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études-coloniales

19 mai 2009

colonisation et "judiciarisation" de l'Afrique

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palais de justice de Bobo-Dioulasso (Haute-Volta)



les prémices de la justice contemporaine

en Afrique noire

les coutumiers d’Afrique noire francophone à l’épreuve du modèle juridique français

Bernardo-Casmiro DO REGO

La justice se rendait autrefois, en Afrique noire, selon la coutume. La colonisation a donné lieu à rédaction des coutumiers à l’aune du modèle juridique français. Une évolution fondamentale.

Si le XVIIIe siècle européen est qualifié de siècle des lumières, c’est à bon droit que nous pouvons affirmer le XVIIIe siècle africain de siècle des résistances. En effet, les colons ayant pénétré l’Afrique noire dès les XVIe et XVIIe siècle entamèrent un vaste chantier de conquête aux XVIIIe et XIXe siècles. Les monarchies africaines, défenseurs de leurs terres perdirent à tour de rôle leur sceptre, laissant ainsi la mère Afrique à des inconnus venus d’outre-mer : la colonisation est née.

Cette dernière est décriée comme première cause du retard du monde noir ; mais n’a-t-elle eu que des conséquences négatives sur le vieux continent. Sans doute pas. Au-delà de la civilisation du monde noir, il importe également de préciser que la colonisation inscrivit l’Afrique dans l’histoire des peuples. Les sociétés primitives africaines dont il ne reste aujourd’hui quasiment point d’écrits doivent leur trace à ce qui en a été inscrit dans les archives ou les récits de la colonisation. Il n’est point dessein pour nous de faire ici l’apologie de la colonisation, ni de dénier l’exploitation de l’Afrique sous la colonisation.

Notre objectif est de rappeler l’impact de la colonisation dans l’étatisation du continent, ou du moins l’impact de la colonisation dans la «judiciarisation» du continent. En effet, pour asseoir leur autorité, il a fallu réformer les colonies. La France avait donc regroupé ces colonies dans de vastes ensembles territoriaux : l’Afrique Occidentale Française (AOF) et l’Afrique Equatoriale Française (AEF). Confrontée à des incompréhensions, une justice divine (plutôt fétichiste) et arbitraire, la première étape de la réorganisation de ces ensembles fut l’identification des colonies à la métropole.

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Comment concilier une société traditionnelle, animiste ou islamique, avec une autre plus moderne et christianisée. La réponse fut semble-t-il de comprendre comment fonctionne chacune des colonies et d’essayer d’assurer une unité en leur sein. Était-ce en réalité cet esprit qui anima le colon ? Dieu le sait, nous ne le savons ; néanmoins tout laisse croire que cet esprit préfigura l’idée de rédaction des coutumiers qui commença à germer dans les esprits des colons.

Cette idée ne tarda pas à éclore : une circulaire AP du 19 Mars 1931 ordonne la rédaction des coutumiers. Les travaux débutent dans chaque colonie pour le recensement des coutumes. Nous avions dans un article, paru il y a peu, décrit le coutumier du Dahomey. Nous ne reprendrons pas cette description ici mais nous nous contenterons d’analyser l’idée d’une rédaction des coutumiers à l’aune du modèle juridique français. En effet, il s’agit ici de relever des généralités ayant motivé les colons et ayant commandé une mise au point des coutumiers dans les territoires conquis. En réalité, dans l’attente d’une prochaine publication d’une compilation des plus grands coutumiers d’Afrique noire francophone, nous avions jugé utile de vous noter ces traits majeurs. Avant toute chose, il convient de rappeler la notion de coutume.

Concilier les règles françaises et règles africaines

La coutume est un ensemble de pratiques répétées et spontanées d’un territoire donné suivies sur une longue période et s’imposant à la population qui l’accepte et l’érige en norme. M. Gillesen, spécialiste de la question dira que c’est «un ensemble d’usages d’ordre juridique qui ont acquis force obligatoire dans un groupe sociopolitique donné, par la répétition d’actes publics et paisibles pendant un laps de temps relativement long».

Un coutumier peut donc être conçu de deux façons différentes : soit par recueil, soit par compilation. La deuxième hypothèse est celle retenue dans le cadre de l’Afrique noire francophone. En réalité, la plupart des coutumes africaines peu importe les territoires et les régions étaient constituées de règles abstraites gouvernées la plupart du temps par des considérations animistes, qui mieux est, vodouïstes. Ces règles furent jugées sauvages par les Occidentaux déjà clonés aux règles des droits de l’Homme.

La principale préoccupation fut d’épurer ces pratiques afin de les dépouiller des superstitions dont elles étaient jugées colorées. Précisons néanmoins que l’objectif était de doter ces territoires de règles qui leur seraient imposées, c’est-à-dire une façon pour les Occidentaux d’affirmer leur suprématie et d’asseoir leur puissance. Pour mieux adoucir l’imposition, la mise en place de coutumiers censés reprendre les us et coutumes de ces territoires sera le perron qui offre l’assentiment des indigènes.

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En revanche, il faut remarquer que la diversité des cultures, ethnies, langues rendait la justice impraticable avant la colonisation et l’arbitraire s’érigeait en maître mot ; aussi, faut il ajouter qu’à partir du processus de colonisation, des tribunaux français furent installés dans les colonies et ceux-ci devaient concilier les règles françaises et les règles indigènes ou requérir dans d’autres cas auprès des dignitaires locaux la répression de telle ou telle autre coutume à l’égard d’un délit ou d’un crime ; ce qui implique une insécurité juridique.

À mille lieux du berceau de l’humanité, la France vivait au XVIIIe s. une révolution intellectuelle. La raison est apparue comme guide de la pensée humaine, rejetant aux calendes grecques toute explication du monde par la foi ou la religion. La France traverse un siècle des lumières avec une intelligentsia inspirée. Plusieurs codes ont été édités dès 1800 : le code civil en 1804, le code de procédure civile en 1806, le code de commerce en 1807 et le code pénal en 1810. Le système judiciaire français à l’heure coloniale était donc très organisé et très structuré. Il revenait impérieux aux colons de réorganiser le système judiciaire au sein des colonies, en le calquant sur le système de la métropole.

