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études-coloniales
23 février 2012

Charonne (1962) et la CGT

Charonne CGT (3) 

 

la CGT n'a rien appris de l'histoire

Michel RENARD

 

L'Union régional Île-de-France de la CGT a publié, début 2012, une plaquette commémorative de la manifestation du 8 février 1962 restée sous le nom de "Charonne" (du nom d'une station de métro du 11e arrondissement de Paris) et des neuf morts assassinés par la police (dont huit membres du Parti communiste).

Historiquement, on ne peut y être insensible. Personnellement, je le suis encore moins puisque ma propre mère fut l'une de ces manifestantes. Lorsqu'elle décéda, beaucoup plus tard, et qu'on l'inhuma, le 28 février 2008 à Bezons, j'ai prononcé ces mots au sujet de cet événement : "Le 8 février 1962, à proximité du métro Charonne, avec d'autres, elle fut malmenée par la charge policière et ne dut qu'à la vigilance d'un anonyme compagnon de manifestation d'échapper au piège qui fut fatal à plusieurs."

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8 février 1962

J'ai longtemps cru qu'il s'agissait d'une vérité familiale et historique. Or, mon père vient de m'appendre que j'ai dû confondre avec la manifestation contre la venue du général américain Ridgway le 28 mai 1952. Ce jour-là, la répression fut terrible : on compta un mort parmi les manifestants et des dizaines de blessés. C'est à cette occasion que ma mère fut renversée. Un manifestant proche puis mon père (qui se souvient du prénom du premier) se portèrent à son secours, la dégagèrent et la mirent à l'abri du danger. Ma mère n'était pas à Charonne, sinon "nous serions rentrés ensemble" me fit remarquer mon père.

Entre parenthèses, ce souvenir écran atteste de la terrible vulnérabilité du témoignage de mémoire. Et des processus complexes de déplacement de souvenirs. Il me semblait pourtant en avoir plusieurs fois discuté avec mes parents. Ma mère était à Charonne, j'en étais persuadé. À tort.

Mon père, de son côté, fait depuis longtemps partie du "Comité Vérité et Justice Charonne" (lire son interview ci-dessous paru en 2010) Je ne livre pas ces confidences famliliales comme argument d'autorité pour valider ce que je vais dire. Seulement, pour signifier que "Charonne" est loin de m'être indifférent.

Mon ami Daniel Lefeuvre, lui, a participé au cortège des obsèques de ces décédés, le 12 février 1962, ce fut sa première manifestation, je crois. Il en garda le souvenir d'un impressionnant silence. "Charonne" est l'un des ferments de notre réceptivité à la période coloniale et anti-coloniale.

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12 février 1962

 

quelques critiques de la plaquette de la CGT

Ce qui me gêne dans la plaquette de la CGT n'est pas le rappel de ces tragiques événements. Il faut le dire et le redire. Mais ce sont plusieurs affirmations, cadres d'analyse ou même silences qu'il est impossible de continuer à répéter aujourd'hui. Par exemple :

1) la plaquette commence ainsi : le 18 mars 1962, les accords d'Évian mettaient fin à huit ans d'une guerre..." Faux. On sait très bien que la "guerre" continua pendant des mois, que la direction du FLN à Tripoli n'approuva pas les accords, que des centaines de morts tombèrent après mars 1962.

Charonne CGT

2) le texte se poursuit par un bilan : "Environ 400 000 Algériens sont morts, 90 000 harkis, 29 000 militaires français, 6000 civils «européens». Il y eut environ 65 000 blessés". D'abord, le chiffre de morts algériens est inférieur, environ 300 000 selon l'historien Yacono et probablement inférieur à 250 000 selon Charles-Robert Ageron (cf. Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d'Algérie, éd. Picard, 2002, p. 239). Ensuite, on pourrait expliciter que les harkis ont été tués par les Algériens, que des Algériens messalistes (Messali Hadj) furent égorgés par des Algériens du FLN...

3) on utilise la formule : "l'ultra-colonisation de l'Algérie". Qu'est-ce cela veut dire ? D'où sort cette caractérisation ? Aucun historien ne l'a jamais employée, personne ne l'a jamais élucidée. Pourquoi cette emphase ? Le terme de colonisation suffit, même si la réalité a montré "des" colonisations différentes. Le terme "ultra" voudrait-il renvoyer aux "ultras" de la collaboration qui s'affichèrent avec les nazis entre 1940 et 1944 ?

4) d'autant que si "l'ultra-colonisation" voulait évoquer la colonisation de peuplement, les chiffres qui figurent dans la plaquette elle-même subviennent à prouver la marginalité de ce peuplement : la conquête du territoire se double de l'installation des colons. Quand le général Bugeaud quitte ses fonctions, 11 000 européens (notamment espagnols) et 47 000 Français colonisent l'Algérie"...! Et puis quoi encore ! Cinq dizaines de milliers de personnes colonisent l'Algérie. Ce n'est pas sérieux. Par ailleurs, la plupart étaient à Alger et dans ses alentours immédiats.
Comme le note Jacques Frémeaux : "La véritable prospérité de la colonie ne commence réellement qu'à partir des années 1880, poussée par le développement du vignoble" (La France et l'Algérie en guerre, 1830-1870, 1954-1962, éd. Economica, 2002, p. 52).

5) l'évocation de la conquête militaire est très lapidaire : "le général Bugeaud conduit une guerre d'une sauvagerie extraordinaire. Il organise la torture contre les populations locales en pratiquant par exemple l'enfumage des populations"? La guerre de conquête a été violente. Le mot "torture" contre des populations locales est-il approprié ? Le défaut du raisonnement tient dans sa généralisation.


a) L'affrontement avec les tribus passait par le contrôle des territoires où elles trouvaient refuge, ce qui conduisit aux "razzias" avec destruction des douars, confiscation des récoltes, déplacement des populations... Ces méthodes terribles n'étaient pas spécifiquement françaises ni nouvelles.
L'historien Jacques Frémeaux précise : "Bugeaud n'est pas, à vrai dire, l'inventeur de la razzia. Celle-ci est largement inspirée de celle des anciens dominateurs turcs, qui eux-mêmes n'avaient sans doute qu'emprunté à leurs prédécesseurs une technique de domination employée depuis des temps anciens par les États du Maghreb. Faute de pouvoir occuper et administrer de manière permanente les pays relevant de leur souveraineté, ils y envoyaient régulièrement des colonnes armées, dites mehalla, chargées de lever les impôts. En cas de résistance, celles-ci opéraient des ravages qui ne cessaient qu'au moment où les notables venaient faire leur soumission. Il semble que parmi les premiers Français à avoir recours de manière systématique à ces méthodes figure le genéral Lamoricière, jeune rival de Bugeaud, mais un des plus anciens «Africains» de l'armée. Elles deviennent en tout cas une constante des campagnes françaises en Afrique du Nord (La France et l'Algérie en guerre, 1830-1870, 1954-1962, éd. Economica, 2002, p. 197).

Mais ci, le terme de "torture" est inapproprié.

b) les autorités militaires coloniales considéraient les insurgés comme des rebelles à l'ordre colonial mais pas comme des Français coupables de rébellion à l'autorité de l'État. Jacques Frémeaux, encore, note : "les commandants des colonnes qui recueillent les redditions ont pour coutume d'imposer aux survivants de rendre leurs armes, et de les frapper de peines collectives, notamment sous forme d'amendes, et non de les condamner à mort ou à des peines de travaux forcés" (id, p. 88). Alors que les insurgés vaincus et prisonniers de 1848 ou ceux de 1871, en métropole furent fusillés. Là encore, on ne peut qualifier cela de "torture".

c) par contre l'affaire des enfumades des grottes du Dahra (19 juin 1845) manifeste un degré de cruauté qu'il faut cependant tempérer par les réactions des militaires qui ont eu à la mener ou à la commenter. Talonnée par les troupes de Pélissier, une partie des populations de la tribu des Ouled Riah se réfugie dans un massif montagneux à l'est de la ville de Chlef, les grottes du Dahra. Des négociations s'engagent entre les "insurgés" et les militaires français après les ripostes armées des "encavernés" qui tirent. L'accord ne se conclue pas. Pélisssier décide de faire sortir les barricadés en enfumant l'entrée des grottes et fait tirer sur ceux qui tentent de s'extraire du piège. Plus de cinq cents personnes y laissèrent la vie, hommes, femmes enfants, dit-on. Horrible épisode de guerre.
Pélissier rend compte à Bugeaud : "Ce sont des opérations, Monsieur le maréchal, que l'on entreprend quand on y est forcé, mais que l'on prie Dieu de n'avoir à recommencer jamais" (cf Jean-Pierre Bois, Bugeaud Fayard, 1997, p. 455). Ce qui prime dans ce face à face est l'aspect militaire. Il n'y a pas de caractérisation ethnico-péjorative de l'adversaire. Ni "torture", mais logique de choc militaire sans concessions. Comme l'avaient été toutes les guerres jusqu'alors.

5) La référence au "facisme" du régime gaulliste. C'est un contre-sens historique bien connu. On peut discuter des conditions du retour au pouvoir du général De Gaulle en mai-juin 1958. Mais cela n'a jamais approché le fascisme. Répéter en 2012, les slogans alarmistes et anachroniques lancés en 1958, c'est ne rien avoir appris de l'histoire.

Alors, oui, en tant que citoyen, il faut condamner la violence politique et policière de 1962. Oui, il faut honorer la mémoire des sacrifiés. Mais en tant qu'historien, on ne peut réitérer les catégories d'appréhension du passé relevant d'une idéologie et non de la rigueur d'analyse.

Michel Renard

Charonne CGT (2) 

 

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metro-charonne 

 

Charonne : «Un crime pour mémoire»

Daniel RENARD (2010)

21218138Quarante-huit ans après, l’État n’a toujours pas reconnu sa responsabilité dans le crime du métro Charonne. Entretien avec Daniel Renard, président du Comité Charonne pour la vérité et la justice.

Jean-Pierre Bernard, Fanny Dewerpe, Daniel Fery, Anne-Claude Godeau, Édouard Lemarchand, Suzanne Martorelle, Hippolyte Pina, Maurice Pochard, Raymond Wintgens. Il y a quarante-huit ans, le 8 février 1962, ces neuf syndicalistes de la CGT, dont huit étaient militants du Parti communiste, étaient assassinés, à la station de métro Charonne, par les brigades spéciales dirigées par Maurice Papon, à l’époque préfet de police de Paris. Ils venaient de participer à une manifestation contre l’OAS (1) et pour la paix en Algérie.
Daniel Renard, aujourd’hui président du "Comité Charonne pour la vérité et la justice", faisait partie des organisateurs de cette manifestation. Il témoigne.

