"L'ordre et la morale" : mensonges et inventions
à propos du film "L"ordre et la morale"
Joëlle RONDREUX de COLLORS
Chers amis, de métropole ou Calédoniens,
Comme vous le savez peut-être, même si vous n'êtes pas cinéphiles, un film de Mathieu Kassovitz au titre incompréhensible de L'Ordre et la Morale fondé sur les dires et la vision personnelle de M. Legorjus est sorti, avec une publicité fracassante, concernant ce qu'il est coutume d'appeler "l'Affaire d'Ouvéa" (1988).
mensonges et inventions
Malgré un devoir de réserve que j'ai toujours respecté, malgré le secret de l'instruction que j'ai toujours pratiqué au plus haut point et que je pratique encore, malgré toutes les pressions ou menaces ou sanctions que j'ai subies, singulièrement de la part du ministère de la Justice, je tiens à m'exprimer brièvement et à m'associer aux critiques portées à ce film-fiction, qui n'est pas un documentaire. Les mensonges, les inventions, sont multiples et patents.
image du film
Joëlle Rondreux de Collors
Européens enlevés et tués par le FLN en 1962
du nouveau sur les Européens disparus
à la fin de la guerre d'Algérie (1)
Jean MONNERET
Durant un demi-siècle, le problème des civils européens enlevés par le FLN, et jamais retrouvés pour un grand nombre, fut singulièrement occulté. Officiellement, on s'en tint à un chiffre donné en 1964 au Sénat : 3018.
La répartition des victimes en personnes enlevées, libérées, présumées décédées et cas incertains ne fut guère remise en cause. À partir de 1965, le silence des médias à ce sujet se fit assourdissant. Les Français disparus furent oubliés tandis que la France prit l'étrange habitude de réserver ses hommages aux victimes de l'autre camp, les pro-indépendantistes (particulièrement à Paris sous l'égide de la Mairie socialiste.
Dans le milieu des Français d'Algérie, on chercha à lutter contre l'oubli. Hélas, des chiffres hyperboliques furent brandis au mépris de toute rigueur historique (2). La cause des victimes du FLN risqua d'en être dépréciée, d'autant que des thèses complotardes fumeuses se répandaient aussi.
Désormais, la communauté des Historiens comme les Pieds Noirs et les familles concernées disposent d'une étude de qualité, menée selon la méthode historique. Jean-Jacques Jordi a fait des recherches poussées en de nombreux fonds d'archives. Citons : le Service Historique de la Défense, le Centre des Archives Diplomatiques,les Archives Nationales d'Outre-Mer, le Centre des Archives Contemporaines, le Centre Historique des Archives Nationales, celles de la Croix Rouge, du Service Central des Rapatriés etc...
L'auteur a ainsi apporté une contribution neuve au problème des disparus européens. Il a attaqué de front l'obstacle des 500 dossiers demeurés incertains qui gênait l'obtention de chiffres crédibles.
Sur ce point, en 2004, nous avions nous même, ainsi que le général Faivre attiré, l'attention de la Mission aux Rapatriés sur la nécessité d'une étude exhaustive. Il fallut attendre quatre ans pour qu'elle se dessinât.
En accédant aux dossiers du Service Central des Rapatriés, Jordi a pu savoir qui parmi les incertains était réellement disparu ou entré en France métropolitaine. On y voit actuellement plus clair.
Qu'il s'agisse du massacre du 5 juillet 62 à Oran (où l'auteur confirme la responsabilité et les mensonges du général Katz, comme la criminelle ineptie des directives données à l'Armée française), qu'il s'agisse des exactions de l'été 62 dues à la wilaya 4 (où le FLN préférait enlever des familles entières pour limiter les plaintes), Jordi a montré une solide rigueur.
nettoyage ethnique
Il éclaire la pratique du nettoyage ethnique par les indépendantistes. Or, il le fait, documents à l'appui, en prenant ses distances avec quelques légendes aussi tenaces qu'absurdes. Son livre est peu réfutable. Il sera plus difficile désormais aux thuriféraires du FLN et aux journalistes sous influence de nier des faits qui les dérangent.
On peut regretter que Jordi paraisse sous-estimer les divisions du FLN et les surenchères xénophobes qu'elles alimentèrent. Félicitons le toutefois d'avoir laissé de côté quelques récits controuvés et extravagants (3).
Cet ouvrage, cette étude méticuleuse manquaient. Il serait regrettable qu'ici et là, certains négligent l'atout que, dans sa percutante sobriété, il constitue pour les familles touchées et pour l'Histoire.
1 - Jean-Jacques Jordi, Un silence d'État, éd. Soteca, 2011.
