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études-coloniales
15 novembre 2006

Pascal Bruckner-Benjamin Stora : contre l'oubli, la mémoire ou l'histoire

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Pascal Bruckner-Benjamin Stora :

contre l'oubli, la mémoire ou l'histoire

Propos recueillis par

MARIE-LAURE GERMON ET STÉPHANE MARCHAND

 

Le philosophe Pascal Bruckner, qui vient de publier La Tyrannie de la pénitence (Grasset) et l'historien Benjamin Stora, professeur à l'Inalco (Langues O.), auteur de La Gangrène et l'oubli, la mémoire de la guerre d'Algérie (La Découverte), débattent de la profusion des lois mémorielles en France. Entretien croisé.

 

LE FIGARO. - Les députés viennent de voter une loi pénalisant la négation du génocide arménien. Pourquoi dites-vous que la France, en creusant sa mémoire, s'adonne à un «dolorisme d'enfant gâté» ?

Pascal BRUCKNER. - En France, pendant plusieurs années, l'État s'est fait le dépositaire de la vérité historique. Il a fallu attendre 1995 pour que Chirac reconnaisse la réalité du gouvernement de Vichy, et 1999 pour que les événements survenus en Afrique du Nord soient appelés «guerre d'Algérie». La loi de 2005 sur les bienfaits supposés de la colonisation, abolie depuis, appartient à ce même mouvement. Les socialistes ont présenté un projet de loi sur le génocide arménien excluant toutes recherches historiques ultérieures. Il y a vraiment un syndrome soviétique en France ! En effet, le Parlement et l'État entendent légiférer sur le domaine historique, qui leur est irréductiblement extérieur. L'État doit se limiter à sa propre sphère de compétence à savoir le présent et l'avenir du pays, il n'a pas à dicter leur travail aux historiens en légiférant de manière autoritaire. Je suis contre le concept de vérité d'État qui commande toutes ces lois mémorielles !

 

Ce monopole de l'État sur la vérité historique est-il l'échec des intellectuels ?

Pascal BRUCKNER. - Pas du tout. J'y vois un héritage de la monarchie. L'État a prolongé cette vieille tradition selon laquelle le roi édictait le vrai et le faux. C'est aussi un symptôme du mal français qui consiste à ne pas regarder la réalité en face.

Benjamin STORA. - Il est incontestable que l'État, longtemps dépositaire de la vérité historique, en perd progressivement le monopole. C'est un point fondamental qui explique en partie la surabondance des revendications mémorielles. Des victimes du stalinisme à celles de l'intégrisme islamique en Algérie, on assiste à une internationalisation du mouvement de victimes, contre le discours officiel. C'est une grande nouveauté dans la situation internationale. Nous ne disposons plus de la parole unique - reçue en héritage au sens stalinien ou jacobin du terme - qui a si longtemps corseté nos sociétés. Cette vague revendicatrice est assez récente en France, elle date de la chute du mur de Berlin. Nous-même, intellectuels français, sommes surpris par ce processus, et avons quelques difficultés à répondre à ces nouvelles interrogations civiles assorties d'exigences de réparation. Cela dit, je ne crois pas que l'État français ait effectivement reconnu sa responsabilité sur tous les grands thèmes historiques, et notamment son rôle dans la guerre d'Algérie. Or, nous ne pouvons pas faire l'économie de comprendre ce moment. Il existe en France pas moins de quatre lois d'amnistie qui interdisent toutes poursuites contre l'auteur d'exactions commises pendant la guerre d'Algérie. L'oubli, organisé par l'État est de plus en plus mal supporté par les jeunes générations.

 

Pratiquement, que donne le travail de mémoire ?

Benjamin STORA. - De part et d'autre de la Méditerranée, les deux sociétés sont touchées par ce phénomène et tentent, chacune à leur manière, d'y répondre. Les auditions récentes au Maroc sur les «années de plomb» des années 1970 constituent d'ailleurs une grande première dans le monde arabe en matière de transparence historique. L'Algérie révise aussi progressivement son histoire. Par exemple, elle ne minore plus le rôle de Messali Hadj, le premier à réclamer l'indépendance de l'Algérie, adversaire du FLN, dans son histoire. La réintroduction progressive de Ferhat Abbas, président du GPRA, considéré comme un «réformiste bourgeois» suit le même processus. En France, des enfants de harkis aux enfants d'immigrés s'expriment des exigences de vérité. Certes, on peut déplorer le morcellement du discours et considérer que toutes les revendications risquent de miner un discours unitaire, de fissurer une légitimité républicaine. Mais on peut aussi comprendre tous ces mouvements, issus des profondeurs de la société et porteurs de témoignages particuliers, pour les intégrer dans un nouveau discours républicain plus conforme à la réalité. Oui, il faut reconstruire nos mémoires nationales, comme nous l'avons fait sur d'autres registres, avec l'esclavage et la période vichyste.

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Charles-Robert Ageron,
France coloniale ou parti colonial ?
Puf, 1978

 

Entre Vichy et la guerre d'Algérie, comment s'organise la mémoire collective ?

Pascal BRUCKNER. - Ce sont deux cas très différents. L'historien Charles Robert Ageron soutenait une thèse intéressante, reprise ensuite par Raoul Girardet : le colonialisme a été le fait non pas d'une majorité de la population mais d'un «parti colonial» apparu après 1870 pour laver l'affront de la défaite contre l'Allemagne et permettre à la France de tenir son rôle de grande puissance. On s'aperçoit que les Français étaient plutôt réticents vis-à-vis du colonialisme, qui est d'ailleurs une idée plutôt de gauche que de droite, cette dernière préférant concentrer ses efforts sur «la Corrèze plutôt que le Zambèze» pour prendre la fameuse formule de Cartier. Les Français ont fait relativement vite le deuil de l'empire. Dès 1962, la métropole, heureuse d'en finir avec un conflit qui nous avait mis au bord de la guerre civile, s'est tournée vers le projet européen, comme pour oublier cet épisode historique peu glorieux et financièrement ruineux. Je soutiens, Benjamin Stora, que la véritable mémoire douloureuse de la France repose sur les deux guerres mondiales. Il n'y a pas une famille française dont l'un des membres n'ait été impliqué dans ces conflits, que ce soit par le biais de la résistance, de la collaboration ou de l'occupation, redoutable corruption morale pour tout un pays dont il est très difficile de se relever. Pour une majorité de Français l'Algérie était une terre et une préoccupation bien lointaines. C'est devenu un épisode latéral de notre histoire !

Benjamin STORA. - Je ne suis pas d'accord ! Comment pouvez-vous qualifier de «latérale» une période qui a vu l'exil d'un million de pieds noirs, la levée d'un million et demi de soldats, la chute d'une République, la migration de 400 000 Algériens et le massacre des harkis après l'été 62 ! Avec la poursuite de l'immigration maghrébine vers la France, de 6 à 7 millions de personnes vivent aujourd'hui en France avec ces souvenirs. C'est dire que les «effets de contamination» mémoriels sont extrêmement puissants ! Les jeunes des banlieues se réfèrent constamment à cet épisode certes souvent fantasmé et déformé, tant par traumatisme que par carence universitaire. Nous sommes bien trop peu de professeurs et d'historiens aptes à transmettre sur un plan critique et scientifique cette histoire.

Pascal BRUCKNER. - Certes, cela prouve simplement que la guerre d'Algérie ne passionne pas les foules, si tragique soit-elle. On peut le déplorer, on ne peut obliger 63 millions de Français à tourner leurs regards vers ce moment de notre passé.

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Benjamin STORA. - C'est une manière de voir... Vous pointez une certaine amnésie française sur la question algérienne. Or, que vous le vouliez ou non, les descendants de l'émigration postcoloniale portent très puissamment cette mémoire. Aujourd'hui, on assiste à la naissance de groupes de chercheurs qui se plongent dans les archives à la recherche de nouvelles pistes.... Un deuxième point : vous avez raison de citer Raoul Girardet. Il professait aussi que la défaite française en 1962 avait ouvert une blessure considérable dans le nationalisme français. Que le parti colonial soit minoritaire dans la société n'obère pas que le nationalisme français se soit construit sur la notion d'empire, tout comme l'armée, d'ailleurs. C'est pourquoi la perte de l'Algérie, considérée comme le joyau de l'empire, en 1962, a laissé des traces aussi profondes. Quand de Gaulle renvoie des centaines officiers supérieurs en 1961 à la suite du putsch, l'impact est considérable. Avons-nous réellement réussi à surmonter cette blessure narcissique du nationalisme ? Je n'en suis pas sûr.

