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études-coloniales

16 octobre 2011

la guerre d'Algérie vue par les Algériens

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le nouveau livre de Benjamin Stora

 

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15 octobre 2011

17 octobre 1961, général Maurice Faivre

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La bataille de Paris du 17 octobre 1961

Maurice FAiVRE

 

Sous le titre : le massacre du 17 octobre 1961, un article de l’encyclopédie en ligne Wikipedia faisait en octobre 2007 le point de cette bataille qui a opposé 25.000 manifestants «algériens», fermement  encadrés par le FLN, à 1.658 policiers et gendarmes engagés par le préfet Maurice Papon.

Cet article notait que 32 à 325 manifestants ont été tués, des dizaines jetés à la Seine, en particulier au pont Saint-Michel, 11.700 interpellés et tabassés, dont un certain nombre dans la cour de la Préfecture de Police. L’auteur se réfèrait essentiellement aux ouvrages de Jean-Luc Einaudi (la bataille de Paris, le Seuil, 1999), de Jean-Paul Brunet (Police contre FLN, Flammarion, 1999), de Raymond Muelle (7 ans de guerre en France, Grancher, 2001) et à l’article de Paul Thibaud dans l’Express d’octobre 2001. Cinq autres auteurs étaient cités (Sylvie Thénault, Jim House et Neil Macmaster, Linda Amiri et Benjamin Stora) et 6 réalisateurs de films.

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D’emblée, on notera que le chiffre de 32 tués est celui de Brunet, et 325 celui d’Einaudi. En 2007, Wikipedia ignorait des sources importantes qu'il a découvertes depuis :

- un deuxième livre de J.-L. Einaudi : Octobre 1961, un massacre à Paris, Fayard, 2001,

- un deuxième livre de J.-P. Brunet : Charonne, lumières sur une tragédie, Flammarion, 2003,

- un article du colonel Raymond Montaner : la manifestation du FLN à Paris le 17 octobre 1961, dans la revue Guerres mondiales et conflits contemporains de 2002,

- le livre de Rémy Valat : Les calots bleus et la bataille de Paris, Michalon 2007.

Restent ignorés cependant les articles de Catherine Segurane : le 17 octobre 1961, Essai de dénombrement des morts, et La propagande à l'oeuvre, dans Agoravox d'octobre 2010.

Professeur émérite d’Histoire à Normale Sup, Jean-Paul Brunet est connu comme un auteur rigoureux. Il est le seul à avoir eu accès à toutes les archives, en particulier de la PJ, des hopitaux et de l’Institut médico-légal (IML), ce qui n’est pas le cas d’Einaudi, ni de Paul Thibaud, ni de Sylvie Thénault. Pris à parti de façon polémique par J.-L. Einaudi, Jean-Paul Brunet a consacré deux chapitres de son deuxième livre à la manifestation du 17 octobre.

 

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manquements à la déontologie historique

Dans un article de la revue Commentaires de l'été 2008, il souligne de façon argumentée les manquements à la déontologie historique des Britanniques Macmaster et House, considérés comme partiaux par leurs collègues. Il souligne à nouveau les violences inadmissibles imputables (1) aux policiers "activistes", mais estime que sur 75 morts conduits à l’IML, la majorité est imputable au FLN. Examinant cas par cas la liste des 325 noms, il confirme son évaluation de 32 tués : 14 certains (2) , 8 vraisemblables, 4 probables et 6 possibles.

Il avait précisé dans l’Histoire d’octobre 2001 : 30 morts en comptant large. Le Conseiller d'État Mandelkern, chargé d'inventaire par le ministre Chevènement, relève sept victimes avérées. Dans son Histoire de la guerre d'Algérie (1992), Stora corrige son évaluation de centaines de victimes et ne parle plus que de dizaines (3). Brunet estime que les 246 morts signalés par Geronimi correspondent aux 308 cadavres (dont 60 douteux) examinés à l’IML en 1961 : 141 sont enregistrés avant le 17 octobre, et 72 après le 19. Il en est de même des 109 décès du Service des successions musulmanes, dont 55 ont eu lieu avant le 17 octobre, et 22 dont la date de décès n’est pas déterminée.

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Dans son mémoire de maîtrise, Pierre Brichard, qui a étudié les listes de ce Service, en retient une trentaine imputables à la répression policière.  L’ancien séminariste Grange ne confirme pas la mort des neuf corps couchés à l’entrée du Palais des sports, et Linda Amiri, ayant eu accès aux archives de la Fédération de France du FLN, dément le massacre dénoncé dans la cour de la Préfecture de Police (ce que confirme Montaner). Il est prouvé également que Fatima Bedar, présentée comme une martyre de la répression policière, s'est suicidée.

Le problème des noyades dans la Seine est plus difficile à élucider. Une seule noyade a été observée, au pont Saint-Michel. Au total, 34 cadavres ont été retirés de la Seine et des canaux en octobre, qui dans leur grande majorité, selon J.-P. Brunet, ne paraissent pas imputables à la répression de la police ; retenus par les barrages de Suresnes et de Bezons, ils étaient tous conduits à l'IML. Selon les harkis de Paris, les noyades étaient une pratique courante du FLN.

Mandelkern observe que les nombreux cadavres relevés dans la Seine, la Marne et les canaux, ne sont pas tous des victimes des règlements de compte FLN/MNA, etque le contre-terrorisme s'insinue. Les responsabilités sont donc partagées entre des groupes de choc étoffés du FLN-MNA, et des équipes marginales de contre-terroristes. Le professeur Brunet dénonce dans l’exploitation de cette affaire un mythe forgé pour les besoins d’une cause militante. Admirateur de Mao et de Pol Pot, "l’historien du dimanche" Einaudi se révèle un hagiographe du FLN, mouvement à visées totalitaires.

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On pourrait en dire autant d’autres auteurs. La Fédération de France ordonnait une manifestation pacifique et obligatoire; l'obligation se traduisait, selon Mandelkern, par des menaces de mort adressées aux Français-musulmans qui n'obéiraient pas à cet ordre ; quant à la consigne de manifestation pacifique, elle n'a pas empêché la présence de commandos armés qui les premiers ont ouvert le feu. Quant aux manifestants, ils ont observé ensuite la loi du silence, sauf quand il s'agissait d'accuser les forces de l'ordre.

Historien de la guerre d’Algérie, vice-président de la Commission française d’histoire militaire, et membre de l'Académie des sciences d'outremer, il me semble qu’il faut replacer cette bataille dans la stratégie générale du FLN, qui après avoir perdu les batailles d’Alger et des frontières, et se sentant humilié par les fraternisations de mai 1958, a décidé le 28 août 1958 de transporter la guerre en territoire français, et ordonné à ses commandos de combattre l’ennemi avec violence. Cette décision faisait suite à la volonté, proclamée dès 1955, d’éliminer les messalistes en Algérie et en métropole (3).

Ces deux décisions se sont traduites par le massacre en métropole d’au moins 3.957 nord-africains, 150 Européens, 16 militaires, 53 policiers et 48 harkis (le Monde du 20 mars 1962). Ces actions terroristes expliquent, sans les excuser, l’exaspération des policiers et les excès auxquels ils se sont livrés. Quant à la décision de réagir, par une manifestation pacifique, au couvre-feu imposé par la Préfecture de Police, elle n’a pas été approuvée par toutes les instances du GPRA.

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Maurice Papon, préfet de police de Paris

 

Mohammed Harbi : "des enjeux internes... des luttes pour le pouvoir"

Mohammed Harbi écrit dans le Monde du 5 février 1999 : «ce qui a joué dans le déclenchement de la manifestation du 17 octobre, ce sont plutôt des enjeux internes, voire des ambitions personnelles… On était proche de la fin… Ce sont déjà des luttes pour le pouvoir dans l’Algérie indépendante». Cette lutte sera mise en évidence par les accusations de Ben Bella contre la Fédération de France.

La Commission de sauvegarde du droit et des libertés individuels estime que le gouvernement a voulu donner satisfaction à la police. Elle constate que de nombreux disparus ont été libérés ou se trouvent à Vincennes, où le Conseiller Viatte a constaté l'entassement de 2.200 suspects pour 400 places. Son président Maurice Patin a signalé au ministre de l'Intérieur le grave problème social créé par le transfert en Algérie de chefs de familles.

Le Conseiller Damour observe que le couvre-feu a contribué à supprimer les attentats. Les arrestations opérées le 17 octobre avaient été précédées d’opérations de démantèlement des groupes armés du FLN en région parisienne. Selon le Service de coordination des Affaires algériennes (rapports des 1er et 4 décembre) 205 armes à feu, 8 bombes, 26 plastics, 106 grenades et obus ont été saisis en deux mois ; 91 responsables de groupes armés ont été arrêtés, 2.545 militants politiques transférés en Algérie.Les liaisons internes ont été rompues. Pour le présent, conclut ce rapport, la bataille de Paris ne tourne pas à l’avantage du FLN.

Maurice Faivre
le 15  octobre 2011.

(1) "inadmissibles mais secondaires", déclare de Gaulle, qui selon Messmer partage avec le gouvernement la responsabilité de la répression. L'imputation, imaginée par un historien anticolonialiste connu, de l'initiative de Debré, qui aurait  provoqué la répression pour nuire aux négociations engagées par le général de Gaulle, traduit une méconnaissance profonde du fonds privé de Michel Debré.
(2) C’est le chiffre retenu par le colonel Montaner, ancien chef de la Force de police auxiliaire.
(3) Dans sa préface à la bande dessinée de Didier Deaminck et Mako, Stora revient à sa première évaluation (Mediapart du 23 septembre 2011).
(4) réf. Jacques Valette. La guerre d'Algérie des messalistes. L'Harmattan 2001.