Pourquoi un comité Charonne et pourquoi ce nom : vérité et justice ?

Daniel Renard - Parce que nous voulons que l’État reconnaisse enfin sa responsabilité dans le crime du 8 février 1962 et que justice soit rendue aux familles des victimes. Nous voulons aussi faire connaître ce qui s’est passé. Beaucoup, surtout parmi les jeunes, ignorent tout de Charonne. On ne leur en parle pas à l’école.

Quel était l’objectif de cette manifestation du 8 février ?

Daniel Renard - Elle avait deux objectifs : la riposte aux attentats de l’OAS et la paix en Algérie. Le 7 février, une charge de plastic au domicile du ministre André Malraux avait défiguré la petite Delphine Renard. D’autres attentats avaient visé notamment le député communiste Raymond Guyau et l’écrivain Vladimir Pozner qui avait été sérieusement blessé.
Le soir même, les unions départementales CGT de la Seine et de la Seine-et-Oise provoquaient donc une réunion des organisations syndicales et politiques pour riposter. Et, le matin du 8 février, un tract appelait à manifester à 18 h 30 à la Bastille. Il était signé par les syndicats CGT de Seine et de Seine-et-Oise, les organisations parisiennes de la CFTC, de l’Unef, du SGEN, les sections de Seine-et-Oise de la Fédération de l’éducation nationale (FEN) et du Syndicat des instituteurs. Les fédérations de Seine et de Seine-et-Oise du Parti communiste et du PSU, les Jeunesses communistes, les Jeunesses socialistes unifiées, le Mouvement de la paix de Seine et de Seine-et-Oise s‘associaient à l’appel.



charonne

 

Comment les événements se sontils déroulés ? Vous étiez parmi les organisateurs…

Daniel Renard - J’étais secrétaire général de la FEN de Seine-et-Oise. Lorsque nous avons su que le gouvernement interdisait la manifestation, nous avons tenté en vain d’avoir un rendez- vous à la préfecture de police. Il faut rappeler que le préfet de police, Maurice Papon, venait de s’illustrer dans le massacre des Algériens lors de la manifestation du 17 octobre 1961 à l’appel du FLN – on connaît aussi son rôle, en Gironde, pendant l’Occupation. La Bastille n’étant pas accessible, nous avons constitué cinq cortèges différents. En tête de chacun il y avait des responsables des organisations qui appelaient.
On a évalué à 60 000 le nombre total de manifestants. Je me trouvais dans le cortège qui, parti du boulevard Beaumarchais, est arrivé à l’angle de la rue des Écoles et du boulevard Saint-Michel où la dislocation s’est effectuée dans le calme.
Je suis alors rentré chez moi, à Bezons. C’est dans la nuit que j’ai été informé de ce qui s’était passé au métro Charonne. Alors que des responsables de la CGT et de la CFTC venaient de s’adresser aux manifestants et avaient appelé à la dispersion, la police a chargé avec une violence inouïe. Il y a eu huit morts sur le champ, un neuvième est décédé huit semaines plus tard. Parmi les nombreux blessés, certains l’étaient très sérieusement. Selon la thèse que Papon et le gouvernement ont tenté d’accréditer, les manifestants se seraient rués dans l’escalier du métro dont les grilles étaient fermées et se seraient écrasés les uns sur les autres. Mais c’est faux, les grilles n’étaient pas fermées.

Comment expliquez-vous une telle violence ?

Daniel Renard - Papon et le gouvernement cherchaient à en découdre. Les unités de police avaient été particulièrement choisies et comportaient des éléments qui revenaient d’Algérie. Or la volonté d’écraser la lutte du peuple algérien avait été mise à mal. Avec une certaine mauvaise volonté, le gouvernement français avait dû engager, le 20 mai 1961 à Évian, des pourparlers avec le gouvernement provisoire de la République algérienne. L’OAS, qui voulait y faire échec, multipliait les attentats.
Mais la mobilisation contre la guerre s’élargissait. Le 16 janvier 1962, un appel à «agir au grand jour contre les factieux de l’OAS» avait été signé par cent anciens résistants, parmi lesquels des gaullistes comme le général Billotte. Évidemment, les militants communistes qui luttaient depuis des années contre la guerre d’Algérie étaient particulièrement motivés. Le 8 février ils constituaient le gros des cortèges, ce qui fait que sur les neuf victimes, huit étaient communistes.

Quel a été l’impact de Charonne ?

Daniel Renard - Cela a déclenché un mouvement auquel le pouvoir ne s’attendait pas. Le lendemain, l’appel à un arrêt de travail d’une heure a été massivement suivi dans tout le pays. Les obsèques ont eu lieu le 13 février à l’appel de toute la gauche, de toutes les organisations syndicales. La foule était immense – on a parlé de 1 million de personnes. La pression pour que les négociations avec le FLN progressent est devenue telle que le 19 mars 1962 les accords d’Évian étaient signés.

Quel enjeu représente aujourd’hui la reconnaissance de ce crime ?

Daniel Renard - Cette reconnaissance est très importante pour agir contre toutes les survivances du colonialisme. Nous associons le 8 février 1962 et le 17 octobre 1961 qui était aussi une manifestation pacifique. Faire reconnaître ces crimes par l’État français est aussi une façon de travailler à l’amitié franco-algérienne. Ces dates marquent l’histoire de France et font partie de l’identité populaire.

entretien réalisé par Jacqueline Sellem, L'Humanité, 10 février 2010


(1) Organisation de l’armée secrète dirigée par les généraux Jouhaud et Salan qui avaient participé au putsch d’Alger du 13 mai 1958. Ils seront amnistiés en juillet 1968.

 

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les neuf morts du métro Charonne, le 8 février 1962

 

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8 février 2012

8 février, répression de la manifestation au métro Charonne

Alain Dewerpe, Charonne, 8 février 1962 :

anthropologie historique d’un massacre d’État


Régis MEYRAN
 
Paris, Gallimard, 2006, 897 p., notes bibliogr., index, ill., plans (« Folio histoire » 141).
Régis Meyran
 
Nul n'ignore la définition de l’État selon Max Weber, presque devenue un lieu commun des sciences sociales. Le sociologue l’a résumée dans une conférence de 1919 (1); partant d’un aphorisme de Léon Trotski («Tout État est fondé sur la force»), il énonçait : «il faut concevoir l’État comme une communauté humaine qui […] revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime» (2). Or, quand on considère la notion de «crime d’État», on en vient à penser qu’une telle définition doit être complétée, car ce type de crime, si on en admet l’existence, suppose une opposition entre violence légitime et violence illégitime.
Pour dire les choses autrement, que se passe-t-il si des pratiques violentes commises par des agents de l’État ne sont pas acceptées par les citoyens ? Lorsque, pour reprendre une expression de Didier Fassin, un «seuil de l’intolérable  vient d’être dépassé (3) rendant cette violence illégitime ? De ce point de vue, le crime de Charonne, qui entre dans la catégorie des violences «extrêmes», constitue un cas d’école. L’historien Alain Dewerpe s’est livré à une étude érudite d’anthropologie historique sur ce sujet, qu’il a consignée dans un copieux ouvrage (presque 900 pages), résultat de longues années de recherche.

9782070307708FS

 

Rappelons brièvement les faits. Le 8 février 1962, des syndicats ouvriers (CGT, CFTC), étudiants (UNEF) et enseignants (SGEN-CFTC, FEN) – auxquels s’étaient adjoints deux partis de gauche, le PSU et le PCF – appelèrent à manifester à Paris, entre 18 h 45 et 19 h 30. Il s’agissait de répondre aux attentats commis à l’explosif par l’OAS la veille, en même temps que de réclamer la paix en Algérie. Or, le préfet de police, Maurice Papon, avait proscrit tout rassemblement sur la voie publique. Pour faire respecter cette interdiction, la police donna la charge, ce qui coûta la vie à neuf manifestants à la station de métro Charonne.
 
Comment expliquer que des policiers aient eu droit de vie ou de mort sur des citoyens qui défilaient pacifiquement ? On a là quelque chose qui ressemble à un «fait social total», dans la mesure où cet événement – qui n’a pas duré plus de vingt minutes – renferme un ensemble de significations qui éclairent, sous un certain angle, les structures politiques de la société française du XXe siècle. Car, affirme Alain Dewerpe en introduction, un tel massacre ne relève en rien de «l’anecdote» ou du «dérapage» : il a sa logique propre, qui est le résultat de «pratiques sociales» comme de «logiques politiques» (p. 24). [mais tout est le résultat de "pratiques sociales" et de "logiques politiques"... note de Michel Renard]
 
L’auteur a construit son livre en trois parties : tout d’abord, il s’est focalisé sur les mécanismes de la violence policière ; puis, il a analysé le mensonge consistant à nier la responsabilité du gouvernement ; enfin, il a disséqué la façon dont l’appareil judiciaire a tout simplement évacué la responsabilité de l’État. Alain Dewerpe commence par brosser un tableau historique et sociologique de la manifestation de rue.
 
Le modèle qu’il étudie trouve ses origines dans les années 1920 ; il prend la forme de cortèges multiples se déplaçant au hasard, mais convergeant vers un rendez-vous fixé à l’avance. Cette pratique sociale comporte un «enjeu physique et symbolique», puisqu’il s’agit pour les manifestants de «posséder la rue», dans un face-à-face avec les policiers. Une «dramaturgie» se met en place : chaque individu se fond dans la foule en franchissant la barrière symbolique qui sépare le trottoir de la chaussée, et en passant du silence au slogan scandé. L’auteur rappelle qu’un tel exercice est le résultat d’un apprentissage : il existe des «postures [corporelles]» et des «mémoires manifestantes», ainsi qu’une théâtralité collective – même si celle de Charonne fut «modeste» et «retenue» (p. 46).

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Après la foule manifestante, c’est le dispositif policier mis en place ce 8 février qu’Alain Dewerpe a étudié très en détail. Celui-ci visait à reconquérir le territoire : à la façon des stratèges militaires, l’état-major policier, ne lésinant pas sur les moyens, a découpé l’espace urbain en secteurs, qu’il a fait quadriller par des compagnies d’intervention (4). Le nombre impressionnant de policiers mobilisés (3 000) créait une «saturation» numérique de l’espace, tout en formant des barrages fixes pour contenir la foule. Les policiers, équipés de casques, de gants de toile, d’une matraque (le «bidule», bâton long de 83 cm inventé dans les années 1950) et de grenades lacrymogènes, usaient d’une technique simple, mais terriblement efficace : ils refoulaient tout d’abord les manifestants, puis effectuaient la charge.
 