Pascal BRUCKNER. - Mais quelle «blessure narcissique» ? Ce fut un soulagement d'être débarrassé de l'empire ! Envisagée avec nos yeux d'aujourd'hui, la mainmise sur l'Algérie puis la lutte pour la maintenir dans la communauté française semble une aberration d'un autre âge. Qu'allions nous faire dans cette galère ? C'est peu dire que nous désapprouvons, nous sommes passés ailleurs. Une nation est grande non par ses conquêtes territoriales mais par ses avancées spirituelles, scientifiques. La France contemporaine ne rêve plus d'impérialisme. Le non à l'Europe du référendum du 29 mai dernier l'a bien montré : notre pays vit sur un patriotisme de la rétraction. Frileuse, la France rêve de fermer ses frontières. Son vrai mot d'ordre aujourd'hui serait plutôt «à bas le monde extérieur». Bien sûr qu'il faut procéder à un travail approfondi d'historien sur la question, comme vous le faites avec un grand talent Benjamin Stora, mais, de grâce, ne faisons pas à nos contemporains un faux procès.

Benjamin STORA. - Certes, la France a été soulagée, comme vous le dites, mais n'était-ce pas là un lâche soulagement ? Comme de juste, en enfouissant la question, elle a fini par nous exploser à la figure, comme l'a montré la Marche des Beurs de 1983. Nous n'avons pas eu le courage de nous pencher sur le «comportement des pères». Elle revient aujourd'hui, parfois déformée et toujours douloureuse et engendre une culture du soupçon qui exacerbe les identités.

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"Marche pour l'égalité", décembre 1983

La France doit-elle s'excuser auprès de l'Algérie ?

Pascal BRUCKNER. - Pourquoi pas si cela permet de signer un traité d'amitié et d'enterrer les vieilles querelles ? Il faut apurer les comptes une fois pour toutes. À condition toutefois qu'il ne s'agisse pas d'un repentir à sens unique et que le gouvernement algérien balaye ensuite devant sa porte et reconnaisse les pages noires de la lutte pour l'indépendance, la bagarre FLN/MNA par exemple, le massacre des harkis puis l'emprise de l'État FLN sur la nation après 1962, les émeutes de 1988 et enfin la guerre civile. Pour l'instant, qu'entend-on ? Bouteflika soutient que les Français ont commis un génocide comparable à celui des Allemands vis-à-vis des Juifs. Ce qui paraît à tout historien objectif légèrement déraisonnable. Au mois de juin, une délégation du PS, ou vous étiez présent, Benjamin Stora, est allée dire au président Bouteflika qu'elle présentait ses excuses à l'Algérie. Mais que je sache, François Hollande n'a pas demandé des comptes au chef de l'État sur l'usage de la torture dénoncé le même jour par un rapport d'Amnesty international.
C'est l'honneur de l'Europe de reconnaître ses crimes. Elle est l'un des rares continents à avoir su penser sa barbarie et à s'être distancé de ses propres exactions. Mais nous savons aujourd'hui qu'il n'y a pas d'État innocent. Bien des nouvelles nation6écolonisées depuis cinquante ans, ont prouvé leur capacité à commettre, tout comme nous, des abominations. Pour ne pas se remettre en question, elles se drapent toujours dans le manteau de la victime et continuent à accuser l'ancienne puissance coloniale de tous leurs malheurs.

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La «surmémorisation» française n'est-elle pas un risque pour la cohésion nationale ?

Benjamin STORA. - Il faut en effet poser la question de la surabondance mémorielle. Permet-elle de répondre aux défis de l'avenir en nous tirant ainsi vers le passé ? C'est une vraie question, non d'historien, mais de politique. Le problème, c'est que l'État n'a jamais reconnu une quelconque responsabilité dans la conduite des occupations coloniales. Le discours de Jacques Chirac à propos de la répression à Madagascar en 1948 n'a pas été suivi pour l'Algérie. Bien sûr, il n'y a pas eu de génocide, mais tout de même 400 000 morts algériens, ce n'est pas rien, la proportion entre tués français et algériens est de un pour dix. C'est un fait établi, consigné dans les archives...

Pascal BRUCKNER. - Tout comme dans les manuels scolaires ! Aujourd'hui, vous n'en trouvez plus un seul ne condamnant pas clairement l'entreprise coloniale. Mais vous semblez oublier, Benjamin Stora, que la guerre est finie, y compris pour les jeunes générations en Algérie qui ont d'autres soucis en tête ! Il faut distinguer fondamentalement mémoire et histoire. La mémoire est subjective, elle peut être déformée, s'enorgueillir de souffrances qui n'ont pas été directement vécues. Et le contraire de la mémoire n'est pas l'oubli mais l'histoire, c'est-à-dire le rétablissement des faits dans leur complexité. Cinquante ans après la guerre d'Algérie, il est possible d'en avoir une vision impartiale, car nous ne sommes plus concernés qu'indirectement

Benjamin STORA. - Mais la guerre d'Algérie est-elle vraiment finie ? À vrai dire, je n'en suis pas si sûr. Les mémoires continuent de saigner... En contact quotidien avec mes étudiants aux Langues Orientales, je les vois envahis d'une recherche identitaire surpuissante. Y répondre sur le plan de la connaissance historique, c'est notre devoir.

 

La France a-t-elle un devoir envers les peuples qu'elle a colonisés par le passé ?

Pascal BRUCKNER. - Un devoir de reconnaissance en tout cas. Mais il ne suffit pas de se repentir des crimes passés, il faut se sentir aussi responsable des crimes contemporains. Sur ce point, je remarque que l'Europe préfère le confort de la culpabilité aux exigences de la responsabilité vis-à-vis des atrocités contemporaines. Nous sommes, pour reprendre une distinction classique en théologie, dans la «mauvaise conscience paisible» qui conduit à l'inaction. L'Europe ne se connaît plus d'adversaires, que des partenaires. Elle voudrait sortir de l'histoire sur la pointe des pieds. Dans la zone de tempêtes où nous nous situons, un tel comportement est suicidaire. Il faut choisir : la pénitence ou la résistance.

source : Le Figaro, 14 novembre 2006

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* voir également : Réponse à la lecture de Benjamin Stora, par Daniel Lefeuvre

* à propos de la multiplication des lois mémorielles : dossier du crdp de Reims

 

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14 novembre 2006

Colonisation : Sarkozy rejette la faute

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Jacques Ferrandez (source)

 

Colonisation : Sarkozy rejette la faute

"On ne peut pas demander aux fils de s'excuser des fautes

de leurs pères" a affirmé, à Alger, le ministre

 

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Nicolas Sarkozy et son homologue algérien
Noureddine Yazid Zerhouni

Le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy, en visite en Algérie, a qualifié de système colonial français d'"injuste" tout en excluant de présenter des excuses.

Le ministre de l'Intérieur avait entamé sa visite par un lieu hautement symbolique, le Monument des Martyrs, dédié aux victimes de la guerre d'Algérie, sur les hauteurs d'Alger : "C'est une façon d'exprimer mon amitié aux Algériens que de me recueillir devant un monument qui relate beaucoup de souffrances".

"Le système colonial est injuste. Des femmes et des hommes des deux côtés de la Méditerranée ont eu des souffrances", a-t-il répondu, interrogé sur cette repentance exigée. Avant de souligner que "la France se veut tournée vers l'avenir commun" et d'appeler au nécessaire "effort de compréhension réciproque".

Pas d'excuses
Toutefois, dans la soirée, alors qu'il s'exprimait lors d'un cocktail donné à l'ambassade de France devant un parterre de ressortissants français, Nicolas Sarkozy s'est montré réticent à l'idée d'excuses officielles réclamées par Alger.
"J'ai dit au Premier ministre Abdelaziz Belkhadem qu'on ne peut pas demander aux fils de s'excuser des fautes de leurs pères"
, a révélé le ministre devant les Français d'Algérie qu'il a rencontrés lundi soir à la résidence de France d'Alger.
Un an après le vote d'une loi, en 2005, dont l'article 4, abrogé depuis, célébrait les "aspects positifs" de la colonisation française, "le contexte est extrêmement difficile, entre l'Algérie et la France", a relevé Nicolas Sarkozy en s'exprimant devant des journalistes français. "C'est même ce qui justifie ce voyage", a-t-il estimé, voyage "qui a été préparé en plein accord avec le président de la République", a-t-il réitéré pour la cinquième fois de la journée.

 

"C'est lui qui m'a demandé de venir, le président essaye qu'on apaise les choses entre les deux pays, cette première journée a permis de le faire", a jugé Nicolas Sarkozy, y voyant la preuve dans le fait qu'il avait, l'après-midi même, déposé des gerbes au cimetière chrétien et au carré juif "avec le ministre (algérien) délégué aux Collectivités locales", Dahou Ould Kablia. Dans ce contexte "extrêmement difficile", il "faut du temps (et) il y a eu assez d'humiliations pour chacun des deux pays", a estimé le numéro 2 du gouvernement français.