 

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- critique du livre de Jean-Paul Brunet par Emmanuel Blanchard (2003)

- voir aussi : les victimes du 17 octobre 1961 ? selon Jean-Luc Einaudi (commentaire critique par Michel Renard)

 

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13 octobre 2011

Séminaire de recherche du Centre d’histoire de Sciences Po

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Histoire des colonisations européennes

(XIXe-XXe siècles) :

sociétés, cultures, politiques

Amaury LORIN et Christelle TARAUD

 

Séminaire de recherche du Centre d’histoire de Sciences Po, 56 rue Jacob, 75006 Paris

Le dernier mercredi de chaque mois de 16h30 à 19h00, salle du Traité Programme 2011-2012

 

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Mercredi 26 octobre 2011 : Histoire intime des colonisations européennes

Ann Laura Stoler (New School for Social Research, New York) : «Beyond Sex: Bodily Exposures of the Colonial and Postcolonial Present».
[Séance couplée avec le séminaire Le genre en situation coloniale et postcolonialede Christelle Taraud à l’Université de New York en France].

Mercredi 30 novembre 2011 : Histoire culturelle des colonisations européennes

Julie Champrenault (Centre d’histoire de Sciences Po) : «Culture et empire : une société théâtrale en situation coloniale (Algérie 1946-1962)».
Jann Pasler (Université de Californie à San Diego/EHESS) : «Race et musicologie dans la France des années 1890».

Mercredi 18 janvier 2012 : Biographie et colonisation

Edward Berenson (Institut d’études françaises, Université de New York) : «Les héros de l’empire (1870-1914) : à propos de Heroes of Empire: Five charismatic Men and the Conquest of Africa, Berkeley, UCP, 2010».

Isabelle Dion (Archives nationales d’outre-mer) : «À propos de Auguste Pavie : l’explorateur aux pieds nus (Cambodge-Laos), Aix-en-Provence, ANOM, 2010».

 

Mercredi 29 février 2012 : Loisirs en situation coloniale

Paul Dietschy (Université de Franche-Comté/Centre d’histoire de Sciences Po) : «Le football africain, entre domination coloniale et émancipation».

Eric T. Jennings (Université de Toronto) : «À propos de À la cure, les coloniaux ! Thermalisme, climatisme et colonisation française, Rennes, PUR, 2011».

Mercredi 28 mars 2012 : Utopies et idées coloniales

Thomas Bouchet (Université de Bourgogne/Association d’études fouriéristes) : «Hordes et essaims : les ailleurs de Charles Fourier».

Michel Levallois (Académie des sciences d’outre-mer/Société d'études saint-simoniennes) : «Royaume arabe ou Algérie franco-musulmane ? Le combat du saint-simonien Ismaÿl Urbain (1812-1884)».

Mercredi 25 avril 2012 : Histoire mondiale des colonisations européennes : les matières premières

Xavier Paulès (EHESS) : «Opium et colonisation en Asie : à propos de L'opium : une passion chinoise (1750-1950), Paris, Payot, 2011».

Stéphanie Samson (Université Paris Ouest Nanterre) : «En attendant l’or : une histoire souterraine de la colonisation française en Afrique noire : explorations, prospections, économie minière (1850-1940)».

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13 octobre 2011

l'identité pied-noir sur France Culture

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«La fabrique de l’Histoire» et

l’identité pieds-noirs

Michel LAGROT

 

La chaine FM France Culture, qui décidément s’intéresse beaucoup à l’Algérie française ces temps ci pour le pire plus que pour le meilleur, vient de commettre une émission de plus dans le cadre de la bien nommée série «La fabrique de l’Histoire» (22 septembre 2011).

Il s’agissait de rechercher et définir «l’identité pieds noirs»… ce qui a été déjà tenté : à cet égard on peut s’étonner de l’absence au débat de Mme Verdes-Leroux, qui fut la seule à sonder en profondeur notre communauté. Au lieu de quoi, d’autres auteurs au nombre de quatre menèrent la discussion, dont Savarese, historien mais surtout idéologue et agitateur, dont le fil conducteur intellectuel est une haine pathologique des Français d’Algérie.

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Le débat s’ouvre sur une effarante affirmation : les Pieds Noirs sont une «catégorie sociale», en somme comme les mineurs de fond, les retraités fonctionnaires ou les joueurs de pétanque… les Bretons ou les Alsaciens sont ils une catégorie sociale ? la question n’est pas posée…. puis, et là rendons grâce aux intervenants, on nous a épargné les habituelles sottises sur l’origine du mot, les bottes des soldats de la conquête etc. , relevant seulement l’origine marocaine du sobriquet et surtout son apparition tardive dans l’Histoire. Cela devait être dit.

Sur la définition du groupe appelé «Pieds noirs», confusion totale. Une définition juridique a été proférée, qui est une monstruosité : outre qu’un sobriquet ne définit pas une entité juridique, donner comme définition «population qui, en Algérie, jouissait de la citoyenneté française et avait le droit de vote» est malhonnête. Cela  part de l’éternel postulat suivant lequel les musulmans étaient interdits de vote, ce qui est ignorer la possibilité pour tous de renoncer au statut personnel en acquérant la citoyenneté par simple acte volontaire, l’existence du 2eme collège et la dévolution automatique de la citoyenneté à certaines catégories telles que les anciens combattants. Vieille antienne ! peu glorieuse pour des « historiens »…

De plus cette définition inclut les Juifs immémorialement installés en Algérie, citoyens français depuis le décret Crémieux, mais Pieds Noirs par communauté de destin seulement.

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Il serait tellement plus simple d’énoncer qu’est réputé Pieds Noirs celui qui, d’origine européenne, est immigré, né ou installé en Algérie de 1830 à 1962…  sans oublier que le terme s’applique à la Tunisie et au Maroc avec les correctifs de date appropriés. Le sens commun s’y retrouverait !

Les débateurs se sont évertués à prouver que ce groupe humain , qui à leurs yeux n’est pas une « communauté », ce que nous leur concédons aisément, n’a pris conscience de sa personnalité qu’après l’exode, sous la forme folklorique associative etc..

Observons d’abord que la conscience de son originalité, et surtout de son évolution spécifique, est apparue dès la fin du XIXe siècle et très explicitement formulée par les écrivains algérianistes , donc par des intellectuels lucides, à partir de 1910 ; mais dans la sensibilité populaire, si cette conscience n’était pas formulée, elle se manifestait avec force. À tout Européen d’Algérie qui visitait sa métropole pour la première fois, effaré par l’abyssale ignorance qu’on y manifestait sur notre province, le sentiment de sa «différence» était aveuglant ! Il l’est encore de nos jours, plus encore peut être…

Le débat a porté évidemment sur la cohésion de cette population sur le sol métropolitain après l’exode de 1962, non sans avoir escamoté la période si traumatisante des derniers mois sur le sol algérien.

Peu de mots sur le refus de nous accueillir, l’hostilité des politiques, l’arbitraire de l’administration… sans doute n’était ce pas le sujet, mais comment comprendre sans tenir compte de facteurs si importants ? Une fois de plus, on nous concède du bout des lèvres que nous sommes des victimes, mais … n’en abusons pas !

On relèvera au passage une phrase montrant la profondeur de l’incompréhension des intellectuels : il parait que nos concitoyens étaient bien aises d’avoir … «retrouvé la paix» en arrivant dans la métropole… sans doute faut il avoir vécu ces évènements pour sentir une vérité toute simple : il y a pire que de faire une guerre, c’est de la perdre….

Le procès nous est fait au passage de cultiver abusivement le mythe du pionnier défricheur. Faut il rappeler l’effroyable coût humain de la colonisation, les résultats spectaculaires obtenus, l’œuvre accomplie, pour justifier la fierté des «colons», au sens large ? Et pourquoi le mythe du pionnier américain, qui fait la fierté de l’Amérique et dont l’aventure est tellement semblable, serait il plus naturel que le notre ?

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Il est vrai que la composition sociologique de la population européenne d’Algérie semble ignorée de ces  «spécialistes» qui ont affirmé dans l’émission qu’elle comportait 30% de fonctionnaires, chiffre extravagant et sorti d’un chapeau pour l’occasion, sans doute pour «faire colonial».

Un des débateurs s’est appliqué à démontrer que la cohésion des Pieds Noirs aujourd’hui en France ne signifie plus grand chose, ce qui après un demi siècle serait bien naturel. C’est vouloir ignorer l’extraordinaire vitalité des rassemblements associatifs périodiques, malgré les effets ravageurs de l’âge et de la dispersion. Il est bon d’avoir noté, portons le au crédit des intervenants, que les revendications émises sont essentiellement et depuis longtemps d’ordre mémoriel et identitaire.

Mais ce qui aurait du être dit est que notre sentiment de solidarité vient aussi de la discrète persécution opérée à notre encontre depuis deux générations, le mensonge officiel sur notre histoire, la censure constante de nos communiqués, le boycott de nos cérémonies, les déclarations insultantes de nos ambassadeurs en Algérie, le truquage des statistiques, le sabotage de nos réalisations mémorielles, le mépris de nos morts, le déni de nos droits , la diffamation entretenue à notre encontre jusque sur les bancs de l’école oû les enfants doivent souffrir d’entendre insulter leurs pères, le barrage médiatique etc.. L’intégration matérielle réussie de ce peuple pieds noirs en France masque ce statut inexprimé de communauté opprimée. Et qui ne veut pas saisir cela n’a rien compris …

L’émission s’est voulu rassurante en abordant, vieux serpent de mer, la question du vote pieds noirs, en affirmant qu’il n’existe pas. Sans doute : cela veut il dire pour autant que ces Français votent comme les autres ? pas sur…. rappelons tout de même qu’à une certaine élection déjà lointaine, la commune la plus pieds noirs de France, Carnoux, avait affiché un résultat unique dans la métropole. Spécificité ?

