Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
études-coloniales
31 mai 2007

Note au sujet des territoires coloniaux de l'Allemagne (Gérard Molina, 2005)

Diapositive1

 

 

Note au sujet

des territoires coloniaux de l'Allemagne

Gérard MOLINA (2005)

 

M. Gérard Molina (Paris) conteste, dans l’article intitulé «Commémorations» (Le Monde diplomatique, mars 2005), la formulation selon laquelle l’Allemagne aurait été «oubliée» en matière de colonies.

L’Allemagne est venue tard à la colonisation, mais, après la conférence de Berlin (1884-1885), elle établit rapidement sa sphère d’influence sur quatre vastes territoires d’Afrique (Togo, Cameroun, Sud-ouest africain et Afrique orientale allemande), ce qui en fit la troisième puissance sur ce continent. C’est le traité de Versailles (1919) qui la jugea «indigne de coloniser» et lui retira tous ses territoires. Il ne s’agit pas ici d’érudition, car l’Afrique servit de laboratoire aux politiques de ségrégation, d’espace vital et d’extermination.

Au début du XXe siècle, les colonies allemandes étaient les seules en Afrique à interdire les mariages entre Blancs et Noirs, y compris les métis chrétiens. C’est dans sa colonie du Sud-ouest africain (l’actuelle Namibie) que l’Allemagne accomplit en 1904-1905 un génocide contre les tribus hereros, qui se rebellaient régulièrement. Après la mise à mort de plus des trois quarts des 70 000 Hereros, les 16 000 survivants ne durent leur salut qu’à l’exil vers d’autres contrées. Quand on connut en métropole l’ordre d’exterminer les Hereros, l’émotion de l’opinion obligea le gouvernement de Berlin à le désavouer, mais c’était trop tard. Une même politique ethnocidaire fut déclenchée contre les Namas, descendants des Khoïkhoï ou «Hottentots».

von_Trotha
Lothar von Trotha

(...) Souligner ces faits ne doit pas conduire à relativiser la singularité de la Shoah, mais montre que celle-ci ne surgit pas comme un événement incompréhensible devant lequel tout essai d’explication serait a priori impossible, voire obscène. Hannah Arendt, très au fait de l’histoire allemande moderne, reconnut explicitement ce lien : «Les premiers à comprendre l’influence décisive de l’expérience sud-africaine furent les leaders de la foule qui, tel Carl Peters, décidèrent qu’ils devaient eux aussi faire partie d’une race de maîtres. Les possessions coloniales africaines offraient le sol le plus fertile à l’épanouissement de ce qui devait devenir l’élite nazie.»

Gérard Molina
agrégé de philosophie
Le Monde Diplomatique
, avril 2005,
page 2 (en ligne)

 

52
Die Kriegsgeschichtliche Abteilung des Großen Generalstabs veröffentlichte 1907 eine umfangreiche Dokumentation über "Die Kämpfe der deutschen Truppen in Südwestafrika", deren 1. Teil dem "Feldzug gegen die Hereros" gewidmet war, während der 2. Teil den "Feldzug gegen die Hottentotten" dokumentierte (Bundesarchiv, Bibliothek).

La guerre des troupes allemandes dans le Sud-Ouest Africain.
L'expédition contre les Hereros
, Berlin, 1906

 

liens

- l'Allemagne et le Sud-Ouest africain, la répression de la révolte des Hereros (en langue allemande)

 

- The Revolt of the Hereros, Jon M. Bridgman, University of California Press, 1981 

6834

 

 

- retour à l'accueil

Publicité
Publicité
19 avril 2007

l'insurrection malgache de 1947 (Jean Frémigacci)

Diapositive1

 

Madagascar, insurrection de 1947

 Ce que révèlent

les reconstitutions historiques

un entretien avec Jean FRÉMIGACCI

 

- Les Nouvelles - En quoi les recherches récentes menées par votre équipe apportent-elles une nouvelle vision des "Evènements de 1947" ?

Jean Frémigacci
- Vaste question... Je dirai que jusqu'ici, nous n'avions aucune étude d'ensemble de ce qui s'est passé sur le terrain, mais seulement des travaux très généraux sur les origines de l'insurrection, vue comme découlant de la situation coloniale générale ; ou sur le face-à-face entre le pouvoir et les nationalistes malgaches, conclu par le célèbre "Procès des parlementaires". Quant à ce qui s'est passé sur le terrain, on s'est contenté de parler de répression "féroce" en se retranchant derrière "la chape de silence" que les Français auraient imposé sur ce qui se passait. Ce qui est une première affirmation fausse : car l'insurrection malgache de 1947 a été la première révolte coloniale à connaître une médiatisation intense dès mai 1947, organisée par le parti communiste qui vient juste, le 5 mai, de quitter le gouvernement pour entrer dans l'opposition. 1947 est aussi, ne l'oubliez pas, la première année de la guerre froide.

