
les points aveugles d'une certaine
rhétorique algérienne "anticoloniale"
Michel RENARD
La logomachie des propos officiels ou semi-officiels en Algérie devient insupportable. De ce qui était un stock d'arguments que le F.L.N. a utilisé dès 1962 pour capitaliser à son profit le "prestige" politique de la victoire dans la "guerre d'indépendance", le régime algérien a fait une véritable démagogie historique par laquelle il manipule les ressentiments et frustrations de la population et escompte mettre en difficulté son partenaire français.
Cette démagogie repose sur la mise en ignorance du passé et la mise en slogans du revendicationnisme mémoriel.
Ignorance du passé ? Pour la vox dominationis en Algérie, l'histoire coloniale se réduit au face à face permanent d'un monstre exploiteur, oppresseur et aliénateur et d'un peuple, victime souffrante, résistante et glorieuse. Il n'en a pas été ainsi. L'ambivalence des interrelations coloniales est mise en évidence par l'investigation historique qu'elle soit française ou, souvent, algérienne. Quant à la guerre d'Algérie (1954-1962), elle fut autant une guerre civile qu'une guerre contre la puissance française.
Mise en slogans ? Le recours aux notions de "crimes contre l'humanité" et de "génocide" se veut une force de frappe visant à anéantir sans réplique l'adversaire. Mais ces formules ne correspondent pas à la réalité historique. La France coloniale n'a jamais cherché à exterminer les populations algériennes. Et les affrontements pour la conquête coloniale n'ont pas été menés au nom du racisme ni du mépris. Une réponse à ces allégations a été présentée par les historiens Gilbert Meynier et Pierre Vidal-Naquet - ce dernier aujourd'hui disparu - dans leur analyse du livre Coloniser, exterminer, qualifié par eux "d'entreprise idéologique frauduleuse" (lire leur texte ici).
L'article critiqué ci-dessous est un véritable condensé de cette démagogie historique et politique qui a cours à Alger sans guère rencontrer de répartie...
Michel Renard
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article paru le 5 décembre 2007 dans le journal algérien El Watan
et sa critique en paragraphes insérés, de cette couleur
Il a refusé de présenter les excuses officielles
de la France à l’Algérie
La dérobade de Sarkozy
«Oui, le système colonial a été profondément injuste, contraire aux trois mots fondateurs de notre République : liberté, égalité, fraternité.»
En prononçant solennellement cette petite phrase, tant attendue, à Alger comme à Paris, Nicolas Sarkozy, qui a dû manifestement consentir un trésor d’efforts sur lui-même, a, en fait, lu un verdict injuste devant de très larges secteurs de l’opinion algérienne. C’est une qualification des faits qui nous renvoie tout droit vers les atrocités des années 1950. Et là, il faut bien reconnaître qu’il n’y a vraiment pas photo entre ce que fut la longue nuit coloniale et l’expression discursive du président français. En cela, tous les Algériens ont dû être déçus, voire choqués par le propos douillettement sympathique et faussement indigné de Nicolas Sarkozy à l’égard de la colonisation.
- "Atrocités des années 1950", "longue nuit coloniale"... le vocabulaire de l'outrance et de l'unilatéralité. Si on appelle "atrocités" les souffrances barbares qui ont conduit à la mort de nombreuses personnes pendant la guerre d'Algérie, il faut évoquer la torture pratiquée par l'armée française mais aussi les mutilations pratiquées par le F.L.N. sur les prisonniers français (émasculations...) et sur des populations civiles algériennes résistantes à l'embrigadement du F.L.N. (massacre de Melouza...) ou encore lors des massacres massifs de harkis à l'été 1962 et après. On ne peut concentrer la critique sur la première et délaisser les secondes. Elles s'équivalent.
Pendre Larbi ben M'Hidi comme l'a fait le commandant Aussarresses en février 1957 ou étrangler Abbane Ramdane à l'aide d'une cordellette comme l'a fait le "colonel" Boussouf en décembre 1957..., je ne vois pas la différence. Ce sont les mêmes ignominies.
Et c’est très chèrement payé puisque le chef de l’Elysée repartira demain avec 5 milliards d’euros de contrats dans l’escarcelle en contrepartie d’une énième provocation !
- Les "5 milliards d'euros" ne sont pas un cadeau algérien sans contrepartie économique...! Il s'agit de contrats négociés. Et si les entreprises françaises font des affaires, les dirigeants algériens aussi (qui dira les "commissions" détournées qui permettent à la nomenklatura algérienne d'acheter de l'immobilier à Paris et d'inscrire ses enfants dans les lycées de la capitale française...?).
En matière d'économie, il faudrait poser la question du bilan de 45 années d'indépendance : une économie qui doit importer l'essentiel de ses biens de consommation alors que l'État algérien a placé depuis l'année 2000, 43 milliards de dollars, soit la moitié des réserves de change, dans le système bancaire américain (cf. Peterson Institute for International Economics). Un système scolaire déficient, un système de santé sinistré, une agriculture dévastée, une administration sclérosée et corrompue, un système bancaire asphyxié... Un Algérien sur cinq au-dessous du seuil de pauvreté selon les normes officielles à Alger...