En fin de débat on a eu droit à la cerise sur le gateau, lorsqu’un des débateurs a paru s’étonner que ces ingrats de Pieds noirs soient unanimes à ne pas reconnaître ce que l’Etat avait fait pour eux ! Avant de tirer le rideau sur ce morceau d’humour noir, rappelons nous que les promesses d’Evian étaient d’abord l’inscription dans la loi d’une juste indemnisation pour ceux qui seraient dépossédés.

Après quoi et quelques années écoulées le président Pompidou déclarait froidement que la loi n’était pas faite pour reconstituer les fortunes… puis, après des versements étalées sur trente ans, un bilan s’établissant à moins de 20% d’indemnisation des patrimoines spoliés. Et des saisies aujourd’hui encore, en violation de la loi, pour des débiteurs en faillite octogénaires …

C’est beau, c’est grand, c’est généreux, la France !

Michel Lagrot
Hyères le 23/09/2011

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- France Culture, émission du 22 septembre 2001

 

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12 octobre 2011

DVD Harkis, histoire d'un abandon

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Harkis, histoire d'un abandon

un DVD

général Maurice FAIVRE

 

Ce remarquable DVD vient de sortir à l’ECPAD, en collaboration avec Secours de France et la chaîne Histoire. Rappelons que Secours de France, créé par Clara Lanzi en 1961 pour venir en aide aux «victimes de leur foi en la Patrie», avait retiré son appui en 2010 au film de Costelle- Clarke  «La blessure, la tragédie des harkis», jugé tendancieux sur le fond.

Jean-Marie Schmitz, président actuel de Secours de France, officier de réserve et promoteur en 2002 du Livre blanc de l’armée française en Algérie, a donc fait appel à Marcela Feraru, une journaliste roumaine qui avait réalisé le DVD «Face à la mort» sur les prisonniers du Vietminh. Celle-ci a recueilli les témoignages de nombreux harkis dont les états de service sont manifestes, de fils et de filles de harkis, et de quelques officiers qui les ont commandés et accompagnés lors du rapatriement.

Des images d’archives rappellent l’histoire de l’Algérie depuis St Augustin, la piraterie barbaresque et la conquête de 1830. Tous les témoins évoquent ensuite les raisons de leur engagement et de leur combat aux côtés de l’armée française, et les conditions de leur abandon en 1962. L’étudiante Karima Chalaal assiste aux entretiens et exprime sa fierté d’être fille de harki.

Le film fait donc connaître aux Français d’aujourd’hui ce qu’ils doivent d’estime et de reconnaissance à ceux qui ont combattu pour un noble idéal : une Algérie nouvelle, fraternelle et en paix. Le film, dont le texte est lu par Jean Piat, dure 90 minutes.

Maurice Faivre
le 7 octobre 2011

 

P.S. Le DVD peut être commandé au prix de 14,90 euros, port inclus :

- soit à l’ECPAD, 2 à 8, route du Fort, 94205  Ivry-sur-Seine Cedex,

- soit à Valmonde-Diffusion, 5 rue St Georges, 75009.

 

- un remarquable documentaiee retrace la tragédie des harkis

 

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soldats harkis de l'armée française en Algérie

 

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11 octobre 2011

Histoire du Vietnam contemporain, Pierre Brocheux

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Histoire du Vietnam contemprain

la nation résiliente

Pierre BROCHEUX

 

Quatrième de couverture

L'histoire contemporaine du Vietnam est dominée par l'occupation du pays par les Français, par trente années de guerre et par la résilience d'un État national séculaire.

Grâce à sa connaissance des sources vietnamiennes, américaines et françaises, Pierre Brocheux propose un récit original - en même temps que l'analyse - de la gestation douloureuse d'un Vietnam moderne. Il souligne combien le moment colonial, pour avoir été un intermède court à vue historique, a transformé la société et la culture nationales.

Pour autant, le Vietnam n'est nullement «sorti d'Asie pour entrer dans l'Occident» : qu'il s'agisse de religion, de mode de vie et de pensée, de vision de l'avenir, le Vietnam contemporain offre le spectacle étonnant de sédimentations nettement repérables depuis le lointain héritage Viêt jusqu'à l'apport chinois ou américain. Cette synthèse pionnière permet de comprendre la place particulière du Vietnam dans l'Extrême-Orient d'aujourd'hui comme dans la mémoire française. [sortie le 5 octobre 2011]
 

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Pierre Brocheux

 

9782213661674-1

 - acherez le livre de Pierre Brocheux (livraison gratuite)

 

Rappel

9782846541978FS

- acheter Une Histoire économique du Vietnam (livraison gratuite)

 

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- Cf. http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/2010/04/12/17565239.html#trackbacks

 

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10 octobre 2011

"commémorations" du 17 octobre 1961

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 manifestation parisienne du 17 octobre 1961

général Maurcice FAIVRE

 

Les anticolonialistes et les municipalités qui les soutiennent ont ouvert les hostilités du 50e anniversaire. La première bataille concerne la répression de la manifestation parisienne du 17 octobre 1961.
Des historiens engagés soutiennent la légende des 200 noyés dans la Seine. Les travaux de Jean-Paul Brunet, ex-professeur à Normale Sup, sont ignorés.
Une bande dessinée de Didier Deaminck, préfacée par Benjamin Stora, rend hommage à Fatima Bedar, dont il est prouvé qu'elle s'est suicidée.

Voici quelques-unes des manifestations prévues :
- le 7 octobre à Nanterre, conférence-débat de Med Barkat et Manceron, inauguration du boulevard du 17 octobre
- le 10 octobre au Cabaret sauvage, rencontre des indignés : Stora, Plenel, Lalaoui, Assouline, D.Mermet, St. Hessel,
- le 13 octobre à Aubervilliers, inauguration de la place du 17 octobre, avec Manceron, Remaoun, Aounit
- le 14 octobre à Nanterre, projection du film de Yasmina Adi : Ici on noie des Algériens,
- le 14 octobre au Centre culturel algérien, pièce de théâtre engagée,
- le 15 octobre à Nanterre, colloque avec S.Thénault, Em.Blanchard,  Macmaster, Djerbal, Mhamed Kaki, Lalaoui,
Med harbi V.Collet et J.Luc Einaudi. Témoignages de M.Hervo, N.Rein, MC Blanc-Chaleard.
Projection du film autrefois interdit de Panijel : Octobre à Paris;
- le 15 octobre à l'Assemblée nationale, colloque autour des films de  Panijel, Yasmina et Daniel Kupferstein.
Table ronde avec E.Blanchard, Manceron, Einaudi, Harbi, House, Macmaster, Remanoun et Ruscio.
- le 16 octobre à Colombe, projection du film de Yasmina Adi
- le 17 octobre à Nice, conférence du Consul d'Algérie !
Défilé à Paris jusqu'au pont St Michel
- le 20 octobre à l'Agora de Nanterre, conférence-débat de JJL Einaudi,
- le 22 octobre à la Mairie de Paris, Festival de Maghreb du film, par  l'Espace parisien Histoire-mémoire de la guerre d'Algérie
Projection des films de Panijel et Yasmina Adi, avec Manceron , le  MRAP, et la LDH.

Je diffuserai ultérieurement le point de vue des historiens sérieux.


Maurice Faivre

17Octobre

 

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9 octobre 2011

la Mosquée de Paris sous l'Occupation, 1940-1944 - DOSSIER

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Résistance à la Mosquée de Paris :

histoire ou fiction ?

 Michel RENARD


Le film Les hommes libres d'Ismël Ferroukhi (septembre 2011) est sympathique mais entretient des rapports assez lointains avec la vérité historique. Il est exact que le chanteur Selim (Simon) Halali fut sauvé par la délivrance de papiers attestant faussement de sa musulmanité. D'autres juifs furent probablement protégés par des membres de la Mosquée dans des conditions identiques.

Mais prétendre que la Mosquée de Paris a abrité et, plus encore, organisé un réseau de résistance pour sauver des juifs, ne repose sur aucun témoignage recueilli ni sur aucune archive réelle. Cela relève de l'imaginaire.

Mon travail en archives depuis des années, me permet de rectifier ces exagérations et de ramener la réalité à ce qu'elle a eu de plus banale.

Le recteur Si Kaddour Ben Ghabrit fut une incontestable personnalité franco-musulmane ayant joué, au service de la diplomatie française et la défense des intérêts musulmans, un rôle primordial dès le début du siècle. Il entre dans les cadres du ministère des Affaires étrangères dès 1892. Kaddour Ben Ghabrit a su dépasser le dualisme de la confrontation et expérimenté la combinaison des cultures et des dynamiques de civilisation. Pièce maîtresse de la réalisation de la Mosquée de Paris, de 1920 à 1926, il l'a ensuite dirigée jusqu'à sa mort en 1954. Quel fut son rôle sous l'Occupation ?

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Si Kaddour ben Ghabrit et le prince Ratibor

Il n'a pas été un collaborateur, n'ayant fourni aucun renseignement, aucune aide ni à l'armée ni à la police allemande, pas plus qu'aux services de Vichy collaborationnistes. Il n'a pu éviter ni les demandes d'audience ni quelques photos prises notamment lors de la remise à ses fonctions premières de l'Hôpital franco musulman en février 1941 en présence du prince Ratibor, représentant allemand de la place de Paris. C'est tout.

Mais il a refusé toute photo prise dans l'enceinte de la Mosquée, comme il a habilement repoussé tout appui à une déclaration du mufti de Jérusalem, collaborant avec l'Allemagne nazie, pour un appel au soulèvement des peuples musulmans colonisés par la France et la Grande-Bretagne. Il s'est toujours réfugié derrière la distinction du religieux et du politique. À la Libération, il fut accusé par certains d'avoir été complaisant avec les Allemands. Et a dû se défendre.

