Maghreb. À notre sens, un critère opératoire pour authentifier le national, dans la lignée des travaux de l’historien spécialiste de l’Asie du Sud-Est Benedict Anderson (7), est le degré de sécularisation du sacré. Et, en ce sens, A. T. al-Madanî est bien un ‘âlim (8) moderne, qui bricole et manipule le culturalisme islamo-arabe pour édifier une nouvelle sacralité, celle précisément du national. Les historiens officiels de l’Algérie indépendante, les auteurs des manuels scolaires notamment, n’ont pas en tout retenu ses apports, et ils ne l’ont sans doute guère recherché : il ne s’inscrivait pas, lui, dans la médiocrité culturelle qui fut officiellement et délibérément mise en place. James Mac Dougall note bien au passage l’isolement de A. T. al-Madanî après 1962.

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Mémoires de A. Tawfiq al-Madanî (3e vol.)

 

Ceci dit, la résistance, énoncée par des élites exilées, n’empêcha pas bien sûr la permanence des résistances de terrain de 1830 à 1962, certes selon des intensités et des modalités différentes selon les périodes. Et on aimerait mieux comprendre, après avoir lu le livre de J. Mac Dougall, ce que furent les corrélations entre les exhortations extérieures et le terrain, les allers-retours entre intérieur et extérieur. Le discours de l’islâh se met en place en Algérie autour de la première guerre mondiale, puis dans le contexte des luttes politiques des années 20, marquées par le combat politique de l’émir Khaled et l’action du Mouvement des Élus des Musulmans. Est-il indifférent que A. T. Al-Madanî soit en prison (de 1915 à 1918) au moment où se déclenche l’insurrection de l’Aurès-Belezma (1916-1917), qui fut impitoyablement réprimée ? Étant entendu que cette insurrection porta plus la marque d’un patriotisme résistant que d’un nationalisme encore dans les limbes ; et que les bourgeois de village et les jeunes notables ruraux qui l’encadrèrent annoncent l’encadrement du FLN du 1er novembre 1954 : pour nombre d’entre eux, la nation n’était guère dans leur problématique : ils étaient des patriotes, voire des étatistes brûlant de se construire une machinerie de pouvoir – un État – pour satisfaire des ambitions de pouvoir (9). Ceci dit, il y eut par ailleurs, entre autres au Congrès de la Soummam, puis dans les ministères du GPRA ou à la rédaction du Moudjahid/Mujâhid, des dirigeants et des militants du FLN pour réfléchir à la formation de la nation.

Les historiens savent aujourd’hui que ce sont les nationalistes qui forgent la nation, et non l’inverse. Et on sait, dans les constructions nationales, le rôle souvent joué par les marginaux et les expatriés : comme dans le célèbre Va pensiero ! du chœur des Hébreux, dans le Nabucco de Verdi, l’identité s’exprime dans et par l’exil : c’est bien là la thèse, féconde et stimulante de J. Mac Dougall. Or, jusqu’alors, les historiens de l’Algérie ont principalement étudié l’émigration de travail, la ghurba (l’exil, l’expatriation) en France, sans laquelle il est impossible de comprendre la création de l’Étoile Nord-Africaine, d’où est issu le PPA, apatrié en Algérie à partir de 1937. Le fait de montrer l’importance de la ghurba des élites de culture arabe n’empêche pas que la ghurba de travail a bien été d’une importance historique décisive ; et la place des Kabyles, berbérophones,  y est longtemps restée majeure… même si ce fut un Tlemcénien – donc un arabophone – qui en prit très tôt la direction, le za‘îm Messali Hadj. Il fut bien un expatrié, peu profondément cultivé en arabe, certes, mais cela ne l’empêcha pas de devenir aux yeux du peuple algérien l’incarnation de la résistance à la domination coloniale. Il y aurait d’ailleurs à méditer sur le fait qu’une communauté ouvrière très majoritairement berbérophone ait porté à sa tête un compatriote arabophone, qui ne fit, au surplus, que demeurer passagèrement dans la condition ouvrière.

James Mac Dougall  étudie, dans un long chapitre, les ancrages identitaires berbères, allégués ou historiquement attestés, la crise berbériste, le refoulement du fait berbère dans le mouvement indépendantiste/national : il y eut durablement, en Algérie, non-débat sur la nation. Ce non-débat aboutit in fine à un discours officiel exclusif magnifiant l’origine islamo-arabe des Algériens. Mais ce discours même eut besoin d’être martelé, précisément en raison probable des non dits et du refoulement des autres possibles d’une identité historiquement plurielle. Avec une prudence qu’il faut saluer, J. Mac Dougall ne se prononce évidemment pas sur une véritable identité algérienne, ne serait-ce que parce que, nonobstant l’existence de constantes, les véritables identités n’existent pas en histoire, si ce n’est selon un processus dynamique, sous la forme d’identifications, sans cesse fluctuantes et modifiées : avec lui, nous avons affaire à un vrai historien, non à un idéologue.

