
une biographie non partisane de Robert Lacoste
Maurice FAIVRE
- Pierre Brana et Joëlle Dusseau, Robert Lacoste (1898-1989). De la Dordogne à l’Algérie. Un socialiste devant l’histoire, L’Harmattan, 2010, 317 pages dont 15 de photos, 25 €.
Dans le cadre de la Fondation Jean Jaurès et de l’Office universitaire de recherche socialiste, ces deux auteurs retracent le parcours de Robert Lacoste, antimunichois et antifasciste, permanent syndical en Dordogne avant de s’engager dans la Résistance politique, et de faire partie du Comité des experts de Jean Moulin, devenu le Comité général d’études.
Son père est fusillé par les Allemands en mars 1944. Limogé de l’administration en juillet 1942, Lacoste devient en mai 1944 Délégué provisoire puis Ministre de la production industrielle ; il applique à reculons les nationalisations des ressources énergétiques. Remplacé en novembre 1945 par Marcel Paul, il est élu député et préside la Commission des Finances de l’Assemblée et le Conseil général de Dordogne ; inscrit à la SFIO, il s’oppose aux communistes et aux gaullistes ; il se prononce pour la réduction des crédits militaires.
politique de fermeté
Après son échec lors de la journée des tomates d’Alger, Guy Mollet le nomme le 9 février 1956 ministre résidant en Algérie. Décidé à combattre les colons («je les aurai»), il est cependant fasciné par son compatriote Bugeaud et reconnaît «tout ce que la France a fait en Algérie». Il veut faire de l’Algérie un État démocratique multiracial ; ferme dans la répression des nationalistes et des communistes, il décide l’exécution des terroristes, et crée les centres d’assignation à résidence ; il approuve les zones de pacification et d’opérations du général Beaufre, qui justifient les regroupements de population . En même temps, il appuie les «perspectives décennales de développement économique», bases du futur plan de Constantine, proposées par des planificateurs compétents (Maspetiol, Bouakouir, Tixier) et récupère 100.000 hectares pour la réforme agraire de la CAPER.
Cette politique de fermeté, favorisée par les pouvoirs spéciaux, suscite l’opposition des intellectuels, y compris au sein de la SFIO. Se basant sur des rapports du CICR, du Commissaire Mairey, de Beuve-Méry, et sur un rapport (mal interprété) de la Commission de Sauvegarde, les critiques lui reprochent de «couvrir l’armée» et estiment que Lacoste ne pouvait pas ignorer la pratique de la torture. À l’inverse la Commission Provo fait confiance à l’armée et le Comité international de David Rousset dément l’existence d’un régime concentrationnaire en Algérie.
Lacoste est un battant. Yves Guéna le voit en patriote, quelque peu colonialiste, la tête à gauche et le cœur à droite. Il riposte aux critiques en révèlant les «aspects véritables de la rébellion». Pour lui, il faut faire la guerre de 1957 ; une révolution se combat par une autre révolution, par la fondation d’une Algérie nouvelle, sans purification ethnique. La Loi-cadre votée au deuxième tour en novembre 1957 établit le collège unique, favorise la promotion des musulmans, crée 1100 communes de plein exercice et prépare le passage à l’indépendance.
Lacoste quitte Alger trois jours avant le 13 mai 1958 en exprimant la crainte d’un Dien Bien Phu diplomatique ; il observe le noyautage des cadres pratiqué par les gaullistes Delbecque et Neuwirth ; il prend contact avec le Comité de Vincennes sans y adhérer, signe en novembre 1960 un manifeste pour le maintien de l’Algérie, et témoigne en 1962 au procès du général Salan. Le gaulliste de 1940 déclare en 1980 : «j’ai compris que de Gaulle se servait trop du mensonge pour monter ses coups».
Réélu député, conseiller général puis sénateur, Robert Lacoste reste le maître de la Dordogne jusqu’à sa mort. Ses obsèques religieux attirent peu de responsables politiques. Cette biographie détaillée, honnête et non partisane, s’appuie sur les débats internes au parti socialiste, sur la presse et sur une bibliographie sélective. Elle reproduit cependant quelques interprétations partiales et de rares données inexactes.
Maurice Faivre
25 mai 2011

Observations critiques.
- p. 216. les DOP ne sont pas mis en place par Salan, mais par Ely en août 1956,
- p. 222. il n’y a pas eu 100 morts au Khroubs le 22 mars 1956 (confusion probable avec le 20 août – Réf. "Mémoires d’un appelé" de Pierre Brana).
- p. 250. les 3.000 disparus de Teitgen sont mis en doute par G.Pervillé, et réfutés par Godard.
- p. 253. l’analyse des 400 rapports du CICR contredisent la généralisation de la torture ; la Commission de Sauvegarde Béteille conclut qu’on se trouve en présence d’actes perpétrés sporadiquement par des individus, en dépit des consignes qui les interdisaient, et que des sanctions ont été prises.
- p. 251 et 254. la loi-cadre de novembre 1957 aurait mérité une analyse approfondie ; un manuscrit inédit du colonel Schoen l’interprète comme une politique d’association avec une Algérie autonome ; Salan, qui l’avait approuvée, semble l’avoir oubliée ; elle aurait mérité d’être reprise par le projet gaulliste d’association.
- p. 256. les 69 morts dont 21 enfants de Sakiet Sidi Youssef sont déclarés par Bourguiba, mais démentis par le 2ème Bureau.
- p. 256. en janvier 1958, le général Ely approuve le principe d’une riposte automatique en Tunisie (dans les 3 heures suivant l’incident). Il est douteux qu’il n’ait pas l’accord du gouvernement (Réf. Fonds privé 1K 233).
- fautes de frappe : p. 204, divisions parachutistes, p. 255 : rébellion et non répression.