En finir avec l’atrocité, les tortures et les actes de barbaries qui existaient dans les territoires était une première façon d’expliquer l’évolution. Sans rejeter ce dernier motif, on pourra relever trois autres raisons principales qui justifiaient la démarche coloniale. La première est la cause efficiente : l’établissement d’une loi écrite qui servira de base à tous les tribunaux. La deuxième est la vision de chacun des territoires comme un tout. La troisième est l’affirmation de l’autorité française. Les français cherchaient à s’imposer avec le moins de heurts possibles, de manière à éviter toute rébellion tout en anéantissant les dernières institutions royales qui pouvaient encore exister. À cette dernière raison s’ajoute l’idée de faire intégrer les territoires dans un ensemble d’espaces coloniaux, l’Afrique française.

En conclusion, on ne saurait renier que l’idée de la rédaction des coutumiers se veut une conciliation des besoins de la colonie avec ceux de la puissance colonisatrice. Car en réalité, si les colons cherchaient à imposer leur mœurs, l’Afrique a trouvé dans cette imposition française une sécurité juridique créant ainsi le fondement de sa justice et de son droit.

source : Afrik.com
mardi 19 mai 2009

- le blog de Bernardo-Casmiro do REGO, juriste en droit privé et en histoire du droit

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le "tribunal des races" à Yaoundé (Cameroun), 25 juin 1951 (source)

 

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18 mai 2009

réintégrer le Japon au sein de l'histoire mondiale (Arnaud Nanta)

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soldats japonais défilant à Singapour en février 1942



pour réintégrer le Japon au sein

de l'histoire mondiale :

histoire de la colonisation et guerres de mémoire

un article d'Arnaud NANTA

 

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7 mai 2009

lecture de : L'Europe face à son passé colonial

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à propos du livre

L’Europe face à son passé colonial

Jean-Pierre RENAUD

 

Livre intéressant et utile, mais livre déroutant. Le plan annoncé dans l’introduction n’est pas facile à suivre dans le corps de l’ouvrage. Est-ce dû à la difficulté que rencontrent certains universitaires à respecter une discipline intellectuelle commune ? Toujours la liberté universitaire ?

Il est en effet difficile de s’y retrouver dans l’articulation chronologique et conceptuelle des contributions.

L’introduction annonce trois lignes d’éléments utiles à la compréhension de la relation histoire et mémoire, au cours de la période post-coloniale :

- les processus repérables ;

- les phénomènes mémoriels repérables ;

- le domaine propre de l’historiographie.

Le lecteur attendait de pouvoir suivre l’examen de ces thèmes à partir d’une grille historique partagée, c’est-à-dire chronologique, ce qui n’est pas le cas.

Autre remarque, et compte tenu du titre, pourquoi avoir inclus dans l’ouvrage des pays non européens, le Japon, Haïti, et le Québec ? En ce qui concerne ce dernier pays, l’argument de transversalité opère effectivement, mais sur un autre plan.


l'histoire perdrait-elle son combat avec la mémoire ?


Il n’empêche que la juxtaposition des contributions décrit bien la problématique de la relation mémoire/histoire, problématique dynamisée par l’immigration, et manipulée par des politiques, des intellectuels, et quelquefois par des historiens.

À lire ces contributions, on en retire l’impression que l’histoire perd actuellement son combat avec la mémoire, mais une mémoire rarement définie, identifiée, et mesurée.

On voit bien, au cours de la lecture de ce livre, que l’histoire coloniale est oubliée dans la plupart des pays, alors que des groupes de pression surfent sur une mémoire coloniale sélective manipulée à l’avantage des thèses qu’ils défendent.

Et le livre apporte beaucoup d’informations sur le passé colonial des autres pays européens, souvent mal connu, même de la part d’esprits curieux.

La contribution relative aux soldats africains est intéressante pour un Français, car elle illustre parfaitement la problématique mémoire/histoire, ravivée par le film Indigènes. Elle replace leur concours sur un terrain historique et tord le coup à un certain nombre d’affabulations mémorielles. À chacun ses indigènes, comme l’écrit un des auteurs.

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(source Caom)

Je suis beaucoup plus hésitant sur tout ce qui touche à l’Algérie, tant il parait difficile encore de dissocier histoire et mémoire, compte tenu de l’importance des remontées permanentes de mémoire, manipulées ou non. La population d’origine algérienne, française d’origine ou non, a beaucoup de poids en France.

Un auteur évoque «une explosion mondiale des mémoires» (p. 144). Un autre auteur écrit : «La mémoire coloniale constitue depuis plusieurs années un sujet primordial dans le débat public français» (p. 219) Est-ce si sûr. Quelle mesure statistique  peut-il donner à cette affirmation ?

Un troisième auteur parle de «la mentalité collective» (p. 91). Il serait intéressant qu’il nous en donne, également, définition précise et bonne mesure statistique.

Mentalité collective, mémoire collective, stéréotypes, inconscient collectif, quelques uns des mots souvent utilisés par les mémorialistes coloniaux, et que l’on trouve aussi dans certaines contributions. Les historiens seraient bien inspirés de tenter de donner un contenu scientifique à ces mots, pour autant que cela soit possible.

Gaz en Éthiopie, extermination de populations en Afrique du Sud et dans le Sud Ouest Africain, colonisation française et belge comparée, guerre d’Algérie, Haïti, Japon, Québec, etc … sujets tellement variés en thématique et en chronologie, qu’il était difficile de mener complètement une analyse transversale et chronologique  de la problématique décrite.

Mais le compte des informations et des réflexions y est, d’autant plus qu’en conclusion du débat entre histoire et mémoire, qui nourrit tout le livre, Daniel Lefeuvre propose une mise en garde méthodologique salutaire, en préconisant un «retour sur quelques règles de la science historique», en bonne filiation de grands historiens reconnus pour leur rigueur scientifique, un Marc Bloch par exemple, ou dans le domaine de l’histoire coloniale, un Henri Brunschwig.

Jean-Pierre Renaud

 

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présentation du livre

La colonisation a-t-elle eu un "caractère positif" ou a-t-elle été facteur d'une exploitation et d'une domination féroces des peuples et des territoires colonisés ? Faut-il la traiter comme une page d'histoire parmi d'autres ou bien l'expier comme un péché, qui entache la France depuis plus d'un siècle ?

Loin d'être un objet froid de la recherche historique, le passé colonial nourrit aujourd'hui dans l'hexagone une véritable guerre des mémoires.

