Regardez un livre d'histoire de 5e (Pascale Noret)
Regardez un livre d'histoire de 5e
Pascale NORET
manuel d'histoire de 5e, Nathan, 2001
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Regardez un livre d'histoire et géographie de cinquième et dites-moi ce que je dois répondre à un élève curieux qui constate sur une carte du commerce du monde musulman au IXe siècle que les Arabes importaient déjà des esclaves africains à cette époque ?
Que dois-je répondre au même élève qui, dans la leçon sur le Maghreb apprend que cette région a été arabisée (= colonisée ?) au VIIe siècle par les successeurs de Mahomet et qu'on ne parle que de la colonisation française (tout cela en oubliant les Berbères) ?
Et enfin que lui dire à propos d'une gravure illustrant l'esclavage, avec un Noir portant un fusil et surveillant une colonne de ses frères entravés ? Si vous avez une réponse, cela me faciliterait la tâche et m'éviterait de faire du politiquement incorrect en tentant de lui répondre...
Pascale Noret , courriel à Télérama,
n° 2944, 14 juin 2006
manuel d'histoire de 5e, Hatier, 2005
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"dites-moi ce que je dois répondre à un élève curieux qui constate sur une carte du commerce du monde musulman au IXe siècle que les Arabes importaient déjà des esclaves africains à cette époque ?"
Pascale Noret
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miniature d'al-Wâsiti sur le manuscrit des Maqâmât de Hariri, Bagdad,
1237 : le marché aux esclaves à Zabid, Yémen (Bnf, Paris)
le rôle des captifs noirs dans
le monde musulman
Olivier PÉTRÉ-GRENOUILLEAU
Passons sur l'idée selon laquelle l'esclavage en terre d'islam aurait été relativement doux. S'expliquant par une réaction logique aux violentes attaques de certains abolitionnistes occidentaux du XIXe siècle contre un esclavage oriental synonyme à leurs yeux d'archaïsme et de perversité, cette idée d'un esclavage doux se fonde plus sur la réelle fréquence des manumissions que sur une analyse concrète des conditions de vie des esclaves, qui furent extrêmement variables.
Que les fonctions qu'ils remplirent aient été différentes de celles des esclaves du Nouveau Monde n'enlève rien à leur statut d'hommes privés de liberté. Comme l'indique Orlando Patterson (Slavery ans Social Death : a Comparative Study, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1982), même un eunuque devenu le confident de son maître reste un esclave, peut-être même l'un des esclaves le plus profondément soumis.
Il serait sans intérêt de vouloir classer les différents systèmes esclavagistes sur une hypothétique échelle de Richter de l'oppression. L'image d'une société musulmane totalement dépourvue de discrimination et de préjugés raciaux est tout aussi illusoire que celle d'un monde soumis au "despotisme oriental".
Beaucoup plus utile serait d'étudier, de manière comparative, comment les diverses sociétés esclavagistes ont tenté de masquer et de désamorcer les tensions naissant inévitablement en leur sein. Pour l'heure, notons ici, à l'instar de ce qui a été vu à propos du concept d'esclavage domestique pour l'Afrique noire précoloniale, que l'importance du rôle joué par les esclaves dans une société donnée doit être mesurée à l'aune des caractéristiques de cette même société, et non à partir d'un modèle de référence qui serait celui du système de la grande plantation américaine.
Une autre image doit d'emblée être corrigée, celle de traites orientales à finalités surtout érotiques (concubines, eunuques, qu l'on trouvait également dans l'esclavage chinois, qui étaient rares parmi les Arabes, et plus communs chez les Turcs et les Perses).
Il y a à cela au moins deux raisons. La première est que le rapport entre captifs et captives a changé, selon les époques et les lieux de destination, et qu'il n'est pas impossible que, globalement, il ait pu s'équilibrer, voire pencher en faveur des hommes. La seconde raison est que les fonctions remplies par ces derniers ont été multiples, leurs rôles variables. Serviteurs, ils ont aussi parfois été d'importants acteurs de la vie économique et politique ; des acteurs dont les pouvoirs ou l'influence, plus ou moins éphémères, ne doivent pas être négligés.
Léon l'Africain nous apprend qu'au XVIe siècle, à Fez, au Maroc, le service des thermes était essentiellement assuré par des "négresses", et que leur possession était si courante que même des familles modestes avaient l'habitude d'en faire figurer parmi leurs cadeaux de mariage. Il semble cependant que les femmes originaires d'Afrique noire occidentale aient surtout eu en Afrique du Nord la réputation d'être de bonnes cuisinières.