Cette technique comportait un gros risque de dérive vers le massacre, note Alain Dewerpe (p. 188), car les policiers arrivaient en courant, plus ou moins alignés et à «vitesse maximum», sur la foule afin de la «traverser». Le but de la manœuvre n’était certes pas la destruction, mais la «dispersion» ; or, pour que l’efficacité soit maximum, il était conseillé aux compagnies d’intervention d’agir « sans demi-mesure »…
 
Le résultat de la charge à Charonne fut accablant. S’appuyant sur l’accumulation et le croisement des témoignages de manifestants, Alain Dewerpe montre que, après la dispersion de la foule, les policiers ne s’arrêtèrent pas (p. 111) : ils pourchassèrent les manifestants même isolés, les attendirent cachés sous une porte cochère pour les matraquer, et continuèrent à les frapper, même à terre, même blessés. Leur violence fut aussi verbale, faite d’injonctions de tuer. Plus encore, ils violentèrent le moindre passant, fût-il une personne âgée ou une femme, et saccagèrent les immeubles et locaux traversés durant leur course-poursuite. Les policiers utilisèrent, outre leur bidule et des lacrymogènes, les projectiles les plus divers (tout ce qui passait à portée de main, semble-t-il) et notamment des grilles métalliques pour arbres qu’ils laissèrent tomber dans la bouche du métro Charonne, sur une foule entassée en bas des escaliers (p. 130).
 
Que s’est-il passé dans l’esprit de ces policiers pour qu’ils se laissent aller à de tels débordements de violence ? On ne peut s’empêcher de penser à ce phénomène de «basculement dans l’irrationnel», décrit par le politologue Jacques Sémelin (5), c’est-à-dire à un processus d’escalade dans la violence, partant de décisions rationnelles mais qui s’emballent et deviennent finalement incontrôlables. Et si le moment de violence extrême échappe en partie à l’analyse, on peut en tout cas reconstituer la succession des étapes qui y mènent. C’est ce qu’a fait Alain Dewerpe, en remontant à la genèse de cette violence policière.

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Dans un premier temps, il prouve, par une étude approfondie des archives de la police (6), que la charge meurtrière n’était nullement due à l’initiative personnelle d’un commissaire de police, comme l’affirma par la suite Maurice Papon (pp. 137-138), mais bien à un «ordre direct de l’état-major». Il ajoute que les policiers disposaient malgré tout d’une marge de manœuvre certes «limitée mais réelle» : pour un même ordre de charger, il semble y avoir eu, chez les chefs de section, des degrés divers d’administration de la violence, à l’image de ce commissaire qui alla jusqu’à refuser – «avec énergie» – de charger (mais fut muté à cause de ce choix).
 
Dans un deuxième temps, Alain Dewerpe entreprend d’établir l’existence de «cadres cognitifs» propres à certains secteurs de la police, et notamment aux compagnies d’intervention, parmi lesquelles s’est propagée une véritable «culture de la violence». Celle-ci était le résultat d’un processus historique, amorcé à la fin du XXe siècle avec la peur du «Rouge» (syndicalistes, anarchistes, socialistes, etc.). Cette peur se mua dans les années 1920 en un «anticommunisme» policier, qui perdura jusque sous l’Occupation.
 
Un tel imaginaire permit l’avènement, au moment de la guerre froide et de la ­décolonisation, d’un «habitus» et d’une «morale» de la violence (p. 181) articulés autour de nouvelles figures de l’ennemi (l’Algérien, l’étudiant, l’intellectuel, le communiste). Dans les représentations des policiers, les manifestants enfreignaient la loi puisque les rassemblements étaient interdits : ils devenaient alors les responsables de la violence qu’ils subissaient. Pire encore, les policiers croyaient user à leur égard d’une «légitime défense», car ils percevaient la foule comme dangereuse. Un tel renversement de perspective les aidait à justifier leurs actes : le manifestant devenait un Autre diabolisé, un étranger menaçant dont il fallait à tout prix se défendre. Il s’agit là d’une construction fantasmatique bien connue, notamment depuis les travaux d’Omer Bartov sur la violence des soldats allemands sur le front de l’Est, pendantla Seconde Guerre mondiale (7). Selon cette logique consistant à déshumaniser l’Autre, le policier avait le droit de se faire justice lui-même : il était à la fois juge et bourreau.
 
À un stade plus conjoncturel, il faut, pour comprendre cette violence, également tenir compte d’une culture d’extrême droite (p. 186), exacerbée par des sympathies avec l’OAS, notamment chez les chefs de compagnies. En outre, en cette période très tendue de la fin de la guerre d’Algérie, Charonne vient s’inscrire dans la droite ligne d’épisodes sanglants antérieurs, comme ceux du 17 octobre et du 19 décembre 1961. Selon cet enchaînement, un massacre en entraîne un autre, comme par habitude, pourrait-on dire…
 
Dans un troisième et dernier temps, Alain Dewerpe ajoute que cette logique de la violence résulte d’un choix politique : elle est la conséquence directe de la décision prise par le gouvernement, à partir de 1958, de réprimer les mouvements nationalistes algériens, surtout à Paris. C’est donc le cadre institutionnel qui a permis l’asymptote meurtrière… La violence extrême était à la fois enseignée, encadrée et légitimée, sans pour autant être parfaitement contrôlée. Passons à l’étape de la légitimation. Une fois le massacre perpétré, le gouvernement ne pouvait que dissimuler ou mentir (p. 287).
 
Ces seuls choix possibles sont la conséquence, écrit Alain Dewerpe, d’un processus de débrutalisation, grâce auquel a pu émerger la possibilité d’une indignation collective. Face au «scandale civique», le gouvernement a choisi le mensonge. Il y eut d’abord le mensonge tout de suite fabriqué par la police. On lit, dans les rapports de synthèse de la police, à la fois les faits bruts, mais aussi le «travail politique d’interprétation» qui fabrique le «récit légitime de la réalité» (p. 136).
 
L’idée développée dans ce récit était que les communistes avaient utilisé la bonne foi des manifestants honnêtes en fomentant une «émeute». Les policiers avaient alors été obligés de répliquer, et les morts étaient donc le résultat malheureux d’une contre-attaque. Par la suite, le gouvernement produisit une seconde interprétation, contradictoire avec la première, selon laquelle des activistes de l’OAS auraient déclenché la violence, soit en se mêlant aux manifestants, soit en infiltrant les rangs de la police pour accomplir la tuerie. Puis vint la seconde dimension du mensonge, liée cette fois au fonctionnement du droit et des institutions judiciaires. L’historien a accédé ici à un dossier complet, incluant l’enquête préliminaire, le jugement au pénal (qui prononça un non-lieu), une enquête de droit administratif (l’institution se déclarant finalement «incompétente» en la matière), puis un jugement d’ordre civil, qui débouche sur une «responsabilité sans faute»…
 
L’auteur en conclut que tous les ordres judiciaires ont été convoqués pour souffler au citoyen ce qu’il fallait penser du crime de Charonne et donner une décision justifiée par le droit. On ne pouvait se contenter d’une sorte de couverture illégale, dont le modèle serait l’affaire Dreyfus – où le Conseil de guerre s’était prononcé au vu de pièces «secrètes» –, il fallait plutôt une succession de procès légaux, par lesquels se mit en œuvre une façon de contourner le problème. Par exemple, dans le procès en pénal, le juge d’instruction a clos l’affaire et utilisé une amnistie pour signifier que les coupables n’avaient pas à être jugés ; dans le cas du civil, la responsabilité fut attribuée à la fois à la ville de Paris et aux victimes… Finalement, au bout de dix ans de procédure, personne ne fut ni jugé ni condamné, et l’État se déclara incompétent pour juger de cette affaire. De plus, on attribua aux victimes une responsabilité dans la tuerie dont ils avaient été la cible.
 
Alain Dewerpe termine par l’étude de la mémoire de ce 8 février 1962. Il note qu’à partir des années 1980, le massacre du 17 octobre n’est plus occulté, mais que sa réapparition sur la scène publique a pour effet de déprécier l’événement du 8 février (pp. 663 sq.). Aujourd’hui, en revanche, les deux massacres apparaîtraient de plus en plus liés dans la mémoire collective nationale.
 
Au total, l’historien nous livre une recherche magistrale à bien des égards : à la fois étude sur la bureaucratisation de l’État – déjà bien effectuée par Max Weber, mais réalisée ici dans le détail, à la façon de la micro-histoire – et analyse des effets de cette bureaucratie quand elle rend possibles la violence et les mensonges en contexte de crise. Par ailleurs, on y lit comment l’exigence de la mémoire peut servir à rétablir des vérités.
 
Tout cela fournit également des pistes sérieuses pour comprendre les conditions d’existence de la démocratie, dont une partie se joue sur la scène publique, dans les confrontations et négociations entre l’État, les médias et les citoyens. C’est dire l’actualité d’un tel sujet, car si les violences policières sont peut-être moins extrêmes qu’hier, les questions de «mémoire» réinvestissent en force l’espace public. Or, pour comprendre les enjeux des débats sur les mémoires par exemple «noires» ou sur la fracture dite «coloniale», on ne saurait que trop recommander d’en faire l’étude à la fois historique et anthropologique.

Régis Meyran

notes
 
1 - «Le métier et la vocation d’homme politique (Politik als Beruf)», in Max Weber, Le Savant et le Politique, Paris, Plon, 1963 [1959] (« 10/18 ») : 123-222.
2 -  Ibid. : 125.
3 - Cf. Didier Fassin & Patrice Bourdelais, Les Constructions de l’intolérable : études d’anthropologie et d’histoire sur les frontières de l’espace moral, Paris, La Découverte, 2005 («Recherches»).
4 -Les compagnies d’intervention, faites de policiers non permanents, étaient à distinguer des compagnies républicaines de sécurité et des gendarmes mobiles. Bien que non clandestines, l’État rechignait à reconnaître leur existence (p. 178).
5 - Jacques Sémelin, Purifier et détruire : usages politiques des massacres et génocides, Paris, Le Seuil, 2005 («La couleur des idées»).
6 - Ces archives ont, note Dewerpe, un caractère extrêmement bureaucratisé. Tous les dossiers sont faits de la même manière : 1) brouillons, mémos ; 2) feuilles de minutage tenues en temps réel par chaque unité de police, et feuilles de trafic radio ; 3) après coup, comptes rendus des commissaires ; 4) enfin, rapport de main courante établi par l’état-major qui produit la «synthèse autorisée» de l’événement.
7 - Omer Bartov, L’Armée d’Hitler : la Wehrmacht, les nazis et la guerre, Paris, Hachette, 1999 [1990] (« Littératures »).Régis Meyran, «Alain Dewerpe, Charonne, 8 février 1962 : anthropologie historique d’un massacre d’État», L’Homme, 182 | avril-juin 2007, mis en ligne le 16 mai 2007. URL : http://lhomme.revues.org/index4286.html. Consulté le 07 février 2012 - EHESS, Paris.