Pas de traité d'amitié
Si Nicolas Sarkozy est venu "pour apaiser", il ne l'a pas fait "pour signer un traité d'amitié". Un tel acte, a-t-il poursuivi, "c'est une histoire entre le président de la République et M. Bouteflika, c'est entre les deux chefs d'Etat, je ne suis pas là pour signer un traité d'amitié", a-t-il répété.

Le ministre algérien de l'Intérieur Noureddine Yazid Zerhouni a affirmé de son côté lundi à Alger que le moment n'était pas favorable pour signer le traité d'amitié entre l'Algérie et la France.

"Je crois, et c'est mon avis personnel, que, compte tenu des contingences actuelles, le moment n'est pas favorable pour signer le traité d'amitié entre l'Algérie et la France", a-t-il déclaré à la presse à l'issue de ses entretiens avec Nicolas Sarkozy.

"Il y a encore des efforts à faire pour créer un consensus le plus large possible", a souligné le ministre algérien, en ajoutant qu'il partageait l'avis de Nicolas Sarkozy "lorsqu'il dit qu'il vaut mieux encore construire parce que l'amitié ne se décrète pas".

"Il vaut mieux encore construire cette amitié et la construire par la réalité quotidienne", a insisté Noureddine Yazid Zerhouni en soulignant que "le traité d'amitié pourrait venir à ce moment-là pour couronner et confirmer une situation".

(avec AP)
source : Nouvelobs.com
14 novembre 2006 - 12 h 20



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10 novembre 2006

Réponse à la lecture de Benjamin Stora (Daniel Lefeuvre)

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je ne crois malheureusement pas

qu’on puisse combler cette demande
de reconnaissance de la souffrance par des faits
et des chiffres
(Benjamin Stora)

 

Réponse à la lecture de Benjamin Stora

Daniel LEFEUVRE

couv_Daniel_newLa lecture que Benjamin Stora propose de Pour en finir avec la repentance coloniale, dans le numéro 493 (du 30 septembre au 6 octobre 2006, p. 69) de Marianne me semble ouvrir un débat sur trois points.

Le premier point touche à la question, toujours pendante, du rapport entre l’historien et ses sources. Quelle critique Benjamin Stora m’adresse-t-il sur ce plan ? De travailler à partir des archives de l’État et donc, inéluctablement, de restituer la parole de celui-ci. Travail certes utile mais unilatéral puisque écrivant l’histoire d’un seul versant et qui ignore la “parole des colonisés”, contrairement à la démarche originale mise en oeuvre naguère par Charles-Robert Ageron, Annie Rey-Goldzeiguer et, actuellement, par B. Stora lui-même.

Ce postulat de Benjamin Stora selon lequel les archives ne permettent de restituer que la parole de celui qui les a constituées n’est guère soutenable. Les exemples qu’il donne contredisent d’ailleurs cette affirmation. Sur quoi, en effet, repose l’œuvre magistrale de Ch.-R. Ageron, Les Algériens musulmans et la France, 1871-1919 (PUF, 1968, 2 vol.) sinon, pour l’essentiel, sur les archives publiques françaises ! Il en va de même pour Le Royaume arabe. La politique algérienne de Napoléon IIII, 1861-1870, (SNED, Alger, 1977) d’Annie Rey-Goldzeiger. Et c’est en puisant dans ces mêmes fonds, qu’André Nouschi a pu mener à bien son Enquête sur le niveau de vie des populations rurales constantinoises, de la conquête jusqu’en 1919 (PUF, 1961).

Plus près de nous, Raphaëlle Branche reconnaît (p. 441 de son livre) “la prépondérance des archives militaires” consultées au Service historique de l’Armée de Terre (SHAT) dans l’élaboration de sa thèse publiée sous le titre La torture et l’armée française pendant la guerre d’Algérie (Gallimard, 2001) qui, c’est le moins qu’on puisse dire, ne restitue pas le point de vue de l’armée.

Enfin, comment Gilbert Meynier aurait-il pu écrire sa monumentale Histoire intérieure du FLN, 1954-1962 (Fayard, 2002) sans disposer, lui-aussi des fonds du SHAT, auquel il paie sa dette (p. 26), à la fois parce que “les services français étaient souvent remarquablement informés” sur les activités et les militants du FLN/ANL, mais aussi parce qu’on trouve à Vincennes “des centaines de cartons renfermant des documents du FLN/ALN” dont la consultation est, aujourd’hui, toujours impossible en Algérie.

D’autres exemples venus d’autres “territoires” de l’historien pourraient, presque à l’infini, être convoqués pour prouver que le travail à partir des archives publiques ne conduit pas nécessairement à se faire le porte-parole de l’Etat, ce qu’au demeurant je n’ai pas le sentiment d’avoir fait.

Le second point porte sur l’affirmation selon laquelle je m’inscrirais dans “une querelle plus idéologique qu’historique”.

Certes, la “querelle” sur le passé colonial de la France et sur les prolongements contemporains de celui-ci est bien d’ordre idéologique et politique. Mais l’objet de mon livre est justement de rappeler que l’historien est dans son rôle lorsqu’il dénonce, avec les outils qui sont les siens, les falsifications qui se présentent comme étant des ouvrages d’histoire. Il faut bien alors, pour appuyer sa démonstration, en passer par les chiffres, les dates, les données économiques, militaires, sociales,… les plus précis possibles sans lesquels aucune interprétation scientifique, aucune compréhension ne sont possibles. Il est également dans son rôle lorsque, soixante ans après Lucien Febvre, il rappelle que l’historien n’est ni le juge, “pas même un juge d’instruction”, ni le procureur des acteurs ou des comparses du passé.

Le troisième point de désaccord avec Benjamin Stora, peut-être le plus important, touche à la fonction même de notre discipline. “Contrairement à Daniel Lefeuvre, je ne crois malheureusement pas, écrit B. Stora,  qu’on puisse combler cette demande de reconnaissance de la souffrance par des faits et des chiffres. Les arguments rationnels ne viennent pas à bout de l’affect. Du moins cette réponse rationnelle, si elle est indispensable, n’est pas suffisante.”

La question qui est ici posée est celle de la fonction de l’histoire. Certes, B. Stora admet la nécessité des “arguments rationnels” et il ne nie pas totalement la fonction de connaissance du passé. Mais cette fonction semble secondaire dans ce qu’elle ne permettrait pas “de reconnaître la souffrance” des victimes de l’histoire et donc de panser les plaies encore ouvertes.

J’avoue ne pas suivre B. Stora dans cette voie qui tend à construire une histoire compassionnelle. Connaître, comprendre, expliquer le passé pour permettre aux hommes de mieux se situer dans le présent, voilà l’objet et l’ambition de notre discipline, ce qui n’est pas peu. La souffrance des victimes n’est pas de son ressort, sauf à en faire un objet d’histoire.

Reste, et bien des drames collectifs du vingtième siècle le montrent,  la vérité est bien souvent la première exigence des victimes - ou de leurs proches - qui veulent savoir et comprendre. C’est donc en faisant leur métier que les historiens peuvent contribuer aux apaisements nécessaires, et non en se donnant comme mission d’apporter du réconfort.

Daniel Lefeuvre

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Charles-Robert Ageron, Annie Rey-Goldzeiguer, André Nouschi,

Gilbert Meynier... les grandes thèses d'histoire algérienne

ont été faites à partir des archives d'État françaises, Daniel Lefeuvre

 

 

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7 novembre 2006

Colonies : ni tabou ni repentance (Georgette Elgey)

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Trois ouvrages apportent un nouvel éclairage

sur l'histoire infiniment complexe des relations de la France

avec son empire colonial

 

  Colonies :

ni tabou ni repentance

Georgette ELGEY

 

Les deux premiers essais concernent les «soldats indigènes», leur place, leur rôle et leur importance dans l'armée française. Héros de Tunisie, un récit événementiel classique qui retrace plus d'un siècle d'histoire tunisienne et française, commence en 1837, bien avant que la France ait établi son protectorat sur ce pays, et se termine en 1957 quand celui-ci recouvre son indépendance. La Force noire a une autre ambition. Il se présente sous la forme de près d'une centaine de notes brèves, sur les sujets les plus variés : loin de se limiter aux questions militaires, elles traitent aussi bien la genèse du célèbre slogan publicitaire de l'entre-deux-guerres «Y'a bon Banania», que du mythe du barbare guidé par la mère patrie vers le progrès. Ainsi, à travers cette évocation qui justifie pleinement le sous-titre du livre Gloire et infortunes d'une légende coloniale, c'est tout un tableau de l'évolution des mentalités françaises qui nous est offert. Une iconographie très riche, le plus souvent inédite, contribue à l'importance de ces deux publications.

