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études-coloniales
5 septembre 2011

Expériences contrastées des soldats en Algérie

9782862609324FS 

 

témoignages de soldats en Algérie

général Maurice FAIVRE

 

- Jean-Charles Jauffret, Soldats en Algérie. 1954-1962. Expériences contrastées des hommes du contingent, Edition Autrement, revue et augmentée, 2011, 383 pages, 55 photos, 25 €.

La première édition avait été recensée par le Cercle des combattants d’AFN en 2001 (1), qui avait souligné  l’intérêt d’une analyse de quelques 430 témoignages traitant des manifestations des rappelés en 1955-56, de la disponibilité des hommes du rang, de la distinction entre réserves générales et troupes de Secteurs, de la compétence des officiers et sous-officiers de réserve, de la solidarité des soldats, des conditions de vie en poste (initialement précaires), de certaines incohérences administratives, de la modernisation des systèmes d’armes (hélicoptères et guerre électronique), de l’efficacité des évacuations sanitaires et de l’acheminement du courrier, des méthodes de pacification  (5ème Bureau, AMG, regroupements, scolarisation), de la confiance accordée aux officiers  (favorable à 78%), du volontariat de nombreux musulmans, des pertes militaires après Evian.

La nouvelle édition tient compte de nouveaux témoignages, portés à 800, des ouvrages et des films diffusés depuis 2000, des débats en cours sur les victimes des irradiations nucléaires et sur la politique de la mémoire (Fondation, mémoriaux, loi de 2005, date de commémoration). Les cadres d’active sont cependant peu sollicités.

L’exploitation des témoignages recueillis, plus de 20 ans après les faits, pose un problème de méthodologie que l’auteur n’occulte pas quand il les décrit contrastés, parfois contradictoires et déformés par le temps (p.113). Il en est ainsi des jugements portés sur les fautes de la IVème République et du Haut Commandement, sur la gabegie des effectifs, sur la finalité du conflit, sur la nébuleuse de la contre-révolution. Sur ces sujets, les directives militaires (Ely, Challe, Olié, Trinquier) et les projets des politiques (Soustelle, Lacoste, Delouvrier, Debré) apportent des réponses qui méritent la discussion. Quant à la démoralisation des soldats, on peut comprendre ceux qui déclarent qu’ils ont perdu le temps  de leur jeunesse. Qui peut se réjouir d’avoir participé à une guerre perdue, alors qu’il a cru pouvoir la  gagner ?

soldats

 

La pertinence des témoins ne peut être reconnue que s’ils sont vérifiés par d’autres (c’est la règle du recoupement des 2èmes Bureaux). Jean Pouget applique cette régle en interrogeant ses subordonnés (p. 181). D’autres témoignages ont été ainsi confirmés ou infirmés au moment des faits. Mais la confrontation des témoins aurait dû s’imposer dans les cas suivants :

- Rocard contredit par Delouvrier, de Planhol, Olié, Bugnicourt et Adjoul

- R.Branche nuancée par la Commission de Sauvegarde du droit et le CICR (2)

- Mauss-Copeaux critiquée par Gilbert Meynier et Roger Vétillard ; Lacoste-Dujardin par Jacques Frémeaux et Vincent Joly ; Bollardière par Allard, Salan et Ely ;  PH Simon par Robert Lacoste, Beaufre, Ely, Debré, Challe ; Favrelière par son capitaine Bôle du Chaumont ; le photographe Garanger par son chef de corps de Mollans,

- Lacheroy réhabilité par la biographie de Paul Villatoux ,

- l’aumônier Peninou  à confronter au Père Casta… etc…

Il faut refuser enfin, comme contraires à l’histoire vécue, des fictions qui prétendent présenter la réalité. Ainsi en est-il, entre autres, des films de Rotman-Siri, de Mehdi Charef , Alain Tasma ou Laurent Herbier.

Ces réserves (3) dites, le livre de JC Jauffret mérite d’être lu et étudié pour son exposé détaillé des expériences des hommes du contingent.

Maurice Faivre
le 4 septembre 2011



1 - Mémoire  et vérité des combattants d’AFN, L’Harmattan, 2001, page 87.
2 - M.Faivre. Conflits d’autorité durant la guerre d’Algérie, L’Harmattan 2004, p. 123.
3 - Certains témoignages appellent la contestation, ou éventuellement des vérifications en archives :
- la participation de la 7ème DMR à l’opération Djenad (p.120)
- l’absentéisme des officiers (p. 255)
- la guerre d’extermination en 1957( p. 298, démenti par Med Harbi)
- le décès à la suite d’une brimade (p. 53)
- les chefs de poste croulant sous la paperasse (p. 105)
- les DOP créés en 1957 (1956 selon Ely)
- les mechtas détruites au napalm (p. 342, étaient-elles occupées ?)
- le contrôle des populations par les SAU qui s’inspirent des nazis et des soviétiques (p.186),
- le ralliement au putsch de la Base de Télergma (p. 134)
- les dégroupements en 1961-62 (p. 274, en réalité un échec)
- la pratique courante des viols selon Mouloud Feraoun (p. 304).