L'ancien ministre du Commerce Smaïl Goumeziane expliquait en avril 2000 : «De l’aveu même du président de la République, le commerce extérieur du pays serait entre les mains de dix à quinze personnes. […] Par ce biais, on estime qu’un milliard et demi à deux milliards de dollars fuient le pays chaque année. En trente ans, ce sont ainsi quelque 30 à 40 milliards de dollars de richesse nationale qui s’en sont allés se loger offshore dans les comptes numérotés de quelques banques internationales vertueuses, ou s’investir hors du pays dans l’hôtellerie, dans l’immobilier ou dans le négoce international.»
Le nouveau locataire de l’Elysée nous apprend en 2007 – nous les indigènes –
- Il n'y a plus "d'indigènes" aujourd'hui. Sauf peut-être dans l'esprit de certains dirigeants algériens qui appauvrissent leur peuple depuis un demi-siècle.
que le système colonial a été profondément injuste ! Quelle belle trouvaille sémantique ! Et quel bel euphémisme… ! Le président français dont on attendait un peu de courage politique pour quelqu’un qui a promis la rupture a donc préféré surfer sur le changement dans la continuité. Incassable, Sarkozy s’est donc laissé enfermé dans cet ego patriotique, typique aux militants de l’extrême droite française qui rechignent de nos jours à regarder leur passé aussi terrifiant qu’abominable en Algérie. Un passé fait de sang et de larmes.
- Ce genre de propos n'aura, à mes yeux, de valeur morale et intellectuelle qu'après une reconnaissance des vérités de cet autre "passé terrifiant" :

enfants "européens" victimes du F.L.N. à El-Halia/Philipeville le 20 août 1955
Il n'est pas possible d'exhiber les atrocités "du colonialisme" et d'en taire de semblables parce qu'elles ont eu pour auteurs des militants nationalistes algériens. Sauf à penser que la vertu ne doit pas être partagée, et qu'on peut condamner son absence chez son adversaire mais ignorer son défaut dans "son camp". On est alors privé de toute légitimité morale à exiger la moindre "excuse".
On attendait un peu cet épilogue provocateur aux entournures d’un homme qui a cru nécessaire de se faire accompagner par son secrétaire d’Etat aux anciens combattants, Alain Marleix, pendant que le ministre algérien des Moudjahidine a été sciemment «zappé» de la liste du comité algérien d’accueil.
- Le ministre algérien des Moudjahidines, Mohamed Cherif Abbès, "zappé", a tenu des propos antisémites.
Un ministre raciste est-il soutenu en Algérie... et par qui...? Il faut en finir avec la langue de bois sur ce point. L'antisémitisme, la haine des juifs (et pas seulement des sionistes) sont largement répandus dans les milieux officiels en Algérie. C'est une pathologie politique dans de nombreux pays arabes et musulmans. On ne peut, sans incohérence mentale, prétendre condamner le "racisme de l'État colonial français" et se complaire dans cet antisémitisme généralisé. Sauf à prouver que l'argument du "racisme français" est complètement instrumentalisé.
Deux mots pour 5 milliards d’euros...
«Voilà le travail de mémoire que je suis venu proposer au peuple algérien», a dit Sarkozy du haut de sa tribune devant les hommes d’affaires nationaux et, bien sûr, devant des millions d’Algériens «scotchés» devant le petit écran épiant la phrase – sentence –, qui allait sceller, croyaient-ils, définitivement les retrouvailles entre nos deux pays. Et, la déception fut à la mesure de l’attente. Pour la reconnaissance des crimes et la condamnation de la colonisation française, il va falloir repasser… Sarkozy ne sera pas – du moins pour l’instant –, l’homme qui allait réconcilier les deux peuples.
- On ne peut "réconcilier" les peuples sur la base de mensonges. En France, les approches du passé colonial en Algérie et de la guerre de 1954-1962 sont pluralistes. Il n'y a pas d'histoire officielle. Ce n'est pas le cas en Algérie. Les moyens de pression du pouvoir sur la production historienne sont ceux d'un État despotique qui enrégimente les intelligences et manipule les esprits.
La revendication d'excuses pour les "crimes de la colonisation" n'est qu'une pièce dans un dispositif
idéologique basé sur le mythe d'une nation et d'un État algérien déjà constitués en 1830, d'une résistance générale et héroïsée face à la conquête et à la domination coloniale, d'une "guerre d'indépendance" consensuelle et d'un peuple dressé dès novembre 1954... Un mythe qui développe une vision unanimiste du nationalisme alors que plusieurs courants l'ont traversé. Un mythe qui veut cacher les effets ambivalents du colonialsme et notamment les apports d'une modernité qui a interrogé les archaïsmes et les oppressions de la société traditionnelle...