Les enlèvements d'Européens ont décuplé aprés le "cessez-le-feu" du 19 mars1962 L'auteur dénombre 1583 disparus présumes décédés, 123 enlevés dont on a retrouvé les corps et 171 cas incertains résiduels. Selon nous, il eût fallu comptabiliser les personnes libérées ou retrouvées.
2 - Il arriva qu'un scribe du Ministère des Rapatriés répondit par erreur : 25.000 à une question sur le chiffre des disparus européens. Il confondait avec celui des militaires français tués au combat. Ceci occasionna ultérieurement quelques bévues.
3 - En juillet 1962, depuis Alger, Max Clos du Figaro, dénonça courageusement les enlèvements massifs d'Européens. Il ajoutait : "Sur les chiffres, on ne sait rien de sûr. Tout dans ce pays est déformé et amplifié dans des proportions fantastiques". Voila qui a changé désormais.
images de la guerre d'Algérie
Retour en images sur la guerre d’Algérie
général Maurice FAIVRE
Une étude en partenariat a été engagée en 2010-2011 entre l’ECPAD et le Département Médiation de l’Université Paris III Sorbonne-Nouvelle (Censier).
Les étudiants en Licence sur la production culturelleont eu accès aux archives audiovisuelles de l’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense, qui détient sur la guerre d’Algérie 145.000 clichés dans trois recueils : SCA Algérie, Journal Bled et collection Flament.
Après avoir étudié l’histoire des archives audiovisuelles, les étudiants ont effectué un parcours en images dont ils ont fait une approche historique et esthétique autour de trois thématiques : - de Gaulle homme médiatique – la pacification en Algérie, réalité complexe – l’engagement des harkis.
Le résultat de cette recherche a été présenté le 12 novembre 2011 à Ivry sous la forme d’une exposition de photos et d’une projection de films accompagnée d’un exposé historique de Benjamin Stora, suivi d’un débat avec les spectateurs.
Les films et les rush présentés sur de Gaulle, homme médiatique et rassembleur du peuple, ont été centrés sur ses déclarations politiques et sur ses voyages en Algérie. Les fraternisations de mai 1958 ont été en particulier mises en valeur de façon impressionnante.
Les films sur la pacification ont bien montré le rôle social de l’armée, le coté humanitaire de la pacification. L’aspect guerrier n’a été montré que sous forme d’arrestations de suspects et de cadavres exposés, sans combat réellement filmé.
Les films sur les harkis ont souligné l’engagement volontaire de ceux-ci, qui n’étaient ni des traîtres ni des collaborateurs, mais des citoyens attachés à la défense de leurs villages contre le terrorisme du FLN.
Critique de l'exposé de Benjamin Stora
L’exposé de Stora, brillant, portait sur la personnalité et la politique du général de Gaulle, homme providentiel qui donne le droit de vote aux musulmans et séduit une population avide de paix, ce qui expliquerait les fraternisations de mai 1958.
En 1959 il se rend compte que la solution militaire n’est pas viable et il observe que l’opinion française souhaite la fin du conflit. En 1960-61, il est confronté à l’évolution de l’opinion internationale, qui conduit nécessairement à l’indépendance, solution qui en revanche déchire les partisans militaires et civils de l’Algérie française.
Cette interprétation est habile, mais ne rend pas compte de la réalité historique. Les raisons invoquées ont amené la chef de l’État à changer trois fois de politique :
- en 1958, il est pour l’intégration, tous les Algériens sont des Français à part entière
- en 1959 de Gaulle prône l’association ; c’est d’ailleurs la solution des cadres militaires qui selon le général Ely, sont seuls à avoir le contact avec la population. C’était déjà la solution de la loi-cadre de Robert Lacoste, et le plan Challe comportait aussi un volet politique, à savoir l’auto-défense active des Quartiers de pacification, et la Fédération amicale des Unités territoriales et des autodéfenses, qui allaient dans le même sens.
- le 4 novembre 1960, de Gaulle annonce la République algérienne… qui existera un jour ; il ne reste plus qu’à lui abandonner le Sahara. Cela explique, sans les justifier, la révolte de certains militaires et la naissance de l’OAS. L’aboutissement de la guerre de libération des Algériens sera en fait la dictature militaire du colonel Boumédiene (voir l’histoire interne du FLN de Gilbert Meynier).
- un autre non-dit, c’est que la fraternisation a été proposée aux habitants de la casbah par les capitaines Léger et Sirvent le 16 mai, douze jours avant que le général de Gaulle n’accepte de former le gouvernement. Il n’est donc pas le promoteur de la fraternisation. Bien plus, il a cassé les Comités de Salut public qui, sous l’égide des militaires, poursuivaient la réconciliation des communautés.