9782862609324FS


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4 septembre 2011

"Un sujet français", d'Ali Magoudi

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l'autopsie d'un silence paternel

Michel RENARD


Un sujet français
(Albin Michel, août 2011) est le dernier livre d'Ali Magoudi, psychanalyste connu, né à Paris en 1948, d'un père algérien et d'une mère catholique polonaise. Passionnant par son acharnement à découvrir l'itinéraire des "gens de rien" et par ses réactions face aux incroyables découvertes généalogiques qu'il met à jour...!

C'est le récit dense, d'un acharnement à retrouver l'histoire de son père, Abdelkader Magoudi, qui lui disait, petit : "ma vie est un véritable roman, quand tu seras grand je te la raconterai et tu l'écriras", mais qui ne l'a jamais fait... "J'avais à réaliser l'autopsie du silence paternel" (p. 59). Tenace.
Jusqu'à imaginer des dialogues post-mortem : "Cesse de me regarder avec tes yeux d'enfant, la vie adulte nest pas innocente. Cesse de me juger avec ton intelligence de docteur, insensible à la honte qui m'a tant fait boire. Si tu es qui tu es, tu me le dois, ne l'oublie jamais !" (p. 207).

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Ali Magoudi

Une investigation forcenée dans de multiples centres d'archives et auprès de témoins nombreux, en Pologne et en Algérie... Une véritable leçon de méthodologie pour tout chercheur en histoire. Ali Magoudi tente toutes les pistes, n'hésite pas à dépouiller des milliers de fiches et de feuillets d'archives, à interroger savamment les témoins, à rebondir d'un indice à l'autre, à débusquer les chausses-trappes de la mémoire archivée, à flairer la mythologie de la mémoire orale. Il éprouve le plaisir du chercheur perdu dans les cartons d'archives ouverts les uns après les autres : "la vie de rat de bibliothèque offre une jouissance rare, celle de s'extraire du temps présent, crise économique mondiale y compris" (p. 287).

le sens d'un titre

Le "sujet français" revêt au moins trois sens possibles :
1) son père, sujet et non citoyen français dans l'Algérie coloniale (jusqu'en 1962)
2) le statut de l'auteur lui-même : sujet d'une généaologie dont il cherche à démêler les silences et les leurres.
3) le statut de ce récit comme un sujet de l'histoire de France, de l'identité française et de ses contournements/contradictions.

Prenant, captivant...! Et plein de questions sur la quête du père, bien sûr. Ali Magoudi, longtemps, n'en voulut rien savoir. Mais "la question du silence du père concerne tous les enfants"... Il dut attendre la sollicitation de son fils pour s'y atteler. C'est le fils qui rend son père à son propre père.

Recherche qui prend parfois l'aspect d'un tourbillon généalogique incontrôlable, particulièrement en Algérie où la parenté se révèle tentaculaire (p. 347). Cette exploration, qui dure au moins trois ans, change celui qui l'effectue : "Je le crie avec force, l'irréalisable ne l'est pas totalement. Il est possible de se lancer avec succès dans le remaniement du passé, et d'en sortir autre" (p. 405).

 Tiaret rue Bugeaud cpa (1)
Tiaret (Algérie), la rue Bugeaud

Mais plein de questions d'histoire aussi. Son géniteur était né à Tiaret en 1903. Ali Magoudi découvre le statut de "Français de droit local". Son père s'engage pour trois ans la Marine. On verra, à la lecture, ce qu'il en fut en réalité.

Tiaret rue Bugeaud cpa (2)
"Rentré dans ses foyers le 28 décembre 1928, ayant terminé son
engagement de 3 ans. Se retire à Tiaret, rue Bugeaud" (p. 343)

Ali Magoudi finit par trouver qu'Abdelkader Magoudi est arrivé en France métropolitaine en 1938, qu'il y travaille dans diverses entreprises, qu'il part à Munich en 1941. Toutes les pérégrinations paternelles en Allemagne et en Pologne, pendant la guerre, font l'objet de questionnements sur leur réalité, les traces qu'elles ont laissées ou non, les angoisses qu'elles suscitent chez Ali. Les années 1940-1945 forment le coeur des interrogations du fils sur ce qu'a fait son père : collaborateur ou pas collaborateur. On laisse le lecteur le découvrir lui-même (p. 145... et de nombreux chapitres du livre).