Or, j'ai découvert les rapports écrits par Si Kaddour Ben Ghabrit lui-même, par Rageot, consul de France au ministère des Affaires étrangères, chargé depuis 1940 de suivre les affaires de la Mosquée de Paris, et par Rober Raynaud, secrétaire général de l'Institut musulman depuis sa création. Ces écrits furent remis au capitaine Noël, officier d'ordonnance du général Catroux à l'Hôtel Intercontinental le 22 septembre 1944. Ils concernent tous l'activité de la Mosquée sous l'Occupation.

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le général Catroux

Voici le témoignage de Rageot : "Je dois dire que j'ai moimême été tenu au jour le jour, exactement informé de ce qui se passait, coups de téléphone, demandes d'audience, conversations, démarches, etc... et que M. Ben Ghabrit et moi nous sommes régulièrement concertés sur l'attitude à observer et les réponses à faire. Nous ne pouvions demeurer invulnérables qu'à deux conditions : rester sur le terrain religieux et nous abstenir de toute politique. M. Ben Ghabrit y a parfaitement réussi.
Sur le terrain cultuel, en multipliant son aide et ses soins aux musulmans, prisonniers ou civils qui ont afflué à la Mosquée chaque année de plus en plus nombreux. Sur le terrain politique, en s'abstenant de prendre parti dans les questions touchant à la collaboration, au séparatisme, au Destour et d'une façon plus générale, de répondre aux attaques dont la Mosquée a été l'objet de la part de musulmans à la solde de l'ambassade. Jamais, en cette matière, M. Ben Ghabrit ne s'est laissé prendre en défaut et il a su imposer la même discipline à son personnel religieux. En cela il s'est attiré personnellement et à plusieurs reprises l'animosité des autorités allemandes."

Par contre, aucun de ces mémorandums ne mentionne la moindre activité de résistance, ce qui aurait constitué – si cela avait été vrai – la meilleure défense contre l'accusation de collaboration.

La seule mention d'une activité de résistance organisée et systématique en faveur des juifs et d'autres (communistes, francs-maçons) par la Mosquée de Paris provient d'un témoignage postérieur et unique, celui d'Albert Assouline, aujourd'hui disparu. Il a écrit dans le Bulletin des Amis de l'islam, n° 11, 3e trimestre 1983, déposé aux archives de la Seine-Saint-Denis. Mais ce n'est pas une "archive".

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le Dr Albert Assouline, image tirée du documentaire de Derri Berkani (1990)

Il a ensuite réitéré ses affirmations dans le documentaire, Une résistance oubliée… la Mosquée de Paris, 40 à 44 dû à Derri Berkani en 1990. Mais Assouline ne parle pas de réseaux de résistance et ses propos empathiques sur des centaines de personnes abritées et sauvées sont suspects aux yeux de l'historien qui cherche à confronter les témoignages et à les recouper. Je pourrai prouver qu'il se trompe sur un point précis concernant le sort d'une importante personnalité française qui n'a jamais été accueillie par la Mosquée contrairement à ce que dit Assouline. De toute façon, jamais aucun témoin n'a corroboré ses dires.

L'activité de la Mosquée de Paris sous l'Occupation a essentiellement consisté à assurer les ablutions, ensevelissements et obsèques de 1500 musulmans décédés à leur domicile, dans les hôpitaux, les prisons ou les sanas ; à distribuer des denrées, des secours et vêtements aux indigents, aux prisonniers libérés, évadés ou en situation irrégulière. Des repas ont été servis tous les vendredi au restaurant de la Mosquée, réservés plus spécialement aux prisonniers musulmans en traitement dans les hôpitaux et en instance de libération.

Trois fêtes musulmanes ont été célébrées chaque année : Aïd-Es-Seghir, Aïd-El-Kebir et Mouloud. Ces fêtes ont toujours revêtu un caractère purement religieux et aucun élément étranger à l'Islam n'a été autorisé à assister à ces manifestations. Les imams de la Mosquée de Paris se rendaient fréquemment en province pour assister aux obsèques de militaires musulmans prisonniers de guerre etc...

Mais ces histoires d'évasions rocambolesques par les souterrains de la Mosquée et les égouts menant à la Seine relèvent d'une littérature à la Alexandre Dumas ou Eugène Sue. Pas de la réalité historique. Il est quand même surprenant que la fiction l'emporte à ce point sur la vérité. On ne manie pas impunément le réel historique. 

Michel Renard, historien, chercheur
Co-auteur de Histoire de l'islam et des musulmans en France
(Albin Michel, 2006)
et Histoire de la Mosquée de Paris (à paraître chez Flammarion).

 

- cet artucle a été édité sur le site Rue89 : http://www.rue89.com/2011/10/01/resistance-a-la-mosquee-de-paris-histoire-ou-fiction-224418, le 1er octobre 2011

 

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- Daniel Lefeuvre a fait parvenir cette autre critique au site Rue89 qui ne l'a pas publiée...

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"Les hommes libres"

et les approximations historiques

Daniel LEFEUVRE


La sortie, mercredi 28 septembre 2011, du film Les hommes libres s’accompagne de la diffusion d’un dossier pédagogique, destiné aux professeurs de collège et de lycée. L’objectif est assumé : susciter des sorties scolaires et transformer une œuvre, ô combien de fiction comme le démontre l’historien Michel Renard, en «document» historique[1].

Pour asseoir auprès du public et du monde enseignant la crédibilité historique du film, le metteur en scène s’est attaché la participation de Benjamin Stora dans la rédaction de ce dossier. Dès lors, il n’est pas déplacé d’en mesurer la pertinence scientifique. Et, autant le dire tout de suite, certaines affirmations de Benjamin Stora laissent stupéfait.

Ainsi, comment peut-il affirmer que «dans l’Algérie de l’époque, les Algériens musulmans n’avaient pas la nationalité française. Ni Français, ni étrangers : ce sont donc des "hommes invisibles" qui n’auraient donc "aucune existence juridique ou culturelle"» ?

 

Pas Français, les Algériens musulmans ?

On peut admettre que B. Stora ignore que, dès les années 1840, la nationalité française a été reconnue aux Algériens musulmans – comme d’ailleurs aux Juifs de l’ancienne Régence – par plusieurs arrêts de la Cour supérieure d’Alger qui rappelle, en 1862, que «tout en n’étant pas citoyen, l’Indigène est Français»  et de la Cour de Cassation qui stipule que «la qualité de Français est la base de la règle de leur condition civile et sociale». Il est, en revanche, incompréhensible qu’il ignore  le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 qui confirme que «l’indigène musulman est Français».

Bien d’autres dispositions, dans le droit du travail, comme l’accès à la plupart des emplois à la fonction publique (à l’exception de quelques fonctions d’autorité), consacré par la loi Jonnart de 1919 ou l’intégration des travailleurs algériens dans la sphère de protection de la main-d’œuvre nationale du 10 août 1932, etc. suffisent à démontrer que les Algériens disposent bien de la nationalité française.

Autre confirmation : répondant à une enquête prescrite en juillet 1923 par le ministre de l’Intérieur sur «la situation des indigènes originaires d’Algérie, résidant dans la métropole[2]», le préfet de Paris avoue son incapacité à fournir des informations détaillées car, contrairement aux étrangers, les Algériens, «sujets français», ne sont astreints «à aucune déclaration de résidence, ni à faire connaître leur arrivée ou leur départ».

D’ailleurs, au grand dam du gouverneur général de l’Algérie, qui s’en plaint auprès du ministre de l’Intérieur, certaines municipalités, principalement communistes, n’hésitent pas à délivrer à ces Français des cartes d’électeurs !

 

Les Algériens sont-ils, en métropole,

des «hommes invisibles» ? autre assertion étonnante.

Pour le pire et le meilleur, la présence des Algériens en métropole est loin d’être invisible. Combattants aux côtés des Poilus de métropole et des Alliés, travailleurs venus complété les effectifs de l’industrie et de l’agriculture, les Algériens ont noué des liens, parfois étroits, avec les Français qu’ils ont côtoyés lors de la Première Guerre mondiale.

Cette participation à l’effort de guerre a laissé des traces, y compris dans le paysage : des tombes musulmanes sont présentes dans les carrés militaires, une kouba est édifiée, en 1919, au cimetière de Nogent-sur-Marne pour rendre hommage aux soldats musulmans morts pour la France. Enfin, l’existence de la Grande Mosquée de Paris, inaugurée par les plus hautes autorités de l’État en 1926, ne rend-elle pas visible cette présence au cœur de la capitale ?

À Paris encore, mais aussi en banlieue, le Bureau des Affaires Indigènes (BAI) de la Ville de Paris, créé en mars 1925, ouvre à l’intention des Algériens des foyers rue Leconte, à Colombes, à Gennevilliers et à Nanterre ainsi que deux dispensaires. C’est également à son initiative qu’est construit l’hôpital franco-musulman de Bobigny, inauguré en 1935, auquel est adjoint, en 1937, un cimetière musulman.

Le BAI s’est également préoccupé de l’importance du chômage qui touche de nombreux Algériens du département de la Seine, dès la fin des années 1920. Une section de placement est créée à cet effet : entre 1926 et 1930, 15 130 chômeurs ont bénéficié de son concours.

Progressivement, ses activités se sont élargies : assistance juridique aux accidentés du travail pour faire valoir leurs droits et obtenir le versement des indemnités ou des rentes auxquelles ils peuvent prétendre (1 534 dossiers traités) ; démarches en vue du versement des primes de natalité et indemnités pour charges de famille (9 696 dossiers). On peut estimer insuffisante l’ampleur de l’action entreprise, en particulier en matière d’habitat.