Tout d'abord, je préciserai que si nous avons pu progresser considérablement dans la connaissance de 1947, c'est parce que de vastes fonds d'archives ont été ouverts depuis une dizaine d'années en France : les archives militaires de Vincennes livrent le détail de la chronologie et de la géographie de l'insurrection, jusqu'au niveau du village. Les archives d'Aix-en-Provence complètent celles d'Antananarivo ouvertes depuis près de 20 ans en donnant tous les acteurs des "Evènements de 1947" dans le sens le plus large. Il est absurde, soit dit en passant, de se plaindre de la "fermeture" des archives, même si toutes ne sont pas encore accessibles.

7b7e_1_b
carte postale ancienne
ayant voyagé en 1903

 

Que nous apprend donc le terrain ? D'abord, qu'il faut revoir complètement les cadres chronologique et spatial d'un mouvement qui a été bien plus qu'une insurrection localisée sur 1/6ème de l'île. Le 29 mars 1947 a été tout autant un point d'aboutissement qu'un point de départ. A partir de mai 1946, un mouvement de désobéissance civile, de véritable dissidence des populations se développe dans certaines régions de l'île, et pas seulement dans celles qui se révoltent. Le MDRM (ndlr : Mouvement démocratique de la rénovation malgache) chevauche ce mouvement de fond bien plus qu'il ne le provoque ou le stimule. Et tout cela débouche sur un climat pré-insurrectionnel dès novembre 1946 qui a d'importantes conséquences : la répression administrative et policière qui s'ensuit a eu pour résultat que certaines régions très dynamiques, comme l'extrême Sud ou le Nord-Est n'ont pu se joindre, plus tard, à l'insurrection... car leurs cadres étaient déjà emprisonnés. C'est le cas par exemple de Monja Jaona dans l'Androy, arrêté dès le 10 novembre 1946 et qui ne sortira de prison que quatre ans plus tard. Contrairement à ce que suggère son intervention dans le film de Danièle Rousselier, ou Philippe Leymarie dans Le Monde Diplomatique, Monja Jaona n'a joué aucun rôle en 1947-1948.

L'autre conséquence à souligner : ce climat quasi-insurrectionnel a joué un rôle pédagogique essentiel en accréditant l'idée ou plutôt l'illusion lyrique que le Fanjakana frantsay était à l'agonie. Un dernier coup d'épaule, et il s'effondrerait. D'où, le 29 mars, le thème de "trois jours" : trois jours de révolte suffiront, et ensuite, les Américains et les Anglais imposeront aux Français affaiblis la reconnaissance de l'indépendance de Madagascar. C'est à la lumière de ce thème qu'il faut comprendre l'impréparation extraordinaire de la révolte. Personne n'imaginait qu'on en avait pour 1 an, 1 an et demi... Pour compléter ce renouvellement des perspectives, je dirai que ce qui s'est passé alors à Majunga, Antalaha ou Fort-Dauphin est aussi important que l'insurrection proprement dite à Moramanga ou Sahasinaka, si l'on veut comprendre l'évolution ultérieure de Madagascar. C'est là un axe de recherche essentiel, qui a exigé énormément de tempo et de travail de ma collègue, Lucile Rabearimanana.

Les Nouvelles - Avez-vous découvert du nouveau en ce qui concerne les origines, les responsables du déclenchement de l'insurrection, et le cheminement de celle-ci ?

Jean Frémigacci - L'enquête menée dans les archives et sur le terrain devrait nous permettre de rejeter définitivement la thèse, très défendue en France surtout, suivant laquelle 1947 aurait résulté d'un complot de la sûreté coloniale pour abattre le MDRM. Or notre recherche collective fait émerger des réseaux de militants qui se préparent à l'insurrection en débordant le MDRM légaliste et dont la police ignore tout : c'est par exemple ce qu'a découvert Célestin Razafimbelo dans la région de Moramanga.

Ce que l'on appelle le complot policier est postérieur au 29 mars. Il s'agit de l'utilisation de la violence pour obtenir des «aveux» permettant d'accuser Ravoahangy, qui en fait n'était pour rien dans l'affaire. Ce qui n'est pas le cas de Raseta qui lui, semble bien avoir été le chef occulte de la Jina, la société secrète qui a joué le rôle d'allumette déclenchant l'explosion. Mais pour les Français, l'homme à abattre, c'était Ravoahangy. C'était une très grosse erreur de leur part, car Ravoahangy était leur meilleur interlocuteur possible.

