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études-coloniales
15 décembre 2007

France-Algérie : dépasser le contentieux historique (pétition)

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France-Algérie

dépasser le contentieux historique

texte de pétition

Le passé colonial ne cesse de resurgir, faisant obstacle à des relations apaisées entre la France et les pays qu’elle a autrefois colonisés. Dans ce passé, l’Algérie a une place particulière, en raison des drames qui s’y sont déroulés. Aujourd’hui encore, trop souvent, l’évocation de la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962) est soumise à la concurrence des victimes, avec leurs souffrances et leurs mémoires, alors que l’ensemble des citoyennes et citoyens des deux rives de la Méditerranée aspirent à passer à autre chose. Mais pour construire un avenir de partage, il faut, au présent, voir en face le passé.

L’histoire apprend, au premier chef, que le système colonial, en contradiction avec les principes affichés par la République française, a entraîné des massacres de centaines de milliers d’Algériens ; et qu’il les a dépossédés, «clochardisés» – pour reprendre le terme de Germaine Tillion – à une grande échelle, exclus de la citoyenneté, soumis au Code de l’indigénat, et sous-éduqués, au déni des lois en vigueur. Mais, aussi, qu’il y eut de multiples souffrances de Français, parfois déportés en Algérie pour raisons politiques, ou embrigadés dans les guerres coloniales, ou encore pris dans un système dont ils sont devenus, à son effondrement, les victimes expiatoires – comme l’ont été les harkis, enrôlés dans un guêpier qu’ils ne maîtrisaient pas –, sans compter ceux qui ont soutenu l’indépendance algérienne et qui en ont payé le prix.

Quelles qu’aient été les responsabilités de la société, c’est bien la puissance publique française qui, de la Restauration en 1830 à la Ve République en 1962, a conduit les politiques coloniales à l’origine de ces drames. Sans omettre la complexité des phénomènes historiques considérés, c’est bien la France qui a envahi l’Algérie en 1830, puis l’a occupée et dominée, et non l’inverse : c’est bien le principe des conquêtes et des dominations coloniales qui est en cause.

En même temps, nous sommes attentifs aux pièges des nationalismes et autres communautarismes qui instrumentalisent ce passé. Ainsi qu’aux pièges d’une histoire officielle qui utilise les mémoires meurtries à des fins de pouvoir, figeant pour l’éternité la France en puissance coloniale et l’Algérie en pays colonisé. Et c’est précisément pour les déjouer – comme pour déjouer les multiples formes de retour du refoulé – que nous voulons que la souffrance de toutes les victimes soit reconnue, et qu’on se tourne enfin vers l’avenir. Cela ne peut être accompli par des entreprises mémorielles unilatérales privilégiant une catégorie de victimes, mais par un travail historique rigoureux, conçu notamment en partenariat franco-algérien.

Plus fondamentalement, dépasser le contentieux franco-algérien implique une décision politique, qui ne peut relever du terme religieux de «repentance». Et des «excuses officielles» seraient dérisoires. Nous demandons donc aux plus hautes autorités de la République française de reconnaître publiquement l’implication première et essentielle de la France dans les traumatismes engendrés par la colonisation en Algérie. Une reconnaissance nécessaire pour faire advenir une ère d’échanges et de dialogue entre les deux rives, et, au-delà, entre la France et les nations indépendantes issues de son ancien empire colonial.

Paris-Alger, le 28 novembre 2007

 

Pour celles et ceux qui souhaiteraient se joindre à cet appel :
- allez sur le site de la Ligue des Droits de l’Homme de Toulon (procédure de signature électronique) en indiquant vos nom et qualités.
- ou envoyez un mail à France.algerie@mailfr.com

Sidi_Ferruch_1830

 

présentation

Cette pétition résulte d'une initiative de jeunes historien(ne)s français(e)s (comme Eric Savarèse, Sylvie Thénault et Raphaëlle Branche), de Pierre Sorlin, Omar Carlier, François Gèze, Gilles Manceron, Tewfik et Brigitte  Allal et moi-même. Elle a reçu notamment l’accord de Hocine Aït Ahmed, de Abdelhamid Mehri, de Mohammed Harbi et de Benjamin Stora (ci-dessous la liste du noyau des premiers signataires), etc.

Au-delà de la critique des politiques mémorielles et des histoire officielles, ce texte est une adresse politique aux plus hautes autorités de la République française aux fins de “reconnaissance de l'implication première et essentielle des traumatismes engendrés par la colonisation en Algérie” – une adresse faite en commun par des Français et des Algériens, mais aussi par quelques autres ( Tunisiens...) qui estiment que le devenir de relations apaisées entre les deux pays est important.

Des personnalités politiques algériennes et françaises ont été pressenties pour signer cette pétition. Elle a été publiée le 1er décembre 2007 par les journaux suivants : Al Khabar (en arabe), El Watan, Le Quotidien d'Oran, L'Humanité et Le Monde.

Gilbert Meynier

 

parmi les premiers signataires

Hocine Aït Ahmed, Zineb Ali-Benali (professeur de lettres, université de Paris 8), Tewfik Allal (typographe, syndicaliste), Henri Alleg, Brigitte Bardet-Allal, professeur de lettres), Fethi Benslama (psychanalyste), Fatima Besnaci-Lancou (éditrice), Sophie Bessis (historienne), Simone de Bollardière, Mourad Bourboune (écrivain), Raphaëlle Branche (historienne, MC à la Sorbonne-Paris-I), Rony Brauman (médecin), Pierre Brocheux (historien, professeur, université Paris 7), Omar Carlier (historien, professeur université Paris 7), Alice Cherki (psychanalyste, Paris), Catherine Coquery-Vidrovitch (historienne, professeur émérite à l'université de Paris VII), Jocelyne Dakhlia (historienne, EHESS), Nicole Dreyfus (avocate), Driss El Yazami (journaliste, secrétaire général FIDH), Nabile Farès (psyvhanalyste, écrivain), Jacques Frémeaux (historien, Professeur à la Sorbonne-Paris IV), Jean-François Gavoury (président association des victimes de l'OAS), François Gèze (directeur des éditions La Découverte), Sadek Hadjeres (responsable politique), Mohammed Harbi (historien, professeur émérite à l'université de Paris 8), Ghazi Hidouci (économiste, ancien ministre), Badié Hima (philosophe), Jean-Charles Jauffret (historien, Professeur à l'IEP d'Aix en Provence), Feriel Lalami (politologue), Alban Liechti (association cause anticoloniale), Gilles Manceron (historien, Ligue des Droits de l'Homme), Abdelhamid Mehri (ex-secrétaire général du FLN), Arezki Metref (écrivain, journaliste), Gilbert Meynier (historien, professeur émérite à l'université de Nancy 2), Nadir Moknèche (cinéaste), Me Jean-Philippe Ould-Aouadia (président de l'association Marchand, Feraoun et leurs compagnons), Hassan Remaoun (historien, université d'Oran), Noureddine Saadi (juriste, écrivain), Eric Savarèse (MC de Sciences politiques, université de Perpignan Via Domitia), Ouanassa Siari-Tengour (historienne, université Mentouri, Constantine), Charles Silvestre (journaliste, L'Humanité, iniateur de l'Appel des douze), Pierre Sorlin (historien, professeur émérite à l'université de Paris III-Sorbonne nouvelle), Benjamin Stora (historien, professeur à l'INALCO), Wassyla Tamzali (écrivain), Sylvie Thénault (historienne, chargée de recherche, CNRS)

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17 décembre 2007

La France doit exiger des excuses de l'Italie (Jacques Marseille)

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La France doit exiger des

excuses de l'Italie

Jacques MARSEILLE

 

À l'heure où le gouvernement algérien exige des «excuses» de la France pour les crimes imputés à la colonisation, il est temps que la France se libère enfin du poids qui l'étouffe depuis plus de deux mille ans... et exige à son tour de l'Italie des excuses pour les crimes perpétrés par César et ses légions contre nos ancêtres les Gaulois.

En effet, si la conquête romaine, comme la conquête française de l'Algérie, a fait bénéficier notre pays de certains bienfaits, elle l'a fait au prix de massacres et d'asservissements dont il n'est pas illégitime de rappeler les manifestations les plus cruelles.  

Il faut tout d'abord souligner que la Gaule était au moment de l'agression italienne un pays de cocagne. Loin d'être un ensemble de villages repliés sur eux-mêmes - contrairement à ce que veut montrer Astérix -, les campagnes de la Gaule étaient densément peuplées. Loin d'être de féroces éleveurs de troupeaux habitant dans de misérables huttes au milieu des forêts, nos ancêtres étaient les acteurs éclairés d'une économie en plein développement qui a permis une expansion démographique sans précédent.

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Histoire de France, pour les cours élémentaires, 1969

À la veille de sa conquête par les colonisateurs italiens, la Gaule comptait sans doute 8 millions d'habitants. Techniciens habiles et artisans réputés, les Gaulois produisaient en série le verre plat utilisé pour les fenêtres, les vases à boire, les bouteilles trapues, les gobelets, les vases à parfum, les gallicæ (grosses galoches à semelles épaisses) et les chariots qui s'exportaient dans l'ensemble du monde méditerranéen. Exploité activement dans le Limousin, l'or excitait l'imagination et la convoitise des étrangers. Dans les villes qui se multipliaient, les techniques ne différaient pas de celles utilisées dans ce qu'on appelait alors le monde «civilisé».

C'est ce pays prospère à la culture originale que va conquérir le colonisateur italien (c'est-à-dire romain) au prix de méthodes qui sont autant de violations des droits de l'homme. Pour s'emparer de sa proie, au mépris des conventions internationales, Jules César multiplie des campagnes terroristes qui en font, plus que Napoléon ou le père Bugeaud, celui dont Hitler a certainement dû s'inspirer. Outre les 600 000 ou 700 vlcsnap_21612000 tués-soit le dixième de la population que comptait alors la Gaule indépendante ! -, César s'est livré à de véritables opérations d'extermination, comme celles dont furent victimes, en 53 avant J.-C., les Eburons. Ces «ancêtres» des Belges s'étant révoltés, César voulut, écrit-il lui-même, «anéantir leur race et leur nom même», une définition avouée de ce qu'on nomme aujourd'hui un génocide.

En -52, excédé par la résistance des habitants d'Avaricum (Bourges), il se livre à un carnage qui témoigne d'une véritable folie meurtrière. Seuls 800 habitants sur 40 000 en réchappèrent. En -46, lorsqu'il fait étrangler Vercingétorix à Rome, il bafoue sans vergogne la future convention de Genève de 1929 sur le traitement des prisonniers de guerre. Enfin, en imposant à la Gaule leur langue, leur religion et leur culture, les Italiens se livrent à un véritable génocide culturel. Imaginons ce que serait aujourd'hui une France celtisée où la langue anglaise et le tempérament irlandais s'allieraient pour faire de notre pays un des champions de la mondialisation. C'est tout ce potentiel de croissance que les Romains ont brisé et dont les Italiens devraient s'excuser lors de la prochaine visite officielle de leur président du Conseil en France.

Ridicule et grotesque, pensez-vous ? Evidemment ! Comme l'est l'exigence du gouvernement algérien. Comme le grand historien Marc Bloch le rappelait, la compréhension du présent repose sur la connaissance du passé et non pas sur son instrumentalisation. Comprendre le passé, c'est se demander pourquoi, de Victor Hugo à Zola et de Jaurès à Maupassant, personne ou presque n'a remis en question les principes de la colonisation française. Qui condamnerait Jaurès [portrait ci-dessous] d'avoir osé proclamer en 1903 à la Chambre des députésjaures : «[...] la France a d'autant le droit de prolonger au Maroc son action économique et morale qu'en dehors de toute entreprise, de toute violence militaire, la civilisation qu'elle représente en Afrique auprès des indigènes est certainement supérieure à l'état présent du régime marocain » ?  

On le voit, Nicolas Sarkozy a fait beaucoup et peut-être trop pour «excuser» les méfaits du système colonial français en Algérie. En fait, si les Algériens voulaient trouver des réponses à leur mal-développement, ils devraient surtout exiger des excuses de ceux qui les gouvernent depuis l'indépendance. Si l'Algérie est aujourd'hui un pays riche peuplé par des pauvres, elle le doit surtout aux gaspillages, aux erreurs de gestion et à la corruption qui gangrènent sa classe politique. En 1962, le PIB par habitant était en Algérie de 1 433 dollars (de 1990). En Tunisie, autre pays soumis au système colonial français, il s'élevait à 1 379 dollars. Quarante ans plus tard, il est de 2 813 dollars en Algérie et de 4 710 dollars en Tunisie, qui ne possède pourtant ni gaz ni pétrole. Est-ce la colonisation qui est responsable d'un tel décalage ?

13/12/2007 - Jacques Marseille
© Le Point - N°1839

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l'Algérie augmente son Pib/hab de 95 % en 40 ans alors que la Tunisie,
avec moins d'atouts, gagne 241%... Comment incriminer la colonisation pour
rendre compte d'une telle différence alors que les deux États sont indépendants ?

réalisation Études Coloniales

 

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liens

- cf. Pourquoi les Vietnamiens n'ont-ils pas revendiqué des excuses ?

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- cf. Les points aveugles d'une certaine rhétorique algérienne "anticoloniale"

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30 avril 2009

Débat sur l’écriture de l’histoire controversée algéro-française

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Stora et Harbi

déterrent le passé colonial en Algérie

 

 

Débat sur l’écriture de l’histoire controversée algéro-française
jeudi 30 avril 2009.

Dans une conférence magistrale au Centre culturel français d’Alger, les deux historiens, Mohammed Harbi et Benjamin Stora, ont abordé, chacun avec son approche, la complexité de l’écriture de l’histoire contemporaine entre l’Algérie et la France.

Porté par le poids du passé colonial, le professeur de l’histoire du Maghreb, Benjamin Stora, le premier à ouvrir le débat, a estimé que «la guerre d’Algérie était au cœur de l’empire français pour avoir connu la naissance de la 5ème République».


de l'amnésie à la guerre mémorielle

Dans sa rétrospective, l’historien reconnaît que «les Français ont entretenu une stratégie d’oubli et d’amnésie après avoir consommé leur défaite politique dans cette guerre. En reléguant la question coloniale dans les banlieues de l’histoire, prise en otage par les différents groupes, entre ceux qui veulent affronter leur passé et ceux qui en font un rempart mémoriel, au lieu de devenir une question centrale dans la recherche historiographique ».

Selon Benjamin Stora, «ce n’est qu’en 1980 qu’il y a eu le réveil de l’autre mémoire, tirée par la communauté des Beurs» ou ce qu’il appelle «les partisans de la nostalgérie».

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manifestant algérien, le 17 octobre 1961 à Nanterre,
photo Élie Kagan

Revenant sur les fameuses manifestations du 17 octobre 1961, en France, le conférencier dira que ces événements lui rappellent qu’on ne peut pas «séparer le processus de l’écriture de l’histoire des mouvements sociaux».

Mais le saut en France, ajoutera-t-il, «a été mis en branle entre 1988-1992, notamment à l’effondrement de l’URSS, de la défaite de l’Armée rouge en Afghanistan, de la chute du mur de Berlin et de la fin du système du parti unique en Algérie». Pour Benjamin Stora, «cette période d’effervescence extrême va ouvrir les énergies sur l’écriture de l’histoire.

Obligeant pour la première fois la France, 30 années après, à ouvrir ses archives d’État, soumises certes à dérogation, mais sources intarissables de fichiers militaires et policiers».

«Durant les années 1990, poursuit l’historien, l’éclatement du récit traditionnel avec le retour des chefs historiques Aït Ahmed, Ben Bella, feu Boudiaf..., relayé notamment dans les colonnes de la presse, a été pour beaucoup dans la remise en cause des faits historiques».

Cela étant, Stora cite deux témoignages phares ayant été à l’origine de l’accélération de l’écriture de l’histoire controversée de ces deux pays, à savoir l’aveu terrible de liquidation physique de Ben M’hidi par Aussaresse et l’exercice systématique de la torture, et la très polémique loi du 23 février louant du rôle positif du colonialisme et son discours de l’anti-repentance qui a installé, selon Stora, «une guerre mémorielle sur les champs français et algérien».

S’y ajoutent, d’après lui, «de nombreuses thèses de jeunes chercheurs qui ont relevé l’existence de 15.000 militaires opposés à la guerre et quelque 150.000 photographies». Sans oublier ces nombreux ouvrages à son actif.


trois grands courants

Pour sa part, l’historien Mohammed Harbi nous renvoie aux trois grands courants qui ont traversé l’Histoire contemporaine de l’Algérie. Le premier, «de type culturaliste, caractérisé par l’interrogation identitaire des Oulémas».

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M'barek El-Mili (1896-1955)

«Divisés en deux tendances, l’une moderniste avec à sa tête M’barek El Mili et Cheikh El Madani, l’autre de type autoritaire (croisade culturelle) à la vision excessive et simpliste prônée par El Ibrahimi et Ibn Badis».

Le second courant, «de type social incarné avant l’indépendance, en particulier par Ferhat Abbas qui a qualifié la colonisation de destruction de l’Algérie traditionnelle». S’y ajoutent après l’indépendance, selon Harbi, «les contestations contre les inégalités entre nations, l’impérialisme et les blocages infrastructurelles».

Le dernier courant politique reflète, d’après le conférencier, «la dynamique interne de la société algérienne qui croyait que si on est colonisé, c’est parce que la société avait des carences qu’un pays étranger est venu combler». Mais aussi, qu’on était gouverné par «un pouvoir non productif et autoritaire sous le règne de la caste ottomane».

La déduction du professeur Harbi, affirmant par la suite que «les secteurs liés à la colonisation sont ceux qui ont bénéficié de l’indépendance», a soulevé le courroux de nombreux présents, venus en grand nombre assister à ce débat historique. Pour Mohammed Harbi, «l'histoire a non seulement été mise au service de la légitimité des pouvoirs en place après l’indépendance, mais a ruiné les départements d’histoire de l’Algérie».

Il ajoutera que «la mise sous muselière de la liberté de parole et du débat contradictoire a fait que l’Histoire absout et condamne, fait et défait les héros. Alors que les médias et les acteurs politiques du moment ont fait de la dénonciation et de l’exclusion un attribut très fort dans cette société».

«Aucun pays ne peut se nourrir des ressentiments et des oppositions usées», dira-t-il enfin avant de revendiquer «l’examen serein du passé colonial et de cesser la mise sous haute surveillance de l’Histoire».

La Voix de l’Oranie
source

 

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Benjamin Stora, Mohammed Harbi

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19 décembre 2011

le livre de Lounis Aggoun

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l'Algérie aux mains des D.A.F. ?

(déserteurs algériens de l'armée française)

présentation du livre de Lounis Aggoun

Maurice FAIVRE

 

Lounis Aggoun,  La colonie française en Algérie. 200 ans d’inavouable. Rapines et péculats, éd. Demi-Lune, 2010, 603 pages, 23 €.

LounisAggoun

 

Le journaliste indépendant Lounis Aggoun, militant des droits de l’homme, complète son livre de 2004 sur la Françalgérie, crimes et mensonges d’État, en nous livrant une thèse révisionniste sur la nouvelle colonisation de l’Algérie par le clan des déserteurs de l’armée française (DAF).

Son ouvrage ne cache aucune des horreurs de la conquête et de la guerre d’Algérie, la guerre totale visant à l’extermination (partielle) de la population par le criminel de guerre Bugeaud et l’abominable Yussuf, la paix des cimetières qui a suivi la révolte de Mokrani, l’armée barbare de Foccart et le commando du sinistre Georges, un ramassis de dégénérés (sic). L’auteur reconnaît cependant l’humanisme des Bureaux arabes, dont il observe les successeurs parmi les porteurs de valises, auxquels il assimile Alleg, Teitgen, Bollardière, et Mauriac .

La prévarication de l’État français sur les richesses de l’Algérie dure depuis 200 ans. Elle commence en 1830 en faisant main basse sur le trésor de la casbah ; tel est le but du débarquement, qui va permettre à la famille Schneider d’implanter la sidérurgie au Creusot. La spoliation se poursuit par la razzia des terres et des troupeaux, par la mainmise des colons sur l’économie algérienne, par le développement de complexes industriels ruineux à Annaba et Arzew, par le contrôle des banques, l’exploitation du pétrole et de l’eau (CGE).

deGaulle
De Gaulle en Algérie en 1959

Ce néocolonialisme a pour origine une manœuvre machiavélique du général de Gaulle, qui aurait encouragé la désertion de 500 officiers et sous-officiers, lesquels ont noyauté l’État algérien dès qu’il fut indépendant. Parallèlement, on apprend que la DST contrôle la Fédération de France du FLN, et qu’il s’établit une connivence dans l’Aurès entre l’armée française et l’ALN. Cette politique expliquerait l’échec de l’affaire Salah, le soutien accordé par l’ambassadeur Jeanneney à Ben Bella (dénonciateur de ses complices en 1951, d’une médiocrité affligeante), la poursuite dans le secret des expériences nucléaires.

L’aide au régime autoritaire algérien fut poursuivie par tous les gouvernements français : Chevènement, l'intrigant Pasqua, l’aventurier Mitterrand, Balladur et Sarkozy, avec la complicité des intellectuels bien pensants (BHL, Glucksmann, Sifaoui) et les commentaires mensongers de TF1 et Antenne 2.

La montée en puissance des canailles du DAF (Déserteurs de l'Armée française) commence par la visite de Bouteflika au prisonnier Ben Bella, instrumentalisée par Larbi Belkheir (et Hervé Bourges) dans le but de confisquer la révolution algérienne. Les DAF organisent ensuite le coup d'État de Boumediene (le serpent) en 1965 et sont majoritaires dans le Conseil de la Révolution. La classe moyenne est prolétarisée, les femmes asservies, la presse  étatisée. Larbi Belkheir manipule Chadli en 1975, puis Bouteflika en 1999.

La corruption se généralise dans les années 1970, le crime (1) politique dans les années 1980, l’éradication dans les années 1990. La Sécurité militaire est devenue une école à tuer avant de se transformer en Département du renseignement et de la sécurité (DRS) sous la direction des généraux Mohamed Mediene (alias Toufik) et Smaïl Lamari. Contrôlant le GIA, le DRS est responsable du massacre de Benthala ; les terroristes d’AQMI au Sahara sont sous sa coupe.

Cette évolution mafieuse est cependant contrariée par des retours de manivelle : la sidérurgie prise en main par les Indiens de Mittal, le pétrole par les compagnies américaines, l’infrastructure et le commerce par les Chinois. Après la mort de Belkheir et Lamari, le criminel de guerre Mediene est devenu le cerveau du régime et joue la carte américaine.

La vérité historique revendiquée par Lounis Aggoun s’appuie sur des témoignages innombrables (dont le mien). Elle semble ignorer cependant des historiens qui permettraient de la nuancer : J. Marseille et D. Lefeuvre, G. Pervillé, J. Frémeaux, B. Stora et J.-P. Brunet .

Maurice Faivre
le 26 décembre 2010

 

1 - La criminalité de l’État algérien a des antécédants : la purge de la bleuïte par la wilaya 3, l’élimination d’Amirouche par Boumediene, l’exécution des officiers disssidents par des colonels fascistes et analphabètes. Elle se poursuit par l’épuration des élites à partir de 1962, la disparition du colonel Chabou, l’assassinat de Krim Belkacem et Mohamed Khider, de Boudiaf, de l’avocat Mecili et du chef de la police Ali Tounsi, des moines de Tibehirine… etc... etc.

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Lounis Aggoun

L’AUTEUR (présentation de l'éditeur)

Ardent défenseur de la vérité, Lounis AGGOUN est avant tout un militant des droits de l’homme. Journaliste indépendant, fin connaisseur des relations entre la France et l’Algérie, il a coécrit, FRANÇALGÉRIE, Crimes et mensonges d'États, (La Découverte, 2004), un livre majeur qui révèle les dessous de la «sale guerre». Le présent ouvrage jette un regard novateur sur quelques-uns des épisodes les plus sombres de l’histoire commune de ces deux pays, de la conquête coloniale jusqu’à aujourd’hui.

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RENVERSANT (présentation de l'éditeur)

Une longue et tumultueuse histoire commune unit la France et l’Algérie en des relations fusionnelles. Se basant sur les travaux de nombreux historiens, de journalistes et de témoins, cet ouvrage apporte une grille de lecture radicalement nouvelle en allant jusqu’au bout de la logique. Faisant fi de la langue de bois, l’auteur développe un ensemble de thèses proprement explosives.

En 1962, une nouvelle forme de colonisation a commencé en Algérie, qui conserve les aspects les plus sombres de la précédente. La révolution est à peine née que débute l’élimination des dirigeants de valeur, compétents et intègres. Une petite clique d’officiers s’appuie alors sur une frange des révolutionnaires pour s’emparer graduellement du pouvoir. D’éliminations politiques en assassinats, se concentre au sommet de l’État ce que le pays nourrit de plus néfaste. L’Algérie devient un État terroriste. Aux deux bouts de la chaîne, en amont et en aval de la spoliation à grande échelle, se trouvait un homme, Larbi Belkheir, l’un des architectes de la confiscation du pouvoir en 1962 et le promoteur en 1999 du régime présidé par Bouteflika.

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Larbi Belkheir en 1968

En décidant d’envahir l’Algérie, la France a-t-elle apporté Les Lumières ou l’incendie ? La colonisation a-t-elle eu un caractère positif ou génocidaire ? De Gaulle a-t-il offert l’Indépendance ou bien a-t-il plongé le pays dans un cauchemar dont celui-ci n’arrive pas à sortir ? Les Algériens ont-ils réellement accédé à l’Indépendance ou furent-il dès le départ piégés par les aventuriers entourant le général ?

Boumediene a-t-il succombé à une mort naturelle ou fut-il empoisonné par les DAF, ces déserteurs de l’armée française dont il bridait les ambitions ? Le pouvoir qui lui succéda était-il souverain ou contrôlé en sous-main par un clan d’agents de la France (Hizb França) derrière Chadli ? L’assassinat d’Ali Mécili par la Sécurité Militaire algérienne s’est-il accompli en dépit des forces de l’ordre dirigées par Charles Pasqua ou bien ce dernier a-t-il participé à l’élimination d’un des principaux opposants algériens ?

Quel rôle la France a-t-elle joué lors de la descente aux enfers de l’Algérie au cours de la décennie 1990 ? Le terrorisme islamiste est-il, comme le présentent les médias, un fléau contre lequel les services algériens et français ont combattu pour sauver l’Algérie de la talibanisation et la France de la contagion ? Ou est-ce une aubaine pour justifier le maintien du peuple algérien sous le joug, de sorte à légitimer le pillage des ressources ? Al-Qaïda au Maghreb islamiste est-il une «franchise» du couple infernal ben Laden/Zawahiri, ou ses commanditaires sont-ils installés au Club des Pins ? Qui sont les véritables maîtres de l’Algérie ?

Voilà quelques-unes des nombreuses questions auxquelles l’auteur tente de répondre, sans peur de briser les tabous, en dévoilant certains des aspects les plus noirs de la relation entre les deux pays. Au fil des pages, les mythes ne cessent d’imploser !

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Larbi Belkheir et le général Nezzar

De Napoléon à Sarkozy, de Talleyrand à Pasqua, du dey d’Alger à Larbi Belkheir, dans de fascinants et vertigineux allers-retours entre hier et aujourd’hui, ce livre retrace près de deux siècles d’une histoire aussi complexe que tumultueuse. En revisitant l’histoire récente de manière factuelle et très documentée, il ambitionne d’apporter, avec beaucoup de courage, une parcelle de vérité dans un océan de mensonges et de désinformation. Il est temps de faire la lumière sur les «pages glorieuses de la colonisation française», sur les drames de la guerre d’Algérie, tout comme sur la situation économique actuelle d’un pays tout entier dévoré par la prévarication.

 

- Lounis Aggoun présente son livre (vidéos)

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Algérie, 1962 © Marc Riboud

 

Rania Saoudi

Interview Lounis Aggoun, La colonie française en Algérie. 200 ans d'inavoubale.

Lounis Aggoun est militant des droits de l’Homme et journaliste indépendant co-auteur de Françalgérie, Crimes et mensonges d'États (La Découverte, 2004) et auteur de La colonie française en Algérie. 200 ans d’inavouable. Il répond ici aux questions que chaque algérien est en droit de se poser. Il nous explique quelles sont les véritables relations entre la France et l'Algérie depuis "l'indépendance" jusqu'à aujourd'hui.

Q - Pouvez-vous nous expliquer quel est votre parcours ? Pourquoi avoir écrit ce livre ?

R - J’ai participé, avec Jean-Baptiste Rivoire, un confrère travaillant sur Canal+, à la réalisation de documentaires sur les événements récents en Algérie. Nous avons par exemple enquêté sur l’assassinat du chanteur kabyle Lounès Matoub, attribué un peu trop vite aux islamistes, alors que tout le monde dans la région savait qu’il s’agissait d’une élimination politique à laquelle ont participé des notables locaux. Nous avons constaté que l’impact d’un film, aussi important soit-il, dépasse rarement les semaines de sa diffusion ; il est ensuite vite oublié.

De là nous est venue l’idée d’écrire un livre pour réunir et graver dans le dur des vérités éparses ; donner quelques repères solides pour ceux qui souhaitent comprendre l’Algérie. Il s’agissait aussi de neutraliser l’argument facile selon lequel si la vérité n’est pas dite, c’est que personne ne la connaît. Or, la vérité, le monde politico-médiatique la connaissait, et c’est pourtant le mensonge officiel qui s’imposait chaque fois. Françalgérie, crimes et mensonges d’États, comme tous les ouvrages dérangeants, a subi une omerta totale. Tout ce que nous avions écrit était pourtant vrai, jamais démenti. Sur de nombreux sujets, il reste une référence, comme l’assassinat des moines de Tibhérine, les événements d’octobre 1988, la création des commandos terroristes, les attentats à Paris, etc.

France Algérie livre

Pour épais qu’il était, l’ouvrage laissait plusieurs questions en suspens. Dans 200 ans d’inavouable, je me suis efforcé de combler certaines lacunes et proposer une grille de lecture des événements depuis 1962 qui permet de mieux comprendre le malheur du peuple algérien. On ne peut rien construire sur le mensonge et l’occultation. L’un des non-dits qui bloquent toute connaissance sur ce pays et toute compréhension des enchaînements des événements porte sur la transition de 1962. Le tabou absolu, à l’aune duquel on sacrifie le peuple algérien et, de fil en aiguille, le peuple français aussi. La vérité est que le peuple algérien n’a jamais véritablement acquis son indépendance. Si l’on admet cela, alors tout devient clair. Si on refuse de façon intégriste cette réalité pourtant aveuglante, on fait le lit de toutes les aliénations qui minent le devenir des deux pays depuis demi-siècle.

En 1962, une colonisation brune (dans tous les sens du terme) s’est substituée à une colonisation blanche, qui reproduit à l’identique, parfois en pire (l’ancienne avait l’ambition de bâtir quand la nouvelle n’a eu de projet que de détruire), les pratiques coloniales. Cette vérité s’est dissimulée derrière l’éclat trompeur d’un tournant décolonisateur qui se résume au déracinement d’un million d’Européens d’Algérie, le rapatriement de l’armée française, avec les drames qui accompagnent de tels exodes, notamment pour les harkis et les pieds-noirs dans l’Oranais. Mais les Algériens eux, hormis de servir d’alibi magnifique, n’ont jamais acquis leur indépendance. Le seul vote, depuis 200 ans, où ils ont exprimé dans des conditions satisfaisantes leur opinion, a eu lieu le 3 juillet 1962.

Algérie 1962
Algérie, 1962

Q - Pourquoi la France n’a-t-elle pas donné son indépendance à l’Algérie comme elle l’a fait pour le Maroc ou la Tunisie ? Vous nous expliquez pourtant que dès 1947, le Général De Gaulle veut se débarrasser du «boulet algérien».

R - D’abord rien ne se donne. L’indépendance, la liberté, la souveraineté, le droit à la parole, cela s’arrache. Cela étant dit, l’Algérie était une colonie de peuplement. Ce n’était pas le cas au Maroc et en Tunisie. Après près d’un siècle et demi de présence française, plusieurs générations d’Européens d’Algérie ne connaissaient de la Métropole que de lointains échos dans la presse. L’Algérie était leur pays. Et puis il y avait les Juifs d’Algérie, qui étaient là depuis des millénaires, qui étaient des autochtones. Tous ces hommes et ces femmes ne pouvaient pas comprendre qu’il leur faille abandonner leur pays, leur terre, leur histoire, leur vie.

Imaginez les Français d’origine algérienne aujourd’hui ? Leur présence en France date d’un demi-siècle pour une grande majorité. Il serait inconcevable, eux qui sont nés en France, dont les parents sont parfois nés en France, qui n’ont pour certains aucune attache en Algérie, qu’un parti politique nationaliste et xénophobe qui accéderait au pouvoir crée les conditions de leur exode forcé, en quelques mois. C’est exactement ce qui s’est produit en 1962, sans que personne n’y trouvât à redire. La chose s’est déroulée en ces termes sans que le moindre débat n’ait eu lieu, au seul motif que c’était un «courant de l’histoire» auquel nul ne pouvait résister, «la décolonisation». Qui peut dire quel sera le mouvement de l’histoire demain ? En d’autres mots, la vérité sur ces questions s’impose non pas seulement comme un devoir d’histoire, mais comme un impératif d’actualité, pour éviter que les mêmes erreurs se reproduisent, que les mêmes inconséquences conduisent aux mêmes drames.

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explosion de la première bombe atomique française dans le désert algérien,
le 13 février 1960

Quant à De Gaulle, son désir n’était nullement de renouveler le bail de l’aliénation des Algériens. Il voulait simplement s’assurer que l’Algérie indépendante s’associe à la France et que ne soient pas fondamentalement contrariés les axes vitaux de sa politique (les expérimentations nucléaires et l’approvisionnement de la France en pétrole). C’était légitime. Le drame, c’est que les dispositions qu’il a prises pour s’assurer de cette forme de docilité de l’État algérien a été à la base de toutes les spoliations depuis. C’était le péché originel, sur lequel se sont greffés tous les autres. Une sorte d’engrenage démoniaque dont ni l’Algérie ni la France ne parviennent depuis à s’émanciper. Y avait-il d’autres solutions plus justes que celle qui s’est finalement imposée ? Une solution qui aurait permis à toutes les composantes de la nation algérienne de l’époque de gagner au change ? Certainement. Mais on ne refait pas l’histoire...

Le troisième volet de sa politique, outre le nucléaire et le pétrole, c’était donc l’indépendance algérienne, garante à rebours de la cohésion nationale française. Il a lancé diverses initiatives (militaires, politiques et, pour certaines, hélas, inavouables, via les services secrets). Mais, isolé, à la merci d’un putsch, menacé de mort par l’OAS, avec une opinion qui risquait de virer rapidement en sa défaveur, de Gaulle a été conduit à penser qu’il fallait parer au plus pressé, à procéder au «dégagement». De toutes les initiatives, c’est la démarche de l’ombre qui l’a finalement emporté, de surcroît dans la précipitation. Et tant pis alors pour les victimes !

L’ennui, c’est qu’il n’y a finalement eu que des victimes, hormis une poignée d’individus sans foi ni loi, sans scrupules, vouant une haine intarissable aux Algériens, et déterminés à les maintenir en servitude permanente. Ce sont les fameux DAF, les déserteurs de l’armée française.
Quelques noms ? Larbi Belkheir, Khaled Nezzar, Mohamed Lamari, Mohamed Touati, Abbas Gheziel, Abdelmalek Guenaïzia, Kamal Abderrahmane. Ils ont eu le renfort d’officiers formés par le KGB, la promotion «Tapis rouge», parmi lesquels figurent Yazid Zerhouni, Mohamed Mediene, dit Toufik. Vous avez là les principaux acteurs du pouvoir algérien dans toute sa splendeur…

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Ben Bella et Boumediene

Q - Comment s’est déroulée la transition du pouvoir en 1962 ? Qui sont les déserteurs ?

R - Pour s’assurer une emprise sur le pouvoir algérien naissant, de Gaulle s’est appuyé sur un ambitieux, Ahmed Ben Bella, propulsé leader de la Révolution lui qui en était la fêlure, et, à l’échelon subalterne, sur un encadrement constitué des DAF. Il y avait au sein de l’armée française des sous-officiers et des officiers qui, l’indépendance approchant, devenaient encombrants. Quoi de mieux que d’en délester les effectifs tout en les missionnant de servir les intérêts de la France au sein des institutions algériennes indépendantes ?

Je fais la démonstration irréfutable, exemples à l’appui, que ce projet existait, qu’il a été exécuté et que, concernant les objectifs vitaux tels que les concevait de Gaulle, nucléaire et pétrole, il a réussi. Le fait qu’il ait eu les suites déplorables que l’on sait ne l’en rend pas moins réel et le refus obstiné d’ouvrir les archives, le mutisme religieux qui frappe les premiers concernés dès qu’il s’agit de parler de cette question prouve que la guerre d’Algérie ne s’est pas terminée en 1962. J

e dirais même que la colonisation se prolonge dans les têtes de certaines élites françaises, les «banlieues» étant les nouveaux djebels et les immigrés de seconde et troisième générations offrant un prolongement à la politique de l’Indigénat. Que bien des acteurs politiques rêvent de déchoir de leur citoyenneté française et de refouler hors de l’Hexagone…

Bref, ce sont ces mêmes agents de l’armée française (promus rapidement officiers avant leur désertion) qui ont infiltré l’armée des frontières et qui se sont mis à la solde de l’ambitieux Boumediene pour ses coups d’États successifs, en pleine Révolution, puis en 1962 et enfin en 1965. Ces DAF (que certains ont appelés des DPA, pour "déserteurs par avion", selon Gilbert Meynier) ont peu à peu accaparé tous les leviers du pouvoir.

Ce sont eux qui ont d’abord pillé le Trésor public jusqu’en 1990, puis martyrisé le peuple durant la décennie suivante et qui, aujourd’hui, livrent leur sous-sol à tous les prédateurs de la planète. Mais si ces déserteurs ont eu tant de facilité à manœuvrer, c’est qu’ils pouvaient compter sur des cadres de la Révolution qui n’étaient en vérité que des traîtres à leur pays, mais que l’opinion considérait encore comme des patriotes. Ali Haroun, Rédha Malek, Bachir Boumaza, voilà, parmi mille, quelques noms d’individus encore actifs qui ont favorisé le dépouillement de l’Algérie et l’aliénation de leur peuple.

En 1962, il y avait une résistance à ce coup d’État. Mais les Algériens étaient fatigués. Ils scandaient «Sept ans de guerre, ça suffit», quand six mois de plus leurs auraient permis de concrétiser leur indépendance. De 1988 à 1991, ils avaient les conditions de se mobiliser pour reprendre le dessus. Chaque fois, ils ont échoué, victimes d’un manque de solidarité, de calculs étroits, d’opportunisme, d’une forme de régionalisme que le régime à beau jeu d’exacerber et, bien sûr, des manipulations d’un pouvoir dont le seul programme est de les anéantir. Les fléaux sont nombreux. Et les moyens de débat pour les prévenir inexistants.

De tous les pays d’Afrique, l’Algérie, peut-être forte de la plus grande communauté émigrée instruite, ne dispose d’aucune diaspora organisée. Il n’y a plus d’opposition autrement que fragmentée et tous les relais médiatiques à l’étranger ont été subornés par le DRS, radios communautaires, associations, etc.

 

Q - Parlez-nous du coup d’État qui a renversé Ben Bella le 19 Juin 1965 et d’Aït Ahmed? Boumediene est vu par les algériens comme un héros, qui était-il vraiment ?

R - Ben Bella, l’opportuniste absolu : «Du moment qu’il était arrêté, rien ne devait subsister après lui. C’est un ambitieux sans courage. Pour parvenir à ses fins, il passera sur le corps de ses amis. Il est sans scrupule» , disait de lui Abane Ramdane. Cela lui a coûté la vie. Jugement prémonitoire en tout cas puisque Ben Bella a livré à l’ennemi le pays et son peuple pour son seul intérêt égoïste. La vie et le destin de neuf millions d’êtres lui importait en aucune manière. Cet homme n’a jamais commis le moindre acte révolutionnaire digne d’être consacré par une page d’histoire. Sa biographie officielle est une imposture totale. Le seul acte digne d’être cité à sa gloire est d’avoir pu déposséder le peuple algérien de sa dignité, de sa liberté, de son indépendance. Ayant dit cela de Ben Bella, Boumediene, c’est pire…

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Comment se perpétue une légende usurpée ? Le mensonge qui se substitue à la vérité ; c’est même le ressort principal de toute tyrannie. Il ne faut pas oublier que les trois quarts des Algériens sortent à peine de l’adolescence et que pour toute instruction, ils ont subi le matraquage idéologique. C’est un miracle qu’ils parviennent encore à résister à la propagande. Quiconque a vécu sous Ben Bella ou Boumediene sait ce que dictature veut dire et, à moins de compter parmi les myopes et les rentiers, nul ne peut considérer ces hommes comme des héros.

Si la responsabilité de la débâcle est partagée, ces deux hommes, avec Bouteflika, occupent une place primordiale au panthéon des traîtres à leur patrie. Ils sont les destructeurs en chefs de l’Algérie. Partant de là, ceux qui leur ont succédé ont plongé le pays dans un tel état de barbarie qu’avec le recul eux-mêmes apparaissent en comparaison comme de doux humanistes. Même Chadli et Zeroual pourraient prétendre au titre de héros une fois déchus, et vus au travers du filtre déformant de 200 000 victimes innocentes.

La réalité est que chaque despote qui arrive voit autour de lui se déliter le pays et en vient à considérer, sans avoir renoncé en rien à ses penchants initiaux, qu’il ne peut plus aller au-delà de certaines limites. Or, la mécanique du régime impose que chaque lendemain génère des crimes plus graves que ceux de la veille. Il est alors renversé par plus grand despote que lui. À criminel, criminel et demi, en quelque sorte. Cela ne s’est jamais démenti : Ben Bella, Boumediene, Chadli, Zeroual, Bouteflika. La chronique d’une descente aux enfers pour le peuple algérien.

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Houari Boumediene

Seul Boudiaf est venu avec une ambition positive. Il a tenu 5 mois, avant d’être abattu froidement, face caméra. La seule ligne directrice de cette litanie morbide, l’œuvre des DAF, pilotée par Larbi Belkheir depuis 1979. Il procèdera en dix ans à l’élimination de tous ceux qui se sont mis en travers de son chemin. N’ayant pas réussi par la méthode «douce», il plonge ensuite le pays dans la barbarie dix ans encore, avant d’entamer un bail de dix nouvelles années de débauche absolue : débauche économique, prévarication financière sans égale dans l’histoire de l’humanité, débauche de la société, destruction de l’intégralité des structures et des institutions du pays… Et ce n’est pas fini.

 

Q - Le gouvernement français a-t-il participé à l’assassinat d’Ali Mecili en 1987 ? Quel rôle a-t-il joué dans les élections de 1991 ?

R - Quand on parle de la France, il faut faire le distinguo entre ce qui relève du peuple et ce dont sont responsables les dirigeants du pays. J’insiste pour dire que peuples algérien et français ont tout pour travailler ensemble et pour le bien et l’essor communs. C’est au niveau des élites que se pose le problème. Ce régime des DAF, pur produit des services secrets français, qui a éclos dans l’ombre, le détournement, la corruption, l’assassinat, le terrorisme, l’antithèse de l’humanité, s’est hélas forgé avec l’appui des autorités françaises, avec le soutien du chef de l’État quand cela est possible, à son insu ou contre son gré quand cela s’impose.

Larbi Belkheir, bon élève de l’armée française, n’a pas pu fomenter seul un plan d’une telle envergure ; un plan que l’on découvre, après coup, d’une diabolique minutie. Et depuis l’avènement de son pouvoir, derrière la façade Chadli, l’armée, les services secrets et les plus hauts dirigeants français (PS, RPR, UMP, etc.) ne lui ont jamais contesté leur aide jusqu’à sa mort en 2008. Aide financière, politique, militaire, médiatique, sécuritaire. Et les scellés mis sur les archives n’ont qu’un objectif : protéger les DAF, et leurs complices français.

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Ali Mecili, avocat assassiné sur le sol français

Concernant Ali Mécili, je fais la démonstration qu’il a servi de monnaie d’échange dans un deal entre l’État français et la SM algérienne (ancêtre du DRS actuel) pour que cessent les attentats qui ont terrorisé la France au milieu de la décennie 1980. Le maître d’œuvre de cette élimination est la SM, certes ; mais la SM avait reçu la garantie qu’elle pouvait opérer en toute quiétude, et qu’elle bénéficierait de l’impunité pour l’éternité. Charles Pasqua a joué dans ce crime monstrueux un rôle prépondérant, mais Chirac et Mitterrand ne sont pas totalement blancs dans l’affaire.

Mais, incontestablement, celui qui tire avantage de ce crime d’État qui inaugure les rapports de symbiose entre services secrets algériens et français, c’est Charles Pasqua, connu jusque-là comme le voyou de la République et qui, au sortir de cet épisode, a gagné ses brevets d’honorabilité et une place de choix dans la diplomatie française en Algérie, conçu par lui comme le prolongement de son ministère français de l’Intérieur. Le slogan était qu’il allait terroriser les terroristes.

La réalité, c’est qu’il a permis aux terroristes d’avoir un ascendant définitif sur la diplomatie française, dont la "parole est contrainte" depuis. Deux tabous donc, sur lesquels repose les destins indissociables des deux pays : L’indépendance piégée et l’assassinat de Mécili. Voilà pourquoi le verrouillage des médias est une nécessité absolue. Il n’y a pas que le peuple algérien qui en paie le prix…

Au sortir de cet épisode, toute l’administration française s’est retrouvée sous l’emprise des services secrets algériens, soumise au chantage et obligée de s’aplatir y compris lorsque ceux-ci font exploser des bombes sur le sol français ou qu’ils assassinent ses ressortissants. Depuis, ce sont les services algériens qui décident de la quiétude ou non du peuple français. C’est un peu comme si la SM (et le DRS depuis) avait les clés de place Beauvau et de rue Nélaton (siège de la DST). Et lorsque les généraux algériens ont besoin de soutien, Charles Pasqua se transforme quasiment en exécuteur de leurs basses œuvres en France, et en Algérie où il leur fournit tout le matériel qu’ils réclament, au mépris de tous les embargos.

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Robert Pandraud et Charles Pasqua

 

Q - On voit très peu de journalistes ou écrivains avec votre discours à la télévision, le traitement médiatique des évènements algériens semble à la faveur des généraux. Des gens comme Olivier Roy ou encore Anne Dissez ne sont pas invités, on n’entend que Mohamed Sifaoui et Yasmina Khadra.

R - La condition faite au peuple algérien par les élites françaises n’a rien à envier à celle qui prévalait du temps de la colonisation. Je répète, si l’on considère simplement ces deux épisodes déterminants pour les Algériens (et, par voie de conséquence, pour le peuple français), l’indépendance frelatée de 1962 et l’assassinat de Mécili, le séisme que provoquerait la divulgation de la vérité à grande échelle est inouïe ! Cela seul justifie que les archives algériennes ne soient jamais ouvertes.

C’est pour cela que le système médiatique et totalement verrouillé et que l’on s’acharne à museler quiconque éprouve quelque scrupule à mentir de façon éhontée. Il faut écarter les importuns, et combler le vide avec des escrocs intellectuels comme Sifaoui et Khadra. Les deux pays doivent un jour fonctionner de concert, mais il faudra consentir ce petit sacrifice de briser le tabou. Il y aura des victimes, bien sûr : un demi-siècle de personnel véreux. Mais il y en aura incomparablement plus si l’on perpétue le mensonge : les générations futures… La question peut se résumer ainsi, faut-il sacrifier le mythe d’hier, ou les peuples français et algérien de demain ?

 

Q - Dans votre livre, vous évoquez des agents d’influence, qui «ont milité pour empêcher la mobilisation de s’organiser pour freiner les bourreaux». Quels sont les intérêts de personnalités comme BHL ?

R - L’Algérie a beaucoup d’argent, consacré quasi exclusivement à la préservation d’un système mafieux en comparaison duquel la Tunisie de Ben Ali ou l’Egypte de Moubarak sont des havres de démocratie et d’équité. Contre grasse rémunération, les régimes les plus pourris n’ont aucune difficulté à se trouver des avocats. Au-delà de la pure prévarication, les raisons de préserver la «stabilité» de ce régime sont innombrables. Chantage financier, chantage à la fermeture du robinet de gaz, chantage au terrorisme, chantage à la révélation de corruptions auxquelles ont cédé hommes politiques, personnalités médiatiques, élites de tous ordres, etc.

Et puis la légende veut que le régime assure, en bon supplétif des intérêts étrangers, le maintien des Algériens sur leur sol, geôlier gardien de la quiétude des plages méditerranéennes de l’Europe ? Sans compter qu’il sert de rempart contre la mobilisation supposée des solidarités «des peuples arabes» pour la cause palestinienne ? L’Algérie est au carrefour de toutes les prédations, de toutes les manipulations. Il n’est dès lors pas étonnant que se coalisent tous les prédateurs, tous les manipulateurs…

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Des hommes et des dieux, film de Xavier Beauvois, septembre 2010

Q - Un film aujourd’hui fait beaucoup de bruit en France. Il relate l’histoire des moines de Tibhérine. En quoi la DRS est impliquée dans l’assassinat de ces moines ?

R - Les moines habitaient dans un monastère de la région de Médéa, en surplomb de la Mitidja, une zone stratégique où se concentraient tous les maquis du GIA, quasi intégralement contrôlés par le DRS. La hiérarchie militaire algérienne a tout fait pour les inciter à quitter le lieu. Ils ont refusé. Or, leur position géographique et leurs liens avec les populations locales les plaçaient en situation de comprendre les réalités de ce que le monde entier présentait comme une guerre civile menée par des islamistes contre le peuple algérien.

L’intention de départ n’était sans doute pas de les assassiner, mais simplement de les forcer à partir. Et puis, deux raisons valant mieux qu’une, de peser sur les luttes intestines au sein du pouvoir français, entre Alain Juppé et Charles Pasqua (avec Jean-Charles Marchiani comme missi dominici). La guerre entre le Quai d’Orsay et l’Intérieur se solde par des démarches contraires dans le dossier des moines de Tibhérine, ce qui conduit le DRS à donner une leçon de détermination aux autorités françaises (n’oublions pas que quoi que fassent les généraux algériens, l’État français est «contraint» au silence).

Les Français ayant trop tergiversé et l’affaire ayant trop duré, les moines ont eu sans doute le temps de comprendre que leurs ravisseurs n’étaient pas ceux qu’ils prétendaient. Le DRS pouvait-il remettre en liberté des hommes de parole et de vérité, amoureux de l’Algérie, qui n’auraient pas manqué de mettre au jour les inavouables vérités de la lutte antiterroriste, côté algérien et côté français ?

Tout concourait donc à leur élimination. Il suffisait de mettre cela sur le dos des GIA, de l’abominable Djamal Zitouni. Dix ans après, la vérité commence à être révélée. Le DRS a mitraillé les moines depuis un hélicoptère, l’un de ceux-là mêmes que Charles Pasqua a livrés aux généraux en guise de reconnaissance pour avoir fait de lui l’homme d’Etat qu’il est… Pour toutes ces raisons, je le répète, l’assassinat des moines, qui sont, rappelons-le des Algériens, est avant tout une affaire franco-française.

 

Q - Qui sont les véritables maîtres de l’Algérie ? Existe-t-il une relève ? Où va véritablement l’argent des algériens ?

R - J’ai cité quelques noms de généraux. Mais le régime repose sur des soutiens qui vont au-delà de ce premier cercle. Quiconque est prêt à tuer, à voler sans compter, à participer au musellement de ses semblables, à manipuler, à dilapider les ressources du pays, à débaucher son voisinage, à mentir sans sourciller, quiconque consent à faire partie de la lie de l’humanité, est bienvenu dans ce régime.

Et des individus prêts à oublier leurs devoirs pour être comblés de biens, toute société en sécrète à proportion de quelque 10 % de ses effectifs. C’est sur ce vivier que repose le régime, piloté ensuite au sommet par une caste d’officiers supérieurs, auxquels prêtent leur concours des ministres prêts à toutes les prévarications (Chakib Khelil, Barkat, Temmar, Ouyahia, Bouteflika frères, etc.).