On s’interrogera pour finir sur la signification d’un autre thème abordé dans son livre : celle du culte rendu en Algérie aux saints du terroir, comme le si célèbre Sidi ‘Abd al-Rahmân al-Tha‘âlibî à Alger ; ou encore du statut de charîf de l’émir Abd El Kader. On aimerait élucider si la révérence qui les entoura fut, à sa place, une expression de la résistance aux Français. Certes, le pouvoir colonial s’était employé à instrumentaliser et à clientéliser à son profit les marabouts ; et de son côté le chaykh Ben Bâdis dénonça sans relâche les cultes à eux rendus comme impieusement entachés de chirk (10), tout comme son quasi-compatriote Saint Augustin (11) avait pareillement pourfendu avec âpreté ces purgamenta (déchets) du monothéisme chrétien un millénaire et demi plus tôt. Et pourtant, les saints locaux participèrent de ce nafs évoqué par James Mac Dougall, et que l’arabisant Joseph Desparmet (13) a évoqué comme l’incarnation de l’Algérie des profondeurs. L’historien de l’Antiquité africano-romaine Mercel Benabou (14), de son côté, a vu dans le maintien tenace des cultes locaux sui generis, face au panthéon gréco-romain, la preuve d’une résistance à la romanisation ; cela alors même que les Romains tâchèrent eux aussi de manipuler les Dii mauri (dieux maures) dans leurs stratégies politico/religieuses. Alors, vérité antique ne serait pas (ou serait) vérité contemporaine ? Ou bien y aurait-il eu des ruptures radicales dans le sacré populaire, de l’Antiquité à la période coloniale récente ? Ou à l’inverse une longue continuité ?

Toutes ces questions, le lecteur passionné ne se les pose que parce que le livre excitant de James Mac Dougall ne peut que susciter la réflexion et le débat. Et il est bien vrai, pour conclure, que l’ «invention of authenticity» de facture islamo-arabe a bien abouti à la variante terminale récente, celle de l’idéologie officielle algérienne. Sauf que, par rapport à un grand comme A. T. al-Madanî, elle n’a retenu qu’un corpus vaguement émané de ses assertions, sous l’impulsion de tant de sous-produits d’Al Azhar, importés pour réaliser de manière irréversible l’ «arabisation», ou sous l’égide de la platitude ampoulée de leurs émules du cru. Sauf à considérer par exemple l’un des plus illustres d’entre eux, feu Mouloud Kacem Naït Belkacem, comme un digne descendant du fabricant majeur d’histoire nationale (15) que fut l’auteur du Kitâb al-Jazâ’ir et de Haiyyât kifâh. Ce que, par respect pour Ahmed «Tawfiq» al-Madanî, l’historien clairvoyant se gardera bien d’alléguer.

Gilbert Meynier

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(1) Terme issu originellement de la salafiyya, mouvement d’aggiornamento de l’islam, centré principalement dans les foyers égyptiens, et remontant à la fin du XIXe siècle. Le terme de salafî a pris aujourd’hui un sens bien différent, qui en fait, dans les acceptions actuelles, un quasi-synonyme d’islamiste.
(2) Les Algériens pensaient alors couramment que, ennemi de la France, l’empereur d’Allemagne Guillaume II était musulman ; ce pour quoi il fut révéré dans des chansons populaires sous le nom de «Hadj Guillaume».
(3) Et non à 80 km, ainsi que l’écrit Mac Dougall. Les Allemands y avaient construit une grande mosquée en bois, qui fut détruite en 1927 par un incendie. Il y subsiste un vaste cimetière, parsemé encore aujourd’hui d’un grand nombre de tombes musulmanes, souvent en mauvais état depuis les dégâts causés par les bombardements de l’aviation américaine en 1945.
(4) On sait que les ‘ulamâ’ ne rejoignirent pas spontanément le FLN, et qu’il ne le firent pas toujours avec un enthousiasme exagéré, et en tout cas pas avant 1956.
(5) Harb al-thalâthimi’at sana bayna l-Jazâ’ir wa Isbâniya 1492-1792, SNED, sd (sans doute 1967, plutôt que 1972 comme l’indique avec un point d’interrogation l’auteur : je crois avoir acheté le livre à Alger en 1968).
(6) The Invention of Tradition, Cambridge University Press, 1983.
(7) Imagined communities. Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, Londres-New York, Verso, 1995.
(8) Littéralement un savant (plur. ‘ulamâ’).
(9) Cf. à ce sujet l’excellent livre de John Breuilly, Nationalism and the state, The University of Chicago Press, Chicago-Manchester, 1994
(10) Le fait de donner à Dieu unique des associés.
(11) Né à Thagaste (Souk Ahras).
(12) Esprit, génie du Peuple.
(13) Qui ne fut sans doute pas seulement un «dialectisant», ainsi que  l’écrit J. Mac Dougall.
(14) La Résistance africaine à la romanisation, Maspero, Paris, 1975, rééd. La Découverte, Paris, 2005
(15) Y eut-il jamais, en Algérie, quelqu’un pour vraiment prendre au sérieux, par exemple, l’assertion qui était chère à Mouloud Kacem, selon laquelle l’Algérie d’avant 1830 était une «superpuissance» ?

 

liens

- "S'écrire un destin : l'Association des ‘ulama dans la révolution algérienne", James Mac Gougall (juin 2004), Ihtp-Cnrs

- "Soi-même comme un autre. Les histoires coloniales d'Ahmed Tawfiq al-Madanî (1899-1983)", Revue des Mondes musulmans et de la Méditerranée (article seulement référencé)

- Nation, Society and Culture in North Africa,  Routledge, mai 2003.
 

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