Depuis la loi du 23 février 2005 et son article 4, le débat fait rage autour de ces questions. Ces débats sont-ils uniquement franco-français ? Il suffit de porter le regard au-delà de nos frontières pour se convaincre du contraire. Au nom du gouvernement italien, Silvio Berlusconi ne vient-il pas de faire officiellement acte de repentance pour la colonisation de la Libye ? Ce livre le montre, toutes les anciennes puissances coloniales, sont confrontées à ce passé, le Japon ne faisant pas exception.

Comme d'ailleurs les sociétés anciennement colonisées. Cette approche comparative permet donc de mieux saisir ce qui, dans les débats sur ce passé, est spécifique à notre pays et ce qui relève d'un passé partagé des puissances impériales.

- L'Europe face à son passé colonial, dir. Daniel Lefeuvre, Olivier Dard, Guy Pervillé, Marc Michel, éd. Riveneuve, 2009.

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Hanoï, agent de police indigène (source Caom)

 

 

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3 mai 2009

au sujet de la "scientificité" des soutenances de thèse

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au sujet des thèses d'histoire coloniale

Jean-Pierre RENAUD

Pertinence scientifique et transparence publique des thèses d’histoire coloniale, secret de confession universitaire ou tabou colonial ?

Au cours des dernières années, mes recherches d’histoire coloniale (d’amateur) m’ont conduit à aller à la source, c'est-à-dire à prendre connaissance de plusieurs thèses d’histoire coloniale qui donnaient, je le pensais, un fondement scientifique aux interventions verbales ou aux ouvrages écrits par leurs auteurs.

J’étais plutôt surpris par la teneur des discours que ces derniers tenaient sur ce pan largement ignoré de notre histoire nationale.

Leur consultation me donna la conviction qu’elles ne suffisaient pas toujours, totalement ou partiellement, à donner une accréditation scientifique à leurs travaux, dans le domaine de la presse, des sondages, des images coloniales quasiment absentes et sans aucune référence sémiologique dans les thèses en question, et d’une façon générale en ce qui concerne la méthodologie statistique, économique ou financière

Constat surprenant, alors que le terme de «scientifique» est souvent mentionné dans les arrêtés qui ont défini la procédure d’attribution du titre de docteur par les jurys : intervention d’un conseil scientifique, intérêt scientifique des travaux, aptitude des travaux à se situer dans leur contexte scientifique…

communication des rapports de jury

Il me semblait donc  logique d’aller plus loin dans mes recherches, c'est-à-dire accéder aux rapports du jury visés par les arrêtés ministériels de 1992 et 2006, rapports susceptibles d’éclairer l’intérêt scientifique des travaux. J’ai donc demandé au Recteur de Paris d’avoir communication des rapports du jury, communication qui m’a été refusée, alors que la soutenance était supposée être publique.

Mais comment parler de soutenance publique, s’il n’est conservé aucune trace du débat, du vote (unanimité ou non) du jury, et s’il n’est pas possible de prendre connaissance des rapports des membres du jury, et donc de se faire une opinion sur la valeur scientifique que le jury a attribué à une thèse, ainsi que des mentions éventuellement décernées.

Je m’interroge donc sur la qualité d’une procédure :

- qui ne conserverait aucune trace d’une soutenance publique, sauf à considérer que celle-ci n’a qu’un caractère formel ;

- qui exclurait toute justification de l’attribution d’un titre universitaire, appuyé seulement sur la notoriété de membres du jury, alors même que ce titre est susceptible d’accréditer l’intérêt scientifique de publications ultérieures, ou de toute médiatisation de ces travaux.

Conclusion : les universités et leurs jurys seraient bien inspirés de lever ce secret, sauf à jeter une suspicion légitime et inutile sur le sérieux scientifique des doctorats qui sont délivrés, sauf également, et cette restriction est capitale, si mon expérience n’était aucunement représentative de la situation actuelle des thèses et des jurys.

La transparence publique devrait être la règle. Pourquoi en serait-il différemment dans ce domaine de décisions, alors que la plupart des décisions publiques sont aujourd’hui soumises à des contraintes utiles de transparence publique.

Il parait en effet difficile d’admettre que, sous le prétexte de préserver le secret de la vie privée, le secret des délibérations sûrement, mais pas le reste, il soit possible de sceller tout le processus supposé «scientifique» du même sceau du secret. À l’Université, en serions-nous encore, à l’âge du confessionnal et de l’autorité d’une nouvelle Église ? Les jurys auraient donc quelque chose à cacher ? Un nouveau tabou ?

Jean Pierre Renaud
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30 avril 2009

Débat sur l’écriture de l’histoire controversée algéro-française

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Stora et Harbi

déterrent le passé colonial en Algérie

 

 

Débat sur l’écriture de l’histoire controversée algéro-française
jeudi 30 avril 2009.

Dans une conférence magistrale au Centre culturel français d’Alger, les deux historiens, Mohammed Harbi et Benjamin Stora, ont abordé, chacun avec son approche, la complexité de l’écriture de l’histoire contemporaine entre l’Algérie et la France.

Porté par le poids du passé colonial, le professeur de l’histoire du Maghreb, Benjamin Stora, le premier à ouvrir le débat, a estimé que «la guerre d’Algérie était au cœur de l’empire français pour avoir connu la naissance de la 5ème République».


de l'amnésie à la guerre mémorielle

Dans sa rétrospective, l’historien reconnaît que «les Français ont entretenu une stratégie d’oubli et d’amnésie après avoir consommé leur défaite politique dans cette guerre. En reléguant la question coloniale dans les banlieues de l’histoire, prise en otage par les différents groupes, entre ceux qui veulent affronter leur passé et ceux qui en font un rempart mémoriel, au lieu de devenir une question centrale dans la recherche historiographique ».

Selon Benjamin Stora, «ce n’est qu’en 1980 qu’il y a eu le réveil de l’autre mémoire, tirée par la communauté des Beurs» ou ce qu’il appelle «les partisans de la nostalgérie».

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manifestant algérien, le 17 octobre 1961 à Nanterre,
photo Élie Kagan

Revenant sur les fameuses manifestations du 17 octobre 1961, en France, le conférencier dira que ces événements lui rappellent qu’on ne peut pas «séparer le processus de l’écriture de l’histoire des mouvements sociaux».

Mais le saut en France, ajoutera-t-il, «a été mis en branle entre 1988-1992, notamment à l’effondrement de l’URSS, de la défaite de l’Armée rouge en Afghanistan, de la chute du mur de Berlin et de la fin du système du parti unique en Algérie». Pour Benjamin Stora, «cette période d’effervescence extrême va ouvrir les énergies sur l’écriture de l’histoire.