Il y a ensuite les institutions du pays, dévoyées par un second rideau de rentiers, des députés, des sénateurs, des élus de tous ordres, la police, les douanes, les administrations, les hauts responsables des entreprises publiques, des acteurs économiques privés, les médias, les chancelleries à l’étranger, etc. Tout ce monde, qui brasse bon gré mal gré quelque 2 millions d’individus, tous secteurs confondus, forme le système politique algérien. Le dénominateur commun, l’avidité d’avoir et de pouvoir. En un mot, ce qui détient le pouvoir en Algérie, c’est «la corruption».

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Q - Quelle est la véritable relation de l’Algérie avec les USA ? Qu’en est-il de l’AQMI ?

R - Dans ce régime, sévissent diverses factions (on dit «clans») qui, toutes, partagent cette volonté d’avoir et de pouvoir et qui, pour rien au monde, ne consentiraient à laisser le peuple recouvrer la maîtrise de son destin. Mais celui qui a accès au robinet des finances, du pétrole, de la signature de contrats, est favorisé par rapports aux clans adverses. Ils se battent donc tous solidairement contre le peuple, mais s’opposent les uns aux autres pour avoir prise directe sur les robinets.

Et pour gagner cette position dominante, ils s’allient avec quiconque veut bien les aider. Avec les Français traditionnellement, et de plus en plus avec tous les prédateurs économiques de la planète, dont les USA, la Chine… L’Aqmi aide les USA, aide les Chinois, aide les Français, aide les Italiens, aide les Espagnols, aide les Hollandais, aide les Allemands, aide les Anglais, aide les Norvégiens, aide le monde entier à siphonner les ressources du Sahel au détriment des peuples de la région.

Il y a des centaines de milliers de kilomètres de pipelines dans une région censée être sous l’emprise totale de cette organisation terroriste. Il n’y a jamais eu le moindre sabotage d’aucune sorte depuis vingt ans de spoliations. Et nul ne trouve cela curieux ! C’est dire à quel point les médias ont atteint un stade terminal de compromission concernant l’Algérie…

 

Q - L’Algérie ne reconnait pas Israël. On a pourtant pu assister en 1999 à une chaleureuse poignée de main entre Bouteflika et Barak. Cependant, en juillet 2000, lorsqu’une délégation de sept journalistes algériens s’est rendue à Tel-Aviv, le président algérien a tenu des propos très durs à leur encontre ("outrage", "trahison des Libanais", "coup de poignard dans le dos des Syriens", "mépris des Palestiniens"). L’Algérie fait-elle encore partie des pays non alignés ? Quel est son positionnement sur la scène internationale ?

R - L’Algérie a toujours, sous couvert de non-alignement, été alignée sur toutes les puissances. Est et Ouest, URSS et USA en même temps. Il y a la position officielle. Et puis il y a les réalités contraires d’un pouvoir de l’ombre. Le pouvoir algérien joue ce jeu de façon admirable, il faut l’admettre. Prétendre combattre la politique sioniste, et s’en faire le supplétif en sous-main. Il faut être naïf pour croire que des journalistes algériens puissent se rendre en Israël, depuis l’Algérie, sans qu’ils en aient été dûment missionnés.

Et la polémique qui s’ensuit est un acte de la monumentale pièce de théâtre qui se joue au détriment du peuple algérien. Le régime autorise la mission, ce qui prouve sa bonne volonté envers Israël et les USA ; «l’opinion» se déchaîne, ce qui montre que le peuple algérien est barbare et inapte à la démocratie, justifiant son maintien sous le joug.

On invite Enrico Macias, ce qui démontre la volonté d’ouverture ; puis on déclenche une monstrueuse polémique, ce qui démontre la vitalité des forces rétrogrades. Et l’on affiche ensuite l’accolade chaleureuse d’Enrico Macias avec Sifaoui. Une comédie bien ficelée, à condition d’oublier les victimes, deux peuples. Dans tout ce processus, les Algériens n’ont jamais eu leur mot à dire. Le régime, Bouteflika et généraux en tête, ne sont ni pour Israël ni contre lui, ni pour la France ou les USA ni contre, ils sont contre le peuple algérien, et quiconque peut les seconder dans leur entreprise de démolition de leur pays et les aider à se maintenir au pouvoir est leur ami, sans distinction de race ou de religion.

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Q - Au vu des évènements actuels, pensez-vous qu’il puisse y avoir une véritable révolution en Algérie ? Quelle est la véritable opposition ? Qui est Said Saadi (dont on a pu voir récemment les relations privilégiées avec BHL ? Aujourd’hui, quel est selon vous le parti le plus porteur d’espoir pour le peuple algérien ?

R - La révolution en Algérie est inéluctable. On pourra la bloquer un temps, mais ce ne sera que partie remise. On pourra jouer au jeu malsain de la manipulation, mais la vérité s’imposera un jour. Aux dernières nouvelles, certains généraux soldent leurs biens en Algérie, et préparent leur exil. La fin est plus proche, même si les solidarités dont bénéficie le pouvoir algérien sont importantes.

Quant aux scènes qui se jouent à Alger depuis le 12 février, ce sont les mêmes acteurs du CNSA (Conseil national pour la sauvegarde de l’Algérie), dont faisait partie Saïd Sadi, qui ont perverti une manifestation hostile au pouvoir en janvier 1992 pour la mettre, avec la complicité d’agents d’influence en France, au service du régime des généraux.

Ce sont ceux-là mêmes qui diffusent les unes de presse stigmatisant le pro-«sionisme» de Saïd Sadi, qui lui ouvrent ensuite les canaux médiatiques français pour le brandir comme avant-garde de la révolte, de la révolution, sachant que sa seule apparition va écœurer l’ensemble des vrais révoltés et les démobiliser.

Mais il ne peut y avoir de manipulateur que s’il y a assez de gens pour accepter de se faire manipuler. Faute d’avoir tiré toutes les leçons de ce qui s’est passé il y a 20 ans, ce sont les mêmes scénarios qui sont mis en œuvre à l’heure actuelle. Le seul objectif est de torpiller la révolution algérienne et empêcher que la contagion tunisienne gagne. Le pari est que la fièvre va durer quelques mois et que tout rentrera ensuite dans l’ordre. L’ordre des baïonnettes, l’ordre de la corruption, l’ordre de la débauche intellectuelle et sociale, l’ordre du viol, de la torture, du mensonge, le contraire de l’humanité.

La véritable opposition, vous ne la verrez pas de sitôt à la télévision française. C’est le peuple algérien, des révoltés de toutes les régions de tous les villages, de l’est à l’ouest du pays, ce sont ces malheureux, jeunes et moins jeunes, qui acceptent de jouer, dans une traversée improbable, sur un rafiot en décomposition, leur vie en misant «pile», avec une pièce qui a deux «faces». L’opposition, ce sont des jeunes qui abandonnent tout et qui s’aventurent où le vent les emportera, persuadés que la mort quasi certaine qu’ils risquent de rencontrer vaut mieux que la vie misérable qui leur est imposée dans un pays qui appartient au monde entier sauf à eux, ce pays qui est pourtant le leur. Il n’y a aucun parti connu à ce jour porteur d’avenir. Tout doit être réinventé. Par la jeunesse. Et la révolte viendra, des fins fonds de l’Algérie profonde, qui viendra un jour submerger le pays de sa fureur.

 

Q - Ne subissez-vous pas de menaces ou de pressions depuis la parution de vos livres ?

R - Non ! L’omerta suffit…

Rania Saoudi pour Algerienetwork
dimanche, 20 Novembre 2011 15:25
source

 Rania Saoudi
Rania Saoudi

 

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5 septembre 2011

Expériences contrastées des soldats en Algérie

9782862609324FS 

 

témoignages de soldats en Algérie

général Maurice FAIVRE

 

- Jean-Charles Jauffret, Soldats en Algérie. 1954-1962. Expériences contrastées des hommes du contingent, Edition Autrement, revue et augmentée, 2011, 383 pages, 55 photos, 25 €.

La première édition avait été recensée par le Cercle des combattants d’AFN en 2001 (1), qui avait souligné  l’intérêt d’une analyse de quelques 430 témoignages traitant des manifestations des rappelés en 1955-56, de la disponibilité des hommes du rang, de la distinction entre réserves générales et troupes de Secteurs, de la compétence des officiers et sous-officiers de réserve, de la solidarité des soldats, des conditions de vie en poste (initialement précaires), de certaines incohérences administratives, de la modernisation des systèmes d’armes (hélicoptères et guerre électronique), de l’efficacité des évacuations sanitaires et de l’acheminement du courrier, des méthodes de pacification  (5ème Bureau, AMG, regroupements, scolarisation), de la confiance accordée aux officiers  (favorable à 78%), du volontariat de nombreux musulmans, des pertes militaires après Evian.

La nouvelle édition tient compte de nouveaux témoignages, portés à 800, des ouvrages et des films diffusés depuis 2000, des débats en cours sur les victimes des irradiations nucléaires et sur la politique de la mémoire (Fondation, mémoriaux, loi de 2005, date de commémoration). Les cadres d’active sont cependant peu sollicités.

L’exploitation des témoignages recueillis, plus de 20 ans après les faits, pose un problème de méthodologie que l’auteur n’occulte pas quand il les décrit contrastés, parfois contradictoires et déformés par le temps (p.113). Il en est ainsi des jugements portés sur les fautes de la IVème République et du Haut Commandement, sur la gabegie des effectifs, sur la finalité du conflit, sur la nébuleuse de la contre-révolution. Sur ces sujets, les directives militaires (Ely, Challe, Olié, Trinquier) et les projets des politiques (Soustelle, Lacoste, Delouvrier, Debré) apportent des réponses qui méritent la discussion. Quant à la démoralisation des soldats, on peut comprendre ceux qui déclarent qu’ils ont perdu le temps  de leur jeunesse. Qui peut se réjouir d’avoir participé à une guerre perdue, alors qu’il a cru pouvoir la  gagner ?

soldats

 

La pertinence des témoins ne peut être reconnue que s’ils sont vérifiés par d’autres (c’est la règle du recoupement des 2èmes Bureaux). Jean Pouget applique cette régle en interrogeant ses subordonnés (p. 181). D’autres témoignages ont été ainsi confirmés ou infirmés au moment des faits. Mais la confrontation des témoins aurait dû s’imposer dans les cas suivants :

- Rocard contredit par Delouvrier, de Planhol, Olié, Bugnicourt et Adjoul

- R.Branche nuancée par la Commission de Sauvegarde du droit et le CICR (2)

- Mauss-Copeaux critiquée par Gilbert Meynier et Roger Vétillard ; Lacoste-Dujardin par Jacques Frémeaux et Vincent Joly ; Bollardière par Allard, Salan et Ely ;  PH Simon par Robert Lacoste, Beaufre, Ely, Debré, Challe ; Favrelière par son capitaine Bôle du Chaumont ; le photographe Garanger par son chef de corps de Mollans,

- Lacheroy réhabilité par la biographie de Paul Villatoux ,

- l’aumônier Peninou  à confronter au Père Casta… etc…

Il faut refuser enfin, comme contraires à l’histoire vécue, des fictions qui prétendent présenter la réalité. Ainsi en est-il, entre autres, des films de Rotman-Siri, de Mehdi Charef , Alain Tasma ou Laurent Herbier.

Ces réserves (3) dites, le livre de JC Jauffret mérite d’être lu et étudié pour son exposé détaillé des expériences des hommes du contingent.

Maurice Faivre
le 4 septembre 2011



1 - Mémoire  et vérité des combattants d’AFN, L’Harmattan, 2001, page 87.
2 - M.Faivre. Conflits d’autorité durant la guerre d’Algérie, L’Harmattan 2004, p. 123.
3 - Certains témoignages appellent la contestation, ou éventuellement des vérifications en archives :
- la participation de la 7ème DMR à l’opération Djenad (p.120)
- l’absentéisme des officiers (p. 255)
- la guerre d’extermination en 1957( p. 298, démenti par Med Harbi)
- le décès à la suite d’une brimade (p. 53)
- les chefs de poste croulant sous la paperasse (p. 105)
- les DOP créés en 1957 (1956 selon Ely)
- les mechtas détruites au napalm (p. 342, étaient-elles occupées ?)
- le contrôle des populations par les SAU qui s’inspirent des nazis et des soviétiques (p.186),
- le ralliement au putsch de la Base de Télergma (p. 134)
- les dégroupements en 1961-62 (p. 274, en réalité un échec)
- la pratique courante des viols selon Mouloud Feraoun (p. 304).

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8 février 2012

8 février, répression de la manifestation au métro Charonne

Alain Dewerpe, Charonne, 8 février 1962 :

anthropologie historique d’un massacre d’État


Régis MEYRAN
 
Paris, Gallimard, 2006, 897 p., notes bibliogr., index, ill., plans (« Folio histoire » 141).
Régis Meyran
 
Nul n'ignore la définition de l’État selon Max Weber, presque devenue un lieu commun des sciences sociales. Le sociologue l’a résumée dans une conférence de 1919 (1); partant d’un aphorisme de Léon Trotski («Tout État est fondé sur la force»), il énonçait : «il faut concevoir l’État comme une communauté humaine qui […] revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime» (2). Or, quand on considère la notion de «crime d’État», on en vient à penser qu’une telle définition doit être complétée, car ce type de crime, si on en admet l’existence, suppose une opposition entre violence légitime et violence illégitime.
Pour dire les choses autrement, que se passe-t-il si des pratiques violentes commises par des agents de l’État ne sont pas acceptées par les citoyens ? Lorsque, pour reprendre une expression de Didier Fassin, un «seuil de l’intolérable  vient d’être dépassé (3) rendant cette violence illégitime ? De ce point de vue, le crime de Charonne, qui entre dans la catégorie des violences «extrêmes», constitue un cas d’école. L’historien Alain Dewerpe s’est livré à une étude érudite d’anthropologie historique sur ce sujet, qu’il a consignée dans un copieux ouvrage (presque 900 pages), résultat de longues années de recherche.

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Rappelons brièvement les faits. Le 8 février 1962, des syndicats ouvriers (CGT, CFTC), étudiants (UNEF) et enseignants (SGEN-CFTC, FEN) – auxquels s’étaient adjoints deux partis de gauche, le PSU et le PCF – appelèrent à manifester à Paris, entre 18 h 45 et 19 h 30. Il s’agissait de répondre aux attentats commis à l’explosif par l’OAS la veille, en même temps que de réclamer la paix en Algérie. Or, le préfet de police, Maurice Papon, avait proscrit tout rassemblement sur la voie publique. Pour faire respecter cette interdiction, la police donna la charge, ce qui coûta la vie à neuf manifestants à la station de métro Charonne.
 
Comment expliquer que des policiers aient eu droit de vie ou de mort sur des citoyens qui défilaient pacifiquement ? On a là quelque chose qui ressemble à un «fait social total», dans la mesure où cet événement – qui n’a pas duré plus de vingt minutes – renferme un ensemble de significations qui éclairent, sous un certain angle, les structures politiques de la société française du XXe siècle. Car, affirme Alain Dewerpe en introduction, un tel massacre ne relève en rien de «l’anecdote» ou du «dérapage» : il a sa logique propre, qui est le résultat de «pratiques sociales» comme de «logiques politiques» (p. 24). [mais tout est le résultat de "pratiques sociales" et de "logiques politiques"... note de Michel Renard]
 
L’auteur a construit son livre en trois parties : tout d’abord, il s’est focalisé sur les mécanismes de la violence policière ; puis, il a analysé le mensonge consistant à nier la responsabilité du gouvernement ; enfin, il a disséqué la façon dont l’appareil judiciaire a tout simplement évacué la responsabilité de l’État. Alain Dewerpe commence par brosser un tableau historique et sociologique de la manifestation de rue.
 
Le modèle qu’il étudie trouve ses origines dans les années 1920 ; il prend la forme de cortèges multiples se déplaçant au hasard, mais convergeant vers un rendez-vous fixé à l’avance. Cette pratique sociale comporte un «enjeu physique et symbolique», puisqu’il s’agit pour les manifestants de «posséder la rue», dans un face-à-face avec les policiers. Une «dramaturgie» se met en place : chaque individu se fond dans la foule en franchissant la barrière symbolique qui sépare le trottoir de la chaussée, et en passant du silence au slogan scandé. L’auteur rappelle qu’un tel exercice est le résultat d’un apprentissage : il existe des «postures [corporelles]» et des «mémoires manifestantes», ainsi qu’une théâtralité collective – même si celle de Charonne fut «modeste» et «retenue» (p. 46).

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Après la foule manifestante, c’est le dispositif policier mis en place ce 8 février qu’Alain Dewerpe a étudié très en détail. Celui-ci visait à reconquérir le territoire : à la façon des stratèges militaires, l’état-major policier, ne lésinant pas sur les moyens, a découpé l’espace urbain en secteurs, qu’il a fait quadriller par des compagnies d’intervention (4). Le nombre impressionnant de policiers mobilisés (3 000) créait une «saturation» numérique de l’espace, tout en formant des barrages fixes pour contenir la foule. Les policiers, équipés de casques, de gants de toile, d’une matraque (le «bidule», bâton long de 83 cm inventé dans les années 1950) et de grenades lacrymogènes, usaient d’une technique simple, mais terriblement efficace : ils refoulaient tout d’abord les manifestants, puis effectuaient la charge.
 
Cette technique comportait un gros risque de dérive vers le massacre, note Alain Dewerpe (p. 188), car les policiers arrivaient en courant, plus ou moins alignés et à «vitesse maximum», sur la foule afin de la «traverser». Le but de la manœuvre n’était certes pas la destruction, mais la «dispersion» ; or, pour que l’efficacité soit maximum, il était conseillé aux compagnies d’intervention d’agir « sans demi-mesure »…
 
Le résultat de la charge à Charonne fut accablant. S’appuyant sur l’accumulation et le croisement des témoignages de manifestants, Alain Dewerpe montre que, après la dispersion de la foule, les policiers ne s’arrêtèrent pas (p. 111) : ils pourchassèrent les manifestants même isolés, les attendirent cachés sous une porte cochère pour les matraquer, et continuèrent à les frapper, même à terre, même blessés. Leur violence fut aussi verbale, faite d’injonctions de tuer. Plus encore, ils violentèrent le moindre passant, fût-il une personne âgée ou une femme, et saccagèrent les immeubles et locaux traversés durant leur course-poursuite. Les policiers utilisèrent, outre leur bidule et des lacrymogènes, les projectiles les plus divers (tout ce qui passait à portée de main, semble-t-il) et notamment des grilles métalliques pour arbres qu’ils laissèrent tomber dans la bouche du métro Charonne, sur une foule entassée en bas des escaliers (p. 130).
 
Que s’est-il passé dans l’esprit de ces policiers pour qu’ils se laissent aller à de tels débordements de violence ? On ne peut s’empêcher de penser à ce phénomène de «basculement dans l’irrationnel», décrit par le politologue Jacques Sémelin (5), c’est-à-dire à un processus d’escalade dans la violence, partant de décisions rationnelles mais qui s’emballent et deviennent finalement incontrôlables. Et si le moment de violence extrême échappe en partie à l’analyse, on peut en tout cas reconstituer la succession des étapes qui y mènent. C’est ce qu’a fait Alain Dewerpe, en remontant à la genèse de cette violence policière.

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Dans un premier temps, il prouve, par une étude approfondie des archives de la police (6), que la charge meurtrière n’était nullement due à l’initiative personnelle d’un commissaire de police, comme l’affirma par la suite Maurice Papon (pp. 137-138), mais bien à un «ordre direct de l’état-major». Il ajoute que les policiers disposaient malgré tout d’une marge de manœuvre certes «limitée mais réelle» : pour un même ordre de charger, il semble y avoir eu, chez les chefs de section, des degrés divers d’administration de la violence, à l’image de ce commissaire qui alla jusqu’à refuser – «avec énergie» – de charger (mais fut muté à cause de ce choix).
 
Dans un deuxième temps, Alain Dewerpe entreprend d’établir l’existence de «cadres cognitifs» propres à certains secteurs de la police, et notamment aux compagnies d’intervention, parmi lesquelles s’est propagée une véritable «culture de la violence». Celle-ci était le résultat d’un processus historique, amorcé à la fin du XXe siècle avec la peur du «Rouge» (syndicalistes, anarchistes, socialistes, etc.). Cette peur se mua dans les années 1920 en un «anticommunisme» policier, qui perdura jusque sous l’Occupation.
 
Un tel imaginaire permit l’avènement, au moment de la guerre froide et de la ­décolonisation, d’un «habitus» et d’une «morale» de la violence (p. 181) articulés autour de nouvelles figures de l’ennemi (l’Algérien, l’étudiant, l’intellectuel, le communiste). Dans les représentations des policiers, les manifestants enfreignaient la loi puisque les rassemblements étaient interdits : ils devenaient alors les responsables de la violence qu’ils subissaient. Pire encore, les policiers croyaient user à leur égard d’une «légitime défense», car ils percevaient la foule comme dangereuse. Un tel renversement de perspective les aidait à justifier leurs actes : le manifestant devenait un Autre diabolisé, un étranger menaçant dont il fallait à tout prix se défendre. Il s’agit là d’une construction fantasmatique bien connue, notamment depuis les travaux d’Omer Bartov sur la violence des soldats allemands sur le front de l’Est, pendantla Seconde Guerre mondiale (7). Selon cette logique consistant à déshumaniser l’Autre, le policier avait le droit de se faire justice lui-même : il était à la fois juge et bourreau.
 
À un stade plus conjoncturel, il faut, pour comprendre cette violence, également tenir compte d’une culture d’extrême droite (p. 186), exacerbée par des sympathies avec l’OAS, notamment chez les chefs de compagnies. En outre, en cette période très tendue de la fin de la guerre d’Algérie, Charonne vient s’inscrire dans la droite ligne d’épisodes sanglants antérieurs, comme ceux du 17 octobre et du 19 décembre 1961. Selon cet enchaînement, un massacre en entraîne un autre, comme par habitude, pourrait-on dire…
 
Dans un troisième et dernier temps, Alain Dewerpe ajoute que cette logique de la violence résulte d’un choix politique : elle est la conséquence directe de la décision prise par le gouvernement, à partir de 1958, de réprimer les mouvements nationalistes algériens, surtout à Paris. C’est donc le cadre institutionnel qui a permis l’asymptote meurtrière… La violence extrême était à la fois enseignée, encadrée et légitimée, sans pour autant être parfaitement contrôlée. Passons à l’étape de la légitimation. Une fois le massacre perpétré, le gouvernement ne pouvait que dissimuler ou mentir (p. 287).
 
Ces seuls choix possibles sont la conséquence, écrit Alain Dewerpe, d’un processus de débrutalisation, grâce auquel a pu émerger la possibilité d’une indignation collective. Face au «scandale civique», le gouvernement a choisi le mensonge. Il y eut d’abord le mensonge tout de suite fabriqué par la police. On lit, dans les rapports de synthèse de la police, à la fois les faits bruts, mais aussi le «travail politique d’interprétation» qui fabrique le «récit légitime de la réalité» (p. 136).
 
L’idée développée dans ce récit était que les communistes avaient utilisé la bonne foi des manifestants honnêtes en fomentant une «émeute». Les policiers avaient alors été obligés de répliquer, et les morts étaient donc le résultat malheureux d’une contre-attaque. Par la suite, le gouvernement produisit une seconde interprétation, contradictoire avec la première, selon laquelle des activistes de l’OAS auraient déclenché la violence, soit en se mêlant aux manifestants, soit en infiltrant les rangs de la police pour accomplir la tuerie. Puis vint la seconde dimension du mensonge, liée cette fois au fonctionnement du droit et des institutions judiciaires. L’historien a accédé ici à un dossier complet, incluant l’enquête préliminaire, le jugement au pénal (qui prononça un non-lieu), une enquête de droit administratif (l’institution se déclarant finalement «incompétente» en la matière), puis un jugement d’ordre civil, qui débouche sur une «responsabilité sans faute»…
 
L’auteur en conclut que tous les ordres judiciaires ont été convoqués pour souffler au citoyen ce qu’il fallait penser du crime de Charonne et donner une décision justifiée par le droit. On ne pouvait se contenter d’une sorte de couverture illégale, dont le modèle serait l’affaire Dreyfus – où le Conseil de guerre s’était prononcé au vu de pièces «secrètes» –, il fallait plutôt une succession de procès légaux, par lesquels se mit en œuvre une façon de contourner le problème. Par exemple, dans le procès en pénal, le juge d’instruction a clos l’affaire et utilisé une amnistie pour signifier que les coupables n’avaient pas à être jugés ; dans le cas du civil, la responsabilité fut attribuée à la fois à la ville de Paris et aux victimes… Finalement, au bout de dix ans de procédure, personne ne fut ni jugé ni condamné, et l’État se déclara incompétent pour juger de cette affaire. De plus, on attribua aux victimes une responsabilité dans la tuerie dont ils avaient été la cible.
 
Alain Dewerpe termine par l’étude de la mémoire de ce 8 février 1962. Il note qu’à partir des années 1980, le massacre du 17 octobre n’est plus occulté, mais que sa réapparition sur la scène publique a pour effet de déprécier l’événement du 8 février (pp. 663 sq.). Aujourd’hui, en revanche, les deux massacres apparaîtraient de plus en plus liés dans la mémoire collective nationale.
 
Au total, l’historien nous livre une recherche magistrale à bien des égards : à la fois étude sur la bureaucratisation de l’État – déjà bien effectuée par Max Weber, mais réalisée ici dans le détail, à la façon de la micro-histoire – et analyse des effets de cette bureaucratie quand elle rend possibles la violence et les mensonges en contexte de crise. Par ailleurs, on y lit comment l’exigence de la mémoire peut servir à rétablir des vérités.
 
Tout cela fournit également des pistes sérieuses pour comprendre les conditions d’existence de la démocratie, dont une partie se joue sur la scène publique, dans les confrontations et négociations entre l’État, les médias et les citoyens. C’est dire l’actualité d’un tel sujet, car si les violences policières sont peut-être moins extrêmes qu’hier, les questions de «mémoire» réinvestissent en force l’espace public. Or, pour comprendre les enjeux des débats sur les mémoires par exemple «noires» ou sur la fracture dite «coloniale», on ne saurait que trop recommander d’en faire l’étude à la fois historique et anthropologique.

Régis Meyran

notes
 
1 - «Le métier et la vocation d’homme politique (Politik als Beruf)», in Max Weber, Le Savant et le Politique, Paris, Plon, 1963 [1959] (« 10/18 ») : 123-222.
2 -  Ibid. : 125.
3 - Cf. Didier Fassin & Patrice Bourdelais, Les Constructions de l’intolérable : études d’anthropologie et d’histoire sur les frontières de l’espace moral, Paris, La Découverte, 2005 («Recherches»).
4 -Les compagnies d’intervention, faites de policiers non permanents, étaient à distinguer des compagnies républicaines de sécurité et des gendarmes mobiles. Bien que non clandestines, l’État rechignait à reconnaître leur existence (p. 178).
5 - Jacques Sémelin, Purifier et détruire : usages politiques des massacres et génocides, Paris, Le Seuil, 2005 («La couleur des idées»).
6 - Ces archives ont, note Dewerpe, un caractère extrêmement bureaucratisé. Tous les dossiers sont faits de la même manière : 1) brouillons, mémos ; 2) feuilles de minutage tenues en temps réel par chaque unité de police, et feuilles de trafic radio ; 3) après coup, comptes rendus des commissaires ; 4) enfin, rapport de main courante établi par l’état-major qui produit la «synthèse autorisée» de l’événement.
7 - Omer Bartov, L’Armée d’Hitler : la Wehrmacht, les nazis et la guerre, Paris, Hachette, 1999 [1990] (« Littératures »).Régis Meyran, «Alain Dewerpe, Charonne, 8 février 1962 : anthropologie historique d’un massacre d’État», L’Homme, 182 | avril-juin 2007, mis en ligne le 16 mai 2007. URL : http://lhomme.revues.org/index4286.html. Consulté le 07 février 2012 - EHESS, Paris.

 

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11 avril 2012

en faveur de Benjamin Stora

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Benjamin Stora: "La France et l'Algérie

devraient respecter tous les morts"

 

[Benjamin Stora nous a fait remarquer le déséquilibre instauré sur Études Coloniales entre les points de vue favorables à son film La Déchirure et les critiques de ce documentaire (dominantes). Il a raison. Mais il faut dire que les éloges n'ont pas manqué ailleurs dans la presse et que celle-ci a très peu relayé les critiques. Dans un souci d'objectivité, nous relayons ces appréciations favorables. Études Coloniales]

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Propos recueillis par Emmanuel Hecht, publié le 18 mars 2012 à 10:04
L'Express

Historien, homme engagé, Benjamin Stora, 61 ans, est sans doute le meilleur spécialiste de l'histoire contemporaine de l'Algérie, sa terre natale. Scénariste de Guerre d'Algérie, La Déchirure, remarquable documentaire réalisé par Gabriel Le Bomin, il revient sur ce que fut la tragédie algérienne, son oubli et son retour dans les mémoires. De part et d'autre de la Méditerranée. 

Benjamin Stora, scénariste de Guerre d'Algérie, la déchirure, remarquable documentaire réalisé par Gabriel Le Bomin, revient sur ce que fut la tragédie algérienne, son oubli et son retour dans les mémoires.  

Aucune manifestation officielle n'est prévue en France pour commémorer la fin de la guerre d'Algérie. Certes, il s'agit d'une défaite, mais ne pouvait-on pas espérer une phrase, un geste, en guise d'apaisement ?

On est toujours dans la guerre des mémoires, où chaque camp dit : "Ma souffrance est supérieure à la vôtre, mes morts sont plus nombreux." Cinquante ans après la fin de la guerre, il serait temps d'en finir avec cette logique mémorielle communautaire. Je souhaiterais que la France et l'Algérie respectent toutes les victimes : Algériens, harkis, immigrés, pieds-noirs, appelés. Ne serait-ce que par considération pour les morts.

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Vous venez d'écrire le scénario de Guerre d'Algérie, La Déchirure. En revisitant cette période, avez-vous eu le sentiment qu'on n'en parle plus de la même façon aujourd'hui ?

Lorsque j'étais étudiant à Nanterre au début des années 1970, on n'en parlait pas du tout ! La société française avait tourné la page. C'est René Rémond qui m'a suggéré de travailler sur le sujet. Il m'a présenté au grand spécialiste d'alors, l'historien Charles-Robert Ageron. C'est sous sa direction que j'ai rédigé ma thèse sur Messali Hadj (1898-1974), le pionnier du nationalisme algérien.

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Vous imaginez... Non seulement l'Algérie n'intéressait personne, mais encore moins le nationalisme, à une époque où les sujets à la mode tournaient autour du socialisme, du mouvement ouvrier, de la lutte des classes... D'ailleurs, j'étais son seul étudiant. Je dois beaucoup à Ageron. Il m'a tout appris du métier d'historien : le bon usage des sources, l'esprit critique, la méfiance à l'égard de l'idéologie. Le tiers-mondisme était très bien porté à l'époque et je militais depuis l'âge de 18 ans dans un mouvement trotskiste, que j'ai quitté quelques années après ma soutenance de thèse en 1978. 

À quelle date commence-t-on à reparler de l'Algérie ?

On sort du silence - et pour le chercheur, de la solitude... - en octobre 1988, avec les émeutes d'Alger, qui feront près de 500 morts. Une foule de questions sont alors posées. Comment les Algériens en sont-ils arrivés là ? Comment expliquer cette violence ? Y a-t-il un rapport avec la première guerre d'Algérie ? Ces événements engendrent un retour de mémoire. Les journalistes s'y intéressent, puis des chercheurs.  

Le temps passant, je suis de plus en plusfrappé par la grande violence de cette guerre 

Mais le grand tournant date de 1992 - moment de l'interruption du processus électoral en Algérie et début d'une terrible lutte entre l'Etat et les islamistes - et du trentième anniversaire de l'indépendance. Les archives françaises sont rendues publiques.

Ce matériau extraordinaire alimente les nombreuses thèses sur les appelés, les harkis, la torture... auxquelles s'attelle une nouvelle génération de chercheurs, plus distante, moins impliquée affectivement. L'année 2002 constitue une autre date marquante. Pour la première fois, un ex-officier supérieur, le général Aussaresses, reconnaît la pratique de la torture. Cet aveu va créer le scandale et l'étonnement. Du côté algérien, les témoignages sur la guerre se multiplient : pas moins de 300 ouvrages sont publiés entre 1995 et 2010. 

Dans les années 2000, également, le cinéma et la littérature s'emparent de l'Algérie...

On assiste en effet à un basculement dans la fiction cinématographique et littéraire. De mémoire, je citerai un certain nombre de ces films sortis dans ces années-là : Mon colonel, de Laurent Herbiet, L'Ennemi intime, de Florent Emilio Siri, La Trahison, de Philippe Faucon, Hors-la-loi, de Rachid Bouchareb, Nuit noire, d'Alain Tasma, sur le 17 octobre 1961, Vivre au paradis, de Bourlem Guerdjou, Sous les pieds des femmes, de Rachida Krim, etc. De jeunes romanciers s'emparent, eux aussi, du sujet : Jérôme Ferrari (Où j'ai laissé mon âme), Laurent Mauvignier (Des hommes), jusqu'au dernier Goncourt, Alexis Jenni (L'Art français de la guerre). Cette profusion par la fiction donne à la guerre d'Algérie une autre dimension.

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Avec le recul, pensez-vous que la meilleure formule pour résumer cette période est La Tragédie algérienne, le titre du livre de Raymond Aron, publié en 1957 et qui provoqua l'ire - et les insultes - de la droite ?

Oui, c'est une tragédie. Le temps passant, je suis de plus en plus frappé par la grande violence de cette guerre. Même si le bilan des victimes est toujours difficile à établir et sujet à polémique, on peut rappeler que de 350 000 à 400 000 civils algériens sont morts, soit 3 % des 9 millions d'habitants algériens : un pourcentage identique à celui des morts de la Grande Guerre de 1914-1918 ; que 1,5 million de paysans algériens ont été déplacés au prix d'un bouleversement total du paysage agricole.
On doit y ajouter de 15 000 à 30 000 harkis, 30 000 soldats français, 4 500 pieds-noirs tués et les 800 000 d'entre eux déplacés en métropole... 

Il faut bien avoir à l'esprit qu'en quelques mois un siècle et demi de présence française s'effondre. L'Algérie n'est pas une colonie comme les autres. Il y a une pénétration de la culture française, des habitudes, des comportements qui vont laisser des traces.
La France s'en remettra parce que c'est une grande nation industrielle et une puissance européenne. D'autant qu'elle feint de tourner la page. Il suffit d'écouter la chanson de Claude François, Cette année-là, consacrée à 1962. Le texte évoque le rock'n'roll, les Beatles, Marilyn... Tout y est... sauf l'Algérie. Pas un mot. Alors que les gens du Sud - pieds-noirs, harkis, soldats - vivent une tragédie, la France célèbre les années yé-yé. Deux histoires se chevauchent. Dans l'indifférence totale. 

Films, livres, préfaces, interviews : vous êtes partout une sorte de "Monsieur histoire d'Algérie". Comment expliquez-vous cette position centrale ? Est-ce seulement la consécration d'un travail ?

J'ai publié des ouvrages sur l'histoire du Vietnam et du Maroc, pays où j'ai vécu plusieurs années. Mais, en France, c'est toujours de l'Algérie qu'on me parle...

Sûrement y a-t-il le résultat de trente-cinq ans de travail, la publication de dizaine d'articles, de livres, de films. J'ai voulu très tôt transmettre mon savoir en produisant des documentaires pour la télévision, ce que, jusqu'à une période récente, peu d'universitaires faisaient. Cette exposition augmente la notoriété, mais aussi l'inimitié et la jalousie...

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Toutes ces explications ne suffisent pas. Sans doute ai-je creusé un sillon d'où surgissent des questions essentielles pour la société française d'aujourd'hui : l'histoire coloniale et les minorités, les communautés et la République, la religion et l'immigration... J'avancerai une autre hypothèse, plus personnelle. Issu de la communauté juive d'Algérie, peut-être suis-je, par mon origine, à l'intersection de ce qu'on appelait les mondes "indigène"-musulman et "européen"-pied-noir, une sorte de passerelle. Je vous livre tout cela en bloc, ce ne sont que des pistes.

propos recueillis par Emmanuel Hecht

 

Benjamin Stora en 6 dates
1950
Naissance à Constantine (Algérie).
1978
Doctorat d'histoire sur Messali Hadj, pionnier du nationalisme algérien.
1986
Maître de conférences à Paris VIII.
1991
Directeur scientifique à l'Institut Maghreb-Europe (Paris VIII).
1996
Membre de l'Ecole française d'Extrême-Orient (Hanoi).
Depuis 2001 Professeur d'histoire du Maghreb à l'Inalco ("Langues O") et à l'université Paris XIII. 

Bibliographie
Benjamin Stora a écrit une trentaine de livres. Le dernier paru est La Guerre d'Algérie vue par les Algériens, coécrit avec Renaud de Rochebrune (Denoël). À noter que son Histoire de l'Algérie en trois tomes (La Découverte) est rééditée en coffret. 

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Comment un tel gâchis a-t-il été possible ?

Quelles en furent les étapes, d’illusions

en mensonges, de crimes en crimes ?

 

Algérie
Bruno Frappat, 17 février 2012 - La Croix

Appel général : au début de mars – à une date qui sera précisée prochainement – France 2 diffusera un documentaire à couper le souffle de tous ceux qui ont connu, de près ou de loin, la guerre d’Algérie (1954-1962). Et à instruire ceux, encore plus nombreux, qui ne peuvent savoir comment ce cancer a rongé l’âme de la France, des deux côtés de la Méditerranée.

Disons-le avec netteté et émotion : on n’a pas le droit de rater cette diffusion ! Ce documentaire en deux parties (diffusées le même jour en «prime time» et suivies d’un débat) est un coup à l’estomac. Il s’appelle Guerre d’Algérie, La Déchirure.

Nous sommes sorti tout retourné de la projection en avant-première réservée à la presse. «Éprouvant» est le mot qui est venu immédiatement à l’esprit. Car ce n’est pas une partie de plaisir, ni une distraction qui attend les téléspectateurs. Mais une épreuve pour la mémoire, une épreuve pour les sentiments, une épreuve pour l’idée que l’on se fait des relations entre les êtres humains, une épreuve sur l’échelle du Bien et du Mal. Une épreuve pour l’intelligence : comment un tel gâchis a-t-il été possible ?

Quelles en furent les étapes, d’illusions en mensonges, de crimes en crimes ? Comment n’a-t-on pas perçu, à l’époque, l’engrenage maudit qui aboutirait à ce divorce d’une brutalité sans nom ?

Gabriel le Bomin, comme réalisateur, Benjamin Stora, comme historien, sont les deux auteurs de cet impeccable travail. Leur texte, dénué de tout aspect polémique, est lu par le comédien Kad Merad.

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Gabriel Le Bomin et Kad Merad

Tous les documents, dont beaucoup d’inédits, sont des films d’époque. Ils ont été retrouvés dans les archives de l’armée française, mais aussi dans celles des anciens «pays de l’est» qui, se situant du côté des «rebelles» du FLN (Front de libération nationale) ont filmé l’autre côté de la guerre. Films tournés par des soldats, par des gendarmes, par des familles de pieds-noirs au moment de leur fuite éperdue de 1962.

Il y a des images insoutenables, jamais vues, comme celles des soldats français égorgés par le FLN, la couleur ajoutant à l’horreur. Ou comme ces vues prises par des Français de soldats abattant, dans le dos, un «musulman» (ainsi parlait-on des «indigènes», à l’époque) qui marche sur un sentier et s’abat dans sa djellaba blanche. Il y a des séquences d’actualité que les Français n’avaient jamais eu la possibilité, à l’époque, de regarder, comme la visite triomphale de Fehrat Abbas, le leader algérien, en Chine. Ou des camps d’entraînement des soldats de l’ALN passés en revue, du côté de la Tunisie, par les futurs négociateurs des accords d’Évian (Krim Belkacem, notamment).

C’est un exploit que d’avoir réalisé un document non polémique, d’une grande honnêteté, ne cherchant pas à donner tort aux uns et raison aux autres. C’est un exploit que de rendre compte, avec une sobriété terrible, d’événements marqués par la passion, la violence, la haine et l’incompréhension.

Il se trouvera sûrement des gens pour critiquer cet équilibre qui ne prend pas partie. Mais l’émotion, justement, vient de cette honnêteté. Nous sommes émus de retrouver, souvent en couleurs alors que nous avions le souvenir d’une guerre en noir et blanc, les acteurs et les terrains d’un conflit qui déchira la France. Qui ne fut conclu que par la prescience et la duplicité stratégique de de Gaulle, accédant au pouvoir grâce aux partisans de l’«Algérie française» alors qu’il savait d’emblée que l’indépendance serait au bout.

Gâchis immense, à faire pleurer. Gâchis de la violence cruelle et aveugle, des attentats contre les civils, des assassinats, de la torture, de l’armée s’engageant contre la nation au prétexte de la défendre, du lâchage des harkis livrés aux vengeances, de l’abandon des pieds-noirs floués à la fois par la métropole, par les pouvoirs et par l’OAS qui, prétendant les représenter, hâta par sa fureur destructrice la fin cauchemardesque de leur présence sur la terre qui les avait vus naître.

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Pertes et profits de l’histoire : les soldats tués au combat, les civils meurtris, les habitants chassés, les relations futures entre les deux pays marquées par l’incapacité de renouer des liens qui furent trop charnels, sans doute, au «temps des colonies». Et tout cela parce que le mépris des évidences et des gens avait, durant des lustres, entretenu une illusion de puissance et de domination éternelles.

Il faut, pour revenir là-dessus à l’occasion de la vision de ce film, avoir le cœur bien accroché. Mais c’est bien avec le cœur qu’il faut le regarder. Un cœur plus large que celui des protagonistes du temps jadis. Un cœur accueillant à l’idée que nous étions dans le schéma classique d’une tragédie non maîtrisable et qui ne fait que des victimes. Sur lesquelles il y a de quoi pleurer.

Bruno Frappat

 

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"Guerre d'Algérie, la Déchirure" :

un film tout en archives, parfois inédites

 

Créé le 15 février 2012 - Le Nouvel Observateur

Pour les 50 ans des accords d'Évian, France 2 diffusera en mars un documentaire événement, "Guerre d'Algérie, la déchirure", premier film tout en images d'archives sur le conflit, dont certaines totalement inédites, avec l'ambition de restituer tous les points de vue.

Ce film, en deux parties de 55 minutes, a été conçu par le réalisateur Gabriel Le Bomin, auteur notamment d'un long métrage remarqué sur la Première guerre mondiale, "Les Fragments d'Antonin", et par l'historien Benjamin Stora, spécialiste de l'Algérie coloniale et de la guerre d'Algérie.

Pour le préparer, ils ont eu accès à des archives inédites de l'armée française, des sources algériennes, des images de la BBC et de télévisions d'Europe de l'Est, des fonds amateurs collectés par des cinémathèques régionales, des films familiaux ou de la Croix-Rouge suisse.

"Au total, on avait 140 heures de rushs disponibles, pour deux heures de récit. L'ECPAD (Établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense, ndlr) nous a permis de travailler à partir de rushs d'origine, et non de films montés. Nous avons aussi été autorisés à utiliser des films dont la diffusion était jusque là interdite", explique Gabriel Le Bomin.

"C'était vraiment une grande nouveauté. Il y a aussi eu tout un travail dans des cinémathèques, notamment d'anciens pays de l'Est, où l'on a pu accéder aux archives des maquis algériens. C'était l'ambition du film, d'avoir un champ/contre champ: raconter le point de vue français, mais aussi celui du FLN".

Film global

L'optique était double : réaliser un documentaire global racontant de manière pédagogique l'ensemble de la guerre d'Algérie, et faire "le premier film français tout en archives" sur le sujet, sans témoignages mais accompagné d'un commentaire en voix off de l'acteur Kad Merad, lui-même né en Algérie en 1964, explique Benjamin Stora.

"C'est un film très original et très difficile à faire, parce qu'il y a des épisodes de cette histoire qui n'ont pas d'archives filmées. Donc il a fallu travailler à leur représentation filmique", ajoute-t-il.

Les attentats ou la torture manquent ainsi d'archives directes, mais ont pu être racontés notamment à travers des images de victimes.

Parmi les archives jamais vues à la télévision française, le film montre des images de cadavres de soldats, parfois mutilés. Ou la visite en 1958 en Chine de Ferhat Abbas, président du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA, front politique du FLN), accueilli par une foule immense.

Il a fallu un peu moins d'un an pour fabriquer Guerre d'Algérie, La Déchirure, qui a fait l'objet d'un travail de colorisation, certaines images étant originellement en couleur et d'autres en noir et blanc. Sa diffusion, dont la date exacte n'est pas encore précisée, sera suivie d'un débat animé par David Pujadas.

D'autres documentaires seront programmés à la télévision pour marquer les cinquante ans de la fin de la guerre d'Algérie: "Algérie, notre histoire", de Jean-Michel Meurice, avec Benjamin Stora, ou "Palestro, Algérie: histoire d'une embuscade", de Rémi Lainé, sur Arte, ou encore "Une histoire algérienne", de Ben Salama, sur France 5.

Du côté des fictions, Arte donnera le célèbre film "La bataille d'Alger", de Gillo Pontecorvo, tourné deux ans après l'indépendance et censuré en France jusqu'en 2005. France 3 diffusera "Pour Djamila", fiction TV retraçant l'histoire de Djamila Boupacha, militante du FLN accusée d'avoir posé une bombe à Alger, qui avait été défendue par l'avocate Gisèle Halimi.

source

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voir aussi : Benjamin Stora : "Guerre d'Algérie, la déchirure" in "La Provence.com". 29 mars 2012

 

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sur Études Coloniales

- réponse de Benjamin Stora à Daniel Lefeuvre et réplique de celui-ci

- Les bombardements du cinquantenaire, le point de vue de Michel Lagrot

- réponse de Benjamin Stora à Guy Pervillé et réaction de Guy Pervillé, à propos du documentaire "La Déchirure"

- critique de Guy Pervillé du documentaire "La Déchirure", sur Études Coloniales

- texte définitif de la critique de Guy Pervillé sur son site

- voir : "La Déchirure" : ce documentaire n'est pas un outil de référence, Daniel Lefeuvre

- voir la mise au point du général Maurice Faivre et les remarques de Michel Renard

 

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image du film "La Déchirure"

 

- retour à l'accueil

15 septembre 2012

l'art militaire de la France à l'extérieur

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technologie et art militaire lors des opérations

extérieures de l’armée française

général Maurice FAIVRE

 

L'armée française a une expérience ancienne des guerres coloniales, des décolonisations et aujourd'hui des opérations extérieures. Il paraît donc intéressant de rappeler ce qu'ont été les technologies militaires mises en œuvre autrefois, de les comparer à celles mises en oeuvre actuellement, et de voir si certaines techniques anciennes sont encore utilisées ou ont été éliminées par le progrès scientifique. La conclusion soulignera l'influence de la technique sur la tactique et sur l'organisation des unités.

La monarchie française a possédé une Empire colonial, en particulier en Amérique du Nord, qu'elle a perdu lors du traité de Paris de 1763, et récupéré en partie en 1814 ; il n'est pas étudié dans cet exposé. Au XIXe siècle, la colonisation française se réfère à l'idéologie des Lumières, exprimée par Victor Hugo : «un peuple éclairé va trouver un peuple dans la nuit».

Cet exposé se limite aux conquêtes coloniales du XIXe siècle, aux décolonisations du XXe siècle et aux opérations extérieures qui ont commencé dans les années 1950 et se poursuivent au XXIe siècle.

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un zouave en Algérie
carte postale ancienne

 

Les conquêtes coloniales

La conquête de l'Algérie, de 1830 à 1849, se poursuit jusqu'en 1891 par l'occupation du Sahara. Des années 1840 aux années 1890, la colonisation française se développe en Afrique noire, en Tunisie, en Indochine et dans les océans Indien et Pacifique. Le protectorat du Maroc est établi en 1912, et des mandats sont confiés à la France après la guerre de 1914-18 (Togo, Cameroun, Liban et Syrie).

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fusil mokhala kabyle

L'Algérien Mohammed Harbi écrit que «l'armée d'Abd-el-Kader est vaincue par une armée supérieurement équipée». Contre la cavalerie algérienne, très mobile et agressive, des lignes de blockhaus sont édifiées en 1832 et 1840. Les fusils mokhala de fabrication locale, utilisés de façon désordonnée, sont inférieurs aux fusils français modèle 77 et surtout 1842 à percussion, et à la carabine rayée de 1837.

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fusil français 1842

À l'occasion de deux trêves, des accords secrets ont sans doute permis à l'émir de recevoir des armes modernes, mais il dispose de peu d'artillerie, et la poudre des munitions est de mauvaise qualité, alors que Bugeaud dispose du système d'artillerie Valée et des canons Gribeauval. Enfin Abd-el-Kader n'a pas de logistique organisée.

Un des procédés utilisés est celui de la razzia, qui prive l'ennemi de ses ressources alimentaires. Les colonnes mobiles de Bugeaud alternent le feu et le mouvement, et ses formations en losange désorganisent l'armée marocaine à la bataille de l'Isly. «La sauvagerie des indigènes, selon Daniel Rivet, rejaillit sur l'occupant par effet de contagion mimétique».

Le recrutement de soldats et de supplétifs locaux, l'utilisation de mulets pour le transport, et de dromadaires pour le combat en zone saharienne, renouvellent les procédés mis en œuvre par Bonaparte en Égypte. Des Bureaux arabes initient au progrès les populations.

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transport de guerre pour la campagne du Maroc, 1907-1911

Sur le théâtre marocain en 1912, la supériorité de l'armement se confirme. Le fusil Lebel à tir rapide de 1886, le mousqueton de 1892, les mitrailleuses Hotchkiss, les canons de 65 et 75 mm réalisent des portées doubles de celles des armes antérieures.
Lyautey, à l'école des principes de Gallieni, progresse en tache d'huile en évitant les destructions, et en multipliant le recours aux goumiers et aux officiers des Affaires indigènes ; pour lui, quatre médecins valent quatre compagnies d'infanterie. En 1925, la guerre du Rif pilotée par le maréchal Pétain met en œuvre les blindés et l'aviation qui ont été expérimentés en 1917.

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artillerie au Maroc, batterie de 75

En Afrique noire, les comptoirs côtiers sont protégés par des fortins en bois contre les incursions des potentats locaux qui disposent d'armes de traite modernes. Le général Faidherbe, ayant l'expérience de l'Algérie, est le pacificateur du Sénégal de 1854 à 1863. Il construit un fort à Médine, base avancée à 600 km à l'est pour les expéditions vers le Soudan. Il forme les unités d'élite des tirailleurs sénégalais et crée pour les enfants des notables une école des otages, destinée à former les futurs administrateurs.

Dans les années 1890, des expéditions pénètrent en profondeur jusqu'au Tchad et au Nil (Opérations Foureau-Lamy et  Marchand : en 1896, le colonel Marchand traverse l'Afrique d'Ouest en Est en passant par  Fachoda ; avec 150 soldats, il parcourt 7.500 km en deux ans et demi) ; leur logistique repose sur le recours aux pirogues et aux porteurs. À Madagascar en 1896, Gallieni applique les procédés de pacification qu'il a mis au point en Indochine.

Lors des guerres mondiales, les troupes indigènes, et en particulier les tabors marocains, deviennent des unités classiques disposant de toute la technologie moderne des armements d'infanterie.

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tout à fait à gauche, thabor marocain

 

Contre-insurrection

Les guerres d'Indochine, d'Algérie, et les combats du Maroc et de Tunisie ont débuté par des insurrections nationalistes. Ce sont pour la France des guerres post-coloniales ou de décolonisation, pour les nationalistes des guerres de libération, d'indépendance et des révolutions politiques. Ayant duré de 7 à 9 ans, ces conflits asymétriques, où prédominent la guérilla et le terrorisme, sont dénommés à tort conflits de basse intensité, car des batailles de type classique ont été conduites sur la Route coloniale n°4, à Na San, à Dien-Bien-Phu, et sur la frontière tunisienne (bataille de Souk-Ahras).

Guerre d'Indochine

La guérilla du Vietminh débute en 1946 avec des armes livrées par les occupants japonais et par les service américains, avant d'être alimentée massivement par la Chine de Mao-Tse-Tung. Grâce à ce renforcement, la guérilla généralisée se transforme en corps de bataille de 125.000 hommes, contre lequel le Corps expéditionnaire français d'Extrême-Orient, composé de soldats de métier, de légionnaires et de troupes coloniales se trouve en infériorité numérique, dans un terrain difficile, où la forêt montagneuse, la brousse dense et les marécages constituent les deux-tiers du territoire. La montée en puissance d'unités autochtones, et l'armement de maquis dans les minorités montagnardes, contribuent au contrôle en surface, tandis que l'aide américaine permet peu à peu d'assurer le recomplètement des armes et des munitions.