Le troisième ouvrage est d'une tout autre nature. Son auteur, Daniel Lefeuvre, spécialiste reconnu de l'Algérie coloniale, est un universitaire - il enseigne à Paris VIII - qui, en aucun cas, ne peut être classé parmi les défenseurs du colonialisme ou les nostalgiques de «l'Algérie française». Comment définir son dernier livre ? Bien que son titre Pour en finir avec la repentance coloniale indique nettement que l'auteur n'est pas neutre, ce n'est en rien un pamphlet. On pourrait plutôt l'apparenter à une mise au point, extraordinairement vivante et précise. En 230 pages, aussi passionnées qu'étayées par des faits indiscutables, Daniel Lefeuvre met à mal les «informations» qu'au nom d'une soi-disant vérité historique et dans le souci supposé de dévoiler notre passé «honteux», certains chantres de l'anticolonialisme répandent aujourd'hui avec la complaisance de bien des médias. Ceux-là même qui n'osent les contredire, par ignorance ou par crainte d'apparaître comme les défenseurs des crimes français. L'exaspération ressentie par Daniel Lefeuvre devant l'imputation à la France de tous les péchés ne le conduit par pour autant à la moindre complaisance envers notre pays. S'il lui paraît incontestable que l'armée française, même dans ses pires excès envers les Algériens, n'est pas mue par le racisme, c'est tout simplement qu'elle a eu des comportements tout aussi scandaleux dans des conflits européens, que ce soit au Palatinat, en Espagne, ou même dans son propre pays lors de la guerre de Vendée.

Que la France ait commis des atrocités en Algérie, c'est certain - ne s'est-on pas indigné à la Chambre dessaint_arnaud pairs en 1845 contre l'effroyable enfumade des grottes de Kabylie, qui se solda par plus de cinq cents victimes ? Mais voir dans ces horreurs une sorte de préfiguration des crimes nazis, établir une filiation entre la conquête de l'Algérie et la Shoah, constitue «un parallèle ignominieux, qui ne repose sur un aucun fondement...». L'objectif de la conquête n'était pas l'anéantissement des populations, mais leur domination, vérité «qu'il faut répéter inlassablement tant la confusion est entretenue». À juste titre, l'auteur souligne les conséquences perverses que peuvent avoir sur l'esprit public les déformations historiques assenées comme la révélation d'une vérité cachée : «Il y a quelque chose de profondément malsain, dans cet acharnement à faire de la conquête coloniale un laboratoire du nazisme, contre toute vérité historique. Il y a aussi quelque chose de dangereux, pour les fondements mêmes de la République, à poser ainsi les bases artificielles d'une guerre des mémoires...»

Chacun des chapitres apporte un éclairage, souvent nouveau, toujours scientifique et difficilement contestable, sur des sujets d'actualité. Par exemple, les rapports de la France avec l'immigration, ou l'islamophobie, dont l'auteur note qu'elle n'est en rien une survivance d'une culture coloniale plutôt islamophile : «Sa construction est récente. Elle est d'abord le produit de l'ignorance. Elle est, surtout, une réaction de crainte - pas totalement injustifiée au demeurant - alimentée par la violence des fondamentalistes et autres talibans et jihadistes.» Une lecture indispensable pour tous ceux que l'histoire de notre pays intéresse.

Georgette Elgey

 

* illustration : Saint-Arnaud. Au XIXe siècle, les militaires furent les premiers à revendiquer les horreurs de la guerre qu'ils menaient en Algérie. Faire croire aujourd'hui que cette histoire a été occultée, c'est de l'ignorance... ou de la manipulation.

 


source :
Historia    

 

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2 novembre 2006

Se repentir de la repentance (Jean Dubois, Les Échos)

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Pour en finir avec la repentance coloniale

Se repentir de la repentance

Jean DUBOIS (Les Échos)

 

Les appels à la repentance se multiplient aujourd'hui au point que l'on finit par ne plus savoir à quoi ils riment. On vient ainsi de demander à la SNCF de se repentir d'avoir laissé rouler les trains qui, lors de la dernière guerre, emportaient les résistants vers les camps de concentration. Il faudra bientôt que tous les parents dont les enfants n'auront pas réussi dans la vie fassent acte de repentance pour ne pas leur avoir donné l'éducation adéquate. On comprend qu'un Pascal Bruckner ou un Daniel Lefeuvre puissent être exaspérés par cette tyrannie de la pénitence», mais cela justifie-t-il, pour autant, qu'il faille se repentir de la repentance ?

En prenant pour cible les militants de la repentance coloniale, l'historien Daniel Lefeuvre avait beau jeu de montrer à quel point ceux-ci, pour nourrir nos sentiments de culpabilité, ont pu travestir sans scrupules l'histoire de la colonisation. Accumulant chiffres, documents et témoignages, il s'attaque à quelques idées reçues. Non, les conquérants de l'Algérie n'ont pas commis de génocide et n'ont jamais cherché à exterminer la population indigène. Non, la métropole ne s'est pas honteusement enrichie en exploitant les colonies jusqu'à les rendre exsangues. Elle n'a pas davantage réussi sa reconstruction après-guerre grâce à l'apport d'une main-d'oeuvre qu'elle serait allée chercher en Afrique pour la rejeter ensuite. Sur tous ces points, l'historien constitue des dossiers suffisamment solides pour nous convaincre. Mais, aussi utile qu'il soit d'avoir corrigé les exagérations et restitué la complexité de l'histoire, cela permet-il d'«en finir avec la repentance coloniale» et d'absoudre définitivement les colonisateurs ?

Masochisme permanent
La visée de Pascal Bruckner est beaucoup plus radicale. Il s'intéresse moins à rétablir la vérité historique qu'à analyser et dénoncer ce qu'il considère comme une déviation majeure de l'Occident : un masochisme permanent qui l'amène à se vouloir coupable de tous les malheurs du monde. Avec une verve cruelle, il nous livre un tableau impitoyable de l'Occidental torturé par le remords des atrocités commises par ses pères ou par lui-même. Il nous le montre comme impuissant à condamner les fanatiques qui ne feraient que retourner contre lui les armes qu'il a été le premier à utiliser, paralysé par sa mauvaise conscience pour réprimer des comportements qu'il pense avoir lui-même provoqués par les humiliations infligées aux autres, etc. Le résultat dramatique de cette auto-flagellation est que les Occidentaux en viennent à renoncer à toute action qui ne pourrait être que la réplique de leurs crimes antérieurs. «La pénitence est en définitive un choix politique : celui de l'abdication.» Seule l'Amérique trouve grâce à ses yeux dans la mesure où, ne se laissant pas entamer par le doute, elle continue à avoir foi dans sa mission universelle et ne craint pas d'affronter les ambiguités de l'action : «L'Amérique est un projet, l'Europe est un chagrin.»

Même si les critiques de Pascal Bruckner tombent souvent juste, on ne peut manquer de trouver excessive - et même, à son tour, masochiste - sa peinture d'une Europe vautrée dans l'autodénigrement. Reste qu'il oblige le lecteur à affronter une question difficile : jusqu'où être fidèle au devoir de mémoire ? La crainte de l'auteur est que se complaire dans la mémoire du passé ne soit qu'«une macération narcissique» et que «déterrer tous les cadavres, c'est déterrer toutes les haines». Il préférerait que l'on s'inspire de la formule de Renan : «Celui qui doit faire l'histoire doit oublier l'histoire.» Cela ne l'empêche pourtant pas de reconnaître que le génie propre de l'Europe est cette capacité d'autoréflexion qui lui permet de « n'être pas dupe de ses zones d'ombre » et de percevoir «la fragilité des barrières qui la séparent de ses propres ignominies». Pratiquer devoir de mémoire et repentance, c'est finalement rappeler au monde qu'«aucun peuple ne peut échapper au devoir de penser contre soi».

Jean Dubois, Les Échos, 2 novembre 2006

 

"Quand j'ai pénétré dans ce pays nos couleurs étaient connues. On savait qu'elles étaient celles de la liberté. Les premiers habitants de Franceville ont été des esclaves libérés. La question de l'esclavage est une question complexe… Au début j'ai dû acheter des hommes à prix d'argent et fort cher, selon le cours, trois ou quatre cents francs. Je leur disais quand ils étaient à moi, bûche aux pieds et fourche au cou : "Toi, de quel pays es-tu? -Je suis de l'intérieur.- Veux-tu rester avec moi ou retourner dans ton pays?" Je leur faisais toucher le drapeau français que j'avais hissé. Je leur disais : "Va ; maintenant tu es libre." … L'Afrique rend la guerre à qui sème la guerre ; mais comme tous les autres pays, elle rend la paix à qui sème la paix. Ma réputation allait devant moi, m'ouvrant les routes et les cœurs. On me donnait, à mon insu, le beau nom de Père des Esclaves." (Brazza) - source

 

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- Répertoire des historien(ne)s du temps colonial

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6 octobre 2006

Colonialisme : haro sur la repentance (Violaine de Montclos)

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"...la gestion coloniale des quartiers..." (!)