Obligeant pour la première fois la France, 30 années après, à ouvrir ses archives d’État, soumises certes à dérogation, mais sources intarissables de fichiers militaires et policiers».

«Durant les années 1990, poursuit l’historien, l’éclatement du récit traditionnel avec le retour des chefs historiques Aït Ahmed, Ben Bella, feu Boudiaf..., relayé notamment dans les colonnes de la presse, a été pour beaucoup dans la remise en cause des faits historiques».

Cela étant, Stora cite deux témoignages phares ayant été à l’origine de l’accélération de l’écriture de l’histoire controversée de ces deux pays, à savoir l’aveu terrible de liquidation physique de Ben M’hidi par Aussaresse et l’exercice systématique de la torture, et la très polémique loi du 23 février louant du rôle positif du colonialisme et son discours de l’anti-repentance qui a installé, selon Stora, «une guerre mémorielle sur les champs français et algérien».

S’y ajoutent, d’après lui, «de nombreuses thèses de jeunes chercheurs qui ont relevé l’existence de 15.000 militaires opposés à la guerre et quelque 150.000 photographies». Sans oublier ces nombreux ouvrages à son actif.


trois grands courants

Pour sa part, l’historien Mohammed Harbi nous renvoie aux trois grands courants qui ont traversé l’Histoire contemporaine de l’Algérie. Le premier, «de type culturaliste, caractérisé par l’interrogation identitaire des Oulémas».

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M'barek El-Mili (1896-1955)

«Divisés en deux tendances, l’une moderniste avec à sa tête M’barek El Mili et Cheikh El Madani, l’autre de type autoritaire (croisade culturelle) à la vision excessive et simpliste prônée par El Ibrahimi et Ibn Badis».

Le second courant, «de type social incarné avant l’indépendance, en particulier par Ferhat Abbas qui a qualifié la colonisation de destruction de l’Algérie traditionnelle». S’y ajoutent après l’indépendance, selon Harbi, «les contestations contre les inégalités entre nations, l’impérialisme et les blocages infrastructurelles».

Le dernier courant politique reflète, d’après le conférencier, «la dynamique interne de la société algérienne qui croyait que si on est colonisé, c’est parce que la société avait des carences qu’un pays étranger est venu combler». Mais aussi, qu’on était gouverné par «un pouvoir non productif et autoritaire sous le règne de la caste ottomane».

La déduction du professeur Harbi, affirmant par la suite que «les secteurs liés à la colonisation sont ceux qui ont bénéficié de l’indépendance», a soulevé le courroux de nombreux présents, venus en grand nombre assister à ce débat historique. Pour Mohammed Harbi, «l'histoire a non seulement été mise au service de la légitimité des pouvoirs en place après l’indépendance, mais a ruiné les départements d’histoire de l’Algérie».

Il ajoutera que «la mise sous muselière de la liberté de parole et du débat contradictoire a fait que l’Histoire absout et condamne, fait et défait les héros. Alors que les médias et les acteurs politiques du moment ont fait de la dénonciation et de l’exclusion un attribut très fort dans cette société».

«Aucun pays ne peut se nourrir des ressentiments et des oppositions usées», dira-t-il enfin avant de revendiquer «l’examen serein du passé colonial et de cesser la mise sous haute surveillance de l’Histoire».

La Voix de l’Oranie
source

 

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Benjamin Stora, Mohammed Harbi

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18 avril 2009

conférence de Benjamin Stora et Mohammed Harbi à Alger

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Écrire l'histoire de l'Algérie contemporaine

conférence au Centre culturel d'Alger

le mardi 28 avril 2009



La guerre d'indépendance algérienne : usages de ce passé en France,
entre histoire et mémoire

par Benjamin Stora

Depuis une quinzaine d'années, la connaissance de la séquence "guerre d'indépendance algérienne" s'est considérablement développée en France, notamment à la suite de travaux universitaires portant, par exemple, sur les images de cette guerre, les refus d'obéissance ou l'activité politique des immigrés algériens.

Mais ce qui frappe, provoque l'interrogation, c'est que cette histoire savante n'arrive pas à freiner les usages abusifs du passé s'exprimant par la puissance des revendications mémorielles, quelquefois portées par des nostalgiques du temps colonial.

Qu'il s'agisse du passé lointain ou du passé proche, une série de débats se sont organisés autour des lois mémorielles, des conflits entre groupes porteurs de la mémoire de l'Algérie. Vingt ans après la rédaction de mon ouvrage, La gangrène et l'oubli, la mémoire de la guerre d'Algérie, cette communication présente les divers aspects de ces conflits qui affectent le statut du travail historique.

 


Connaissance de l'Algérie à l'épreuve de l'histoire contemporaine,

par Mohammed Harbi

Où en sommes-nous dans l'écriture de l'histoire contemporaine de l'Algérie ? Comment a été élaborée son historiographie ?
Comment mettre de l'ordre dans le "commerce des idées usagées" ? Que faire du passé colonial ? Comment affirmer et consolider l'émergence du métier d'historien ?

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Benjamin Stora est né à Constantine. Il est professeur d'histoire du Maghreb à l'université de Villetaneuse (Paris XIII). Il a publié une vingtaine d'ouvrages portant principalement sur l'histoire de l'Algérie contemporaine. Le dernier a pour titre : Les guerres sans fin. Un historien, la France et l'Algérie.

Mohammed Harbi a été maître de conférence en sociologie à l'université Paris VIII (Saint-Denis). Il est l'auteur de nombreux ouvrages de références sur l'histoire de la révolution algérienne.

modérateurs : Ouanassa Siari Tengour, maître de conférence à l'université Mentouri de Constantine, et Abdelmajid Merdaci, maître de conférence à l'université Mentouri de Constantine.

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Illiten (El Haad), 1959, source

lien
Centre culturel français à Alger (accès internet difficile, voire impossible...) : ccf-dz.com/

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29 mars 2009

Essai sur la colonisation positive

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Marc Michel, Essai sur la colonisation positive



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- Marc Michel, Essai sur la colonisation positive. Affrontements et accommodements en Afrique noire, 1830-1930, éditions Perrin, avril 2009.