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Corps expéditionnaire français d'Extrême-Orient

Dans cette guerre sans front, le commandement français réagit avec le maximum d'efficacité et résiste à la pression communiste en mettant en œuvre des moyens technologiques avancés :

- la recherche électromagnétique lui permet de suivre les grandes unités adverses et de suppléer à la carence du renseignement local ;

- la construction de tours et de points d'appui fortifiés assure la protection du delta tonkinois contre les incursions rebelles, grâce à l'appui d'une artillerie de position et d'intervention permanente et instantanée ;

- 18 groupements mobiles interarmes (dont 7 vietnamiens) ont pour mission de «casser du Viet», en bénéficiant de l'appui des blindés et de l'aviation (4 groupes de chasse et 4 de bombardement). 14 bataillons parachutistes motivés (dont 8 vietnamiens) effectuent 150 opérations aéroportées et mettent au point une doctrine d'emploi adaptée à la menace adverse ;

- le regroupement des populations contribue à la pacification et à l'action psychologique. Les hiérarchies parallèles du Vietminh sont mises en évidence.

Des formes non orthodoxes de combat participent à l'action : commandos d'action en profondeur, groupements amphibies équipés de crabes M29C et alligators LVT4, dinassauts [divisions navales d'assaut] d'action côtière et fluviale (2 LCM et 4 LCVP), bataillons légers vietnamiens, aviation légère d'observation d'artillerie, escadre d'hélicoptères (25 Hiller et 25 Westland en 1952 - 9.640 évacuations soit deux tiers des blessés), lucioles d'éclairage nocturne, réseau de transmissions performant, groupe d'exploitation de l'Intendance, recours accru au personnel féminin (4.200 radios, plieuses et ambulancières).

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évacuation sanitaire dans le camp retranché de Na-San, 1952

Le système des bases de manœuvre permet de fixer et détruire les grandes unités ennemies ; c'est un succès à Na San qui est évacué par surprise, mais un échec à Dien-Bien-Phu où 60.000 vietminh, ravitaillés par des milliers de coolies en bicyclette, et par camions chinois, grignotent la position tenue par 15.000 combattants, grâce à des travaux de tranchées et de sapes. Son artillerie enterrée en contre-pente (11 batteries de 105) interdit le terrain d'aviation et contrebat l'artillerie française. Les pertes sont très lourdes pour les deux camps.

 

Guerre d'Algérie

Après une première tentative de soulèvement, le 8 mai 1945, écrasée brutalement, les nationalistes algériens, initialement divisés et minoritaires, disposant d'armes anciennes et dépareillées (fusils Mauser et Stati, FM Bren), n'entraînent pas derrière eux la majorité du peuple algérien. Ils suppléent à cette faiblesse en employant conjointement la propagande identitaire et la brutalité du terrorisme aveugle, des mutilations corporelles, et l'organisation politico-administrative des villageois, chargés d'actions de sabotages.

Ils organisent en même temps le trafic d'armes obtenues dans les pays arabes et socialistes, et acheminées par les frontières de Tunisie et du Maroc. Organisant alors leur implantation dans les campagnes (Congrès de la Soummam), ils décident en 1956 d'installer le terrorisme urbain en ville d'Alger. Ils perdent successivement trois batailles, le 20 août 1955 dans le Constantinois, en 1957 la bataille d'Alger, et en avril 1958 la bataille des frontières.

Ils décident alors de transférer l'action terroriste en France, et d'agir par le canal de la diplomatie à l'ONU, dans les pays socialistes et dans le Tiers monde. Ils mettent enfin sur pied une armée des frontières en Tunisie et au Maroc, organisée de façon régulière et disposant de mitrailleuses MG 34 et 42, et d'artillerie (canons de 75 et de 105 sans recul, mortiers de 120) ; après son échec de 1958, cette armée bien équipée se contente de harceler les barrages.

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ALN, armée des frontières, en Tunisie, 1962

Les réactions du pouvoir français sont d'abord de renforcer les effectifs en faisant appel à la conscription et au recrutement de nombreux supplétifs. Deux systèmes de forces sont alors constitués :

- 75 Secteurs qui quadrillent le territoire et protègent la population (5.000 postes pas toujours confortables) ;

– trois divisions de réserve générale, à base de parachutistes et de tirailleurs musulmans, qui, dans de grandes opérations de nomadisation, balaient le territoire d'Ouest en Est en détruisant les maquis algériens.

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piton 517, une batterie d’artillerie en appui d’une opération dans la vallée, grande Kabylie (source)

Simultanément, l'édification de barrages frontaliers, minés, électrifiés et surveillés par un système de radars-canons, asphyxient peu à peu la rébellion intérieure. 20 batiments de la marine surveillent la mer et saisissent les bateaux de ravitaillement.
Quant à la lutte contre le terrorisme urbain, elle est conduite d'abord par l'emploi de sévices. «Certains, pendant la bataille d'Alger en particulier, ont été confrontés à un dilemme : se salir les mains en interrogeant durement de vrais coupables, ou accepter la mort certaine d'innocents. S'il y eut des dérives, elles furent marginales» (Livre blanc de l'armée française, 2002) lors des interrogatoires, dans un deuxième temps par la pénétration des réseaux terroristes. L'intoxication des chefs rebelles se traduit par le massacre de centaines de faux traîtres (bleuïte).

Le commandement français a peu à peu réorganisé 20 divisions, qui à l'exception des unités rapatriées d'Indochine, n'étaient pas préparées à la contre-guérilla. Les matériels sont alors modernisés : fusils Garant remplacés par le Mas 36 puis le Mas 49/56 semi-automatique et lance-grenade.

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pistolet-mitrailleur Mat 49 ("Mat 49" signifie : manufacture d'armes de Tulle, 1949)


Sont peu à peu mis en place : le pistolet-mitrailleur Mat 49 et la mitrailleuse AA52, les mortiers de 60 et 81 au niveau compagnie et bataillon, les canons sans recul et les obusiers de 105HM2 et TF50, les postes radios TRPP8, ANGRC10 et C9, les chars Chaffee M24 puis AMX13. Trois cents automitrailleuses AMM8, achetées en 1956, sont complétées par les Engins blindés de reconnaissance Panhard.

Les camions GMC sont blindés, puis remplacés par des Simca 4X4 et des Berliet GBC, aménagés pour un débarquement rapide. Les tenues de combat allégées favorisent la mobilité, les rations de combat sont généralisées. Le soutien logistique est porté à 13 kg par homme-jour. Le ravitaillement en munitions est abondant (40.000 obus par mois).

L'effort le plus important concerne les moyens aériens qui comptent 900 avions et 400 hélicoptères. L'aviation légère de l'armée de terre est mise sur pied aux côtés de l'armée de l'Air et de l'Aéronavale. 25% des appareils sont des avions d'appui T6, complétés ensuite par les T28 Fennec. Les autres appareils sont des Corsair de la marine, des chasseurs Skyraider et des bombardiers B26.

L'emploi du napalm est autorisé sur les groupes armés. Les hélicoptères lourds comptent 55 Banane H21 et 120 Mammouth H34 ou HSS (certains, appelés Pirates, sont armés d'un canon de 20 ; d'autres sont équipés de missiles SS1 et spécialisés dans l'attaque des grottes). La doctrine d'emploi des Détachements d'intervention hélicoptères (DIH) est mise au point, en même temps que la coopération Air-Terre est assurée par l'organisation de 3 Groupements tactiques, de PC Air directeurs et de PC volants. En 1955, les Alouette II médicalisées sont complétées par les Vertol et les Mamouth ; on compte 30 minutes pour les évacuations sanitaires, plus 30 minutes pour l'hospitalisation.

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impact sur le sol de bidons de napalm lâchés par un B-26 du GB 2/91 durant la guerre d'Algérie.
Le B-26 pouvait emporter sous ses plans quatre bidons de napalm qu'il ne fallait pas larguer de trop haut,
les bidons ayant de très mauvaises qualités balistiques et le tir n'étant pas précis (source)

Comme en Indochine, la source principale du renseignement est constituée par la recherche électromagnétique. Les postes radios ennemis sont localisés par goniométrie et homing, ou soumis à des intrusions.

Le général Challe puis Crépin décident de supprimer les postes HF de l'ennemi. La surveillance aérienne relève les traces menant vers les postes de commandement insurgé (méthode Lanlignel). De nombreux organismes participent successivement à la centralisation des renseignements : Service des liaisons nord-africaines – Sécurité du territoire – Deuxième Bureau - Système Renseignement-Action-Protection, devenu Centre de Coordination interarmées – Centres de renseignement et d'action – Bureau études et liaisons – Service technique de recherche opérationnelle – Mission choc (en 1962).

Des formations de combat spécialisées (cavaliers, méharistes, gendarmes, supplétifs, commandos) font face à toutes les formes de menace (maxima atteints) :

- 3 régiments de cavalerie et 5 compagnies muletières (au total 2.500 chevaux et 2.000 mulets) ;

- 434 brigades de gendarmerie départementale et 71 Escadrons de gendarmerie mobile ;

- les Services de sécurité (SSNA), dont 40 compagnies républicaines de sécurité( CRS) ;

- 75 commandos de chasse chargés de marquer les unités rebelles ;

- 2.000 autodéfenses de villages, confiées aux anciens combattants de 1945 ;

- 4 trains blindés ;

- 700 maghzens de protection des officiers SAS qui administrent les communes ;

- 110 Groupes mobiles de sécurité et 800 harkas ;

- 5 compagnies méharistes (montées sur dromadaire), et 9 compagnies sahariennes portées, ;

- 2 détachements secrets d'infiltration au Maroc et en Tunisie.

L'armée conduit en même temps des actions civilo-militaires de pacification par le canal des officiers SAS, des équipes médico-sociales itinérantes, de l'assistance médicale gratuite, des instituteurs militaires, des Comités de salut public, du Service de formation de la jeunesse, des Procureurs militaires de Secteur, du regroupement des populations (2 millions de personnes), des campagnes d'action psychologique (compagnies de haut-parleurs).

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782e Compagnie d'écoutes et de radio goniométrie, Algérie 1957 (source)

 

Opérations extérieures.

Dès 1948, l'armée française a participé à une mission d’observation en Palestine, qui a été suivie d'une quarantaine de missions de maintien de la paix ou d’interposition, réalisées avec l’accord des parties au conflit. Certaines missions sont des initiatives françaises (Cameroun, Tchad, Congo, Calédonie, Côte d’Ivoire), d’autres sont commanditées par l’ONU.

Depuis la fin de la Guerre froide (1989), les OPEX se sont intensifiées et ont eu recours à des spécialistes civils et à une composante policière. L’ONU a pris en charge des États en décomposition en vue de les reconstruire, avant d’être relayée par l’OTAN, puis par l’Union européenne. Ce fut le cas lors de la guerre du Golfe de septembre 1990 à janvier 1991, où la division Daguet comptait 13.000 Français. Ensuite les OPEX ont engagé 8.000 hommes dans les années 1990, elles ont atteint 13.000 soldats français en 2008, et ont été réduites à 9.500 en 2010. En novembre 2007, l'opération EUFOR au Tchad, dirigée par un général Irlandais, comprend des unités polonaises, autrichiennes, suédoises et néerlandaises.

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en Afghanistan

Les OPEX conduites par la France ne peuvent pas être toutes mentionnées dans cet exposé, qui se limitera à une analyse thématique des technologies particulières mises en action. Une observation majeure réside dans le fait que l'État-Major américain se réfère à la doctrine mise au point par des officiers français qui ont servi en Indochine et en Algérie. Il s'agit des colonels Roger Trinquier et David Galula, et de leurs inspirateurs Gallieni et Lyautey.

Considéré comme le Clausewitz de la contre-insurrection, le lieutenant-colonel Galula a observé les révolutions chinoise, grecque et algérienne. Il en tire un plan de lutte en 8 étapes, qui est essentiellement une politique de prise en main des populations, et n'aborde les conditions militaires que sous l'angle de la supériorité des forces ; il préconise une progression en tache d'huile, par l'occupation progressive de tous les villages, ce qui à l'évidence n'a pas été la solution retenue en Afghanistan. Le colonel Trinquier en revanche préconise de porter la guerre chez l'ennemi en spécialisant des commandos supérieurement armés, et en regroupant les populations hors des zones-refuges des insurgés.

Parmi les procédés de supériorité militaire, l'action aérienne tient la première place. On lui doit la destruction d'unités insurgées en Mauritanie, en Côte d'Ivoire, et en Afghanistan, grâce à d'étroites liaisons Air-terre, mais au prix de dégats collatéraux sur les populations. Des succès stratégiques ont été obtenus en Serbie (1995), au Kossovo (1999) et en Libye.

Cette opération de Libye, conduite en 2011 sans engagement au sol, est tout à fait remarquable par la rapidité de l'intervention, par la coordination interarmées et interalliée, et par son soutien logistique à longue distance. Des conseillers des Services spéciaux sont intervenus en Côte d'Ivoire, Somalie, Libye, Afghanistan et Sahara. Les armements les plus modernes ont prouvé leur capacité ; c'est le cas du porte-avion nucléaire, du bâtiment de projection et de commandement, des avions Rafale et Mirage qui ont fait 5.600 sorties et détruit 1.000 objectifs, des hélicoptères qui en vol de nuit ont opéré 600 destructions (30 sorties de 3 à 12 hélicoptères : en général 2 Puma, 4 Gazelle et 2 Tigre), des drônes Male et Harfang, des missiles de croisière et modulaires, de la nacelle de reconnaissance aérienne, des hélicoptères Cougar et Caracal.

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avion de combat Rafale

En Afghanistan, un effort particulier a été porté sur la protection des combattants au sol, qui bénéficient d'un appui aérien immédiat, se réfugient dans des bases opérationnelles avancées (FOB), et sont revêtus de l'équipement Félin à liaisons intégrées.

La protection contre les engins explosifs improvisés (EEI ou Improvised Explosive D) est assuré par des robots de détection et des véhicules d'ouverture de route Buffalo et Arcadis ; il fait l'objet d'un plan d'action auquel participent plusieurs nations alliées.

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prise en charge d'un blessé afghan, 2010 (source)

Les délais d'évacuation sanitaire vers l'hopital français de Kaboul sont estimées à deux heures (88 tués et 685 blessés depuis 2001). Après le retrait en 2012 des «unités combattantes» (sic), décidé en contradiction avec les plans alliés, il restera en Afghanistan les instructeurs et moniteurs de l'armée afghane (650 hommes des opérations Epidote et Operationnal Mentor Liaison Team).

Les opérations extérieures sont l'occasion de vérifier la fiabilité des équipements. Ainsi sont expérimentés les camions équipés du système d'artillerie CAESAR (155 mm, portée de 40 à 50 km, rapidité de mise en batterie et du calcul de tir, mobilité et précision), les véhicules à haute mobilité, les petits véhicules protégés, les véhicules blindés de combat d'infanterie, le lance-roquette unitaire. Par rapport aux activités du temps de paix, tout cela représente un surcoût, qui est estimé de 60.000 à 100.000 euros par homme et par an selon le territoire considéré.

La participation à ces opérations ne s'improvise pas. C'est ainsi que les unités pour l'Afghanistan sont mises en condition avant projection (MCP) au cours d'un stage de 4 à 6 mois, suivi d'un exercice de vérification de 3 semaines en camp de manœuvre. Un memento du chef de section en contre-rébellion est distribué aux sous-offciers.

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Au retour, un SAS de décompression de 3 jours a lieu dans un hôtel de Chypre. Un Groupement interarmées des affaires civilo-militaires, de 100 personnels et 400 stagiaires, a été créé à Lyon. Une cellule d'intervention et de soutien psychologique se préoccupe de sensibiliser les personnels au stress opérationnel. Enfin, une cellule d'aide aux blessés (CABAT) a été constituée, ainsi qu'une Association de Solidarité Défense présidée par l'amiral Lanxade.

Certaines missions ont un caractère humanitaire. C'est le cas de l'Élément médical militaire d'intervention rapide (EMMIR) qui a été dénommé Bioforce et est intervenu en Haïti en 2010. Ce sont aussi les unités de protection civile, engagées lors des catastrophes naturelles.

 

Influence des technologies sur les opérations
et les formations

L'évolution des opérations évoquées permet de retenir les enseignements suivants :

- la supériorité et la modernisation des armes de contre-insurrection est une réalité, depuis les armes à percussion du XIXe siècle, aux canons et aux aéronefs du XXe siècle, contre lesquels les insurgés réagissent par la guérilla, le terrorisme, la dispersion et les explosifs improvisés. Il leur arrive cependant d'atteindre le niveau du combat classique (Indochine,  frontière tunisienne, Libye). Des armes surpuissantes sont utilisées, selon le principe de versatilité : qui peut le plus peut le moins.

- la fortification des bases d'opération est constante, du Sénégal à l'Indochine et à l'Afghanistan. L'exposition Eurosatory en juin 2012 a mis l'accent sur la protection. Une protection excessive (gilets pare-balles) limite cependant la mobilité et impose une motorisation accrue des unités ; le moteur a remplacé le cheval. Des véhicules adaptés sont mis au point (Sherpa light de Renault Trucks Défense) ;

- l'arme aérienne apporte un surcroit de puissance et de réactivité. En Indochine, elle facilite l'observation d'artillerie et contribue à la destruction des unités insurgées, mais se trouve en limite de portée. En Algérie, elle est en concurrence avec la précision et la souplesse des hélicoptères, lesquels remplacent le parachutage. En Afghanistan et en Libye, les drones de différents types (armés, logistiques, détecteurs d'IED) sont expérimentés ;

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le Ventura, affecté à l'Extrême-Orient comme avion de liaison
personnel du Haut-commissaire en Indochine (l'Amiral Thierry d'Argenlieu)

(source)

- les performances des armes influent sur la tactique des unités, telles que la formation en losange de Bugeaud, la progression en tache d'huile, l'infiltration des commandos, le recours au recrutement autochtone ;

- les techniques d'information provoquent une nouvelle révolution de l'art militaire. La radio est utilisée pour la propagande, les écoutes, les liaisons interarmes à longue distance et les émissions brèves. Les radars localisent les mouvements ennemis. L'informatique génère les munitions intelligentes, la numérisation de l'espace de bataille,  les liaisons par internet, et la robotisation (Félin) ;

- les actions civilo-militaires n'ont cessé de se développer, depuis les Bureaux arabes et les SAS, l'assistance médicale gratuite, les hiérarchies parallèles et le regroupement des populations en Indochine et Algérie jusqu'aux moniteurs de formation en Afghanistan et aux cellules de soutien psychologique et de solidarité.

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"l'autoroute de la mort", Koweit-Irak, guerre du Golfe, 1991

Il semble  enfin que la technologie joue un rôle négatif sur l'opinion publique. Les frappes chirurgicales à distance de sécurité, les appareils sans pilote et le télé-traitement médical persuadent l'opinion que la guerre est devenue idéale, courte et propre. Le mythe du zéro mort dévalorise la vocation militaire, il réduit le fossé entre les civils et les soldats, lesquels ne sont plus que des techniciens exerçant un métier à risque.

général Maurice Faivre

 

 

Bibliographie sommaire

ANOCR, Amiraux Guillaud et Ausseur, Général Rozeau, Ing. Gal Torrès.

Aspect humain des opérations extérieures, 2012.

ARMEES d'aujourd'hui, Généraux Irastorza, Sorret et Carmonat, colonel Chauvancy.

Dossier Harmattan, février 2012.

ASAF, Armée et Algérie 1830- 1962, juin 2012.

BARTHES, lieutenant, Journal de marche au 21°Rima, 2009.

BEAUFRE André, général, La guerre révolutionnaire, les formes nouvelles de la guerre, Fayard, 1972.

BOUCHE Denise, Histoire de la colonisation française, Fayard 1991.

BRISSET Jean-Vincent, Manuel de l'outil militaire, A. Colin, 2012.

CADEAU, capitaine, La guerre d'Indochine et la genèse du rapport Ely, SHD, 2011.

Casoar, Dossier Algérie, juillet 2012.

COCHET François, Armes de guerre, XIXe-XXe siècle, Mythes, symboles, réalités, CNRS, 2012, 320 pages.

DELAFOSSE François, Historique du secours héliporté, La Cohorte mai 2012.

ELY Paul, général, Les enseignements de la guerre d'Indochine, 1945-1954, SHD 2011.

FAIVRE Maurice, Le renseignement dans la guerre d'Algérie, Lavauzelle, 2006.

FLEURY, Jean, général, La nouvelle donne géopolitique, Picollec, 2012.

FREMEAUX Jacques, La France et l'Algérie en guerre, Economica, 2002.

9782717845662

FORGET Michel, Guerre froide et guerre d'Algérie, Economica 2002.

GALULA David, Contre-insurrection, théorie et pratique, Praeger 1964, Economica 2008.

HARBI Mohammed, La guerre commence en Algérie, Complexe, 1981.

ISC, Insurrection et contre-insurrection, Stratégique, juin 2012.

MATHIAS Gregor, David Galula, combattant, espion, maître à penser de la guerre contre-révolutionnaire, Economica 2012.

MEDARD Frederic, Technique et logistique en guerre d'Algérie , Lavauzelle, 2002.

MUELLE Raymond, Cdt, Services spéciaux, GCMA Indochine, Edit. Crépin-Leblond, 1992.

NATO, Plan d'action anti-IED, Wikipedia, mai 2012.

RICHARDOT Philippe, Les chemins de la tactique. Des origines à nos jours. CLIP, 2011, 368 pages.

RIVET Daniel, Le Maghreb à l'épreuve de la colonisation, Hachette, 2002.

ROUDIER Philippe, Duel d'artillerie à Dien-Bien-Phu, le Casoar, avril 2012.

Theatrum Belli, Kadhafi et Gbagbo tombent à l'eau, mars 2012.

TRINQUIER Roger, La guerre moderne, Table ronde 1961, Economica, 2007.

TOURRET Hubert, Lt colonel, Arme blindée en Indochine, UNABC, 1988.

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Illustrations

1) Poste fortifié en Indochine.
Construit selon les règles de l'art, ce poste de 60 hommes peut résister plusieurs heures à une attaque, jusqu'à l'intervention d'un groupement mobile et de feux aériens et d'artillerie.

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2) Manoeuvre d'interception sur le barrage algéro-tunisien.
Le barrage frontalier présente les caractéristiques suivantes : - l'électrification permet de localiser immédiatement un franchissement – 5 régiments blindés patrouillent jour et nuit sur la herse – 5 régiments paras sont en attente pour intervenir sur un groupe ayant franchi le barrage.

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3) Porte-avion nucléaire, avions Rafale et batiment de projection et de commandement (BPC).
Les avions Rafale sont prêts à décoller du porte-avion nucléaire. Les hélicoptères d'attaque sont en attente sur le BPC.

Pan Ch de Gaulle

 

4) Memento du chef de groupe et de section en opération en Afghanistan.
Ce memento est distribué aux officiers et sous-officiers avant le départ en Afghanistan.

Memento

 

Biographie du général (2S) Maurice Faivre

Saint-Cyrien de la promotion Rhin et Danube (1947-49), Maurice Faivre a servi 5 ans en Algérie, a commandé le 13ème régiment de dragons parachutistes, puis les 2ème Bureaux des Forces françaises en Allemagne, et de la 1ère Armée à Strasbourg.

Docteur en science politique, il est vice-président de la Commission française d’Histoire militaire et membre de l’Académie des Sciences d’outre-mer.

Outre sa thèse sur les nations armées, il a publié neuf ouvrages sur la guerre d’Algérie, dont les Combattants musulmans, les archives inédites, Conflits d’autorité, le général Ely, le renseignement dans la guerre d’Algérie, l’action sociale de l’armée de 1830 à 2006, et la Croix-Rouge pendant la Guerre d’Algérie. Il a participé à huit ouvrages collectifs et publié des dizaines d’articles historiques.

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général Maurice Faivre

 

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27 novembre 2012

Obsèques de M. de Raymond, commissaire de la République au Cambodge, le 1er novembre 1951

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Obsèques de M. de Raymond, commissaire de la République au Cambodge, le 1er novembre 1951,
en présence du roi du Cambodge, M. Norodom Sihanouk, et du général d'armée de Lattre de Tassigny,
haut-commissaire de France en Indochine et commandant en chef en Indochine.

 

- à la suite de la publication des deux artiicles suivants sur notre site :

- http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/2008/06/09/9515231.html (9 juin 2008)

- http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/2009/01/20/12158265.html (9 janvier 2009)

Nous éditons la mise au point suivante :

 

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Mise au point

Les propos de la rubrique «Commentaires sur Indépendance du Cambodge. Histoire officielle, histoire secrète» ci-dessus [cf. articles référencés], exigent une mise au point devant des insinuations infondées et indignes.

Le Gouverneur Jean L. de Raymond, Commissaire de la République au Cambodge depuis mars 1949, a été assassiné le 29 octobre 1951 à l’Hôtel du Commissariat de la République par un domestique vietnamien engagé depuis un mois en remplacement d’un agent qui avait demandé son affectation à Saïgon.

Ce nouveau domestique  n’avait pas été soumis au contrôle de sécurité du Commissariat. Or il avait adhéré au Comité des démarches du Viet-Minh de Phnom Penh depuis février, avait reçu une formation politique en mars et était inscrit au Parti communiste depuis septembre.

Il s’associa un Chinois appartenant au même Parti, un autre Chinois et un boy vietnamien du Commissariat en vue d’effectuer l’attentat qui avait été décidé depuis plusieurs semaines par le chef de la Section de contrôle de ce Comité où il participa à une réunion le 28 octobre. Ce domestique vietnamien commit le crime le lendemain avec le Chinois pendant la sieste de Jean L. de Raymond et déroba des documents avant de rejoindre le Nord Vietnam.

Les meurtriers ont été condamnés à mort par contumace par le Tribunal militaire de Phnom Penh, et le complice vietnamien du Commissariat, à dix ans de travaux forcés et vingt ans d’interdiction de séjour. L’identité des terroristes, les interrogatoires de ceux qui furent arrêtés par la police, les messages du Viet-Minh interceptés et les documents saisis par les services de sécurité français  sont  conservés dans les fonds des Archives nationales.

Le Viet- Minh félicita «l’agent des cadres du Nambo» et donna l’instruction de ne pas divulguer l’information dans des zones dont les habitants «avaient quelque sympathie pour la politique khmérophile de M. de Raymond». Le meurtrier précisa qu’il n’avait pas agi par haine personnelle car «M. de Raymond  avait été un très bon maître, mais bien pour l’intérêt général et pour celui de la résistance ». L’assassinat aurait été «désapprouvé» par le Comité des cadres du Cambodge dont le chef, qui l’avait commandé, a été limogé.

Le Commissaire de la République s’était attiré la sympathie des Cambodgiens et celle des Indochinois avec qui il avait eu depuis longtemps à coopérer et à négocier, comme l’attestent de multiples témoignages. Cet attentat provoqua une grande émotion et «l’indignation unanime de tout le Royaume» selon les termes du Président du Conseil, notamment à Phnom Penh où le Commissaire de la République était très estimé et où sa bonté était connue, au point que sa confiance a été trompée.

Le roi Norodom Sihanouk pleura ; il rappela les «qualités de courtoisie et le sens élevé de l’humanité» dont  faisait preuve le gouverneur de Raymond qui était «un des rares Français ayant toujours su lui dire avec courtoisie, la vérité, ce qui a évité beaucoup de déboires au Cambodge», et il témoigna : «son nom est intimement lié à l’indépendance de mon Royaume dont il est un des artisans français». Le Souverain le cita à l’ordre du Cambodge. Il voulut même faire supprimer, en signe de deuil, les cérémonies traditionnelles du «Tang Tôc» et il fit annuler les réjouissances populaires organisées devant le Palais et au Phnom.

La  vie et l’œuvre du gouverneur Jean L. de Raymond, Mort pour la France, seront mieux connues grâce à sa biographie complète en préparation, qui en précisera les réalisations et présentera les témoignages utiles à l’histoire.

Jean-François de Raymond
fils de Jean L. de Raymond,
docteur d’État ès-lettres et sciences humaines,
professeur d’université honoraire, ancien diplomate
(novembre 2012)

 

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30 décembre 2012

après le voyage de Hollande en Algérie, la colère de José Castano

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la colonisation de l'Algérie :

au sujet des raisons de la conquête

José CASTANO

 

«Chose étrange et bien vraie pourtant, ce qui manque à la France en Alger, c’est un peu de barbarie. Les Turcs allaient plus vite, plus sûrement et plus loin ; ils savaient mieux couper les têtes. La première chose qui frappe le sauvage, ce n’est pas la raison, c’est la force» (Victor Hugo dans «Le Rhin» en 1842).
__________________

Lors de son voyage en Algérie, François Hollande a reconnu publiquement que : «Pendant cent trente-deux ans, l’Algérie a été soumise à un système profondément injuste et brutal. Ce système a un nom : C’est la colonisation ! et je reconnais, ici, les souffrances que le système colonial a infligé au peuple algérien»… et encore : «La France est responsable d’une colonisation injuste et brutale ; elle est responsable des massacres d’innocents algériens à Sétif, Guelma et Kherrata»... tout en se gardant bien, de dénoncer ces centaines d’autres massacres d’innocents européens qui ont précédé les représailles et ces autres milliers de massacres d’innocents européens et musulmans fidèles à la France qui ont jalonné huit années de terrorisme aveugle et lâche.

Par cette indécente sélectivité minable, le chef de l’État a injurié et humilié –non les Français d’Algérie, comme se plaisent à dire certains idiots utiles de service - mais, tout simplement, la France, son peuple, son Histoire, son honneur ainsi que la mémoire et le sacrifice de ses soldats.

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la Régence d'Alger en 1830 était un "État" esclavagiste ; la conquête française a aboli l'esclavage
(marché d'esclaves chrétiens à Alger)

Depuis lors, un florilège de réactions issues du milieu «progressiste» n’a pas manqué de vilipender en des termes diffamants l’œuvre colonisatrice de la France en Algérie. C’est ainsi, qu’encouragé par l’attitude et les déclarations du chef de l’État, ce petit monde de «moralistes à la conscience pure» n’a eu de cesse de monter les enchères en comparant le colonialisme français à l’esclavagisme…

Cela a permis, entre autres bouffons du Président, à Harlem Désir, Premier secrétaire du Parti socialiste, de pérorer de la sorte : «Je salue les déclarations historiques de François Hollande aujourd’hui à Alger. Le Président de la République a su trouver les mots pour évoquer le caractère injuste et brutal de la colonisation française en Algérie et les souffrances qu’elle a imposées au peuple algérien».

 

méconnaissance totale du sujet

Ces déclarations infamantes, basées sur une méconnaissance totale du sujet, inspirées de surcroît par un sentiment anti-français, nous dépeignent «l’Algérie coloniale, comme ayant été l’apartheid». Ces «historiens» de bas étage nous «rappellent» que «la colonisation était contraire aux lois de la République, notamment par son côté ségrégationniste» (sic). Quelle hérésie !

Si le roi Charles X fut à l’origine de «l’expédition d’Alger», c’est précisément la République (la IIe) qui ordonna la conquête de l’Algérie. Cependant, à cette époque il n’était aucunement question de colonisation. Ce que Charles X - et avec lui l’Europe - voulait, c’était supprimer la piraterie en Méditerranée. En effet, toute la côte «barbaresque», de l’Égypte à Gibraltar, n’était qu’une seule et très active base d’opérations de piraterie dirigée contre la France, l’Espagne, l’Italie et surtout contre les convois chargés de marchandises qui sillonnaient la méditerranée.

C’est pour réduire cette piraterie que les premières incursions chrétiennes de représailles sur les côtes algériennes virent le jour au début du XVIe siècle et permirent aux Espagnols, sous la conduite de Pedro Navarro, d’investir Alger et de libérer trois-cents captifs chrétiens. Pour les en chasser, les algériens firent appel en 1515 aux corsaires turcs qui occupaient depuis 1513 le port de Djidjelli en Kabylie, notamment à un pirate sanguinaire, Kheir-Ed-Din, dit Barberousse en raison de la couleur de sa barbe. Ils occupèrent Alger et y instaurèrent un régime de terreur, exécutant ceux qui refusaient la nouvelle domination turque.

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galère barbaresque piratant en Méditerranée

Ainsi, par l’entremise de ce pirate que le sultan de Stamboul avait nommé émir des émirs, beylerbey, la Turquie prit officiellement pied dans le bassin occidental de la Méditerranée. Alger était pour elle une base avancée, ce que Gibraltar et Singapour furent plus tard pour l’Angleterre. De là, elle pouvait porter des coups très durs à la navigation chrétienne. Avec ces ressources, Barberousse et les Turcs chassèrent les Espagnols et conquirent le territoire algérien, allant jusqu’à placer le pays sous la dépendance nominale du sultan de Constantinople. Le Maghreb était devenu une province turque.

Forte de ses soixante bâtiments dont trente-cinq galères, la flotte algérienne écumait la Méditerranée et amassait des trésors. De plus une autre source énorme de profits était constituée par l’esclavage. Il s’exerçait, pour une part, aux dépens de populations d’Afrique noire que l’on enlevait après avoir investi les villages et, pour une autre part, de la piraterie. L’avantage de cette dernière résidait dans l’échange des esclaves chrétiens contre de fortes rançons. Un bénédictin espagnol, le Père Haedo, estimait qu’Alger devait avoir 60 000 habitants et 25 000 esclaves chrétiens.

Quand Charles X décida l’occupation d’Alger, la Prusse, l’Autriche, la Russie, les grands de l’heure, approuvèrent sans commentaires particuliers. C’est ainsi qu’en cette aube du 25 mai 1830, la France partit pour l’Algérie… sans se douter qu’elle allait y rester 132 ans.

l'Algérie n'était pas indépendante en 1830, ni une nation

Aussi quant nos «historiens de salons» s’élèvent contre «la saisie de terres, l’annexion de territoires, l’évangélisation, le pillage des ressources minières» (sic), ils ne peuvent qu’engendrer le ridicule…

En effet, en 1830, l’Algérie n’était pas un territoire indépendant mais, nous l’avons vu, une possession turque. L’occupation par la France n’a donc eu pour résultat que de substituer à une occupation étrangère celle d’un autre pays. De plus, cette Algérie là ne constituait pas un État, encore moins une nation. Elle n’avait pas de frontières. Elle constituait une mosaïque de tribus qu’aucun lien, sauf le religieux, n’unissait entre elles, encore que d’une façon très fragmentaire.

Concernant la saisie de terres, ils voudraient nous faire croire que les premiers pionniers firent main basse sur de riches et fertiles terres agricoles enlevées de force aux indigènes. À leur arrivée, ils découvrirent, en guise de richesses, un désert, une lande hérissée de broussailles au bord d’un marais pestilentiel où pullulaient les moustiques.

En 1841, dans son étude Solution de la question d’Algérie, le général Duvivier écrivait : «Les plaines telles celles de la Mitidja, de Bône et tant d’autres ne sont que des foyers de maladies et morts. Les assainir, on n’y parviendra jamais… Les plaines pour les Européens, sont et seront toujours longtemps de vastes tombeaux. Qu’on abandonne ces fétides fosses !»

Fosses fétides ! Vastes tombeaux ! Quel programme engageant ! Et le général Berthezène d’affirmer, menaçant : «La Mitidja n’est qu’un immense cloaque. Elle sera le tombeau de tous ceux qui oseront l’exploiter».

Concernant l’évangélisation, nos «historiens» se sont encore fourvoyés… S’ils  reprochent à la France cette annexion, ils «oublient» cependant de signaler que ce sont les ascendants des «victimes du colonialisme français» qu’ils défendent aujourd’hui avec tant de véhémence, qui sont les véritables colonialistes.

- Qui a annexé ce pays autrefois habité par la race berbère et qui faisait alors partie intégrante du monde occidental ?

- Qui a soumis par la force ce même peuple berbère, majoritairement chrétien, à la conversion à l’Islam ?

Quant au «pillage des ressources minières», que d’infamies !

«L’exploration scientifique de l’Algérie, avait dit Renan, sera l’un des titres de gloire de la France au XIXe et au XXe siècle». Eh bien c’est la France qui a découvert et mis en valeur à grand frais les zones pétrolifères et les gisements de gaz du Sahara prétendument destinés à assurer son indépendance. En a-t-elle profité ? A-t-elle eu seulement le temps de les exploiter ?

C’est encore elle qui a construit à coups de milliards de francs la base navale nucléaire de Mers-el-Kébir. Que lui a-t-elle rapporté ?

1940+3+DUNKERQUE,PROVENCE,STRASBOURG,BRETAGNE,CDT+TESTE+le+long+de+la+jetee+de+mers+el+kebir
la rade de Mers el-kebir en 1940

Quant au «côté ségrégationniste» avancé par ces inénarrables trublions, on voit bien qu’ils n’ont jamais mis les pieds en Algérie française, jamais fréquenté la moindre école où chrétiens, juifs et musulmans vivaient à l’unisson.

Cependant, au lieu de s’évertuer à salir de façon éhontée la mémoire de l’œuvre française en Algérie, pourquoi ne nous expliquent-ils pas, une fois pour toute, les raisons pour lesquelles ces «pauvres petits maghrébins», une fois leur indépendance acquise, se sont empressés de rejoindre la France… cette France qui les a tant fait souffrir ?

Pourquoi ne nous rapportent-ils pas avec autant d’ardeur, la misère qui, depuis 50 ans, pèse sur l’Algérie comme une chape et que l’on tait parce qu’elle est un démenti flagrant aux mensonges de tous ceux qui n’ont de cesse de condamner «le rôle positif de la présence française outre-mer».

Durant l’épisode sanglant de la guerre d’Algérie, le leitmotiv constant des responsables du FLN était que la rébellion se justifiait par le besoin de plus de justice, de bonheur et de liberté pour la «malheureuse» population musulmane. Cependant au cours d’une audience qu’il accorda à un haut prélat d’Algérie, en septembre 1961, sa Sainteté Jean XXIII prononça : «Vous avez vos idées, c’est bien, mais moi j’ai constaté une chose : c’est que chaque fois que la France se retire d’un pays, la liberté et la civilisation reculent.»

Que ces paroles du Pape nous inspirent de fécondes réflexions. C’est là mon souhait pour 2013.

José CASTANO

 

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- "10 millions d'Algériens dans la misère" (7 février 2010) - un article du blog elkhadra

"La pauvreté s’est «confortablement» installée dans les foyers algériens. Le pays compte au moins 1,2 million de familles démunies. Une réalité longtemps dissimulée par les pouvoirs publics. Le chiffre n’est pas établi par une quelconque ONG ou organisation autonome qu’on pourrait accuser d’avoir une volonté de ternir l’image du pays. Il est communiqué par l’un des ministres le plus hostile au débat autour de la misère sociale en Algérie, celui de la Solidarité nationale, de la Famille et de la Communauté algérienne à l’étranger, Djamel Ould Abbès"

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14 juillet 2012

la pacification de l'Algérie, général Faivre

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source

 

De la colonisation à la pacification de l’Algérie

réflexions historiques

général Maurice FAIVRE, Académie des Sciences d'Outre-mer

 

Idées reçues

Les médias mettent l'accent sur les méfaits du colonialisme : une conquête injuste, un crime contre l'humanité, un viol (Azouz Begag), une extermination (Le Cour Grandmaison), un génocide culturel (Assia Djebar), un exemple de traite des esclaves (Taubira). Les repentants triomphent à la télévision.

Les mêmes journalistes et certains historiens présentent la pacification de l’Algérie comme l’application fumeuse des principes de la contre-révolution (JC. Jauffret), une politique sans finalité, vague et hésitante (Ph. Simon).

Pour les avocats du FLN, la pacification vise à camoufler des crimes de guerre qui sont le vrai visage de cette politique. L’armée terrorise la population (Raphëlle Branche), elle s’empare du pouvoir et multiplie exactions et sévices (Sylvie Thénault). Les accusateurs de la loi de criminalisation condamnent l’armée française qui a conduit une guerre contre l’humanité.

Or ces accusations ne sont pas partagées par les principaux acteurs politiques et militaires, ni par les historiens qui font autorité.

 

La réalité coloniale

À l'époque moderne, Henri Brunschwig note que le terme de colonialisme a été inventé au XXe siècle. On parlait auparavant de colonisation, laquelle s'inscrit dans le vaste mouvement d'occidentalisation du globe qui depuis le XVe siècle pousse les peuples européens, maîtres de techniques de plus en plus perfectionnées, à modeler le monde à leur image. La colonisation est donc un phénomène mondial, qui relève du mouvement des peuples dynamiques, à l'exemple des empires romain, ottoman et soviétique. Comme toute entreprise humaine, elle a ses bons et ses mauvais côtés, que l'historien sérieux s'efforce de prendre en considération sans prononcer de jugement de valeur.

Quant à la colonisation française du XIXe siècle, elle relevait de l'idéologie des Lumières, illustrée par Victor Hugo («C’est un peuple éclairé qui va trouver un peuple dans la nuit. Nous sommes les Grecs du monde, c'est à nous d'illuminer le monde») et revendiquée par Jules Ferry, Léon Blum et Pierre Messmer.

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Inexpiable, écrit l'historien Daniel Rivet, la guerre l'est immédiatement... La sauvagerie des indigènes rejaillit sur l'occupant par effet de contagion mimétique. Des excès sont donc commis par les deux camps. Historien du FLN, Mohammed Harbi contredit l'idée d'une idéologie visant à l'extinction totale d'un peuple. Selon Stéphane Courtois, aucun colonialisme n'a coûté autant de morts que le communisme.

Xavier Yacono et Jacques Frémeaux ont évalué les pertes importantes de la population musulmane au XIXe siècle, attribuées en partie à la guerre, mais amplifiées par les épidémies et les famines des années 1860. Le Service de Santé militaire vient alors en aide à la population, ses chercheurs éradiquent les épidémies de paludisme, de fièvre récurrente et de typhus, et permettent l'extraordinaire croissance de la démographie.

Dans une lettre de 1848, l'émir Abd el-Kader écrit : j'ai résisté aux Français...Mais quand j'ai reconnu que Dieu les avait rendus forts et qu'il leur avait donné l'empire, je leur ai abandonné le pays pour toujours

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Les objectifs de la guerre d'Algérie

Après la Toussaint 1954, incapable de provoquer un soulèvement généralisé, le FLN a eu recours à la terreur et aux atrocités (Julliard). Cette terreur s'exerce à la fois contre les musulmans qu'il faut convaincre, et contre les Européens, conformément à la doctrine de Franz Fanon, approuvée par Sartre : il faut tuer : abattre un Européen, c'est faire d'une pierre deux coups...

En revanche, Albert Camus et Robert Badinter condamnent le terrorisme : aucune cause ne saurait justifier le massacre aveugle de civils innocents par des terroristes.

Mohammed Harbi a démenti le mythe du peuple algérien unanime dans la lutte pour l'indépendance : le nationalisme, qui n'a trouvé son unité qu'en 1962, s'est imposé par la guerre civile, écrit-il. En raison des dissensions internes, il n'y a pas eu de direction stratégique, mais la naissance d'une bureaucratie qui s'est transformée en État policier.

Le but poursuivi par les responsables militaires français mérite également une analyse approfondie. Le maintien de l'Algérie française, en effet, ne signifie pas le maintien de l'Algérie de papa.

Dès juin 1956, le général Ely envisage une solution libérale. Le général Salan adhère à la loi-cadre de Robert Lacoste, qui n'exclut pas l'indépendance. Le général Challe était partisan de la même loi-cadre et ne pensait pas que l'intégration totale de l'Algérie à la métropole fut souhaitable. Proche des officiers parachutistes, Claude Paillat les décrit comme des enfants de la Révolution française : on apporte la liberté... on va refaire une autre société que ces colonies un peu pourrie. Hélie de Saint-Marc confirme que n'étant pas fanatique de l'Algérie française, notre obsession n'était pas d'empêcher l'indépendance de l'Algérie...

 

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La stratégie anti-guérilla et anti-terroriste

La plupart des observateurs reconnaissent que l’armée française a peu à peu mis au point une stratégie anti-guérilla efficace, utilisant des techniques innovantes (hélicoptères, écoutes radio, radars-canons, commandos de chasse) et couvrant tous les domaines militaires :

- protection des populations par le quadrillage et les supplétifs ;

- destruction des bandes rebelles par les unités de réserve générale ;

- contrôle des frontières par les barrages frontaliers et la surveillance maritime et aérienne ;

- intoxication des wilayas ;

- élimination des trafics d'armes ;

- commandos infiltrés en Tunisie et au Maroc.

 Cependant le plan Challe n'a pas été mené à son terme, l'ALN extérieur n'a pas été attaqué, la victoire militaire est inachevée.

L'élimination du terrorisme urbain a eu recours à des procédés moralement condamnables. Le général Gillis l'a rappelé dans un manifeste qui a été approuvé par 524 officiers généraux :

«Certains, pendant la bataille d'Alger en particulier, ont été confrontés à un dilemme : se salir les mains en interrogeant durement de vrais coupables, ou accepter la mort certaine d'innocents. S'il y eut des dérives, elles furent marginales».

Il faut donc rappeler que cette pratique n'a pas été généralisée, et qu'à l'été 1957, le renseignement sur le terrorisme a été obtenu par pénétration des réseaux adverses. C'est ce qu'a reconnu Zohra Driff : «ces méthodes n'avaient plus cours quand j'ai été prise».

 

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La pacification

Parallèlement, l’armée a engagé en Algérie une politique de conquête des esprits et des cœurs (Soustelle cité par Frémeaux), qui n’étaient pas des opérations militaires, mais qui confortaient les objectifs du pouvoir.

L’ampleur de l’action politico-militaire mise en œuvre par l’armée est ignorée des médias. Or elle bénéficiait de l’expérience des Bureaux arabes au XXe siècle, des principes de pacification de Galliéni, imité par Lyautey. Enrichie par les structures parallèles de Lacheroy, cette action fut engagée par Salan et Massu, elle était soutenue par Ely et Debré. Sa doctrine a été conceptualisée par Beaufre, Trinquier et Galula.

Voici quelles en sont les lignes directrices :

- en mai 1957, le Chef d’Etat-major général Ely propose de mettre en place un organisme chargé d’assurer la conduite de la guerre psychologique... qui s’impose jusqu’au commandant de compagnie qui nomadise en Kabylie. En mars 1960, il souligne au général de Gaulle que le contact est nécessaire et que seule l'armée en a la maîtrise. De Gaulle reconnaît le 4 novembre ce magnifique effort de pacification.

- Challe dans sa directive du 22 décembre 1958 écrit que : Nous ne pacifierons pas l’Algérie sans les Algériens. Détruire les bandes n’est pas suffisant.

- en juillet 1961, le Chef d’Etat-major général Olié justifie la politisation de l’armée... Les gouvernements ont accepté que les militaires exécutent des tâches non militaires… On ne peut reprocher aux exécutants d’avoir fait cette guerre politique et d’avoir voulu la gagner.

Des observateurs non militaires observent les réalisations de cette pacification :

- en 1958, Jean Lacouture estime que l’action menée par quelques officiers et leurs hommes m’a paru en tout état de cause positive et fructueuse… ce que l’armée est en train de faire ressemble à un travail révolutionnaire,

- le préfet Benmebarek confirme que dans les équipes constituées... par quelques généraux convaincus, et par des officiers de terrain, il y eut dans le domaine de la promotion sociale, un réel esprit «mai 1958».

 

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La pacification couvre ainsi de nombreux domaines :

- l’action politique, grâce aux élections libres, qui rencontrent un grand succès auprès des femmes en octobre 1958 ;

- la fraternisation de mai 1958, et des Comités de Salut public, instruments de réconciliation malencontreusement dissous ;

- l’autodéfense active des quartiers de pacification (plan Victor) approuvée par Ely et Debré ;

- la Fédération amicale des U.T. et des autodéfenses, qui selon Challe doit devenir le grand parti européen-musulman ;

- l’ordonnance de février 1959 sur la condition féminine ;

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- l’action éducative : tardivement relancée, la scolarisation est portée à 66% en 1961 ; l'ensemble de la jeunesse est suivie par le Service de formation (SFJA), créé à l'initiative du colonel Lacheroy ; il forme à Issoire et Nantes des moniteurs qui animent Foyers de Jeunes et Foyers sportifs ; libérer la femme musulmane, déclare le général de Segonzac aux monitrices de Nantes, voilà la mission exaltante qui vous est proposée ;

- la promotion militaire vise aussi à la formation d'une élite musulmane

- 700 Sections administratives spécialisées (SAS) et 30 Sections urbaines constituent les instruments de cette politique ; créées par Soustelle en 1956 ; elles rétablissent le contact avec la population, gèrent les nouvelles communes et conduisent une action de développement agricole et artisanal ; 1400 officiers, 650 sous-officiers et 3.700 employés civils y participent. Les képis bleus, écrit Alistair Horne, formaient un corps d'hommes dévoués et courageux qui partout savaient se faire aimer de la population ;

- 350 Equipes médico-sociales itinérantes (EMSI) contribuent à l'action humanitaire auprès des femmes et des enfants. Dans le bled, écrit leur présidente, les femmes étaient avides d'apprendre et aspiraient à une vie meilleure, à l'européenne, disaient-elles... Pour la pacification, selon un commandant de Quartier, une EMSI vaut un bataillon.

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Cette action auprès des femmes fut aussi conduite par le Mouvement de Solidarité féminine créé par Suzanne Massu, qui en janvier 1960 comptait 300 Cercles et 60.000 femmes. Cette activité allait de pair avec l'Association Jeunesse chargée de recueillir les yaouleds [enfants] abandonnés dans les rues d'Alger, et qui sera transférée dans le Béarn en 1963.

- l'Assistance médicale gratuite est sans doute l'action sociale la plus connue. 1.600 médecins assurent leur mission de soutien et d'AMG (16 millions de consultation en 1960).

- moins connue est l'action judiciaire : le plan Gerthoffer décentralise la justice afin de la rendre plus rapide et plus humaine ; 12 Tribunaux permanents des Forces armées, et 75 Procureurs militaires sont mis en place en 1960,

- la Commission de Sauvegarde du Droit et des libertés s'efforce de moraliser le traitement des prisonniers; son président Maurice Patin constate que la nature du conflit rend très difficile le maintien scrupuleux de la légalité,

- les Centres militaires d'internement créés par Salan en 1958 pour se conformer aux Conventions de Genève, permettent de soustraire à la justice les djounoud pris les armes à la main (PAM) ;

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centre de regroupement, 1961

- le regroupement des populations constitue l'une des actions les plus critiquées de l'armée en Algérie ; elle vise à soustraire la population du bled aux pressions du FLN, et à créer des zones interdites où les rebelles seront pourchassés sans danger collatéral. Militairement, elles diminuent le nombre des attentats. Le commandant de la wilaya 4 déplore : «nous sommes coupés de tout, la population ne nous suit pas».

Il est vrai que certaines installations trop hâtives ont été mal choisies. Le FLN exploite cette situation en dénonçant des camps de concentration. Le Délégué général Delouvrier constate que le taux de mortalité dans les regroupements est inférieur à celui que l'on enregistrait dans les mechtas. Les centres provisoires sont alors remplacés par 1.000 villages qui seront de véritables centres ruraux.

Le général Parlange note en août 1960 que la population, lasse des exactions et des crimes des fellaghas, vient se réfugier dans les nouveaux villages, créés avec sa totale approbation. Lorsqu'en 1961 on offre aux regroupés de regagner leurs anciennes mechtas, 90 % préfèrent rester dans les nouveaux villages.

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La pacification était ainsi une politique globale, humaine et légale, qui a obtenu sur le terrain de remarquables résultats. Reposant sur l’unité d’action entre militaires et politiques, elle aurait dû conduire à une solution associative, prônée à la fois par Lacoste et de Gaulle. Les causes de son abandon sont donc politiques, elles résultent de la mésentente entre les responsables militaires et le gouvernement.

Maurice Faivre

 

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affiche du 5e Bureau (source)

 

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26 septembre 2018

C’est l’Algérie qui a trahi Maurice Audin (et) Et le FLN instaura une Algérie arabo-musulmane, Jean-Pierre Lledo

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C’est l’Algérie qui a trahi Maurice Audin

le communiste Maurice Audin ne s’était

pas engagé au nom de la France

par Jean-Pierre LLEDO *

 

Récemment honoré au plus haut sommet de l’État après qu’Emmanuel Macron a présenté des excuses officielles à sa veuve, le communiste Maurice Audin s’était engagé non pas au nom de la France, mais au nom d’une Algérie indépendante. Il est donc absurde de le traiter de «traître» à la nation française.