 


revue de presse

 

Colonialisme : haro sur la repentance

            

Y a-t-il aujourd'hui, sur le territoire français, des descendants de victimes et des descendants de bourreaux qu'aucune loi républicaine ne pourrait réconcilier ? En échouant à intégrer les populations immigrées d'origine maghrébine, l'ancien peuple colonisateur que nous sommes poursuit-il, sur son sol, l'exploitation raciste dont il s'est rendu coupable par le passé ? Le livre de l'historien Daniel Lefeuvre est une réponse exaspérée à ces questions qui embarrassent notre conscience collective et paralysent le débat sur l'immigration. Il est une riposte musclée et documentée à ceux qu'il nomme les «repentants», ceux qui, à coups de livres, d'articles ou d'interventions télévisées, somment la France de reconnaître un génocide colonial et un racisme quasi endémique.

«Entre leurs mains, l'Histoire endosse une nouvelle mission : [...] elle doit juger plutôt qu'inviter à connaître et à comprendre», écrit Lefeuvre. Il ne s'agit pas, pour ce spécialiste de la colonisation en Algérie, de justifier le passé impérialiste de la France. Mais plutôt d'arracher la question coloniale du terrain glissant de la morale pour la replacer sur celui de l'Histoire. Tordant le cou aux chiffres manipulés, aux anachronismes, aux développements tronqués, le brûlot de Lefeuvre devrait susciter des réactions chez les quelques auteurs cités. Alors que le film «Indigènes» est sur les écrans, la France n'en finit pas de régler des comptes avec son passé.

Violaine de Montclos

Pour en finir avec la repentance coloniale, de Daniel Lefeuvre
(Flammarion, 230 pages, 18 E)

© Le Point  05/10/06 - N°1777 - page 118

 

 

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5 octobre 2006

De la repentance à l'Apartheid ? (Olivier Pétré-Grenouilleau)

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marché de Kaéli, Cameroun, 4 juin 1951 - source : base Ulysse, Caom

 

De la repentance à l'Apartheid ?

Olivier PÉTRÉ-GRENOUILLEAU

 

couv_Daniel_newVeut-on vraiment une France de l'Apartheid ? Si tel n'est pas le cas, alors cessons d'opposer les Français en fonction de leurs origines par l'intermédiaire d'un passé déformé. Rompons avec une repentance coloniale qui ressasse et divise au lieu de guérir. Tel est le diagnostic formulé par Daniel Lefeuvre dans son bel essai. Celui d'un historien ayant décidé de se jeter dans l'arène, non pas pour satisfaire à quelque sensationnalisme, mais afin de montrer, tout simplement, que les choses sont souvent plus complexes qu'on ne l'imagine, et cela en puisant dans son domaine de spécialité : l'étude des relations franco-algériennes.

Nullement "nostalgique" d'une période coloniale dont il ne connaît que trop les excès, Lefeuvre prend d'emblée pour cible les "Repentants" qui mènent "combat sur les plateaux de télévision et dans la presse politiquement correcte". Substituant les mots au réel, le juste au vrai, écrit-il, ils tendent à fonder l'idée d'un continuum colonial et raciste entre une France d'hier et celle d'aujourd'hui. Le tout afin de "justifier une créance de la société" à l'égard des anciens colonisés et de "leurs descendants réels ou imaginaires". Or, écrit Lefeuvre, complexe et évolutive, la colonisation ne saurait être ramenée à une "nature" ou essence. Et d'ajouter que "les pères du régime républicain" n'ont pas "posé les fondations" d'un totalitarisme dont "le nazisme ne serait qu'un avatar dilaté".

Massacres coloniaux ? Oui, bien sûr, indique-t-il, mais l'Algérie ne fut jamais "tout entière et continûment à feu et à sang entre 1830 et 1871". L'effondrement démographique qu'elle connaît alors ne s'explique pas par les "enfumades", razzias et exécutions sommaires, atroces, réelles, connues et dénoncées dans les Chambres de l'époque, mais par l'emboîtement de crises (mauvaises récoltes, sauterelles, épidémies) aggravées par la désorganisation de l'économie traditionnelle. Spécifiques, les guerres coloniales, car premières à ne pas distinguer entre civils et militaires ? Mais quid des massacres de la guerre de Trente Ans, de la politique de la terre brûlée contre les camisards ou les Vendéens, ou d'une guerre d'EspagnePetitJournalDeta ayant vu se lever la population contre les troupes napoléoniennes ? Dans sa liste, Lefeuvre aurait pu ajouter ces cités antiques vidées de leurs populations avant d'être rasées...

Corne d'abondance coloniale ? Dans les discours, sans aucun doute. Dans les faits, beaucoup moins, note Lefeuvre, soulignant que l'Empire joua un rôle marginal pour les importations de charbon, pétrole, coton, laine et soie. Que les produits agricoles venant des colonies étaient disponibles ailleurs. Et que, finalement, l'avantage consista à les payer plus cher, mais sans sortie de devises. Apport colonial décisif pendant la Grande Guerre ? Six millions de tonnes de marchandises furent importées des colonies, contre 170 de l'étranger, et, de 10,95 % des importations françaises avant guerre, l'Empire passa à 3,5 % pendant le conflit, du fait des limites de la marine nationale.

 

RACISME CULTURALISTE
Les coloniaux furent indispensables au relèvement de la France, et ils souffriraient, aujourd'hui, d'unT970184A_t ostracisme lié à l'héritage colonial. La reconstruction proprement dite s'achève en 1950-1951. La France d'alors en compte 160 000, soit, même à considérer qu'ils travaillaient tous, moins de 1 % de la population active totale. Empêchés d'intégration ? N'est-ce pas ainsi masquer qu'elle est heureusement en marche ?

Et Lefeuvre de rappeler alors que celle des immigrés européens n'a pas forcément été plus facile. Près des deux tiers des Italiens [photo] et 42 % des Polonais sont repartis parce qu'ils étaient ou se sentaient rejetés. Quant aux autres, plusieurs générations ont souvent été nécessaires pour grimper les barreaux de l'échelle sociale. Et les clichés relatifs aux Africains d'aujourd'hui ne sont pas, écrit l'auteur, sans rappeler ceux dont on affublait les migrants européens quelques décennies plus tôt, voire les paysans français du siècle précédant. Enfin, réel, le racisme est désormais plus culturaliste et différentialiste et donc moins fondé que par le passé sur des critères physiques. Qu'il y ait des problèmes est une évidence. Mais vouloir les ramener uniquement à un héritage colonial, c'est se condamner à ignorer leurs vraies racines, à ne pouvoir les soigner, et, finalement, à "créer une France de l'Apartheid".

De tout cela on pourra évidemment discuter dans le détail tel ou tel point. Par ailleurs fallait-il être aussi direct vis-à-vis d'une "nébuleuse repentante" plus mise en avant que présentée ? Mais, utile, courageux, et pensé avec civisme, ce livre montre qu'il peut exister un espace entre repentance et "mission" colonisatrice (lesquelles renvoient toutes deux - est-ce un hasard ? - au même registre du théologique et du sacré) : celui de l'histoire et de l'historien. Car, à un moment où les mémoires deviennent traumatiques, l'histoire - une histoire assumée et dépassionnée - peut, aussi, être thérapeutique.Olivier_Petre_Grenouilleau






 

 

Olivier Pétré-Grenouilleau

 

POUR EN FINIR AVEC LA REPENTANCE COLONIALE de Daniel Lefeuvre. Flammarion, 240 p., 18 €.couv_Daniel_new

Le Monde, 29 septembre 2006

 

 

 

 

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4 octobre 2006

Pour un débat de fond sur le passé colonial - à propos du livre de Daniel Lefeuvre (Claude Liauzu)

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Kaya (Haute-Volta), le marché, 1941961 - source :
Caom, base Ulysse

 

Pour un débat de fond sur le passé colonial

à propos du livre de Daniel Lefeuvre

Claude LIAUZU

 

couv_Daniel_newDans son livre Pour en finir avec la repentance coloniale (1) Daniel Lefeuvre dénonce vigoureusement les «contrevérités, billevesées, bricolage…en quoi consiste le réquisitoire des Repentants». C’est une incitation à réfléchir aux conditions dans lesquelles s’est engagé le débat actuel sur le passé colonial. D. Lefeuvre exprime à n’en pas douter un point de vue largement partagé parmi les spécialistes en rappelant clairement que la colonisation n’a pas été synonyme de génocide, que les procès ad satietam et la surenchère victimaire n’ont rien à voir avec l’histoire. Il a le mérite de mettre à leur place ceux qui, succès médiatique aidant, prétendent rien moins que proposer une «relecture de Hannah Arendt» et «fonder une école de recherche» (2), alors que quantité de jeunes chercheurs de qualité ne trouvent pas d’éditeur, que des années de travail scientifique mené avec passion dorment dans les rayonnages des bibliothèques universitaires.