On peut également trouver, dans cette sollicitude des autorités parisiennes à l’égard des Nord-Africains du département de la Seine, une volonté de contrôle – sanitaire et politique – et pas seulement l’expression de sentiments philanthropiques. Mais, outre qu’il est impossible de nier l’intérêt qu’elle a représenté pour ses bénéficiaires, en particulier pour les milliers de patients pris en charge par les dispensaires ou l’hôpital franco-musulman, elle prouve la visibilité des Algériens et l’attention que leur portent les autorités départementales.

C’est bien aussi parce qu’ils sont visibles et, à ses yeux potentiellement dangereux, que la Préfecture de Police juge utile de créer une Brigade nord-africaine quelques semaines après la création du BIA – également située rue Leconte mais qui ne se confond pas avec le BAI - chargée de surveiller, avec moins d’efficacité qu’on le prétend généralement -, les Algériens du département de la Seine.

 

Victimes du racisme de la population métropolitaine ?

Le procès, une nouvelle fois, mérite d’être instruit avec plus de nuance. Certes, des sentiments racistes se manifestent et on en trouve bien des traces, dans l’entre-deux-guerres, dans la presse de droite. Sont-ils aussi généralisés que Benjamin Stora le sous-entend ?

Laissons la parole à l’une de ces prétendues victimes de l’ignorance, du mépris et du racisme des Français. Quel souvenir garde-t-il en mémoire de sa vie à Paris au cours des années vingt ? : «Nous étions unanimes à nous réjouir de l’attitude de sympathie des populations à notre égard, et à faire une grande différence entre les colons d’Algérie et le peuple français dans leur comportement avec nous. Les gens nous manifestaient du respect et même une grande considération mêlée de sympathie.»[3]

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Messali Hadj, leader du nationalisme algérien
marié avec une Française

Paroles d’un «béni-oui-oui» aux ordres de l’administration ? Non. Éloge du peuple français extrait des Mémoires de Messali Hadj, le père fondateur du nationalisme algérien lui-même, que Benjamin Stora connaît bien mais qu’il semble avoir oublié le temps d’un film !

D’autres sources rapportent cette «sympathie», cette fois pour s’en inquiéter. En juillet 1919, l’administrateur de la commune-mixte de Ténès rapporte que les Algériens de sa commune, revenus de France, «ont été particulièrement sensibles aux marques d’affabilité et de politesse, quelque fois exagérées, que leur ont prodiguées nos compatriotes, ignorants de leurs mœurs et de leur esprit ; mais ces démonstrations auxquelles ils n’étaient pas accoutumés les ont conduits, par comparaison, à penser que les Algériens, les colons en particulier, n’avaient pas pour eux les égards qu’ils méritaient. Un simple khamès débarquant en France devenait un “sidi” […]. Il est donc indéniable que le séjour en France des travailleurs coloniaux les a rapprochés des Français de la métropole[4]».  

Ce «rapprochement», Genevière Massard-Guilbaud en montre un aspect dans son ouvrage Des Algériens à Lyon de la Grande Guerre au Front populaire [5] qui met en évidence une proportion particulièrement importante de mariages avec des Françaises métropolitaines, dès les années 1930. Selon cette historienne, «contrairement à l’image qu’on a donnée d’eux, les Algériens de cette époque s’intégraient mieux que d’autres en France, dans la classe ouvrière ou la petite bourgeoisie commerçante. Le grand nombre de mariages mixtes n’en est-il pas un signe ? Dans quelle communauté étrangère d’ancienneté comparable en France en rencontre-t-on autant ?»

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Dépourvus d’existence culturelle ?

On se demande alors à quoi pouvait bien répondre la Grande Mosquée de Paris et le cimetière musulman de Bobigny, si ce n’est aux besoins culturels et cultuels des musulmans du département ? Mais il existe bien d’autres manifestations[6] de cette existence et de sa prise en compte : respect par l’Armée des prescriptions en matière d’alimentation, des fêtes et des rites funéraires musulmans ; aménagement, avant la Première Guerre mondiale, par la Compagnie des mines d’Auby-les-Douai (département du Nord), d’un lieu de prière pour ses ouvriers musulmans. Benjamin Stora entre sur ce plan en contradiction avec lui-même, quand il rappelle que c’est à Paris qu’est né, avec la création en 1926, de l’Étoile Nord-Africaine, le nationalisme algérien organisé et qui regroupe, en métropole, environ 3 000 militants. N’est-ce pas là une manifestation culturelle autant que politique ? C’est à Paris, également, que sont publiés journaux et revues nationalistes. Enfin, le film et le dossier rappellent qu’il existe à Paris de nombreux cabarets «orientaux» comme le Tam-Tam, La Casbah, El Djezaïr ou encore El Koutoubia.

Enfin, Benjamin Stora affirme qu’après le débarquement anglo-saxon en Afrique du Nord (novembre 1942) «coincé par les autorités allemandes qui le pressent […] de collaborer franchement», le directeur de la Mosquée a été «obligé de se soumettre».

Kaddour Ben Ghabrit collaborateur ? L’accusation est grave. Elle mériterait d’être étayée. Comment, par quels actes, par quels propos cette collaboration s’est-elle manifestée ? Dans quelles circonstances ? il ne nous le dit pas. Comment admettre une telle liberté vis-à-vis de la méthode historique qui exige, pour toute affirmation,  l’administration de preuves.

Le film et le dossier pédagogique témoignent aussi d’un angélisme confondant. Magnifiant, en l’amplifiant démesurément, le soutien que la Mosquée a pu apporter à quelques Juifs pendant l’occupation allemande, il laisse ignorer la profondeur de l’antijudaïsme d’un nombre considérable d’Algériens musulmans, qui s’est manifesté dans les émeutes qui ensanglantèrent Constantine en août 1934 et qui s’exprime tout au long de la guerre et ultérieurement.

Ainsi, en mars 1941, le CEI – équivalent en Algérie au service métropolitain des Renseignements généraux – note-t-il que «L’abrogation du décret Crémieux avait été quand elle fut connue, accueillie avec une grande joie par les Musulmans.» Cet antijudaïsme se rencontre même parmi les Algériens les plus libéraux et les plus laïques comme en témoigne cette lettre de Ferhat Abbas au préfet d’Alger, datée du 30 janvier 1943, connue de Benjamin Stora, et dans laquelle on retrouve bien des poncifs de l’antisémitisme :

- « Il me parvient de tous côtés que certains éléments importants de la population juive s’emploient à dénigrer systématiquement, auprès des Anglo-Américains, les Musulmans algériens. Je fais appel, Monsieur le Préfet, à votre haute autorité pour intervenir auprès des dirigeants israélites afin de mettre un terme à cette propagande insidieuse et malhonnête. Ce n’est pas la première fois que les juifs adoptent une double attitude et se livrent à un double jeu. Le torpillage du Projet Viollette en 1936 est encore présent à notre mémoire. Il convient, dans leur propre intérêt, de les persuader que les méthodes d’hier sont périmées et que nous nous devons, les uns et les autres, une franchise et une loyauté réciproques. Si cette franchise et cette loyauté n’étaient pas en mesure de faire de nous des amis, elles éviteraient pour le moins de faire de nous des ennemis. Et c’est beaucoup.»

Cet antijudaïsme culturel a-t-il disparu lors de la traversée de la Méditerranée ? En tout cas, de nombreux maghrébins parisiens, notamment d’anciens nationalistes – mais il faut le souligner exclus du parti par Messali Hadj dont l’attitude est, sur ce plan, irréprochable – ont collaboré avec l’occupant et les collaborationnistes français, par la propagande – en exprimant un antisémitisme violent - et comme supplétifs de la Gestapo dans la chasse aux résistants et aux juifs.

Au total, trop d’erreurs, parfois grossières, trop d’affirmations non étayées, trop de non-dits entachent ce dossier pour qu’il constitue un outil pédagogique fiable et dont on puisse en recommander l’usage aux professeurs, d’autant que, dans les documents proposés à la réflexion des élèves, la confusion est entretenue en permanence entre immigrés d’origine étrangère et Algériens, ce qui ouvre à des contresens.

Par ailleurs, je ne prête évidemment aucune arrière-pensée, ni au metteur en scène, ni à Benjamin Stora et je suis persuadé de leur entière bonne foi lorsqu’ils espèrent que le film permettra de rapprocher les communautés musulmanes et juives de France. Je ne peux qu’exprimer mon scepticisme à cet égard. Une autre conclusion, lourde de menaces, pourrait en être tirée, au moment même où l’Autorité palestinienne s’efforce de faire reconnaître l’existence d’un État palestinien contre la volonté d’Israël : les Juifs sont décidément bien ingrats vis-à-vis des Musulmans qui ont tant fait et pris tant de risques, sous l’Occupation, pour les sauver de la barbarie nazie.

Daniel Lefeuvre
Professeur d’histoire contemporaine, Université Paris 8 Saint-Denis

 



[1] Preuve de cette confusion, le libellé de la question n° 3, activité 3, p. 21 du dossier : «d’après le film, quelles actions les résistants maghrébins entreprennent-ils contre l’Occupant ?».

[2] Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), 9 H / 112.

[3] Cité par Benjamin Stora, Ils venaient d’Algérie, Fayard, 1992, p.15.

[4] ANOM, Alger, 2 I 49, Enquête sur l’état d’esprit des travailleurs coloniaux revenus dans la colonie prescrite par le gouverneur général, 31 juillet 1919. Réponse de l’Administrateur de la  commune-mixte de Ténès, 16 août 1919.

[5] Massard-Guilbaud Genevière, Des Algériens à Lyon de la Grande guerre au Front populaire, Paris, Ed. l’Harmattan, 1995.