 

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Cédric Villani

 

Qu’un député LREM, mathématicien issu d’une famille pied-noir, Cédric Villani, le lui ait fortement conseillé, comme cela se dit, ou que ce soit sous une autre impulsion que, n’étant pas dans le secret des dieux, je ne peux deviner, il reste que la décision du nouveau président Macron de soulever la chape du silence d’Etat qui recouvrait, depuis 1957, la disparition du jeune prof de maths à l’université d’Alger, Maurice Audin, membre du PCA clandestin (Parti communiste algérien), alors qu’il avait été arrêté, puis torturé par les parachutistes de Massu en 1957 durant la «Bataille d’Alger», surligne également tous les autres silences de l’État français en rapport à la guerre d’Algérie.

Et même si cette subite décision se voulait le début d’un mea culpa contagieux et réciproque qui apurerait tous les comptes entre la France et l’Algérie et cicatriserait définitivement toutes les blessures encore béantes, on pourrait encore s’interroger : mais pourquoi avoir commencé par Audin ?

 

Pourquoi faire passer Audin avant les autres ?

En effet, en admettant qu’avant de reprocher au FLN ses exactions, ses purges, son terrorisme et une pratique généralisée de la torture et de la mutilation des corps, à l’encontre de tous ceux qui refusaient son autorité, ou simplement pour appliquer une stratégie de purification ethnique qui sera couronnée de succès par un des plus grands déplacements de population de l’histoire humaine en 1962, le président français ait voulu montrer qu’il commençait par balayer devant sa propre porte, la question têtue demeure : oui mais pourquoi d’abord Audin ? Parce qu’il était «Français» ?

Or si l’on se place uniquement du point de vue de la responsabilité de l’armée française vis-à-vis des «Français», il y avait pourtant de quoi faire, et à une bien autre échelle.

D’abord vis-à-vis des Harkis, ces musulmans qui avaient préféré s’engager dans l’armée française plutôt que dans l’ALN, non pas parce qu’ils étaient des «traîtres» mais tout simplement parce qu’ils se sentaient plus en sécurité avec la France qu’avec leurs frères, rivaux de clans et de tribus, lesquels au demeurant continuent de régir le destin chaotique de l’Algérie depuis l’indépendance jusqu’à aujourd’hui, en passant par l’intermède tragique de cette deuxième guerre civile que fut la «décennie noire» des années 1990, et qui fit autant de morts que la première des années 1950 et 1960.

Sur ordre du président De Gaulle, 150 000 harkis furent désarmés et abandonnés, c’est-à-dire jetés en pâture à tous les instincts sadiques de vengeance des soldats de l’ALN, et des membres des clans et des tribus opposés. Plus de la moitié périrent, le reste, grâce à la désobéissance de nombreux officiers français, arrivèrent à s’échapper, et à rejoindre une France qui, pour les remercier de leur loyauté, les parqua dans les mêmes camps qu’avait ouvert pour les Juifs le Maréchal Pétain, juste avant de les envoyer à Auschwitz, à la demande de qui vous savez… Au moins ces derniers auront-ils reçu des excuses à titre (très) posthume, d’un autre président, lui ni maréchal ni général.

 

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harki massacré sous les yeux de sa femme et de son enfant, Paris-Match, 24 février 1962

 

 

De Gaulle n’a pas protégé les non-musulmans

enlevés par le FLN

Par ordre d’importance numérique des méfaits de l’armée française vis-à-vis des «siens», on pourrait dans un second temps l’accuser, ainsi que son chef, le président-général De Gaulle, de n’avoir pas protégé les non-musulmans enlevés, par milliers, par le FLN-ALN, dans les villes comme dans les campagnes, disparus eux aussi à jamais, et ce à partir du 19 Mars 1962, alors que les «Accords d’Evian» dits de «cessez-le-feu», en faisaient obligation à la France et à son armée.

Dans un troisième temps, et à l’instar de ce nouveau scénario macabre à l’œuvre en catimini dans toute l’Algérie, il y a responsabilité de l’armée française dans le massacre spectaculaire du 5 Juillet 1962 à Oran, alors que l’Algérie était déjà officiellement indépendante depuis deux jours. Sur ordre de son chef local, le Général Katz, qui lui-même en avait reçu l'ordre du président-général De Gaulle, elle laissa faire durant plusieurs jours le massacre organisé tant par les chefs du FLN d’Oran que par l’ALN aux ordres de son chef d’état-major Boumediene déjà positionné à Tlemcen.

Et alors que juifs et chrétiens tentaient d’échapper à la foule hystérisée, elle leur ferma au nez ses casernes, ne leur laissant plus que l’horreur d’être égorgés et étripés sur place ou d’être emmenés dans des centres de détention, et d’y être affreusement torturés avant d’être flingués, enfin jetés dans le sinistre «Petit Lac», escale prisée, depuis, des oiseaux de proie migrateurs.

 

Un silence d’État

Le seul historien qui a eu le courage d’écrire sur cet épisode, après des années d’épluchage de toutes les archives disponibles sur le sol français, Jean Jacques Jordi (Un Silence d’État) chiffre le nombre des tués (et des disparus à jamais) à plus de 700 personnes, chrétiens, juifs, mais aussi des musulmans. Et lorsque les gouvernants de France auront le cran d’exiger de leurs homologues algériens, l’ouverture des archives algériennes, ce chiffre se démultipliera sans aucun doute par deux ou trois.

 

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Enfin, dans un quatrième temps, il y a évidemment cet affreux carnage du 26 Mars 1962 commis toujours par la même armée française et toujours avec l’aval du même président-général, qui en plein cœur d’Alger tira à bout portant et au fusil mitrailleur sur des milliers de pieds-noirs de tous âges, sans défense, en tuant plus de 80 et en endeuillant des centaines.

Sauf à considérer qu’il y a des bons et des mauvais disparus, on voit donc bien que Maurice Audin était loin d’être la seule victime «français» du fait des manquements de l’armée française, et que la tragédie endurée par l’épouse Josette et la famille Audin est bien loin d’être exceptionnelle. La récente décision du président Macron ne la réduit d’ailleurs qu’en partie, puisqu’à ma connaissance on n’a toujours pas révélé où se trouvaient les restes du défunt sans sépulture.

J’ose espérer en tout cas que l’épouse et la famille Audin se solidariseront désormais avec toutes les autres épouses et familles de victimes «françaises» de l’armée française.

 

Et le FLN vira à l’islamo-nationalisme

Il me faut à présent envisager l’angle de vue de ceux qui ont déjà soulevé la responsabilité multiple de l’armée française, et par là-même rectifier quelques affirmations abusives. Beaucoup ont qualifié Audin de «traître». Traître à qui ? À la France ? Mais Audin, membre du Parti communiste algérien, s’était engagé non pas au nom de la France, mais au nom d’une Algérie indépendante, non pas comme «Français  mais comme «Algérien».

Se serait-il d’ailleurs engagé s’il avait su que dès l’indépendance acquise, les députés de la première Assemblée constituante algérienne, s’empresseront d’adopter un Code de la nationalité n’accordant automatiquement la nationalité algérienne qu’aux seuls musulmans, obligeant les autres à en faire la demande, humiliation à laquelle se refusèrent la quasi-totalité des communistes non-musulmans, dont son épouse Josette et sa famille, quitte à aller habiter dans le pays combattu, la France, et à en garder la nationalité ?

L’ironie de l’histoire ne fait pas toujours sourire, et les communistes non-musulmans n’en ont pas été les seules cibles. Les Harkis et les pieds-noirs qui s’étaient voulus «Français» n’ont-ils pas été pareillement «trahis» par ceux qu’ils croyaient être les leurs, par celle qu’ils désignaient comme leur «mère-patrie», et que, faute de mieux, eux aussi se sont résignés à rejoindre ? Ce qui rend compréhensible la récente initiative en faveur d’un peuple pied-noir en quête d’un territoire, et qui se dote aussi d’un «État». Si la démarche peut paraître tardive et/ou utopique, du moins est-elle émouvante et chargée de sens.

 

Beaucoup voulaient rester en Algérie

En vérité, les uns et les autres ont été victimes de leur propre naïveté, des lois implacables de la géopolitique, d’une foi respectable mais aveugle, et donc aussi de leurs propres faiblesses, idéologiques et numériques.

Le peuple pied-noir venu de tout le bassin méditerranéen depuis un siècle et les Juifs, présents depuis vingt siècles pour les uns et cinq siècles pour les autres, lesquels dans leur grandes majorité n’avaient jamais mis les pieds en métropole, aspiraient à rester en Algérie. Mais tel n’était le vœu ni du mouvement islamo-nationaliste depuis sa naissance dans les années 20, ni plus tard de son bras armé le FLN-ALN : l’adoption du Code de la nationalité en 1963 n’étant que la conséquence du projet ancien d’une Algérie exclusivement arabo-musulmane.

 

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Face à cette exclusion et au nombre, que pouvaient donc faire les pieds-noirs et les Juifs ?  S’identifier à la France pour qu’elle les protège ?

Mauvais calculs de tous ceux qu’ils se donnèrent comme représentants politiques. Les quatre méfaits de l’armée française contre «les siens» n’étaient pas en effet un hasard, mais la conséquence logique de ce qui était devenu l’unique impératif catégorique de la France : éloigner l’Algérie de l’influence soviétique et conserver la mainmise sur le pétrole saharien.

Passer à la lutte armée pour défendre le droit des non-musulmans à demeurer en Algérie comme les y convièrent les chefs de l’OAS ? C’était bien la pire des solutions, sachant qu’ils seraient pris entre les feux du FLN et de l’armée française.

 

Quand le Parti communiste défendait

une nation algérienne plurielle

À la limite, une stratégie d’affirmation pacifique pour s’imposer à la table de négociations, alors que le FLN-GPRA s’autoproclamait «seul représentant du peuple algérien», aurait pu donner quelques résultats… En tout cas, cela aurait eu l’avantage de démontrer à l’opinion internationale que la guerre de «libération» du FLN était au moins autant une guerre d’épuration.

Le projet communiste qui se voulait indépendantiste et internationaliste, incluant pour sa part les non-musulmans dans une Algérie autonome et indépendante, aurait-il pu être une alternative ?

C’est ce que pensèrent beaucoup de pieds-noirs et de Juifs qui rejoignirent massivement le Parti communiste algérien dès les années 1920. Bab El Oued la rouge était loin d’en être le seul symbole.

En 1939, Maurice Thorez, le dirigeant du PCF en tournée en Algérie fit une série de conférences pour défendre l’idée d’une «nation en formation» algérienne à partir des différentes origines, berbère, juive, arabe, méditerranéenne et africaine… La flèche fit mouche et les islamo-nationalistes touchés dans leur fondement ethnique réagirent bien sûr comme un seul homme, faisant savoir que l’Algérie était une nation depuis toujours. Et qui plus est arabo-musulmane, si pour d’aucuns cela n’allait pas de soi ! Même les Berbères, pourtant les premiers habitants de cette terre, en étaient exclus et il n’est pas étonnant de les voir aujourd’hui réclamer leur indépendance.

 

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Maurice Thorez en Algérie, février 1939

 

 

Un grand espoir déçu

Ces discours qui drainèrent des foules, et pas seulement communistes, suscitèrent un grand espoir chez tous ceux qui, comme les modérés du parti de Ferhat Abbas, voulaient croire en une Algérie «plurielle» en vertu du «vivre-ensemble» en vogue aujourd’hui…

Et c’est cet espoir – qui grandissait au fur et à mesure de la politisation de la société algérienne dans les années 50, toutes origines confondues – que les islamo-nationalistes voulurent mettre en échec avant qu’il ne devienne une réalité irréversible, en créant le FLN-ALN, puis en déclenchant la guerre le 1er Novembre 1954 : acte qui ne constitue que le premier coup d’Etat du FLN contre la société algérienne, car il y en aura ensuite une quantité d’autres, visibles et invisibles.

25 septembre 2018

 

 

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Et le FLN instaura une Algérie arabo-musulmane

La guerre d'«algérianisation» de l'Algérie

par Jean-Pierre LLEDO

 

On sait qu’en Algérie la justification du choix de la lutte armée par l’impraticabilité de la voie politique est devenue un dogme indiscutable et indiscuté. Jusqu’à aujourd’hui. Or, cette «vérité» reprise sans esprit critique par nombre de spécialistes français de l’histoire algérienne n’est qu’un gros mensonge.

Il suffit pour s’en convaincre de mettre en coordonnées, des années 1920 aux années 1950, la croissance du nombre des associations, politiques, syndicales ou autres, de leurs adhérents, du nombre de meetings, de défilés et des participants à toutes sortes d’élections, du nombre de journaux, y compris nationalistes et communistes, du nombre de revues intellectuelles et artistiques, de livres édités, de galeries, etc. pour voir se dessiner les courbes uniformément ascendantes de la politisation de toutes les populations, mais aussi de leur cohabitation tranquille. Démonstration mathématique que la voie pacifique, loin d’être impraticable, était au contraire en train d’ouvrir des horizons nouveaux à des millions de gens de toutes origines, les intellectuels jouant un rôle catalyseur…

 

La paix dont on ne voulait pas

Et contrairement à ce que certains ont dit, les intellectuels non-musulmans, libéraux ou communistes, humanistes, pacifistes, de gauche ou apolitiques avaient les meilleures relations avec leurs collègues musulmans, de Mouloud Feraoun à Emmanuel Robles, de Mohamed Dib à Jean Pélégri, de Kateb Yacine à Jean-Pierre Millecam, de Malek Haddad à Jean Sénac, de Mohamed Khadda à Sauveur Galliéro, de Mohamed Issiakem à Louis Bénisti, et j’en passe des dizaines d’autres à commencer par le grand frère incompris Albert Camus qui, pourtant, voyait mieux et plus loin que tous.

 

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Emmanuel Roblès et Mouloud Feraoun en Kabylie

 

Cette histoire intellectuelle de l’Algérie des années 1930, 40 et 50, personne n’a osé la faire, et pour cause, elle ferait éclater les dogmes islamo-nationalistes, et l’idéologie manichéiste de ces historiens qui se proclament «anticolonialistes».

On pouvait imaginer alors qu’une telle évolution de la cohabitation et de la politisation de la société algérienne où s’apprenaient peu à peu les rudiments de la démocratie (on ne frappe ni on ne tue son adversaire, mais on l’écoute avant de le contredire, et éventuellement on peut même le ridiculiser par l’ironie ou la caricature), comme en témoignent toutes les rubriques des journaux de cette époque, aurait pu déboucher sur une indépendance soft qui n’aurait porté préjudice à aucune des populations, ni aux liens avec la France, et qui aurait épargné à tous tant de sang et de misères, et surtout pour l’Algérie, tant de régressions ultérieures.

Au lieu de quoi nous avons eu la guerre. En privilégiant la lutte armée, on a marginalisé et délégitimé les élites politiques algériennes, toutes idéologies confondues, puis transmis le pouvoir aux militaires et aux extrémistes de tous bords. Scénario décrit avec précision par le trop lucide Camus. Et l’Algérie paye jusqu’à aujourd’hui la note.

En l’absence d’une société civile détruite par la première guerre des années 50, puis par la gouvernance totalitaire post-indépendance, enfin par la deuxième guerre des islamistes dans les années 90, l’Algérie continue d’être pilotée par une police politique originellement appelée SM («Sécurité militaire»), omnisciente, omniprésente et omnipotente, mais qui pour donner le change place à la tête de l’Etat des potiches, quand ce ne sont pas des fantômes comme avec l'actuel Bouteflika, ne reculant même pas devant leur assassinat lorsqu’ils ont des velléités d’indépendance, comme ce fut le cas avec Boudiaf.

 

S’algérianiser, c’est-à-dire s’arabiser

Dans ce nouveau contexte du déclenchement de la «guerre de libération», le 1er Novembre 1954, que pouvait donc le Parti communiste algérien, où contrairement aux partis islamo-nationalistes, l’on ne devait pas jurer sur le Coran pour adhérer et où l’on pouvait donc être musulman, juif ou chrétien ? Que pouvait donc un parti qui se réclamait des valeurs républicaines modernes, dans un environnement où les neuf dixièmes de la population se voulait «arabo-musulmane», laquelle trente années après l’indépendance accordera la majorité de ses suffrages à un mouvement islamiste dont Daech n’est qu’une pâle copie ?

Le Parti communiste algérien (PCA) ne pouvait que se soumettre ou disparaître. Et c’est ce qu’il fit, il se soumit. Et, depuis plus de deux décennies, on peut même dire qu’il a disparu, après avoir réapparu clandestinement en 1966, sous le nom de Parti de l’avant-garde socialiste (PAGS). La soumission idéologique du PCA avait d’ailleurs commencé quelques années plus tôt, dès la fin de la Deuxième Guerre mondiale, à la suite des évènements de Sétif en mai 1945.

Les islamo-nationalistes avaient organisé une insurrection qui visa essentiellement la population civile non-musulmane (plus de 120  morts) et qui devait mener un « gouvernement provisoire » devant la tribune de la Conférence de San Francisco, alors qu’en ce printemps-là, elle était en train de poser les fondements de la future ONU. En réaction, et sous le drapeau français, les Tirailleurs sénégalais et les Tabors marocains se livrèrent à une répression impitoyable (6 000 à 8 000 tués) comme en témoignent tous les anciens de cette région.

Sur le moment, le PCA (dont le secrétaire de Sétif, Albert Denier, avait eu les poignets tranchés, sans doute parce que facteur et membre de la fanfare municipale), taxa cette insurrection irresponsable de «fasciste». Mis sur la défensive à cause de ces propos, le PCA fit tout pour faire amende honorable et trouva un bouc émissaire : la proportion trop importante des non-musulmans dans ses rangs. Il allait falloir «s’algérianiser», c’est-à-dire en fait s’arabiser…

 

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Albert Denier était contrôleur à la Poste, secrétaire du PCA de Sétif

 

 

Le PCA, un dhimmi comme un autre ?

Le PCA renonçait ainsi de fait à sa vocation internationaliste pour faire sienne lui aussi la stratégie ethnique des nationalistes. Et le déclenchement de la guerre en 1954 accentuera ce renoncement. Mais du coup, il ne pouvait plus se distinguer en tant que seul parti portant le projet d’une Algérie plurielle et ne pouvait plus se prévaloir de représenter le prolétariat non-musulman. Sur l’autel d’une Algérie indépendante et socialiste qu’il appelait de ses vœux, il sacrifia donc son projet et son électorat pied-noir et juif. Les militants communistes non-musulmans, eux, avalèrent la couleuvre avec discipline, on les avait habitués à ça, le Parti avait toujours raison.

On pourrait certes objecter que le PCA exprima ses réserves quant à la politique du terrorisme urbain pratiqué par le FLN contre la population civile chrétienne et juive. Il y a de nombreux écrits qui le prouvent. Mais il est tout aussi vrai que jamais il ne la condamna, et que jamais il n’en fit une condition du maintien de son appui au FLN.

La raison en est très simple : le FLN-ALN l’aurait liquidé en quelques semaines. Quand on sait comment le mouvement MNA de Messali Hadj, pourtant chef divinisé du nationalisme algérien depuis les années 1930, fut liquidé, on peut imaginer ce qui serait advenu des communistes dont plusieurs membres furent assassinés sans état d’âme par l’ALN dès leur arrivée dans le maquis des Aurès (Laid Lamrani, Georges Raffini, André Martinez, Abdelkader Belkhodja et Roland Siméon).

Cependant et à moins d’être contredit par des historiens qui auraient obtenu des documents le prouvant, on ne peut pas dire non plus, comme je l’ai lu en plusieurs endroits ces derniers temps, que «Maurice Audin était un collaborateur des terroristes», ou que «le PCA avait aussi participé au terrorisme FLN». Comme preuve, on cite les noms de l’étudiant en médecine Daniel Timsit et de l’ingénieur Giorgio Arbib qui effectivement montèrent un laboratoire de fabrication de bombes et formèrent plusieurs militants du FLN… Sauf que ces deux-là étaient en rupture de ban avec le PCA auquel ils reprochaient ses réserves, sa mollesse et son refus de se fondre entièrement dans le FLN… !

À ma connaissance l’on peut affirmer que le PCA n’incita, ni n’organisa de sa propre initiative aucun acte de terrorisme «aveugle» contre des civils (comme c’était la règle pour le FLN), à l’exemple de son militant Fernand Iveton qui, malgré les risques et les dangers, renvoya la bombe qu’on venait de lui remettre afin de faire retarder l’heure d’explosion après le départ des ouvriers de son usine (la bombe sera désamorcée, lui-même arrêté, mais il n’en sera pas moins guillotiné).

Pour autant, le PCA peut-il se soustraire à l’accusation de complicité avec une organisation de tueurs, célébrés comme des combattants de dieu, («moudjahidine»), alors qu’au plus fort du terrorisme urbain du FLN, en 1956, il signa un accord «d’alliance» avec lui ?

Cet «accord» arraché à un FLN plus que rétif à l’idée de se laisser infiltrer par les communistes, mais qui espérait en retour obtenir plus facilement la caution et le soutien du «camp socialiste», ne prévoyait aucune participation communiste à l’élaboration de la stratégie du FLN et encore moins, comme on peut l’imaginer, un partage d’autorité. Le PCA venait de se comporter comme tous les dhimmis du monde musulman (catégorie islamique pour désigner la soumission des «gens du Livre» auxquels on doit protection, moyennant impôt et acceptation de diverses humiliations dans la vie quotidienne).

 

Algérie,+histoires+à+ne+pas+dire

 

Histoires à ne pas dire

Une des clauses de cet «accord» était que les militants communistes qui rejoindraient les maquis devaient s’intégrer dans l’ALN à titre individuel, et en coupant tout lien organique avec leur parti. De ce fait, si l’on peut décharger le PCA de l’accusation de terrorisme, on ne saurait en faire autant de la totalité de ces communistes devenus soldats de l’ALN : à l’armée on obéit aux ordres ou l’on se fait fusiller.

Mésaventure qui dut arriver à Abdelkader Djidel, ce militant communiste arabe qu’avait recruté mon père à la fin des années 1940 et qui était resté un de mes héros… Jusqu’au moment où alors que je tournai à Oran l’épisode du massacre du 5 Juillet 1962 (de mon dernier film Algérie, histoires à ne pas dire, interdit en Algérie depuis 2007), je compris en le questionnant, et alors qu’il s’empêtrait dans divers mensonges, qu’il s’était retrouvé ce jour-là, à faire le guet dans le quartier de la Marine, tandis que d’autres étaient en train d’assassiner des Juifs et des pieds-noirs…

Et j’eus beau me dire qu’à l’armée on obéit, ce fut pour moi la fin d’un de mes derniers héros, et la cerise sur le gâteau d’un désenchantement déjà sérieusement entamé…

Jean-Pierre LLEDO
26 septembre 2018

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* articles parus dans Causeur.fr les 25 et 26 septembre 2018

 

 

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24 juin 2020

contre la fureur iconoclaste

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les signes d'un passé qui nous incite à réfléchir

 

contre la fureur iconoclaste

des dictateurs de mémoires falsifiées

 

Nous publions la lettre du colonel Pierre Geoffroy, président de la Fondation Lyautey, qui s'insurge contre le vandalisme subie par la statue du maréchal Lyautey à Paris, et nous nous associons à sa réaction.

La fureur iconoclaste relève d'une imbécile guerre des mémoires et non d'une réflexion critique sur l'histoire. Détruire une statue ne changera pas le passé et interdit même de pouvoir y réfléchir. Ces actions, issues des mouvements indigénistes et décoloniaux, utilisent l'argument antiraciste mais commettent le défaut d'anachronisme. On ne juge pas le passé avec les valeurs du présent.

Michel Renard

 

Le  24 juin 2020

Madame, Monsieur, Cher(e)s ami(e)s du Maréchal,

dans le respect de vos grades et qualités,

Merci à cet adhérent vigilant, qui m’a appris que la statue du Maréchal Lyautey, place Denys Cochin à Paris, a été taguée, ainsi que la stèle voisine à la mémoire des goums marocains. Sans lui, pas de nouvelle, ce qui prouve que l’information est contrôlée, voire manipulée et que les "autruches" se multipllent. Le nettoyage a été effectué.

Il y a des voyous qui, par le biais du Rif, s’attaquent aussi et ainsi à leur Souverain et à leur Pays (voir photos). Ils font comme d’autres, qui sous prétexte de dénoncer l’esclavagisme deviennent eux-mêmes esclaves de leur idéologie et de leur imbécillité mortifères.

Ils sont tellement nuls en culture et en Histoire qu’il ne savent pas que Lyautey privilégiait toujours la négociation sur l’emploi des armes. Par contre, c’est Pétain qui a été nommé par le "cartel des gauches"  pour, en quelque sorte «détrôner Lyaute».

Ils ignorent que Pétain est arrivé, en 1925, avec des moyens militaires considérables. C’est lui qui, faisant allégeance à la gauche (qui sait se "verdir"  quand il y a des élections), est  venu faire la guerre dans le Rif comme à Verdun.

Le plus ignoble et le plus dangereux est que tout ce qui se passe actuellement n’est pas l’effet du hasard : il y a eu maturation et une longue préparation de la part de certains individus «insoupçonnables» qui utilisent toutes les techniques de la «massification» et autres armes psychologiques du même genre.

Avec ma considération cordiale et dévouée.

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22 juillet 2020

une commission mixte entre l'Algérie et la France pour écrire l'histoire ?

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une commission mixte entre l'Algérie et la France

pour écrire l'histoire ou annonce unilérale de l'Algérie ?

 par Jean-François PAYA

 

L’historien Benjamin Stora, désigné par le président Macron coprésidera la commission chargée d’effectuer un «travail mémoriel», comme annoncé par le président Algérien Tebboune lors de l’entretien qu’il a accordé au journal français L’Opinion,voù il avait appelé le président français, à «aller vers plus de vérité» dans la reconnaissance" des crimes commis par la France coloniale en Algérie".

Puisque le président Algérien émet un avis préalable et unilatéral avant toute réunion et débat  de cette commission, celle ci devient sans objet et dévalorisante pour tout historien digne de ce nom participant : à moins de pouvoir faire de même en parallèle.

rappel historique

Pour notre part, invité (peu probable) ou pas, voici notre préambule qui sera un simple rappel historique élémentaire.

Dans l'historique des colonisations nous suggérons que celle de l'Algérie fut l'une des rares à être provoquée à l'origine, non pas sur un prétexte dérisoire, mais par nécessitée d'une position défensive.

Il s'agit en l'occurrence des agressions continues de la piraterie dite "barbaresque" sur la navigation en Méditerranée comme le prouvent certains précédents de tentatives de neutralisation depuis le début du XVIe siècle :

- Espagnols en 1516-1518 ;

- Charles Quint en 1541 ;

- Philippe III (zones de gardes Espagnoles comme Ceuta et Melilla et aussi Oran depuis 1505 avant le séisme jusqu'en 1790) en 1601 ;

- puis en 1775, 1783 et 1784 par les Américains jusqu'en 1815 ;

- et les Anglais avec 1816 : bombardements de représailles maritimes (tout ceci est consigné dans les archives turques de la Présidence du Conseil à Istanbul sources liens cités) avec des commentaires qui montrent bien que la régence d'Alger n'était pas autonome et donnent des éclaircissements sur l'administration coloniale Turque exclusive du pays.

 

un concours de circonstances

À origine cette occupation Française fut spécifique et non pas une vocation coloniale comme ailleurs dans le monde! Cela tient plus du concours de circonstances que du projet pleinement mûri et planifié ; et le statut auquel sont soumises les populations autochtones du pays est resté longtemps incertain.

Mais indubitablement c'est La colonisation Française avec ses abus ; ses déboires ; voir "ces crimes" (à débattre par la commission) mais aussi ses enseignements et ses colons qui ont façonné et donné son nom à l'Algérie et ses frontières. Aussi on peut présumer que si la France n'avait pas occupé ce Maghreb central en effet Alger et quelques ports auraient pu devenir des enclaves Françaises comme Mèlilla et Ceuta Espagnoles qui le sont restées aujourd'hui et le reste répartis entre les Tribus rivales de l'est et de l"ouest et certainement pas unifié comme aujourd'hui ; et le Sahara réparti entre pays limitrophes.

 

Alger désigne son champion

Dernières nouvelles : l’Algérie aurait communiqué à la France le nom du spécialiste Algérien chargé de travailler, conjointement avec l’historien français Benjamin Stora, sur les questions mémorielles entre les deux pays, a annoncé dimanche soir le président algérien(toujours bizarre!).

La personnalité désignée est le docteur Abdelmadjid Chikhi, directeur général du centre national des archives algériennes, a précisé Abdelmadjid Tebboune, lors d’une rencontre avec des médias locaux. Ancien combattant de la guerre d’indépendance (1954-1962), Abdelmadjid Chikhi avait été nommé le 29 avril dernier conseiller auprès du président Tebboune, chargé des archives nationales et de la mémoire nationale.

«On s’est entendu avec le président français Emmanuel Macron en matière mémorielle pour travailler normalement», a expliqué le président algérien. «Pour faciliter les choses, ils (ndlr : Paris) ont nommé un historien connu et son vis-à-vis est le Dr Abdelmadjid Chikhi  responsable des archives nationales et un spécialiste (historien militant responsable politique). Nous leur avons communiqué son nom», a-t-il précisé.

Abdelmadjid Chikhi, conseiller auprès de la présidence, chargé des archives et de la mémoire nationale, s’était attaqué violemment à la France le jeudi 7 mai. Le conseiller de Tebboune accusait ce pays de vouloir livrer un combat acharné contre les “composantes de l’identité algérienne”(selon la presse).

En effet, invité à la chaîne I de la radio nationale, Abdelmadjid Chikhi n’a pas été tendre avec la France qu’il accuse de livrer une lutte acharnée «ontre les composantes de l’identité nationale». Pour lui, ces composantes sont la langue arabe, l’islam et les coutumes et traditions ancestrales. Abdelmadjid Chikhi estimait que la France avais déjà lutté contre ces «composantes» du temps de la colonisation et elle continue à le faire aujourd’hui encore. Le conseiller de la présidence épingle aussi les «historiens Algériens laïques». Selon lui, ces derniers ont écarté de l’histoire les éléments qui constituent l’identité algérienne. «Nous savons tous que ces composantes ont permis au peuple Algérien la sauvegarde de sa personnalité», estime-t-il.

 Jean-François Paya
ancien combattant, classe 54/2

 

 

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un fond d'image du début du XXe siècle utilisé en 2016

 

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18 novembre 2020

un point de vue sur le Rwanda

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un point de vue sur le Rwanda

 

Lu ce jour sous la plume d’un congolais :

 Rwanda. L’éloge du sang est un livre passionnant à lire et à relire. En le fermant, plusieurs questions se posent :  «Pourquoi cette jeune dame a-t-elle pris tant de risques pour l’écrire ? Pourquoi a-t-elle accepté d’affronter la maladie, la souffrance, la mort, l’instabilité familiale, les menaces proférées à l’endroit de ses filles, le divorce, etc., pour écrire ce qui s’est passé trop loin de son pays ?»

Une première réponse me semble être  «la passion pour la vérité» ! L’humain en Judi Rever a parlé plus fort que toute idéologie partisane ou racialiste. Elle a voulu, contre vents et marées, être «la voix des sans-voix». La voie de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants, de ces vieillards soumis au silence et auxquels quelques  «monstres» de l’APR/FRP ont voulu arracher la vie et le sens de l’humain. De ces hommes et femmes qui, ayant résisté à rendre  « leur conscience vicieuse», ont accepté de partager leurs histoires et leurs mémoires avec  »une sœur en humanité ».

Ne pas parler, ne pas donner des conférences, ne pas écrire aurait été une façon de trahir ses frères et sœurs en humanité et de trahir l’humain en elle. Aller jusqu’au bout de ce qu’elle avait entrepris fut son leitmotiv. Son mari, bien qu’en ayant beaucoup souffert, a fini par la pousser dans ce sens.

Au fur et à mesure de ses recherches, de ses rencontres -au risque de sa vie et de celle de sa famille-, Judi Rever a compris que rien ne peut tuer la vérité. La passion pour la vérité l’a boostée.

…/…

Cela étant, en publiant son livre, Judi Rever partage sa passion pour la vérité et sa lutte contre la peur avec ses frères et sœurs du monde, du Rwanda, de l’Ouganda, du Congo-Kinshasa et de toute l’Afrique. Elle apporte sa pierre à l’édification d’une humanité renouvelée au cœur de l’Afrique.

Bababya Lumumba
Génération Lumumba 1961
http://kasaidirect.net/wordpress/?p=14919

 

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31 mai 2006

Coloniser Exterminer : de vérités bonnes à dire à l'art de la simplification idéologique

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le livre d'Olivier Le Cour Grandmaison,

Coloniser, exterminer, sévèrement critiqué

par les historiens

Gilbert Meynier et Pierre Vidal-Naquet

 

«À vrai dire, le livre d'Olivier Le Cour Grandmaison se présente comme un ajout de notes de lecture d'un infatigable lecteur, mais qui ne retient de ses lectures que ce qui conforte ses thèses et nourrit ses stéréotypes. Son texte est noyé sous une avalanche de citations illustratives, traitées en paraphrases idéologiques - cela non sans redites. À le lire, on ne peut s'empêcher de poser la question : un sottisier peut-il tenir lieu d'œuvre de réflexion et de synthèse historique ?»

Gilbert Meynier et Pierre Vidal-Naquet

 

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Coloniser, Exterminer :

de vérités bonnes à dire à l'art

de la simplification idéologique

Gilbert MEYNIER et Pierre VIDAL-NAQUET

 

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Voici un livre qui énonce certes sainement quelques vérités. Il marque bien l'accord général sur la colonisation de la grande majorité des analystes et des acteurs politiques français du XIXe siècle. Il évoque salutairement, dans un premier temps, les injonctions de l'époque sur l'«extermination» des «indigènes.» Il fait un sort à l'incroyable raciste Eugène Bodichon, et aussi à Charles Jeannel, et à son Petit-Jean, histoire scolaire édifiante de la colonisation française sous forme de questions-réponses (p. 36). Olivier Le Cour Grandmaison (OLCG) (photo ci-contre) stigmatise l'historicisme marxiste se représentant ladite colonisation - française ou autre - comme un agent éclairé de l'avènement mondial du Mode de Production Capitaliste (p. 49).

Il est vrai que, dans les classes ouvrières européennes, il y eut ambiguïté des luttes contre le colonialisme, comme l'indiquèrent les motifs ambivalents (anticolonialisme ou mots d'ordre anticapitalistes) de la grève générale contre la guerre du Rif de novembre 1925, laquelle aboutit à un semi-échec. OLCG marque bien que, si le Noir fut un «sauvage» - irréductible, mais aussi utilisable en raison de son infantile sauvagerie -, l'Arabe fut campé en «barbare», non pas «non civilisé», mais «mal civilisé» (p. 85). Mais en alla-t-il en tout très différemment, au XIXe siècle, des Allemands de l'historiographie française, campés en tristes héros des «invasions barbares», cela contre l'acception allemande de Mommsen, qui préférait, bien sûr, les «Völkerwanderungen» (les migrations de peuples) ?

OLCG a évidemment raison de fustiger les tenants à la mode actuels du «choc des civilisations» (p. 77). Raison, aussi, de rappeler que la misère et la faim furent érigées en armes de la guerre coloniale (p. 102), étant entendu que lesdites armes avaient bien autant été employées du XVIe au XIXe siècle, pour ne pas parler d'époques précédentes. Raison aussi de stigmatiser les tortures, les mutilations et les profanations (pp. 152 et sq.) - qui furent, toutefois, loin d'être seulement des spécificités coloniales -, ainsi que les mosqu_e__glise1transformations de mosquées en églises (p. 168) ; on ajoutera : et même en écuries pour chasseurs d'Afrique, ainsi que ce fut le cas pour une admirable mosquée ancienne, à Mila, dans le Constantinois. Oui, il est vrai que la population originelle de Nouvelle-Calédonie a été réduite à 20%. On ajoutera que celle de la Tasmanie ou d'Amérique du Nord l'a été plus radicalement encore. Mais ce ne fut pas vraiment le cas de l'Algérie, dont la population dut baisser d'environ 30% de 1830 à 1870 -«guerre de ravageurs» et famines aidant, sur fond de décomposition de l'ancien mode de production communautaire.

De même, on ne pourra que donner raison à OLCG quand il évoque les mécanismes de dépossession et de la constitution corrélative de la propriété privée en Algérie au XIXe siècle (p. 243). Ceci dit, on remarquera que, dialectiquement, la propriété privée put aussi représenter un acquis pour tels groupes sociaux concernés, voire in fine un appui contre la toute puissance prédatrice du pouvoir d'État algérien sui generis installé depuis 1962. On s'accordera aussi avec la représentation du Code de l'Indigénat en «monstruosité juridique.» On sait que ses dispositions coururent de 1881 à 1927 ; et elles furent, de fait, conservées dans leur esprit jusqu'à la fin de l'Algérie française. Ceci dit, monstruosité pour monstruosité, le statut des Juifs de Vichy ne fut pas moins monstrueux. Enfin, «“la coloniale” contre “la sociale”» constitue sans doute le chapitre le moins banal du livre (le chapitre 5) : il souligne combien les règles et les entraînements pratiques provenant de la gouvernance des «indigènes» d'Algérie purent être utilisées contre les prolétaires de France insurgés contre le système national/capitaliste qui les opprimait et les châtiait.

La spécificité de la violence coloniale exista, certes, mais elle fut moins tranchée qu'il n'est allégué. Le livre d'OLCG peut se lire comme une anthologie des horreurs coloniales, et à tout le moins comme un sottisier de la bêtise coloniale. Mais, à vrai dire, ne pourrait-on pas dresser de tels catalogues à propos de bien d'autres objets que celui de l'histoire coloniale ? Sur le terrain du racisme national anti-allemand, les cartes postales de la fin du XIXe siècle et du début du XXe en fournissent un ample florilège. Et l'historien ne peut ignorer, au XVIIe siècle, que la guerre d'extermination menée pendant la guerre de trente ans, en Bohèmegoya_d_sastres notamment - mais pas seulement -, que les ravages du Palatinat par les colonnes armées du roi Soleil, puis la répression de la révolte des prophètes du pays camisard sous le même monarque absolu, qui allait installer le désert protestant pour trois quarts de siècles ; et, pas davantage, que les méthodes sanglantes de la punition de celle de Vendée en 1794, puis l'atroce guerre d'Espagne quinze années plus tard (ci-contre, Goya, Les désastres de la guerre) ; et, sous la Monarchie de Juillet, que les bains de sang sanctionnant les révoltes parisiennes et lyonnaises, enfin le massacre de 20 000 communards au printemps 1871... n'eurent rien à envier à «la guerre contre les Algériens assaillis» (p. 104) : en un mot, la sauvagerie répressive ne fut pas complètement une spécificité coloniale, y compris à l'époque même de la conquête de l'Algérie.
Si «les affrontements armés qui opposent les États du vieux continent se civilisent» (p. 20), d'une part, cette «civilisation» est toute relative quand on sait la violence avec laquelle purent être traités tels civils belges par l'armée allemande en 1914, sans compter les massacres d'Oradour sur Glane ou de Tulle en 1944, d'une part, les sauvages bombardements des villes allemandes par l'aviation alliée d'autre part, sans compter bien sûr les massacres nucléaires d'Hiroshima et de Nagasaki, et le massacre de masse nazi perpétré sur les Juifs, des Tziganes et les malades mentaux, et la déportation des homosexuels.
De telles atrocités eurent-elles besoin de précédents coloniaux qui auraient entraîné de tels agissements ? Même la «guerre moderne» ne fut pas toujours, loin de là, empreinte de compassion pour les victimes civiles; et pendant longtemps, les rapports sociaux et /ou intra-nationaux restèrent marqués, aussi, de sauvagerie. Non qu'OLCG ne touche pas juste quand il évoque «l'expérience acquise» en Afrique du Nord ; mais il note aussi qu'il y eut allers-retours sanglants dans la confrontation entre l'ordre et les «barbares» des deux côtés de la Méditerranée. L'ordre bourgeois n'eut pas vraiment besoin de précédents coloniaux pour massacrer ses prolétaires.

Nous ajouterons que, à l'heure des édifications nationales qui purent, aussi, tracer la voie à des solidarités collectives, ce fut probablement la relative décrue des répressions franco-françaises violentes qui explique la crue des répressions externes, du fait d'un phénomène classique de projection. Tout ne se passa-t-il pas comme si les censures plus marquées, concernant la violence à l'intérieur des sociétés européennes, de la Contre-Réforme à la République, via les Lumières, laissèrent libre cours à la décensure en terrain extra-européen ? Sur un point relativement mineur, à la camisardsdifférence de ce qu'allègue OLCG, cette montée des censures, et la propension à la réglementation de la violence, s'installèrent autant contre l'ordre de la Monarchie absolue que dans le sillage des injonctions de cette même Monarchie absolue : n'oublions pas que les massacres des camisards, les incendies de villages du Lubéron et les ravages concomitants des vallées de la Haute Durance furent précisément conçus et exécutés dans son cadre de pouvoir.

Et au vrai, en Algérie, fut conduite une guerre, avec son cortège d'horreurs (p. 106) de manière foncièrement assez peu différente de celle dont on usa en Europe avec les rebelles, les rétifs, ou simplement les hors normes, cela largement jusqu'au XIXe siècle. Et, même si, à partir de ce siècle, le jus belli fut posé, il fut loin d'être toujours appliqué. Car ce n'est pas ce que dit en principe le droit qui se met subitement à constituer la trame de l'Histoire. La guerre coloniale ne fut-elle pas, dans une certaine mesure, l'exportation de guerres internes, des guerres non classiques, c'est-à-dire de violences qui ne se ramenaient pas au modèle précairement codifié des conflits inter-étatiques ?

«Combien de régions, interroge OLCG (p. 190), ou de pays au monde ont-ils été frappés par la disparition de près d'un tiers de leur population à la suite d'une guerre de conquête ?» Réponse : la Bohème, déjà entrevue, a perdu, à raison de millions d'humains, près de la moitié de sa population du fait de la conquête catholique de la guerre de Trente ans. Et on a déjà parlé des Camisards, de la Vendée... Il est vrai que, en Algérie, ce fut dans la violence que fut imposé l'îlot capitaliste qui allait lui donner forme pour un siècle. Mais, dès lors que la colonisation capitaliste s'implanta vraiment, au lendemain de la révolte de Mokrani-Bel Haddad , dès les débuts de la IIIe République, peut-on passer sous silence que la population remonta ? Cela pour des raisons complexes, qui tiennent à ce que les Québécois ont appelé «la revanche des berceaux», mais aussi en raison de l'utilisation des salariés «indigènes» dans le processus productif ? Il y eut certes des fantasmes coloniaux d'annihilation, mais sur le sol algérien, ils cédèrent le pas à la réalité capitaliste de terrain qui ne fut jamais identique à la logique d'élimination et d'apartheid qui fut celle des États-Unis.

C'est dans cette acception relative, c'est-à-dire dans la dialectalisation, indispensable en histoire, qu'il convient de contextualiser «la place que les Français assignent aux hommes qu'ils asservissent, expulsent et/ou massacrent» (p. 26) ; et ces violences furent loin d'être seulement coloniales. Et ajoutons que, en00155 terrain colonial, pour qui veut faire œuvre comparatiste et s'évader du pré-carré nombriliste français, il y eut bien d'autres massacreurs que les Français : nous l'apprennent par exemple les historiens de la colonisation italienne, Giorgio Rochat, Nicola Labanca, ou Angelo del Boca. Qu'on pense aux massacres par les gaz dont ce dernier a montré qu'ils furent systématiques pendant la guerre d'Éthiopie. Ses révélations provoquèrent dans le landernau colonial italien des officiers nostalgiques de l'Oltremare, une réaction dont la violence n'est pas imaginable, même dans la France de la nostalgérie et de l'OAS réunies : c'est qu'elles mettaient à mal le mythe du «colonialismo diverso» (le colonialisme différent), soi-disant plus civilisé et plus humain que celui réputé plus sauvage des Anglais et des Français.

Certes, en théorie, sur le «vieux continent», «le respect de la vie et la condamnation des souffrances jugées inutiles conduis[ir]ent à la disqualification de nombreuses pratiques» (p. 194). Cela fut vrai, à la rigueur, khmerdans telles guerres classiques interétatiques. Mais   du massacre d'un millions d'Arméniens, en 1915, sous le régime jeune-turc, quid des dizaines de millions de morts, victimes du nazisme, du stalinisme, du maoïsme, quid du demi-million de morts indonésiens de la répression de 1965, quid du million et demi de victimes des Khmers rouges, sans compter les deux millions de morts du régime néostalinien de Saddam Hussein, sans compter aussi, en mineur, le Timor oriental ou les Chiapas... : ces horreurs ne relevèrent en rien de phénomènes coloniaux ; elles ne s'expliquent en rien par de «dangereux précédents» coloniaux, pas plus que la Schutzhaft (détention [préventive] de protection) prussienne (p. 212) ou le Nacht und Nebel Erlass (décret Nuit et Brouillard) nazi ; et elles ne relèvent pas non plus, bien sûr, de «guerres classiques.»

Et l'internement administratif colonial, représenté comme «l'ancêtre majeur des mesures prises plus tard en Europe visant à interner des étrangers ou des opposants politiques ou raciaux en vertu de dispositions exceptionnelles pour des motifs d'ordre public et pour une durée indéterminée» (p. 210), n'eut-il pas, aussi, d'autres «ancêtres» ? OLCG connaît-il Merlin de Douai et la loi des suspects du 17 septembre 1793 ? Et la déportation, après des simulacres de procès, des Communards en Nouvelle Calédonie ? Et, au siècle suivant, les déportations massives staliniennes des Allemands de la Volga, des Tatares, des Tchétchènes...? Même si ces deux derniers peuples peuvent être considérés comme ayant fait partie des victimes du système colonial russe, de telles abominations portèrent-elles, spécifiquement, la seule trace coloniale?

Reste la question du racisme colonial, et OLCG a raison d'y insister car il n'est pas de colonialisme qui ne porte la marque de la discrimination et du racisme. Pour autant, ce n'est pas forcément parce que tel analyste du XIXe siècle utilisa le terme de «race» qu'il fut pour autant un raciste au sens actuel du terme : faut-il préciser que, au XIXe siècle (cf. p. 32), «race» était entendu généralement au sens ordinaire de «peuple», davantage que dans les acceptions délirantes du biologisme racial telles qu'elles s'épanouirent avec le nazisme? Et que le racisme, certes justement stigmatisé, d'un Charles Jeannel (pp. 36-37) était à même de presque autant pourfendre le prolétaire/révolutionnaire européen qu'il ne stigmatisa le colonisé dominé ?

 

Assimiler peu ou prou le système colonial

à une anticipation du 3e Reich, voire à un

«précédent inquiétant» d'Auschwitz, est une entreprise

idéologique frauduleuse


Ajoutera-t-on que les dénonciations d'OLCG furent énoncées plusieurs décennies avant lui par de vrais historiens - Charles-André Julien, André Nouschi, Charles-Robert Ageron... -, et en un temps où il y avait courage à le faire, à la différence d'aujourd'hui, et où n'existaient pas encore les fosses d'orchestre médiatiques de la bureaucratie algérienne, toujours avide d'engranger telles cautions solidaires françaises à même de conforter le discours ordinaire victimisant de légitimation de son pouvoir. Discours auquel, faut-il le préciser, les bureaucrates en question ne croient évidemment pas, mais dont il leur paraît qu'il peut encore servir à tenir un peuple toujours imaginé sous l'emprise de la langue de bois unanimiste usuelle.

Bien sûr, qu'y eut-il d'autre, chez les chantres coloniaux, que de la discrimination et du racisme, à commodément stigmatiser «la violence, la superstition et la servitude qui règnent dans ces contrées»feraoun_cndpi3 (l'Afrique du Nord, NDA) (p. 47) ? Tout le monde sait maintenant qu'elles régnèrent bien ailleurs, y compris au cœur de bien des sociétés européennes. Mais qu'elles régnèrent aussi dans la patrie de Mouloud Feraoun, dont l'extraordinaire Journal le campe en témoin à chaud, et en analyste sans illusions des tares de sa société, en même temps qu'en spectateur atterré de la barbare guerre de reconquête coloniale - celles-là rejouant sur celle-ci. Et elles furent aussi présentes, par exemple en Inde - l'Inde qui ne fut pas, loin de là, ce conservatoire non violent sanctifié par Gandhi ; lequel Gandhi fut aussi, dialectiquement, et même à son corps défendant, le vecteur de violences, de superstitions et de servitudes. Et il y eut, certes, aussi des violences dans le cas douloureux de l'Irlande (p. 48). Sauf que l'Irlande, à la différence de ce qu'entend apparemment OLCG, ne fut pas vraiment une colonie comme l'entendent le sens commun anticolonialiste habituel et les taxinomies des historiens. Seule l'Ulster le fut.

Et que dire de la spécificité représentée - cela allant de soi dans son texte - comme coloniale de «la disparition dans le droit colonial des concepts d'individus et d'hommes au profit d'une sorte de masse indistincte composée de colonisés désindividualisés, et pour cela absolument interchangeables, sur lesquels pèsent des mesures d'exception permanente» (p. 216) ? Ce n'est pas dénier le racisme colonial que de rappeler que les protestants, au lendemain de l'abolition de l'Édit de Nantes en 1685, les aristocrates et assimilés après la loi des suspects de 1793, ou un siècle et demi plus tard les Juifs du statut des Juifs de Vichy, et tant d'autres, ne relevèrent pas vraiment d'une logique coloniale, sauf à représenter le colonialisme comme l'étalon obligé de tout racisme, étalon que d'autres veulent identifier au nazisme et à Auschwitz.

311fL'insistance sur la forme des crânes des «Arabes» étudiés par un scientifique d'académie très officiel comme Louis Moll (p. 39), renvoie à des préoccupations analogues, de Bertillon à Vacher de Lapouge, concernant des crânes bel et bien européens, pour lesquels étaient scrutées à la loupe leur brachycéphalie ou leur dolichocéphalie respectives, préoccupations qui n'ont pas vraiment à voir avec les seules divagations coloniales. Faut-il rappeler que le XIXe siècle européen s'employa avec conviction, inlassablement, et frénétiquement, à classer et à mesurer, et pas seulement outre-Méditerranée ?

OLCG prend insuffisamment en compte à notre sens, dans la course au délire biologique, les gradations qui aboutirent au nazisme. Certes, il prend soin de préciser, à propos d'Auschwitz, qu' «il n'y eut ni identité, ni analogie, moins encore rabattement de cet événement du XXe siècle sur ceux, plus anciens et d'une autre nature qui retiennent notre attention. Il n'en demeure pas moins que ce qui a été perpétré en Algérie constitue, au sens strict du terme, un précédent inquiétant» (p. 171). Assimiler peu ou prou le système colonial à une anticipation du 3e Reich, voire à un «précédent inquiétant» d'Auschwitz, est une entreprise idéologique frauduleuse, guère moins frelatée que l'identification, le 6 mai 2005, à Sétif, par le ministre des Anciens Moudjahidines, porte-voix officiel du président Boutelfika, de la répression coloniale aux fours crématoires d'Auschwitz et au nazisme.

 

Il n'y eut en Algérie ni entreprise d'extermination

sciemment conçue et menée à son terme,

et, contrairement à ce qu'énonce OLCG, ni «projet

cohérent de génocide»

 

Il n'y eut en Algérie ni entreprise d'extermination sciemment conçue et menée à son terme, et, contrairement à ce qu'énonce OLCG, ni «projet cohérent de génocide» (p. 123) à avoir abouti en Algérie. Le statut des Juifs de Vichy fut, bien plus fermement que le Code de l'Indigénat, rattaché au délire biologique; et il fut un phénomène franco-français distinct de la discrimination ordinaire exercée sur des tiers en dehors de l'espace hexagonal. Ou alors, si les massacres coloniaux annoncent le nazisme, on ne voit pas pourquoi la répression sanglante de la révolte de Spartacus, ou le massacre des innocents, ou encore la Saint Barthélemy, ne l'auraient pas tout autant annoncé.

En histoire, il est dangereux de tout mélanger. On sera davantage d'accord avec ce qui est dénommé «le berceau étroit» (p. 132) des peuples européens ayant justifié leur faculté à conquérir des territoires extérieurs à une Europe engoncée. Sauf qu'il ne s'agit pas, quelles que soient, en la matière, les ambiguïtés du texte d'OLCG, de la quête d'un Lebensraum codifié à la nazie : entre «berceau étroit» et Lebensraum, il y avait toute la distance qui sépare un fantasme expansionniste de la justification d'un délire assumé.