- dernière erreur, le président de Gaulle n’a pas donné aux Algériens un droit de vote qui existait depuis 1863, mais de façon inégalitaire ; c’est Robert Lacoste qui a institué le collège unique en novembre 1957.
limites informatives des images
Ce retour en images sur la guerre d’Algérie pose deux séries de questions :
- Les photos et les films peuvent illustrer une situation particulière. Les manifestations de foule par exemple sont très parlantes. Mais les films ne montrent pas toute la réalité ; le combat en particulier ne peut être présenté que par des fictions (voir les films américains du Vietnam) ; les questions politiques, sociales, juridiques, morales, appellent l’analyse des journalistes et des historiens.
- Certains spectateurs ont souligné la partialité des images prises par des cinéastes militaires, et surtout des commentaires qui les accompagnaient. Il est vrai que l’action psychologique par tracts et haut-parleur ne suscitait pas l’adhésion du public, alors qu’elle se contentait de commenter le programme du gouvernement de l’époque.
D’autres moyens plus concrets étaient nécessaires pour gagner le cœur et l’esprit des auditeurs ; cela aussi était montré par les SAS, les médecins de l’AMG, les soldats instituteurs, les moniteurs sportifs et les foyers féminins.
On a pu noter que les spectateurs qui accusaient l’armée de faire de la propagande développaient de leur côté une contre-propagande favorable aux ennemis de la France.
Cette remarque relativise les accusations de partialité.
Maurice Faivre
historien militaire
l'armée des frontière, par Jean-François Paya
l'armée des frontières, Algérie
SYNTHÈSE GROUPE RECHERCHE HISTORIQUE
Jean-François PAYA
L'armée des frontières, regroupée en Tunisie et au Maroc, fortement dotée d'un matériel moderne, structurée comme une armée régulière, avec sa hiérarchie d'officiers sortis des écoles militaires françaises ou égyptiennes, son règlement intérieur, ses casernes, ses recrues, son chef tout-puissant, Boumédiene, qui n'a jamais milité en Algérie et a passé toute la guerre à l'extérieur.
Il fut nommé par Abdelhafid Boussouf chef d'état-major en 1960, non pour ses talents militaires, mais parce qu'il joua un rôle décisif dans la répression du «complot des colonels», vaste soulèvement de cadres et de soldats dirigé contre le G.P.R.A. qui refusait d'envoyer des armes à l'intérieur. Par des méthodes bureaucratiques et répressives, il sélectionna un appareil militaire qui finit par coiffer toute l'A.L.N. extérieure et garda son autonomie vis-à-vis du G.P.R.A....
Après la signature des accords d'Évian, la crise éclata ouvertement entre l'A.L.N. des frontières et le G.P.R.A., qui chercha alors à s'appuyer sur les willayas de l'intérieur, tellement délaissées pendant la guerre. Mais les objectifs du G.P.R.A. et ceux des willayas étaient contradictoires.
Le G.P.R.A. n'avait d'autre ambition que de se faire valoir auprès de l'impérialisme français comme l'équipe la plus apte à faire respecter les accords d'Évian ; dans le phénomène du «willayisme» s'exprimait la volonté des combattants de ne pas se contenter d'une indépendance formelle, de bâtir leur propre pouvoir. Et le caractère social différent de l'armée des frontières s'est clairement exprimé dans la violence avec laquelle elle a œuvré à écraser «les militants de l'intérieur»...
L'A.L.N. de Tunisie entre en Algérie et s'installe facilement en willaya I (Aurès) et en willaya VI (Sud algérois). L'A.L.N. du Maroc entre facilement en willaya V (Oranie), très peu active. Elle exerce une répression féroce sur les cadres et les militants de «l'Organisation politique et administrative», qualifiés de harkis, et liquide toutes les structures du F.L.N.
Mais lorsqu'elle s'avança vers Alger, l’A.L.N., illusionnée par la décomposition du G.P.R.A., se heurta en septembre à Boghari (1.300 morts) aux militants aguerris et résolus des willayas II, III et IV, tandis que Yacef Saadi, encerclé par les forces de la «Zone autonome d'Alger», capitulait dans la Casbah. Boumédiene, qui n'avait jamais utilisé son matériel lourd contre les Français, osa l'employer contre les djounouds.
Mais, après Boghari, un grand nombre de cadres et de soldats quitta l'armée des frontières, soit en se faisant démobiliser, soit en emportant les armes. Les vides furent comblés par les débris de la force locale (harkis, mercenaires...).