 

 hommage-aux-victimes-charonne-8-fevrier-1962-L-1

 

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22 janvier 2012

les décès dus à la manifestation du 17 octobre 1961

 17-octobre-1961-elie-kagan-tous-droits-reserves-bdic-1

 

 les victimes du 17 octobre 1961 ?

selon Jean-Luc EINAUDI

commentaire de Michel Renard

  

Liste des victimes de la répression de la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris sous les ordres de Maurice Papon, préfet de police.

Source : Jean-Luc Einaudi : La bataille de Paris, Seuil, 1991, ISBN : 978-2-02-091431-4

En 1997, devant la Cour d’assises de Bordeaux, Jean-Luc Einaudi a témoigné sur le 17 octobre 1961 lors du procès intenté à Maurice Papon pour son action de 1942 à 1944. Il a présenté une liste de 73 tués et de 67 disparus.

Source : Cercle Bernard-Lazare de Grenoble.

On trouve également cette liste sur le site consacré au procès de Maurice Papon par la section de Toulon de la Ligue des Droits de l'homme : "les 140 Algériens disparus en 1961 à Paris".

* les liens indiqués ci-dessus sont aujourd'hui défectueux, c'est pourquoi nous avions pris la précaution de reproduire la totalité de la liste produite par Einaudi avec les dates (17 octobre 2021)

 

Tués

1

Abadou Abdelkader

noyé, date indéterminée

2

Abadou Lakhdar

noyé le 17/10/1961

3

Abbas Ahmed

arrêté le 10/10/1961, inhumé le 09/12/1961

4

Achermanne Lamara

tué le 17/10/1961

5

Adrard Salah

tué le 17/10/1961

6

Ait Larbi Larbi

tué le 17/10/1961

7

Akkache Amar

tué le 28/09/1961

8

Alhafnaoussi Mohamed

retiré de la Seine le 17/09/1961

9

Achrab Belaïd

tué le 18/10/1961

10

Barache Rabah

retrouvé noyé le 30/09/1961

11

Bedar Fatima

noyée, repêchée le 31/10/1961

12

Bekekra Abdelghani

tué par balles, date indéterminée

13

Belkacemi Achour

tué par balles le 18/10/1961, inhumé le 7/11/1961

14

Benacer Mohand

tué le 8/10/1961

15

Bennahar Abdelkader

tué par balles, date indéterminée, inhumé le 7/11/1961

16

Bouchadou Lakhdar

noyé, retiré de la Seine le 21/10/1961

17

Bouchebri

arrêté le 2/10/1961, décès annoncé le 12/10/1961

18

Bouchrit Abdallah

tué par balles, date indéterminée

19

Boussouf Achour

noyé le 7/10/1961, inhumé le 17/10/1961

20

Chabouki Kassa

arrêté le 25/09/1961, repêché le 29/09/1961

21

Chamboul Abdelkader

tué le 2/10/1961

22

Chaouch Raba

tué par balles, date indéterminée

23

Chemloul Amrane

tué le 3/10/1961

24

Chevalier Guy

tué le 17/10/1961

25

Dakar Ali noyé

date indéterminée

26

Dalouche Ahmed

tué par balles, inhumé le 12/12/1961

27

Daoui Si Mokrane

tué le 17/10/1961

28

Derouag Abdelkader

noyé le 17/10/1961

29

Deroues Abdelkader

tué le 17/10/1961, inhumé le 31/10/1961

30

Djebali Mohamed

arrêté le 15/09/1961, tué, date indéterminée

31

Douibi Salah

tué le 17/09/1961

32

Ferdjane Ouali

noyé le 14/10/1961

33

Ferhat Mohamed

tué par balles, date indéterminée

34

Gargouri Abdelkader

tué par balles, date indéterminée, inhumé le 10/11/1961

35

Garna Brahim

tué le 18/10/1961

36

Guenab Ali

arrêté et tué le 3/10/1961

37

Guerral Ali

tué par balles, date indéterminée

38

Habouche Belaïd

tué le 22/09/1961

39

Haguam Mohamed

noyé, date indéterminée

40

Hamidi Mohand

tué le 11/10/1961, inhumé le 18/10/1961

41

Hamouda Mallak

tué le 11/10/1961

42

Houbab Lakdhar

noyé le 17/10/1961

43

Kara Brahim

blessé le 18/10/1961, mort le 21/10/1961, inhumé le 9/11/1961

44

Kelifi

repêché le 30/10/1961

45

Kouidji Mohamed

date indéterminée

46

Lamare Achemoune

tué le 17/10/1961

47

Lamri Dahmane

tué le 5/10/1961

48

Laroussi Mohamed

noyé, date indéterminée

49

Lasmi Smail

tué le 08/10/1961; inhumé le 10/11/1961

50

Latia Younès

noyé le 06 ou 07/09/0961

51

Loucif Lakhdar

noyé, date indéterminée

52

Mallek Amar

arrêté le 17/10/1961, décès annoncé le 21/10/1961

53

Mamidi Mohand

tué le 11/11/1961

54

Mehdaze Cheriff

tué le 27/09/1961

55

Marakeb Mohamed

tué le 02/09/1961, repêché le 10/10/1961, inhumé le 21/10/1961

56

Merraouche Moussa

tué le 10/10/1961

57

Messadi Saïd

tué le 27/09/1961

58

Meziane Akli

tué le 17/10/1961, inhumé le 25/10/1961

59

Meziane Mohamed

tué le 17/10/1961

60

Ouiche Mohamed

tué le 24/09/1961

61

Saadadi Tahar

date indéterminée

62

Saidani Saïd

tué le 17/10/1961

63

Slimani Amar

date indéterminée

64

Smail Ahmed

tué le 27/09/1961

65

Tarchouni Abdelkader

tué le 09/10/1961

66

Teldjoun Aïssa

noyé, date indéterminée

67

Telemsani Guendouz

tué le 17/10/1961, inhumé le 04/11/1961

68

Theldjoun Ahmed

tué le 18/10/1961

69

Yahlaoui Akli

tué par balles, inhumé le 07/11/1961

70

Yahlaoui Larbi

tué le 17/10/1961

71

Zebir Mohamed

tué par balles, inhumé le 07/11/1961

72

Zeboudj Mohamed

tué le 11/09/1961

73

Zeman Rabah

tué le 11/09/1961

 

Disparus

1

Abbes Si Ahmed

18/10/1961

2

Achak Elkaouari

18/10/1961

3

Adjenec Hocine

date indéterminée/10/1961

4

Aisani Mohamed

17/10/1961

5

Aitzaid Mehena

17/10/1961

6

Aillou Saïd

29/09/1961

7

Aoumar Saïd

17/10/1961

8

Arabi Achour

17/10/1961

9

Baali Abdelaziz

17/10/1961

10

Belahlam Rabah

date indéterminée/10/1961

11

Belhouza Areski

date indéterminée

12

Ben Abdallah Mohamed

17/10/1961

13

Ben Abdel Halim

17/10/1961

14

Benouagui Omar

20/10/1961

15

Berbeha Rabah

18/10/1961

16

Bouchouka

date indéterminée

17

Boukrif Saïd

17/10/1961

18

Boulemkahy Abdellah

17/10/1961

19

Boumeddane Rabah

17/10/1961

20

Boussaid Ahmed

17/10/1961

21

Chaouche Rabah

17/10/1961

22

Cheili Lounis

date indéterminée

23

Chemine Azouaou

17/10/1961

24

Cherbi Areski

17/10/1961

25

Dehasse Aïssa

10/10/1961

26

Drif Akli

17/10/1961

27

Fares Mohamed

17/10/1961

28

Ferhi Saïd

10/10/1961

29

Gacem Abelmadjid

17/10/1961

30

Ghezali Ahcene

date indéterminée/10/1961

31

Gides Lakhdar

17/10/1961

32

Guattra Ali

17/10/1961

33

Hadj Ali Saïd

17/10/1961

34

Harndani Hocine

17/10/1961

35

Hamidi Titouche

26/10/1961

36

Ioualalene Kassi

17/10/1961

37

Izerou Saïd

17/10/1961

38

Kalfouni Ahmed

18/10/1961

39

Kakhal Ahmed

21/10/1961

40

Kettfa Mohamed

17/10/1961

41

Khadraoui Mohamed

17/10/1961

42

Halfi Ahmed

23/10/1961

43

Khlifi Ahmed

18/10/1961

44

Laazizi Cherif

17/10/1961

45

LamChaichi M'hamed

18/10/1961

46

Medjahi Abdelkader

17/10/1961

47

Mermouche Rabah

18/10/1961

48

Messaoudi Saïd

17/10/1961

49

Meszouge

17/10/1961

50

Metraf Chabane

18/10/1961

51

Milizi Hocine

17/10/1961

52

Moudjab Mohamed

15/10/1961

53

Ould Saïd Mohamed Saïd

17/10/1961

54

Ouzaid Mohand

17/10/1961

55

Reffas Mohamed

14/10/1961

56

Sadi Mohamed

22/09/1961

57

Salhi Djeloule

17/10/1961

58

Si Amar Akli

18/10/1961

59

Slaman Rachid

20/10/1961

60

Soualah Mustapha

17/10/1961

61

Tebal Tahar

date indéterminée/10/1961

62

Yali Amrane

20/10/1961

63

Yanath Mani

fin/10 début/11/1961

64

Yekere Chabane

17/10/1961

65

Yosfi Mabrouk

17/10/1961

66

X, domicilié 121 rue georges Triton, Gennevilliers

17/10/1961

67

X, domicilié 37 av Lot-Communaux, Gennevilliers

17/10/1961

 

 source 1 - source 2

794874_guerre-d-algerie-manifestants-expulsion

 

commentaire

"tués"

Dans la liste des "73 "tués" le 17 octobre 1961, produite par Jean-Luc Einaudi, on compte 17 morts le jour même. 28 sont décédés antérieurement à cette manifestation. 10 sont morts postérieurement à cette date. 18 sont notés morts à une date indéterminée.