À propos d'un sujet connexe grave, et qui mérite examen, que faut-il, encore, penser de l'allégation d'OLCG selon laquelle, dans le cas colonial, «nous sommes donc en présence d'une véritable politique de sélection bugeaudislyhoracevernetdes races conduite au profit des peuples supérieurs» (p. 58)? Et que dire de sa «politique de cheptellisation des races humaines»? Nous sommes certes bien persuadés qu'il y eut racisme, discrimination et apartheid, au moins politique, en Algérie, nous ne nous lasserons pas de le dire et de l'écrire.

Ceci dit, est-il besoin de préciser que fantasme n'équivaut pas, en définitive, à politique ? Et comment envisager les remarques sur la «dépravation masculine» (p. 61) dont, en effet, ce fut un lieu commun de charger les sociétés colonisées ? Rappellera-t-on à quel point de telles considérations, à partir du XVIIIe siècle, furent courantes, touchant les paysans dépeints comme arriérés d'Europe, allègrement et communément représentés, par inclination sauvage naturelle, comme homosexuels et/ou zoophiles? Et évoquera-t-on, pour faire bonne mesure, «le dangereux supplément» dans l'œuvre de Rousseau ? C'est ainsi que le digne auteur du Contrat social désignait dans L'Émile, les penchants masturbatoires adolescents qui commençaient à tenir en cervelle les contemporains des Lumières -ces soucis furent plus lancinants encore au XIXe siècle, siècle des observations coloniales.

Le texte d'OLCG comporte nombre de schématisations idéologiques, de jugements tranchés, voire d'outrances inadmissibles pour un historien, du moins dans la mesure où l'Histoire doit rendre compte, sous peine de faillir à sa mission, de toute la complexité du divers historique, et être par excellence le terrain de la dialectisation. Contenant plusieurs formules médiatiques ampoulées et nombre d'expressions journalistiques - et cela pas toujours dans le meilleur sens du terme -, il illustre bien la formule selon laquelle «la forme, c'est le fond.» On pourra s'engager dans des méditations insondables sur le concept, bien senti, de «thanatopolitique» (p. 128). On apprendra aussi, pour ce qui est de la IIe République, que, en 1848, «les noces sanglantes de la République et du colonialisme venaient d'être conclues» (p. 15). Heureusement, ici et là, de belles expressions à la mode, parfois en forme de raffarinades, détendent l'atmosphère («ceux d'en-bas» opposés à «ceux d'en-haut» [p. 14]).

On ne s'étonnera donc pas qu'OLCG se voie probablement en historien d'une espèce en voie d'apparition, dont le manifeste inscrit son auteur «contre l'enfermement chronologique et disciplinaire» (p. 22)... Et que dire de sa «voie dédisciplinarisée», sinon qu'on ne peut guère la situer autrement que dans le fourre-tout d'une évanescente thèse ad probandum ? Et qui vise-t-il lorsqu'il pourfend les «faiseurs d'histoire» (p. 28)? Serait-ce ceux des historiens qui s'obstinent à être fidèles à ce que d'aucuns dénomment encore la méthode historique ? Certes, l'Histoire appartient à tous, pour peu que cette méthode soit respectée et que l'historien pense et expose ses conclusions avec des idées pertinentes et éclaircies. Ainsi, «une tuerie ordonnée» (p. 140), on croit comprendre ce dont il s'agit, mais qu'est-ce qu'une «tuerie moderne» ? Une tuerie planifiée et exécutée selon les normes et les techniques de l'âge industriel ? Rien ne permet bien d'être fixé.

À vrai dire, le livre d'OLCG se présente comme un ajout de notes de lecture d'un infatigable lecteur, mais qui ne retient de ses lectures que ce qui conforte ses thèses et nourrit ses stéréotypes. Son texte est noyé sous une avalanche de citations illustratives, traitées en paraphrases idéologiques - cela non sans redites. À le lire, on ne peut s'empêcher de poser la question : un sottisier peut-il tenir lieu d'œuvre de réflexion et de synthèse historique ?

À la méthode historique, appartiennent l'analyse et la confrontation de documents différents, quels qu'ils soient, même - et surtout- s'ils vont à l'encontre de la thèse de l'auteur : quel historien n'a pas un jour été conduit à réviser ou à nuancer telles de ses appréciations au vu des documents consultés ? Avec OLCG, rien de tel, mais une paraphrase de texte tous publiés, émanant d'acteurs/commentateurs, tous triés pour aller dans le même sens. Il n'y a aucune autre documentation, aucune archive n'a été consultée et mise en œuvre - certes ce n'est pas un péché, si du moins on respecte les règles élémentaires de la critique historique. Tout est de seconde main, tout est discours sur le discours. L'abondance des notes infrapaginales s'explique, certes, par un grand nombre de références, mais aussi du fait que les notes peuvent constituer de simples ajouts au corps du texte. Et il n'y a aucune bibliographie, ce qui est bien dommage pour un livre aussi ambitieux. Et les références bibliographiques peuvent comporter des négligences : le journal de Jean-Baptiste Gramaye, «évêque d'Afrique» aux XVIe-XVIIe siècles, est cité (p. 61) sans mention de son traducteur et présentateur, le grand historien algérien Abd El Hadi Ben Mansour .

OLCG préfère ici et là des auteurs idéologiques de seconde main qui lui paraissent aller dans le sens de sa démonstration : il cite par exemple, longuement (pp. 263 à 267) le haut fonctionnaire colonial vichyste Marcel Peyrouton, lequel commit en son temps une Histoire générale du Maghreb, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle ne fit pas date dans l'historiographie de l'Afrique du Nord. En revanche, Charles-André Julien n'a droit qu'à deux références, de même que l'un des deux auteurs du présent article (PVN), tandis que l'autre de ses deux auteurs (GM), mais aussi Charles-Robert Ageron et Mohammed Harbi ne sont, chacun, cités qu'une fois. André Nouschi et Annie Rey-Goldzeiguer sont carrément ignorés. Cela même alors que ces auteurs ont analysé, chacun en ce qui le concerne, le système de violence coloniale que dénonce a posteriori OLCG en feignant de découvrir l'Amérique. Bien sûr, il vaut mieux ne citer que des auteurs de sottisiers quand on veut faire ressortir les sottises. Mais à n'engranger et à ne disserter que sur des sottises, sur le racisme et sur le colonialisme, on risque de donner l'impression que seuls des sots, des racistes et des colonialistes discoururent et agirent.

Et, s'en étonnera-t-on, son livre fait l'impasse sur l'anticolonialisme, anticolonialisme dont témoignèrent, notamment, chacun à leur manière les historiens ci-dessus. On risque d'en tirer la conclusion, à le lire, d'un consensus omnium de tous les contemporains et de tous les analystes de l'entreprise coloniale. Il est vrai, de fait, que les expéditions coloniales françaises n'ont pas suscité en France la même opposition populaire que celle que les italiennes purent éveiller, par exemple dans les villes industrielles d'Italie du Nord en 1912. Il est vrai que la gauche française, à la différence relative de la gauche italienne, se complut durablement dans le bourbier colonial, et pas seulement dans le cas terminal du national-mollettisme. Rappelons que L'Humanité dénonça dans le soulèvement du Constantinois de mai 1945 la trace d'un complot nazi...

Cela n'interdit pas de rappeler la bataille anticolonialiste menée par la SFIC, en son âge bolcheviste,abd_el_krim_1926 notamment lors de la guerre du Rif. Le lecteur d'OLCG n'en saura rien. Félicien Challaye, surtout, et, très secondairement, André Gide, ne sont cités que parce que leurs écrits apportent de l'eau au moulin de l'auteur. Mais pas en ce qu'ils témoignèrent de l'existence d'un courant anticolonialiste. Albert Londres n'est pas cité une seule fois, pas plus que les ténors communistes de l'anticolonialisme à la Chambre à l'entre-deux-guerres, Paul Vaillant-Couturier ou Jacques Doriot. Et pas davantage le colon libertaire Victor Spielmann, qui fut, à la veille de 1914, avec Gaston de Vulpillières et Paul Vigné d'Octon, le rédacteur de l'hebdomadaire anticolonialiste basé à Bordj Bou Arreridj, Le Cri de l'Algérie. Il fut après-guerre le secrétaire de l'Émir Khaled et le rédacteur de ses textes en français, puis le fondateur des si bien nommées Éditions du Trait d'Union. A sa mort en 1940, il fut célébré par Chaykh Abd El Hamid Ibn Bâdis dans son journa al chihâb comme «malâk hâris ul cha'b il jazâ'iriyy» (l'ange gardien du peuple algérien).

Le lecteur d'OLCG ne connaîtra pas davantage, plus près de nous, Henri Alleg, Maurice Audin, Henri Curiel, Francis Jeanson, Maurice Laban, le docteur Masseboeuf, Madeleine Reberioux, Lisette Vincent, Fernand Iveton... pour ne citer qu'eux. Paul Vigné d'Octon n'est signalé que comme «médecin» (note 1, page 183), et 2267012448.08.lzzzzzzznon comme le médecin militaire qu'il fut un temps. De même, provinrent de l'institution militaire française, aussi bien Jules Roy que Jacques Pâris de Bollardière, ou encore Ces officiers qui ont dit non à la torture, évoqués par Jean-Charles Jauffret. Autant dire que l'Histoire ne se satisfait jamais de l'univocité. Certes l'armée française fut une institution d'une particulière violence en Algérie, aussi bien lors de la conquête que lors de la guerre de libération nationale de 1954-1962, tout comme la colonisation fut une entreprise brutale. Mais la même colonisation a aussi comporté, jusque dans son sein, des discours de bonne conscience humanistes, voire des pare-feux, quand ce ne furent pas, même, des contestations de l'ordre colonial.

Certes, Manuel Bugeja, administrateur de commune mixte hors normes, n'empêcha pas, aux côtés de sa féministe épouse Marie, l'ordre des communes mixtes d'être brutal et oppressif. Mais les communes mixtes, tout comme les bureaux arabes, eurent aussi un côté paternaliste. Et, en histoire, des humains qui ne sont que sauvagement matraqués ne se comportent pas en tout comme des humains caressés. En témoigne la société marocaine, conquise par Lyautey, et dont la conquête coûta sans doute au Maroc dix fois moins de morts que celle de l'Algérie... Rien d'étonnant, donc, si, durablement, la société marocaine fut moins traumatisée et que sa décolonisation y fut sans comparaison moins tragique. Mais, en même temps, il y eut dans le pouvoir français en Algérie une main droite qui s'efforça de ne pas faire ce que faisait sa main gauche, et même d'en être le contre-pied, il y eut même de timides tentatives d'assimilation qui purent faire vaciller bien des humains colonisés. Résultat : les Algériens furent pris dans des réactions nettement plus schizophrènes que les Marocains ou les Tunisiens.

Soit par exemple, à la veille de la première guerre, le recteur d'Alger Jeanmaire, apôtre de «l'enseignement pour les indigènes». Certes, il resta un isolé prêchant dans le désert à un moment où un congrès des colons votait une motion demandant sa suppression. Certes le recteur Jeanmaire échoua, comme échouèrent ces instituteurs, pourtant souvent bardés de foi, qui dispensèrent, bien chichement, les lumières de l'instruction aux petits Algériens : à la veille de 1954, il n'y avait guère plus de 10% d'enfants algériens à être scolarisés256464066_small1 dans le système d'enseignement français. Mais - c'est une banalité de le rappeler -, grâce à cette école française, la colonisation produisit aussi, dialectiquement, les critiques qui aidèrent à l'emporter. Les neuf chefs historiques du FLN de 1954 étaient tous des produits de l'école française. L'éminente figure politique du FLN et maître d'œuvre de l'historique Congrès de la Soummam, en août 1956, Ramdane Abbane, était bachelier, et il était nourri des idéaux révolutionnaires français. On sait qu'il fut étranglé le 27 décembre 1957 par le bras armé brutal de la bureaucratie militaire algérienne naissante. C'était déjà là une autre (?) histoire. L'historien ne peut pas ne pas rappeler en tout cas que ce ne fut pas, alors, un bureaucrate violent qui fut assassiné, mais le plus grand politique qu'ait compté dans ses rangs le FLN. De fait, 1957 marqua une coupure dans l'histoire du nationalisme algérien.
Trop souvent, OLCG enfonce des portes ouvertes en croyant découvrir une Amérique découverte bien avant lui par tant de ses prédécesseurs, souvent de réelle conviction et de vrai talent.

Car il ne nous apprend rien sur «l'extermination», si ce n'est qu'il incite son lecteur à porter attention sur la polysémie du terme utilisé au XIXe siècle ; et que, dans les textes qu'il cite et sur lesquels il disserte, «extermination», on l'a dit, ne renvoie pas à génocide. Autre exemple : sur le prétexte que constitua la course barbaresque à la conquête entreprise en 1830, ladite course est uniquement référée à la vision caricaturale qu'en eurent les chancelleries, les bons auteurs européens et l'histoire sainte nationale française. À lire OLCG, là encore, on retire le sentiment que rien de scientifique n'a été écrit sur ce sujet. Nulle référence à Fernand Braudel, l'analyste fécond de l'exclusion des circuits d'échanges mondiaux de la Méditerranée, tout spécialement de ses rivages méridionaux. Le grand historien algérien de l'Algérie ottomane Lemnouar Merouche n'est pas davantage, ni connu, ni convoqué.

Quant au mythe kabyle dont il est, ici et là, question, faut-il rappeler, pour qui l'ignorerait encore après avoir lu OLCG, qu'il a été d'abondance traité en plusieurs de ses ouvrages par Charles-Robert Ageron, et 2912946123.08.lzzzzzzz1récemment encore revisité par Alain Mahé. Ce mythe kabyle dont l'auteur est parfois victime sans s'en rendre compte lorsqu'il glose sur les «Berbères» qui auraient été pendant la Grande Guerre «les plus nombreux» parmi les «indigènes» dans les rangs des tirailleurs. L'un de nous (GM) croit avoir depuis longtemps analysé l'inanité de tels fantasmes, qui furent assez largement des fictions officielles coloniales. Mais peut-être notre auteur a-t-il confondu les tirailleurs et les travailleurs des industries de la Défense Nationale ; pour les travailleurs, alors, il aurait dit vrai. Enfin, sur un thème somme toute modérément récurrent dans son livre, peut-on se contenter de laisser la parole aux seuls idéologues racistes dans l'évocation du «vice contre-nature» maghrébin, qui fut (est ?) bien plus largement méditerranéen ? Peut-on ignorer ce qui en a été dit depuis les recherches sur les sociétés masculines et l'éphébie entreprises par le vrai savant que fut Henri Irénée Marrou dans sa maintenant classique Histoire de l'éducation dans l'Antiquité ?


La soif de dire peut certes être une vertu ; mais l'accumulation rapide laisse souvent ici et là subsister des redites, des maladresses, voire des scories. Et elle peut tourner au vice. Page 21, l'Europe est désignée comme «vieux continent» par rapport à l'Afrique, laquelle serait, donc, a contrario, un continent neuf ? Trop souvent, OLCG brasse trop de matière à la fois pour lui permettre d'asseoir ce qu'il croit être une arendt2démonstration. Ainsi, quand il parle (p. 215) de «totalitarisme», il ne livre pas au lecteur quelle acception il réserve à ce concept : sera-ce celle de Hannah Arendt ou de Raymond Aron ? Sera-ce celle des idéologues fascistes comme Alfredo Rocco, ou crypto-fascistes comme Giovanni Gentile ? Sera-ce alors une acception banalisée par un air du temps nébuleux ? Et cette «coloniale», qui sert à lutter contre «la sociale», et qui est l'un des topoi du livre, est objet de redites sans qu'une démonstration bien convaincante permette résolument d'y voir clair. Mais ce sont là péchés véniels.

Nous permettra-t-on d'ajouter que l'accent - justifié, bien sûr - sur les violences coloniales a pour contrepoint l'exonération complète des œuvres du pouvoir régnant sur l'Algérie indépendante, pour ne pas parler de ce qui fut en germe dès la mainmise militaire sur son Front de Libération Nationale. Il est vrai que, chez OLCG, les tortures, les amendes, la responsabilité collective sont à imputer à «des régimes politiques fort divers» (p. 23), mais il n'est nulle part dit que ce fut en continuité quasi-directe entre le système colonial violent et le système bureaucratique algérien à son tour violent - et prégnant depuis 1962 -, et dont les racines remontent plus avant dans l'histoire même du FLN, et décisivement à 1957. Comme l'a suggéré Mohammed Harbi, la vision des dirigeants du FLN, en tout cas de ceux qui prirent le pouvoir en 1957 et ne le lâchèrent plus, était ni plus ni moins celle d'une vaste commune mixte coloniale. Il est dommage que, dans le livre d'OLCG, ces aspects ne soient pas abordés : on a le sentiment que, de la dénonciation légitime du système colonial à l'ignorance justificatrice (la complaisance à l'égard ?) des manipulations légitimatrices de la bureaucratie militaire algérienne, il n'y a qu'un pas. Et la conclusion du livre ne permet pas de vraiment se départir de ce sentiment. D'ailleurs, les occurrences que l'on trouve sous la plume de notre auteur à «exterminer» et à «extermination» renvoient-elles à autre chose que ce que à quoi le consortium des généraux régnant sur l'Algérie a pris coutume de dénommer «éradiquer» et «éradication ?»

Quant aux auteurs des citations critiquées, on ne regrettera certes pas le sort qui est réservé sous la plume d'OLCG à l'ineffable E. Bodichon, à E. Feydeau, à L. Moll, à R. Ricoux, pour ne pas parler de Hugonnet ou de l'ami de Tocqueville G. de Beaumont, ou encore - voici une belle découverte - de la comtesse Drohojowska, auteur d'une histoire de l'Algérie racontée à la jeunesse. Mais on sera plus circonspect sur le sort qui est faittocqueville_small1 à Tocqueville : bien sûr que ce dernier fut colonialiste ; mais l'ampleur de ses vues ne permet tout de même pas de le réduire aux préjugés coloniaux de son temps. Le concernant, on aurait pu, au demeurant, en ne puisant, à l'inverse de ce qui est fait, que dans les innombrables citations critiques sur la colonisation et les colonisateurs, faire dire à Tocqueville exactement le contraire.

Et que dira-t-on, aussi, de la stigmatisation, sans autre forme de procès, parmi les racistes ignominieux, de Pierre Loti ? Est-il besoin de dire que ledit Loti fut d'abondance, en son temps, communément dénoncé comme un islamophile irresponsable ? Est-ce faire œuvre d'historien que de ne tirer de Loti que ce qui va, de manière univoque, dans le sens de la démonstration fourbie par OLCG?

Quant à Marx, l'analyse partielle - et partiale - qui en est faite se réduit au feu roulant de ce que Marcuse a naguère appelé l'unidimensionnalité. Nous ne sommes pas des marxistes, du moins dans le sens d'un engagement politique sous la bannière du marxisme-léninisme. Mais nous tenons pour vrai que, avec Weber, Freud, Foucault et quelques autres, Marx fait partie des références communes de tout humain se risquant à analyser l'histoire marx_karldes phénomènes sociaux, politiques et idéologiques de l'Histoire. Visant Marx, le jeu de massacre conduit par OLCG tourne à l'acharnement. Est-ce bien innocent dans le contexte actuel de vacuité politique postérieur à l'effondrement apparent des régimes staliniens, corrélative au contexte actuel de triomphe d'un capitalisme sans freins ? En tout cas, Marx se situe au-delà du travestissement réducteur qui en est présenté d'après une lecture hâtive et tronquée des travaux de René Gallissot. Que dire en effet de l'état des «Arabes», «réputé stationnaire et nuisible» d'après Marx (p. 41) ? Il s'agit bien sûr, en l'état, d'une inadéquation aux évolutions historiques que Marx envisageait dans son système. On l'aura deviné : «Nuisible» ne fit partie, ni du vocabulaire, ni de la grille d'analyse de Marx.

En compilant, toujours Gallissot, OLCG découvre avec horreur que Marx fut colonialiste. Pour ce dernier, les philanthropes critiques à l'égard de l'entreprise coloniale n'auraient relevé que d' «une sensibilité qui fait obstacle au savoir» (p. 46). La réduction moralisante entreprise sous la bannière du politiquement correct est, plus d'un siècle après la mort de Marx, en proie à l'effroi face à l'historicisme du XIXe siècle. Certes, Marx ne fut pas le seul dans cette galère : qu'on pense à Auguste Comte et à sa loi des trois états ; qu'on pense à Renan et à ses considérations philologiques d'un autre âge sur les langues... tous penseurs majeurs de leur temps dont il n'est pas fait mention. C'est le seul Marx qui est dit déboucher sur «la réification des hommes» (p. 45). Dans un véritable aplatissement idéologique, OLCG passe sans transition, comme si la chose allait de soi, de Marx à Duvernois et à Maupassant, lesquels ne dirent - s'en étonnera-t-on ? - pas vraiment la même chose que Marx. Passe pour Maupassant dont les qualités littéraires ne peuvent tout de même pas être ramenées à un jugement éthique ; mais qui a jamais entendu parler de Devernois, sinon quelque amateur de jeux de massacre indifférenciés ?

«Pour de nombreux colonisateurs» (donc, aussi, pour Marx ?), les «indigènes» «ne peuvent même pas êtrealgosef7b exploités». Est-il besoin d'ajouter que, à l'usage, les colons, s'ils eurent jamais ces idées, changèrent assez vite d'avis ? Que les vignes coloniales d'Algérie n'auraient jamais existé sans les tailleurs de vigne algériens, voire sans les contremaîtres kabyles, qui eurent, chez les Borgeaud et chez les Germain, le rôle de véritables chefs d'entreprise ? Et que, plus largement, ce qu'on appelait «l'armée roulante» des désoccupés temporaires trouva à s'employer précairement, pour les travaux saisonniers, dans les fermes des colons. Pour revenir à Marx, elle constitua une véritable «armée de réserve», aux salaires de famine, mais bel et bien exploités, et salariés tout de même, quelles qu'aient pu être les conditions léonines et discriminatoires de ce salariat.

Bien sûr, OLCG a raison de pourfendre les lieux communs de l'islamophobie essentialiste. Ceci dit, par exemple, l'importante corrélation islam-guerre ne peut être seulement traitée par une pirouette méprisante (p. 86). Certes, à l'évidence, l'islam ne se réduisit pas à la guerre ; mais il ne l'ignora pas non plus. L'opposition, moquée par notre auteur, du lieu commun opposant l'islam-religion de guerre au christianisme-religion d'amour, mérite attention. L'empire musulman réalisa bel et bien son expansion du fait d'une conquête militaire. Mais l'empathie, portée par tant de facteurs de proximité socio-culturelle que l'islam rencontra au Maghreb explique bien sûr, plus que la seule conquête militaire, son rapide triomphe. Par ailleurs, si le christianisme a séduit les masses populaires, jusque, dans un premier temps, les Maghrébins, ce fut là aussi en raison d'empathies portées par le discours de l'amour. Et, si le christianisme s'imposa profondément, ce fut en raison, à la fois de la prédication missionnaire, mais aussi de l'investissement par les bureaucrates catholiques des appareils étatiques. Concernant l'islam, on renverra sur ces matières, pour complément d'information, les lecteurs insatisfaits par la lecture d'OLCG à l'essentielle synthèse du politologue tunisien (Hamadi Redissi) L'Exception islamique.

Plus complètement, il convient à ce stade d'examiner les raisons de fond pouvant expliquer que de tels livres soient écrits et publiés en 2005. C'est qu'il y a une demande dans un monde anticolonialiste dont les certitudes ont été ébranlées depuis la chute du stalinisme et la mise en évidence des dictatures du Tiers Monde. Ce monde n'accepte pas ces autres certitudes, condescendantes et méprisantes, de tous ceux qui n'envisagent pas d'avenir autre que sous la bannière du capitalisme absolu. Ces désorientés ne peuvent se défaire facilement de l'héritage lourd du stalinisme et des nationalismes bornés des États du Tiers Monde - étant entendu que nous ne considérons pas le nationalisme en soi comme nécessairement équivalent au despotisme auquel l'ont ravalé bien de ces États. La sèche brutalité de l'évolution socio-économique actuelle accroît démesurément les frustrations et les traumatismes des mal lotis, et cela à une échelle mondiale. Cette situation est éminemment propice à la construction de carrières qui se nourrissent de ces désarrois, désarrois dont ces nationalismes officiels d'État font leur profit.

Depuis un quart de siècle, dans les pays riches, les frustrés et les traumatisés voient se dérober les moyens de la connaissance et de l'analyse critique de leur situation. Ils souffrent, mais dans le désenchantement et la vacuité du politique. Les projets en forme d'utopies collectives ont été, on le sait, disqualifiés par la chute des régimes staliniens, et à vrai dire, avant même cette chute. Mai 68 en avait été un symptôme : les jeunes révoltés, principalement issus de la classe moyenne, récusèrent les partis communistes traditionnels. Ils essayaient désespérément de leur trouver des substituts en rejouant, sur le mode du point d'orgue baroque, la Révolution. En réalité, ne savaient-ils pas, inconsciemment, la Révolution condamnée ? et, toujours inconsciemment, la désiraient-ils vraiment ? Ce fut peut-être la raison pour laquelle ils la scandèrent de manière expressionniste : «Encore un instant, Monsieur le bourreau, laissez nous encore un peu mimer la Révolution avant qu'elle ne soit à jamais jetée aux orties !» Mai 68 se paraît des oripeaux du révolutionnarisme afin de ne pas avouer que les vents qui soufflaient étaient bel et bien des vents d'ouest.

Ces vents, en même temps qu'ils étaient porteurs d'esprit libertaire et d'aspirations démocratiques, allaient bientôt proclamer la loi du capitalisme absolu.
Dans l'incertitude durable qui suivit, les vents d'ouest soufflèrent de plus belle, brise légère transmuée en Katrina avec Margaret Thatcher, Ronald Reagan, enfin George W. Bush. Les socialistes européens ne dressèrent que de fragiles contre-feux. Ils accompagnèrent le mouvement, au mieux sur le mode semi-critique, quand même ils ne lui donnèrent pas plus d'air encore. Dans cette évolution où les péans adressés au Marché avaient pour contrepoint la mise à mal des programmes sociaux des Welfare States, les armes de la critique se mirent à tourner à vide. Il y avait difficulté à cerner le présent. Il y eut bientôt absence de vrais projets politiques, en dépit de ce qui commença peut-être à émerger dans les parages encore balbutiants de Porto Alegre à la fin du siècle passé. Le collectif devint ringard. Les trajectoires individuelles furent portées au pinacle. Le cri de 1968, «no future !» (prémonitoirement il était poussé engood_bye_lenin anglais) devint réalité.
L'incapacité à concevoir des projets accompagna les pannes de l'appréhension du présent. Elles débouchèrent sur le refuge dans le passé. Que ce passé soit, déjà, tendrement évoqué par l'Ostalgie du film à succès Good bye Lenine !, ou qu'il soit négativement fossilisé dans le désarroi par les «Indigènes de la République». Pour schématiser, la trajectoire d'un OLCG rencontra celle des «Indigènes de la République», qui encadrent et donnent depuis peu forme à la protestation des groupes dominés en France. Il est devenu pour eux une manière de héraut et de héros. Nous ne disons pas cela légèrement : il y a là un problème grave et c'est gravement que nous voulons l'examiner.

Depuis plus de deux décennies, s'est donc imposé, comme norme économique/éthique, un capitalisme sauvage qui rencontre de moins en moins d'obstacles, et qui est de moins en moins modéré par des freins collectifs/étatiques : en tant que garant des solidarités collectives, le national, l'État national, se dilue progressivement dans un capitalisme désormais résolument mondial. Certes il put y avoir consentement plus ou moins vergogneux de tels États européens, ou bien adhésion enthousiaste sans fard du Royaume Uni ou des États-Unis, donnant la main à un impérialisme arrogant et brutal. Cela sous couvert de croisade démocratique à soubassements protestants fondamentalistes régressifs contre «l'Empire du Mal.» Les réactions contraires se produisirent, de même, sous le signe de ce que le philosophe égyptien Fouad Zakariya dénomme, quand il analyse le monde islamo-arabe, «l'aliénation par le passé» : un fondamentalisme islamique, symétriquement régressif. Aujourd'hui, l'impérialisme, dans sa nouvelle brutalité, ne se moule plus dans le cadre du colonialisme national d'antan. Il n'est plus vraiment colonial et il n'est plus vraiment national.

Or le colonialisme avait certes correspondu à un développement du capitalisme. Mais il serait réducteur de seulement le caractériser selon de tels canons économistes : il était aussi un enfant des États nationaux qui se construisaient, au XIXe siècle, en Europe ; notamment grâce aux états-majors des Oberlehrer dans l'Allemagne du 2e Reich, et aux troupes des hussards noirs de la République en France, qui donnaient les uns et les autres forme à la nationalisation des sociétés. La colonisation enclencha la création d'îlots capitalistes, mais sur fond idéologique d'expansions nationales. Ce n'est plus le cas aujourd'hui : les capitalismes sont de moins en moins nationaux. Le capitalisme ne revêt plus une acception nationale. Or la nationalisation des sociétés s'était accompagnée, à partir du XIXe siècle, peu ou prou, de l'installation de solidarités collectives, d'un côté en marge de l'État, voire contre lui (syndicats, bourses de travail, coopératives ouvrières...), mais aussi sous la houlette de l'État - ce que les Anglais dénommèrent ultérieurement le Welfare State. Il y eut ainsi création de systèmes d'éducations nationaux, mise sur pied de régimes de sécurité sociale, aménagement de caisses de retraite, édification de réseaux de transports publics soutenus par l'État, sans compter un développement sans précédent du fonctionnariat.

 

Aujourd'hui, les solidarités collectives autonomes sont en déclin ou ont disparu - malgré telles renaissances prometteuses, tout récemment, en Argentine - et les solidarités stato-nationales s'affaissent sous les coups de boutoir d'une rentabilité économique proclamée comme devant être le début et la fin de toute chose. C'est, en Europe, au Royaume Uni où, depuis le gouvernement emblématique de Margaret Thatcher, la dégradation est la plus avancée : récemment, sur la ligne Londres-Brighton, la compagnie de chemin de fer propriétaire supprime sans autre forme de procès les trains dès lors que leur taux de remplissage est jugé insuffisant...
Et les États continentaux, encore en «retard», ne perdent rien pour attendre. Partout la crise de l'école suscite des chœurs de lamentation, mais aucune politique à même d'en venir à bout. Partout les systèmes de protection sociale sont érodés, voire démantelés. Et l'un des moyens favoris d'alléger l'État est de dégraisser la fonction publique. Ici comme là, la solution politique ne pourrait, évidemment, être que globale. Désormais, place aux chefs d'entreprises célébrés comme tueurs, place aux fulgurantes carrières médiatisées, place à l'individualisme honoré comme norme éthique. Il faut trouver sa place au soleil, il faut tirer son épingle du jeu, il faut être connu et reconnu. Quitte pour cela à se ménager pour clientèle les porte-parole de tous ceux qui vivent chichement sous les décombres d'un politique mis à mal par l'effondrement des solidarités collectives.


On comprend donc pourquoi un livre comme celui d'OLCG rencontre un écho parmi les «Indigènes de la République» : ces derniers, qui se font les hérauts des jeunes, discriminés, angoissés et désemparés, sont impuissants à saisir les vraies raisons de leur mal-être. Les cadres politiques qui auraient pu être le réceptacle et l'expression de leurs ressentiments sont aujourd'hui évanescents et discrédités. Ne possédant pas les armes d'une critique adéquate aux vraies raisons qui les font saigner, ils se réfugient dans une régression qu'ils croient identitaire, dans les gestes démonstratifs provocants, dans le machisme néo-patriarcal des frères et des cousins, cela sur fond de délabrement social et de parquement dans les banlieues/ghettos pour pauvres.

Rien d'étonnant à ce qu'ils se réfugient dans ce qui est encore répertorié comme vivant et opératoire : les alluvions de la mémoire. Leurs pères ont été colonisés, exploités, maltraités, exploités par le colonialisme. Or ils continuent à souffrir ; donc le colonialisme est toujours à l'œuvre. Bush, dans sa croisade irakienne, est représenté comme un colonialiste héritier du colonialisme d'antan. Voilà ce que révèle, en arrière-plan, le livre d'OLCG. Que conclure, alors, de cet ouvrage, dont il faut bien admettre qu'il s'agit d'une publication-phare, de même que son auteur est probablement vu comme une stature-phare pour sa clientèle de représentants des mal-aimés ?

Conclusion.
Au total, les oppositions placées sous la bannière de Franco Cardini entre la guerre coloniale sans règles ni principes et la guerre européenne qui finit par se placer sous le signe du «contrôler, délimiter, humaniser» (p. 174) existèrent assurément, mais elles furent moins absolues qu'il n'est allégué chez OLCG. Le droit ne suffit pas à dire le réel, même si, au besoin, Kant est appelé à la rescousse pour peaufiner la démonstration. Moins ampoulé, plus modeste, moins accumulatif, et surtout moins idéologique, plus en prise aussi sur la critique historique, un tel livre aurait pu trouver place dans les réflexions sur la colonisation. En fait, il surfe sur une vague médiatique, avec pour fond de commerce des humains désemparés, et peu portée à l'analyse critique, cela en fignolant un sottisier plus qu'il ne s'appuie sur les travaux d'historiens confirmés, dont il reprend ici et là, toutefois, plus ou moins l'une ou l'autre conclusion. Au vrai, enfoncer des portes ouvertes ne constitue pas un véritable critère de l'innovation.
Les complaisances dont il témoigne, sans parler de l'acharnement pratiqué sur Marx et des impasses sur la culture anticolonialiste, ne convainquent évidemment pas.

Dommage que ce livre, à la fois boursouflé et hâtif, ne puisse pas vraiment faire la preuve des bonnes intentions dont il est pavé. Nous sommes trop foncièrement anticolonialistes pour nous en réjouir. Il reste que l'air du temps de la dénonciation médiatique ne suffit pas à arrimer à la science des convictions et à faire d'OLCG un historien plausible. Le contexte social, économique et politique actuel est encore fécond qui continuera à générer de telles tonitruances idéologiques à vocation surtout médiatique.

Gilbert Meynier
Pierre Vidal-Naquet

 

1 - Olivier Le Cour Grandmaison, Coloniser Exterminer. Sur la guerre et l'État colonial, Fayard, Paris, 2005, 366 p.
2 -Et, à propos de la Grande Guerre et des Algériens (p. 184), OLCG ne semble pas connaître le livre de l'un de nous (GM), L'Algérie révélée. La première guerre mondiale et le premier quart du 20e siècle, Genève, Droz, 1981, 793 p.
3 - NB : OLCG dit «révolte de Mokrani» car, s'il connaît le féodal bachagha, il ignore Bel Haddad, lequel fut pourtant, sur le mode confrérique populaire, le vrai entraîneur de la révolte.
4 - Cf. Angelo Del Boca, I Gas di Mussolini. Il fascismo e la guerra d'Etiopia, Editori Riuniti, Rome, 1996.
5 - Abd El Hadi Ben Mansour, Alger XVIe-XVIIe siècles. Journal de Jean-Baptiste Gramaye, «évêque d'Afrique», Éditions Le Cerf, Paris, 1998, 773 p.
6 - Albin Michel, Paris, 1966.
7 - Vulpillières mena de front ses travaux d'archéologue de Calceus Herculis et la défense des villageois d'El Kantara opprimés par l'administration de la commune mixte d'Aïn Touta.
8 - Autrement, Paris, 2005, 174 p.
9 - Hocine Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella, Mostefa Ben Boulaïd, Larbi Ben M'hidi, Mohammed Boudiaf, Rabah Bitat, Mourad Didouche, Mohammed Khider, Belkacem Krim.
10 - Lemnouar Merouche, Recherches sur l'Algérie à l'époque ottomane, -I- Monnaies, prix et revenus, 1520-1830, Bouchene, Paris, 2002, 314 p.
11 - Histoire de la Grande Kabylie, XIXe-XXe siècles. Anthropologie historique du lien social dans les communautés villageoises, Bouchene, Paris, 2001, 650 p.
12 - Cf. Gilbert Meynier, L'Algérie révélée..., op. cit.
13 - Seuil, Paris, 2004, 241 p.
14 - Fouad Zakariya, Laïcité ou islamisme : les Arabes à l'heure du choix, La Découverte, Paris, 1990, 165 p.
15 - La Culture de guerre, Xe-XVIIIe siècles, Gallimard, Paris, 1992, 479 p.

 

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Olivier Le Cour Grandmaison surfe sur une vague médiatique,

avec pour fond de commerce des humains désemparés,

et peu portée à l'analyse critique, cela en fignolant un sottisier

plus qu'il ne s'appuie sur les travaux d'historiens confirmés (...)

Dommage que ce livre, à la fois boursouflé et hâtif,

ne puisse pas vraiment faire la preuve des bonnes intentions

dont il est pavé.

Nous sommes trop foncièrement anticolonialistes

pour nous en réjouir.

Il reste que l'air du temps de la dénonciation médiatique

ne suffit pas

à arrimer à la science des convictions et à faire d'OLCG

un historien plausible.

Le contexte social, économique et politique actuel est encore fécond

qui continuera à générer de telles tonitruances idéologiques

à vocation surtout médiatique.

 

Gilbert Meynier, Pierre Vidal-Naquet



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Maurice Bompard (1857-1936) : mosquée en Algérie, 1890 (source)

 

 

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12 juin 2006

L'apogée délirant d'un "anticolonialisme" ethnicisé et raciste (Michel Renard)

 L'apogée délirant

d'un «anticolonialisme» ethnicisé

et raciste

kemi_seba
Kemi Seba, leader de la «tribu Ka»

 

l'«afrocentrisme» obscurantiste

et haineux de Stellio Gilles Robert,

alias Kémi Séba,

fondateur de la «tribu Ka»

Michel Renard

 

Dimanche 28 mai 2006, des militants de la «tribu Ka» ont opéré une «descente» raciste dans le quartier de la rue des Rosiers à Paris, et proféré des insultes antisémites. Cette agression a attiré l'attention sur le discours que tient le groupement de fait appelé «tribu Ka». Le leader de cette organisation, Stellio Gilles Robert, alias Kémi Séba, a accordé plusieurs interviews dont la retranscription circule sur internet. Notamment, l'une en novembre 2005 au site Africamaat, et l'autre au site Novopress.info en juin 2006.

Ces propos relèvent d'un obscurantisme dévastateur ("(...) 4 000 ou 3 000 ans avant ce que vous appelez Jésus. Au moment ou Kemet [l'Égypte pharaonique] commençait à prospérer, en Europe les Leucodermes [les "hommes blancs"] vivaient dans des cavernes, le feu était là pour les réchauffer. C’était [sic] des gens qui mangeaient des mets de porcs, qui mangeaient même parfois leur propre progéniture. C’est une réalité qui est attestée par différents paléontologues"). De telles affirmations s'inscrivent dans la dérive non maîtrisée d'un sl_zhdanov_bnéo-lyssenkisme qui ne prendrait plus les "sciences" comme champ de bataille opposant une "science prolétarienne" et une "science bourgeoise" (URSS des années 1940 et 1950), mais qui polariserait de manière essentialiste le savoir historique "occidentalo-blanc" (des dominants) et le savoir historique "africain" anticolonial (des victimes). Si du temps de Jdanov (photo ci-contre), la "science était avant tout une affaire de parti", le savoir historique sur le passé de l'Afrique - de l'Antiquité à la période coloniale - serait aujourd'hui affaire de "civilisation". L'appartenance à l'une ou l'autre "civilisation" dicterait, dans un cas la "supercherie et l'escroquerie intellectuelle" (dixit cheikh Anta Diop), dans l'autre cas la pertinence et le vrai.

 

Toute intelligibilité scientifique est déniée à "l'Occident" (ou à l'Europe) et le dialogue est impossible car, selon cheikh Anta Diop (1923-1986) : "lescadw1 intérêts matériels priment sur l’humanisme le plus minime. En attendant, les spécialistes africains doivent prendre des mesures conservatoires. Il s’agit d’être apte à découvrir une vérité scientifique par ses propres moyens en se passant de l’approbation d’autrui, de savoir conserver son autonomie intellectuelle jusqu’à ce que les idéologues qui se couvrent du manteau de la science, se rendent compte que l’ère de la supercherie, de l’escroquerie intellectuelle est définitivement révolue, qu’une page est tournée dans l’histoire des rapports entre les peuples" (cité dans la profession de foi du site africamaat.com).

L'idéologie délirante d'un Kémi Séba prend appui sur cet afrocentrisme paranoïaque (au sens intellectuel, pas au sens psychologique) et le dépasse en ajoutant la menace haineuse d'une "guerre civile" visant à la restitution de ce qui a été "volé" au peuple kémite (noir) : "La Tribu KA est dans une logique d’arracher ce qu’on lui doit. Et de toute façon, que vous vouliez l’entendre ou pas, ce qu’on demande, on l’obtiendra ! D’une façon ou d’une autre… Si on ne nous entend pas, ne vous étonnez pas que ça se passe d’une autre façon pour obtenir justice". On pourrait euphémiser ces propos en les rapportant à l'irresponsabilité d'un vibrion que personne n'écoute. Détrompons-nous ! Leur diffusion et leur reprise s'effectuent au sein de couches larges de jeunes scolarisés - je puis en témoigner - par l'effet "démultiplicateur" (Chaunu disait cela de l'imprimerie) qu'autorise la circulation sur l'internet. Aujourd'hui, Claude Ribbe peut traiter Olivier Pétré-Grenouilleau d'historien "ignorant et menteur", Kémi Séba peut qualifier le travail de Jacques Marseille de "négrophobe"... La haine se distille. Elle sera suivie d'actes : "là où certains ne conçoivent la «lutte» que par le biais de colloques ou autres conférences toutes plus soporifiques les unes que les autres, la Tribu KA de par son activisme d’essence atonien affiche une fois de plus sa différence." (source).

L'histoire du temps colonial, sa rigueur méthodologique, son ambition de rendre compte d'une réalité complexe, son refus de l'idéologie, sont menacés. L'heure est à l'histoire jdanovienne. Et l'anticolonialisme tout à la fois l'alibi et le fourrier d'un appel raciste et haineux.

Michel Renard

 

20060530.obs0753
logo de la "tribu Ka"

 

Extraits des déclarations de Kémi Séba

Novopress : Kemi SEBA, vous voulez redonner au peuple noir, que vous appelez le peuple Kémite, «la place qui lui revient». Quelle est cette place selon vous ?

Kemi SEBA : C’est la place du chef de famille. Lorsque le père ou la mère prennent des directives, normalement la famille suit. Mais quand, à un moment donné, il y a déstructuration de cette famille, les enfants se comportent comme des parents et les parents sont opprimés par ces mêmes enfants. Nous sommes les parents de l’humanité en tant que kémites, que noirs comme vous nous appelez. Partant de ce principe là, qu’on le veuille ou non, nous avons donné la civilisation à l’humanité, nous avons donné des valeurs de dignité, de justice, de rectitude. Malheureusement, il y a quelque chose de très freudien : à un moment donné les enfants ont voulu tuer le père pour pouvoir exister. Ils ont colonisé ces parents qui leur avaient donné la vie, la civilisation. Voilà pourquoi il est temps de remettre les pendules à l’heure, de remettre les choses à leur place. Il ne s’agit pas de se lancer dans l’esclavagisme ou la colonisation vis-à-vis des Blancs. La haine à rebours n’a jamais rien donné. On va avec nos moyens rendre au peuple kémite sa place de chef de famille, tout simplement. C’est vous qui parlez de terre-mère, mère de tout. Le peuple qui est à l’origine, qui marchait et qui marche encore aujourd’hui sur cette terre a essaimé aux quatre coins du globe. Mais avant de retourner sur notre terre, on va reprendre ce qu’on nous a volé afin qu’on puisse recommencer à prospérer.

mentouhotep
Moutouhotep II (2061-2010 av.)

la couleur noire de cette statue est prise comme prétexte

par l'afrocentrisme pour affirmer que les pharaons étaient noirs ;
en réalité, cette statue n'est pas un portrait (...!)

mais une évocation du statut divin de pharaon, symbole de fertilité

Novopress : Vous écriviez sur le site du parti Kémite (dont vous étiez le porte parole jusqu’en 2004) : «à une époque où le Leucoderme [c’est-à-dire le Blanc] marchait encore à quatre pattes dans les cavernes, nous [les Kémites] étions déjà les rois et les propriétaires de ce globe. Par conséquent, nous rejetons l’intégration et proclamons notre droit à reprendre toutes nos possessions». Vous pouvez développer ?

Kemi SEBA : Je crois qu’il faut étudier un minimum la paléontologie, c’est-à-dire l’histoire des comportements humains (sic) pour voir à quoi renvoie cette situation. On va s’arrêter sur une date, certains parlent de 4.000 ou de 3.000 ans avant ce que vous appelez Jésus. Au moment ou Kemet (l'Égypte) commençait à prospérer, en Europe les Leucodermes vivaient dans des cavernes, le feu était là pour les réchauffer. C’était des gens qui mangeaient des mets de porcs, qui mangeaient même parfois leur propre progéniture. C’est une réalité qui est attestée par différents paléontologues.
Est-ce que ça a empêché l’Occident de prospérer par la suite ? Là n’est pas la question. Ces faits sont constatés par ceux-là mêmes qui se revendiquent d’une logique de suprématisme occidental. Hérodote qui est le père de l’Histoire disait lui-même qu’avant que l’empire grec ne puisse prospérer l’Occident était le Royaume des morts. Parce qu’Occident vient du verbe «occire» qui veut dire «tuer». Parce qu’à un moment donné, ils [les Leucodermes] ont dû se tuer entre eux pour survivre et pour pouvoir résister à un climat qui leur était hostile. Voilà quelle était la situation à une époque où, quand nous avions notre civilisation, les Occidentaux marchaient à quatre pattes dans les cavernes en mangeant des mets de porcs pour pouvoir résister à cette réalité. Je recommande à tout le monde un livre qui s’appelle Isis Papers, de Frances Cress Welsing, qui parle de l’évolution des Occidentaux jusqu’aux comportements d’aujourd’hui et qui explique que face à cette adversité dans laquelle ils ont été installés, ils ont été obligés de créer des comportements tels que l’individualisme, par opposition à l’altruisme, l’avidité, la cruauté, parce qu’ils sont nés dans un environnement qui leur était hostile de par son essence même.
(...)

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Frances Cress Welsing

Novopress : Vous affirmez que Kemet, l’Egypte ancienne, est le berceau historique du peuple kémite et la source de toute civilisation…

Kemi SEBA : Je n’affirme pas, je sais lire et je connais un minimum l’Histoire. Kemet était la terre des noirs. Hérodote, le père de l’Histoire – qui était blanc – a lui-même concédé que l’Egypte était une Nation «nègre». Champollion, votre père de l’égyptologie, a constaté à son grand désarroi que l’Egypte était une Nation noire.

 

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Novopress : Pourtant, en 1976 la momie de Ramsès II fut hébergée durant huit mois au Musée de l’Homme à Paris. Durant son séjour, une cinquantaine de spécialistes de toutes disciplines se sont penchés sur elle, ses tissus et son sarcophage. Selon le rapport final : «Ramsès II était leucoderme et ses cheveux étaient roux. Son profil d’aigle au nez bourbonien et au menton court lui donnait un air autoritaire.» Et, de fait, lorsque l’on regarde une photo de la momie, elle ne semble pas avoir un profil très kémite. Qu’en dites-vous ?

Kemi SEBA : Tout le monde sait aujourd’hui que lorsque des égyptologues viennent en Egypte faire des prélèvements ADN sur certaines momies, la logique d’utiliser des colorants ou des marqueurs de dépigmentation leur permet de raconter n’importe quoi. C’est comme si moi je vais dans votre musée- par rapport au peu de bons rois que vous avez en France, il faut dire les choses – je passe un coup de colorant noir pour que la mélanine puisse être plus bronzée, plus foncée et je dis que Louis XVI était sénégalais. Il faut être sérieux à un moment donné, Monsieur ! Vous avez si peu d’Histoire que vous êtes obligé de vous persuader que dans une Nation qui n’a rien à voir avec les Leucodermes, il puisse y avoir des rois leucodermes. Je pense qu’il faut être un minimum intelligent.
Beaucoup d’Occidentaux craignent que si l’humanité se rend compte que l’Egypte était noire, leur civilisation sera perdue d’avance. Malheureusement, désormais, nous autres le savons, des millions de personnes le savent. Et c’est pour ça que ce genre de singeries (on ne va pas appeler ça autrement) sont propres à ces dits égyptologues qui ont peur que la vérité n’éclate. Mais malheureusement elle a déjà éclaté. Vous pourrez même dire demain que Ramsès II est chinois ou du Groenland. Les Kémites en souriront. C’est comme si je dis que Louis XIV est sénégalais. Si demain je mets un colorant qui fait que Louis XIV est foncé de peau, vous allez me dire quoi ? J’appelle à l’intelligence de chacun, et même si vous n’êtes pas intelligent sachez que vous pouvez raconter ce que vous voulez puisque de toute façon l’Occident repose sur un mensonge historique, qu’il soit religieux, qu’il soit culturel ou quoi, l’Occident s’est construit sur un rêve. Donc maintenant si vous voulez croire que Ramsès II, c’était Superman, qu’il était blond aux yeux bleus, qu’il volait, vous pouvez croire ce que vous voulez ! L’essentiel, c’est que nous autres nous sachions ce qu’il en est.

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la momie de Ramsès II

Novopress : Donc, selon vous, le Musée de l’Homme a falsifié son étude ?

Kemi SEBA : Mais tout le monde le sait ! Evidemment qu’il l’a falsifié ! Ce qui est assez exceptionnel avec l’Homme Blanc, le Leucoderme, et là on va dire les choses telles qu’elles sont, c’est que lorsque nous, nous cherchons les vestiges de notre civilisation dans notre pays, on nous appelle des «pilleurs de tombes», quand l’Homme blanc vient avec son titre d’égyptologue (drôle de profession, d’ailleurs) et cherche ou prend nos propres vestiges pour les emmener chez lui, on appelle ça un archéologue. C’est quand même assez exceptionnel ! Pilleurs d’un côté, archéologues de l’autre ! Mais la vérité, c’est que l’Homme blanc cherche des preuves pour nier le fait que la Civilisation n’est pas issue de son propre sang. L’Homme blanc vivait dans des cavernes, voilà la réalité ! L’Homme blanc n’a pas d’Histoire réelle. Votre plus grand roi, c’est peut-être Vercingétorix. Et nous avons nos rois, ça il faut le dire, je le dis.
(...)

Novopress : Vous en revenez toujours à la colonisation et à l’esclavage…

Kemi SEBA : Je parle de la situation d’aujourd’hui qui est une situation d’oppression avérée que tout le monde connaît. Trouvez-vous normal qu’aux Antilles, où 90 % de la population est noire, es richesses appartiennent à une minorité de descendants d’esclavagistes alors que c’est notre peuple qui a travaillé cette terre ? Le présent est la suite logique du passé.

 

Novopress : L’esclavage est l’un des fondements des récriminations du peuple noir à l’encontre des Blancs. Pourtant les négriers d’Europe (dont vous affirmez que beaucoup étaient de confession juive) achetaient leur « bois d’ébène » (c’est-à-dire leurs esclaves) aux Arabes musulmans…

Kemi SEBA : La question n’est même pas qu’il y ait eu beaucoup de négriers juifs. Nous disons que le Judaïsme - par la malédiction de Cham rédigée en 398 avant J.C. par Esdras, un scribe juif sacrificateur – est à l’origine de la colonisation, de l’esclavage et de la situation actuelle que nous vivons. Mais on n’a jamais nié l’intervention des Arabes dans la traite négrière. Ils étaient vos collègues dans la logique de cette traite. Nous sommes les premiers à dénoncer ce qui se passe au Darfour.

 

Novopress : Mais ces négriers musulmans avaient eux-mêmes acheté leurs esclaves à d’autres Noirs, lesquels étaient animistes. En conséquence, nierez-vous que les premiers à avoir réduit des noirs en esclavage soient les noirs eux-mêmes ?

Kemi SEBA : Non ! Il faut faire très attention à ce que vous appelez «acheter». Vous pouvez faire du révisionnisme avec des guignols comme les Belaya, les Dominique Sopo (leader de SOS-Racisme) ou les «Jérusalem Désir» (Harlem Désir), mais vous ne ferez pas de révisionnisme avec nous ! Vous pouvez essayer de falsifier l’Histoire, mais lorsque la violence de la vérité va venir et va faire en sorte que ceux qui ont menti seront agressés, là je peux vous assurer que certains propos tenus ne pourront plus être constatés. C’est une réalité !