Les cadres algériens demeurés au service de l'armée française vinrent, d'un commun accord entre l'état-major français et celui de «l’Armée nationale populaire», combler les vides laissés par les cadres révolutionnaires.
L'A.N.P. est devenue une armée régulière, pléthorique (100 000 hommes), avec son budget énorme, son matériel lourd fourni par la France, l'Égypte ou les pays de l'Est, sa hiérarchie et ses cadres soigneusement épurés, provenant pour l'essentiel de l'armée française des écoles égyptiennes ou des frontières, avec des différences de soldes marquées entre les soldats, les sous-officiers et les officiers (le soldat gagne 20 000 AF, pouvoir d'achat élevé en Algérie compte tenu de la misère générale, le sergent, 53 500 AF, l'adjudant 107 000 AF. Il ne nous a pas été possible de connaître les soldes des officiers).
L'A.N.P. possède sa presse intérieure et sa revue mensuelle, El Djeich. «À côté de l'armée, la gendarmerie, la police et la sûreté générale sont devenues des annexes de l'A.N.P. depuis que Boumédiene est ministre de la Défense nationale et vice-président du Conseil.» (idem, pp. 52-54.). Telle est la colonne vertébrale du pouvoir en Algérie.
POINT DE VUE : L ORIGINE DU POUVOIR EN ALGÉRIE
C’est un fait admis que le complot s’est concocté à Oujda durant les années de braise, pendant que les wilayas de l’intérieur se faisaient étrillées par l’Armée française. «Quand le diable assiste à nos réunions, il perd lui-même son latin», aurait confié Chérif Belkacem, l’ex-ami de Bouteflika et l’un des piliers du Clan d'Oujda.
De leur Tkanbiss est sortie une idée géniale qu’il a fallu concrétiser avec l’aide de l’inévitable Messaoud Zeghar. Le Clan d’Oujda et leur ténor Boumédiene étant d’illustres inconnus dans la Révolution, il leur fallait un historique pour rentrer en Algérie en triomphateurs. Mais, pour contacter les historiques qui se trouvaient en France dans une prison, la mission était apparemment impossible.
passeport diplomatique marocain pour Bouteflika
Et c’est là qu’est intervenue la CIA à travers Zeghar, selon un avis très autorisé. Le Roi Hassan II qui détestait au plus haut point les responsables du FLN/ALN qui se trouvaient sur son territoire et qu’il connaissait bien par leurs agissements et les libertés qu’ils se permettaient à la limite de la provocation, en particulier Boussouf et Boumédiene, fut contraint de délivrer un passeport diplomatique à un émissaire de l’État-major de l’ALN, Bouteflika en l’occurrence et ce, à l’insu du GPRA dont dépendait l’ALN et avec lequel, il risquait de provoquer une crise diplomatique.
Et c’est grâce à ce passeport diplomatique marocain que Bouteflika put entrer dans la prison où se trouvaient les cinq historiques. Il est absolument évident que, sans l’intervention de la CIA, la mission secrète de Bouteflika, criminelle et lourde de conséquences pour l’avenir du pays n’aurait jamais eu lieu, Hassan II n’ayant aucun intérêt à prendre position pour l’État-major de l’ALN dans son conflit avec le GPRA. Durant la Révolution, le travail fractionnel était durement réprimé et celui de l’État-major de l’ALN était d’une extrême gravité puisqu’il ne visait ni plus, ni moins que la division du GPRA.
Malgré cela, Boumédiene en est sorti indemne et le GPRA n’a élevé aucune protestation auprès de la monarchie marocaine au sujet de sa complicité avec l’État-major de l’ALN. Ces questionnements appellent des éclaircissements de la part des responsables encore en vie : qu’ils ne laissent pas les nouvelles générations sur leur faim.
Jean-François Paya
SOURCES : Mohammed Harbi et certains ex-agents des services Algériens retraités
Synthèse GROUPE DE RECHERCHES HISTORIQUES par cercle ALG /POITOU Septembre 2011
"La mosquée de Paris sous l'occupation", par Jean Laloum
"La mosquée de Paris sous l'occupation"
Jean LALOUM
Le film d'Ismaël Ferroukhi, Les Hommes libres, est un beau film plein d'humanité, mettant en scène – dans le Paris occupé –, un épisode de la Mosquée de Paris. Afin de pallier le petit nombre de documents traitant du sujet, le réalisateur a choisi de conjuguer fiction et sources historiques dans l'écriture du scénario. D'entrée de jeu, le spectateur est prévenu du mélange des genres, non de leur part respective.