Il pouvait aller plus loin dans la sociologie de l’adversaire et analyser sa stratégie, qui consiste d’abord à31 occuper le terrain : tel membre de l’Achac  pourfend le Mémorial de la France d’outre-mer pour colonialisme, tel autre est membre du Conseil Scientifique du même mémorial ; même scénario quant à la Cité de l’immigration ; ou encore on organise un colloque avec Christiane Taubira tout en signant l’appel demandant l’abrogation de sa loi.

Cependant, comment critiquer les «repentants» sans faire de même pour les nostalgiques de la colonisation ? Ces tâches sont indissociables, car il s’agit de deux entreprises de mémoires minoritaires, qui cultivent les guerres de cent ans, se nourrissent l’une de l’autre et font obstacle à ce qui est désormais un enjeu fondamental pour notre société : élaborer un devenir commun à partir de passés faits de conflits, de relations aussi étroites 9782707134127FSqu’inégales, d’une colonisation ambiguë, comme l’ont montré Pierre Brocheux et Daniel Hémery (3). Que Lefeuvrix, descendant d’Arverne, ironise sur l’idée de poursuites contre les descendants de Jules César pour crime contre l’humanité, soit, mais le «Cafre» des Iles à sucre n’a peut-être pas encore atteint la distance permettant cette attitude envers un esclavage dont les traces n’ont pas disparu, et on comprend que Karambeu n’ait guère envie de rire au souvenir de son grand-père cannibalisé en 1931.

Plus sérieusement, le débat porte sur un des point les plus sensibles du métier, celui de ses usages publics, des rapports entre histoire mémoire et politique. Et la profession est mal à l’aise. Elle choisit parfois un retrait sur l’Aventin mais, si cela est possible dans un espace préservé comme le CNRS, le professeur de collège et lycée confronté directement aux questions portées par ces mémoires, ne peut s’y réfugier. Il faut donc poser très clairement ces rapports complexes, difficiles, mais inéluctables. Et les tensions dont la discipline a été l’objet depuis plusieurs années fournissent matière à réflexion.

Daniel Lefeuvre rappelle qu’avec quelques collègues nous avons engagé une campagne contre la loi du 23 février 2005 (loi dont l’article 3 qui représente une menace pour la recherche n’est toujours pas abrogé). Cette campagne ne se réclamait d’aucune école, d’aucune famille de pensée et ceux qui sont signé l’appel ont des points de vue très divers. Certains désapprouvent la loi Taubira, d’autres (c’est mon cas) la considèrent «partielle, partiale», mais un «mal nécessaire». Il eût certes été préférable que l’intégration du passé colonial, des migrations et de l’esclavage à la place qui leur revient dans les programmes scolaires émane de notre profession. Pourquoi, en dépit de démarches répétées des spécialistes, d’une accumulation scientifique la rendant possible, cette réforme des programmes n’est-elle toujours pas advenue ?

Jamais, depuis un siècle, notre discipline n’a été autant en porte-à-faux par rapport à notre monde. Les sciences sociales sont par nature de la société et dans la société. Elles ne peuvent prendre la distance indispensable avec les mémoires et les usages publics en les ignorant. Cela ne veut dire en rien, tout au contraire, qu’il faille s’aligner sur les discours politiques. Contre les certitudes assénées au nom de la lutte idéologique, il faut maintenir le devoir d’histoire. Affirmer qu’on ne saurait avoir d’«ennemis à gauche» et donc qu’il ne faut pas critiquer les historiens «anticolonialistes», c’est confondre les rôles, mélanger scienceJaures3d et politique et se tromper d’époque. Les associations antiracistes, si elles veulent conserver des relations cohérentes avec les chercheurs, doivent revenir au modèle de l’affaire Dreyfus, quand les historiens et les archivistes assuraient leur fonction, celle d’expert et non de caution «scientifique» aux idéologues. Elles devraient se souvenir qu’un Jaurès [ci-contre] militant s’est fait historien et a appliqué avec rigueur les règles de la méthode pour établir les preuves de l’innocence de Dreyfus, ce qui est tout le contraire de l’instrumentalisation de l’histoire.

Il faut le redire aussi, le travail d’historien est un travail collectif qui repose sur la publicité des documents et la confrontation des points de vue. Cela est un devoir tant scientifique que civique. Ce qui est regrettable, ce n’est pas seulement la publication d’idées fausses, mais la tendance générale à préférer leur outrance à des textes élaborés rigoureusement. Même une organisation comme la Ligue des Droits de l’Homme tombe dans ce travers lorsqu’un de ses sites s’abstient de publier un texte de Gilbert Meynier et Pierre Vidal-Naquet, paru depuis un an dans Esprit, et qu’on trouve sur tous les sites s’intéressant au passé colonial, ainsi que toute critique de Olivier Le Cour Grandmaison et de l’Achac.

Cependant, on a du mal à croire que la société du maire de Marseille ou celle d’un Georges Frèche et des associations nostalgiques de l’OAS, d’un ministre des anciens combattants qui insulte les historiens, soient plus gratifiantes que celle des associations antiracistes. Les projets de mémoriaux de la France d’outre-mer ou de l’Algérie française pour lesquels les politiciens sollicitent les historiens  sont-ils scientifiquement plus solides ?  Sur tout cela, le silence de Daniel Lefeuvre affaiblit sa démonstration.

Au delà de ces péripéties, on ne pourra réagir à la Barnum history qu’en lui opposant un renouvellement des problématiques, une mise à jour de nos questionnements. Sur ce point, une remarque de Daniel Lefeuvre me fournit l’occasion d’une précision. Si j’ai donné comme exemple de profits juteux de la compagnie sfaxSfax-Gafsa le compte de 1913 ce n’est pas pour forcer une démonstration, et la série des bilans annuels confirme ces profits. C’est le résultat d’une  recherche sur le travail et le capitalisme en Tunisie à l’époque coloniale. Toute économie est politique, et les comptabilités nationales, les termes de l’échange, les comptes-rendus financiers doivent être complétés par l’analyse de la situation coloniale, notion proposée par Balandier voilà un demi siècle, et qui a été insuffisamment utilisée. Les profits de la Sfax-Gafsa reposent sur la concession d’une partie du sud tunisien, des principaux gisements de phosphates de l’époque, du chemin de fer et du port. Dans cet empire, les syndicats et les premières mesures protégeant le travail ne se sont imposés qu’au prix de grandes grèves sanglantes en 1937. Quand un inspecteur du BIT peut y pénétrer enfin en 1937 aussi, sa constatation est simple : le salaire d’un manœuvre ne permet pas de nourrir une famille, car ce capitalisme a des aspects boyards en exploitant le monde rural, qui lui fournit sa main d’œuvre et la reprend quand elle est inutile, ou usée. On ne comprend pas autrement le long refus  de faire des «zoufri» des mineurs de type métropolitain. [photo : phosphates des mines de Gafsa chargés à bord de cargos dans le port de Sfax - source]

Mais ces débats sur les données économiques et sociales qui ont eu leur importance, capitale dans les débats des décolonisations, qui ont leur importance, n’enferment pas toute l’histoire de la colonisation. Et l’une de nos responsabilités est d’élargir le champ des études en faisant leur place aux questionnements actuels et en tout premier lieu aux dimensions culturelles, qui sont déterminantes dans le devenir d’une société marquée par la pluralité héritée de la colonisation et amplifiée par la mondialisation. Une autre est de fournir une vulgarisation de qualité, accessible au large public concerné par le passé colonial, aux enseignants, soucieuse moins de défendre une opinion que d’aider les lecteurs en leur fournissant des repères, en leur présentant les pièces des dossiers, la pluralité des points de vue et des interprétations. C’est l’objet d’un Dictionnaire collectif sous presse.

Enfin, il ne suffit pas d’être un bon artisan, de travailler «à l’aide des bons vieux outils de l’historien, les sources, les chiffres, le contexte». Il faut affronter à la fois ce qui est une crise de la mémoire nationale et une crise de la discipline. «Chaque fois que nos tristes sociétés, en perpétuelle crise de croissance, se prennent à douter d’elles-mêmes, on les voit se demander si elles ont eu raison d’interroger leur passé ou si elles l’ont bien interrogé», constatait Marc Bloch.

Aujourd’hui, cette crise est étroitement liée au passé colonial, mais les études historiques françaises, enfermées dans son Hexagonalisme ne peuvent y répondre. Il faut refondre les programmes de l’enseignement et de la recherche dans le sens d'une histoire mondiale, celle de toutes les civilisations, des nations, des sans-patries, de l'histoire totale.