L'historien, spécialiste de la colonisation, répond ici à la polémique qui a nourri les débats il y a peu. Depuis la fin du commerce honteux jusqu'à l'apogée de la domination coloniale, il s'attaque aux idées reçues, "trop simples" dit-il, et veut insuffler le doute dans nos esprits…
Il y a comme une malédiction.
D'abord, on oublie des faits jadis connus de tout Français : par exemple, que la France et l'Angleterre furent au bord de la guerre pour un endroit perdu du Nil, Fachoda ; que des centaines de milliers d'Africains vinrent combattre en Europe ; que les Zoulous ont mis fin au rêve bonapartiste en tuant le prince héritier, etc.
Ensuite, on multiplie les inepties. On jauge la colonisation à l'aune de ses bienfaits ou de ses méfaits ; on prétend que les Africains ne sont pas "entrés dans l'Histoire" ; on assimile colonisation et extermination sans réaliser combien le jugement est anachronique et déplacé.
Marc Michel, historien spécialiste consacré des études africaines, passe au tamis de sa longue expérience cette lancinante question du "positif" et du "négatif" de la colonisation. Dans un essai passionnant, il remet à l'endroit un siècle et demi d'histoire coloniale.

Professeur émérite à l'université de Provence, Marc Michel a publié notamment une biographie de Gallieni, L'Appel à l'Afrique (1914-1918), et Décolonisations et émergence du tiers monde.

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diffa offerte aux Européens par une notabilité arabe

 

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les ouvrages de Marc Michel


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commander : Les Africains et la Grande Guerre. L'appel à l'Afrique, 1914-1918, Khartala, 2003.

Pendant la Grande Guerre, 200 000 "Sénégalais" d'AOF ont servi la France, plus de 135 000 sont venus combattre en Europe, 30 000 d'entre eux, soit un sur cinq, n'ont jamais revu les leurs.
Dans le malheur de la guerre, ces sacrifiés ne le furent ni plus ni moins que leurs frères d'armes, les fantassins de la métropole. Néanmoins, leur sacrifice constitue encore aujourd'hui un élément très sensible des relations entre la France et l'Afrique. La "cristallisation" des pensions, autrement dit le gel de la dette contractée par la métropole, reste au coeur du contentieux. C'est l'histoire de cet engagement des Africains au service de la France que retrace d'abord ce livre.
La participation des Africains à la Grande Guerre ne se borne pas à cet impôt du sang. Profondément secouée par une série de catastrophes, sécheresse, épidémies, disette et famine, l'Afrique occidentale française est d'abord confrontée à une crise brutale provoquée par l'entrée en guerre ; puis elle est soumise à un effort de production sans précédent en direction de la métropole. La sortie du conflit ne s'effectue pourtant pas dans le désastre et les révoltes généralisées ; Blaise Diagne, seul Noir "médiatique" à l'époque, réussit même à mener à bien un tout dernier recrutement, au-delà de toute espérance.
Mais, comme le montre ce livre, une AOF nouvelle émerge où s'enracinent des germes de protestations modernes. Enfin, la Grande Guerre a modifié de façon plutôt positive les regards réciproques entre Africains et Français ; mais elle a aussi ouvert la voie à un infâme réquisitoire de "la Honte Noire" ("die schwarze Schande"), récupéré dans l'arsenal du racisme hitlérien. C'est aussi la genèse d'un imaginaire empoisonné que veut éclairer ce livre.


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commander : Décolonisations et émergence du tiers monde, Hachette, 2e édition, 2005.

En 1939, les empires coloniaux semblaient à leur apogée.
25 ans plus tard, ils ont pratiquement cessé d'exister. Comment expliquer ce phénomène majeur du XXe siècle, les décolonisations des peuples soumis à la domination de l'Europe ? Les étapes de ce processus sont examinées ici à la lumière des relations internationales. Les décolonisations ont constitué, en effet, un facteur décisif du passage d'un monde bipolaire, celui de la Guerre froide, au monde multipolaire et chaotique contemporain.
Elles ont contribué à l'émergence d'un nouvel acteur sur la scène internationale : le tiers monde.


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commander : Jules Isaac, un historien dans la Grande Guerre - Lettres et carnets, 1914-1917, Armand Colin, 2004.

Mobilisé en août 1914, à 37 ans, l'historien Jules Isaac partagea la vie des fantassins pendant plus de trente mois sur l'Aisne, en Champagne, à Verdun, avant d'être blessé et évacué de son observatoire de la forêt de Hesse, au-dessus de Vauquois, à la fin juin 1917.
Pendant toute cette période, il échangea avec son épouse Laure une correspondance très régulière relatant sa vie au front, et la barbarie quotidienne à laquelle, comme tous ses camarades, il était confronté. Ces lettres inédites, poignantes et lucides, puisqu'elles témoignent à la fois d'une expérience personnelle et du regard de l'historien sur l'événement, sont ici réunies pour la première fois. Un apport capital à la mémoire d'un conflit dans lequel on s'accorde à voir, à juste titre, la matrice du XXe siècle.


Gallieni
















commander : Gallieni, Fayard, 1989.

Patriote, républicain, laïc et colonial, Gallieni fut à l'unisson de ces modérés qui façonnèrent la IIIème République dans le sillage de Gambetta.
Il fut certainement aussi le général qui, jusqu'à la victoire de 1918, atteignit une popularité que seul Boulanger avait égalée. Elle reposait sur la reconnaissance émue que lui témoigna le petit peuple de Paris dont, aux heures les plus sombres de 1914, il avait galvanisé la résolution et dont il avait partagé le sort. Quant à l'homme, il demeura simple toute sa vie, même s'il ne dédaigna pas, au faîte de sa carrière, les attraits de la gloire et du pouvoir, et sa vie privée ne donna prise à aucune médisance (seuls l'éloignement et les soucis d'argent assombrirent un moment son bonheur familial).
Autoritaire, il le fut ; arbitraire, jamais. Austère, il le fut aussi, mais ennuyeux, jamais. Homme d'ordre mais figure originale, il ne se laissa jamais enfermer par les préjugés. Surtout, si l'on retient l'image du gouverneur militaire de Paris au visage sévère derrière ses lorgnons, on doit tout autant retenir celle du jeune homme ardent qui piaffait de s'enfoncer au coeur de l'Afrique et se prit d'une véritable fièvre d'écriture que celle de l'homme mûr prenant plaisir aux joies familières au milieu des siens.
Esprit moralisateur mais jamais étroit, il incarna à sa manière l'honnête homme de la IIIe République, belle illustration des vertus de la "médiocratie" du temps.