Au cœur de l'intrigue, le "planquage" d'enfants juifs dans la mosquée-même et le subterfuge utilisé pour soustraire le chanteur juif natif d'Algérie, Simon – alias Salim – Halali aux desseins allemands et vichystes. La délivrance de faux papiers, l'inscription apocryphe du nom du père du chanteur bônois sur une pierre tombale du cimetière musulman de Bobigny, parviennent à contrecarrer le sort qui leur était réservé. Très tôt pourtant, les autorités allemandes suspectant le lieu de culte de collusion y enquêtent.
Dès septembre 1940, bien avant la création du Commissariat aux questions juives (CGQJ), Vichy est prévenu de ses possibles agissements : "Les autorités d'occupation, révèle une note interne au ministère des affaires étrangères, soupçonnent le personnel de la mosquée de Paris de délivrer frauduleusement à des individus de race juive des certificats attestant que les intéressés sont de confession musulmane. L'imam a été sommé, de façon comminatoire, d'avoir à avec toute pratique de ce genre. Il semble, en effet, que nombre d'israélites recourent à des manœuvres de toute espèce pour dissimuler leur identité."
Quelles institutions furent à l'initiative de la délivrance de faux certificats ? Quels furent les moyens de contrôle des services de Vichy en vue de déjouer ces pratiques ? Que penser de l'attitude prêtée au directeur de la Mosquée de Paris à partir d'un nombre réduit d'indices ? Son rôle, à la lumière d'autres archives, semble plus ambigu qu'il ne ressort du film.
créé en mars 1941, le CGQJ était
installé place des Petits-Pères
Les attestations de complaisance circulent en nombre dans la France occupée. Au sein de l'imposante série AJ38 répertoriant les archives de l'ex-CGQJ (Commissariat général aux questions juives) conservées aux Archives nationales, les certificats de baptême, d'initiation ou d'ondoiement, de mariage ou d'inhumation adressés par les autorités religieuses à des familles présumés juives, y figurent très régulièrement.
Ceux-ci proviennent pour l'essentiel de la sphère chrétienne. S'ils sont adressés au CGQJ, c'est que celui-ci tient un rôle primordial dans la reconnaissance raciale des individus. C'est en effet l'une de ses directions – la direction du Statut des personnes – qui, par ses avis autorisés, entérine la décision. Un certificat de non-appartenance à la race juive (CNARJ) est alors délivré à la personne ayant fourni toutes les pièces justificatives de son aryanité.
l'identité raciale de l'individu
Une fois épuisées les possibilités de se procurer ces attestations religieuses, c'est en dernier recours le diagnostic du professeur George Montandon, expert "ethno-racial" à la solde des Allemands qui détermine, après examen, l'identité raciale de l'individu.
Il se targue d'une connaissance quasi universelle sur les religions. Or, pour nombre de juifs d'origine nord-africaine justement, revêtir l'identité d'un Arabe de confession musulmane constitue un subterfuge courant. La langue arabe, longtemps langue vernaculaire de ce judaïsme d'outre-Méditerranée, est encore couramment pratiquée dans les familles installées en France. Du coup, c'est d'instinct que ceux-ci jouent sur l'ambiguïté, aussitôt qu'ils sont menacés. Très tôt cependant, le CGQJ s'avise de débusquer les fraudeurs.
La direction du Statut des personnes s'adjoint d'experts pour transcrire et authentifier les certificats en langues étrangères qui lui sont soumis. Elle fait également appel à la collaboration des différents représentants religieux pour évaluer, par des avis étayés, les déclarations des postulants se réclamant de la race aryenne, même si elle soupçonne ces religieux de se prêter à des conversions de complaisance. Ne pouvant se passer d'eux, elle les sollicite, quoiqu'avec la plus grande défiance.
Les autorités musulmanes constituées sont donc périodiquement consultées pour statuer sur les requérants se réclamant de la religion musulmane. L'onomastique, le lieu de naissance et la filiation sont les critères retenus par la direction du Statut des personnes pour déterminer la race, car la circoncision, pratiquée également par les musulmans, n'est pas un indice probant dans le cas des juifs nord-africains. Une note du CGQJ adressée le 14 septembre 1943 au directeur de l'Institut musulman – mosquée de Paris demande son avis "sur le patronyme de Amsellem Salomon, Yacouta née Ben Rhamin Bent Chemoun et enfin : Ben Aroch Messaoudah. […] Je vous demanderai également de bien vouloir me dire si ces noms vous semblent être ceux que portent les musulmans ou les arabes, et si, selon votre sens, les juifs d'Algérie peuvent porter ces mêmes noms. Une prompte réponse de votre part m'obligerait".