[6] Sur cette question, se reporter au travail novateur de Michel Renard, notamment "Gratitude, contrôle, accompagnement ; le traitement du religieux islamique en métropole (1914-1950)", Bulletin de l’IHTP, n° 83, premier semestre 2004, pp. 54-69.

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 - le 4 octobre, le site Rue89 publiait une réponse de Benjamin Stora ainsi que quelques commentaires de Pierre Haski, responsable du site

 

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Benjamin Stora répond aux critiques

des «Hommes libres»

 

Pierre Haski
Rue89

Le film « Les Hommes libres » d'Ismaël Ferroukhi, sur la mosquée de Paris pendant la Seconde Guerre mondiale, déclenche une polémique entre historiens. Benjamin Stora, spécialiste de l'Algérie, qui fut conseiller historique lors de la réalisation de ce film, a vivement réagi à la tribune, diffusée par Rue89 la semaine dernière, contestant la véracité du film.

Benjamin Stora nous a adressé des remarques concernant la tribune de Michel Renard, lui aussi historien, reprenant point pas point les critiques de son confrère.

Il est écrit par Michel Renard, en préambule de ce texte publié par Rue89 :

«Il est exact que le chanteur Selim (Simon) Halali fut sauvé par la délivrance de papiers attestant faussement de sa musulmanité. D'autres juifs furent probablement protégés par des membres de la Mosquée dans des conditions identiques.»

Benjamin Stora :

«C'est très exactement ce que montre le film “Les Hommes libres”.»

Michel Renard ajoute :

«Mais prétendre que la mosquée de Paris a abrité et, plus encore, organisé un réseau de résistance pour sauver des juifs, ne repose sur aucun témoignage recueilli ni sur aucune archive réelle. Cela relève de l'imaginaire.»

Benjamin Stora répond :

«Le film n'a jamais prétendu dire qu'il y avait un réseau organisé (ce mot n'est jamais été prononcé dans tout le film) (1), et il n'évoque jamais le sauvetage massif de juifs et de résistants (Michel Renard doit confondre avec des articles de presse à propos du film).

Le film montre un résistant algérien (l'exemple est celui de Salah Bouchafa, ancien du PCF, qui a rejoint le PPA, est mort en déportation), et une réunion du PPA clandestin, et l'histoire d'un chanteur, Salim Halali, dont l'histoire est bien réel.

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Pour le sauvetage de juifs, il est montré deux petits enfants (sur la base de témoignages de personnages toujours vivants et qu'il est possible de rencontrer).

Si tous ces personnages ont réellement existé, alors pourquoi un article si virulent ? Ce film, à mon sens, s'inscrit dans la lignée d'autres films, comme “Le Vieil Homme et l'enfant”, de Claude Berri (l'histoire d'un vieil homme joué par Michel Simon, qui sauve un enfant juif). »

Michel Renard poursuit :

«Le recteur Si Kaddour Benghabrit fut une incontestable personnalité franco-musulmane ayant joué, au service de la diplomatie française et la défense des intérêts musulmans, un rôle primordial dès le début du siècle. Il entre dans les cadres du ministère des Affaires étrangères dès 1892. Kaddour Benghabrit a su dépasser le dualisme de la confrontation et expérimenté la combinaison des cultures et des dynamiques de civilisation.»

Benjamin Stora :

«Précisément, c'est ce que montre le film ! !»

Kaddour Benghabrit «n'a pas été un collaborateur»

Lorsque Michel Renard fait observer que Kaddour Benghabrit «n'a pas été un collaborateur», Benjamin Stora répond que c'est précisément «ce que montre le film». Même réponse lorsque Michel Renard ajoute qu'«il n'a pu éviter ni les demandes d'audience ni quelques photos prises» : «C'est ce que montre le film», répond Stora.

Plus loin, Benjamin Stora reprend un autre passage du texte de Michel Renard :

«Sur le terrain politique, en s'abstenant de prendre parti dans les questions touchant à la collaboration, au séparatisme, au Destour et d'une façon plus générale, de répondre aux attaques dont la mosquée a été l'objet de la part de musulmans à la solde de l'ambassade. Jamais, en cette matière, M. Benghabrit ne s'est laissé prendre en défaut et il a su imposer la même discipline à son personnel religieux. En cela il s'est attiré personnellement et à plusieurs reprises l'animosité des autorités allemandes.»

Pour Benjamin Stora, «c'est ce que montre, encore, le film».

Par contre, lorsque Michel Renard fait observer qu'«aucun de ces mémorandums ne mentionne la moindre activité de résistance, ce qui aurait constitué – si cela avait été vrai – la meilleure défense contre l'accusation de collaboration», Benjamin Stora répond que « le film s'arrête en 1944».

Michel Renard poursuit :

«La seule mention d'une activité de résistance organisée et systématique en faveur des juifs et d'autres (communistes, francs-maçons) par la mosquée de Paris provient d'un témoignage postérieur et unique, celui d'Albert Assouline, aujourd'hui disparu.

Il a écrit dans Le Bulletin des amis de l'islam, n° 11, troisième trimestre 1983, déposé aux archives de la Seine-Saint-Denis. Mais ce n'est pas une “archive”.

Il a ensuite réitéré ses affirmations dans le documentaire "Une résistance oubliée : la mosquée de Paris, 40 à 44" dû à Derri Berkani en 1990. Mais Assouline ne parle pas de réseaux de résistance et ses propos empathiques sur des centaines de personnes abritées et sauvées sont suspects aux yeux de l'historien qui cherche à confronter les témoignages et à les recouper.

Je pourrai prouver qu'il se trompe sur un point précis concernant le sort d'une importante personnalité française qui n'a jamais été accueillie par la Mosquée contrairement à ce que dit Assouline. De toute façon, jamais aucun témoin n'a corroboré ses dires.»

Benjamin Stora lui répond :

«Et Salim Hallali précisément ? Le film est surtout centré sur lui... Il est possible de rencontrer aujourd'hui des juifs séfarades qui ont demandé à être musulmans pendant cette période pour échapper à la mort.»

Michel Renard concluait ainsi sa tribune :

«L'activité de la mosquée de Paris sous l'Occupation a essentiellement consisté à assurer les ablutions, ensevelissements et obsèques de 1 500 musulmans décédés à leur domicile, dans les hôpitaux, les prisons ou les saunas ; à distribuer des denrées, des secours et vêtements aux indigents, aux prisonniers libérés, évadés ou en situation irrégulière. [...]

Mais ces histoires d'évasions rocambolesques par les souterrains de la mosquée et les égouts menant à la Seine relèvent d'une littérature à la Alexandre Dumas ou Eugène Sue. Pas de la réalité historique. Il est quand même surprenant que la fiction l'emporte à ce point sur la vérité. On ne manie pas impunément le réel historique.»

«Un film qui montre des gestes d'humanité»

Benjamin Stora lui répond :

«La critique historique de Michel Renard de cette œuvre est infondée. Le film n'a jamais montré la mosquée comme lieu central de la Résistance. Les sauvetages sont le produit de rencontres et pas de plans idéologiques pré-établis. Si le film n'évoque que le sort d'un résistant algérien, de l'amitié entre un jeune immigré et un chanteur juif sauvé par la mosquée (tous ces personnages sont bien réels), alors pourquoi cet article si virulent contre un film qui montre des gestes d'humanité ?

Je voudrais simplement rappeler cette phrase, à propos de polémiques sur les “chiffres” : Celui qui sauve une vie sauve l'humanité toute entière."

Et Salim Hallali a bien été sauvé par la Mosquée de Paris.»

 

1 - Beaucoup de spectateurs le voit pourtant ainsi. À commencer par le compte rendu, signé André Videau, sur le site de la Cité nationale de l'histoire de l'immigration : "L’histoire est peu connue. Dans le Paris occupé de 1942, alors que les autorités de Vichy, pactisent sans vergogne avec les nazis et participent à la traque des juifs, un réseau de soutien clandestin s’est organisé autour de la mosquée de Paris, sous la houlette de son Recteur Si Kaddour Ben Ghabrit." http://www.histoire-immigration.fr/magazine/2011/10/les-hommes-libres - Michel Renard

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Pierre Haski

Cette polémique entre deux spécialistes de l'Algérie a une toile de fond : les rapports entre juifs et musulmans en France, et la question plus large du conflit israélo-arabe.

«Les juifs sont bien ingrats vis-à-vis des musulmans»

Ce mardi, Rue89 a reçu un nouveau texte mettant en cause « les erreurs de Benjamin Stora », et signé par Daniel Lefeuvre, professeur d'histoire contemporaine, université Paris-VIII Saint-Denis. Daniel Lefeuvre se réfère à la tribune de Michel Renard, avec lequel il avait signé, en 2008, un texte commun intitulé : « Faut-il avoir honte de l'identité nationale ? » (Larousse), écrit en réponse à l'opposition suscitée par la création du ministère de l'Identité nationale (aujourd'hui disparu) par Nicolas Sarkozy.

Après avoir relevé ce qu'il qualifie d'«erreurs» ou de «non-dits» du dossier historique acompagnant le film, Daniel Lefeuvre ajoute :

« Je suis persuadé de leur [Benjamin Stora et le réalisateur Ismël Ferroukhi, ndlr] entière bonne foi lorsqu'ils espèrent que le film permettra de rapprocher les communautés musulmanes et juives de France. Je ne peux qu'exprimer mon scepticisme à cet égard. »

Sa conclusion donne peut-être une des clés de cette polémique, puisqu'il rattache le film, et le récit du sauvetage de juifs par la mosquée de Paris, aux débats actuels autour de la Palestine :

«Une autre conclusion, lourde de menaces, pourrait en être tirée, au moment même où l'Autorité palestinienne s'efforce de faire reconnaître l'existence d'un Etat palestinien contre la volonté d'Israël : les juifs sont décidément bien ingrats vis-à-vis des musulmans qui ont tant fait et pris tant de risques, sous l'Occupation, pour les sauver de la barbarie nazie.»