 

 

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: La colonisation européenne, Documentation photographique, 2004.


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18 mars 2009

conférence de Benjamin Stora

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29 mars 2009 : conférence

de Benjamin Stora

"Paris pendant la guerre d’Algérie"


Le cinéma à la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration
Du 27 mars au 7 juillet 2009

À l’Auditorium de la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration
(Paris-XIIè) -
5€ (plein tarif) – 3,5€ (tarif réduit)

«Quand tous les autres s’appellent Ali…»
En partenariat avec le Goethe Institut
Dans le cadre de l’exposition
"À chacun ses étrangers ? France-Allemagne, de 1871 à aujourd’hui"

(Jusqu’au 19 avril 2009) : Comment les étrangers sont-ils perçus en France, comme en Allemagne, de 1871 jusqu’à l’actualité la plus récente ? Que révèlent ces images de l’«Étranger» ?

Une sélection de films majeurs illustre la question des représentations de l’étranger dans les cinémas français et allemand, les week-ends du 17-18 janvier et du 27-28-29 mars.

Avec la participation exceptionnelle de Hanna Schygulla, le vendredi 27 mars.

Benjamin Stora, historien, présentera, le 29 mars, au cours d’une conférence : Paris pendant la guerre d’Algérie, en introduction du film ‘Elise ou la vraie vie’ de Michel Drach.

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Vendredi 27, samedi 28 et dimanche 29 mars :
Les années 1970, fragments d’un discours amoureux
§ Vendredi 27 mars, 20h : Soirée Carte blanche à Hanna Schygulla, en sa présence

Entrée libre sur réservation, dans la limite des places disponibles : spectacle@histoire-immigration.fr

Hanna Schygulla animera cette soirée autour de l'émigration et l'immigration en Allemagne. De courts films (qu'Hanna Schygulla a elle-même réalisés), et extraits de longs métrages auxquels elle a participé, illustreront cette rencontre ponctuée d'une lecture de ‘Qu'une tranche de pain’, première pièce de Rainer-Werner Fassbinder

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11 mars 2009

Léon Humblot à la Grande Comore (photos)

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quelques photos de la Grande Comore,

sur plaques de verre,

provenant de Léon Humblot

 

Léon Humblot (1852-1914), le "grand sultan blanc" était un naturaliste que le Museum d'histoire naturelle de Paris envoya aux Comores en 1883. Par son initiative personnelle et l'accord avec le sultan Saïd Ali (1885), il permit finalement à la France de prendre le contrôle de cette île. Léon Humblot devint Résident de la Grande Comore de novembre 1889 à juin 1896.

 

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Léon Humblot


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Léon Humblot, à droite ; au milieu, il s'agirait de Georges Laurent,
ingénieur agricole de la société la France coloniale à partir de fin mai 1899
(communication de son petit-fils Jean-Luc Laurent, mai 2009)

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Georges Laurent, à Anjouan (photo transmise par son petit-fils Jean-Luc Laurent,
mai 2009 ; les autres photos de cette page sont dues à M. Dulac)

 

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légende (à venir)


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dessin dû à Saïd Ali (?)

 

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à droite, Léon Humblot

 

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légende (à venir)


Ces images inédites nous ont été fournies très aimablement  par M. Dulac, arrière-petit-fils de Léon Humblot qui vient de verser copie de sa collection aux Archives nationales d'outre-mer (Anom, anciennement Caom, à Aix-en-Provence).

Marie-Hélène Degroise, conservatrice aux Anom explique que les Archives nationales d'outre-mer "conservent déjà un très bel album (FR ANOM 8Fi15) de clichés réalisés par Léon Humblot, lorsqu'il était à la fois le directeur-fondateur de la compagnie de plantes à parfum et le résident de France à Anjouan, ainsi qu'un fonds de plaques de verre venant de la Société Comores-Bambao (FR ANOM 151AQ), qui a racheté la compagnie de [Léon Humblot] dans les années 1930".

Michel Renard

- lien vers la notice de ces archives : FR Caom 151 AQ 1 à 27


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Léon Humblot figure-t-il sur cette carte postale ancienne ?

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Cette carte, légendée, "la mosquée dans un village", semble avoir saisi une scène sur laquelle figure Léon Humblot. Ne serait-ce pas lui, tout à fait à droite, vêtu de ses habituels chemise et pantalon blancs, la barbe fournie et le front dégarni, tenant de sa main droite un casque colonial ?

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photo_lg_comoros
source

 

la Grande Comore

Alfred MARTINEAU (1933)

La Grande Comore est un long fuseau de 70 kilomètres de long sur 15 de large en moyenne ; sa superficie est 90 000 hectares. En cet espace si resserré par la mer se dresse un massif montagneux, que domine, à 2 400 mètres, un volcan éteint. Sauf de rares parties, où la couche de terre est assez épaisse pour permettre des cultures, le reste de l'île n'est qu'un amas de laves, recouvertes de mousse et parfois d'un peu d'humus, dans les anfractuosités desquelles poussent cependant de fort beaux arbres, d'une très grande puissance.

Pas le moindre ruisseau ; deux sources seulement d'un très faible débit, l'une au nord, l'autre au sud ; des puits d'eau saumâtre en bordure du littoral, telle est l'île, l'une des plus pittoresques pourtant et l'une des plus attachantes qui soient au monde. La population y est assez dense, 50 à 60 000 habitants, répartie en un certain nombre d'agglomérations, toutes situées au bord de la mer. Pas une seule habitation dans l'intérieur, où il n'y a ni eau ni terres de culture. L'eau de pluie est partout recueillie dans des citernes.

de petits sultanats rivaux

On ignore tout des origines de cette île, qui, se trouvant sur la route de Zanzibar à Madagascar, aurait été sans doute la relâche obligatoire de tous les navires naviguant dans ces parages, si des rades avaient offert aux navires une sécurité suffisante : on lui préférait Anjouan, où la mer est moins agitée. Elle fut islamisée de très bonne heure et, selon les habitudes moyenâgeuses, était divisée en sept ou huit sultans indépendants, lorsqu'elle se trouva en contact avec les Européens.