Novopress : Donc vous niez le fait que des noirs aient vendu d’autres Noirs ?

Kemi SEBA : Il y a eu des traîtres partout ! Lorsque vous parlez d’ «être vendus», il faut faire très attention aux termes que vous employez. Il faut expliquer comment s’est passée l’histoire de l’esclavage. Il y avait des guerres entre différentes tribus, différentes familles. Des prisonniers étaient faits. Et puis une tierce personne arrive et dit : «je vais vous soulager de ces prisonniers. Je les prends et je m’en occupe». Entre prendre ce prisonnier et dire que l’on vend son frère à l’Homme blanc, il y a une différence, une chose à ne pas confondre ! Des prisonniers de guerre sont livrés mais en aucun cas on ne capture un noir pour le vendre en esclavage. Je le dis, il n’y a pas de participation de l’Etre kémite, de l’Entité kémite à l’esclavage. Elijah Muhammad parlait de l’art du démon, c’est-à-dire diviser pour régner. Des gens se battent et vous, vous venez et vous en profitez, vous accomplissez votre forfait ! C’est le propre du démon que d’avoir ce comportement.

Novopress : Et le démon, pour vous, c’est…

Kemi SEBA : Le Leucoderme, là-dessus, s’est comporté comme un démon, vous ne pouvez pas le nier, c’est la réalité !

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Abdoulaye Wade, président du Sénégal

Novopress : Pourtant Abdoulaye Wade, le président du Sénégal, a déclaré : «J’ai montré que l’esclavage est un phénomène aussi ancien que l’humanité (…) Nos anciens royaumes et empires étaient largement fondés sur l’esclavage dont les séquelles existent encore plus ou moins dans nos propres sociétés. Si les descendants de ces esclaves devaient demander des indemnités, beaucoup d’entre nous seraient traînés devant les tribunaux pour avoir été des descendants d’anciens régnants du continent. (…)» Il reconnaît la responsabilité des Kémites, ou du moins de certains d’entre eux, dans la traite négrière. Vous n’êtes pas d’accord avec lui ?

Kemi SEBA : Je fais appel à votre intelligence. Considérant que Wade, est le porte-parole de la Françafrique, ces présidents qui ont été installés en Afrique pour être les porte-parole de la France, quand vous l’entendez parler demandez-vous qui a écrit le texte qu’il a prononcé. Et vous comprendrez aisément pourquoi cet abruti raconte des stupidités.
Les propos de Wade me confortent encore plus dans ce que nous disions auparavant, c’est-à-dire que l’Entité kémite n’a en aucun point participé à la traite négrière. Cette logique de négationnisme qui consiste toujours, chez l’Homme blanc, à trouver soi-disant des traîtres chez les nôtres, va faire en sorte que, tôt ou tard, quand les nôtres en auront marre que l’Homme blanc essaye de minimiser sa faute, ça ne pourra que lui sauter en pleine figure, à lui comme à ses vassaux qui sont les Abdoulaye Wade et consorts. Parce que l’Entité kémite n’est plus disposée aujourd’hui à entendre n’importe quoi. Durant la seconde guerre mondiale, la France était un pays qui, à 90 % était composée de traîtres, de vichystes, même si aujourd’hui tout le monde dit qu’il était résistant. Il n’y avait que des traîtres, il n’y avait que des vichystes ! Et ce n’est pas parce qu’il n’y avait que des vichystes dans ce pays, que vous devez croire que chez les nôtres il n’y avait que des vichystes. Je souris des propos de Wade. La France est en train de plaquer son sentiment de culpabilité (parce qu’il y a une tradition de culpabilité et de lâcheté dans ce pays) sur la situation des autres peuples. Je pense que c’est risible.
(...)

Novopress : Cette évaluation des réparations que l’on vous devrait, comme toute évaluation, est toujours discutable. Concernant justement le coût économique de la colonisation, l’historien Jacques Marseille démontre dans sa thèse d’Etat que la colonisation, loin d’avoir été une source de revenus2020108941.08.lzzzzzzz1 pour la France, a entravé au contraire son développement économique en raison des investissements publics considérables que celle-ci a nécessités (Routes, ports, hôpitaux, écoles…). Qu’en pensez-vous ?

Kemi SEBA : Je vous arrête de suite ! C’est une thèse d’Etat négrophobe ! C’est une thèse d’Etat antikémite ! Pour moi, quand on parle de réclamations, ce n’est pas au coupable d’estimer ce qui a été positif et ce qui a été négatif par rapport à son crime. C’est comme si vous aviez violé une femme et que vous disiez devant le juge qu’elle n’a pas le droit d’obtenir réparation parce que ce n’était pas un bon coup ! Vous vous foutez de ma gueule ? Ce n’est pas à vous d’estimer si vous avez pris votre pied lorsque vous avez violé ! Vous avez violé, vous payez, c’est tout ! Sinon on vous coupera votre sexe, moi je vous le dis ! Si ce pays veut se comporter comme un chien, comme c’est le cas depuis des siècles, qu’il le fasse ! Mais aujourd’hui les descendants des victimes, et les victimes actuelles (mais parlons d’opprimés parce que le terme «victime» a une connotation péjorative), eux, les comptes, ils vont les faire ! Contrairement aux stupidités racontées par Marseille et autres, sans l’esclavage et la colonisation, la France ne serait pas là où elle est. Sans l’esclavage et la colonisation, la France n’est rien, c’est la Roumanie ! Et Chirac serait Ceausescu, Chiracescu ! Vous pouvez me parler de Jacques Marseille ou de qui vous voulez, mais aujourd’hui les opprimés réclament leur dû. Et si vous ne voulez pas que ça se transforme en pillage de vos banques, de vos bijouteries et de toutes les richesses concentrées ici, que la France rende ce qu’elle doit au peuple kémite !.

source

 

une interview vidéo de Kémi Séba sur dailymotion

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- la retranscription d'une interview de Kémi Séba sur Kamayiti.com (octobre 2005)

- site du "parti kémite"

* 26 juillet 2006 : le gouvernement décide la dissolution de la "tribu Ka" (info LCI) (article dans Marianne-en-ligne)

                                                                                            Kémi Séba

 


 

Afrocentrismes et histoires d'Afrique :

bibliographie

 

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2845864744.08.lzzzzzzz12845863896.01.lzzzzzzz1

 

- Afrocentrismes : l'histoire des Africains entre Égypte et Amérique, François-Xavier Fauvelle-Aymar, Jean-Pierre Chrétien, Claude-Hélène Perrot, Karthala, 2000.

- Histoire d'Afrique : les enjeux de mémoire, Jean-Pierre Chrétien et Jean-Louis Triaud (dir.), Karthala, 1999.

- L'impossible retour : à propos de l'afrocentrisme, Clarence E. Walker, Karthala, 2004.

- Les ethnies ont une histoire, Jean-Pierre Chrétien et Gérard Prunier (dir.), Karthala, 2003.

 

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15 juin 2006

Regardez un livre d'histoire de 5e (Pascale Noret)

 

Regardez un livre d'histoire de 5e

Pascale NORET

 

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manuel d'histoire de 5e, Nathan, 2001
(cliquez sur l'image pour l'agrandir)


Regardez un livre d'histoire et géographie de cinquième et dites-moi ce que je dois répondre à un élève curieux qui constate sur une carte du commerce du monde musulman au IXe siècle que les Arabes importaient déjà des esclaves africains à cette époque ?
Que dois-je répondre au même élève qui, dans la leçon sur le Maghreb apprend que cette région a été arabisée (= colonisée ?) au VIIe siècle par les successeurs de Mahomet et qu'on ne parle que de la colonisation française (tout cela en oubliant les Berbères) ?
Et enfin que lui dire à propos d'une gravure illustrant l'esclavage, avec un Noir portant un fusil et surveillant une colonne de ses frères entravés ? Si vous avez une réponse, cela me faciliterait la tâche et m'éviterait de faire du politiquement incorrect en tentant de lui répondre...

Pascale Noret , courriel à Télérama,
n° 2944, 14 juin 2006

 

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manuel d'histoire de 5e, Hatier, 2005
(cliquez sur l'image pour l'agrandir)

 

 

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"dites-moi ce que je dois répondre à un élève curieux qui constate sur une carte du commerce du monde musulman au IXe siècle que les Arabes importaient déjà des esclaves africains à cette époque ?"

Pascale Noret

 

 

 

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miniature d'al-Wâsiti sur le manuscrit des Maqâmât de Hariri, Bagdad,
1237 : le marché aux esclaves à Zabid, Yémen (Bnf, Paris)

 

le rôle des captifs noirs dans

le monde musulman

Olivier PÉTRÉ-GRENOUILLEAU


Passons sur l'idée selon laquelle l'esclavage en terre d'islam aurait été relativement doux. S'expliquant par une réaction logique aux violentes attaques de certains abolitionnistes occidentaux du XIXe siècle contre un esclavage oriental synonyme à leurs yeux d'archaïsme et de perversité, cette idée d'un esclavage doux se fonde plus sur la réelle fréquence des manumissions que sur une analyse concrète des conditions de vie des esclaves, qui furent extrêmement variables.

Que les fonctions qu'ils remplirent aient été différentes de celles des esclaves du Nouveau Monde n'enlève rien à leur statut d'hommes privés de liberté. Comme l'indique Orlando Patterson (Slavery ans Social Death : a Comparative Study, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1982), même un eunuque devenu le confident de son maître reste un esclave, peut-être même l'un des esclaves le plus profondément soumis.

Il serait sans intérêt de vouloir classer les différents systèmes esclavagistes sur une hypothétique échelle de Richter de l'oppression. L'image d'une société musulmane totalement dépourvue de discrimination et de préjugés raciaux est tout aussi illusoire que celle d'un monde soumis au "despotisme oriental".

Beaucoup plus utile serait d'étudier, de manière comparative, comment les diverses sociétés esclavagistes ont tenté de masquer et de désamorcer les tensions naissant inévitablement en leur sein. Pour l'heure, notons ici, à l'instar de ce qui a été vu à propos du concept d'esclavage domestique pour l'Afrique noire précoloniale, que l'importance du rôle joué par les esclaves dans une société donnée doit être mesurée à l'aune des caractéristiques de cette même société, et non à partir d'un modèle de référence qui serait celui du système de la grande plantation américaine.

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Zanzibar

Une autre image doit d'emblée être corrigée, celle de traites orientales à finalités surtout érotiques (concubines, eunuques, qu l'on trouvait également dans l'esclavage chinois, qui étaient rares parmi les Arabes, et plus communs chez les Turcs et les Perses).

Il y a à cela au moins deux raisons. La première est que le rapport entre captifs et captives a changé, selon les époques et les lieux de destination, et qu'il n'est pas impossible que, globalement, il ait pu s'équilibrer, voire pencher en faveur des hommes. La seconde raison est que les fonctions remplies par ces derniers ont été multiples, leurs rôles variables. Serviteurs, ils ont aussi parfois été d'importants acteurs de la vie économique et politique ; des acteurs dont les pouvoirs ou l'influence, plus ou moins éphémères, ne doivent pas être négligés.

Léon l'Africain nous apprend qu'au XVIe siècle, à Fez, au Maroc, le service des thermes était essentiellement assuré par des "négresses", et que leur possession était si courante que même des familles modestes avaient l'habitude d'en faire figurer parmi leurs cadeaux de mariage. Il semble cependant que les femmes originaires d'Afrique noire occidentale aient surtout eu en Afrique du Nord la réputation d'être de bonnes cuisinières.

Il en allait différemment des Nubiennes et des Abyssines, depuis longtemps recherchées comme concubines. Les princes d'Égypte désirent tous en posséder, écrivait Edrisi, géographe arabe du XIIe siècle, attestant par là le fait qu'elles alimentaient un commerce de luxe réservé à des catégories aisées.

Il en était de même des eunuques, dont les principaux "centres de fabrication" se situaient dans le Haoussa, le Bornou et la haute Égypte. Assignés à la garde des harems ou bien hommes de confiance, du fait de leur évidente absence de liens familiaux, ils étaient quatre mille à cinq mille dans l'Empire abbasside du Xe siècle. Les procédés employés pour la castration étaient assez rudimentaires, la mortalité était élevée, et le prix d'un eunuque pouvait atteindre celui de douze autres esclaves.

Les hommes (mais aussi les femmes, parfois) furent très tôt utilisés à des fins productives, notamment dans l'agriculture. Il est vrai que le phénomène prit rarement l'ampleur et la visibilité qui furent celles du système de la plantation dans les îles de la Caraïbe à l'époque moderne, lorsque de grandes masses de captifs furent concentrées sur de faibles espaces et assignés, sinon exclusivement, du moins prncipalement,Bernard_Lewis_couv aux travaux agricoles. De plus, note Toledano, des barrières légales et coutumières existaient, dans l'Empire ottoman, à l'emploi d'esclaves dans les travaux agricoles. Le phénomène y aurait donc été, selon lui, très marginal après le XVe siècle, avant d'être réintroduit sur une large échelle du fait de la migration forcée des Circassiens du Caucase, au début des années 1860.

Cependant, comme l'indique Lewis, "à l'exception des travaux du bâtiment, l'exploitation économique des esclaves avait surtout lieu à la campagne, loin des villes, et on a guère de documents là-dessus, comme presque sur tout ce qui touche à la vie rurale", jusqu'au XVIe siècle.

L'exploitation des archives disponibles pour les périodes suivantes n'étant guère systématique, "l'idée couramment admise sur le caractère avant tout domestique et militaire de l'esclavage en Islam pourrait donc refléter les insuffisances de notre documentation, plutôt que la réalité" (Bernard Lewis, Esclavage et race au Proche-Orient, Gallimard, 1993, p. 27).

D'ailleurs, disséminés dans le temps et dans l'espace, de multiples exemples nous indiquent que la chose ne fut pas sans importance dans le monde musulman. Dans les grands domaines mésopotamiens du début de l'ère musulmane, les esclaves noirs étaient employés à enlever la couche de natron recouvrant les terres, afin de les rendre cultivables.

Parqués sur place, ils étaient nourris de dattes et de semoule, et dirigés par des chefs de corvée affranchis. Ils furent essentiels dans la région du bas Iraq, entre la jonction du Tigre et de l'Euphrate et le golfe Persique. Cette zone était au IXe siècle un immense marais, que les Abbassides tentèrent de drainer, de dessaler et de transformer en zone de culture.

Les Zandj d'Afrique orientale constituèrent là "des troupeaux d'hommes machines employés aux terrassements du marais, travaillant dans l'eau, la vase et le sel, par chantiers de milliers d'hommes, peu nourris, fort battus, épuisés, impaludés, mourant comme des mouches" (H. Deschamps, Histoire de la traite des Noirs, 1971, p.22).

Un poète de la cour du calife appartenant à la secte égaliratiste des kharidjites décida de mener une vie errante dans le désert, avec un esclave noir. En 877, se présentant comme le descendant d'Ali, il leva l'étendard de la révolte, soulevant les Zandj. En 879, la grande ville de Bassora était prise. S'étant déclaré mahdi (l'envoyé de Dieu censé venir à la fin des temps afin de rétablir la justice et la foi sur terre), Ali menaçait Bagdad et La Mecque.

La contre-offensive fut déclenchée dix ans plus tard. L'ensemble des conflits aurait provoqué entre 500 000 et 2 500 000 victimes. Au IXe siècle, un voyageur arabe estimait encore le nombre des esclaves noirs à 30 000 dans une région correspondant à l'actuel Bahreïn.

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À certaines époques, et en certains lieux, le rôle des captifs noirs fut également essentiel dans l'agriculture de plantation proprement dite, mais les travaux comparatifs, avec l'agriculture du Nouveau Monde, sont encore trop peu nombreux. Au XVIe siècle, le Maroc fit fructifier ses plantations de canne à sucre (lesquelles constituaient alors un tiers des revenus du pays et fournissaient son principal article d'exportation à destination de l'Europe) grâce à des esclaves noirs. En 1591, c'est en partie pour se procurer les captifs nécessaires à leur entretien qu'il étendit (de manière éphémère) sa domination directe sur la boucle du Niger.

Olivier Pétré-Grenouilleau, Les traites négrières,
Gallimard, 2004, p. 445-448.

 

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18 juin 2006

Mohammed Harbi : citoyenneté et histoire, national et universel

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Mohammed Harbi :

citoyenneté et histoire, national

et universel

Gilbert MEYNIER

 

On peut certes être un citoyen sans être un historien. En revanche, on ne peut à mon sens être historien sans être citoyen. En effet, la volonté sans concession de comprendre et d’éclairer le passé se déduit souvent de l’engagement au présent dans la vie de la Cité. C’est, d’une part, la raison pour laquelle Mohammed Harbi a dû, contraint et forcé, se résigner à devoir vivre dans la froideur de l’exil tant l’expérience lui avait prouvé qu’il lui était difficile de vivre et travailler dans le libre épanouissement dans son pays. C’est d’autre part, aussi, la raison pour laquelle, dans le champ historien comme dans le champ citoyen, Mohammed Harbi s’est toujours situé du côté de l’analyse et de la réflexion, contre celui de l’instinct et du réflexe. Son camp est bien celui des vrais intellectuels, lesquels ne peuvent être que de vrais citoyens, aux antipodes des forteresses investies par les croyants irraisonnés.

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C’est bien pour cela qu’il a intitulé l’un de ses livres, tiré de son habilitation à diriger des recherches, du jury de la soutenance duquel j’ai eu l’honneur d’être membre en 1992, L’Algérie et son destin. Croyants ou citoyens ? C’est dans ce registre qu’il faut entendre ce rapport de Mohammed Harbi, datant de 1959, à l’époque où il était jeune attaché – il avait 26 ans - au cabinet de Belkacem Krim, ministre des Forces Armées, au sujet de la guerre psychologique, si tristement célèbre, qui fut conduite par les psychologues militaires de la sale guerre de reconquête coloniale de 1954-1962 : Mohammed Harbi estimait alors qu’une telle guerre n’était pas efficace et qu’elle dégradait la cause qu’elle prétendait défendre : «Elle tend à développer en l’Homme ce qu’il y a d’inhumain, les  réflexes mentaux, au lieu de développer ce qu’il y a d’humain : la réflexion».
   
 J’ai toujours eu sympathie et respect pour Mohammed Harbi parce que, d’une part, je le situais dans la lignée de ces grandes figures libres et hardies de l’Islam classique, de Abou l’ ‘Alâ’ al Ma‘rî à Ibn Khaldoun, et aussi des grands promoteurs de la Nahda égyptienne au tournant des XIXe et XXe siècles, souvent dans des trajectoires agnostiques, pour ne pas dire plus. Mais d’autre part parce que je voyais aussi à l’œuvre chez lui la réflexion libre, mais respectueuse, sur le fait religieux : celle qui relève de la spéculation sur le destin et l’appartenance spirituelle de l’Humain, qui est pour moi proche de la philosophie, et que mon vieux maître du lycée Ampère de Lyon, M. Bernard, dénommait bellement «la recherche systématique d’une conception générale de la vie».
   
Mais en même temps, Mohammed Harbi a toujours représenté que le fait religieux au Maghreb – comme harbi_en_19513dans le reste de la Méditerranée, comme partout ailleurs -, relevait aussi du social et du politique, et que la religion pouvait y être dégradée en idéologie. En cela il était d’accord avec la réflexion de Jacques Berque qui voyait dans l’islam, ou dans ce que l’habitus socio-culturel dénomme usuellement l’islam : le bastion de repli contre l’intrusion étrangère, contre ce que Ahmed Tawfiq al-Madanî dénommait al ist‘mâr ul çalîbiyy – le colonialisme croisé. Pour redonner la parole à Mohammed Harbi, en Algérie, «la religion est restée le seul sentiment collectif liant, par-delà les particularismes, l’ensemble des colonisés». Et cette réflexion, entendue dans le courant d’une conversation : «Toutes les fois que les Algériens sont perdus, ils se raccrochent à l’islam».
   
Par là, il faut peut-être entendre, au-delà des acceptions courantes, un corpus socio-culturel, remontant vraisemblablement à la plus haute Antiquité, et qui put revêtir des vêtures successives, - entre autres Ba‘l Hammon à l’époque punique, Saturne africain à l’époque romaine, le Christ Dieu des chrétiens ensuite, enfin le Dieu du tawhîd musulman. Une inscription retrouvée à Beja, dans le règlement d’accès des croyants à un temple d’Asclepios, énonçait l’interdiction de la viande de porc, des relations sexuelles dans les jours précédant l’accès au temple, et l’obligation de se déchausser pour accéder au temple… Cela près de six siècles avant l’apparition de l’islam au Maghreb. À vrai dire, au travers de toutes ces représentations du sacré, s’est aussi sédimentée la somme des blocages et des tabous de la société ; et régnait – continue à prévaloir ? - un habitus social de surveillance mutuelle :2020060140.08.lzzzzzzz2020061953.01.lzzzzzzz tout un chacun sait que, socialement, pour peu qu’on respecte publiquement les interdits dénommés musulmans, on en est largement quitte avec l’islam. Et cela n’est pas seulement une caractéristique musulmane ainsi que l’ont si lumineusement démontré Germaine Tillion dans Le Harem et les cousins ou Henri-Irénée Marrou dans son Histoire de l’éducation dans l’Antiquité. Dans l’Athènes antique, réputée avoir été la mère de la démocratie, une femme entrevue sans voile en dehors de sa maison était vue comme une prostituée. Et ma grand-mère paternelle, dans son terroir montagnard proche de la frontière italienne, n’aurait jamais imaginé entrer dans une église sans avoir la tête recouverte.
   
 Pour Mohammed Harbi, surtout, dans ses deux premiers livres, Aux origines du FLN et Le FLN, mirage et fln_mirage_et_r_alit_2réalité, le religieux fut pour les Algériens un promoteur de mobilisation politico-communautaire. À ce titre, on peut dire qu’il a constitué l’identité nationale, de même que, selon le programme des ‘ulamâ’, la langue arabe. Cela interpelle l’historien, lequel ne peut ignorer que cette identité, à la fois musulmane et arabe, est partagée par une bonne vingtaine de peuples, qui se sentent, eux aussi, musul-mans et arabes. À vrai dire, tout dépend du sens que l’on donne à «national» : s’agit-il du wataniyy ?, s’agit-il du qawmiyy ? S’agit-il d’un qutriyy antithétique connotant l’iqlîmiyya ?

Les Algériens militant pour la liberté étaient certes d’authentiques patriotes, mais qui ne se seraient peut-être pas vraiment reconnus dans les processus d’invention de la nation, cette «imagined community» sécularisée dont l’historien anglais Benedict Anderson a dessiné les traits avec toute la force de son talent, et qui relève de l’ «invention of tradition», ainsi que le disent si bien ses compatriotes Eric Hobsbawm et Terence Ranger. On voulut en Algérie, en général, davantage la liberté de la patrie que la liberté citoyenne. Ainsi Mohammed Harbi fait-il judicieusement remarquer à propos d’Ahmed Ben Bella,verze_06 interlocuteur favori du pouvoir d’État égyptien avant l’arraisonnement de son avion par la piraterie française le 22 octobre 1956 : «Le fait que les Algériens puissent avoir une politique étrangère à l’égard de l’Égypte ne correspondait pas à sa sensbilité». Et il en allait de même pour le major Fathi al-Dib, patron des mukhabarât pour les relations avec le Maghreb, qui ne concevait de dirigeants algériens qu’épousant les vues des dirigeants égyptiens et soumis à eux.

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Ben Bella et Nasser

 

 

 De son côté, Mohammed Harbi a depuis longtemps pris ses distances avec nombre d’habitus sociaux et de tabous qui construisent les codes de surveillance mutuelle régissant une société. L’indique par exemple son rapport ouvert aux femmes qui l’a conduit à préfacer l’œuvre du féministe égyptien Mansour Famhy, et qui fait de lui un moderne dans le sens ouvert du terme, celui qui s’oppose par exemple au Code de la Famille de 1984, qui aurait pu laisser croire aux observateurs distraits que le FIS était déjà au pouvoir bien avant sa fondation. Pour en avoir souvent parlé avec lui, je pense pouvoir estimer que Harbi ne serait pas absolument en désaccord avec ce qui est pour moi une constatation d’évidence : on ne joue pas impunément avec des allumettes obscurantistes sans finir par se brûler les doigts.

Plus largement, ce qui m’a toujours frappé – et ému - chez Mohammed Harbi, c’est cette ferme synthèse maison_harbi___el_arrouch2entre, d’une part, son algérianité (il n’est pas pour rien issu du Constantinois, cette vieille terre numide de l’irrédentisme algérien) et d’autre part sa grande ouverture aux autres et au monde, à des gens et à des valeurs de toutes origines, de toutes confessions, de toutes philosophies, à l’exception du racisme et de la bêtise chauvine : j’ai cru au départ que Mohammed Harbi était un marxiste normé, avant de m’apercevoir qu’il était autant khaldounien ou wéberien, et qu’il avait bien d’autres références encore… Le blocage chauvin et l’étroitesse hargneuse sont aux antipodes de son panorama mental et intellectuel.
   
C’est que Mohammed Harbi est, en même temps, un vrai historien algérien, et un vrai citoyen algérien. Mais il n’a pu, en tant qu’Algérien, réunir ces qualités, que parce qu’il est aussi un primordial citoyen du monde – ce Bürger der Welt que chantait Schiller. C’est que les valeurs qu’il ressent comme devant être pleinement des valeurs algériennes, il ne les dissocie nullement de valeurs plus largement universelles : droits de l’Être humain, combat pour l’égalité hommes-femmes, répulsion pour toutes les formes de discrimination  - donc du colonialisme comme système -, aversion pour l’obscurantisme et le militarisme tels qu’ils se sont épanouis dans tant de régimes autoritaires post-coloniaux, parfois sous la forme de bureaucraties pesantes implacables. Ce n’est pas pour rien que l’un des articles les plus incisifs – et décisifs - de Mohammed Harbi,256464066_small2 dans un livre dirigé par Lucette Valensi, traite de l’assassinat de Ramdane Abbane, le 27 décembre 1957, à Tetouan, en point d’orgue de l’élimination des politiques du CCE – Dahlab et Ben Khedda -, lors de la session du CNRA du Caire en août, en premier anniversaire antithétique de l’historique Congrès de la Soummam.
   
 À des gens de ma génération, formés politiquement dans le combat anticolonialiste, et qui, après 1962, continuèrent encore à sacraliser un FLN qui, de par la justesse intrinsèque de son combat, semblait voué à échapper aux armes de la critique, il a offert la toute première histoire du FLN, en analysant sans complexe la nature et le cheminement du FLN et en le dépeignant sous les couleurs complexes et contrastées qui figurent sur le bouquet de tout travail d’histoire. Autrement dit, c’est grâce à Mohammed Harbi que des gens comme moi ont pu se décomplexer pour étudier l’histoire de l’Algérie, du nationalisme algérien, et notamment du FLN, cela comme tout objet d’histoire, c’est-à-dire dans la dialectisation. Mohammed Harbi m’a mieux aidé à comprendre que, en histoire, tout est dialectique : je savais déjà, de par ma formation et mes antécédents politiques, que, par exemple, le parti bolchévique fut à la fois un authentique mouvement de libération sociale, et une machinerie implacable de pouvoir. Le FLN fut incontestablement un mouvement de libération, tout en relevant de la même complexité et de la même harmonie des contraires.

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Mohammed Harbi est donc pleinement algérien et pleinement universaliste. Enraciné dans le terroir constantinois d’El Harrouch, il a, jeune adolescent, participé au combat libérateur du PPA-MTLD. Il a vibré aux luttes et aux espoirs de son peuple. Mais, jeune cadre brillant du FLN, puis un temps conseiller à la présidence et animateur de Révolution africaine, il a eu très tôt à subir les rigueurs politiques pesant sur son peuple : il fut victime de la répression consécutive au coup d’état militaire du 19 juin 1965. Il connut les mauvais traitements et la prison, puis la résidence surveillée au Sahara, avant de s’évader vers l’Europe. Cette Europe où il était aussi chez lui depuis que, jeune bachelier, il avait débarqué à Paris en 1952-1953. Paris, où il fut jeune militant de l’UGEMA, puis un des dirigeants de la Fédération de France du FLN, avant de se familiariser avec la Belgique et l’Allemagne, où la direction de la Fédération de France s’était repliée au printemps 1958.
   
 Parisien, Mohammed Harbi l’est bien davantage que moi par exemple, et bien plus à l’aise dans ce que Gérard Noiriel dénomme la cage de Faraday parisienne. Au vrai, une double source constituait Mohammed Harbi, et continue à le constituer : d’un côté, celle de l’ancrage familial, celle du terroir constantinois, celle du père, attaché à faire apprendre au jeune Mohammed le Coran au jour le jour, d’un autre côté, celle de ces éveilleurs d’idées que furent tels de ses professeurs au lycée de Skikda. Puis, source multiforme aussi, émanée plus tard du milieu des promo-teurs, à Paris, du mouvement Socialisme ou Barbarie, ou au Caire, à la fin des années cinquante, de la fréquentation de l’élite intellectuelle, si foisonnante et si riche, deraymond l’Égypte contemporaine. Qui n’a pas dégusté un madbût dans un vieux café de la ville d’Ismaïl ignore un des grands plaisirs de la vie. Et il y a des gens qui, grâce à Dieu, savent aussi bien apprécier un grand madbût que savourer un grand Bordeaux. De même, Mohammed Harbi aime également la musique arabo-andalouse (il est de la province des maîtres du Maalouf comme chaykh Raymond (photo ci-contre), comme Sylvain Ghrenassia, comme le chaykh Mohammed El Hadj Fergani), et la musique du terroir populaire ; je l’ai aussi entendu s’enthousiasmer aux chansons du grand poète occitan Claude Marti, et il sait discrètement dire le plaisir qu’il a à écouter le grand classicisme sans fioritures de Joseph Haydn.
   
C’est bien pourtant à Paris que, volens nolens, Harbi s’est durablement acclimaté et enraciné. Ce qui ne l’a pas empêché d’y reconnaître, aussi, la «froideur de l’exil.». Avec la France, au demeurant, ne s’est-elle pas jouée, aussi pour lui, cette partition si originale du rapport fascination-répulsion, qui rythma le tempo de vie de tant d’Algériens de l’élite à l’époque coloniale, et qui fut bien une spécificité algérienne, singulièrement à distance du destin des Tunisiens ou des Marocains ? Donnons la parole à Harbi, qui relate dans ses mémoires une mission  en Belgique à l’été 1956, en compagnie de son compatriote skikdi Messaoud Guedroudj, et en connivence avec le militant anticolonialiste belge Roger Ramackers :
«Un jour de l’été 1956, alors que nous avions des armes à faire entrer en France, il nous présente l’un de ses familiers, le docteur Henri Duchateau, qui devait nous faire passer la frontière sans encombre et nous conduire à Paris. Nous nous arrêtâmes à Reims pour dîner. L’air jovial, Guedroudj, qui avait retrouvé toute son assurance, s’exclama : «Ah ! Que nous sommes bien chez nous !» Ironique, Ramackers s’étonna : «Comment ? Nous avons pris tous ces risques pour te conduire chez toi ? Nous pensions qu’il s’agissait d’un territoire ennemi !»
    Nous avons ri tous les quatre sans prêter plus d’attention à cette curieuse expression. Et pourtant, à bien y réfléchir, un Marocain, un Tunisien l’auraient-ils employée ? Il n’y avait pas, chez l’Algérien, la moindre 202036266x.01.lzzzzzzzéquivoque quant à sa volonté d’indépendance. L’expression résultait plutôt d’un long mariage qui, pour avoir été forcé, n’en avait pas moins produit une sorte de «confusion des sentiments». Ainisi Jacques Berque écrivit-il pendant la guerre : «La France et l’Algérie ? On ne s’est pas entrelacé pendant cent trente ans sans que cela descende très profondément dans les âmes et dans les corps». C’était vrai de notre génération, celle qui a su trancher les liens. Est-ce encore vrai aujourd’hui pour les nouvelles générations ?

 Comme quelques autres nationalistes algériens, Mohammed Harbi fut donc dans un sens, culturellement, un homme des marges, comme d’autres ont pu l’être, géographiquement ou/et culturellement : le héros de l’indépendance italienne, Garibaldi, était de Nice – et Nice n’était pas italophone mais occitanophone -, et Cavour, le bâtisseur politique de l’unité italienne à partir du royaume de Piémont, était issu des marges piémontaises subalpines ; il avait fait ses études à Genève et il maîtrisait moins bien l’italien que le français. Aux marges, encore, comme ces Hébreux du Chœur (le Va07 pensiero !) des Hébreux du Nabucco de Verdi chez qui l’identité s’exprime précisément dans l’exil et par l’exil.
   
En tout cas, Mohammed Harbi a payé le prix fort pour devenir, face au colonialisme, un Algérien libre ; et face au système de pouvoir autori-taire régissant sa société, demeurer encore un Algérien libre. Rendant compte à l’automne 2001, dans Le Monde, du premier volume de ses mémoires publié à La Découverte (Une Vie debout, mémoires politiques), je crus pouvoir donner pour titre à mon article de recension : «Mohammed Harbi. Être au libre au FLN, ou la quadrature du cercle». Il eut le bon goût d’en rire et de ne pas s’en offusquer.
   
Pour autant, le FLN que connut Mohammed Harbi ne fut en rien 9782707130778fsunivoque. Il fut peuplé de gens extrêmement divers : idéologiquement, politiquement, socialement, et plus largement, humainement aussi, il y eut de tout au FLN : il fut au bon sens du terme une très riche auberge espagnole, et il porta en lui plusieurs virtualités. Certes, rien n’aurait radicalement évolué en Algérie sans la commotion des armes mise en branle par les chefs des maquis, peu après reconvertis en hommes d’appareil de pouvoir. Mais rien ne se serait conclu sans ces cadres civils de talent auxquels Mohammed Harbi appartint, lui qui fut, en 1961, notamment, expert aux négociations d’Évian. L’historien sait aujourd’hui que la victoire du FLN ne fut pas une victoire militaire, mais bel et bien une victoire poli-tique, obtenue notamment par le rayonnement du Front acquis dans le monde. Et ce rayonnement, des gens comme Mohammed Harbi œuvrèrent  sans relâche pour son avènement. C’est donc aussi parce que des hommes comme lui ont su naviguer sur le grand large, qu’ils ont été d’authentiques internationalistes, qu’ils furent par le fait même de valeureux nationalistes.
   
 Et toute la complexité qui a constitué et constitue encore Mohammed Harbi, a aidé, aussi, à bâtir sa stature d’historien. Car Mohammed Harbi est bien un historien vrai. Il a certes travaillé en partie à partir de souvenirs personnels et de témoignages oraux, en partie grâce à des documents que, acteur de l’Histoire, il a inlassablement photocopiés avant d’en faire don aux Archives nationales algériennes, et encore grâce à ces archives, françaises et algériennes, qui s’ouvrent encore trop frileusement pour contenter les historiens. Il est, rappelons le, l’auteur, de ce maître livre de documents qu’il a intitulé Les Archives de la Révolution algérienne. Dans son travail de recherche historique, entrepris notamment dans la revue Sou’al, Mohammed Harbi s’est soumis comme tout historien à la critique externe et à la critique interne des documents. Car un document – oral ou écrit - ne dit jamais la vérité en soi ; il dit une vérité et il doit, pour cela, être analysé, étudié dans ses conditions de production et dans les intentions de cette production, et aussi soumis autant que possible à la règle de la confrontation des documents entre eux : un témoin, volontairement ou involontairement, a toujours tendance à reconstruire le passé selon  son itinéraire personnel, ses intérêts et son ambition.

Il faut donc d’autant plus se méfier des témoins qu’ils sont davantage des hommes de pouvoir, ou à l’inverse parce qu’ils ont été frustrés du pouvoir. En tout cas, par exemple, ce n’est pas parce qu’un président de la République dit quelque chose sur l’Histoire que ce quelque chose est vrai ; et il y a même de grandes chances pour que ce soit faux. Ce n’est pas parce que la législateur français a pu énoncer des aspects «positifs» de la colonisation française qu’il faut lui emboîter le pas. L’historien ne se pose d’ailleurs jamais la question du «positif» et du «négatif» en histoire, car il lui incombe de rendre compte au premier chef  de toute la complexité du divers historique, lequel ne se réduit jamais à des tableaux en noir ou blanc ; mais àdoc_6 une riche palette où l’impressionnisme aura toutes chances d’être plus vrai que le réalisme.
   
 De ce point de vue, Mohammed Harbi a rempli avec sérieux, opiniâtreté et modestie, son  contrat d’historien, tant à l’égard de l’Algérie, son pays, sa nation, qu’à l’égard de tous les humains avides de connaître l’Histoire. Et lui-même n’aurait pu être l’historien qu’il a été et reste encore pour notre bonheur sans toute la richesse et la diversité qui ont composé sa vie d’homme dans l’Histoire, acteur de l’histoire qui s’est faite, inséparable de sa citoyenneté algérienne, avant de devenir une figure-clé de l’historiographie contemporaine.

Gilbert Meynier

 

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- 1954 : la guerre commence en Algérie (éd. Complexe, 1999)













 

 


document : déclaration de Mohammed Harbi, 26 octobre 1990



Consolider la démocratie,

préparer l'Algérie et le Maghreb

à entrer dans le XXIe siècle

 

 Après dix-sept ans d'exil, précédés de plusieurs années de prison sans jugement, je peux retrouver mon pays, en toute liberté.
Tout au long de cette épreuve, j'ai refusé les offres d'émissaires de l'État venus me proposer de troquer des privilèges contre le renoncement à mes droits. J'estimais, j'estime encore, que la démission morale commence avec l'acceptation de placer le droit de l'État au-dessus de celui des citoyens.
Je milite depuis quarante-deux ans. Même quand les circonstances exceptionnelles – guerre d'indépendance, luttes civiles – m'ont contraint à des détours, j'ai toujours défendu le droit pour tous, et, d'abord pour les adversaires, de penser autrement.

 

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Mohammed Harbi (à droite) et Saad Dahlab,
ministre des Affaires étrangères du GPRA, au Caire en 1961

L'histoire en mouvement a fait de moi un militant et un dirigeant du FLN de 1955 à 1965. À ce titre, je partage certaines erreurs de cette période, celles que je combattais déjà : liquidations physiques des adversaires politiques, attentats aveugles et tortures… nationalisation des petits commerces, etc., et celles que je me reconnais aujourd'hui, un certain romantisme, une transfiguration de la réalité au nom du peuple ou de la classe ouvrière.

Le 19 juin 1965, après le coup d'État du colonel Boumedienne, j'ai pris acte de l'échec de mes efforts. La contradiction entre mon analyse conceptuelle qui postulait l'évolution vers un système de type bureaucratique, et mon but politique, rénover le FLN, m'apparut clairement. Je me suis alors délesté de mes illusions et j'ai décidé de ne plus participer à un jeu politique fondamentalement corrompu. J'ai alors renoncé à un type d'action, qui me paraissait dérisoire, dans un système où on m'offrait d'être ministre, ambassadeur, directeur de société mais jamais véritablement citoyen.

 Ce système, qui triomphait avec le coup d'État du 19 juin, était présent dans toutes les politiques des directions du FLN depuis sa fondation. Jamais une mesure prise en apparence collectivement ne l'a été réellement. Toujours des manœuvres subreptices préparaient les décisions et ne servaient qu'à consacrer la manipulation.
Les adversaires du FLN étaient à son image. Les discours différaient mais les pratiques étaient les mêmes. À travers ces pratiques, c'est le rapport de toute notre société à la liberté qui est posé.

Notre pays a besoin d'une réforme intellectuelle et morale, d'une réflexion sur soi qui cesse d'imputer tous nos maux aux dynamiques du dehors. La fascination pour le pouvoir, l'aspiration à la puissance, l'identification aveugle à la collectivité, le mépris du travail et des faibles, l'admiration pour les modèles d'autorité et les hommes forts, enfin, sont des obstacles dont nous devons prendre conscience si nous voulons créer un climat propice à la démocratie.

 Être démocrate, ce n'est ni méconnaître les droits de l'individu, ni avaliser sans esprit critique les options de la majorité.
Être démocrate, pour moi, n'a jamais été contraire à mon engagement socialiste. Socialiste j'étais et je le reste. Mais que faut-il entendre par là ? La possession d'un savoir scientifique de l'Histoire de la société ? Certainement pas. Mais un engagement politique et moral contre un monde caractérisé par la séparation entre riches et pauvres, oppresseurs et opprimés, dirigeants et dirigés, les uns possédant la richesse, la culture et le pouvoir, les autres démunis ou exclus de ces privilèges. Le socialisme vit et vivra partout où persiste l'exploitation du travail. L'expérience algérienne s'est réclamée de cet idéal mais en mettant la classe ouvrière sous surveillance et en coulant le capitalisme bureaucratique dans le moule du vocabulaire socialiste.

Mes textes nombreux l'attestent. Je n'ai jamais vu dans l'étatisation telle que l'Union soviétique l'offrait, un modèle à prendre. Je n'ai pas cru, non plus, que seule la propriété privée correspondait à l'économie de marché. On comprendra mieux, dès lors, pourquoi la privatisation n'est pas à mes yeux une panacée.
La médecine de choc des recettes libérales pénalise les plus démunis, réduit à néant leur pouvoir d'achat, génère l'exclusion et risque, si l'on n'y prend garde, de compromettre l'autonomie nationale de décision. Tout se passe comme si la politique du gouvernement ne défait des nœuds que pour en nouer d'autres. Si le tissu social continue à se déchirer en profondeur, si le sort des classes populaires continue à se dégrader, nous courons droit vers des luttes civiles préjudiciables à tous.

 Jamais les tâches de réflexion n'ont été aussi lourdes et difficiles. Notre société est confrontée à des questions majeures qui relèvent de la représentation que lui donne une vision mythique du passé. Si nous ne voulons pas que le tribalisme politique devienne notre lot quotidien et mette en péril notre unité, il nous faut le repenser. Notre peuple, ce devrait être une banalité de le dire, ne correspond pas à l'image qu'en donne l'idéologie nationale des années 1930 qui était le reflet inversé de l'idéologie coloniale. C'est là un regard sur l'histoire, non l'histoire elle-même.

Les repères d'identité que nous ont transmis nos aînés ont inscrit le religieux au cœur du politique et ont hypothéqué l'un et l'autre. Ils nous empêchent de nous tourner vers l'avenir et de créer une culture algérienne nouvelle à partir de notre diversité. Ils nous incitent à confondre État, communauté religieuse et nation, à ne pas distinguer le citoyen du croyant et à refuser aux femmes le droit à l'égalité avec les hommes. Or, la nation, c'est la société de tous les Algériens, c'est la société civile dans toutes ses composantes.

L'Algérie existe et vit mais l'algérianité n'est pas donnée une fois pour toutes. Elle est à inventer dans la bataille de tous les jours.
Dans le cadre d'un Maghreb uni, j'appelle tous mes compatriotes à y contribuer, à le faire sans a priori partisan et à s'orienter vers un large rassemblement politique et social pour consolider la démocratie et faire face aux grands enjeux mondiaux ; en un mot préparer l'Algérie et le Maghreb à entrer dans le XXIe siècle.

Mohammed Harbi
Le 26 octobre 1990

 

* Ce texte, dactylographié, m'a été transmis par Mohammed Harbi le 15 février 1991. Michel Renard



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18 septembre 2006

Quelle critique historique de la colonisation ? (Claude Liauzu)

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Togo, carte postale de l'époque coloniale

 

Entre

histoire nostalgique de la colonisation

et posture anticolonialiste :

quelle

critique historique de la colonisation ?

Claude LIAUZU

colloque de Lyon, juin 2006

 

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Jamais depuis un demi-siècle la guerre d’Algérie, jamais depuis 150 ans l’esclavage n’ont occupé une telle place dans le débat public. Cette situation, qui n’a rien de momentané ni de conjoncturel, ne peut laisser - le voudraient-ils - les historiens indifférents. Ils ne peuvent s’enfermer dans une tour d’ivoire en raison de la fonction sociale qu’ils doivent assumer et qui est une des raisons d’être de la discipline.

Cette contribution me fournit donc l’occasion d’une réflexion critique sur mes interventions d’enseignant, de chercheur et de citoyen concernant certains aspects du passé-présent colonial, en particulier la manifestation algérienne du 17 octobre 1961, le procès en diffamation intenté par le général Schmitt à Louisette Ighilahriz et Fernand Pouillot, qui l’ont accusé d’avoir torturé, et le mouvement contre la loi du 23 février 2005 imposant une histoire officielle de la colonisation : l’appel que j’ai proposé à quatre collègues a été à l’origine d’un mouvement qui nous a surpris par son ampleur et par sa durée. Il a eu un rôle certain dans l’abrogation d’une partie de la loi, celle qui supprimait l’indépendance de l’histoire enseignée.

Mais restent les autres aspects : l’éloge des colons et de l’œuvre civilisatrice de «la France», la Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie, qui menace l’indépendance de la recherche. Le mouvement n’a pu non plus atteindre un autre objectif, plus important encore, ébranler les conservatismes du Mammouth historique. Ni mettre en place un travail collectif durable. Cette contribution est en effet animée par des inquiétudes, que je partage avec d’autres collègues, devant le décalage croissant entre notre discipline et les problèmes qui animent la société, la jeunesse en particulier.

Pour décomposer la difficulté, il est nécessaire de prendre d’abord la mesure des caractères nouveaux et souvent déroutants de la mémoire nationale officielle, des mémoires sociales et surtout celles des minorités. Car ces éléments expliquent la réapparition récente d’une histoire adoptant une posture anticolonialiste. À l’encontre de son anachronisme, de ses faiblesses scientifiques et de son instrumentalisation, quel projet pour une histoire véritablement critique du fait colonial, lui redonnant sa place dans notre culture peut-on proposer ?

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Les guerres de mémoires et leurs enjeux

Une précaution préalable impose de souligner que la mémoire est une construction, que dans le cas qui nous occupe, elle est transmise mais aussi reconstruite en fonction du présent, et qu’il faudrait - plutôt que d’utiliser une métaphore - parler de groupes de mémoires. On a pu faire état d’un «nouveau régime de mémoire», réalité qui n’est pas seulement française et qui ne concerne pas que le passé esclavagiste et colonial. Elle s’est affirmée à partir du «devoir de mémoire» de la Shoah. Cela tient à un ensemble de facteurs, dont le moindre n’est pas l’affaiblissement de la référence nationale, ou plus précisément ici nationalo-universaliste française, sous l’effet de la mondialisation et des phénomènes de diaspora. Ils jouent fortement dans un ensemble européen, afro-américain et afro-caribéen. Ils réactivent ainsi la tradition panafricaine, comme le montre la création du CRAN, le collectif des associations noires. Ils jouent aussi dans la bipolarisation entre Maghreb et France, comme l’ont traduit le terme hybride «beur» né dans les années 1980 et les incidents du match de foot France-Algérie par exemple. Ils traversent la société.

Nous ne sommes plus dans le même monde que celui de 1789 où «le principe de souveraineté réside essentiellement dans la nation» (article 3 Déclaration des droits de l’homme). Que cela affecte une histoire liée à la nation par un cordon ombilical est une évidence.
Cependant, ceux qui s’effraient d’une dislocation de l’identité française sous le poids des communautarismes vont trop vite. En effet l’agressivité des mémoires est liée moins à une cohésion ethnique qu’à l’absence de perspectives politiques concrètes pour les groupes dominés. La politique du passé tient lieu de politique, les revendications mémorielles sont d’autant plus importantes que le présent n’est pas maîtrisé par le descendant héritier. Dans certains cas, elle n’est pas exempte de cynisme : «Si l’on parvient à établir defanon_peau_noire façon convaincante que tel groupe a été victime d’injustice dans le passé, cela lui ouvre dans le présent une ligne de crédit inépuisable…»

On est loin du Fanon des années 1950. «Seront désaliénés Nègres et Blancs qui auront refusé de se laisser enfermer dans la Tour substantialisée du Passé… Je suis un homme et c’est tout le passé du monde que j’ai à reprendre… En aucune façon je ne dois m’attacher à faire revivre une civilisation nègre injustement méconnue… Je ne veux pas chanter le passé aux dépens de mon présent et de mon avenir».

L’affirmation d’une mémoire juive a fait fonction de modèle et de rivale pour d’autres minorités avec les commémorations spécifiques de 1993, la déclaration de 1995, les mesures prises à partir de 1997… Mais les mémoires coloniales sont moins étudiées. Si on les situe dans un ensemble, il faut en souligner une caractéristique majeure qui contredit la tradition commémorative si forte en France : l’amnésie étatique. Elle ne commence à être corrigée que depuis un lustre, depuis la reconnaissance, en 1999, de la guerre d’Algérie dans le vocabulaire officiel. Cette absence a rendu d’autant plus violents les conflits de mémoires. Les rapatriés et le contingent ont été les premiers à revendiquer. Dans l’immigration algérienne, les associations ont pris en charge, à partir des années 1980 surtout, la reconnaissance du massacre d’octobre 1961. Avec des succès non négligeables, telle la plaque du pont Saint-Michel. La «loi Taubira» de 2001 est un autre exemple. Cette transmission à travers les générations, bien connue aux Etats-Unis grâce à l’école de Chicago, a surpris ici, où l’on s’attendait à une assimilation-dissolution discrète. La reconnaissance officielle, sous la contrainte, de manière désordonnée, des revendications mémorielles minoritaires ne fait qu’accentuer ces revendications et les tensions. Sur ce point, la loi du 23 février est un épisode revanchard de la part des rapatriés et de la droite.

Ces enjeux mobilisent un nombre important de militants associatifs antiracistes, de citoyens, plus exigeants en raison des progrès de la scolarisation, d’un accès à l’université dix fois plus important que dans les années 1960. D’où un immense besoin d’informations et de repères. C’est - comme pendant la guerre d’Algérie - hors des institutions du métier que les choses importantes se sont faites. Dans le mouvement qui a contribué à l’abrogation de l’article 4, l’alliance des historiens contre la loi avec les associations antiracistes et syndicats a été déterminante. On sait que depuis le XIXe siècle le mouvement ouvrier, et le parti communiste au premier rang, ont réussi à construire une contre-mémoire, une contre-histoire. Que serait devenue la Commune de Paris sans cela ? On connaît aussi le revers de la médaille, la soumission de la liberté de la recherche aux objectifs politiques, les procès de Moscou. Tirant les leçons des limites du modèle de l’intellectuel révolutionnaire, des erreurs de Sartre, Michel Foucault et Bourdieu ont mis en œuvre des interventions politiques attachées à l’indépendance du chercheur, fondées sur leur domaine de compétence : c’est exactement ce que quelques spécialistes de la colonisation ont essayé de faire.

Déjà, le soutien apporté à l’entreprise d’exhumation du 17 octobre 1961 par Jean-Luc Einaudi, la campagne pour imposer son accès aux archives de la Préfecture de police – domaine réservé d’un historien patenté, Jean-Paul Brunet, moins critique envers les forces de l’ordre - avaient permis de poser des questions de fond : les documents officiels sont-ils accessibles à tout citoyen désireux de rechercher la vérité ? Comment faire avancer une réforme de la loi de 1973 sur les archives qui, sur les dossiers des individus et les «questions sensibles» multiplie les obstacles et impose la pratique des autorisations attribuées à titre individuel à tel ou tel chercheur ? Comment organiser une solidarité avec des archivistes sanctionnés pour avoir rendu publiques des listes de victimes d’octobre 61 ? La bataille a été tranchée par le tribunal déboutant Maurice Papon de sa plainte en diffamation contre Jean Luc Einaudi. Dans leur majorité, les historiens ont été indifférents au sort des archivistes et à la réforme de la loi de 1973. Aussi, contre la loi de 2005, un «front» mieux organisé a-t-il été constitué, pour toucher le milieu enseignant ainsi qu’un large public associatif, pour sensibiliser les médias.
L’abrogation d’une partie de la loi est un acquis. Cela ne doit pas faire l’économie d’un bilan critique.

 

Dérapages de l’histoire, procès anticolonialiste

Gilbert Meynier et Pierre Vidal-Naquet, dans une critique rigoureuse de Coloniser. Exterminer, ont rappelé la tyrannie des logiques partisanes. Parmi les risques de dérapages : la propension de «l’histoire procès» à condamner et non à expliquer, la soumission des recherches à des réponses en termes politiques, le mélange de demi-savoir et de partis pris (comme le reprochait Raymond Aron à Sartre). Préoccupés par les priorités du mouvement, nous n’avons pas assez réfléchi aux conditions d’une collaboration entre historiens et associations. Or, les responsables associatifs sont, comme les universitaires, dotés de fonctions institutionnelles, attachés à leur pouvoir et à des gratifications symboliques. Comme les universitaires mettent en avant leur statut et leur mission pour rejeter toute critique, ils peuvent être tentés de mettre en avant les idéaux de leur association pour se placer hors de question.