C'était donc ça ? Toute cette polémique pour éviter qu'on puisse penser que juifs et musulmans aient une histoire commune ou des raisons de vivre ensemble en bonne intelligence ? Dérisoire

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- le site Rue89 a ensuite renoncé de publier le texte de Daniel Lefeuvre ainsi que ma réponse à Benjamin Stora. Voici ces textes :

 

texte adressé à Rue89

Daniel LEFEUVRE

Monsieur,

Je viens de prendre connaissance de la mention que Rue89 fait de mon article consacré aux erreurs historiques énoncées par Benjamin Stora, dans le dossier de presse et dans le dossier pédagogique accompagnant le film. Je vous remercie d'avoir souligné que mes divergences d'appréciation sur la portée politique - ou citoyenne, selon l'expression à la mode - du film ne mettent pas en cause la bonne foi du réalisateur ni celle de son conseiller historique.

En revanche, alors que vous faites état des "erreurs" que je reproche à Benjamin Stora, vous n'avez pas pris soin de les porter à la connaissance de vos lecteurs. Or, ces critiques relèvent du rétablissement de réalités historiques que Benjamin Stora paraît avoir oubliées (notamment sur le statut juridique des Algériens pendant la période coloniale) et de questionnements à propos de certaines de ses affirmations qu'il ne prend pas la peine de justifier (par exemple lorsqu'il explique, qu'après le débarquement anglo-américain au Maghreb en  novembre 1942, je cite : "Ben Ghabrit est coincé par les autorités allemandes qui le pressent de rompre ses liens avec le Sultan et de collaborer franchement. Il est obligé de se soumettre". Ben Ghabrit, collaborateur, l'accusation mériterait d'être étayée par des faits !

Confiant dans votre scrupule à offrir à vos lecteurs une information complète et honnête, je ne doute pas que vous aurez à coeur d'éclairer complètement vos lecteurs en publiant l'intégralité de mon texte. Ils pourront ainsi juger de sa pertinence en toute connaissance.

Je vous en remercie par avance et vous prie de croire en l'assurance de mes salutations les meilleures.

Daniel Lefeuvre

Professeur des Universités en histoire contemporaine, Université Paris 8 Saint-Denis", nous avons tout à y gagner parce que nous avons raison.

Salut, et vive la polémique.

 

 réponse à Benjamin Stora

 Michel RENARD

 

J'ai vu le film dont je parle. Il montre plus que – même si il est centré sur…- l'histoire de Selim Halali. Si le mot "réseau" n'est pas prononcé, sa réalité est montrée.
Ces résistants cachés dans les caves de la Mosquée appartiennent à un réseau, ils organisent le sauvetage du résistant Francis en le faisant sortir de l'Hôpital franco-musulman. Ce qui fait dire à Si Kaddour qu'ils ont mis la Mosquée "en danger" (dialogue Si Kaddour / Younès).

Ben Ghabrit est informé préventivement – par qui ? – de la rafle du Vel d'Hiv, comme il l'est de la descente de la police – par qui ? - ce qui lui permet de faire évacuer toutes les personnes cachées dans la Mosquée.

Selon le film, les soupçons formulés par les Allemands sur son activité le font convoquer par Knochen, représentant de Himmler à Paris… ce qui, à ma connaissance, n'a jamais été le cas.

La scène des fidèles qui se lèvent ensemble, à la demande de l'imam pour sortir entourer Younès et la fillette juive et leur permettre de s'échapper, ne correspond à rien de réel.

Benjamin Stora répond que le film s'arrête en 1944. Or, justement les rapports que j'évoque (Ben Ghabrit, Rageot et Rober Raynaud) sont rédigés en 1944 et portent sur toute la période de l'Occupation. Aucun des trois n'évoquent ces activités.

Je n'ai tout de même pas inventé la fin du film avec cette évasion de nombreuses personnes par les égouts, leur accueil sur une péniche qui les attendait… toutes choses difficilement envisageables hors l'activité d'un réseau organisé.

Le film ne dit pas explicitement que Ben Ghabrit en était l'organisateur direct mais laisse bien comprendre que la Mosquée de Paris a accueilli cette structure résistante. On imagine malaisément, dans la logique du récit de ce film, que cela fût possible sans l'accord tacite de Ben Ghabrit.

Or, il n'existe aucune preuve de tout cela. Le documentaire de Derri Berkani (1990) pêchait déjà par l'absence de preuve ainsi que le court métrage de Mohammed Ferkrane l'année dernière… Le film d'Ismaël Ferroukhi, et ses propres commentaires ("Ben Ghabrit… tout en risquant sa vie pour sauver des hommes et des femmes en danger : résistants, Juifs, indépendantistes d'Afrique du Nord…", cf. dossier de presse), offrent une vision qui dépasse le secours apporté à Selim Hallali et à des Juifs sépharades selon des "rencontres fortuites".

Il laisse penser que la Mosquée a été le lieu d'une intense activité résistante.

 

collaborateur ou pas collaborateur ?

Benjamin Stora rétorque à mon affirmation selon laquelle Ben Ghabrit n'a pas été un collaborateur : "c'est ce que montre le film". Or, dans son interview, il affime que "la Mosquée de Paris a collaboré avec le régime de Pétain et les autorités allemandes". Où est alors la vérité ?

La "virulence" (?) de ma critique ne portait pas sur les gestes d'humanité portés à quelques juifs aidés par la Mosquée mais sur tout ce qui dans le film évoquait une activité résistante dont il n'existe aucune preuve historique. Ou alors, je les attends.

Michel Renard

 

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Il est dommage, pour la "vie des idées", que le site Rue89 n'ait pas assumé le débat jusqu'au bout... Il y a encore des vérités historiques qui sont dérangeantes pour la "Gauche"... MR

- voir aussi : le père de Philippe Bouvard sauvé par la Mosquée de Paris

 

 

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5 septembre 2011

Expériences contrastées des soldats en Algérie

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témoignages de soldats en Algérie

général Maurice FAIVRE

 

- Jean-Charles Jauffret, Soldats en Algérie. 1954-1962. Expériences contrastées des hommes du contingent, Edition Autrement, revue et augmentée, 2011, 383 pages, 55 photos, 25 €.

La première édition avait été recensée par le Cercle des combattants d’AFN en 2001 (1), qui avait souligné  l’intérêt d’une analyse de quelques 430 témoignages traitant des manifestations des rappelés en 1955-56, de la disponibilité des hommes du rang, de la distinction entre réserves générales et troupes de Secteurs, de la compétence des officiers et sous-officiers de réserve, de la solidarité des soldats, des conditions de vie en poste (initialement précaires), de certaines incohérences administratives, de la modernisation des systèmes d’armes (hélicoptères et guerre électronique), de l’efficacité des évacuations sanitaires et de l’acheminement du courrier, des méthodes de pacification  (5ème Bureau, AMG, regroupements, scolarisation), de la confiance accordée aux officiers  (favorable à 78%), du volontariat de nombreux musulmans, des pertes militaires après Evian.

La nouvelle édition tient compte de nouveaux témoignages, portés à 800, des ouvrages et des films diffusés depuis 2000, des débats en cours sur les victimes des irradiations nucléaires et sur la politique de la mémoire (Fondation, mémoriaux, loi de 2005, date de commémoration). Les cadres d’active sont cependant peu sollicités.

L’exploitation des témoignages recueillis, plus de 20 ans après les faits, pose un problème de méthodologie que l’auteur n’occulte pas quand il les décrit contrastés, parfois contradictoires et déformés par le temps (p.113). Il en est ainsi des jugements portés sur les fautes de la IVème République et du Haut Commandement, sur la gabegie des effectifs, sur la finalité du conflit, sur la nébuleuse de la contre-révolution. Sur ces sujets, les directives militaires (Ely, Challe, Olié, Trinquier) et les projets des politiques (Soustelle, Lacoste, Delouvrier, Debré) apportent des réponses qui méritent la discussion. Quant à la démoralisation des soldats, on peut comprendre ceux qui déclarent qu’ils ont perdu le temps  de leur jeunesse. Qui peut se réjouir d’avoir participé à une guerre perdue, alors qu’il a cru pouvoir la  gagner ?

soldats

 

La pertinence des témoins ne peut être reconnue que s’ils sont vérifiés par d’autres (c’est la règle du recoupement des 2èmes Bureaux). Jean Pouget applique cette régle en interrogeant ses subordonnés (p. 181). D’autres témoignages ont été ainsi confirmés ou infirmés au moment des faits. Mais la confrontation des témoins aurait dû s’imposer dans les cas suivants :

- Rocard contredit par Delouvrier, de Planhol, Olié, Bugnicourt et Adjoul

- R.Branche nuancée par la Commission de Sauvegarde du droit et le CICR (2)

- Mauss-Copeaux critiquée par Gilbert Meynier et Roger Vétillard ; Lacoste-Dujardin par Jacques Frémeaux et Vincent Joly ; Bollardière par Allard, Salan et Ely ;  PH Simon par Robert Lacoste, Beaufre, Ely, Debré, Challe ; Favrelière par son capitaine Bôle du Chaumont ; le photographe Garanger par son chef de corps de Mollans,

- Lacheroy réhabilité par la biographie de Paul Villatoux ,

- l’aumônier Peninou  à confronter au Père Casta… etc…

Il faut refuser enfin, comme contraires à l’histoire vécue, des fictions qui prétendent présenter la réalité. Ainsi en est-il, entre autres, des films de Rotman-Siri, de Mehdi Charef , Alain Tasma ou Laurent Herbier.

Ces réserves (3) dites, le livre de JC Jauffret mérite d’être lu et étudié pour son exposé détaillé des expériences des hommes du contingent.