Comme en juillet dernier, lorsqu’il avait abusé des usages diplomatiques en déclarant qu’il n’était pas «venu s’excuser», devant son homologue algérien, le patron de l’Elysée a encore enfoncé le clou et remué le couteau dans la plaie, ce lundi au Palais du peuple. A croire qu’il n’est capable que du pire… Et, suprême injure, le président français s’est permis l’incroyable cynisme de mettre le bourreau et la victime dans le même sac. «Oui, des crimes terribles ont été commis tout au long de la guerre d’indépendance, qui a fait d’innombrables victimes des deux côtés (…), ce sont toutes les victimes que je veux honorer.» Il faut reconnaître qu’avec une aussi grossière confusion des genres, Nicolas Sarkozy a dû faire baver de jalousie Le Pen et les tortionnaires de tout acabit qui reprennent du poil de la bête en France. Il est resté indéniablement en phase avec la scandaleuse rhétorique développée par son «UMP» en 2005. Pour un président qui veut «bâtir un partenariat d’exception» avec l’Algérie, il a fait preuve d’une maladresse verbale tout aussi exceptionnelle.
- Le "bourreau" et sa "victime"... Les rôles sont facilement distribués... Le dualisme de cette configuration ne permet pas d'appréhender la complexité des relations dans la société coloniale. Bien sûr, le militant F.L.N. torturé pendant la "bataille d'Alger" est une victime et son bourreau est facilement identifiable.
Mais qui osera qualifier de "bourreaux" les jeunes militaires du contingent, débarqués en Algérie depuis une semaine, qui tombent le 18 mai 1956 à Palestro dans une embuscade et dont les corps sont retrouvés atrocement torturés...? Témoignage du lieutenant Poinsignon : "On s'était acharné avec une incroyable sauvagerie. Ce que nous avons vu était tel que j'ai demandé par écrit un examen médico-légal pour déterminer les causes de la mort et si les mutilations avaient précédé ou suivi celle-ci. Je n'en ai jamais connu les résultats ; je n'ai même jamais su si cette autopsie avait bien été faite…. Torturés à mort, les jeunes soldats ont eu les yeux crevés… Les corps ont été vidés de leurs entrailles et bourrés de cailloux. Le FLN leur ont zébré les pieds à coups de couteau et leur ont coupé les testicules…."

Maurice Feignon, jeune médecin auxiliaire, torturé au fer rouge et à
l'eau bouillante avant d'être égorgé par des maquisards du F.L.N.
Qui osera qualifier de "victimes" (et de héros...?) les 220 hommes de l'A.L.N. qui le matin du 27 mai 1957 encerclent le village de Melouza - dont le tort serait de soutenir les Algériens messalistes et non le F.L.N. - et qui assassinent 303 personnes parmi lesquelles des femmes et des enfants, tous mutilés...?

Melouza : des civils algériens massacrés par le F.L.N. en 1957
Et comme pour tirer une dernière salve avant son retour sans doute triomphant à Paris, l’invité du président Bouteflika fait un clin d’œil attendrissant à ses concitoyens qui ont quitté l’Algérie en 1962. Une façon bien subtile de tordre le cou aux autorités algériennes coupables, d’après lui, d’avoir renvoyé les colons chez eux et d’avoir fait preuve d’inhospitalité… «Mais il est aussi juste de dire qu’à l’intérieur de ce système, il y avait beaucoup d’hommes et de femmes qui ont aimé l’Algérie, avant de devoir la quitter.» Ainsi, aussi «profondément injuste» qu’il fut, le système colonial, suggère-t-il, était animé et encadré par des hommes et des femmes qui aimaient l’Algérie ! Et voilà qu’on est en plein dans l’article 04 de la scélérate loi du 23 février 2005 énonçant le rôle positif de la France coloniale !
Hassan Moali
- On peut considérer "juste" la lutte pour l'indépendance menée par une partie du peuple algérien. Mais on ne doit pas oublier que ce combat a aussi charrié des crimes et des abominations. Et que l'histoire ne s'écrit pas avec les catégories d'un simplisme opposant un bourreau et une victime.
Dans Apologie pour l'histoire, le grand médiéviste Marc Bloch écrivait en 1941 : "Longtemps, l'historien a passé pour une manière de juge des Enfers, chargé de distribuer aux héros morts l'éloge ou le blâme. Il faut croire que cette attitude répond à un instinct puissamment enraciné." Et en forme de rejet de cette histoire/juge, il exhortait à la production du seul savoir : "Robespierristes, antirobespierristes, nous vous crions grâce, par pitié, dites-nous simplement quel fut Robespierre".
Les faits rappelés ci-dessus - et les photos montrées - sont largement connus. Même si on hésite encore à les intégrer dans l'écriture universitaire de l'histoire. À Alger, on taxera peut-être ceux qui les mentionnent de "révisionnistes", d'extrême-droitisme ou de je ne sais quoi d'autre... On aura ainsi une preuve supplémentaire que l'exigence d'une condamnation et d'excuses pour la période coloniale relève d'une controverse politique et idéologique qui manipule l'histoire. Rien de plus.
Michel Renard

Algérien assassiné par le F.L.N. :
où est le bourreau, où est la victime...?
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