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Fomboni en Grande Comore

Le plus important de ces États était celui de Bambao, au centre de l'île, avec Moroni pour capitale ; puis venaient ceux de Badjini, chef-lieu Foumboni, - Mitsamiouli, avec un chef-lieu du même nom ; - Hammamet ; - Boundé et Houachili. Or, vers l'année 1850, régnait à Moroni un souverain, du nom d'Hamet. [Ahmet] Ce sultan fut naturellement en guerre avec ses voisins et, après des alternatives de succès et de revers, finit par être vaincu et détrôné. Vainement il sollicita l'intervention de la France, qui venait de s'établir à Mayotte ; elle se désintéressait encore des autres îles de l'archipel. Ahmet se réfugia à Anjouan, où l'une de ses filles épousa Saïd Omar, le fils du sultan régnant Abdallah. De cette union naquit un fils, Saïd Ali, dont le nom devait être tant de fois prononcé.

Des années passèrent et Hamet [Ahmet] mourut. Mais il vint un jour où Saïd Ali, ayant grandi, songea à faire valoir les droits qu'il tenait de sa mère. Il vint à Moroni et fut proclamé sultan de Bambao. restaient les autres princes, ses rivaux. Il ne pouvait songer au succès définitif qu'avec l'appui d'une puissance étrangère et demanda celui de la France. Un de ses rivaux demanda celui de l'Angleterre. Pour compliquer la situation, les Allemands qui - nous sommes en 1884 - rêvaient de se constituer un empire dans l'Afrique orientale avaient débarqué des hommes à la Grande Comore et leur drapeau avait même été arboré sur les hauteurs qui dominent Foumboni.

le rôle joué par Léon Humblot

La situation fut sauvée d'une façon providentielle par un naturaliste français, qui se trouvait depuis dix-huit Humblot__11_mois dans l'île, à la recherche des orchidées les plus rares ; ce naturaliste ne craignit pas de sortir de son rôle d'explorateur pour faire remplacer le drapeau allemand par le drapeau français et pour traiter, au nom de la France, la reconnaissance de Saïd Ali comme souverain de la Grande Comore. Ce naturaliste était M. Humblot.

L'accord provisoire entre M. Humblot et Saïd Ali ne reçut pas l'agrément intégral de notre gouvernement qui n'osa pas accepter le protectorat qu'on lui offrait et laissa à M. Humblot le soin d'aller comme il l'entendrait et au mieux des intérêts de la France.

M. Humblot conclut avec Saïd Ali, le 5 octobre 1885, un traité régulier en vertu duquel Saïd Ali, sans reconnaître un protectorat qu'on négligeait, s'engageait à n'accepter celui d'aucune puissance étrangère dans le consentement de la France. En vertu du même traité, Saïd Ali donnait à M. Humblot en toute propriété, sans impôt ni location, toutes les terres dont il pourrait avoir besoin et s'engageait en outre à n'accorder aucune autre concession, qu'avec l'assentiment de M. Humblot.

C'était mettre l'île sous le protectorat effectif, non de la France, mais d'un Français. Il est vrai que Saïd Ali, simple sultan de Bambao, disposait en faveur de M. Humblot de terres qui ne lui appartenait pas, de même qu'il disposait aussi en faveur de la France d'un protectorat éventuel sur des sultanats indépendants. Comme toute question mal posée, cette convention allait peser lourdement sur les destinées de la Grande Comore. Illusoire en 1885, elle se posa avec toutes ses conséquences, le jour où Saïd Ali devint sultan de l'île entière et où le protectorat français fut officiellement établi.

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Ce jour n'allait pas tarder. Les Anglais acceptèrent sans récriminer la convention du 5-octobre, mais il n'en fut pas de même des Allemands qui, n'ayant pas qualité pour intervenir directement, poussèrent à la résistance le sultan de Badjini. La guerre tourna mal pour Saïd Ali, qui ne tarda pas à être assiégé dans sa capitale et réduit à la dernière extrémité. Dans cette occurrence, il ne fut pas malaisé à M. Humblot de faire valoir au gouvernement de Mayotte que le succès du sultan de Badjini équivaudrait à un succès de l'Allemagne et à l'établissement d'un protectorat étranger sur la Grande Comore.

Le gouverneur vint à Moroni avec le Labourdonnais, dont les feux mirent en fuite l'armée d'investissement. Saïd Ali, rétabli en ses États, reconnut aussitôt le protectorat de la France, qui le reconnut par contre comme sultan de la Grande Comore (1886).

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l'aviso Labourdonnais (1875-1893)

les conflits de pouvoir

Comme conséquence du traité de 1886, la France envoya à la Grande Comore un résident, M. Weber, pour assister Saïd Ali. Ce résident se heurta tout d'abord aux difficultés créées par le traité de 18856, partout où il rencontrait M. Humblot, ses privilèges et ses exemptions. Il en prit du dépit, de la mauvaise humeur et comme une colère secrète de sentir à tout moment ses efforts paralysés et sa volonté tenue en échec. Dès lors commença entre M. Humblot et l'administration une lutte qui n'a jamais cessé.

Dans les premiers conflits, M. Humblot fut soutenu par Saïd Ali, qui lui témoignait ainsi sa reconnaissance, et cette situation dura jusqu'en 1889, date où, pour détruire cet antagonisme naissant, le gouvernement confia à M. Humblot les fonctions de résident.

Cette abdication devait amener M. Humblot à encourager la conquête de l'île tout entière par Saïd Ali, pour qu'il put retirer lui-même tous les avantages contenus dans le traité de 1885. De là une série d'actes qui mécontentèrent les indigènes et provoquèrent en 1890 une révolte de Badjini et en 1891 une insurrection de l'île presque tout entière. Saïd Ali, traqué jusqu'en ses propres États, dut abandonner sa capitale et se réfugier à Mayotte. L'appui de la France l'y attendait ; le gouverneur détacha un navire de guerre et l'autorité de Saïd Ali fut rétablie. On en profita pour réaliser l'unité effective de la Grande Comore, en supprimant tous les sultans et en centralisant entre les mains d'un seul vizir toute l'action administrative. Les cadis et les chefs de village furent maintenus, mais placés entre les mains du sultan et du résident.

Comme le traité de 1885 avait amené les premiers conflits entre l'administration et M.-Humblot, le triomphe de Saïd Ali amena sa rupture avec le concessionnaire privilégié de la Grande Comore. Saïd Ali avait pris avec lui des engagements en 1885 ; il fallait les tenir ou entrer en lutte : Saïd Ali entra en lutte.