Dans ces débats et combats, la vulgarisation des travaux scientifiques devrait occuper une place importante. Elle est malheureusement souvent méprisée par les spécialistes ; ou bien ils sont trop peu nombreux et n’ont pas les moyens de s’en occuper. Par ailleurs, les témoins, les acteurs, les militants et les politiques revendiquent un droit à faire de l’histoire. Ils en arrivent même parfois à rejeter (c’est ce qui a fait réagir violemment les «19») les travaux des historiens quand ils ne correspondent pas à leurs intérêts ou leur idéologie. Le ministre des Anciens Combattants parle «de spécialistes auto-proclamés» et de «pseudo-historiens», le maire de Montpellier de «trous du cul d’universitaires». Les associations extrémistes de rapatriés affirment que l’histoire n’étant pas une science exacte, elles peuvent opposer aux historiens leur vérité sur l’Algérie française. C’est oublier que si les historiens n’ont aucun privilège de science infuse, ils ont appris les règles d’un métier dans une formation sanctionnée par examens, concours, thèses et 9782221092545recherches soumises à la critique collective du milieu. Celui-ci n’est certes pas infaillible, n’est pas à l’abri des pouvoirs mandarinaux, mais hors de ces règles, il n’y a qu’une subjectivité opposée à une autre.

Ces risques de dérapage, malheureusement, n’épargnent pas la gauche. Les mots (comme le rappelle la polémique sur le Robert), pèsent lourd, de même que les mythes du nombre. Quand Catherine Coquery–Vidrovitch afffirme, dans le Livre noir du colonialisme (p.560), qu’il faut rappeler que la guerre d’Algérie a fait un million de morts, elle commet une erreur scientifique et déontologique, car elle reprend le chiffre officiel algérien, qui appartient au discours de légitimité des pouvoirs qui se sont succédés depuis 1962. Et elle donne des arguments à ceux qui défendent le «rôle positif» de la colonisation.

Ce qui suit a pour objectif d’inciter à une réflexion sur les dangers de ce type de tentations. Sur ce point, on ne peut cacher certains dérapages de la section de Toulon de la LDH, qui hypothèquent les relations entre les historiens et la Ligue. Sa surenchère aboutit à un procès manichéen de la colonisation. Ainsi, un article du site de la LDH sur le «code de l’indigénat» (6/3/2005), confond travail forcé et travaux forcés. Il condamne le refus obstiné des colons d’accorder la citoyenneté aux «sujets» ou nationaux musulmans, mais omet le fait que les nationalistes (Bourguiba comme Messali et l’AEMNA) se sont appuyés sur la religion populaire contre les naturalisés, ont présenté leur choix comme une apostasie, allant jusqu’à organiser des émeutes contre leur inhumation dans les cimetières musulmans. Il reprend l’accusation d’une discrimination favorable aux juifs d’Algérie, en ignorant aussi que leur statut personnel a été dissocié de la loi religieuse.

Comment ce site a-t-il pu, du 21/8/2005 afficher un texte parlant de «l’humanisme pro-sémite», sans le critiquer jusqu’au 4/4/ 2006, malgré plusieurs démarches insistantes? (Communication de Robert Charvin au colloque organisé à Alger pour la commémoration de Sétif, mai 2006) Ce texte – représentatif de la concurrence victimaire et des dangers qu’elle porte - retiré du site en raison de protestations répétées, est de nouveau publié, depuis le 25/7/2006, comme pièce d’un débat accompagnant une réflexion sur les comparaisons entre nazisme et colonialisme. Certes, la formule «humanisme pro-sémite» est désormais critiquée, mais on ne peut qu’être choqué par le contraste entre la publicité faite à ce texte et le silence du site de la LDH sur le texte de P. Vidal Naquet et G. Meynier concernant Coloniser.Exterminer, cité ci-dessus. Comment l’expliquer, quand on sait que Vidal-Naquet a été un combattant de la vérité tant contre les négationnistes que contre ceux qui ont occulté les crimes de l’armée française pendant la guerre d’Algérie ? D’autres refus de publier montrent qu’il s’agit d’une attitude de plus en plus répandue.

On peut craindre qu’une histoire partisane et imprécatoire, qui ne contribue en rien à aider les citoyens à comprendre les problèmes qui les affectent, ne perdure et ne devienne une vulgate bien établie. Un exemple en est fourni par un projet d’ouvrage coordonné par Alain Ruscio et Sébastien Jahan, qui a suscité de vifs désaccords entre les auteurs pressentis. Plusieurs ont refusé la philosophie du projet ainsi défini : «Les tentatives, avouées (activité multiforme du lobby pro ou para OAS) ou honteuses (loi du 23 février 2005), de révisionnisme / négationnisme en matière coloniale, se multiplient. La publicité faite à ces théories déculpabilisantes dans des revues parfois réputées et de large diffusion, dans certaines chroniques de la grande presse, dans des ouvrages de vulgarisation prétendument historique mais aussi dans une partie de la littérature universitaire la plus autorisée, aboutit à accréditer la thèse de «la mission civilisatrice de la France».

Ce retour de l’histoire-propagande voudrait rendre possible la perpétuation des iniquités et des dépendances héritées de siècles d'esclavage et de colonisation, voire légitimer une «recolonisation» de la planète par l'Occident blanc et chrétien». Ceux qui ont décidé de refuser de participer au projet l’ont décidé pour certaines raisons fondamentales.

Intituler un ouvrage «négationnisme colonial» ou «falsifications» , c’est interdire tout débat historique, c’est s’engager dans une concurrence victimaire, alors que la shoah et la colonisation ne sont pas de même nature. C’est renoncer à la critique historique d’un phénomène ambigu, en choisissant ses victimes, bonnes et absolues et ses coupables, c’est faire une histoire procès, c’est attiser les guerres de mémoires. C’est aussi, de manière plus pernicieuse, conforter le discours de légitimité des pouvoirs des pays décolonisés, en renonçant à étudier les ressorts de l’arbitraire, les prémices du «désenchantement national» qui ont suivi rapidement la fête des indépendances.

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Boumédienne

 

Pour une critique historique du fait colonial

Ces problèmes n’ont rien de nouveau, et Maxime Rodinson, engagé dans la lutte contre la guerre d’Algérie, mérite d’être relu (ou lu) pour ses mises en garde contre le danger de toute légende dorée ! Invité en 1960 par l’Union rationaliste, il s’attache à lever les préjugés anti arabes qui n’épargnent pas les rangs de la gauche, et il cite en particulier Albert Bayet, cacique de la République des professeurs, membre de la LDH et président de la Ligue de l’Enseignement, demeuré partisan de l’Algérie française, par méfiance envers l’islam.

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Maxime Rodinson (1915-2004)

 

Rodinson démonte la genèse théologique puis laïque de ces préjugés. Il montre que le nationalisme arabe est devenu la cible de «toute une littérature». Il met en lumière les procédés des faux savants et des médias. Cette démarche lui vaut le témoignage de sympathie d’Amar Ouzegane, ancien dirigeant du PCA, qui a rallié le FLN et s’en explique dans «Le meilleur combat». «La question religieuse est pour nous un fait social et politique qui n'a rien de mystérieux», alors que l'athéisme manifeste une «ignorance crasse de la psychologie sociale ! Comme si l'apparition de l'astronautique suffit par elle-même à effacer dans la conscience des peuples le souvenir fascinant du Bouraq ou de l'hippogriffe, le cheval ailé avec une tête de femme ou de griffon»… «Mais la jument Borâq existe-t-elle ?» lui demande Rodinson, rappelant l’exigence de vérité qui est celle de la science. Ce devrait être aussi celle du militant. Chanter en chœur la vieille chanson qui a bercé la misère humaine, c'est jouer avec le feu. «Plus sa condition est difficile, plus sa misère existentielle se double d'une misère matérielle et plus l'homme est porté à affirmer sa fidélité aux valeurs qui donnent un sens à sa vie par la sauvagerie à l'égard des hérétiques et des infidèles. Plus ces valeurs se présentent comme un absolu et plus cette sauvagerie sera absolue… Au service de la Bonne Cause humaine, celle du socialisme, croit-on ? Qu'on prenne garde aux conflits possibles. On verra alors si ce n'est pas le fanatisme du service de Dieu qui l'emportera. Et si quelque clerc, quelque marabout, quelque faux prophète n'entraînera pas plus aisément les masses que le dirigeant politique malgré l'affectation de piété de celui-ci» (p.196-197).

Bel exemple d’engagement scientifique et déontologique à méditer pour chercher une sortie de crise. Car la multiplication des pétitions est un signe de ce que certains commencent à percevoir comme une crise de la discipline, de sa fonction sociale. Le statut de l’histoire dans l’enseignement, dans la culture nationale, les usages publics sont un héritage dont on ne peut plus se contenter de cultiver les coupons. La nation n’est plus ce qu’elle était, celle des rois qui ont fait la France, celle de l’universalisme de 89, celle de la «plus grande France». Le roman national ne parle pas à des populations venues des quatre coins du monde comme autrefois. La société est plurielle, elle est traversée par la mondialisation. Une des conditions de l’élaboration d’un devenir commun est le partage d’un passé fait de conflits et d’échanges, qui a transformé les protagonistes. Les manichéismes apologétiques ou dénonciateurs ne sont pas des réponses aux enjeux actuels du passé colonial.

Autre chose est possible et nécessaire pour une véritable histoire critique qui ait toute sa place dans la recherche, l’enseignement et la vulgarisation. Un Dictionnaire de la colonisation, qui a été conçu dans cet esprit est sous presse.
Dans cette perspective aussi, certains des historiens qui ont lancé la campagne contre la loi du 23 février ouvrent un débat sur le site de la SFHOM fournissant toutes les garanties de rigueur scientifique.
Ils préparent aussi un Forum en mars 2007 pour une mise à jour de l’histoire associant spécialistes, enseignants, mouvements associatifs.

Claude Liauzu
Université Denis Diderot-Paris 7

 

Tunis
Tunis, immeuble d'époque coloniale (source)


 

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16 novembre 2006

Bordeaux colonial de 1850 à 1940 (Christelle Lozère)

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Exposition maritime de Bordeaux, le palais des Colonies

 

Bordeaux colonial de 1850 à 1940

Christelle LOZÈRE

Doctorante en Histoire de l'Art à Bordeaux III

 

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Les premières expositions internationales à Bordeaux, 1850, 1854, 1859, 1865
Bordeaux, dont la tradition commerçante de son port avec l’étranger était déjà bien établie, fut en 1850 la première ville de France à prendre l’initiative d’inclure une section coloniale et étrangère dans une exposition officielle. Organisée par la Société Philomathique de Bordeaux, celle-ci ouvrit officiellement le 6 juillet 1850, au premier étage de l’aile droite de l’ancien Palais de Justice (alors sis au 30, allées de Tourny). Artistes et industriels répondirent en grand nombre à la manifestation et les Bordelais purent admirer un  véritable «bazar universel» d’objets d’art et industriels venus de toute la France, mais aussi d’Algérie et des colonies – ces dernières n’étant néanmoins pas autorisées, en raison des réticences locales, à participer aux concours et à recevoir de récompenses. Très vite, ce type de manifestations constitua un lieu privilégié de diffusion des principes coloniaux : Londres organisa sa première grande exposition universelle l’année suivante, Paris en 1855.

 

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Exposition maritime de Bordeaux

 

Situées dorénavant sur la place des Quinconces, les expositions bordelaises de la Société Philomathique, qui suivirent, en 1854, 1859 et 1865 témoignèrent de cet engouement pour les colonies et les sections coloniales s’amplifièrent. En 1854, l’Algérie et la Guadeloupe furent à l’honneur et récompensés. En 1859, la section coloniale grandit en importance et accueillit en nombre des produits de Guadeloupe, de Martinique, de la Réunion, d’Algérie… mais aussi des Landes, région alors considérée comme une «colonie en voie de défrichement».
En 1865, les organisateurs affirmèrent solennellement l’internationalité de la onzième exposition philomathique qui intégra également l’Espagne et le Portugal. Les Quinconces fut en fête pendant trois mois durant lesquels l’exposition, qui s’étendait sur 12 000 m², accueillit pas moins de 300 000 visiteurs. Parmi les nombreux stands de l’industrie française, 51 exposants représentaient les Antilles, quatre l’île de la Réunion, deux la Guyane et 34 l’Algérie. Une exhibition spéciale fut présentée dans la nef latérale sud du Palais d’Exposition, dont l’une des sections fut consacrée aux  Antiquités celtiques et gallo-romaines, notamment issues de la région d’Agen, mais curieusement mises en parallèle avec des instruments de la Nouvelle-Calédonie d’époque récente. Ce type de comparaison, s’inspirant directement du darwinisme, rappelle le rôle alors prépondérant de la science dans l’affirmation d’une hiérarchie des races, préfigurant et légitimant la cristallisation d’un racisme populaire. On retrouvera six ans plus tard de tels rapprochements au Musée Préhistorique du Jardin public qui associa des objets de la préhistoire à des outils contemporains des “sauvages actuels”.

 

Les grandes Expositions Universelles et Coloniales de Bordeaux 1882, 1895 et 1907
Le rendez-vous bordelais de 1882 propagea à son tour les valeurs coloniales, renforcées par les récentes conquêtes des de la IIIe République en Indochine et en Afrique (Afrique noire, Madagascar, Maghreb). La douzième exposition de la Société Philomathique fut déclarée «universelle» pour les vins et «internationale» pour l’agriculture, les beaux-arts et l’industrie. Dans le bâtiment des spiritueux, se côtoyaient des produits d’outre-mer, de Chypre, d’Australie, de Nouvelles Galles du sud, du Chili ou de Ténériffe.

Furent aussi présentées à cette occasion d’étonnantes collections privées d’objets d’art exotiques, revenues des quatre coins du monde dans les bagages de navires de commerce, de missionnaires, de médecins, mais aussi à la demande d’amateurs, bien souvent préhistoriens, dès le début du XIXe siècles : porcelaines du Japon et de Chine, armes turques et indiennes, antiquités égyptiennes et mexicaines... De nombreuses maisons bordelaises, profitant de la position de la ville comme tÍte de ligne du commerce avec les Iles et les Colonies, s’étaient en effet implantées dans les colonies, telles les Maurel et Prom au Sénégal, Buhan et Teisseire à Gorée, Delmas et Cie en Afrique Noire, ou Denis en Indochine…

 

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Exposition de la Société Philomatique, 1895

Mais l’année 1895 marquera véritablement le triomphe de la politique coloniale bordelaise. En effet, la grande Exposition universelle de Paris, en 1889, vint marquer un tournant. Très impressionnées par la section coloniale, les grandes villes de province souhaitèrent dès lors se mesurer à la capitale, Lyon en premier en 1894, suivi de Bordeaux l’année suivante, et Rouen en 1896.
Toujours organisée sur la place des Quinconces par la Société Philomathique, la manifestation bordelaise de 1895 s’étendit sur 10 ha, dont 3 300 m² couverts, et accueillit 10 054 exposants, dont 302 venaient des colonies. Pour l’occasion, le célèbre architecte de l’exposition universelle parisienne, Joseph Albert Tournaire, fut choisi pour la construction des palais et des pavillons. Parmi les nombreuses constructions (Pavillon du Gouvernement, Palais de la Presse…), figuraient un Palais Colonial, un Pavillon de l’Algérie, ainsi que deux villages exotiques. 
Le Palais colonial, situé près de la porte Nord, fut édifié en partie aux frais de la Chambre de Commerce de Bordeaux. A l’intérieur de ce vaste édifice de 624 m² répartis sur deux étages, toutes les colonies étaient représentées : Cochinchine, Cambodge, Annam, Tonkin, Antilles, Tahiti, Réunion et les contrées africaines.

Comme l’Exposition de la Société Philomathique de 1895 remporta un vif succès, marquant l’apogée de la politique culturelle coloniale bordelaise en cette fin de siècle. La ville renforça son image de grand port colonial et, en 1907, fut choisie par la Ligue maritime française de Paris pour accueillir une nouvelle grande Exposition Maritime et Internationale. L’ouverture officielle eut lieu le 27 avril sur les Quinconces. Comme en 1895, le Palais Colonial en constitua l’un des principaux monuments : d’une superficie de 2500 m², il fut construit par l’architecte adjoint de la ville Léo Drouyn (sous les ordres de Tournaire) dans un style arabe, d’inspiration soudanaise, et se développait en arc de cercle.

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Bordeaux, Exposition maritime, palais des Colonies (carte postale ancienne)

 

Les villages ethnographiques, 1895, 1904 et 1907
Comme dans toutes les expositions coloniales depuis celle de Paris en 1889, les villages exotiques constituèrent les principales attractions des manifestations bordelaises. Le phénomène des «zoos humains» sillonna la France et dura jusque dans les années 1930 . Bordeaux organisa par le biais de Ferdinand Gravier (qui déjà avait fourni des objets africains au Musée Préhistorique de Bordeaux, dès 1886) un village nègre et annamite en 1895, et un village nègre, en 1907, à l’occasion de son Exposition Maritime.
«Rien de si drôle, s’extasiait-on dans la Petite Gironde, en 1895, que le mélange de ces Congolais, indolents et superbes et de ces Indochinois, chétifs, remuants, fuyants, et tous, avec leur imberbe visage ridé, semblables à de vieilles femmes».

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Bordeaux, village africain, 1907 (carte postale ancienne)

En 1904, un village tunisien fut improvisé dans les arènes de la Bennatte par un entrepreneur privé. Cette même année, un ordre municipal fut instauré pour empêcher les spectacles de «faux nègres». Des forains s’étaient en effet grimés en «noirs» afin d’attirer la foule lors de la foire des Quinconces, présentant des spectacles comme «les nègres, mangeurs de mous» ou «des nègres, mangeurs de verres».
Mais ces exhibitions ne furent pas du goût de tous les Bordelais. Dès 1895, un des organisateurs de l’exposition bordelaise, publia, de manière anonyme, dans le catalogue d’exposition, un article dénonçant ces pratiques avilissantes.

 

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Bordeaux, village africain, 1907 (carte postale ancienne)

 

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Bordeaux, village africain, 1907 (carte postale ancienne)

 

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Bordeaux, village africain, 1907 (carte postale ancienne)

 

Les musées coloniaux à Bordeaux
Il fut créé à Bordeaux entre 1871 et 1907, cinq musées à caractère colonial. En 1871, une salle des colonies fut ouverte dans le Musée Préhistorique de Bordeaux où des objets préhistoriques étaient comparés à des objets des «sauvages actuels» (objets de la Nouvelle-Calédonie, de l’Océanie ou de Madagascar, par exemple).

En 1877, fut ouvert un Musée de matières premières et de produits fabriqués dans l’École supérieure de Commerce de Bordeaux, rue Saint-Sernin où des objets d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud étaient exposés. Malgré de nombreuses tentatives auprès des Ministères, le Musée ne fut jamais reconnu officiellement et disparaîtra en 1903 au profit du Musée Colonial de Bordeaux, crée en 1901, au Jardin Public. 

À partir de 1894, les premières collections du Musée d’Ethnographie et d’Études coloniales furent constituées au sein de la Faculté de Médecine et de Pharmacie de Bordeaux. Ce ne fut qu’en 1900, qu’on parla officiellement de Musée d’Ethnographie et d’Études coloniales de la Faculté de Médecine et de Pharmacie de Bordeaux. L’année 1900 fut en effet particulièrement heureuse pour l’agrandissement des collections accumulées depuis 1894. L’Exposition Universelle Parisienne permit en effet au musée une collecte d’objets, lui donnant des «dimensions» nationales.

En 1901, fut inauguré, sous l’impulsion marseillaise, le Musée Colonial de Bordeaux au Jardin Public. Situé sur les terrasses du Jardin Public de Bordeaux, dans l’immeuble de l’ancienne École de Sculpture, l’établissement exposait les productions des colonies, illustrées par des échantillons, des cartes murales, des photographies, des gravures, et présentait des produits régionaux destinés à l’exportation. Suite à des problèmes financiers, le Musée changea de direction dès 1904 et le Dr Lucien Beille fut nommé à sa tête jusqu‘à sa fermeture dans les années 1936. En complément du musée, s’ajoutaient une bibliothèque et un laboratoire d’expérimentation rattaché aux serres coloniales, tandis qu’un Office de Renseignement (Institut Colonial) était logé place de la Bourse, au sein de la Chambre de Commerce.

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terrasses du Jardin Public de Bordeaux

 

En 1913, l’Institut Colonial inaugura une Exposition temporaire de l’Afrique Équatoriale Française dans un pavillon du Jardin Public. Elle fut inaugurée le 29 juin par le gouverneur général de l’AEF, M. Merlin. Deux des quatre salles étaient consacrées aux œuvres de l’Institut, la troisième aux produits importés des colonies et la dernière aux produits fabriqués dans la métropole, vendus dans les colonies et plus spécialement sur le continent africain.

Enfin fut créé en 1907, le premier Musée colonial normal de France à la Sauve-Majeure (près de Bordeaux) qui avait pour but de favoriser la propagation de l’idée coloniale en France en encourageant les jeunes instituteurs à puiser dès la petite enfance, le goût des vocations coloniales. Dans le but de compléter cet enseignement colonial, des conférences sur le monde colonial furent données aux élèves par le Groupe Colonial Post-scolaire de Bordeaux.
Cette association créée par Godefroy Ratton en 1904, joua un rôle déterminant dans la diffusion de l’enseignement colonial bordelais jusque dans les années 1940. Malheureusement, le Musée colonial normal fut détruit en 1910 dans l’incendie de l’École. Une résolution du Conseil Général de la Gironde projeta sa reconstitution à Saint-André-de-Cubzac dans les nouveaux locaux de l’École Normale, mais le projet n’aboutit pas.

 

L’enseignement colonial à Bordeaux
Dès 1890, les Universités bordelaises prirent conscience de la richesse que pourrait lui apporter l’enseignement colonial. Émile Lappara, dans un rapport sur les travaux des Amis de l‘Université de Bordeaux écrivit en février 1900 :
«Qui oserait prétendre que nous ne sommes pas dans un milieu excellent pour développer les vocations colonisatrices. L’Université de Bordeaux est donc désignée par des penchants héréditaires de la population qui vit d’autour d’elle pour former des colonisateurs».

Alors que la Faculté de Médecine et de Pharmacie de Bordeaux avait déjà créé un diplôme de médecine coloniale et un cours de pathologie exotique, le 23 janvier 1902, la Commission de l’Institut Colonial se réunit pour discuter de l’organisation d’un enseignement colonial qui s’ajouterait aux cours déjà en place. Il fut décidé la création d’un diplôme d’études coloniales correspondant à celui de la Faculté de Médecine et à partir de 1902, l’ouverture d’un cours d’Agriculture coloniale (professé par le Dr Lucien Beille, agrégé à la Faculté de Médecine), d’un cours sur les produits coloniaux (professé par M. Hugot, Dr en Sciences Physiques), d’un cours d’Hygiène Coloniale (par le Professeur Le Dantec) et d’un cours d’Histoire de la Colonisation et de Géographie Coloniale donné par le Professeur Henri Lorin.

À la suite de longs pourparlers au cours desquels l’Institut Colonial de Bordeaux trouva l’appui le plus empressé de la part de l’Université, un arrêté du Ministre de l’Instruction Publique intervint le 28 octobre 1926 autorisant la Faculté de Lettres de l’Université de Bordeaux à délivrer un certificat d’études supérieures portant le titre de certificat d’études coloniales. En 1927, l’Institut Colonial fut rattaché officiellement à l’Université de Lettres.

Voici quelques cours dispensés par la Faculté de Lettres donnant droit au certificat d’études coloniales :
      - Histoire de la Colonisation. 15 leçons.
      - Idées et croyances des sociétés primitives. 4 leçons.
      - Hygiène coloniale. 5 leçons
      - Histoire de l’Art arabe. 6 leçons.
      - Pays Arabes et Notions Ethnographiques et Littéraires.
      - Établissements de l’Océanie : races, mœurs, coutumes, économie politique.   
        4 leçons. 

Outre les musées et l‘enseignement, de nombreuses Institutions de propagande (Office du Maroc, Office général des Antilles et de la Guyane française, la Ligue coloniale maritime de Bordeaux, l’Institut de la France d’Outre-mer, le Groupe Colonial Post-scolaire de Bordeaux etc.) et des Sociétés Intellectuelles furent créées dans le but de promouvoir et diffuser l’idée coloniale à Bordeaux.

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Ligue maritime et coloniale française

 

Les Foires coloniales de Bordeaux 1916 à 1940.
La concurrence étrangère, allemande en particulier, et les bouleversements, notamment économiques, causés par le premier conflit mondial, obligèrent progressivement les autorités locales à modifier leurs objectifs. Il ne suffisait plus de montrer les colonies et de vanter leurs produits, il fallait désormais les vendre et ouvrir de nouveaux marchés. À partir de 1916, Bordeaux organisa ses premières Foires modernes. Installées sur la place des Quinconces, elles accueillirent de nouveau les produits en provenance des colonies. Si quelques particuliers, venus des quatre coins du monde, exposaient de l’artisanat et des objets d’art locaux, les principales productions étaient représentées dans des stands spécialement aménagés par les Offices et les grandes firmes coloniales. Une abondante documentation était mise à la disposition du public, ce qui ne suffit pourtant pas à masquer le racisme ambiant inhérent à ce type de manifestation : “L’Exposition sera donc non seulement universelle, mais quelque peu rastaquouéresque. Ce n’était certainement pas là le but que se proposaient les organisateurs”, put ironiser Mirador, chroniqueur au journal marseillais Le Midi colonial.

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Huilerie franco-coloniale
de Bordeaux

 

À partir de 1923 : Bordeaux, “Première foire coloniale de France”
En concurrence avec la ville de Marseille qui projettait après son Exposition de 1922, la création d’une foire coloniale, Bordeaux devança son adversaire en  se proclamant première foire coloniale de France. De simples stands, les colonies bénéficièrent à partir de 1923 de pavillons démontables “plus dignes”: une pagode pour l’Indochine, un palais arabe pour l’Algérie et la Tunisie, un souk pour le Maroc et un bungalow pour l’AOF. Les Palais coloniaux, expressives allégories des bienfaits répandus par la France sur tous les continents, s’installèrent au milieu de jardins luxuriants et d’attractions en tout genre, assurant un dépaysement total, les panoramas et dioramas vendaient à l’envi de l’illusion, du rêve colonial.

Jusqu’aux années 1940, les plans de l’exposition furent dressés par l’architecte Raoul Perrier, qui composa une harmonie décorative fortement colorée, jouant des contrastes entre la blancheur des pavillons du Maroc ou de la Tunisie et les briques, marrons ou terres ocre d’Afrique. En 1935, l’Allée des Colonies exprima à la perfection l’ambition de toute une nation : véritable allée triomphale, elle proclamait l’avènement d’un empire qui se voulait moderne, qui se pensait invincible. En 1940, la Foire coloniale fut installée, pour la forme, mais n’ouvrit jamais au public car Bordeaux dut faire face à d’autres préoccupations...

 

Conclusion
Durant toutes ces décennies, par ses expositions internationales régulières, ses musées, son enseignement, son commerce avec l’outre-mer, ses industries, l’action de sa Chambre de Commerce, son Institut Colonial, etc., Bordeaux se placera comme une grande ville coloniale, peut-être même “la grande ville coloniale de France” (hormis Paris). Elle servit de modèle à beaucoup d’autres villes de provinces : Rochefort, fit appel aux bordelais, pour son exposition de 1883 ; tout comme Nice, pour son Exposition de 1884 ou encore la délégation rouennaise, déclara, après une visite à l’Exposition bordelaise de 1895, que Bordeaux avait dépassé le niveau des précédentes expositions de France.
 
L’élan colonial ne se sera pas arrêté à une simple propagande : ce fut avant tout une histoire d’hommes souvent passionnés par l’histoire en marche et qui mirent en scène leurs convictions à travers d’ambitieuses démonstrations. Au-delà de motivations strictement mercantiles, et sans sous-estimer le climat évidemment raciste qui dominait à l’époque, il semble qu’un véritable goût de l’exotisme, de la différence, de l’Autre ait aussi inspiré la plupart de ces initiatives – et ce, non dans un unique but d’assimilation mais, sans doute aussi, avec un réel désir d’échange et de partage.

Christelle Lozère

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docks_Bordeaux
docks de Bordeaux au cours de la Première Guerre mondiale,
The American Megro in the World War, par Emmet J. Scott (1919) -
source

 

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7 novembre 2006

Colonies : ni tabou ni repentance (Georgette Elgey)

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Trois ouvrages apportent un nouvel éclairage

sur l'histoire infiniment complexe des relations de la France

avec son empire colonial

 

  Colonies :

ni tabou ni repentance

Georgette ELGEY

 

Les deux premiers essais concernent les «soldats indigènes», leur place, leur rôle et leur importance dans l'armée française. Héros de Tunisie, un récit événementiel classique qui retrace plus d'un siècle d'histoire tunisienne et française, commence en 1837, bien avant que la France ait établi son protectorat sur ce pays, et se termine en 1957 quand celui-ci recouvre son indépendance. La Force noire a une autre ambition. Il se présente sous la forme de près d'une centaine de notes brèves, sur les sujets les plus variés : loin de se limiter aux questions militaires, elles traitent aussi bien la genèse du célèbre slogan publicitaire de l'entre-deux-guerres «Y'a bon Banania», que du mythe du barbare guidé par la mère patrie vers le progrès. Ainsi, à travers cette évocation qui justifie pleinement le sous-titre du livre Gloire et infortunes d'une légende coloniale, c'est tout un tableau de l'évolution des mentalités françaises qui nous est offert. Une iconographie très riche, le plus souvent inédite, contribue à l'importance de ces deux publications.

Le troisième ouvrage est d'une tout autre nature. Son auteur, Daniel Lefeuvre, spécialiste reconnu de l'Algérie coloniale, est un universitaire - il enseigne à Paris VIII - qui, en aucun cas, ne peut être classé parmi les défenseurs du colonialisme ou les nostalgiques de «l'Algérie française». Comment définir son dernier livre ? Bien que son titre Pour en finir avec la repentance coloniale indique nettement que l'auteur n'est pas neutre, ce n'est en rien un pamphlet. On pourrait plutôt l'apparenter à une mise au point, extraordinairement vivante et précise. En 230 pages, aussi passionnées qu'étayées par des faits indiscutables, Daniel Lefeuvre met à mal les «informations» qu'au nom d'une soi-disant vérité historique et dans le souci supposé de dévoiler notre passé «honteux», certains chantres de l'anticolonialisme répandent aujourd'hui avec la complaisance de bien des médias. Ceux-là même qui n'osent les contredire, par ignorance ou par crainte d'apparaître comme les défenseurs des crimes français. L'exaspération ressentie par Daniel Lefeuvre devant l'imputation à la France de tous les péchés ne le conduit par pour autant à la moindre complaisance envers notre pays. S'il lui paraît incontestable que l'armée française, même dans ses pires excès envers les Algériens, n'est pas mue par le racisme, c'est tout simplement qu'elle a eu des comportements tout aussi scandaleux dans des conflits européens, que ce soit au Palatinat, en Espagne, ou même dans son propre pays lors de la guerre de Vendée.

Que la France ait commis des atrocités en Algérie, c'est certain - ne s'est-on pas indigné à la Chambre dessaint_arnaud pairs en 1845 contre l'effroyable enfumade des grottes de Kabylie, qui se solda par plus de cinq cents victimes ? Mais voir dans ces horreurs une sorte de préfiguration des crimes nazis, établir une filiation entre la conquête de l'Algérie et la Shoah, constitue «un parallèle ignominieux, qui ne repose sur un aucun fondement...». L'objectif de la conquête n'était pas l'anéantissement des populations, mais leur domination, vérité «qu'il faut répéter inlassablement tant la confusion est entretenue». À juste titre, l'auteur souligne les conséquences perverses que peuvent avoir sur l'esprit public les déformations historiques assenées comme la révélation d'une vérité cachée : «Il y a quelque chose de profondément malsain, dans cet acharnement à faire de la conquête coloniale un laboratoire du nazisme, contre toute vérité historique. Il y a aussi quelque chose de dangereux, pour les fondements mêmes de la République, à poser ainsi les bases artificielles d'une guerre des mémoires...»

Chacun des chapitres apporte un éclairage, souvent nouveau, toujours scientifique et difficilement contestable, sur des sujets d'actualité. Par exemple, les rapports de la France avec l'immigration, ou l'islamophobie, dont l'auteur note qu'elle n'est en rien une survivance d'une culture coloniale plutôt islamophile : «Sa construction est récente. Elle est d'abord le produit de l'ignorance. Elle est, surtout, une réaction de crainte - pas totalement injustifiée au demeurant - alimentée par la violence des fondamentalistes et autres talibans et jihadistes.» Une lecture indispensable pour tous ceux que l'histoire de notre pays intéresse.

Georgette Elgey

 

* illustration : Saint-Arnaud. Au XIXe siècle, les militaires furent les premiers à revendiquer les horreurs de la guerre qu'ils menaient en Algérie. Faire croire aujourd'hui que cette histoire a été occultée, c'est de l'ignorance... ou de la manipulation.

 


source :
Historia    

 

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25 août 2006

L'Exposition coloniale de 1931 : mythe républicain ou mythe impérial (Charles-Robert Ageron)

Diapositive1

 

L'Exposition coloniale de 1931

Mythe républicain ou mythe impérial ?

Charles-Robert AGERON

 

Voici plus de vingt ans que l'Homme blanc a déposé partout dans le monde le «fardeau colonial» dont parlait Kipling ; partout il reste pourtant fustigé, parfois condamné pour crime contre l'humanité. Dès lors il devient difficile d'imaginer ce temps, proche encore, où triomphait avec bonne conscience l'impérialisme colonial. Qui veut célébrer la République se garde de rappeler qu'elle s'est enorgueillie, quasi unanimement, de son œuvre coloniale.

Et pourtant quel écolier de jadis ne se souvient d'avoir appris dans les manuels de l'école laïque que «l'honneur de la IIIe République est d'avoir constitué à la France un empire qui fait d'elle la seconde puissance coloniale du monde». «La colonisation, couronnement et chef-d'œuvre de la République», sur ce thème la franc-maçonnerie se sentait d'accord avec l'Académie française et les convents radicaux avec les assemblées des missionnaires. Tout écrivain, tout historien du monde contemporain, ou presque, se croyait tenu dans l'entre-deux-guerres de célébrer «l'œuvre civilisatrice de la IIIe République». Sait-on que Daniel Halévy, historien pourtant non conformiste et modérément républicain, après avoir écrit La République des ducs et La République des notables entreprit la rédaction d'un troisième ouvrage ? Il se fût intitulé La République des colonisateurs. Mais, après la défaite de 1940, le coeur lui manqua et le triptyque fut interrompu.

De quand date cette unanimité troublante ? De la Grande Guerre durant laquelle «les colonies ont bien mérité de la patrie», disait-on dans les années 1920. La guerre aurait révélé aux Français l'immensité, les richesses et l'avenir illimité de la «Plus Grande France». Aujourd'hui l'idée s'est accréditée, semble-t-il, que ExpoColo1Detl'apothéose de l'Empire colonial et l'apogée de l'idée coloniale en France se situeraient, tous deux, dans les années 1930 et 1931. Les fêtes du Centenaire de l'Algérie et celles de l'Exposition coloniale de Paris auraient clairement manifesté alors le triomphe de l'Empire colonial français. Elles mériteraient d'en rester le symbole.
L'Exposition coloniale, ainsi devenuel'une des dates et l'un des lieux de mémoire de la IIIe République, ce fait interpelle l'historien. Fut-elle décidée et construite pour célébrer le grand œuvre de la République colonisatrice? Servit-elle la gloire de la République auprès des Français ? Après sa clôture, la grande fête de Vincennes ne laissa-t-elle comme le bois lui-même qu'un tourbillon de feuilles mortes ? Ou bien ce spectacle provisoire devint-il musée imaginaire, référence obligatoire pour des générations brusquement confrontées au ressac anticolonial de l'histoire ? Oui ou non, l'Exposition de Vincennes fut-elle ce lieu où s'enracina pour l'avenir la mémoire de la République coloniale ?

 

La tradition de L'Exposition coloniale

Peut-être n'est-il pas superflu de rappeler qu'avait 1931 courait déjà en France une longue tradition de l'exposition coloniale : On ne remonterait pas jusqu'au second Empire, malgré la présence attestée d'une section coloniale à l'Exposition de 1855, si les Parisiens ne connaissaient l'observatoire météorologique du parc Montsouris. Or cette curieuse construction fut édifiée à l'image fidèle du palais tunisien du Bardo où fut signé le traité de 1881. Lors de l'Exposition internationale de 1867, elle constituait le pavillon de la Tunisie, alors État indépendant.

C'est donc rétrospectivement qu'elle a pris valeur de premier monument «colonial» laissé à Paris par une exposition. En revanche, il n'est rien resté de l'Exposition permanente des colonies installée au Champ-de-Mars en 1867. Onze ans après, à l'exposition de 1878, on édifia au moins un vrai bâtiment colonial, fort miniaturisé semble-t-il, puisque le critique Henri Houssaye commentait : «Toute l'Algérie en 50 m2» pour présenter cette pâle reproduction de la mosquée Sidi bou Médine de Tlemcen, à laquelle on avait accolé un bazar tunisien et une boutique marocaine.


Amsterdam, 1883

 En fait, c'est en 1889 que, pour la première fois, les colonies eurent droit à une organisation étendue au sein de l'Exposition internationale universelle. Autour d'un pavillon central se groupaient sur l'esplanade des Invalides diverses constructions de taille normale abritant essentiellement des collections d'objets coloniaux, mais aussi des réductions de cités africaines et asiatiques. De l'avis des contemporains avertis, elle fut pourtant un échec pour la propagande coloniale.

Certes, les visiteurs purent marchander dans des souks algériens et tunisiens et se divertirent au spectacle d'un théâtre annamite et d'un concert arabe. Mais les badauds regardèrent surtout les danseuses algériennes à l'établissement dit de La Belle Fatma et les soldats noirs ou jaunes, ces derniers étant jusque-là inconnus en France. Jules Ferry ne put cacher son indignation devant le succès malsain de ces spectacles. Quant à Abel Hermant, il ne se souvenait plustard que «des palais bleus et des ânes de la rue du Caire» identifiés abusivement par lui au domaine colonial. L'exotisme l'avait donc emporté sur la vision coloniale.

En 1900, lors de la Grande Exposition universelle, l'œuvre coloniale de la République fut présentée enfin avec éclat dans les jardins du Trocadéro, et ce grâce à l'aide efficace du tout-puissant Eugène Étienne, patron des coloniaux. Cette section coloniale visait expressément à la propagande pratique au point de vue commercial et éducatif, mais on sacrifia aussi beaucoup au pittoresque. On y exhiba sans complexe «les citoyens de nos colonies militaires ou civils, artisans exerçant leurs métiers sous les yeux du public».

 

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Dès lors la tradition s'imposa dans toutes les expositions de réserver une place aux colonies françaises. Un comité national des expositions coloniales créé en 1906 intervint dans toutes les expositions françaises ou étrangères, notamment dans l'Exposition nationale coloniale de Paris en 1907 et l'Exposition franco-britannique de Londres en 1908.

 

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Exposition coloniale, 1907

 

Le projet d'Exposition coloniale internationale

de 1913 à 1927

En 1910, par lassitude des expositions universelles depériodicité undécennale, on songea pour des raisons plus esthétiques que nationales à une exposition de l'exotisme. Il fut notamment question d'édifier en grandeur naturelle à Paris une vision de l'orient et de l'Extrême-Orient. Puis, sous l'influence d'un membre actif du parti colonial, Louis Brunet, l'idée se transforma en un projet différent : il s'agissait de mettre sous les yeux des visiteurs en un raccourci saisissant tous les résultats de la colonisation française et européenne. Le programme élaboré en 1913 précisait : «Notre empire d'outre-mer s'est étendu, son organisation s'est perfectionnée, ses merveilleuses ressources se sont accrues. Il convient d'en établir le bilan, d'en tracer le vivant inventaire, de placer le public, l'opinion devant les faits et les résultats. C'est l'oeuvre d'une exposition.»

Cette exposition devait être internationale, s'ouvrir en 1916 et comporter l'édification à Paris d'un musée permanent des colonies, ce musée qui manquait encore à la France alors que tous les grands États avaient déjà le leur. Comme Paris et Marseille se disputaient l'honneur d'organiser cette grande manifestation, le gouvernement décida que Marseille aurait une Exposition coloniale nationale en 1916. Il se réservait de mettre sur pied pour 1920 l'Exposition coloniale internationale de Paris.

La guerre arrêta bien entendu tous les travaux préparatoires, mais dès la fin des hostilités, le 13 novembre 1918, la chambre de commerce de Marseille décida la reprise de son projet. De son côté, le conseil municipal de Paris demandait le 27 décembre 1918, pour 1920 ou 1921, une «exposition coloniale interalliée» excluant la «participation de nos ennemis qui se sont mis hors des lois de toute civilisation». Ce «grandiose projet» fut repris dans une proposition de loi présentée par trente-quatre députés du parti colonial. Selon le rapporteur, le député de la Cochinchine, Ernest Outrey, cette exposition de 1921 «constituera une manifestation de la puissance coloniale française destinée à démontrer au monde les résultats obtenus par vingt-cinq ans de politique indigène». Le Parlement se prononça finalement en faveur d'une Exposition coloniale nationale à Marseille en 1922 ; quant à l'Exposition coloniale interalliée, elle aurait lieu à Paris en 1925.

 

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Ainsi fut consacré par la loi du 7 mars 1920, soit sept ans après que l'idée eut été lancée, le principe d'une exposition coloniale internationale. Le ministre des Colonies, Albert Sarraut, en définit peu après l'esprit : «L'exposition doit constituer la vivante apothéose de l'expansion extérieure de la France sous la IIIe République et de l'effort colonial des nations civilisées, éprises d'un même idéal de progrès et d'humanité. Si la guerre a largement contribué à révéler les ressources, considérables que peuvent fournir les colonies au pays, l'Exposition de 1925 sera l'occasion de compléter l'éducation coloniale de la nation par une vivante et rationnelle leçon de choses. À l'industrie et au commerce de la Métropole, elle montrera les produits qu'offre notre domaine colonial ainsi que les débouchés infinis qu'il ouvre à leurs entreprises.»

Pendant plusieurs années, la classe politique glosa sur ces thèmes impérialistes et utilitaristes. La date de 1925 ne put toutefois être retenue car on s'aperçut très tard qu'il fallait la réserver à l'Exposition internationale des arts décoratifs. En la retardant à 1928, on décida de lui rendre son caractère pleinement international, notamment pour y faire place aux Pays-Bas, troisième puissance coloniale du monde. L'accent fut mis aussi sur la colonisation comme «œuvre de civilisation qui crée entre les peuples à la fois une solidarité et une émulation utiles et fécondes».

Cependant le commissaire général désigné en 1920, le gouverneur général Angoulvant, dut abandonner ses fonctions après avoir été élu député de l'Inde. Pour le remplacer, le président du Conseil, Poincaré, songea au maréchal Lyautey, alors retiré dans son exil de Thorey et que l'inaction rongeait. Lyautey, s'affirmant «homme de droite», posa ses conditions : l'exposition coloniale devrait nécessairement comporter la présence et le rappel de l'œuvre des Missions jusque-là oubliées. Par ailleurs, vu la proximité de la date retenue, celle-ci devait être à nouveau retardée. Le 27 juillet 1927, ces exigences furent acceptées.39 Lyautey, devenu commissaire général, n'allait pas tarder à définir publiquement ses projets.

 

 

 

 

Les conceptions de Lyautey

Pour l'homme qui s'était donné comme devise : The soul's joy lies in doing, l'Exposition ne devait pas être fondamentalement une «exhibition foraine» mais plutôt «une grande leçon d'action réalisatrice, un foyer d'enseignement pratique», une sorte d'«office du travail colonial». Du coup, la conception qui prédominait jusque-là d'un bilan en forme d'apothéose de l'oeuvre coloniale de la République basculait. «Cette grande manifestation», Lyautey lui assignait le 5 novembre 1928 lors de la pose de la première pierre du musée permanent des Colonies, «un caractère d'ordre essentiellement économique et pratique».

Elle devait être à l'origine de «créations permanentes», non seulement le musée prévu, mais encore une Maison des colonies et un Office colonial regroupant toutes les agences et offices disséminés dans Paris. En attendant l'autorisation de les construire, Lyautey fit élever à l'entrée de l'Exposition «deux loges de concierge», disait-il, en fait une Cité des informations où les hommes d'affaires, les commerçants et les industriels français et étrangers pourraient obtenir tous les renseignements pratiques qu'ils souhaitaient.

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D'autre part, l'Exposition ne pouvait se borner à célébrer dans la colonisation l'oeuvre de la République. Lyautey pensait qu'à envisager l'expansion coloniale sous cet angle, on l'eût rétrécie. Elle ne pouvait méconnaître le passé, les gloires et le caractère véritable du peuple fiançais trop souvent ignoré à ses yeux. Dès mars 1928, Lyautey fit donc décider la création d'une section rétrospective qui prépara finalement un véritable historique illustré de la colonisation entendue depuis les Croisades. «Les campagnes coloniales, commentait alors la revue La Vie, ne sont-elles pas en réalité notre dixième et notre onzième croisade ?» Avec les pavillons des missions et l'exposition rétrospective, Lyautey estimait pouvoir restituer toutes ses dimensions nationales à l'effort colonial français.

Enfin, Lyautey, rallié à l'idée d'un rapprochement européen, estimait qu'«aux lendemains de la période meurtrière fratricide qui a couvert le monde de ruines», il convenait de montrer par une exposition réellement internationale «qu'il y avait pour notre civilisation d'autres champs d'action que les champs de bataille». Il entendait démontrer que l'Occident européen ne renonçait pas à poursuivre dans le monde sa mission de civilisation : de grandes et belles batailles restaient à livrer outre-mer, notamment contre la maladie et l'ignorance.

Encore fallait-il convaincre les États étrangers de participer nombreux à ce manifeste de l'Occident lancé contre les prophètes de l'Est, disciples de Spengler, annonciateurs trop pressés du Westenuntergang, ou bolcheviks russes acharnés à la destruction des empires européens.

La Grande-Bretagne, invitée depuis 1921, faisait traîner sa réponse en multipliant les objections. Elle préparait jusqu'en 1924 la British Empire Exhibition dont on affirmait en France qu'elle avait donné aux populations britanniques plus que toute manifestation antérieure une mentalité impériale. Lyautey à trois reprises insista, en 1928, pour obtenir au moins la présence de l'Imperial Institute qui refusa. Il se rendit alors à Londres en décembre 1928, puis en juillet 1929, pour plaider lui-même la cause de cette manifestation, défense et illustration de la colonisation européenne. Plus qu'à un veto véritable du Colonial Office, il se heurta à l'indifférence teintée de Condescendance des autorités pour ce projet colonial fiançais.

Finalement les Britanniques, mettant en avant leurs difficultés financières dues à la crise économique, annoncèrent qu'ils ouvriraient seulement un stand commercial à la Cité des informations. L'Allemagne, humiliée par «le mensonge de sa culpabilité coloniale», usa du même subterfuge. Parmi les dominions, seuls le Canada et l'Union sud-africaine acceptèrent une très modeste représentation. En revanche, la Palestine, pays sous mandat britannique, décida d'édifier un luxueux pavillon, sans doute pour faire pièce aux palais nationaux de la Syrie et du Liban.

L'Espagne gallophobe refusa le moindre geste de courtoisie, tandis que les États-Unis, les Philippines et le Brésil promirent d'édifier des bâtiments représentatifs de leur passé colonial. Au total, cinq États européens seulement construisirent des pavillons nationaux et coloniaux : le Danemark, la Belgique, l'Italie, les Pays-Bas et le Portugal. L'Europe réconciliée et solidaire dans l'oeuvre coloniale, ce rêve que Lyautey partageait alors avec Albert Sarraut, Joseph Caillaux et nombre de républicains de gouvernement, se révélait irréaliste.

Cet échec, pudiquement passé sous silence, contribua involontairement à rendre plus étroitement française la grande exposition coloniale internationale. Le discours officiel s'infléchit en ce sens. Pour Lyautey déçu, l'Exposition devenait «une bonne occasion de faire le point, de voir où nous en sommes au point de vue colonial». On en revenait donc à la conception de l'exposition bilan de l'activité économique, politique et culturelle de la France coloniale, dessein qui avait été et demeurait essentiel pour le ministère des Colonies. Un décret du 18 juillet 1928 l'avait chargé «de présenter sous une forme synthétique : 1° L'œuvre réalisée par la France dans son empire colonial ; 2° l'apport des colonies à la Métropole». Il était ainsi bien entendu que l'Exposition coloniale avait un «rôle nécessaire de propagande directe» .

IMG_4701En avril 1930, le ministère des Colonies publia un ouvrage définissant les But et organisation de l'Exposition. Celle-ci visait à «matérialiser sur le sol métropolitain la présence lointaine de toutes les parties de l'Empire» : «Elle sera une justification et une réponse. Il faudra bien qu'enfin le peuple de France sente en lui s'émouvoir un légitime sentiment d'orgueil et de foi.» Fait digne de remarque, l'auteur anonyme de ce livre officiel n'omettait de signaler aucun nom parmi les grands colonisateurs, mais ne faisait nulle allusion à la République, ni aux grands républicains initiateurs, Est-ce pour cette raison ou parce qu'on le savait bonapartiste que le ministre des Colonies, François Piétri, crut devoir expliquer, le 26 avril 1930, les vertus de «l'impérialisme français, formule de liberté politique et de fraternité sociale. Penser impérialement c'est rester fidèle à cette conception que les hommes de 89 et de 93 se faisaient de la patrie. C'est reporter les frontières de la République jusqu'où peuvent atteindre sa générosité, sa vaillance, son amour de la justice et des hommes».

Pour le parti colonial qui, lui, du moins, restait fidèle à ses attaches républicaines, l'Exposition devait être un inventaire et une démonstration et servir avant tout au développement de l'idée coloniale dans le pays. Les parlementaires du parti ne convainquirent que tardivement Lyautey de la nécessité d'un gros effort financier pour la propagande intérieure. En 1928, Lyautey n'avait affecté que cinq millions à ce chapitre. Le groupe colonial de la Chambre obtint par la loi du 18 mars 1931 un crédit supplémentaire de douze millions. Il fit valoir que l'Exposition devait être tout à la fois une justification des efforts consentis par le passé mais aussi une réponse à la propagande anticoloniale. Quand bien même la Grande Guerre avait prouvé à tous les Français l'utilité des colonies et la sagesse du pari colonial engagé par les républicains modérés, il fallait leur démontrer à nouveau le bien-fondé de la colonisation, dès lors qu'elle était contestée «par certains voyageurs en quête de thèses tapageuses» et menacée par «l'entreprise bolchevique».

 

La propagande anticolonialiste

Face à la mobilisation du parti colonial, les anticolonialistes - le mot état déjà à la mode - avaient décidé d'intensifier leur action. Le Komintern avait jugé qu'en 1930, lors du Centenaire de l'Algérie, la propagande anti-colonialiste avait été trop peu active. Il chargea donc la Ligue [internationale] contre l'oppression coloniale et l'impérialisme, le P.C.F. et la C.G.T.U. de lancer une grande campagne d'agitation contre «l'Exposition internationale de l'Impérialisme».

Encore que ce ne soit pas le lieu de présenter ici cette campagne peu connue, il apparaît pourtant nécessaire, pour une juste appréciation de l'esprit public en matière coloniale, d'en évoquer quelques manifestations. La Ligue française contre l'impérialisme, association fantomatique qui, après trois anscontrexpo_small d'existence, n'avait réuni en 1930 que deux cents adhérents, dut organiser à Paris une «Exposition anti-impérialiste». Celle-ci devait être pour ceux qui la commanditèrent l'anti-Exposition coloniale. Baptisée «La vérité sur les colonies», cette contre-exposition se borna à présenter au pavillon des Soviets, annexe de la Maison des syndicats, un ensemble de photographies sur les guerres coloniales, de vieux dessins satiriques de L'Assiette au beurre et des graphiques sur «les profits fabuleux» des sociétés capitalistes.