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Claude Liauzu

 

1 - Flammarion, 2006
2  - N. Bancel, P. Blanchard, F. Vergès, La République coloniale , Albin Michel, 2003, p. 7 ; et Zoos humains, La Découverte, 2002  p. 430
3 - Indochine, une colonisation ambiguë, La Découverte, 2001.

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Un accord et deux remarques

à la lecture du texte de Claude Liauzu

Michel RENARD

 

D'accord avec Claude Liauzu lorsqu'il écrit que "D. Lefeuvre exprime à n’en pas douter un point de vue largement partagé parmi les spécialistes en rappelant clairement que la colonisation n’a pas été synonyme de génocide, que les procès ad satietam et la surenchère victimaire n’ont rien à voir avec l’histoire". Mais pourquoi cette discrétion à le proclamer ? Pourquoi ce sentiment, qu'en général, une complaisance un peu honteuse est observée face aux allégations des membres de l'Achac ? L'un d'entre eux, Nicolas Bancel, professeur en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives (STAPS) à l'université Marc-Bloch de Strasbourg était l'invité, en octobre 2005, de la fête du livre à Saint-Étienne. Il a prononcé quelques absurdités sur les programmes scolaires des collèges et lycées, prétendant que l'histoire s'y réduisait à une glorification de la nation française façon catéchisme de la IIIe République...! Prouvant par là qu'il ne connaissait strictement rien de ces programmes. Si, dans ses écrits, il traite les sources historiques avec la même désinvolture, il y a de quoi s'inquiéter...

Il en va de même de leur prétention à apparaître comme les démiurges d'une lucidité historique que personne, avant eux, n'aurait jamais approchée... Le trio Blanchard/Bancel/Vergès, dans la République coloniale écrit, sans vergogne : "la déconstruction de la République coloniale reste en marge de l'historiographie actuelle" (p. 16). Ah bon...?!

Faut-il leur rappeler le travail de Charles-Robert Ageron ? L'historien n'écrivait-il pas, en 1978 (!) dans son livre France coloniale ou parti colonial ? : "l'heure de l'histoire est venue dès lors que les exaltations naïves de «l'épopée coloniale» ne trouvent plus d'éditeur et que l'anticolonialisme ne fait plus recette" (1). L'Achac n'a ni le monopole ni la primeur de la déconstruction de la République coloniale. On est effaré d'avoir à le rappeler. Il est vrai que Charles-Robert Ageron, maître de l'histoire coloniale, évoquait, quelques lignes plus bas, "les ombres et les lumières de la colonisation", formule qui le vouerait, aujourd'hui aux velléités inquisitoriales. Comment ? Les "lumières" de la colonisation ? Mais, c'est du révisionnisme... Pour un peu, les néo-jdanovistes de l'antiracisme associeraient Ageron à l'édition 2007 du Petit Robert dans leur condamnation ubuesque et leur tentative de censure...

 

Repentance et Colonostalgie
Autre sujet. Que penser de cette critique que Claude Liauzu adresse au livre de Daniel Lefeuvre, quand il note : "comment critiquer les «repentants» sans faire de même pour les nostalgiques de la colonisation ? Ces tâches sont indissociables" (...) "Sur tout cela, le silence de Daniel Lefeuvre affaiblit sa démonstration".  En clair, cela ne signifie-t-il pas qu'une critique de la Repentance peut être suspectée de "rouler" pour la Colonostalgie ? Ou encore, que "pour passer" auprès d'un public de "gauche", cette critique de la Repentance doit donner des gages, en ciblant ceux qui déplorent la décolonisation...? Je ne dis pas que Claude Liauzu pense cela. Il écrit même le contraire à propos de la Ligue des Droits de l'Homme qui applique précisément cette politique en censurant les critiques formulées contre Le Cour Grandmaison ou l'Achac.

Mais, il est vrai que certains craignent d'une approbation du livre de Daniel Lefeuvre qu'elle ne vaille passage dans le "camp adverse". On se croirait revenu aux temps de la Guerre Froide : aux yeux des jdanovistes, la critique de l'URSS valait alignement sur les États-Unis. Aujourd'hui, aux yeux des néo-anticolonialistes, si on ne dit pas que la colonisation a été uniment appauvrissante, dépersonnalisante et génocidaire, le soupçon plane : vous ne seriez pas colonostalgique ? Or, il faut le dire avec forte conviction : on peut critiquer les thèses (?) de la Repentance sans se sentir obligé d'ajouter, rituellement, "il en va de même de la Colonostalgie" ; on ne passe pas pour autant dans le camp de... l'OAS...!

Devrait-on juger la pertinence intellectuelle d'une démonstration en évaluant, par anticipation, ses supposées conséquences idéologiques ? S'interdire le constat que, de 1905 à 1962, la France a versé en Algérie l'équivalent de 7 ou 8 plans Marshall, parce que la colonisation ne relèverait - croit-on - que de la seule rationalité économique du pillage ? S'interdire de considérer que, durant la guerre d'Algérie, l'emprise du FLN sur la population algérienne devait aussi à des pratiques coercitives et violentes, parce que la lutte pour l'indépendance nationale est légitime ? La vérité historique ne rend pas de comptes aux idéologies, croyances ou intérêts de pouvoir. Seule vaut la rigueur méthodologique du "métier d'historien" (Marc Bloch).

 

Généalogie de l'incrimination
Enfin. Claude Liauzu écrit, en filant la raillerie de Pour en finir avec la repentance coloniale : "Que Lefeuvrix, descendant d’Arverne, ironise sur l’idée de poursuites contre les descendants de Jules César pour crime contre l’humanité, soit, mais le «Cafre» des Iles à sucre n’a peut-être pas encore atteint la distance permettant cette attitude envers un esclavage dont les traces n’ont pas disparu, et on comprend que Karambeu n’ait guère envie de rire au souvenir de son grand-père cannibalisé en 1931". Je comprends l'amertume à songer au passé de servitude de "ses" ancêtres. C'est d'ailleurs une amertume que l'on peut ressentir sans être le "descendant" de ces ("ses" ?) victimes. Imaginer le contraire, serait nier tout humanisme dans sa tension universaliste. Mais quel sens cela a-t-il de cristalliser cette peine en opération historico-idéologique instaurant des généalogies contestables et une tout aussi contestable idée de responsabilité collective ?
Quant au "souvenir"..., il faudrait prendre du recul par rapport aux injonctions émotionnelles. D'abord, le souvenir n'est jamais strictement personnel : "on ne se souvient pas seul" écrit Paul Ricoeur en évoquant la sociologie de Maurice Halbwachs (p. 146 et sq. de La mémoire, l'histoire et l'oubli), donc il faut envisager sa déformation/manipulation par les différentes strates de transmission. Ensuite, la violence d'un traumatisme ne suffit pas à expliquer la manifestation violente de sa réitération ou de sa réminiscence. Qui demande repentance à l'Allemagne pour les 1,4 million de soldats morts pour la France de 1914 à 1918 ? Quels ressortissants du Limousin demandent repentance à l'Alsace pour les sacrifiés d'Oradour ? Et pourtant le chagrin n'a pas disparu, l'oubli ne s'est pas imposé. Mais l'histoire a dit la vérité.

MR___Port_Cros___copie

 

1 - France coloniale ou parti colonial ?, Charles-Robert Ageron, Puf, 1978, p. 5.

 

 

Michel Renard

 

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le général Randon reçoit la soumission des chefs kabyles
source



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3 octobre 2006

Colonisation : halte aux amalgames ! (Marc Riglet)

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Colonisation : halte aux amalgames!

Marc RIGLET

 

Colonisation : halte aux amalgames !
par Marc Riglet
Lire, octobre 2006

Deux historiens font le point sur les origines et l'épilogue du colonialisme. Un homme seul, un Ivoirien d'aujourd'hui, raconte son désarroi face au chaos. Trois occasions de chasser les malentendus.