demandes d'expertise sur la judéité
Le 23 septembre suivant, une même demande concernant un individu natif de Guelma, Joseph Krief (ou Kriel) qui, s'étant déclaré juif par erreur alors qu'il serait musulman, souhaiterait revenir sur cette première déposition. De façon inattendue, la direction laisse la Mosquée de Paris libre d'invoquer l'incertitude, ce qui jouera au bénéfice de l'examiné. Le verdict, cinglant et circonstancié, tombe comme un couperet moins de deux semaines après : "L'Institut Musulman à qui j'avais soumis aux fins d'authentification le document que vous m'avez communiqué, vient de m'indiquer que votre nom était un nom juif algérien. Le nom de votre père, Vidal Kriel, confirme cette origine..."
Ces demandes d'expertise auprès de la Mosquée de Paris n'ont rien d'exceptionnel. Ces échanges sont répétés, sinon réguliers. Le 17 juin 1944 une nouvelle requête est adressée à Si Kaddour Ben Ghabrit au sujet de la position raciale de Germaine Roland, née Marzouk, originaire de Tunisie : "Vous avez eu l'amabilité, à diverses reprises, de me donner votre avis sur des cas d'espèce analogues à celui-ci, lui écrit-il. Puis-je vous demander à nouveau de me faire savoir si l'attestation dont il s'agit peut être tenue pour valable ou non et si les patronymes des ascendants de l'intéressée sont d'origine juive ou musulmane […]."
Le 12 juillet 1944, le CGQJ avise le mari de l'intéressée qu'en vertu des conclusions convergentes de la Mosquée de Paris et de l'"expert ethno-racial" George Montandon, Germaine Roland sera considérée comme juive au regard de la loi du 2 juin 1941. Transférée le 5 août 1944 du camp de Bassano à celui de Drancy, elle n'évite la déportation qu'en raison de la date tardive de son internement.
Jean Laloum, chercheur au CNRS
groupe Sociétés, religions, laïcités
Le Monde, 7 novembre 2011
- articles sur le film Les hommes libres publiés sur le blog d'Études Coloniales
les disparus européens de la guerre d'Algérie
les disparus civils européens en Algérie,
1954-1963
un scandale d'État ?
Roger VÉTILLARD
Il s'agit d'un sujet très sensible. Les recherches sur les disparus européens de la guerre d'Algérie n'ont pas été rares. Mais elles ont toujours été approximatives faute de pouvoir recourir aux documents et archives mises à part celles de Jean Monneret qui a pu en utiliser quelques-unes.
La plupart de ces recherches n'ont utilisé que des témoignages parfois imprécis, parfois convergents mais critiquables car difficilement vérifiables. Et en la matière quand on ne sait pas tout, la tendance est à l'exagération ou à la récusation, selon le côté où l'on se situe.
Le travail de Jean-Jacques Jordi, historien universitaire spécialiste de l'Algérie, vient combler les incertitudes. Il a pu – enfin, avec un demi-siècle de retard – accéder aux archives du Comité International de la Croix Rouge, des ANOM, du CHAN–CARAN, du Ministère des Affaires Étrangères, du CAC de Fontainebleau, du SHD, du Cabinet Militaire de la délégation générale du gouvernement en Algérie et du Service Central des Rapatriés. La consultation de la quasi-totalité de ces archives reste soumise à autorisation dérogatoire. Il a ainsi pu consulter près de 12 000 dossiers.
des révélations impressionnantes
Ce qui est révélé dans ce livre est saisissant. Ce que beaucoup d'Européens d'Algérie affirmaient pour l'avoir vécu est ici confirmé par les archives, rapports, références précises et témoignages. L'enquête est très transparente. Rien n'est avancé sans que la source, toujours vérifiable, ne soit précisée. C'est un travail d'histoire scientifique qui ne peut être contesté. Mais peut-être sera-t-il occulté, ignoré et escamoté ?
Ainsi est-il affirmé, preuves à l'appui, qu'au moins 1583 personnes dont l'état-civil est précisé sont présumées décédées, que le sort de 171 autres personnes est incertain et que les corps de 123 autres personnes ont été retrouvés. Ainsi donc, il n'est plus possible de dire que moins de 1877 personnes sont concernées par ces disparitions.
Et qui dit disparition veut parler des personnes victimes d'un enlèvement, c'est-à-dire d'une mise au secret, d' une privation de liberté avec une dénégation complète des responsables de l'enlèvement et une dissimulation du sort réservé à la personne disparue. On ne parle pas ici des personnes dont le corps a été retrouvé ou qui ont été tuées sans être enlevées.