Les réseaux qui ont déclenché l'insurrection étaient essentiellement composés par ce qu'on peut appeler la petite bourgeoisie merina provinciale. Pourtant, il serait très réducteur de ramener le mouvement à un complot des Merina ! Car le fait essentiel, ici, c'est que, entre avril et juillet 1947, à la faveur de la disparition de toute autorité coloniale en brousse, on voit se développer une immense jacquerie paysanne, constituée de foyers très largement autonomes, à fondement le plus souvent ethnique, chez les Antemoro (qui créent une "République autonome de Namorona"), les Tanala, les Betsimisaraka, suivant des modalités tellement variées qu'il serait plus juste de parler des insurrections malgache de 1947...

Dans tout cela le MDRM passe rapidement à l'arrière plan, un chef historique comme Radaoroson dit même qu'il faut l'oublier. Et sauf dans la région de Moramanga, le réseau de militants merina doit laisser le pouvoir aux chefs de guerre locaux. Si certaines sociétés, comme les Antemoro et les Tanala, préservent leur cohésion, d'autres comme les Bezanozano ou les Betsimisaraka sont déchirées par des luttes sociales, ou également par un banditisme social qui terrorise les populations encore plus que le Sénégalais : Tovo Rakotondrabe a été frappé par son ampleur dans la région de Brickaville.

CapMalgTabataba
Tabataba, film de Raymond Rajaonarivelo (Madagascar, 1993) - source

En bref, en 1947, à Madagascar, on a l'éventail complet des types de résistance à un pouvoir colonial : un mouvement nationaliste moderne, des révoltes primaires exprimant des fureurs paysannes, et même un mouvement religieux qui mêle croyances ancestrales (comme la croyance dans Tokanono) et messianisme protestant... Et il vaut mieux ne pas adhérer à la légende rose qui voit dans chaque révolté de 1947 un citoyen politiquement formé, conscient et organisé, prêt à donner sa vie pour sa patrie... Car alors, cela voudrait dire que, depuis, les Malgaches ont énormément régressé, ce qui est une idée absurde. De même qu'il ne faut pas voir le MDRM comme un modèle idéal de parti national jamais égalé depuis. Dans un travail remarquable, Denis Alexandre Lahiniriko a parfaitement pointé ses faiblesses. Ses 300.000 membres affichés étaient beaucoup plus fictifs que réels. Car les adhésions s'étaient faites collectivement, par villages entiers, souvent sous l'impulsion des fonctionnaires locaux, chefs de canton, médecins de l'Ami (ndlr : Assistance médicale indigène)... En fait, il n'y avait pas de place pour l'individualisme, pour le choix individuel à l'époque... Et les insurgés de la côte Est se sont battus pour leur indépendance dans un cadre local beaucoup plus que pour une République démocratique de Madagascar. À l'époque, ils prenaient encore le mot de tanindrazana dans son sens étroit et concret, non dans son sens général et abstrait comme nous le faisons aujourd'hui. D'où, d'ailleurs, un effet pervers qui est le réveil des ethnies.

Les Nouvelles - Nous en arrivons maintenant à la question la plus sensible, celle de la répression coloniale et du bilan des pertes de l'insurrection. Quelle est votre opinion là dessus ?

Jean Frémigacci - La réponse est difficile. Qu'est-ce qu'une répression «féroce», qu'est-ce qu'une répression «modérée» ? C'est largement une affaire d'opinion subjective. Dans ce domaine, à mon sens, on ne peut que prononcer un jugement relatif, en procédant par comparaison, dans le temps et dans l'espace. Je suis parfaitement conscient du risque de causer un scandale en émettant l'opinion que la répression militaire, après une série de crimes de guerre commis dans les 6 premières semaines, a été relativement mesurée ensuite.

Pour être bref, je dirai que dès juin-juillet 1947, des instructions formelles de modération dans la répression sont données aux troupes, et les données d'archives comme les enquêtes de terrain auxquelles j'ai procédé en pays Tanala, Antemoro et Betsimisaraka montrent que ces instructions ont été largement suivies. Cette modération n'a pas de quoi étonner, c'était la seule politique possible : le problème, pour les Français, c'était de regagner la confiance des populations en fuite, et de les faire rentrer dans leurs villages. On ne pouvait y arriver par la violence. Quant aux insurgés, trop mal armés pour représenter un danger réel pour les soldats coloniaux, ils n'ont pas suscité la haine de ces derniers, comme le «Viet» en Indochine ou le Fellagha en Algérie.