À propos du séjour parisien, l'auteur découvre l'organisme qui s'occupait des Nord-Africains, les services de la rue Lecomte. Mais - petite correction historique, si l'auteur me le permet - ce service n'était pas seulement policier mais également social. Il était sous la double autorité de la Préfecture de Police ("Brigade Nord-Africaine") et de la Préfecture de la Seine. Il n'a pas été que répressif.

cimetière musulman de Bobigny

Le passage sur la découverte de la sépulture, quasi inidentifiable, de son petit frère mort-né en 1949, dans le cimetière musulman de Bobigny, est émouvant. Le père a porté, sans plus de précaution, le cadavre de l'enfant sur le porte-bagage de son vélo et l'a inhumé lui-même avec l'imam du lieu.

Ali Magoudi se demande comment son père a trouvé ce lieu un peu étrange. Il apprend, par ses recherches, qu'Abdelkader Magoudi, avait été hospitalisé du 8 mai au 12 juillet 1939 à l'hôpital Franco-Musulman (aujourd'hui, Avicenne) à Bobigny .

"Pourquoi mon père avait-il enterré son fils dans ce cimetière-là ? Comment connaissait-il ce lieu si singulier ? m'étais-je alors demandé. Il n'est pas déraisonnable de penser que ce fils de fossoyeur [le père d'Abdelkader Magoudi travaillait dans un cimetière] a, pendant les deux mois de son séjour hospitalier, assisté au départ de nombre de ses coreligionnaires par une porte discrète, à l'arrière de l'hôpital, pour rejoindre le cimetière de Bobigny, propriété privé du Franco-Musulman. Ainsi avait-il stocké l'information dix ans avant de l'utiliser pour organiser l'enterrement de son dernier fils" (p. 374).

Je peux dire à Ali Magoudi, d'après mes propres investigations, qu'en mai 1939, il y eut 17 inhumations ; en juin, il y en eu 15 et qu'en juillet, on en compte 12. Ainsi, en trois mois, quarante-quatre pensionnaires de l'hôpital Franco-Musulman y mourrurent et furent enterrés dans le cimetière de Bobigny, rue des Vignes. Son père n'a pu le méconnaître, évidemment.

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mosquée du cimetière musulman de Bobigny

 

sujet français

Ali Magoudi avoue, sans fausse honte, découvrir le statut de Français "de droit local", c'est-à-dire de sujet français qui ne détient pas l'intégralité des droits politiques attachés traditionnellement à la citoyenneté. Stigmatisation, infériorisation...? Peut-être. C'était la condition de la domination coloniale sur le plan démographique.

Mais en même temps, cela manifestait le refus de convertir les musulmans, acquis au statut civil coranique, incompatible avec le statut civil français. D'ailleurs, l'auteur rend témoignage de la relativité de cette situation à propos de son cousin algérien : "il en a subi les conséquences, certes. Mais que l'état d'infériorité citoyenne dans lequel il a été placé soit fondé juridiquement ou non ne le concernait pas. Les statuts qui l'assujetissaient entraient en contradiction avec les principes de la République française ? Et après ! Travailler à la chaîne ne fait pas de vous un théoricien du taylorisme ni ne vous rend capable de réaliser Les Temps modernes. Avoir été maltraité par la colonisation française ne vous forme pas non plus aux principes de la législation coloniale" (p. 252).

L'histoire réelle ne se réécrit pas. La citoyenneté diminuée fut le reflet d'une réalité politique et culturelle du temps colonial et des rapports de domination. Elle ne put être dépassée. La tentative de passer outre aurait certainement été pire. Ali Magoudi se pose la question : "Je rêve. Que se serait-il passé si le décret Crémieux, qui a déclaré citoyens français les israélites indigènes des départements de l'Algérie, avait été appliqué aux indigènes musulmans, etc. " (p. 350). Je rêve aussi...

 

l'histoire de "gens de rien"

L'historien Alain Corbin avait réussi à ressusciter le "grouillement d'un disparu", un être ordinaire qui n'avait guère laissé de traces dans les mémoires (Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot. Sur les traces d'un inconnu (1798-1876), 1998). Ali Magoudi est aussi parvenu à évoquer les traces et étapes majeures de la vie d'un père qui ne tint pas sa promesse de les lui livrer : "Je reprends espoir, les gens de rien ont bien une existence et la piste des anonymes, susceptibles de contenir les événements que mon père a passés sous silence, n'est pas une impasse" (p. 75).

Michel Renard

 

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- interview d'Ali Magoudi

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