Et pourtant les archives confirment que les autorités françaises savaient que des Européens étaient disparus, que bien souvent elles connaissaient les ravisseurs, les lieux de détention et qu'elles ont toujours refusé d'intervenir en particulier après le 19 mars 1962 période où se situe la plupart des enlèvements et même quand il s'agissait encore d'un territoire où les forces de l'ordre françaises pouvaient intervenir sans difficultés.
Elles savaient que ces personnes enlevées subissaient des sévices corporels importants, qu'elles étaient parfois, donneurs de sang forcés, saignées à blanc jusqu'à ce que mort s'ensuive, qu'elles étaient torturées puis exécutées, que les femmes étaient violées et parfois enfermées dans des bordels. Dès lors les autorités militaires et civiles françaises peuvent être accusées de non assistance à personne en danger et on peut affirmer que ces exactions de l'ALN envers les Européens d'Algérie sont également des crimes contre l'humanité (Commission de droit international - 1995- vol. II -2ème partie). Et leurs auteurs parfois parfaitement identifiés (par exemple Attou à Oran) ne sont jamais inquiétés.
une épuration ethnique
Il faut rappeler que sous couvert de lutte contre l'OAS, c'est en fait à une épuration ethnique que nous avons assisté en Algérie sur un mode "mineur" avant la signature des accords d'Evian (il s'agit de 320 personnes) , d'une façon méthodique après le 19 mars 1962 (cela concerne près de 3000 personnes) avec parfois le concours de l'administration française ou des "barbouzes" qui n'hésitaient pas à livrer des pieds-noirs au FLN, voire même à remettre à l'ALN des personnes qui avaient réussi à échapper à leurs agresseurs et qui croyaient naïvement que demander la protection de la gendarmerie française leur épargnerait d'être renvoyés vers leurs tortionnaires.
Les noms de ces Français coupables qui ont laissé faire ce massacre sont cités de Fouchet à Katz, de Lemarchand à Louis Joxe… Les archives du CICR et les autres sont éloquentes sur ce sujet. En effet à partir du cessez-le-feu l'ennemi en Algérie pour l'armée et la gendarmerie c'est l'OAS. Et comme les Européens sont réputés dans leur grande majorité être favorables à cette organisation clandestine, ils deviennent tous présumés coupables d'assistance à organisation terroriste. Et une justice immanente est dès lors légitimée.
faire fuir le Français d'Algérie par la terreur
Les exactions algériennes se sont poursuivies plusieurs mois après l'indépendance. On en recense 1128 entre le 19 mars et le 1er juillet 1962, 1849 au cours du second semestre de cette année 1962, 367 entre le 1er janvier le 30 septembre 1963. Il est désormais difficile de continuer à soutenir que la guerre d'Algérie a pris fin le 19 mars 1962 et il est impossible d'affirmer que le déchaînement de violence, fin 1961 - début 1962, venait essentiellement de l’OAS, comme le soutient Pierre Daum. Car la stratégie, des commandos du FLN est claire : faire fuir le Français d'Algérie par la terreur.
L'auteur s'attarde 34 pages durant sur les massacres survenus à Oran en juin et Juillet 1962. Ici les documents parlent. Il n'est nul besoin de les commenter ; ils accablent le général Katz en dépit des interventions de plusieurs officiers qui ont bravé les interdits de leur hiérarchie. Un général Katz à la mémoire défaillante dans le livre qu'il a publié en 1992 où il contredit ses propres rapports dans cet ouvrage qu'il a osé intituler L'Honneur d'un Général !
Il faut lire cet ouvrage de Jean-Jacques Jordi. Il qui se situe bien au-delà de ce que beaucoup imaginaient et il est écrit par un historien rigoureux et averti qui parait surpris par ce qu'il a découvert. Alors Silence d'État ou Scandales d'États ?
Il reste à écrire au moins trois autres études du même calibre concernant les militaires, les civils musulmans et les harkis disparus.
Roger Vétillard
historien
Jean-Jacques Jordi, Un silence d'État – Les disparus européens de la guerre d'Algérie, SOTECA éd. St Cloud, 2011 – 200 p - ISBN 978 2 9163 8556 3
Les disparus civils européens de la guerre d’Algérie
Jean-Jacques Jordi, attaché à la réalité des faits
Jean-Jacques Jordi, Un silence d’État. Les disparus civils européens de la guerre d’Algérie, Soteca 2011, 200 pages, 25 €.