Les Nouvelles, du 30 mars 2005
 jeudi 31 mars 2005,
napetrak'i / mis en ligne par Nary

 

Ma_map

 

 

- retour à l'accueil

28 mars 2007

Madagascar, photos à identifier (appel à expertise)

Diapositive1

 

Madagascar, photos à identifier

appel à expertise, Frédéric RIPOLL

 

Bonjour,

Je suis responsable au sein du Muséum d’Histoire Naturelle de Toulouse de l’ensemble des fonds photographiques parmi lesquels un fonds ancien prestigieux qui vient d’être traité après 5 ans de travail.

Dans ce fonds, constitué au tournant du siècle dernier par Eugène Trutat (1840-1910), figurent des lots assez mystérieux qu’on ne peut lui attribuer, entre autres un ensemble important de plaques négatives au format 13X18 présentant pour la plupart des portraits de malgaches.

Seule mention : «Madagascar. Femme (ou Homme ; enfant…. ). M.Jullien»

Je serais heureux de pouvoir identifier l’auteur des images de Madagascar qui sont magnifiques, afin de lui rendre un juste hommage.

Frédéric Ripoll
photographe
Département information et réseaux
Muséum d'Histoire naturelle de Toulouse

Clocher_et_mur_courbe1_copyright_MHNT2



 

 

 

contact :Frederic.RIPOLL@mairie-toulouse.fr

 

138_B60_010
Madagascar, homme

 

138_B60_049
Madagascar, femme

 

138_B60_055
Madagascar, enfants

 

138_B60_024
Madagascar, Monsieur Jullien

 

_________________________________________________

- référence à Eugène Trutat sur le site Gallica.bnf avec nombreuses photos

- mention du fonds ancien de la photothèque du Musée de l'Homme avec des cotes consacrées à Trutat et à Madagascar

Michel Renard

_________________________________________________

Commentaires

Je tiens un blog sur Madagascar, et ce jour de 29 mars est pour moi l'occasion de découvrir ce blog, étonnant pour moi qui d'habitude n'ai pas beaucoup de patience sur le thème de l'histoire. Impossible de ne pas s'arrêter sur ces photos, est-ce possible que je relaye l'info sur mon blog ?

Posté par Tattum, jeudi 29 mars 2007 à 22:05

 

 

Réponses

Bien sûr. À charge de nous informer en cas de découvertes...
Merci.
Études Coloniales

jeudi 29 mars 2007 à 22:53

Diapositive1

 

 

- retour à l'accueil

8 mars 2007

L'impossible unité africaine (Jean-Paul Ngoupandé)

 

Diapositive1

 

L'impossible unité africaine

Jean-Paul NGOUPANDÉ

 

Une lecture même superficielle d'une carte de l'Afrique centrale conduit à une évidence : toute la région du Darfour et de ses environs est sous-peuplée. S'agissant de la République centrafricaine, plus d'un tiers des Darfour_soudan_carte220623 000 km2 de territoire est quasiment vide. Tout au plus 70 000 habitants pour au moins 200 000 km2 : encore aujourd'hui, on peut parcourir 100 km sans rencontrer le moindre village. Au Tchad et au Soudan, des régions comme le Salamat ou le Bhar el Ghazal ont subi le même sort.

Le Darfour a été, depuis au moins six siècles, au coeur d'un vaste et florissant commerce d'esclaves noirs en direction des pays arabes. Bien entendu, le Darfour ne fut pas le seul centre de razzias esclavagistes en direction du Proche et du Moyen-Orient. Mais il est clair qu'il a fortement marqué la région. Dans mon pays, les Bandas, l'un des principaux groupes ethniques centrafricains, ont été les plus touchés ; d'où la dispersion qui fait qu'on trouve un peu partout, y compris dans le Sud-Ouest forestier, des rameaux bandas ayant cherché un refuge très loin de leurs terres d'origine. Dans la tradition orale, les légendes font une claire allusion à cette fuite sans fin, et les noms des localités et des cours d'eau portent la marque de cette longue errance. Des grottes aménagées pour servir de refuges contre les razzias arabes sont encore visibles. Dans la conscience collective, les traumatismes de cette chasse au bois d'ébène sont présents de façon tenace. Les exactions actuelles des janjawids ne peuvent que réveiller des souvenirs douloureux pour les populations concernées.