Malheureusement pour lui, le texte des conventions était formel et l'esprit n'en venait pas corriger la lettre. M. Humblot, agissant au nom d'une société, ne se croyait pas en droit de transiger sur les privilèges qui lui avaient été accordés et s'entêtait dans une opposition qui tenait autant à son caractère qu'à la validité de ses droits. L'opposition entre les deux hommes devint tellement vive que, quand M. Humblot fut victime d'une tentative d'assassinat en août 1893, tout le monde accusa Saïd Ali d'avoir été l'instigateur du crime. Cependant Saïd Ali était innocent, comme l'ont démontré les enquêtes administratives et judiciaires.

Les relations restèrent ainsi très mauvaises entre le sultan et le résident, jusqu'au jour où, par un attentat inexcusable, un navire de guerre français étant arrivé à Moroni, Saïd Ali fut invité à s'y rendre, sous prétexte d'une fête. Pendant la nuit, le navire leva l'ancre avec son hôte royal, qu'il conduisit à Mayotte, puis à Diego-Suarez et enfin à la Réunion.

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Saïd Ali, ex-sultan de la Grande Comore

Le contre-coup fut le retrait à M. Humblot de ses pouvoirs, titre et fonctions de résident, qui furent à nouveau confis à un administrateur de carrière. Et de nouveau ce fut la lutte avec M. Humblot, lutte d'amour-propre et d'autorité où il est parfois difficile de dégager exactement les responsabilités. Les accusations mutuelles des intéressés amenèrent à plusieurs reprises le département à envoyer des missions d'inspection, dont les conclusions ne furent jamais les mêmes.

Tandis que M. Humblot, le grand sultan blanc, professait comme opinion que les campagnes de presse coûtent trop cher et qu'il y a moins de désavantages pour un homme à se laisser attaquer qu'à se faire défendre, Saïd Ali était en rapport avec des publicistes qui essayaient de passionner l'opinion et agissaient sur le parlement lui-même. Ils obtinrent en effet que le sultan dépossédé revînt dans ses États, mais pour quelques semaines seulement et après un acte d'abdication régulière, qui sanctionnait en fait sa dépossession de 1893 (convention du 12 septembre 1909).

Un procès en reddition de compte, qui dura une vingtaine d'années, s'ouvrit en même temps devant les tribunaux pour apprécier si M. Humblot n'avait pas abusé des avantages que lui avait donnés l'acte de 1885 ; il portait sur plusieurs centaines de milliers de francs et aboutit à l'obligation pour la Société de la Grande Comore de payer à l'ancien souverain ou à ses ayant-cause une somme de 10 000 francs.

un grand seigneur

M. Humblot est mort en 1914 à Niombadjou, sa demeure préférée. On a jugé diversement son rôle : il est certain qu'il s'est établi et consolidé à Grande Comore par des procédés qui rappellent vaguement ceux de Pizarre et de Fernand Cortez : comme les deux grands conquérants espagnols, il a mis au service de sa propre fortune une volonté et une énergie qui firent l'admiration de tous ceux qui l'ont connu ; comme les deux grands Espagnols, il a estimé que la morale proprement dite ne relevait pas de la conquête ; mais il y avait, dans tous ses actes, des allures de grand seigneur qui plaisaient et dans ses relations personnelles des délicatesses de sentiment qui touchaient. C'était un homme et c'est un nom qui mérite de ne pas être oublié.

Alfred Martineau, tiré de Histoire des colonies françaises,
dir. Gabriel Hanotaux et Alfred Martineau (1929-1933), tome VI, 1933, p. 292-297
(les intertitres sont de nous)
notice biographique sur Alfred Martineau

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source

 

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Ville de M'Roni, panorama de la ville, partie du palais de Said'Ali et de la Résidence,
décembre 1897 ; photo: Henri Pobéguin 
(source)


_____________________________________________

 

liens

- photos de Léon Humblot, déposées à la Société de Géographie, sur le site comores-online.com

- deux clichés dus à Léon Humblot, sur le site du vice-rectorat de Mayotte

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à droite, Léon Humblot, au centre Georges Laurent
(cliché fourni par M. Dulac)

 

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27 février 2009

corsaires du Maroc

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Salé et ses corsaires (1666-1727)

un port de course marocain au XVIIe siècle

un ouvrage de Leïla Maziane



présentation (4e de couverture)

«Chiens, rendez-vous à ceux de Salé», criaient les corsaires salétins en abordant leurs prises. Livre d’aventures maritimes et ouvrage érudit, la thèse d’histoire de Leïla Maziane retrace la vie des corsaires de Salé au cours de la seconde moitié du XVIIe siècle. Peuplée par des Morisques chassés d’Espagne, renégats, marins et marchands musulmans avides de revanche, cette cité du Maroc atlantique devient une république corsaire, un La Rochelle maghrébin, dont les navires et les équipages cosmopolites écument l’océan jusqu’en Islande et dans les parages de Terre-Neuve. À partir d’archives inédites, l’étude de Leïla Maziane nous restitue une grande page de l’histoire du Maroc au temps du sultan Mûlây Ismâ’îl.


sommaire du livre

LES CONDITIONS DE LA RÉUSSITE DE SALÉ

  • La part de l'histoire et de l'espace géographique
  • Aux origines de la fortune de Salé
  • La population urbaine

LES MOYENS MATÉRIELS ET HUMAINS DE LA COURSE

  • Les moyens matériels de la course
  • Les ports-refuges
  • Les moyens humains de la course : l'équipage des navires corsaires

OPÉRATIONS CORSAIRES ET RÉSULTATS éCONOMIQUES DE LA COURSE

  • Le déroulement des campagnes
  • Course et contre-course
  • Bilan économique de la course
  • Les captifs ou les "hommes marchandises"

          

l'auteur

Leïla Maziane est Docteur en histoire de l'Université de Caen Basse-Normandie.
Elle est professeur d'histoire moderne à l'Université Hassan II-Mohammedia et poursuit ses recherches sur l'histoire maritime du Maroc.

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Salé au XVIe siècle

 

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Salé eu XVIIe siècle


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liens

- Salé et ses corsaires, de Leïla Maziane, élu meilleur livre de mer de l'année

- Leïla Maziane : bio-bibliographie

- article en ligne : "Les captifs européens en terre marocaine aux XVIIe et XVIIIe siècles" (texte intégral), Cahiers de la Méditerranée, vol. 65–2002, L'esclavage en Méditerranée à l'époque moderne

 

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Salé (source)

 

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remparts de Salé

 

 

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