les incroyables silences
des manuels d'histoire de lycée
Jean MONNERET
Pris par des travaux intenses, j'ai tardé à me pencher sur le traitement du terrorisme dans les manuels scolaires, comme souhaité par quelques-uns de vous. Le choc n'en a été que plus rude :
J'ai sous les yeux le manuel Hatier destiné aux Terminales L/ES/S, je suis abasourdi.
Torture : Il n'est question que de cela sur 2 pages entières, 1944 et 1945. Bien entendu, il n'est question que de la torture pratiquée par des militaires français. Alors que tous les protagonistes de cette guerre l'ont mise en oeuvre (FLN , Barbouzes, MNA, etc...). On peut dénoncer la torture, mais, le faire sans rappeler le contexte terroriste est intellectuellement malhonnête. Le problème de la torture touche aux fondements mêmes de la civilisation occidentale et je ne peux l'évoquer pleinement ici.
Je renvoie donc à mon article sur l'Affaire Audin disponible sur mon site. Pour faire simple, disons qu'il est légitime de s'interroger sur la torture. Si le terrorisme ne justifie pas la torture, celle ci ne saurait davantage justifier, à postériori, les méthodes du FLN. Camus, pour sa part, préférait parler des noces sanglantes du terrorisme et de la répression.
Pas un mot sur Camus, sur l'Église de France, sur les officiers qui se sont opposés à la torture
Au sujet de la torture, nous avons droit à Alleg, Ighilariz, Servan-Schreiber, de Bollardière, Raphaëlle Branche et naturellement Sartre. Je ne dirais pas qu'il n'y a qu'un son de cloche puisque précisément il y en a un autre : Paul Aussaresses, personnage trés controversé et dont le témoignage discuté tend à confirmer ceux qui précèdent. Pas un mot sur les débats passionnés de l'époque concernant l'emploi de cette torture. Pas un mot sur Camus, sur l'Église de France, sur les officiers qui se sont opposés à la torture, etc.....
Terrorisme : Le mot n'est pas employé une seule fois. Le FLN est complétement exonéré de ses exactions. Si c'est ainsi que l'on prépare les générations futures à lutter contre ce fléau, la France est mal partie.
Les historiens de la Guerre d'Algérie sont : Vidal-Naquet, Raphaëlle Branche déjà citée, Mohammed Harbi et naturellement Benjamin Stora. Pas la moindre allusion à la diversité des opinions sur ce point : Pervillé, Frémeaux, Lefeuvre, Jauffret, Vétillard, Jordi, Faivre, inconnus au bataillon.
Les malheurs des Pieds Noirs sont exposés par J. Roy, M.Cardinal et L'Association des PN Progressistes, un groupuscule sans représentativité mais chéri des media.
Je reviendrai sur tous ces points dans une étude plus détaillée. Ceci est ma réaction à chaud.
Jean Monneret
Le FLN a mis, selon vous, la torture en œuvre. Non pas. Le FLN a pratiqué une guerre terroriste, la seule à sa portée. Les exactions du FLN ne sont pas des tortures, ce sont des armes. Comme le dit Ben M'hidi à Bigeard « donnez moi vos avions et vos chars et je vous donnerai mes couffins ». En revanche la torture pratiquée par l'armée régulière française est ce que la Résistance reprochait aux nazis. Nul besoin de remonter aux « fondements de la civilisation occidentale », il suffit de se reporter dix ans plus tôt.
Vous écrivez « il est légitime de s'interroger sur la torture ». Très bien...
Vous écrivez « le terrorisme ne justifie pas la torture » mais quatre lignes plus haut vous la justifiez par le terrorisme. Il faudrait faire enfin litière de la vulgate militaro-pied-noir, oui, vous savez ? Le dilemme du capitaine tortionnaire qui veut éviter l'explosion de la bombe prête à déchiqueter des femmes et des enfants. Le seul problème c'est que ce cas ne s'est jamais produit. Jamais une bombe amorcée n'a été empêchée d'exploser grâce à la torture. La torture a détruit les réseaux FLN de la bataille d'Alger.
« La torture ne justifie pas a posteriori les méthodes du FLN » comme vous l'écrivez. J'entends la torture physique. C'est la torture politique de longue date qui a justifié l'existence de la guerre terroriste du FLN. C'est un autre problème – bien plus important en fait – à ne pas regarder par le petit bout de la lorgnette.
Quant aux « pas un mot sur ... » vous avez sans doute raison, mais nul n'est parfait.
« Le FLN est complètement exonéré de ses exactions ». Si vous interrogiez les auteurs je ne pense pas que c'est ce qu'ils vous répondraient. Mais c'est ce que construit un certain fonctionnement intellectuel dans lequel le FLN est réduit à un faiseur d'exactions, alors que le FLN fut un déclencheur et un meneur d'insurrection politique, point de vue nié par les mémorialistes et les historiens que vous citez. Les exactions officielles de l'armée française et du pouvoir politique en France et en Algérie française, je pourrais vous en citer à la pelle, archives à l'appui.
La nature et le ton de votre papier, billet d'humeur en réalité, en dit long sur ce que vous pensez de la torture pratiquée par la France. Je ne pense pas que les auteurs du manuel penchent du même côté. Et c'est tant mieux.
Je termine sur « les malheurs des pieds-noirs », qui sont les vôtres et aussi les miens. Il n'y a qu'un seul malheur qui mérite qu'on s'y attarde éternellement : l'exil. Valable pour tous. Pour le reste, chacun peut inventer ses propres malheurs. Mais les causes – ce qui devrait accaparer l'historien et non simplement les conséquences – ne sont pas celles que l'on pense (j'entends ce que pense la vulgate mémorialiste pied-noir). Et c'est là que les historiens, ceux qui ont en charge les programmes scolaires, ont un rôle fondamental à jouer. Laissons-les assumer leur travail.