La reconnaissance des disparitions d’Européens lors de la guerre d’Algérie est restée en France un secret d’État pendant plus de 40 ans ; elle fait toujours l’objet d’un déni de la part des Algériens. Une première recherche scientifique a été engagée en 2004 par une équipe constituée par la Mission interministérielle aux rapatriés (MIR), en coopération avec le Haut Conseil des Rapatriés et la Direction des archives diplomatiques. Le rapport de cette équipe, en novembre 2006, concluait à la disparition d’environ 2000 Français d’Algérie dont 320 avant le cessez-le-feu (1). Mais ce total comprenait 535 personnes au sort incertain.
L’auteur est donc parti de ce résultat et a conduit une recherche approfondie dans des fonds d’archives, autres que diplomatiques, qui n’avaient pas été consultés : les Centres des archives nationales, contemporaines, militaires, d’outremer, de la Croix-Rouge, et surtout du Service central des Rapatriés.
La consultation de 12.000 dossiers lui a permis de réduire les cas incertains à 170, et de publier les listes - des présumés décédés (1.583 dont 145 Musulmans) - des cas incertains - des personnes dont le corps a été retrouvé (123). En outre 349 faux disparus sont rentrés en France et 84 militaires ont été inscrits au mémorial du quai Branly. La répartition des disparus est précisée par année, mois de 1962 et par département : 40% ont eu lieu à Alger et 35% à Oran (679 Oranais du 26 juin au 10 juillet 1962).
Des charniers sont découverts près d’Alger, et des lieux de détention connus ; des témoignages précis confirment la réalité des enlèvements de familles entières. Il apparaît enfin que 900 noms ont été gravés par erreur sur le mur des disparus édifié à Perpignan.
cofirmation de faits historiques seulement contestés
par les historiens manichéens
Ce travail considérable met en évidence et confirme des faits historiques qui sont contestés par des historiens inspirés par une vision manichéenne du bon et du mauvais combat. En voici quelques-uns :
- le terrorisme du FLN-ALN a été beaucoup plus meurtrier que celui de l’OAS ; dès 1955, il visait à l’extermination de tous les Français d’Algérie, préconisait la mutilation des corps et éliminait en masse les Français-Musulmans loyaux,
- les disparitions forcées sont considérées par l’ONU comme des crimes contre l’humanité,
or les auteurs d’enlèvement n’ont jamais été condamnés (cas de Attou à Oran),
- réagissant à la violence des nationalistes, les Français d’Algérie se sont repliés dans les villes, ont riposté aux attentats par des ratonnades et ont soutenu l’OAS ; le commandant Azzedine confirme que leur exode massif est la conséquence des enlèvements.
- les accords d’Évian n’ont pas été respectés par le FLN, dont les dirigeants se déchirent pendant tout l’été 1962, ce qui a facilité les exactions et les sévices,
- les directives de non-intervention militaire du Premier ministre confirment les décisions gaullistes au Comité des Affaires algériennes (20 décembre 1961, 27 février et 23 juin 1962) ; le général Katz prétend ne pas avoir de consignes, alors que les directives du général Fourquet (19 et 27 juin) sont très claires ; le 5 juillet à Oran, les interventions militaires ont été plus nombreuses qu’on le dit,
- la majorité des enlevés ont été torturés, et certains vidés de leurs sang (confirmation de Gregor Mathias).
La recherche historique progresse ; il faut faire confiance aux historiens qui tels que Jordi, sont attachés à la réalité des faits.
le 31 octobre 2011
la face obscure des "héros de l'indépendance"
Arnaud FOLCH, Valeurs Actuelles
Dans son livre choc, “Un silence d’État” (Soteca-Belin), l’historien Jean-Jacques Jordi dévoile des centaines d’archives interdites d’accès. Cinquante ans après, celles-ci remettent en question la vision à sens unique propagée jusque-là sur la guerre d’Algérie.
C’est un historien réputé, plutôt classé à gauche, qui a eu la lourde tâche de “fouiller” les archives inédites de la guerre d’Algérie. Docteur en histoire, enseignant, notamment à l’École des Hautes études en sciences sociales, auteur d’une dizaine d’ouvrages et de plusieurs documentaires télévisés consacrés à ce conflit (France 2, France 3, M6), Jean-Jacques Jordi, 56 ans, n’a rien d’un “extrémiste” – d’une cause ou d’une autre. «Mon travail est scientifique, dit-il. Je ne suis ni un juge qui décide “c’est juste ou injuste” ni un religieux qui décrète “c’est bon ou mauvais”.»
"Européens" d'Algérie arrêtés par le FN en 1962 après mars et les Accords d'Évian
«Jamais, je n’aurais imaginé découvrir de tels faits»
Charnier de l'Haouch Adda (Maison Carrée)
le 22 mai 1962
Collection Photos Général Rolet
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complicité française
Arnaud Folch
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