Maurice Faivre
le 4 septembre 2011



1 - Mémoire  et vérité des combattants d’AFN, L’Harmattan, 2001, page 87.
2 - M.Faivre. Conflits d’autorité durant la guerre d’Algérie, L’Harmattan 2004, p. 123.
3 - Certains témoignages appellent la contestation, ou éventuellement des vérifications en archives :
- la participation de la 7ème DMR à l’opération Djenad (p.120)
- l’absentéisme des officiers (p. 255)
- la guerre d’extermination en 1957( p. 298, démenti par Med Harbi)
- le décès à la suite d’une brimade (p. 53)
- les chefs de poste croulant sous la paperasse (p. 105)
- les DOP créés en 1957 (1956 selon Ely)
- les mechtas détruites au napalm (p. 342, étaient-elles occupées ?)
- le contrôle des populations par les SAU qui s’inspirent des nazis et des soviétiques (p.186),
- le ralliement au putsch de la Base de Télergma (p. 134)
- les dégroupements en 1961-62 (p. 274, en réalité un échec)
- la pratique courante des viols selon Mouloud Feraoun (p. 304).

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4 septembre 2011

"Un sujet français", d'Ali Magoudi

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l'autopsie d'un silence paternel

Michel RENARD


Un sujet français
(Albin Michel, août 2011) est le dernier livre d'Ali Magoudi, psychanalyste connu, né à Paris en 1948, d'un père algérien et d'une mère catholique polonaise. Passionnant par son acharnement à découvrir l'itinéraire des "gens de rien" et par ses réactions face aux incroyables découvertes généalogiques qu'il met à jour...!

C'est le récit dense, d'un acharnement à retrouver l'histoire de son père, Abdelkader Magoudi, qui lui disait, petit : "ma vie est un véritable roman, quand tu seras grand je te la raconterai et tu l'écriras", mais qui ne l'a jamais fait... "J'avais à réaliser l'autopsie du silence paternel" (p. 59). Tenace.
Jusqu'à imaginer des dialogues post-mortem : "Cesse de me regarder avec tes yeux d'enfant, la vie adulte nest pas innocente. Cesse de me juger avec ton intelligence de docteur, insensible à la honte qui m'a tant fait boire. Si tu es qui tu es, tu me le dois, ne l'oublie jamais !" (p. 207).

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Ali Magoudi

Une investigation forcenée dans de multiples centres d'archives et auprès de témoins nombreux, en Pologne et en Algérie... Une véritable leçon de méthodologie pour tout chercheur en histoire. Ali Magoudi tente toutes les pistes, n'hésite pas à dépouiller des milliers de fiches et de feuillets d'archives, à interroger savamment les témoins, à rebondir d'un indice à l'autre, à débusquer les chausses-trappes de la mémoire archivée, à flairer la mythologie de la mémoire orale. Il éprouve le plaisir du chercheur perdu dans les cartons d'archives ouverts les uns après les autres : "la vie de rat de bibliothèque offre une jouissance rare, celle de s'extraire du temps présent, crise économique mondiale y compris" (p. 287).

le sens d'un titre

Le "sujet français" revêt au moins trois sens possibles :
1) son père, sujet et non citoyen français dans l'Algérie coloniale (jusqu'en 1962)
2) le statut de l'auteur lui-même : sujet d'une généaologie dont il cherche à démêler les silences et les leurres.
3) le statut de ce récit comme un sujet de l'histoire de France, de l'identité française et de ses contournements/contradictions.

Prenant, captivant...! Et plein de questions sur la quête du père, bien sûr. Ali Magoudi, longtemps, n'en voulut rien savoir. Mais "la question du silence du père concerne tous les enfants"... Il dut attendre la sollicitation de son fils pour s'y atteler. C'est le fils qui rend son père à son propre père.

Recherche qui prend parfois l'aspect d'un tourbillon généalogique incontrôlable, particulièrement en Algérie où la parenté se révèle tentaculaire (p. 347). Cette exploration, qui dure au moins trois ans, change celui qui l'effectue : "Je le crie avec force, l'irréalisable ne l'est pas totalement. Il est possible de se lancer avec succès dans le remaniement du passé, et d'en sortir autre" (p. 405).

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Tiaret (Algérie), la rue Bugeaud

Mais plein de questions d'histoire aussi. Son géniteur était né à Tiaret en 1903. Ali Magoudi découvre le statut de "Français de droit local". Son père s'engage pour trois ans la Marine. On verra, à la lecture, ce qu'il en fut en réalité.

Tiaret rue Bugeaud cpa (2)
"Rentré dans ses foyers le 28 décembre 1928, ayant terminé son
engagement de 3 ans. Se retire à Tiaret, rue Bugeaud" (p. 343)

Ali Magoudi finit par trouver qu'Abdelkader Magoudi est arrivé en France métropolitaine en 1938, qu'il y travaille dans diverses entreprises, qu'il part à Munich en 1941. Toutes les pérégrinations paternelles en Allemagne et en Pologne, pendant la guerre, font l'objet de questionnements sur leur réalité, les traces qu'elles ont laissées ou non, les angoisses qu'elles suscitent chez Ali. Les années 1940-1945 forment le coeur des interrogations du fils sur ce qu'a fait son père : collaborateur ou pas collaborateur. On laisse le lecteur le découvrir lui-même (p. 145... et de nombreux chapitres du livre).

À propos du séjour parisien, l'auteur découvre l'organisme qui s'occupait des Nord-Africains, les services de la rue Lecomte. Mais - petite correction historique, si l'auteur me le permet - ce service n'était pas seulement policier mais également social. Il était sous la double autorité de la Préfecture de Police ("Brigade Nord-Africaine") et de la Préfecture de la Seine. Il n'a pas été que répressif.

cimetière musulman de Bobigny

Le passage sur la découverte de la sépulture, quasi inidentifiable, de son petit frère mort-né en 1949, dans le cimetière musulman de Bobigny, est émouvant. Le père a porté, sans plus de précaution, le cadavre de l'enfant sur le porte-bagage de son vélo et l'a inhumé lui-même avec l'imam du lieu.

Ali Magoudi se demande comment son père a trouvé ce lieu un peu étrange. Il apprend, par ses recherches, qu'Abdelkader Magoudi, avait été hospitalisé du 8 mai au 12 juillet 1939 à l'hôpital Franco-Musulman (aujourd'hui, Avicenne) à Bobigny .

"Pourquoi mon père avait-il enterré son fils dans ce cimetière-là ? Comment connaissait-il ce lieu si singulier ? m'étais-je alors demandé. Il n'est pas déraisonnable de penser que ce fils de fossoyeur [le père d'Abdelkader Magoudi travaillait dans un cimetière] a, pendant les deux mois de son séjour hospitalier, assisté au départ de nombre de ses coreligionnaires par une porte discrète, à l'arrière de l'hôpital, pour rejoindre le cimetière de Bobigny, propriété privé du Franco-Musulman. Ainsi avait-il stocké l'information dix ans avant de l'utiliser pour organiser l'enterrement de son dernier fils" (p. 374).

Je peux dire à Ali Magoudi, d'après mes propres investigations, qu'en mai 1939, il y eut 17 inhumations ; en juin, il y en eu 15 et qu'en juillet, on en compte 12. Ainsi, en trois mois, quarante-quatre pensionnaires de l'hôpital Franco-Musulman y mourrurent et furent enterrés dans le cimetière de Bobigny, rue des Vignes. Son père n'a pu le méconnaître, évidemment.

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mosquée du cimetière musulman de Bobigny

 

sujet français

Ali Magoudi avoue, sans fausse honte, découvrir le statut de Français "de droit local", c'est-à-dire de sujet français qui ne détient pas l'intégralité des droits politiques attachés traditionnellement à la citoyenneté. Stigmatisation, infériorisation...? Peut-être. C'était la condition de la domination coloniale sur le plan démographique.

Mais en même temps, cela manifestait le refus de convertir les musulmans, acquis au statut civil coranique, incompatible avec le statut civil français. D'ailleurs, l'auteur rend témoignage de la relativité de cette situation à propos de son cousin algérien : "il en a subi les conséquences, certes. Mais que l'état d'infériorité citoyenne dans lequel il a été placé soit fondé juridiquement ou non ne le concernait pas. Les statuts qui l'assujetissaient entraient en contradiction avec les principes de la République française ? Et après ! Travailler à la chaîne ne fait pas de vous un théoricien du taylorisme ni ne vous rend capable de réaliser Les Temps modernes. Avoir été maltraité par la colonisation française ne vous forme pas non plus aux principes de la législation coloniale" (p. 252).

L'histoire réelle ne se réécrit pas. La citoyenneté diminuée fut le reflet d'une réalité politique et culturelle du temps colonial et des rapports de domination. Elle ne put être dépassée. La tentative de passer outre aurait certainement été pire. Ali Magoudi se pose la question : "Je rêve. Que se serait-il passé si le décret Crémieux, qui a déclaré citoyens français les israélites indigènes des départements de l'Algérie, avait été appliqué aux indigènes musulmans, etc. " (p. 350). Je rêve aussi...

 

l'histoire de "gens de rien"

L'historien Alain Corbin avait réussi à ressusciter le "grouillement d'un disparu", un être ordinaire qui n'avait guère laissé de traces dans les mémoires (Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot. Sur les traces d'un inconnu (1798-1876), 1998). Ali Magoudi est aussi parvenu à évoquer les traces et étapes majeures de la vie d'un père qui ne tint pas sa promesse de les lui livrer : "Je reprends espoir, les gens de rien ont bien une existence et la piste des anonymes, susceptibles de contenir les événements que mon père a passés sous silence, n'est pas une impasse" (p. 75).

Michel Renard

 

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- interview d'Ali Magoudi

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