On ne peut donc imputer tous ces décès à la seule manifestation du 17 octobre, en particulier ceux morts antérieurement, ni ceux ceux dont la date ne peut être fixée. Comme on ne peut déterminer qui sont les auteurs des assassinats. La police bien sur, mais on sait aussi que le FLN a réglé des comptes.

"disparus"

Sur un total de 67 "disparus" fournis par Jean-Luc Einaudi, on recense : 38 disparus le 17 octobre 1961, 4 disparus antérieurement à cette date, 18 après, et 7 à une date indéterminée.

On ne peut donc parler de "centaines" de morts" à l'occasion du 17 octobre 1961 ni imputer tous ces décès avec certitude à la seule police française.

L'historien Jean-Paul Brunet a affirmé : "Si l’on se limite à la répression des manifestations des 17 et 18 octobre, je suis parvenu, et sans avoir été démenti par aucune nouvelle étude, à une évaluation de plusieurs dizaines (de 30 à 50), en comptant large". (source)

Michel Renard

9782080676917FS 

 

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3 janvier 2012

1975, harkis, Saint-Laurent-des-Arbres

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le combat d'une vie

Hocine LOUANCHI

 

- lien vers http://www.dailymotion.com/video/xl0lyn_hocine-le-combat-d-une-vie_news

En 1975, quatre hommes cagoulés et armés pénètrent dans la mairie de Saint-Laurent-des-Arbres, dans le département du Gard. Sous la menace de tout faire sauter à la dynamite, ils obtiennent après 24 heures de négociations la dissolution du camp de harkis proche du village. A l¹époque, depuis 13 ans, ce camp de Saint Maurice l'Ardoise, ceinturé de barbelés et de miradors, accueillait 1200 harkis et leurs familles.

Une discipline militaire, des conditions hygiéniques minimales, violence et répression, 40 malades mentaux qui errent désoeuvrés et l' isolement total de la société française. Sur les quatre membres du commando anonyme des cagoulés, un seul aujourd'hui se décide à parler.

35 ans après Hocine raconte comment il a risqué sa vie pour faire raser le camp de la honte. Nous sommes retournés avec lui sur les lieux, ce 14 juillet 2011. Anne Gromaire, Jean-Claude Honnorat

Et pour compléter le documentaire, réécoutez sur SUD RADIO, «podcasts» l'émission du 8/11/11, de Karim Hacene, Enquêtes et Investigations, sur les harkis le camp de saint maurice l'ardoise en 2 parties


- autres liens : le blog de Philippe Poisson (avec de nombreux liens)

 - le blog Harkis 1. 2. 3.

 

 

 3577850-5167701
Hocine Louanchi

 

 Harkis
le Logis d’Anne en Provence

 

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31 décembre 2011

traces coloniales dans le paysage français

9782859700447FS 

 

un guide raisonné,

plus qu’un discours historique sur la mémoire

Marc MICHEL

 

Robert ALDRICH, Les traces coloniales dans le paysage français, Monuments et Mémoires, Publications de la Société française d'histoire d’outre-mer, Paris, 2011 388 pages, index.

S’il fallait prouver la vitalité de de la Société française d’histoire d’outre-mer et l’intérêt des travaux qu’elle publie, ce livre en serait une des meilleures preuves.

Robert Aldrich, professeur d’Histoire européenne à l’Université de Sydney est déjà connu par des travaux remarquables sur l’histoire coloniale française. Le livre ici n’est pas vraiment organisé chronologiquement ; il se présente plutôt comme un catalogue systématique des œuvres de toutes sortes, statues et monuments, bien sûr, mais aussi les cimetières, les musées, les lieux de mémoire, même les commémorations etc… témoignant du passé colonial de la France. L’auteur s’adressait au départ à un public anglo-saxon à qui il voulait faire découvrir ce passé à travers les traces qu’on pouvait en trouver sur le territoire de la France métropolitaine : curieusement, il n’y inclue pas les départements d’outre-mer.

IMG_4733
statue de Francis Garnier, av. de l'Observatoire à Paris

Aussi son «invitation au voyage» (expression qu’il emploie lui-même) est-il plus une sorte de guide géographique et sa surprise a été, visiblement, de découvrir tant de lieux de mémoire en province… et d’une série de focalisations sur «des mémoires», celle de l’Algérie en métropole, celle de certains «héros», celle des musées et des expositions...

Les analyses de détail sont toujours intéressantes et très informées ; elles font une place importante aux débats du présent allant jusqu’aux controverses qui ont entouré la création du musée du Quai Branly et à celle du Musée de l’Immigration. On peut parfois se dire que certaines de ces analyses sont empreintes d’un caractère d’évidence un peu court, qu’on ne peut s’étonner que les musées coloniaux militaires aient été conçus comme des musées de glorification militaire (le Musée des Troupes de Marine se trouve dans l’enceinte des camps de Fréjus et puise ses origines dans  l’initiative d’Anciens de ces troupes), que les figures allégoriques de l’Asie et de l’Afrique aient été des femmes plus ou moins dénudées (la femme dénudée a été un poncif artistique) et que les «héros» aient été des hommes.

Reims monument (2)

Plus étonnant dans un livre aussi érudit, l’absence de certains monuments au profit d’autres, comme celle du fameux monument à la gloire des soldats noirs à Reims, qui fut le premier monument détruit part les Allemands en juin 1940 et dont un second exemplaire se trouve à Bamako. Il est vrai que  Robert Aldrich a pris soin de limiter son étude à des «traces» et au «paysage français».

On ne peut s’empêcher, cependant, de se poser une question de savoir quels ont été les monuments, les lieux de mémoire etc… dans les colonies elles-mêmes et quel a été leur destin.  L’ouvrage est sous-tendu par les controverses sur la mémoire de la guerre d’Algérie et la question de l’immigration ; ce sont évidemment les questions du présent. Il semble indiquer qu’une sorte de fièvre mémorielle coloniale – ou plutôt anticoloniale-  s’est emparée de de la France contemporaine ; peut-être en aurait-il fallu en relativiser l’importance par rapport à d’autres engouements mémoriels récents, la mémoire de la Grande Guerre, celle de la Résistance, celle de la Shoah etc… également «revisités».

La conception même de l’ouvrage ne permet pas de situer ces changements dans un développement historique ajusté à une périodisation ; l’ouvrage, remarquablement présenté, dense, accompagné de deux index et de photos, reste  une sorte de guide raisonné, plus qu’un discours historique sur la mémoire. L’absence de conclusion ne permet d’ailleurs pas de se faire une idée claire sur ce que l’auteur a tiré de son enquête et de sa position personnelle.  Bref, un livre érudit et utile, en particulier aux enseignants aux prises avec l’histoire locale.

Marc MICHEL

 _____________________________________________

 

 

quelques remarques au sujet

de la Mosquée de Paris

Michel RENARD

 

Robert Aldrich consacre quelques pages de son ouvrage à la Mosquée de Paris (p. 55-58). Il y commet quelques erreurs.

1) Il dit dabord que "dans les années 1890, les officiels musulmans de l'Afrique du Nord française expriment leur désir de faire construire une mosquée à Paris". Il n'existe aucune trace de cette demande. Le souhait fut alors exprimé par le Comité de l'Afrique française, présidé par le prince d'Arenberg qui a créé, le 8 mai 1895, un comité pour la construction d'une mosquée à Paris. Les membres de ce groupe avaient compris qu'une domination coloniale durable devait mettre de son côté la religion des "indigènes" et non entreprendre de l'éliminer. L'initiative fut relayée quelques années plus tard par la Revue Indigène de Paul Bourdarie dès 1906. En enfin par le ministère des Affaires étrangères qui mit en place les moyens institiutionnels pour faire aboutir le projet (constitution de la Société des habous des Lieux saints de l'islam en février 1917 et financement initial de l'opération).

2) Il dit plus loin que "les gouvernements coloniaux, notamment l'administration de Lyautey au Maroc, payèrent la plupart des frais de construction du bâtiment et fournirent des meubles...". Cela est faux.
Le Maroc n'a eu aucune part prépondérante dans le financement de la Mosquée de Paris. Je ne sais pas d'où vient cette affirmation...
La France a voté une subvention de 500 000 francs (loi promulguée le 19 août 1920 par le président de la République), la Ville de Paris a voté une subvention de 1 620 000 francs (15 juillet 1920) destinée à l'achat du terrain, et des fonds ont été levés dans les pays musulmans colonisés par la France. Pour quels montants ? Le 22 mai 1925, à la séance de la Commission interministérielle des Affaires musulmanes, Si Kaddour ben Ghabrit "expose l'état d'avancement des travaux de la Mosquée de Paris dont l'achèvement a été prévu pour le mois d'octobre prochain. Il indique [que] les souscriptions consenties par les Musulmans de nos possessions et pays de protectorat sont à peu près recouvrées. Ces souscriptions se sont élevées, en chiffres ronds, à 3 250 000 francs pour le Maroc, 3 500 000 pour l'Algérie, 692 000 francs pour la Tunisie, et 240 000 francs pour les autres colonies françaises" (archives du Ministère des Affaires étrangères, Levant, 1918-1940, Arabie-Hedjaz, volume 33 : Pèlerinage à la Mecque, 1922-1927).

3) S'appuyant sur une référence à Neil MacMaster, Robert Aldrich affirme que "la plupart des 60 000 Nord-Africains vivant à Paris ne fréquentaient pas la Mosquée". Rien n'est vraiment établi sur ce point. Il n'y a aucune source. Il est probable que la fréquentation quotidienne ne devait pas être très nombreuse, tout simplement parce que les immigrés étaient des travailleurs non libres de leur emploi du temps quotidien (contrairement aux étudiants, retraités, commerçants baissant le rideau... ou chômeurs d'aujourd'hui...). Mais lors des fêtes (aïd el-Sgheir, aïd el-Kebir), l'affluence était impressionnante, les immigrés algériens venaient de la banlieue parisienne à pied pour assister à la prière et aux cérémonies. La piété n'est pas en cause, seulement les disponibilités matérielles.