L'écrivain Aragon y exposa une collection d'objets d'art nègre, océanien et indien en regard d'imageries religieuses de facture sulpicienne, ces symboles du mauvais goût occidental. Des photographies naïves sur le bonheur des peuples asiatiques libérés par la révolution soviétique complétaient cette mini-exposition. Malgré sa durée exceptionnelle (de juillet 1931 à février 1932) et des visites collectives organisées par les syndicats, quelque cinq mille visiteurs seulement furent dénombrés par la police parisienne.

Il est vrai que dans diverses villes françaises des comités de lutte contre l'Exposition coloniale agirent peut-être plus efficacement. Ils distribuèrent à tous les colonisés des tracts en langue vietnamienne, malgache et française. Ceux-ci dénonçaient «l'oppression sanglante des impérialistes exploiteurs», «l'oeuvre de civilisation, cette pure hypocrisie aux dessous ignobles» ; ils protestaient contre «les curiosités de l'Exposition frisant la barbarie, telles que l'exhibition de cannibales en cages (sic), de négresses à plateaux et de pousse-pousse». Des tracts en quôc-ngu avertissaient les Annamites qu'on les avait fait venir pour se servir d'eux «comme d'un troupeau d'étranges bêtes» et «faire de vous une bande de singes pour parc zoologique».

 

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Le Secours rouge international avait préparé de minces brochures anti-colonialistes présentées Sous le titre : Le véritable Guide de L'Exposition coloniale. L'œuvre civilisatrice de la France magnifiée en quelques pages. Elles contenaient surtout des chiffres accablants sur «la répression dans les principales colonies, françaises» et des dessins illustrant violences et massacres. Des milliers de papillons imprimés par le parti communiste français expliquaient aux ouvriers français : «L'impérialisme français lutte pour garder et exploiter les colonies. Le Parti communiste lutte pour la libération et l'indépendance des colonies», ou «Les peuples coloniaux ne demandent pas des gouverneurs social-fascistes. C'est l'indépendance qu'ils réclament».

L'Humanité s'employa à partir du 17 avril 1931 à dénoncer «les méfaits sanglants de la colonisation», à fustiger dans la foire de Vincennes «l'apothéose du crime» (Florimond Bonte). Ce fut aussi pour l'organe communiste une occasion nouvelle de «flétrir la complicité des chefs socialistes dont le journal Le Populaire fait, moyennant finance, une propagande incessante pour la foire de Vincennes». Le 7 juin, L'Humanité titrait : «Les chefs S.F.I.O. aux côtés des pires colonialistes.»

Le Parti mobilisa douze écrivains du groupe surréaliste, dont Aragon, André Breton, René Char, Paul Éluard, Georges Sadoul, pour rédiger un très long (et médiocre) tract intitulé Ne visitez pas L'Exposition coloniale ! Ceux-ci s'en prenaient essentiellement «aux zélateurs de cette entreprise, au scandaleux parti socialiste, à la jésuitique Ligue des droits de l'homme, à I'immonde Paul-Boncour...». Ils exigeaient «l'évacuation immédiate des colonies et la mise en accusation des généraux et fonctionnaires responsables des massacres d'Annam, du Liban, du Maroc et de l'Afrique centrale». Enfin, la Ligue de défense de la race nègre qu'animait Kouyaté, un révolutionnaire manipulé par la police, attendit septembre 1931 pour s'adresser aux «travailleurs nègres» et dénoncer «la foire mercantile et épicurienne de Vincennes».

Selon la préfecture de police, cette campagne aurait été un échec total et tel rapport du P.C.F. intercepté par un indicateur en expliquait les raisons : «On se heurta à une paresse et à une mauvaise volonté systématique touchant au sabotage.» L'anticolonialisme ne faisait pas recette en 1931 chez les militants communistes et les travailleurs socialistes boudèrent les appels au front unique prolétarien pour l'évacuation des colonies. En revanche, les communistes indochinois et les nationalistes algériens auraient mieux réussi dans leur campagne antifrançaise. Messali Hadj a confirmé dans des pages inédites de ses Mémoires que l'Exposition, «cette mascarade colonialiste», avait permis le renforcement de son parti, l'Étoile nord- africaine.

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Au terme de ce long mais nécessaire historique sur les buts et les conditions de préparation de l'Exposition coloniale, on a pu mesurer les distorsions subies par l'entreprise. Lancé en 1913 - par un publiciste du parti colonial, Louis Brunet, spécialisé dans la propagande coloniale par le mode des expositions, le projet visait à consacrer «les efforts et les sacrifices de la Métropole» et à montrer le bilan positif de l'oeuvre coloniale. En 1920, Albert Sarraut entendit en faire l'apothéose de l'expansion coloniale des nations civilisées. Le maréchal Lyautey, monarchiste insensible à la célébration républicaine, tâcha de son mieux à orienter l'Exposition dans le sens de ses convictions européennes, mais n'y réussit que très incomplètement.

Lorsque s'ouvrit enfin l'Exposition si longtemps mûrie, le climat international qui entourait la colonisation avait profondément changé. On savait en France par le livre d'Andrée Viollis, L'Inde contre Les Anglais (1930), et l'on redoutait, depuis Yen-Bay et les soulèvements communistes du Nghe Tinh, l'Annam contre les Français : «Le communisme, disait le ministre des Colonies Paul Reynaud, le 23 février 1931, veut chasser la France de l'Indochine. Voilà la guerre entre lui et nous.» Bref, comme A. Sarraut l'avouait dans son livre de 1931 Grandeur et servitudes coloniales : «La crise de la colonisation partout est ouverte.» Mais ces inquiétudes devaient être soigneusement cachées aux visiteurs qu'on invitait seulement à s'émerveiller de l'action colonisatrice de l'Europe et de la France.

Dès lors, l'Exposition coloniale allait prendre l'allure d'un plaidoyer passéiste. Internationale du fait des participations étrangères, elle allait se borner à une oeuvre d'éducation nationale. À quoi l'on ne pourrait qu'applaudir rétrospectivement s'il s'était agi de révéler aux Français les colonies et les colonisés dans leur singularité et leur commun destin. Mais il s'agissait seulement encore de vulgariser à l'usage du peuple français les piètres slogans du parti colonial : la mise en valeur des colonies, l'Empire, remède miracle à la crise, le salut militaire de la France par l'Empire.

Face à la fermentation de l'Asie et du Moyen-Orient, on allait redire aux Français par l'Exposition les bienfaits de l'apostolat colonial pour «la rééducation des peuples arriérés», le loyalisme reconnaissant des populations soumises et les réalisations de la France comme État mandataire dans les territoires africains et arabes que lui avait confiés la Société des Nations.
Quant au «but essentiel», le ministre le formula ainsi le jour de l'inauguration : «Donner aux Français conscience de leur Empire.» «Il faut que chacun de nous se sente citoyen de la Grande France.»

 

 

Une lecture de l'Exposition

Que l'Exposition coloniale internationale de 1931 ait d'abord pensé à instruire le peuple français selon les traditions du spectacle et de la fête chères au parti colonial parisien, cela peut se lire dans son organisation même et dans mille détails.
L'Exposition devait provoquer chez le visiteur l'illusion d'un voyage dans le monde colonial. Pensant s'adresser aux lecteurs de Jules Verne, elle leur promettait «le tour du monde en quatre jours», voire en une journée. Des affiches publicitaires disaient : «Pourquoi aller en Tunisie quand vous pouvez la visiter aux portes de Paris ?»

C'est autour du lac Daumesnil que le visiteur était invité au voyage planétaire. Sans effort, comme dans des dioramas, il pourrait glisser d'une colonie à l'autre. Il irait d'un palais marocain à la rue d'un village soudanais, il pourrait entrer dans la grande mosquée de Djenné avant de gravir la chaussée monumentale du temple khmer d'Angkor Vat.

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À l'usage de l'élite déjà férue de tourisme exotique, l'exposition de Vincennes se voulut aussi un spectacle d'art où la beauté et la couleur des architectures l'emportaient parfois sur le strict réalisme. Plusieurs pavillons dits de style local furent de libres interprétations, non des reconstitutions fidèles. Ainsi le bizarre et beau palais rouge de Madagascar fut flanqué d'une surprenante tour surmontée de têtes de bœufs. Mais ce campanile altier était une pure création artistique parisienne, vaguement inspirée des humbles poteaux votifs de la campagne betsiléo. Le pavillon du Cameroun prétendait amplifier la hutte des Bamoums, mais il s'imposait surtout par la réussite d'un décor géométrique original. À des fins décoratives semblables, le bois de Vincennes fut orné de somptueux palmiers dattiers, alors que ce palmier est rare sur les côtes d'Afrique. On eut soin cependant de présenter «aux amis des arts primitifs» des expositions d'objets authentiques et de tenter une reconstitution de villages indigènes en pays africain et malgache.

Comme dans les précédentes expositions, mais avec plus de goût et de moyens, furent donnés des spectacles authentiques : processions rituelles des génies villageois de l'Annam ou cérémonie religieuse dans la pagode du Laos. On ressuscita même avec des figurants autochtones le cortège du roi Béhanzin ou celui du Morho-Naba et l'on fit défiler dans leurs uniformes d'apparat les dignitaires malgaches qui entouraient la reine Ranavalona III avant 1895. Une fois encore, le public fut invité à entendre des orchestres africains et malgaches, des musiciens de cafés maures ou à admirer des ballets annamites et des troupes de danseurs noirs. Cependant, chaque soir, tandis que s'illuminaient les pavillons, des fêtes lumineuses et musicales se déroulaient au théâtre d'eau. Mais qu'y venaient faire les ensembles de 1931pavillonalgeriemusic-halls parisiens ?

Pour le populaire, avide d'exotisme bon enfant, furent organisées des caravanes et des courses de chameaux, des promenades en pirogues malgaches sur le lac Daumesnil, voire simplement des ventes de casques coloniaux.
Des souks marocains, des restaurants africains ou tunisiens, le «café du Cameroun», étaient censés révéler au peuple la «gastronomie coloniale», les pâtisseries arabes ou les «boissons exotiques». Il paraît que les spectacles et les plaisirs furent décents. Barrès qu'écoeuraient les expositions («Limonade et prostitution», tranchait-il) eût peut-être été satisfait.

Certaines des intentions des organisateurs furent aussi fermement soulignées. L'hommage rendu aux missionnaires et aux militaires était appuyé, lisible jusque dans le plan. Ainsi les pavillons des missions catholiques et protestantes occupaient une place de choix au centre de l'«avenue des Colonies françaises» et semblaient conduire vers une tour haute de quatre-vingt-deux mètres, le monument de l'armée coloniale. En ces années où le sort de l'Indochine était remis en question, on fit large place au «joyau de la colonisation française» : la part réservée aux seuls palais et temples d'Indochine représentait, à elle seule, le dixième de la superficie totale de l'Exposition.

Orchestre Stellio 1931
Orchestre Stellio (Martinique) de l'Exposition Coloniale, 1931


D'autres intentions furent déjouées. Les organisateurs auraient voulu démythifier un certain exotisme de pacotille qui horripilait les coloniaux. Mais, en dressant de luxueux décors et en y plaçant d'authentiques personnages vêtus d'habits de fête, ils créèrent des impressions esthétiques tout aussi erronées. Les visiteurs savaient-ils que bien peu d'Annamites habitaient ces demeures aux décorations somptueuses, ou que les cortèges de nobles mandarins relevaient d'un folklore disparu ? La grande misère des paysans d'Indochine fut dérobée aux regards derrière un paravent de laque. Bref, l'Exposition coloniale de 1931 resta, comme celles du passé, un théâtre d'ombres, non un reportage fidèle.

Lyautey avait demandé qu'on insistât aussi sur les réalisations de la «politique indigène» et les progrès économiques dus à la colonisation. Ainsi s'expliquent qu'aient été soulignés dans chaque pavillon les moindres réalisations sociales et les progrès de l'hygiène et de la santé publique. Mais les salles qui attirèrent le plus grand nombre de visiteurs furent celles qui présentaient les arts décoratifs, les collections de masques et de fétiches. Les photographies de réalisations industrielles, les statistiques sur le mouvement commercial, les collections d'échantillons n'intéressèrent pas le grand public. L'amélioration du bien-être, le développement des populations colonisées, proclamés «mission sacrée de la colonisation», furent affirmés de manière didactique ; ils laissèrent les visiteurs et les journalistes indifférents.

Enfin, à supposer que le ministère des Colonies ait vraiment voulu célébrer l'œuvre coloniale de laChap1B_02 République, les touristes les plus attentifs y furent insensibles. La grande épigraphe du musée des Colonies disait : «À ses fils qui ont étendu l'empire de son génie et fait aimer son nom au-delà des mers, la France reconnaissante.» Mais, dans la longue liste des artisans du domaine colonial, les noms des grands décideurs républicains disparaissaient...

Curieusement, les hommes politiques furent rares dans leurs discours de 1931 à faire hommage à la République de cet immense empire colonial. Certes, le ministre des Colonies, Paul Reynaud, invita la foule à la reconnaissance vis-à-vis de ceux «qui ont fondé à la fois un régime et un Empire». Certes, André Lebon, ancien ministre des Colonies, affirma que «la foule française avait salué avec déférence et attention la mémoire des artisans connus ou anonymes de l'oeuvre coloniale». Mais aucun hommage spectaculaire ne fut rendu à Vincennes aux grands Républicains coloniaux. Il ne fut pas même question de Gambetta, l'initiateur, ni d'Eugène Étienne, son disciple, jusqu'à sa mort chef incontesté du parti colonial. Jules Ferry eut droit à une cérémonie commémorative à Saint-Dié, mais J. Paul-Boncour fut peut-être le seul à faire un rapprochement qui s'imposait : «Il me plaît que les splendeurs de cette Exposition coloniale où la France s'admire et s'étonne presque d'une oeuvre qu'elle ne soupçonnait point se soient ouvertes à l'heure où des foules venaient déposer la palme du souvenir dans celui qui en fut l'initiateur méconnu et torturé.»

 

Bilan matériel et moral de l'Exposition.

On ne s'interrogerait pas sur le succès matériel de cette Exposition, incontestable, sauf au point de vue financier, si le nombre des visiteurs ne servait d'ordinaire à mesurer son influence supposée sur l'opinion.

Selon les rapports des organisateurs, on avait comptabilisé en 193 jours, 33 489 000 entrées à l'Exposition et au parc zoologique. Or, ce parc, l'une des grandes réussites de l'Exposition, enregistra à lui seul 5 288 462 entrées à 2 francs, chiffre qu'il serait légitime pour notre propos de soustraire de celui des visiteurs de l'Exposition qui acquittaient 3 francs. En retenant cependant le total de 33 millions de tickets d'entrée (or il fallait présenter quatre tickets par personne le vendredi, un les autres jours) et en supposant pour un même visiteur une moyenne de quatre entrées (les tickets étaient vendus par quatre), les organisateurs estimaient à 8 millions le nombre des visiteurs différents, soit, pensaient-ils, 4 millions de Parisiens, 3 millions de provinciaux et 1 million d'étrangers.

Cette évaluation maximale (on trouverait 6 millions de Français en ne tenant pas compte des visiteurs du seul parc zoologique) permet du moins de mesurer les excès de plume des gazettes coloniales. L'une d'elles écrivait sans rire le 19 novembre 1931 que «trente-trois millions de Français avaient pris conscience de la France de cent millions d'habitants».

Le bilan moral de l'Exposition reste encore plus difficile à établir. Confortés par le succès d'affluence malgrémaroc un temps maussade, les officiels estimèrent dans un premier mouvement que le public français devait avoir été «séduit et instruit». Les Français ne pourraient désormais oublier qu'ils avaient un Empire. Celui-ci cesserait d'être une vague entité, un thème à discours ; il deviendrait «la plus magnifique des réalités». Les colonies ne seraient plus jamais cette terra incognita dont la presse n'entretenait ses lecteurs qu'à l'occasion de scandales. Après avoir respiré un peu de l'atmosphère coloniale, vécu «les heures de gloire de l'épopée coloniale» ; les Français seraient plus confiants dans la grandeur de la France. Dans les milieux gouvernementaux, on affirmait que le but avait été atteint : l'esprit colonial avait pénétré les masses populaires. André Tardieu, qui avait écrit dans L'Illustration de janvier 1931 : «Chez nous la conscience impériale est à naître», affirmait dix mois plus tard : «Elle est née. L'Exposition coloniale a été un triomphe, une leçon, une espérance.» Pour le ministre des Colonies, Paul Reynaud, la démonstration était faite : l'Empire français était devenu un bloc indivisible et les Français ressentaient l'honneur d'en être les citoyens. «La vieille France d'Europe et la jeune France d'outre-mer, commentait l'ancien ministre Léon Bérard, se sont peu à peu rapprochées malgré la distance, réciproquement pénétrées et mêlées et sont devenues inséparables.»

Certains enthousiastes affirmaient que «la France comme l'Angleterre, deux siècles avant nous, commençait à penser impérialement», oubliant au passage que le mot d'ordre : «Learn to think imperially» avait été formulé par Joseph Chamberlain en 1895. Le gouverneur général Olivier, qui fut, comme délégué général, le maître d'œuvre de l'Exposition, prétendait en novembre 1931 : «En six mois, l'idée coloniale a gagné plus de terrain qu'elle n'en avait gagné en cinquante ans.» Toutefois, il se corrigeait aussitôt : «Peut-on en déduire que, pénétré désormais de l'importance de ses colonies, le Français a enfin acquis ce sens impérial qu'on lui a tant reproché de ne pas avoir ? Je me garderai bien de l'affirmer, ce serait lui demander un bouleversement trop radical.»

 

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Du côté des écrivains, la réflexion sur l'Exposition fut courte, rarement critique, généralement indifférente à l'oeuvre républicaine. Marcel Prévost pensa bien à célébrer le «miracle» de ce qui avait été accompli entre «la défaite de 1871 et la victoire de 1914», mais, volontairement ou non, le mot République ne fut pas écrit par lui dans la Revue de France. Il s'attardait à noter la surprise de l'orgueil national : «Vous ne croyiez pas la France si grande», mais remarquait la dignité et la retenue de la fierté populaire. Paul Morand appelait joliment l'Exposition «cette clinique au but précis où l'on opère le peuple français de son indifférence coloniale», mais, prudent, il ne se prononçait pas sur les résultats de l'opération. L'écrivain colonial Pierre Mille ne s'y hasardait guère davantage : «Au lendemain de Vincennes, le Français ne saura pas où c'est, mais il saura que ça existe.»

À Paul Valéry, il semblait au contraire que «l'Exposition magnifiquement organisée avait produit une impression considérable dans le pays [...] Le plus grand nombre des Français n'avaient de leurs colonies qu'une idée vague sinon toute fausse, où il entrait de l'indifférence sinon quelque sentiment assez peu favorable. L'Exposition a mis la nation en présence de son œuvre. Elle lui a fait concevoir sa puissance et ses responsabilités». Mais Valéry feignait de croire que l'on avait proposé aux Français sous une forme pittoresque de réfléchir aux problèmes coloniaux, car «les problèmes ne manquent pas». Léon Blum se montra plus incisif; il aurait voulu «moins de festivités et de discours et plus d'intelligence humaine». Cette présentation des colonies dans un parc d'attractions lui paraissait même dangereuse parce que mensongère face à la réalité des insurrections et de la répression en Annam. S'il parla donc à plusieurs reprises de l'Exposition, ce fut surtout pour dissocier le parti socialiste des actions coloniales du passé et des politiques du présent.

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Quant aux réactions spontanées du petit peuple, avouons qu'elles nous échappent. Retenons pourtant que de nombreux visiteurs qui avaient employé le tutoiement vis-à-vis des marchands des souks furent vivement réprimandés par ceux auxquels ils s'adressaient. Ils se déclarèrent stupéfaits de cette agressivité. D'autres incidents éclatèrent entre des photographes amateurs et des colonisés ; ceux-ci protestèrent qu'ils n'étaient point des objets de curiosité. L'Expo révéla peut-être à certains badauds eux-mêmes la mort du Bon Sauvage.

Mais l'Exposition internationale visait aussi, on s'en souvient, à démontrer la justesse de la cause civilisatrice de l'Occident. Sur ce plan, le gouverneur général Olivier croyait que «l'Exposition avait réhabilité l'œuvre de l'Europe coloniale. Elle a mis ses élites en garde contre ceux qui lui conseillaient d'abdiquer sous prétexte que cette oeuvre fut mauvaise ou qu'elle est achevée». Telle était aussi l'opinion du publiciste et historien Lucien Romier : l'idéalisme populaire avait été rendu témoin et juge de l'effort de notre civilisation ; «l'élan de la foule a répondu : l'Exposition coloniale a restauré la noblesse de l'Europe».

Les militants de la cause coloniale furent, dans l'ensemble, moins satisfaits. Parce qu'ils avaient espéré que «la jeunesse française trouverait dans l'Exposition l'enseignement qui a manqué aux générations précédentes», ils expliquèrent, plus ou moins aimablement, qu'on avait trop sacrifié au pittoresque. L'Exposition n'avait pas été assez éducative. Dans La Dépêche coloniale, Rondet-Saint écrivait : «L'Exposition a été une apothéose certes, mais elle n'a pas revêtu dans son ensemble ce caractère d'enseignement, de leçons de choses qu'on eût aimé trouver en elle.» Pour le président de l'Association sciences-colonies, Messimy, «elle n'aura été qu'une feria colossale» si elle n'était partout continuée, si elle ne pénétrait pas tous les ordres d'enseignement.

Bientôt les augures du parti colonial se déclarèrent franchement déçus. Le secrétaire général de la plus puissante des associations coloniales privées, L'Union coloniale, affirmait en 1932, dans son rapport annuel, que «l'Exposition coloniale avec toutes ses merveilles qui reflétaient l'existence réelle de nos richesses d'outre-Mer a frappé l'imagination. Elle n'a point fixé dans les esprits l'importance capitale de notre Empire. La colonisation reste incomprise». Un économiste, du Vivier de Steel, personnalité importante du parti colonial, avouait à ses pairs : «Je dois dire qu'à mon sentiment, cette magnifique manifestation a plus instruit la masse populaire, naturellement sensible et vibrante, que l'élite française volontiers en défense contre les nouveautés de la politique coloniale». Celle-ci avait refusé de s'intéresser à la complexité des problèmes économiques et politiques soulevés par la colonisation. L'intelligentsia française, sommée de réfléchir aux conséquences possibles «d'une insurrection de l'Asie jaune ou de l'Afrique noire ou arabe», pressée de trouver des solutions politiques à l'hostilité latente des indigènes, était restée, selon lui, indifférente.

Telles étaient aussi - pourquoi l'a-t-on caché ? - les conclusions du maréchal Lyautey. Dans la préface qu'il donna en 1932 au rapport sur l'Exposition, Lyautey, qui avait parlé en novembre 193 1 du «succès inespéré» de l'Exposition, précisait que le succès n'était que matériel ; dans l'ordre colonial et social, il en allait autrement : «À un an de sa clôture, l'on est en mesure de constater que si l'Exposition a produit son maximum d'effet et atteint ses buts d'éducation vis-à-vis des masses et surtout de la jeunesse, elle n'a en rien modifié la mentalité des cerveaux adultes, ou ceux des gens en place qui n'étaient pas par avance convaincus.»

Aux élections de 1932, on vérifia que rien n'était changé : il n'y eut pas dix députés à parler des colonies dans leur profession de foi. Or, le silence sur la question coloniale faisait traditionnellement l'unanimité dans les consultations électorales. Tel était, selon J. Renaud, «le drame colonial» : la classe politique agissait comme si les colonies étaient chose négligeable ou encombrante et le public «n'avait gardé de l'exposition que le souvenir d'une belle image ou d'un somptueux feu d'artifice». En novembre 1933, la grande revue L'Afrique française formulait après enquête le diagnostic des coloniaux : «Après avoir été émerveillé du succès de l'apothéose coloniale de 1931, on est profondément déçu de la pauvreté de ses résultats sur l'opinion publique : tout reste à entreprendre pour faire l'éducation de ce pays qui a reconstitué un Empire et n'en a encore pris aucune conscience précise.» Le directeur de l'Ecole coloniale, Georges Hardy, contestait que «la moyenne des Français ait pris conscience de la solidarité qui lie la France à ses colonies» : «Avons-nous pris l'habitude de penser impérialement ? Assurément non.» Et l'ancien ministre Gabriel Hanotaux d'expliquer en 1935 que «l'opinion s'était en quelque sorte endormie sur le succès de l'Exposition coloniale». Enfin, les élections de 1936 confirmèrent ce que la Chronique coloniale appelait «l'indifférence populaire en matière coloniale».


Ainsi, dans les années 1932 à 1936, les caciques du parti colonial comme ses plus humbles publicistes, bien loin de se réjouir de la prétendue prise de conscience impériale des Français, ne cessèrent de soupirer, comme le faisait en 1934 La Quinzaine coloniale : «Hélas ! les masses n'ont pas encore compris !...»

Mais le souvenir des festivités de 1931 ne fut-il pas dans le long terme plus important que les coloniaux eux-mêmes ne l'avaient espéré ? On pourrait se demander, par exemple, si l'Exposition de 1931 provoqua des vocations coloniales ? Pour le savoir un sondage rétrospectif s'imposerait : il faudrait interroger par questionnaire un échantillon représentatif des divers milieux d'anciens coloniaux. L'historien américain

W.B. Cohen, qui eut le mérite de questionner quelque deux cent cinquante administrateurs formés par l'École nationale de la France d'outremer, pensa bien à leur demander les motifs de leur vocation. Mais il ne fournit dans sa thèse, Rulers of Empire, aucune réponse chiffrée. C'est donc sans en donner de preuves qu'il écrit que, l'Exposition ayant attiré «surtout des enfants des écoles [?]», «elle poussa bon nombre d'entre eux vers l'administration outre-mer [?]. Plusieurs de ceux qui entrèrent à l'École coloniale dans les armées trente croient que l'exposition de Vincennes a joué un rôle déterminant dans leur choix de carrière». Comme l'auteur reconnaît lui-même que les raisons qui poussaient les jeunes étudiants des années 1930 à entrer à l'École coloniale étaient nombreuses et leurs motivations semblables à celles des générations antérieures, il paraît de bonne méthode de ne pas conclure à l'«importance» de l'Exposition dans le choix de la carrière d'administrateur. Si le nombre des candidats à «Colo» augmenta brusquement à partir de 1929 et fut multiplié par neuf jusqu'en 1946, il est clair qu'on ne saurait rattacher à l'Exposition de 1931 un mouvement aussi continu.

Au-delà du petit monde des administrateurs des colonies, même s'ils furent «les vrais chefs de l'Empire» (R. Delavignette), est-il possible de déceler l'influence supposée de l'Exposition sur le public français ? Un des très rares sondages d'opinion réalisés par l'I.F.O.P. en 1939 permet de noter que 53 % des Français estimaient «aussi pénible de devoir céder un morceau de notre empire colonial qu'un morceau du territoire de la France» et que 43 % étaient d'un avis contraire. Or, parmi la majorité de Français attachés à l'Empire, les plus forts pourcentages se rencontraient «parmi les jeunes de moins de 30 ans» et ensuite parmi les personnes de plus de 60 ans. Au contraire, les personnes âgées de 30 à 50 ans éprouvaient le moins d'intérêt.

Ce sondage oppose donc nettement les générations qui eurent 20 ans entre 1909 et 1929 - années pendant lesquelles le parti colonial déplora le plus vivement l'indifférence de l'opinion vis-à-vis des colonies - et les générations nées après 1909 susceptibles d'avoir été influencées par les campagnes d'opinion des années 1930-1931 (et 1937-1938) et singulièrement par l'Exposition coloniale.

Toutefois, avant de conclure du seul sondage existant pour cette période à une relative adéquation entre la propagande coloniale et la popularité de l'idée coloniale, on prendra le temps de consulter des sondages postérieurs. Or, selon un sondage réalisé par l'I.N.S.E.E. en 1949, les Français les plus favorables à l'Empire étaient encore les jeunes de 21 ans à 35 ans, mais le pourcentage avait singulièrement augmenté : plus de 86 % d'entre eux pensaient que la France avait intérêt à avoir des territoires outre-mer contre 75 % pour les plus de 50 ans. Ce sondage, et d'autres, attestent donc que, contrairement à la légende, l'apogée de l'idée coloniale en France ne se situe nullement en 1931 (ou 1939) mais bien après la Seconde Guerre mondiale et que l'influence de «l'apothéose de Vincennes» ne saurait être tenue pour décisive.

Est-ce à dire que l'Exposition coloniale ne fut pas propice à la fixation d'un grand souvenir collectif, qu'elle n'ait point marqué la sensibilité d'une jeunesse qui la contempla avec admiration peut-être ou du moins curiosité, ou même qui ne l'ayant pas connue directement en entendit parler avec faveur dans le milieu familial ? C'est là une question difficile, celle de la naissance d'un mythe.

Remarquons d'abord que c'est après la fin de l'ère coloniale qu'a pris naissance ce mythe erroné de l'Exposition de 1931, lieu de mémoire de la République et apogée de l'idée coloniale républicaine. L'oubli, l'ignorance, la nostalgie voire, chez certains, l'habileté politicienne ont pu accréditer peu à peu cette fable.

D'abord le public a sans doute aujourd'hui l'impression que l'Exposition de 1931 fut la dernière de ces grandes manifestations pro-coloniales.

Ainsi se trouverait magnifié dans la mémoire collective le souvenir de l'Exposition de Vincennes. Et peu lui importerait que se soient tenus à Paris en 1933 le premier Salon de la France d'outre-mer, puis en 1935 l'Exposition du tricentenaire du rattachement des Antilles à la France et celle du quarantenaire de la conquête de Madagascar. Apparemment la mémoire collective aurait aussi oublié l'Exposition internationale de 1937 qui, elle, prit grand soin de célébrer «notre magnifique empire d'outre-mer objet de tant de convoitises». Mais qui se souvient des pavillons coloniaux édifiés dans l'île des Cygnes ? Combien de Parisiens eux-mêmes ont gardé souvenance de cette nouvelle exposition coloniale de 1937 ou de celles montées pendant la nuit de l'occupation à la gloire des «Pionniers et explorateurs coloniaux» ou de «Cent Cinquante Ans de littérature coloniale» ? Face à ces oublis massifs, comment s'étonner que la mémoire collective ait privilégié, amplifié, transmuté cet événement, relativement mineur, l'Exposition coloniale de 1931. Mais encore faudrait-il être sûr de la réalité de cette amplification dans le souvenir collectif.

L'ignorance des évolutions et des retards de notre opinion publique, qui ne découvrit le monde qu'après 1944 comme elle avait tardivement découvert l'Europe après 1918, semble a priori plus étonnante. On croirait volontiers aujourd'hui que la France est entrée dans l'ère des sondages en même temps que les États-Unis du Dr Gallup. Or, il n'en est rien et, jusqu'en ces dernières années, il était de bon ton dans le monde des littéraires de faire fi des «Gallups» et de moquer la «sondomanie». Il suffit de se référer aux débats de l'Assemblée de l'Union française pour vérifier à quelle date cette assemblée de spécialistes commença à se préoccuper de connaître l'opinion réelle des Français sur les pays d'outre-mer. Choqués par l'indifférence dans laquelle leur Assemblée travaillait, quelques conseillers eurent enfin l'idée en novembre 1949 d'inviter le gouvernement à organiser une enquête sur «les connaissances et l'opinion des Français en ce qui concernait les pays et les problèmes d'outre-mer». Ils ne furent d'ailleurs pas entendus. Or le Gallup Pol1 fournissait régulièrement aux U.S.A. ce type d'informations depuis quinze ans. Il faudra attendre la guerre d'Algérie pour qu'on jugeât nécessaire, au moins dans la classe politique, de se tenir informé des sentiments de l'opinion profonde. Mais il restait possible d'accréditer des mythes parfaitement erronés. Ainsi la vague prétendue de nationalisme chauvin qui aurait porté l'action du gouvernement de Guy Mollet, le «national-mollétisme», cette mirifique invention dont Alexander Werth persuada la presse parisienne contre l'évidence des sondages.

Le Musée des Colonies

 

Il en alla de même lorsque, dans les armées qui suivirent la décolonisation, divers publicistes voulurent célébrer le temps heureux des colonies et aviver la nostalgie d'un passé colonial triomphal. Presque tous se retrouvèrent pour fixer au centenaire de l'Algérie ou à l'année de l'Exposition coloniale l'«acmé» de la conscience impériale.

Chez certains le choix n'était sans doute pas innocent d'arrière-pensées politiciennes. En situant l'apogée de la mentalité impériale sous la IIIe République, ne tentaient-ils pas une manœuvre de diversion ? Ainsi seraient peut-être oubliés le refus de Vichy de continuer la lutte outre-mer, l'espoir mis par le peuple français dans les colonies de la France libre et la geste de l'Empire finalement rassemblé à l'appel du général de Gaulle. Aussi bien n'expliquèrent-ils pas comment les représentants de ce peuple fiançais vibrant dans les années trente d'enthousiasme impérial prétendu purent accepter en 1940 un armistice conclu sans que fût même consulté l'Empire français. Chez quelques auteurs de filiation maurrassienne, cela permettait enfin d'occulter et le rétablissement de la République par les «dissidents» venus de l'Empire et la reconnaissance du peuple français envers ces pays qu'on n'oserait plus appeler «colonies».

S'il fait pourtant abstraction de ces intentions inavouées, comme des polémiques ouvertes contre la IVe République puis contre de Gaulle «bradeur d'Empire», l'historien peut bien sûr accorder une part de vérité à la thèse de ces auteurs. Oui, comme le suggérait Lyautey, la jeunesse française avait pu être impressionnée, plus ou moins durablement, par la feria de Vincennes. Mais, d'après le témoignage même de tous les mentors du parti colonial, l'historien doit répéter que l'Exposition de 1931 a échoué à constituer une mentalité coloniale : elle n'a point imprégné durablement la mémoire collective ou l'imaginaire social des Français. Certes, pour quelques Français de petite bourgeoisie traditionaliste, fils d'officiers ou de fonctionnaires, l'image de l'Empire a pu rester liée partiellement au souvenir des festivités de 1931. Mais cette Exposition rejetée et combattue par la gauche socialiste et communiste, minimisée ou dédaignée par la bourgeoisie libérale, vite oubliée par le peuple, ressuscitée enfin comme mythe compensateur par la droite nationaliste, ne saurait être désignée comme un mémorial de la République.

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Lamine Guèye

S'il fallait indiquer la date exacte où l'œuvre coloniale de la France républicaine parut s'accomplir dans la fidélité à son idéal égalitaire de toujours, ce serait le 25 avril 1946 qu'on devrait désigner. Ce jour-là, l'Assemblée constituante, en accordant à l'unanimité, sur la proposition d'un député noir du Sénégal, Me Lamine Guèye, la qualité de citoyens à tous les ressortissants des territoires d'outre-mer, donna satisfaction à l'aspiration profonde de la politique coloniale de la République : l'égalité dans la famille française. Ce jour-là aussi - ou le 7 mai 1946, date de promulgation de la loi Lamine Guèye - les Français apprirent qu'il n'y avait plus que des Français dans les territoires de l'ancien Empire colonial. «Demain, avait écrit en juillet 1945 le directeur de l'École coloniale, nous serons tous indigènes d'une même Union française.» Un an plus tard, tous en étaient les citoyens.

«La République n'entend plus faire de distinction dans la famille humaine», avaient proclamé les hommes de 1848. Cet article de foi de l'Évangile républicain, qui représenta longtemps une grande espérance pour beaucoup de colonisés, les constituants de 1946 tinrent à honneur de le traduire dans la réalité. Or 63 % des Français (contre 22 % d'un avis contraire) interrogés par sondage en mars 1946 s'étaient prononcés à l'avance pour qu'on accordât «aux populations des colonies françaises les mêmes droits qu'aux citoyens français».
Ceux qui célèbrent dans l'Exposition coloniale de 1931 un mémorial républicain ont en réalité cédé à une nostalgie triomphaliste. Ceux qui voudraient choisir le vote historique du 25 avril 1946 rendraient hommage non seulement à Lamine Guèye mais à ses inspirateurs, à Victor Schoelcher et à l'abbé Grégoire, et surtout à l'effort de générosité des trois Républiques.

Charles-Robert Ageron
in Les lieux de mémoire. La République (dir. Pierre Nora) (1984),
éd. "Quarto" Gallimard, 1997, p. 493-515

 

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* sur C.-R. Ageron : le texte de Daniel Rivet, Charles-Robert Ageron : historien de l'Algérie coloniale

* iconographie (partielle)

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21 octobre 2007

Le "Tata" sénégalais de Chasselay dans le Rhône (film de Patrice Robin)

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 le Tata (1992 ), un film censuré

par "la télé"

de Patrice ROBIN et Evelyne BERRUEZO

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- fiche technique du film "Le Tata"

- Le tata (Les tirailleurs sénégalais)
de Patrice Robin et Evelyne Berruezo. Fr. 1992. / h 00.
En juin 1940, durant la seconde guerre mondiale, des tirailleurs sénégalais résistent à l'ennemi nazi. L'affrontement dure deux jours. La réaction des Allemands, vainqueurs, est terrible de fureur et de sauvagerie. Aujourd'hui, un cimetière africain, un tata, érigé en pleine campagne fran­çaise, témoigne de cette lutte. 50 ans après, les témoins du drame se sou­viennent... “En se concentrant sur la seule parole des survivants, ce docu­mentaire magnifie une culture que la télévision de jadis partageait avec l'Afrique éternelle : la tradition orale et son faramineux pouvoir d'évoca­tion." (Télérama)

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Tirailleurs sénégalais à l'exercice, Beni Ounif (Algérie)

 

-  Le Tata (1992 - France - 60') Un film, censuré par "la télé", présenté par ses auteurs-réalisateurs, Evelyne Berruezo et Patrice Robin.

L'histoire incroyable d'un cimetière africain, un tata, érigé en pleine campagne française nous replonge dans la Seconde Guerre mondiale.
«Il y a le "massage de la mémoire", auquel se livre la plupart des documentaires sur le dernier conflit mondial, et le "travail de mémoire" qui prend tout son sens quand il ne se contente pas d'enfoncer des portes ouvertes. C'est précisément le cas de cet exercice en micro-histoire. La caméra tourne autour d'un cimetière militaire d'architecture sénégalo-malienne, planté dans un champ de maïs à Chasselay, au nord de Lyon, tel un décor d'exposition coloniale. Petit à petit, les récits de quelques témoins de la région nous font revivre, par bribes, la résistance héroïque de la 3e compagnie du 25e régiment de Tirailleurs Sénégalais qui, les 19 et 20 juin 1940, tint tête à l'armée allemande pour maintenir coûte que coût la ligne de défense française et limiter les dégâts dus à l'armistice. La bataille perdue, les prisonniers blancs auront la vie sauve, tandis que les Noirs seront liquidés par les SS, faisant brutalement les frais du racisme hitlérien.
Il existe des archives montrant, du côté français, le paternalisme amusé (dans le meilleur des cas) du regard porté sur ces tirailleurs et, du côté allemand, un dégoût scélérat vis-à-vis de tels "barbares". Mais ce documentaire n'en fait pas usage, et c'est tant mieux. En se concentrant sur la seule parole des survivants, il magnifie une culture évanouie que la télévision de jadis partageait avec l'Afrique éternelle : la tradition orale et son faramineux pouvoir d'évocation.» Antoine Perraud, in Histoire de DOCS. (source)

TS_39_40Tirailleurs sénégalais, guerre 1939-1945,
illustration Edmond Lajoux

- En juin 1940, à Chasselay (Rhône), un régiment de tirailleurs sénégalais résiste héroïquement pendant deux jours à une colonne allemande. En vain. Les SS laissent la vie sauve aux prisonniers blancs et fusillent tous les soldats noirs. Que reste t-il de cet épisode sanglant ? Un cimetière militaire en pleine campagne française, le Tata, "enceinte de terre sacrée où sont inhumés les guerriers morts pour leur pays".
Un long travail a été nécessaire pour recueillir les témoignages, faire resurgir des émotions... Le documentaire de Patrice Robin et Eveline Berruezo, Le Tata (1990), a été montré dans quelques festivals mais est resté censuré depuis quinze ans sur les chaînes publiques françaises. Il est programmé par le festival "Les Soldats noirs dans les guerres françaises", du 13 au 19 avril [2005], au cinéma Images d'ailleurs à Paris (le 13 à 22 h 15, le 17 à 14 heures, le 18 à 19 heures).

Le Monde, 13 avril 2005

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ce qui s'est passé à Chasselay

Du 19 au 20 juin 1940, à Chasselay, l'armée Française et ses troupes coloniales Sénégalaises, à 1 contre 100, ont retardé l'entrée des troupes allemandes dans Lyon, déclarée "ville ouverte", le 18 juin 1940.

Non prévenue par l'armée, la défense s'organise, le 17 juin à Chasselay. Des barricades sont dressées, grâce aux soldats du 405° R.A.D.C.A. de Sathonay et du 25° régiment R.T.S de tirailleurs Sénégalais et aussi à l'aide de civils.

N'ayant rencontré que très peu de résistance depuis Dijon, les Allemands arrivent le 19 juin 1940, à Montluzin. Durs et violents combats entre les Allemands et les troupes Françaises et Sénégalaises. Bilan : 51 morts dont une civile du côté français, et plus de 40 blessés pour les Allemands.

Le 20 juin 1940, à l'issue d'une deuxième bataille, au château du Plantin, les prisonniers (environ 70), furent divisés en deux groupes, d'un côté les soldats Français blancs et de l'autre les Sénégalais noirs.        

Après avoir parcouru, deux kilomètres à pied, les soldats Français couchés dans l'herbe, le long d'un pré, assistèrent au massacre des soldats Sénégalais par des mitrailleuses et pour certains écrasés par des chars d'assaut Allemands. Les Français furent emprisonnés à Lyon. Les habitants de Chasselay, horrifiés par le massacre, enterrèrent les corps des Sénégalais dans un cimetière, inauguré le 8 novembre 1942.

À Chasselay, dans le lieu dit " vide-sac", reposent 188 tirailleurs sénégalais morts en juin 1940. En sénégalais, "Tata", signifie "enceinte de terre sacrée", où l'on enterre les guerriers morts au combat. Toutes les années, à Chasselay, a lieu une cérémonie officielle, où sont présents des représentants Sénégalais et Français.

source : site de la mairie de Chasselay

 

liens

- le souvenir des tirailleurs sénégalais en région lyonnaise, général François Lescel (site F.A.R.A.C.)

- le "Tata" rituel de Chasselay sur le site histoire-genealogie.com/

- le massacre des tirailleurs sénégalais en mai-juin 1940 (Raffael Scheck)

 

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L’endroit précis où a été interceptée la tête de colonne du Régiment
Grossdeuschland, le 19 juin 1940 à 9 h 30. Au second plan,
à 200 mètres, le point d’appui du couvent (source : photo F. Lescel)

 

 

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15 novembre 2007

bilan chiffré des victimes de la colonisation en Afrique

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bilan chiffré des victimes

de la colonisation en Afrique ?

 

bilan ?
je recherche en vain sur internet un bilan chiffré des victimes de la colonisation en Afrique et notamment des répressions
comme il existe par exemple un bilan des guerres en Europe
ce renseignement existe-t-il?
merci de me répondre

Posté par LE HERISSE, jeudi 15 novembre 2007 à 08:59

 

 

réponse

Qu'appelle-t-on "victimes de la colonisation" ? S'il s'agit du bilan des résistances et répressions [ci-contre, Samory Touré], il n'existe pas d'estimations globales, à ma connaissance... Catherine Coquery-Vidrovitch avance dans Le livre noir du colonialisme (éd. "Pluriel" Hachette, 2004, p. 748-755) l'idée, partagée avec d'autres spécialistes,  que : "ce ne sont pas les guerres de conquête de la fin du XIXe siècle qui firent le plus de victimes. Ellessamory_toure_buste2 furent, sauf exception, courtes : la disproportion des moyens techniques mis en oeuvre fit que les pouvoirs africains résistèrent peu de temps."

Ainsi, dans son livre Le partage de l'Afrique, 1880-1914 (Denoël, 1996, p. 338-339), l'historien néerlandais Henri Wesseling évoque-t-il l'affrontement entre les mahdistes du Soudan et les troupes anglaises de Kitchener : celui ci "arriva à Omdourman, la banlieue occidentale de Khartoum. Le 2 septembre 1898, au lever du jour, la bataille s'engagea. À 11 heures 30, Kitchener rangea ses jumelles de campagne et constata que «l'ennemi avait pris une bonne raclée». Il ne se trompait pas. Dans le camp mahdiste, on dénombra 11 000 tués et 16 000 blessés. Quant à l'armée anglo-égyptienne, elle n'eut à déplorer que 48 morts et 382 blessés. Les fusils automatiques avaient une fois de plus prouvé leur utilité".

les effets induits de la colonisation

Si ce ne furent pas les guerres coloniales qui firent le plus de victimes, Catherine Coquery-Vidrovitch ajoute : "Mais il n'en alla pas de même des effets induits de la colonisation."

Il faudrait alors parler des pertes démographiques se rapportant à la période de conquête militaire et de domination coloniale, sans que les imputations causales soient évidentes à identifier.

La même auteure explique donc : "D'abord, la colonisation zanzibarite, puis la pénétration européenne massive du XIXe siècle et de la première phase coloniale firent des ravages, dus en majeure partie à l'expansion incontrôlable de grandes endémies : peste bovine introduite à la fin des années 1880, introduction probable et diffusion certaine des maladies vénériennes, expansion majeure de la maladie du sommeil, jusque'alors relativement circonscrite.(...)
Pour la fin du XIXe siècle, on a maintenant assez bien étudié le cycle infernal de la correspondance
cows_for_ibar sécheresse/famine/épizootie/épidémie qui s'attaqua à des populations fragiles, incapables de supporter un double choc, celui de la conquête en même temps qu'un cycle de sécheresses exceptionnelles à partir des années 1880-1890. En Afrique orientale, les périodes 1881-1896, puis 1899-1923 furent toutes deux caractérisées par des épidémies répétées et meutrières de choléra (dont le foyer de diffusion fut plutôt les grands rassemblements de pélerins à La Mecque). La peste bovine, sortie des steppes russes dans les années 1860, toucha d'abord l'Égypte, puis gagna le Soudan occidental en 1865. C'est surtout au début des années 1880 que du bétail infecté fut importé par les Européens en Érythrée à la fois de Russie et d'Inde. À partir de 1889, l'épizootie décima périodiquement le cheptel d'Afrique orientale et australe. En 1896, elle avait atteint la province du Cap en Afrique du Sud. (...)

D'autres maladies, comme la variole importée d'Inde et, localement, les maladies vénériennes, sans doute apportées par les Arabes, ont connu leur expnsion maximale avec le début de la pénétration coloniale : la variole, décelée au XVIIIe siècle, connut ses plus grands ravages en 1885, 1891, 1895, 1898 et 1900. Les maladies vénériennes se généralisèrent en Afrique francophone après la Première Guerre mondiale avec le retour des quelque 160 000 mobilisés. Elles furent de la même façon repérées à Nairobi à partir de 1914.

Certes, les phases de grande sécheresse climatique avaient toujours joué un rôle important, et le fléau acridien était aussi une donnée récurrente des crises de subsistance au Sahel. Mais, par son intrusion brutale, la colonisation eut une responsabilité indéniable en amont - dans la rupture de l'équilibre hommes/ressources ou bétail/ressources -, et en aval, par des incidences démographiques que l'on peut schématiser de la façon suivante : morbidité et mortalité accentuées dans la première moitié du siècle,DAFANCAOM01_30FI071N079_P paupérisation et migration vers les villes ensuite. (...)

L'essor démographique.
Celui-ci a été tardif et est, évidemment, redevable à la politique coloniale. Après la guerre, en effet, les équipements sanitaires furent largement améliorés et accompagnés d'investissements économiques (Fides, plan de Constantine) qui, aussi maladroits fussent-ils souvent, contribuèrent dans l'ensemble à améliorer le niveau de vie des populations. La politique sanitaire préventive, devenue la règle, fit brutalement baisser la mortalité infantile, jusqu'alors de plus de 250‰ à moins de 100‰, résultat quasi automatique des campagnes de vaccination. (...)
Il est donc hors de question d'accuser, après la Seconde Guerre mondiale, la colonisation de méfaits démographiques. Les efforts entrepris sont indéniables.
"

Au sujet des débuts de la période coloniale, le britannique, John IliffeIliffe, professeur d'histoire africaine à l'université de Cambridge [ci-contre], semble plus balancé dans ses considérations :
- "L'Afrique des débuts de la colonisation ne subit pas de catastrophe démographique globale d'une ampleur comparable à celles provoquées en Amérique latine et dans le Pacifique par la conquête et l'arrivée de maladies nouvelles. Les Africains s'étaient déjà adaptés à leur environnement, un de splus hostiles de la planète ; de surcroît, comme ils appartenaient aux populations de l'Ancien Monde, ils avaient déjà, à l'instar des Asiatiques, développé une certaine résistance aux maladies d'origine européenne. La variole, par exemple, fut sans doute plus destructrice en Afrique occidentale pendant la traite. Pourtant certaines régions avaient eu des contacts moindres, tandis que d'autres étaient particulièrement vulnérables en raison de la nature de leur environnement ou de l'invasion coloniale. Une telle diversité entraîna aux premiers temps de la colonisation une crise démographique, mais comme en sourdine : les peuples africains survécurent uneIliffe_couv fois de plus.

«Guerres, sécheresse, famine, épidémies, criquets, peste bovine ! Pourquoi tant de calamités successives ? Pourquoi ?» Le missionnaire François Coillard exprimait ainsi au Bulozi, en 1896, une angoisse très répandue. En elle-même, la conquête militaire ne fut sans doute pas la plus mortelle, mais elle eut, dans certaines régions, des effets dévastateurs.

Les vingt et un ans de guerre sintermittentes à l'issue desquelles les Italiens conquirent la Libye y tuèrent près d'un tiers de la population. En 1904, les Allemands réprimèrent une révolte de Herrero, dans l'Afrique du Sud-ouest, en les chassant dans le désert d'Omaheke ; un recensement de 1911 montre que seulement 15 130 d'entre eux (sur 80 000) avaient survécu. La répression, et la famine, qui vinrent à bout de la rébellion maji maji tuèrent non seulement près d'un tiers de la population dans la région, mais «réduisirent de plus de 25% la fécondité des femmes qui avaient survécu», selon une étude entreprise trente ans plus tard. En Afrique orientale, les combats entre Britanniques, Belges, Allemands et Portugais pendant la Première Guerre mondiale, eurent des effets tout aussi catastrophiques : le taux de mortalité fut effrayant chez les hommes de troupes africains - plus de 100 000 -, et le million de porteurs et de travailleurs, victimes de la maladie et de l'épuisement.

Ce furent des hécatombes exceptionnelles, mais elles montrent que la violence coloniale pouvait avoir des effets importants sur la démographie, bien que par ailleurs la conquête ait également mis un terme à de nombreuses violences locales. (...) À l'échelle du continent, la violence fut moins destructrice que la famine. Dans toute la savane tropicale, les pluies abondantes du milieu du XIXe siècle, diminuèrent durant les années 1880 : il s'ensuivit quarante ans de relative aridité avant qu'elles ne reprennent dans les années 1920. (...)

Les données démographiques fiables sont rares, mais la période qui suivit la conquête fut sans doute la plus destructrice en Afrique équatoriale, où violences, famines, variole, maladie du sommeil, maladies vénériennes et grippe survinrent en même temps. (...)

On ne sait trop si, des années 1880 aux années 1920,  la population totale de l'Afrique augmenta ou déclina : il ne fait aucun doute en tout cas que son évolution fut sans uniformité. Lui en donner une fut l'une des plus importantes conséquences de la domination coloniale" (John Iliffe, Les Africains, histoire d'un continent, éd. Champs-Flammarion, 2003, p. 295-300).

Le collectif d'auteurs qui a rédigé l'Histoire générale de l'Afrique publiée par l'Unesco en 1989, fait une large place aux résistances à la conquête coloniale. Mais à aucun moment on ne trouve de bilan chiffré des victimes de cette conquête. Au terme du volume VII, L'Afrique sous domination coloniale, 1880-1935, est formulée cette conclusion concernant l'héritage du colonialisme sur le plan social : "Le premier effet bénéfique important a été l'accroissement général de la population africaine au cours de la période coloniale. Caldwell a montré que cet accroissement s'était élevé à 37,5% environ, après un déclin initial de la population pendant les deux ou trois premières décennies de domination européenne" (p. 525).

Michel Renard

 

 

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