medium_arabe_esclavage

Au-delà de ce cas précis, le très lourd contentieux de la traite moyen-orientale continue de peser sur les relations entre le monde arabe et les Noirs d'Afrique, et constitue l'un des principaux freins à l'intégration africaine. L'Organisation de l'unité africaine (OUA), fondée à Addis-Abeba en mai 1963 par les pères de l'indépendance, avait en son temps suscité un grand espoir, vite déçu par les pesanteurs de l'histoire et les divisions qu'elles sécrètent. Parmi ces pesanteurs, on pouvait déceler les rapports ambigus entre Afrique noire au sud du Sahara et Afrique du Nord, essentiellement arabe et blanche. Durant la guerre froide, des soupçons d'instrumentalisation de l'OUA à des fins qui n'étaient pas les leurs ont poussé certains dirigeants subsahariens comme le maréchal Mobutu à proposer la création d'une Ligue des États africains noirs.

L'OUA avait alors obtenu, sous la pression de pays nord-africains comme l'Algérie et l'Égypte, que tous les États membres rompent leurs relations diplomatiques avec Israël après la guerre du Kippour. Or un nombre non négligeable de ces pays subsahariens entretenaient des relations de coopération fructueuse avec l'État hébreu, dans des domaines aussi variés que la sécurité, l'agriculture ou la formation. L'Union Africaine, qui a pris la suite de cette première organisation continentale, n'a pas non plus réussi à créer l'indispensable osmose. Entre le nord et le sud du Sahara, l'ère des méfiances, des soupçons et des sous-entendus est loin d'être surmontée, malgré les proclamations officielles.

2262018502

Ces dernières années, on parle beaucoup, et à juste titre, de la traite atlantique. Les Européens ont eu l'honnêteté et le courage d'admettre que le commerce triangulaire fut un crime contre l'humanité. La loi Taubira en France est un bon exemple. Sur la traite moyen-orientale, au contraire, c'est un épais silence qui recouvre le drame, silence nourri par des faux-semblants et des arguments d'autorité. Quiconque aborde ce sujet est soupçonné de chercher à minimiser la traite atlantique. La solidarité africaine demeure le prétexte idéal au refus plus ou moins conscient de briser le sujet tabou des razzias arabes. Dans les années 1960 et 1970, au sein du mouvement étudiant africain en France, les rares personnes qui osaient évoquer la traite moyen-orientale étaient immédiatement accusées de faire le jeu du sionisme.

Certes, en comparaison avec la puissante organisation que fut le commerce triangulaire, la traite moyen-orientale peut apparaître comme une activité relevant de l'informel, donc de moindre ampleur. C'est complètement faux. Les razzias n'ont jamais été un jeu d'enfants, ne serait-ce que par leur durée. Elles ont commencé bien avant l'islamisation de l'Afrique subsaharienne. L'islam n'est pas en cause, bien entendu. Les Négro-Africains victimes des atrocités commises par les janjawids sont aussi des musulmans. Je ne comprends donc pas les cris d'orfraie qui sont poussés dès qu'est soulignée la connotation raciale du conflit du Darfour. Il est pourtant aisé de comprendre que le mépris affiché pour la vie du Noir est une survivance de l'époque de l'esclavage à visage découvert. La traite moyen-orientale fut, comme le commerce triangulaire, une activité très lucrative fondée sur la chosification du Noir. En quoi le comportement des janjawids prouve-t-il que leur regard sur leurs compatriotes négro-africains a changé ?

Contrairement à l'autre saignée, cet esclavage arabe - pour le désigner avec exactitude ! - n'a pour ainsi dire jamais cessé puisqu'on en parle peu dans les pays concernés, à l'exception notable de la Mauritanie, qui a officiellement aboli l'esclavage en... 1981 ! Mais on sait bien que l'application intégrale de cette loi tarde à se concrétiser, comme le suggère le débat électoral en cours dans ce pays. De temps en temps parviennent, un peu partout en Afrique subsaharienne, des échos, jusqu'alors invérifiés, de "disparitions" de jeunes Négro-Africains à l'occasion du pèlerinage de La Mecque. Plus concrètement, en revanche, les images de "l'accueil" réservé ces derniers mois aux jeunes subsahariens dans les pays nord-africains contribuent à approfondir la fracture que les responsables politiques s'efforcent de taire. Or il est impossible de bâtir une union solide et durable en faisant l'impasse sur les traumatismes de l'histoire parce qu'ils ont la peau dure.

sudan_05
Attente de l'approvisionnement en eau, Darfour, Soudan (source)

Le drame du Darfour relève de ces traumatismes que l'Afrique contemporaine doit absolument exorciser pour parvenir à la réalisation de l'indispensable intégration. De la part des pays arabes africains, seule une condamnation ferme, sans l'ombre d'une ambiguïté, des atrocités commises par les janjawids est de nature à lever les méfiances et à consolider notre foi en ce projet exaltant.