4) Robert Aldrich note, enfin, que "ces dernières années, l'Institut musulman a ressenti les secousses des conflits postcoloniaux, relatif notamment à l'influence de certains pays sur ses dirigeants et sur les différents courants islamiques au sein de ses activités. Le recteur de la Mosquée est le chef du Comité national islamique établi en 2003 et le chef quasi officiel de la communauté musulmane en France".
Confusion généralisée. La Mosquée de Paris est depuis le début des années 1980 sous la coupe financière et institutionnelle de l'État algérien. L'islam en France, sous sa forme organisée, est sous la domination des affiliations nationalitaires (Algérie, Maroc, Tunisie, Turquie...), des organismes internationaux du type Tablîghî Jamâ'at ou Frères Musulmans, courants salafistes et autres, ou encore des confréries africaines. Le Conseil Français du Culte Musulman créé en 2003 sous l'initiative de Nicolas Sarkozy n'est qu'une coquille vide... Il s'occupe plus de politique que de culte. Le recteur de la Mosquée de Paris n'est pas considéré comme le "chef de la communauté musulmane en France"... sauf par le ministère de l'Intérieur... et encore...

Il était aisé de vérifier tous ces points par la lecture de l'ouvrage collectif Histoire de l'islam et des musulmans en France du Moyen Âge à nos jours, Albin Michel, 2006 ; réédité en Livre de poche, "Pochothèque" en 2010.

Michel Renard

 mosquée de Paris angle des rues

 

 

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26 décembre 2011

tirailleurs africains en Bretagne

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Nous n’avions jamais vu de Noirs

 

- 300 tirailleurs africains en Centre-Bretagne
Trévé, 1944-1945

Fin 1940 environ 80 000 prisonniers «indigènes», venant des colonies et territoires extérieurs à la métropole, vivent dans les camps de la France occupée. Fin 1944, 300 tirailleurs sénégalais sont placés dans un camp à Trévé, une petite commune des Côtes d’Armor, gardés par des F.F.I.... Des témoins de l’époque livrent leurs souvenirs...

Cet ouvrage rend hommage à ces hommes injustement traités et oubliés et à ces habitants qui les ont accueillis avec humanité. Il évoque une Histoire qui se veut universelle.

Extrait de la préface de Noël Lagadec :
Lors de la dernière Guerre mondiale, comme en 1914 la France a fait appel aux populations coloniales. En 1940, les prisonniers métropolitains sont massivement envoyés en Allemagne au service de l’économie du pays. Pour ce qui concerne les prisonniers coloniaux, aussi appelés «indigènes», les Allemands imposent leur transfert vers la France occupée. Ils craignent outre les contacts raciaux, la propagation de maladies comme la tuberculose et des maladies tropicales transmissibles.

Les prisonniers sont des militaires et ont donc droit à leur solde. De plus les Allemands les utilisent dans les usines ou entreprises travaillant pour l’économie de guerre. Solde et salaires plus ou moins réguliers, cumulés de septembre 1939 à fin 1944 font que de nombreux indigènes pouvaient à la fin de la guerre espérer se retrouver à la tête de sommes importantes.

Les autorités décident que ces pécules seront reversés à chacun au moment de la libération.

Vers 1942, les Allemands remplacent les sentinelles par des militaires français issus de l’Armée d’Armistice dissoute mais aussi des fonctionnaires de l’administration civile... De prisonniers de guerre des Allemands, les «indigènes» se retrouvent prisonniers des Français aux côtés de qui ils ont combattu. Cette situation dura jusqu’au débarquement des alliés en juin 1944 sans régler le retour au pays.

En 2010, Armelle Mabon, historienne universitaire, sort le livre Prisonniers de guerre indigènes. Visages oubliés de la France occupée. On y apprend que le 3 novembre 1944, 2000 tirailleurs sénégalais sont à Morlaix attendant d’embarquer sur un navire anglais pour être rapatriés. 300 refusent d’embarquer tant qu’ils n’auront pas perçu, comme promis, la totalité de l’argent qui leur est dû. Jusqu’au 11 novembre, ils vivent dans un grand hangar sur de la paille et quelques uns sont hébergés par des particuliers. Le 11 novembre, après quelques troubles, une centaine de gendarmes et des F.F.I. interviennent. Ils rassemblent les tirailleurs, faisant 6 blessés, et les dirigent vers Trévé où le camp abandonné depuis août est disponible...

Fin 2010, à la demande de la section Loudéac centre- Bretagne de la Ligue des droits de l’Homme soutenue par la municipalité de Trévé, des recherches de témoignages ont été entreprises. Des articles dans la presse locale et régionale ont semble-t-il provoqué des discussions dans les familles, les réseaux d’amitiés et ravivé les mémoires. Une trentaine de Trévéens de l’époque ont raconté ce qu’ils avaient vu et vécu. Chacun a perçu cet "épisode" à sa manière.

Notre objectif n’était pas de reconstituer des faits exacts ou de remplacer des documents inexistants mais seulement de fixer des souvenirs sur cette page d’histoire méconnue.


COMMANDE :

Le livre est disponible (8 € - 70 pages)

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Aux Editions Récits
les Yeux des Rays
22150 Langast
- Téléphone : 02 96 26 86 59
- Mail : jerome@vosrecits.com
(LIBRAIRES, COMMANDE PAR MAIL, merci !)

 

 - contact vers le site de l'éditeur

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inauguration de la stèle de Trévé, M. le Maire, Joseph Collet

 

Trévé-11-11-2011-Mr-le-Maire-A
intervention d'Armelle Mabon, historienne

 

- source des deux photos précédentes

 

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 - vidéo : Armelle Mabon explique sa démarche de recherche sur les prisonniers de guerre coloniaux

 

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15 novembre 2011

"La mosquée de Paris sous l'occupation", par Jean Laloum

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"La mosquée de Paris sous l'occupation"

 Jean LALOUM

 

Le film d'Ismaël Ferroukhi, Les Hommes libres, est un beau film plein d'humanité, mettant en scène – dans le Paris occupé –, un épisode de la Mosquée de Paris. Afin de pallier le petit nombre de documents traitant du sujet, le réalisateur a choisi de conjuguer fiction et sources historiques dans l'écriture du scénario. D'entrée de jeu, le spectateur est prévenu du mélange des genres, non de leur part respective.

Au cœur de l'intrigue, le "planquage" d'enfants juifs dans la mosquée-même et le subterfuge utilisé pour soustraire le chanteur juif natif d'Algérie, Simon – alias Salim – Halali aux desseins allemands et vichystes. La délivrance de faux papiers, l'inscription apocryphe du nom du père du chanteur bônois sur une pierre tombale du cimetière musulman de Bobigny, parviennent à contrecarrer le sort qui leur était réservé. Très tôt pourtant, les autorités allemandes suspectant le lieu de culte de collusion y enquêtent.

Dès septembre 1940, bien avant la création du Commissariat aux questions juives (CGQJ), Vichy est prévenu de ses possibles agissements : "Les autorités d'occupation, révèle une note interne au ministère des affaires étrangères, soupçonnent le personnel de la mosquée de Paris de délivrer frauduleusement à des individus de race juive des certificats attestant que les intéressés sont de confession musulmane. L'imam a été sommé, de façon comminatoire, d'avoir à avec toute pratique de ce genre. Il semble, en effet, que nombre d'israélites recourent à des manœuvres de toute espèce pour dissimuler leur identité."

Quelles institutions furent à l'initiative de la délivrance de faux certificats ? Quels furent les moyens de contrôle des services de Vichy en vue de déjouer ces pratiques ? Que penser de l'attitude prêtée au directeur de la Mosquée de Paris à partir d'un nombre réduit d'indices ? Son rôle, à la lumière d'autres archives, semble plus ambigu qu'il ne ressort du film.

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créé en mars 1941, le CGQJ était
installé place des Petits-Pères

Les attestations de complaisance circulent en nombre dans la France occupée. Au sein de l'imposante série AJ38 répertoriant les archives de l'ex-CGQJ (Commissariat général aux questions juives) conservées aux Archives nationales, les certificats de baptême, d'initiation ou d'ondoiement, de mariage ou d'inhumation adressés par les autorités religieuses à des familles présumés juives, y figurent très régulièrement.

Ceux-ci proviennent pour l'essentiel de la sphère chrétienne. S'ils sont adressés au CGQJ, c'est que celui-ci tient un rôle primordial dans la reconnaissance raciale des individus. C'est en effet l'une de ses directions – la direction du Statut des personnes – qui, par ses avis autorisés, entérine la décision. Un certificat de non-appartenance à la race juive (CNARJ) est alors délivré à la personne ayant fourni toutes les pièces justificatives de son aryanité.

 

l'identité raciale de l'individu

Une fois épuisées les possibilités de se procurer ces attestations religieuses, c'est en dernier recours le diagnostic du professeur George Montandon, expert "ethno-racial" à la solde des Allemands qui détermine, après examen, l'identité raciale de l'individu.

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Georges Montandon

Il se targue d'une connaissance quasi universelle sur les religions. Or, pour nombre de juifs d'origine nord-africaine justement, revêtir l'identité d'un Arabe de confession musulmane constitue un subterfuge courant. La langue arabe, longtemps langue vernaculaire de ce judaïsme d'outre-Méditerranée, est encore couramment pratiquée dans les familles installées en France. Du coup, c'est d'instinct que ceux-ci jouent sur l'ambiguïté, aussitôt qu'ils sont menacés. Très tôt cependant, le CGQJ s'avise de débusquer les fraudeurs.

La direction du Statut des personnes s'adjoint d'experts pour transcrire et authentifier les certificats en langues étrangères qui lui sont soumis. Elle fait également appel à la collaboration des différents représentants religieux pour évaluer, par des avis étayés, les déclarations des postulants se réclamant de la race aryenne, même si elle soupçonne ces religieux de se prêter à des conversions de complaisance. Ne pouvant se passer d'eux, elle les sollicite, quoiqu'avec la plus grande défiance.