Il en allait différemment des Nubiennes et des Abyssines, depuis longtemps recherchées comme concubines. Les princes d'Égypte désirent tous en posséder, écrivait Edrisi, géographe arabe du XIIe siècle, attestant par là le fait qu'elles alimentaient un commerce de luxe réservé à des catégories aisées.
Il en était de même des eunuques, dont les principaux "centres de fabrication" se situaient dans le Haoussa, le Bornou et la haute Égypte. Assignés à la garde des harems ou bien hommes de confiance, du fait de leur évidente absence de liens familiaux, ils étaient quatre mille à cinq mille dans l'Empire abbasside du Xe siècle. Les procédés employés pour la castration étaient assez rudimentaires, la mortalité était élevée, et le prix d'un eunuque pouvait atteindre celui de douze autres esclaves.
Les hommes (mais aussi les femmes, parfois) furent très tôt utilisés à des fins productives, notamment dans l'agriculture. Il est vrai que le phénomène prit rarement l'ampleur et la visibilité qui furent celles du système de la plantation dans les îles de la Caraïbe à l'époque moderne, lorsque de grandes masses de captifs furent concentrées sur de faibles espaces et assignés, sinon exclusivement, du moins prncipalement, aux travaux agricoles. De plus, note Toledano, des barrières légales et coutumières existaient, dans l'Empire ottoman, à l'emploi d'esclaves dans les travaux agricoles. Le phénomène y aurait donc été, selon lui, très marginal après le XVe siècle, avant d'être réintroduit sur une large échelle du fait de la migration forcée des Circassiens du Caucase, au début des années 1860.
Cependant, comme l'indique Lewis, "à l'exception des travaux du bâtiment, l'exploitation économique des esclaves avait surtout lieu à la campagne, loin des villes, et on a guère de documents là-dessus, comme presque sur tout ce qui touche à la vie rurale", jusqu'au XVIe siècle.
L'exploitation des archives disponibles pour les périodes suivantes n'étant guère systématique, "l'idée couramment admise sur le caractère avant tout domestique et militaire de l'esclavage en Islam pourrait donc refléter les insuffisances de notre documentation, plutôt que la réalité" (Bernard Lewis, Esclavage et race au Proche-Orient, Gallimard, 1993, p. 27).
D'ailleurs, disséminés dans le temps et dans l'espace, de multiples exemples nous indiquent que la chose ne fut pas sans importance dans le monde musulman. Dans les grands domaines mésopotamiens du début de l'ère musulmane, les esclaves noirs étaient employés à enlever la couche de natron recouvrant les terres, afin de les rendre cultivables.
Parqués sur place, ils étaient nourris de dattes et de semoule, et dirigés par des chefs de corvée affranchis. Ils furent essentiels dans la région du bas Iraq, entre la jonction du Tigre et de l'Euphrate et le golfe Persique. Cette zone était au IXe siècle un immense marais, que les Abbassides tentèrent de drainer, de dessaler et de transformer en zone de culture.
Les Zandj d'Afrique orientale constituèrent là "des troupeaux d'hommes machines employés aux terrassements du marais, travaillant dans l'eau, la vase et le sel, par chantiers de milliers d'hommes, peu nourris, fort battus, épuisés, impaludés, mourant comme des mouches" (H. Deschamps, Histoire de la traite des Noirs, 1971, p.22).
Un poète de la cour du calife appartenant à la secte égaliratiste des kharidjites décida de mener une vie errante dans le désert, avec un esclave noir. En 877, se présentant comme le descendant d'Ali, il leva l'étendard de la révolte, soulevant les Zandj. En 879, la grande ville de Bassora était prise. S'étant déclaré mahdi (l'envoyé de Dieu censé venir à la fin des temps afin de rétablir la justice et la foi sur terre), Ali menaçait Bagdad et La Mecque.
La contre-offensive fut déclenchée dix ans plus tard. L'ensemble des conflits aurait provoqué entre 500 000 et 2 500 000 victimes. Au IXe siècle, un voyageur arabe estimait encore le nombre des esclaves noirs à 30 000 dans une région correspondant à l'actuel Bahreïn.
À certaines époques, et en certains lieux, le rôle des captifs noirs fut également essentiel dans l'agriculture de plantation proprement dite, mais les travaux comparatifs, avec l'agriculture du Nouveau Monde, sont encore trop peu nombreux. Au XVIe siècle, le Maroc fit fructifier ses plantations de canne à sucre (lesquelles constituaient alors un tiers des revenus du pays et fournissaient son principal article d'exportation à destination de l'Europe) grâce à des esclaves noirs. En 1591, c'est en partie pour se procurer les captifs nécessaires à leur entretien qu'il étendit (de manière éphémère) sa domination directe sur la boucle du Niger.
Olivier Pétré-Grenouilleau, Les traites négrières,
Gallimard, 2004, p. 445-448.