Oui, nous sommes condamnés à vivre ensemble, Africains noirs et blancs, sur ce continent qui est notre bien commun.

Jean_Paul_Ngoupande_1





 

Jean-Paul Ngoupandé
essayiste, ancien premier ministre
de la République centrafricaine
Le Monde, 28 février 2007

 

 

v_8_darfour
camps de déplacés" au Darfour (source)

 

 

- "L'Afrique suicidaire" (2002), Jean-Paul Ngoupandé

 

 

- retour à l'accueil

17 février 2007

L'Afrique suicidaire (Jean-Paul Ngoupandé - 2002)

Diapositive1



L'Afrique suicidaire

Jean-Paul NGOUPANDÉ

 

Le discrédit qui frappe les Africains n'a pas d'équivalent dans l'histoire contemporaine de l'humanité. Pendant les siècles de la traite négrière, nous étions assurément des victimes. Aujourd'hui, nous sommes nous-mêmes les principaux fossoyeurs de notre présent et de notre avenir. Au sortir de l'ère coloniale, nous disposions d'appareils d'État certes embryonnaires et répressifs, mais qui avaient le grand mérite de remplir efficacement les missions élémentaires qui leur étaient dévolues : sécurité, santé publique, éducation nationale, entretien des voies de communication.

Aujourd'hui, les États sont liquéfiés dans la plupart de nos pays, les gardes prétoriennes et les milices politico-ethniques ont supplanté l'armée, la police et la gendarmerie, qui ne sont plus que les ombres d'elles-mêmes. L'insécurité s'est généralisée, nos routes et les rues de nos villes sont devenues des coupe-gorge.

20060816
Milices des "Tribunaux islamiques" en Somalie (source)


La tragédie du sida nous rappelle dramatiquement qu'avec des administrations efficaces et responsables nous aurions pu endiguer le fléau à ses débuts. Au lieu de cela, plus de 20 millions d'Africains, dont une majorité de jeunes et de cadres bien formés, ont déjà été arrachés à la vie, victimes des tergiversations de nos États et d'une ambiance sociale délétère et ludique où le sens de la responsabilité individuelle et collective s'est évaporé. Les crises politico-militaires et les violences de toutes sortes, l'appauvrissement des États pris en otage par des coteries prédatrices, la propension des dirigeants à se préoccuper essentiellement de leur sécurité et des moyens de conserver le pouvoir, tout cela a conduit au fait qu'un secteur aussi décisif pour le présent et l'avenir que l'éducation est naufragé un peu partout.

L'insécurité et le désordre général, la criminalisation rampante d'États de plus en plus contrôlés par des systèmes mafieux, les lourdeurs administratives et l'absence de règles transparentes occasionnées par une corruption endémique font que les investisseurs privés ne se bousculent pas à nos portillons, loin de là. Même les donateurs publics nous considèrent désormais comme des puits sans fond et des cas d'acharnement thérapeutique.

Plus de quarante ans après la vague des indépendances de 1960, nous ne pouvons plus continuer d'imputer la responsabilité exclusive de nos malheurs au colonialisme, au néocolonialisme des grandes puissances, aux Blancs, aux hommes d'affaires étrangers, et je ne sais qui encore. Il faut que nous acceptions désormais d'assumer : nous sommes les principaux coupables.

enfant

Le basculement de nos pays dans la violence, le laxisme dans la gestion des affaires publiques, la prédation sur une vaste échelle, le refus de nous accepter entre ethnies et régions, tout cela a des causes principalement endogènes. L'admettre sera le début de la prise de conscience, et donc de la sagesse.

On me dira que c'est dédouaner trop facilement la responsabilité de l'extérieur. Mais les accusations de ce type, nous n'avons fait que les proférer depuis quarante ans, surtout nous, les intellectuels. Le problème aujourd'hui, c'est que les accusés ne prêtent plus la moindre attention à nos réquisitoires qui ont, soit dit en passant, pris un bon coup de vieux, parce que le monde dont nous parlons n'est plus le leur.

Nos jérémiades, nos gesticulations ne touchent plus personne outre-Méditerranée et outre-Atlantique. Je crains en réalité que nous ne nous trompions de planète. Depuis la fin du conflit idéologique entre l'Est et l'Ouest, nous ne sommes plus un enjeu parce que nous ne pesons plus dans la nouvelle compétition, celle de la conquête de marchés porteurs.