Les autorités musulmanes constituées sont donc périodiquement consultées pour statuer sur les requérants se réclamant de la religion musulmane. L'onomastique, le lieu de naissance et la filiation sont les critères retenus par la direction du Statut des personnes pour déterminer la race, car la circoncision, pratiquée également par les musulmans, n'est pas un indice probant dans le cas des juifs nord-africains. Une note du CGQJ adressée le 14 septembre 1943 au directeur de l'Institut musulman – mosquée de Paris demande son avis "sur le patronyme de Amsellem Salomon, Yacouta née Ben Rhamin Bent Chemoun et enfin : Ben Aroch Messaoudah. […] Je vous demanderai également de bien vouloir me dire si ces noms vous semblent être ceux que portent les musulmans ou les arabes, et si, selon votre sens, les juifs d'Algérie peuvent porter ces mêmes noms. Une prompte réponse de votre part m'obligerait".

demandes d'expertise sur la judéité

Le 23 septembre suivant, une même demande concernant un individu natif de Guelma, Joseph Krief (ou Kriel) qui, s'étant déclaré juif par erreur alors qu'il serait musulman, souhaiterait revenir sur cette première déposition. De façon inattendue, la direction laisse la Mosquée de Paris libre d'invoquer l'incertitude, ce qui jouera au bénéfice de l'examiné. Le verdict, cinglant et circonstancié, tombe comme un couperet moins de deux semaines après : "L'Institut Musulman à qui j'avais soumis aux fins d'authentification le document que vous m'avez communiqué, vient de m'indiquer que votre nom était un nom juif algérien. Le nom de votre père, Vidal Kriel, confirme cette origine..."

Ces demandes d'expertise auprès de la Mosquée de Paris n'ont rien d'exceptionnel. Ces échanges sont répétés, sinon réguliers. Le 17 juin 1944 une nouvelle requête est adressée à Si Kaddour Ben Ghabrit au sujet de la position raciale de Germaine Roland, née Marzouk, originaire de Tunisie : "Vous avez eu l'amabilité, à diverses reprises, de me donner votre avis sur des cas d'espèce analogues à celui-ci, lui écrit-il. Puis-je vous demander à nouveau de me faire savoir si l'attestation dont il s'agit peut être tenue pour valable ou non et si les patronymes des ascendants de l'intéressée sont d'origine juive ou musulmane […]."

Le 12 juillet 1944, le CGQJ avise le mari de l'intéressée qu'en vertu des conclusions convergentes de la Mosquée de Paris et de l'"expert ethno-racial" George Montandon, Germaine Roland sera considérée comme juive au regard de la loi du 2 juin 1941. Transférée le 5 août 1944 du camp de Bassano à celui de Drancy, elle n'évite la déportation qu'en raison de la date tardive de son internement.

Jean Laloum, chercheur au CNRS
groupe Sociétés, religions, laïcités
Le Monde, 7 novembre 2011
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- articles sur le film Les hommes libres publiés sur le blog d'Études Coloniales

 

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18 octobre 2011

l'indigence journalistique sur le 17 octobre 1961

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Le massacre du 17 octobre 1961 : information

ou désinformation ?

Jean-Pierre PISTER

 

L'article du Républicain Lorrain de ce jour (17 octobre) consacré «au massacre des Algériens étouffé depuis 50 ans» (page 4,  Informations générales) suscite, légitimement, l'attention sur un épisode tragique qui s’est déroulé à quelques mois de la fin de la guerre d'Algérie. Cependant il appelle, de la part du lecteur épris d'un minimum de rigueur historique, un certain nombre d'observations.

Il est faux de dire que ce massacre a été totalement étouffé. Le livre d'Einaudi est paru au début des années 1990 et a fait un certain bruit. En octobre 2001, le maire de Paris, Bertrand Delanoë, a procédé à l'inauguration d'une plaque commémorative. Comme il est indiqué dans l'article, les études sur la question se sont multipliées ; mais souvent sans grand sérieux de la part d'auteurs très marqués idéologiquement et qui n'ont, la plupart du temps, aucune formation sérieuse d'historiens universitaires.

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À cet égard, il faut regretter que ne soit pas cité un des rares ouvrages crédibles sur cet évènement, celui de Jean-Paul Brunet qui se montre très prudent quant à l'estimation du nombre des victimes. Jongler avec des chiffres de plusieurs centaines de victimes relève d'une démagogie plus qu’indécente. Benjamin Stora, lui-même, s'est montré particulièrement nuancé sur cette douloureuse question du nombre de morts, hier matin, sur l'antenne d'Europe 1.

Faut-il rappeler qu'en octobre 1961, nous étions encore en guerre contre le FLN et qu’un nombre non négligeable de policiers l'ont payé de leur vie, en région parisienne, en particulier. La reprise de contacts secrets avec le GPRA était en cours et la fédération de France du FLN ne pouvait pas l'ignorer. L'initiative de cette manifestation relevait donc d’une stratégie de provocation évidente.

Si cette tragédie a été, du moins en partie, occultée en France, elle le fut encore plus dans l'Algérie indépendante, la fédération de France du FLN n’a pas tardé à être en opposition totale avec le nouveau pouvoir algérien.

Le métier d'historien ne s'improvise pas, la fin plus que douloureuse de la guerre d'Algérie en est une preuve évidente, dans le choix des objets d’étude, en particulier. Le 17 octobre 1961 ne fut pas le seul épisode occulté. Peut-on caresser l'espoir que les médias montreront, dans quelques mois, le même intérêt pour d'autres moments particulièrement tragiques ?

On pense, naturellement, à la fusillade de la rue d’Isly à Alger, le 26 mars 1962. Mais une autre date, celle du 5 juillet 1962, présente une symétrie exemplaire avec celle du 17 octobre. Ce jour là, à Oran, plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de Français d'Algérie ont été massacrés ou enlevés dans l'indifférence totale des autorités françaises. La presse, à l'époque, en a peu parlé et ce nouvel Oradour est aujourd'hui totalement ignoré.

L’année 2012, cinquantième anniversaire de la fin de la Guerre d’Algérie, marquera, n’en doutons pas, l’heure de vérité dans l’opinion publique, les media et chez nos responsables politiques : nous verrons, alors, si le travail mémoriel doit toujours s’exercer à sens unique.

Jean-Pierre PISTER
Agrégé de l’Université
Professeur de Chaire supérieure honoraire
ayant enseigné l’Histoire en khâgne pendant 27 années.

 

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Le Républicain Lorrain
(cliquer sur l'image pour l'agrandir et lire le texte)

 

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17 octobre 2011

le père de Philippe Bouvard sauvé par la Mosquée de Paris

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Philippe Bouvard à Si Kaddour ben Ghabrit :

"merci d'avoir fait libérer mon père"

 

À l’occasion de la sortie du film “les hommes libres”, le célèbre journaliste révèle que son père adoptif fut sauvé par le recteur de la mosquée de paris. Il ne l’a jamais oublié.

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«Enfant, j’ai bien connu ce Si Kaddour Ben Ghabrit que, dans “Les Hommes libres”, Michaël Lonsdale campe magistralement. Ce recteur de la mosquée de Paris avait fasciné ma mère par sa culture et son œcuménisme avant de réussir à faire libérer mon père adoptif, arrêté par les Allemands. Je n’ai jamais oublié la bonté rayonnante de ce saint homme, haut dignitaire religieux qui ne se souciait jamais de la religion de ceux qu’il secourait.»

En quelques lignes, bouclant son bloc-notes hebdomadaire, Philippe Bouvard a revivifié une page enfouie de son passé. Il se réfère au film d’Ismaël Ferroukhi, actuellement à l’affiche, retraçant le sauvetage de nombreux juifs par le recteur de la grande mosquée, à la barbe des nazis, sans distinction de race ou d’origine. Il s’est donc trouvé dans le Paris vert-de-gris des hommes courageux, musulmans à la hauteur des circonstances, prêts à prendre des risques, pour aider leurs “frères”. L’exhumation de cet exemple de vrai courage par le cinéma met du baume au cœur. Philippe Bouvard, bientôt 82 ans, a, par un de ces accidents de l’Histoire, été le témoin direct de cette aide décisive. Bouvard a connu l’exode. Bouvard n’est pas un ingrat. Il a de la mémoire. Il témoigne. «Cette histoire m’est revenue en tête grâce au film. Je n’y avais plus songé depuis des années. Mais elle perdurait en moi. Car ce nom n’est pas commun.

En fait, tous les deux mois, ma mère m’emmenait à la Mosquée de Paris pour prendre le thé à la menthe et dialoguer avec le recteur. J’avais 10, 11 ans. C’était mon premier vrai dépaysement. Parce que je découvrais un chef-d’œuvre de l’architecture arabe, intérieur et extérieur. Tout respirait le calme et l’exotisme. Et puis sa façon de s’habiller m’impressionnait. Il portait une djellaba et sa tête était couverte, je n’en voyais qu’une petite partie.» «J’avais le sentiment d’avoir rencontré le Bon Dieu».

Le Bouvard enfant n’en croit pas ses yeux. Il regarde, absorbe la scène devenue indélébile. Et garde du saint homme une image précise. «Il était en parfait équilibre sur les deux cultures, grand connaisseur du Coran et de la littérature française du XIXe siècle. Il était d’une courtoisie extrême. Je ne savais pas que, 70 ans plus tard, le cinéma lui rendrait justice. Et pour ma part, au sortir de ces visites régulières, j’avais le sentiment d’avoir rencontré le bon Dieu !»

Le père adoptif de Philippe Bouvard est tailleur pour hommes en appartement, faubourg Montmartre. Résistant de la première heure, il a monté une filière pour rhabiller en civil les déserteurs allemands. «Un jour, il est arrêté, non pas comme juif, mais comme résistant, reprend Bouvard. Ma mère, qui ne connaissait personne, s’adresse alors au recteur, le seul homme influent de son entourage. Elle lui a demandé son aide et il la lui a accordée pleinement. Il a joué un peu le même rôle que ces consuls et diplomates qui firent libérer des juifs dans leur pays. Normal, à l’époque, on ne discernait aucune hostilité entre juifs et arabes.»

Son père adoptif fut libéré et se fit oublier jusqu’à la fin de la guerre. Il vécut encore 25 ans et reçut la médaille de la Résistance. «On en parlait en famille», se souvient Bouvard. Quant au vrai père biologique de Bouvard, catholique français, il brilla par son absence : «Il a disparu le jour de l’accouchement de votre serviteur, avec argent et bijoux. Je l’ai revu 23 ans plus tard. J’étais au “Figaro”. On m’appelle : – Monsieur Bouvard, quelqu’un veut vous voir pour affaire de famille. «Faites monter.» – Bonjour, je suis votre père. «Vous y avez mis le temps», ai-je répondu. «En fait, imprimeur au Maroc, il pensait vendre du papier au journal qui m’employait. On en est restés là. Je ne l’ai jamais revu. Mon vrai père est mon père adoptif, celui qui m’a élevé.»