Un et demi pour cent des échanges commerciaux dans le monde (dont 40 % pour le pays de Mandela) : voilà ce que représente l'Afrique subsaharienne sur le nouvel échiquier de notre planète. Autrement dit, nous ne sommes rien, et nous n'avons pas voix au chapitre. Cela se constate aisément, pour peu que nous prêtions attention aux préoccupations des grands décideurs, aux flux commerciaux et aux centres d'intérêt des médias.

Il y a donc pour nous, en ce début de IIIe millénaire, une urgence absolue : nous préoccuper de ce que nous avons à faire nous-mêmes pour tourner le dos à la logique de l'autodestruction, tenter de nous réinsérer dans l'économie mondiale, et tout essayer pour en finir avec la marginalisation.

paludisme_en_afrique

Le premier signe attendu de nous par les rares bonnes volontés qui s'expriment encore en faveur de l'Afrique est que nous commencions enfin à pointer du doigt la racine du mal africain : nous-mêmes, autrement dit nos dirigeants, nos élites, et même nos populations dont la résignation parfois désarmante laisse le champ libre aux seigneurs de la guerre et offre une masse de manœuvre aux gouvernements tribalistes et prévaricateurs. Un début de visibilité de notre prise de conscience plaiderait en notre faveur et encouragerait ceux qui croient qu'il n'est pas raisonnable de gommer du jeu mondial plus de 700 millions d'Africains subsahariens.

Car là est l'autre facette du débat sur l'Afrique : c'est le sens qu'il convient de donner à l'afro-pessimisme radical. Sous prétexte qu'il y a des blocages entretenus par les Africains eux-mêmes et qui créent des problèmes apparemment insolubles, le point de vue qui se répand de plus en plus dans les pays développés est qu'il faut ignorer définitivement le continent noir puisqu'il se révèle congénitalement incapable de se prendre en charge. Donc, l'Afrique, ça n'existe plus, c'est perdu pour le développement, et cela devient même problématique pour l'assistance humanitaire, la dernière chose que l'on puisse y faire.

Incroyable myopie ! Ce continent jouxte l'Europe : une quinzaine de kilomètres par le détroit de Gibraltar, et environ 200 kilomètres séparant le cap Bon de la Sicile. La décomposition d'un continent si proche ne peut pas ne pas poser de problèmes au nord de la Méditerranée. Le 11 septembre 2001 nous enseigne que l'interdépendance est plus que jamais la règle sur notre planète, et que les problèmes sont bien plus partagés qu'on ne le pense généralement. Il n'y a pas de cloisonnement étanche.

Burkina___Bobo

À l'occasion du sommet qu'il a organisé à Dakar le 17 octobre dernier, et qui n'a malheureusement pas mobilisé beaucoup de dirigeants africains, le président Abdoulaye Wade a eu cette formule tout à fait pertinente : l'Afrique est devenue une vaste passoire pour toutes sortes de trafics. Il suffit d'observer la "sécurité" dans nos aéroports et à nos frontières terrestres et maritimes, la facilité avec laquelle des étrangers peu recommandables peuvent se procurer nos passeports diplomatiques, les valises tout aussi "diplomatiques" servant à faire passer en fraude diamants, or, devises (y compris de la fausse monnaie), drogue et toutes sortes d'objets délictueux.

D'accord donc pour que nos amis français nous interpellent fermement quant au délitement de nos pays, dont nous portons la responsabilité principale. Il ne faut pas qu'ils aient peur de nous dire la vérité en face. Le complexe du colonisateur n'a plus lieu d'être : l'amitié doit désormais se nourrir de vérités, y compris les vérités crues.

Les pires pour nous, ce sont ceux qui jouent à nous caresser dans le sens du poil. La tape sur l'épaule est certes un geste amical, à condition qu'elle ne nous conforte pas dans l'idée infantilisante selon laquelle nous sommes les gentilles et innocentes victimes d'un complot international contre l'Afrique. Il ne faut plus nous flatter. Quant à nous, nous gagnerons en crédibilité à partir du moment où nous serons capables de nous regarder en face, pour reconnaître enfin que tout ce qui nous arrive est d'abord de notre faute. Nous serons plus crédibles pour dire à tous ceux qui considèrent l'Afrique comme un continent perdu qu'ils ont tort.

Elle est certes en panne, mais décréter sa mise hors jeu définitive ne règle aucun problème. Entre la condescendance, qui signifie mépris et infantilisation, et l'abandon qui ne dit pas son nom et qui est une forme de politique de l'autruche, il y a place pour un regard responsable sur la crise africaine.

afrique_dev_1

Un tel regard commence d'abord par s'éloigner des idées reçues, en particulier les généralisations hâtives et les conclusions radicales. L'Afrique est un continent. C'est le premier rappel élémentaire à formuler. Sur 53 États, il s'en trouvera bien 2, 3 ou 4 pour prendre le chemin du sérieux. Seule une observation attentive et non dogmatique permettra de les identifier. Dans cette hypothèse, l'intérêt de l'Afrique, de l'Europe et du monde commanderait qu'ils soient franchement appuyés, au lieu du saupoudrage qui n'a jamais induit un cycle de développement. Un appui franc et massif accordé à des pays manifestant clairement une volonté de s'en sortir par le sérieux et le travail acharné servirait le contre-exemple pour les mauvais gestionnaires.

C'est d'ailleurs ce qu'avait indiqué le président Mitterrand lors du 16e sommet des chefs d'Etat de France et d'Afrique en 1990. Erik Orsenna était à ses côtés et aurait, dit-on, fortement inspiré le désormais célèbre discours de La Baule. L'attention excessivement concentrée sur les seigneurs de la guerre est, de ce point de vue, un autre piège qui guette le continent. Aujourd'hui, mieux vaut être un chef rebelle ou un président casseur pour retenir l'attention de la communauté internationale, plutôt qu'un gestionnaire sérieux et discret.

Jean-Paul Ngoupandé
ancien premier ministre centrafricain,
député d'opposition en exil.
Le Monde, 18 mai 2002

Diapositive1

 

 

- retour à l'accueil

Publicité
Publicité
25 octobre 2006

les chemins de fer à Madagascar (1901-1936), une modernisation manquée (article de Jean Frémigacci, revue Afrique & Histoire)

Madagascar_cpa

 

les chemins de fer de Madagascar

(1901-1936) :

une modernisation manquée

un article de Jean FRÉMIGACCI

dans le n° 6 de la revue Afrique & Histoire

 

L'âge des chemins de fer à Madagascar risque d'avoir été bref. De 1901, qui vit l'ouverture du premier chantier, à 1936, un embryon de réseau de quelque 860 kilomètres fut constitué. Mais, en 2001 sur les 4 lignes qui le composaient, seul le FCE (Fianarantsoa-Côte-Est, 163 km) était encore animé par un modeste convoi quotidien, alors même que le problème des transports était plus aigu que jamais. Depuis, le TCE (Tananarive-Côte-Est, 369 km) a repris du service pour l'acheminement de pondéreux, les hydrocarburesanivorano_chemin_de_fer principalement. Mais la tentative de remise en service du TA (Tananarive-Antsirabé, 158 km) s'est soldée par un déraillement de bien mauvais augure. Dans le contexte politique et idéologique actuel qui privilégie la privatisation de toutes les activités économiques, l'avenir dees chemins de fer malgaches est plus qu'incertain.

Or, incriminer la mauvaise gestion des Républiques successives depuis 1960 n'est pas une explication suffisante. Car une analyse remontant aux origines de ces voies ferrées fait apparaître clairement que l'entreprise a été dès l'origine mal pensée et encore plus mal exécutée. Le calcul économique resta déficient, ce qui rendait illusoires les espérances de développement, elles-mêmes obérées par de sévères contraintes, qu'il s'agisse des conditions de financement, du parasitisme d'intérêts particuliers ou d'effets pervers source de blocage économique. Et surtout, la réalisation fut menée au prix d'un coût social et humain très élevé, qui éclaire notamment les origines de l'insurrection de 1947 dont les chemins de fer furent les axes et la cible, et au-delà, l'hostilité des populations à une modernité toujours perçue comme oppressive.

Jean Frémigacci, Afrique & Histoire, n° 6, p.163

 

* la suite dans le n° 6 de la revue Afrique & Histoire, novembre 2006

 

FCE_1936
le FCE est la ligne de chemin de fer Fianarantsoa-Côte-Est

 

- Jean Frémigacci, maître de conférence à l'université Paris I-Panthéon Sorbonne

 

1141735476
source

spaceball

spaceball

 

- retour à l'accueil

14 mai 2006

Afrique-histoires

 

Afrique-histoires

(à venir)




sahara1

 

sahara2
art rupestre au Sahara, mi-holocène
(période commencée il y a 10 000 ans)



- retour à l'accueil

Publicité
Publicité
<< < 1 2 3 4 5 6
études-coloniales
  • Ce site édite une revue en ligne qui encourage les savoirs et les recherches consacrées à l’histoire coloniale et post-coloniale, à l'histoire des constructions mémorielles et des immigrations d’origines coloniales
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Newsletter
469 abonnés
Publicité