La famille Bouvard suivit la route de l’exode en 1940 comme ces milliers de Français transbahutés dans un pays en déroute. Elle ne remonta à Paris qu’en 1945. «J’ai connu dix, douze résidences, La Baule, Limoges, Le Loiret, le Midi. On était comme des oiseaux sur la branche.» Que conserve-t-il de cette période ? L’esprit clair, il chronique ses propres sentiments : «Comme la plupart des gens de cette génération qui ont connu la guerre, à savoir la peur de manquer, une colère non apaisée contre les responsables de la Shoah, qui fait que je ne me sens pas très Européen.»

Dimanche 16 Octobre 2011, 11h29 - par MEEUS, BERNARD
source
article signalé par Benjamin Stora. Merci.

 

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15 octobre 2011

17 octobre 1961, général Maurice Faivre

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La bataille de Paris du 17 octobre 1961

Maurice FAiVRE

 

Sous le titre : le massacre du 17 octobre 1961, un article de l’encyclopédie en ligne Wikipedia faisait en octobre 2007 le point de cette bataille qui a opposé 25.000 manifestants «algériens», fermement  encadrés par le FLN, à 1.658 policiers et gendarmes engagés par le préfet Maurice Papon.

Cet article notait que 32 à 325 manifestants ont été tués, des dizaines jetés à la Seine, en particulier au pont Saint-Michel, 11.700 interpellés et tabassés, dont un certain nombre dans la cour de la Préfecture de Police. L’auteur se réfèrait essentiellement aux ouvrages de Jean-Luc Einaudi (la bataille de Paris, le Seuil, 1999), de Jean-Paul Brunet (Police contre FLN, Flammarion, 1999), de Raymond Muelle (7 ans de guerre en France, Grancher, 2001) et à l’article de Paul Thibaud dans l’Express d’octobre 2001. Cinq autres auteurs étaient cités (Sylvie Thénault, Jim House et Neil Macmaster, Linda Amiri et Benjamin Stora) et 6 réalisateurs de films.

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D’emblée, on notera que le chiffre de 32 tués est celui de Brunet, et 325 celui d’Einaudi. En 2007, Wikipedia ignorait des sources importantes qu'il a découvertes depuis :

- un deuxième livre de J.-L. Einaudi : Octobre 1961, un massacre à Paris, Fayard, 2001,

- un deuxième livre de J.-P. Brunet : Charonne, lumières sur une tragédie, Flammarion, 2003,

- un article du colonel Raymond Montaner : la manifestation du FLN à Paris le 17 octobre 1961, dans la revue Guerres mondiales et conflits contemporains de 2002,

- le livre de Rémy Valat : Les calots bleus et la bataille de Paris, Michalon 2007.

Restent ignorés cependant les articles de Catherine Segurane : le 17 octobre 1961, Essai de dénombrement des morts, et La propagande à l'oeuvre, dans Agoravox d'octobre 2010.

Professeur émérite d’Histoire à Normale Sup, Jean-Paul Brunet est connu comme un auteur rigoureux. Il est le seul à avoir eu accès à toutes les archives, en particulier de la PJ, des hopitaux et de l’Institut médico-légal (IML), ce qui n’est pas le cas d’Einaudi, ni de Paul Thibaud, ni de Sylvie Thénault. Pris à parti de façon polémique par J.-L. Einaudi, Jean-Paul Brunet a consacré deux chapitres de son deuxième livre à la manifestation du 17 octobre.

 

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manquements à la déontologie historique

Dans un article de la revue Commentaires de l'été 2008, il souligne de façon argumentée les manquements à la déontologie historique des Britanniques Macmaster et House, considérés comme partiaux par leurs collègues. Il souligne à nouveau les violences inadmissibles imputables (1) aux policiers "activistes", mais estime que sur 75 morts conduits à l’IML, la majorité est imputable au FLN. Examinant cas par cas la liste des 325 noms, il confirme son évaluation de 32 tués : 14 certains (2) , 8 vraisemblables, 4 probables et 6 possibles.

Il avait précisé dans l’Histoire d’octobre 2001 : 30 morts en comptant large. Le Conseiller d'État Mandelkern, chargé d'inventaire par le ministre Chevènement, relève sept victimes avérées. Dans son Histoire de la guerre d'Algérie (1992), Stora corrige son évaluation de centaines de victimes et ne parle plus que de dizaines (3). Brunet estime que les 246 morts signalés par Geronimi correspondent aux 308 cadavres (dont 60 douteux) examinés à l’IML en 1961 : 141 sont enregistrés avant le 17 octobre, et 72 après le 19. Il en est de même des 109 décès du Service des successions musulmanes, dont 55 ont eu lieu avant le 17 octobre, et 22 dont la date de décès n’est pas déterminée.

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Dans son mémoire de maîtrise, Pierre Brichard, qui a étudié les listes de ce Service, en retient une trentaine imputables à la répression policière.  L’ancien séminariste Grange ne confirme pas la mort des neuf corps couchés à l’entrée du Palais des sports, et Linda Amiri, ayant eu accès aux archives de la Fédération de France du FLN, dément le massacre dénoncé dans la cour de la Préfecture de Police (ce que confirme Montaner). Il est prouvé également que Fatima Bedar, présentée comme une martyre de la répression policière, s'est suicidée.

Le problème des noyades dans la Seine est plus difficile à élucider. Une seule noyade a été observée, au pont Saint-Michel. Au total, 34 cadavres ont été retirés de la Seine et des canaux en octobre, qui dans leur grande majorité, selon J.-P. Brunet, ne paraissent pas imputables à la répression de la police ; retenus par les barrages de Suresnes et de Bezons, ils étaient tous conduits à l'IML. Selon les harkis de Paris, les noyades étaient une pratique courante du FLN.

Mandelkern observe que les nombreux cadavres relevés dans la Seine, la Marne et les canaux, ne sont pas tous des victimes des règlements de compte FLN/MNA, etque le contre-terrorisme s'insinue. Les responsabilités sont donc partagées entre des groupes de choc étoffés du FLN-MNA, et des équipes marginales de contre-terroristes. Le professeur Brunet dénonce dans l’exploitation de cette affaire un mythe forgé pour les besoins d’une cause militante. Admirateur de Mao et de Pol Pot, "l’historien du dimanche" Einaudi se révèle un hagiographe du FLN, mouvement à visées totalitaires.

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On pourrait en dire autant d’autres auteurs. La Fédération de France ordonnait une manifestation pacifique et obligatoire; l'obligation se traduisait, selon Mandelkern, par des menaces de mort adressées aux Français-musulmans qui n'obéiraient pas à cet ordre ; quant à la consigne de manifestation pacifique, elle n'a pas empêché la présence de commandos armés qui les premiers ont ouvert le feu. Quant aux manifestants, ils ont observé ensuite la loi du silence, sauf quand il s'agissait d'accuser les forces de l'ordre.

Historien de la guerre d’Algérie, vice-président de la Commission française d’histoire militaire, et membre de l'Académie des sciences d'outremer, il me semble qu’il faut replacer cette bataille dans la stratégie générale du FLN, qui après avoir perdu les batailles d’Alger et des frontières, et se sentant humilié par les fraternisations de mai 1958, a décidé le 28 août 1958 de transporter la guerre en territoire français, et ordonné à ses commandos de combattre l’ennemi avec violence. Cette décision faisait suite à la volonté, proclamée dès 1955, d’éliminer les messalistes en Algérie et en métropole (3).

Ces deux décisions se sont traduites par le massacre en métropole d’au moins 3.957 nord-africains, 150 Européens, 16 militaires, 53 policiers et 48 harkis (le Monde du 20 mars 1962). Ces actions terroristes expliquent, sans les excuser, l’exaspération des policiers et les excès auxquels ils se sont livrés. Quant à la décision de réagir, par une manifestation pacifique, au couvre-feu imposé par la Préfecture de Police, elle n’a pas été approuvée par toutes les instances du GPRA.

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Maurice Papon, préfet de police de Paris

 

Mohammed Harbi : "des enjeux internes... des luttes pour le pouvoir"

Mohammed Harbi écrit dans le Monde du 5 février 1999 : «ce qui a joué dans le déclenchement de la manifestation du 17 octobre, ce sont plutôt des enjeux internes, voire des ambitions personnelles… On était proche de la fin… Ce sont déjà des luttes pour le pouvoir dans l’Algérie indépendante». Cette lutte sera mise en évidence par les accusations de Ben Bella contre la Fédération de France.

La Commission de sauvegarde du droit et des libertés individuels estime que le gouvernement a voulu donner satisfaction à la police. Elle constate que de nombreux disparus ont été libérés ou se trouvent à Vincennes, où le Conseiller Viatte a constaté l'entassement de 2.200 suspects pour 400 places. Son président Maurice Patin a signalé au ministre de l'Intérieur le grave problème social créé par le transfert en Algérie de chefs de familles.

Le Conseiller Damour observe que le couvre-feu a contribué à supprimer les attentats. Les arrestations opérées le 17 octobre avaient été précédées d’opérations de démantèlement des groupes armés du FLN en région parisienne. Selon le Service de coordination des Affaires algériennes (rapports des 1er et 4 décembre) 205 armes à feu, 8 bombes, 26 plastics, 106 grenades et obus ont été saisis en deux mois ; 91 responsables de groupes armés ont été arrêtés, 2.545 militants politiques transférés en Algérie.Les liaisons internes ont été rompues. Pour le présent, conclut ce rapport, la bataille de Paris ne tourne pas à l’avantage du FLN.

Maurice Faivre
le 15  octobre 2011.

(1) "inadmissibles mais secondaires", déclare de Gaulle, qui selon Messmer partage avec le gouvernement la responsabilité de la répression. L'imputation, imaginée par un historien anticolonialiste connu, de l'initiative de Debré, qui aurait  provoqué la répression pour nuire aux négociations engagées par le général de Gaulle, traduit une méconnaissance profonde du fonds privé de Michel Debré.
(2) C’est le chiffre retenu par le colonel Montaner, ancien chef de la Force de police auxiliaire.
(3) Dans sa préface à la bande dessinée de Didier Deaminck et Mako, Stora revient à sa première évaluation (Mediapart du 23 septembre 2011).
(4) réf. Jacques Valette. La guerre d'Algérie des messalistes. L'Harmattan 2001.

 

 9782080683410FS

- critique du livre de Jean-Paul Brunet par Emmanuel Blanchard (2003)

- voir aussi : les victimes du 17 octobre 1961 ? selon Jean-Luc Einaudi (commentaire critique par Michel Renard)

 

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