Daniel Lefeuvre les appelle les Repentants. On pourrait aussi bien les nommer «flagellants». Ils fouettent et somment d'expier le colonialisme, ce grand crime resté, selon eux, impuni. Faute de consentir à cette contrition, les anciennes puissances coloniales devront affronter le juste courroux des enfants et petits-enfants des colonisés d'hier. Nul ne sait trop en quoi devrait consister l'aveu de culpabilité exigé, ni quelle forme devra revêtir ce remords enfin exprimé, mais l'impatience des inquisiteurs n'en est que plus vive. Pour qu'ils se calment, il n'y a pas d'autres remèdes que de reprendre, posément, l'histoire des colonisations, et aussi des décolonisations, qui, loin d'avoir jamais été occultée, constitue un socle solide de savoirs établis. Daniel Lefeuvre s'y applique sur un sujet qu'il connaît bien : l'Algérie.

img_1Dans un ouvrage précédent, Chère Algérie : la France et sa colonie, 1930-1962, et dans la lignée des travaux de Jacques Marseille, il avait déjà fait litière de l'idée reçue selon laquelle l'exploitation des colonies, en général, et celle de l'Algérie en particulier avaient été, pour la métropole, une «bonne affaire». De toute façon, en regard de ce que l'exploitation coloniale «rapporte», on doit aussi considérer ce qu'elle coûte. Les vociférations confuses sur le rôle «positif» ou non de la colonisation cèdent alors la place à quelques solides données qui surprendront. Ainsi, de 1957 à 1961, la part du PNB français consacré à l'accroissement de la consommation et à l'équipement des colonies n'est jamais inférieure à 2%. «Un effort qui laisse rêveur, note Daniel Lefeuvre, quand on sait qu'aujourd'hui les pays développés sont très loin de consacrer 0,7% de leur revenu national brut aux pays en voie de développement comme ils s'y étaient engagés en 1970 à l'ONU.» C'est d'ailleurs pour s'indigner de cette munificence que se développe, dans les années 1950, le «cartiérisme», du nom - s'en souvient-on ? - de Raymond Cartier qui, dans Paris-Match, avec de forts relents racistes, donne en exemple les Pays-Bas, riches parce que délestés de leurs colonies, et invite les Français à développer la Corrèze plutôt que le Zambèze !

S'il n'y a donc pas à se repentir, ni du pillage des ressources coloniales, ni des indécents profits qui en auraient été tirés, à tout le moins devrait-on expier les abominations des guerres de conquête. Là encore, il y a dans cette objurgation un mot juste - abomination - et un mot de trop - expier. On n'a pas attendu les «indigènes de la République» pour établir l'extrême brutalité des guerres coloniales. Pour l'Algérie, outre que tout au long des cent trente ans de colonisation les contemporains n'ont rien dissimulé de leurs sinistres exploits - razzias, exécutions collectives, femmes, enfants, prisonniers passés au fil de l'épée, enfumades et déportations -, il y a maintenant près d'un demi-siècle que l'histoire en a été scrupuleusement faite par les grands historiens que furent Charles-AndréMarius_Moutet_1936 Julien et Charles-Robert Ageron.

L'idée d'un crime en quelque sorte caché, dont l'aveu expiatoire serait l'indispensable préalable à un hypothétique pardon, est donc inepte. Plus grave, cependant, est la thèse développée par un des chefs de file de la repentance, Olivier Le Cour Grandmaison, qui soutient que la guerre coloniale aurait été le laboratoire de la «guerre totale», le banc d'essai des conflits du XXe siècle, et les peuples coloniaux les victimes d'une Shoah avant l'heure. On ne peut plus résolument renoncer aux rigueurs de la méthode historique et mélanger tout.

 

Ignorance et anachronisme se conjuguent
Daniel Lefeuvre n'a aucun mal à démontrer l'inanité de la distinction entre la «guerre conventionnelle» et «civilisée» que les «Blancs» se livreraient et celle, «brutale» ou «totale», qu'ils auraient inventée à l'usage exclusif des peuples coloniaux. Là, ignorance et anachronisme se conjuguent. Les populations massacrées du Palatinat dévasté par les troupes de Louis XIV seraient bien aise d'apprendre ainsi qu'elles furent les victimes d'une guerre «civilisée» et les descendants de Vercingétorix que nous sommes devraient sansvercingetorix doute protester de son exécution par César, en 46 avant J.-C., en infraction caractérisée de la convention de Genève de 1929 sur les prisonniers de guerre.

Daniel Lefeuvre sait se moquer de ce qu'il désigne comme le «bric-à-brac intellectuel» des Repentants. Mais il redevient grave lorsqu'il prend la mesure «des dangers dont leur conception de l'histoire est porteuse». Lorsque l'histoire prétend «dire le bien et non le vrai», lorsqu'elle «juge» plutôt qu'elle invite «à connaître et à comprendre», tout est à redouter de son instrumentalisation. Evidemment, il ne s'agit pas de professer on ne sait quelle histoire objective ni de réserver aux seuls historiens brevetés le privilège de dire le vrai. Il n'est pas d'histoire établie qu'une nouvelle approche, qu'une «révision», n'enrichisse. Encore faut-il respecter les règles de la méthode: faits vérifiés, données hiérarchisées, sources critiquées, contexte apprécié.

L'ouvrage de Bernard Droz a ces caractères. Son exposé classique de l'histoire de la colonisation instruit utilement et repose des fureurs polémiques entretenues par les Repentants. Pour bien comprendre le processus de levée de ce «lien de sujétion particulier qu'est la sujétion coloniale», Bernard Droz établit les distinctions méthodologiques et chronologiques indispensables. De même, en effet, que les colonisations timbre_indepfrançaise, anglaise, néerlandaise, portugaise, japonaise... empruntèrent des modalités distinctes, de même les processus respectifs d'émancipation des peuples colonisés furent-ils différents. L'opposition classique entre la Grande-Bretagne et la France reste, de ce point de vue, pertinente. La transformation de l'Empire britannique en Commonwealth s'effectuera plus tôt et avec moins de secousses que celle de l'Union française. Encore que la partition des Indes ne fût pas moins sanglante que nos deux longues guerres indochinoise et algérienne. Les colonisations et les décolonisations ont également commandé la nature des relations perpétuées entre les anciennes métropoles et les ex-colonisés. Au «développement séparé» et au «self-government» des Britanniques correspond le communautarisme revendiqué de leurs actuelles populations immigrées. Au mythe de la mission civilisatrice de la colonisation française, aux promesses illusoires de l'égalité des droits et de l'assimilation, répondent aujourd'hui les ratés de l'intégration nationale. Ainsi l'histoire de la colonisation peut-elle être terminée et sa mémoire, pourtant, courir encore. Bernard Droz comme Daniel Lefeuvre nous rappellent que les bilans de l'une ont peu à voir avec les comptes jamais soldés de l'autre.

Marc Riglet, octobre 200632_photo_pres_new

 

 

 

 

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2 octobre 2006

Les marchands de repentance (Jacques de Saint Victor)

d_part_exp_dition_Crampel
mission Crampel en 1890-1891

Les marchands de repentance

Jacques de SAINT VICTOR

 
Pour en finir avec la repentance coloniale de Daniel Lefeuvre
- Flammarion, 230 p., 18 €.
compte-rendu paru dans Le Figaro littéraire, 28 septembre 2006

À l'heure d'«Indigènes», l'historien spécialiste de la colonisation remet les «repentants» médiatiques à leur place.

DANS UN ESSAI au titre audacieux, l'historien Daniel Lefeuvre nous offre une salutaire leçon d'histoire.Daniel_rfi_29_septembre_2006__1_ Revenant sur l'exploitation du passé colonial par certains groupuscules identitaires ou gauchistes, ce spécialiste de la colonisation, professeur d'histoire à Paris-VIII, rappelle avec courage certaines évidences bien malmenées ces derniers temps par le débat médiatique et, plus grave, historique. Son propos n'est pas, loin s'en faut, de réhabiliter la colonisation et son cortège d'événements sanglants. Son ambition est tout autre : condamner l'amalgame, l'anachronisme, le parti pris idéologique de ceux qu'il appelle les «Repentants». Non, la colonisation à la française n'a en rien enfanté le «nazisme» ; non, le sous-développement actuel des anciennes colonies n'a pas pour source unique «l'exploitation» à laquelle s'est livrée en son temps la métropole ; non, la crise actuelle des banlieues n'a rien à voir avec un passé colonial «qui ne passerait pas», comme le soutiennent ceux qui voudraient nous faire croire que la crise sociale est d'abord une crise ethnique.

Triste cortège de contre-vérités que ce «roman noir» de la colonisation. Nul ne s'étonnera que la question de la «fracture coloniale» soit l'un de ces nouveaux combats menés par l'extrême gauche plurielle dont parle Philippe Raynaud (voir Le Figaro Littéraire du 20 septembre 2006), à côté de l'altermondialisme ou de la question palestinienne. Les «Repentants» appartiennent pour certains au petit syndicat des professionnels de la provocation médiatique qui savent exploiter brillamment cette «société du spectacle» qu'ils méprisent. Avide de «sang et de larmes» pour complaire à l'Audimat, celle-ci ne peut qu'encourager des empoignades ineptes sur tel ou tel pamphlet vide de tel ou tel essayiste en mal de notoriété. L'un est prêt à comparer Napoléon à Hitler ; l'autre voit partout des ancêtres des einsatzgrüppen. La reductio ad Hitlerum, sévèrement dénoncée en son temps par Hannah Arendt, ne fait plus peur aujourd'hui, du moment qu'elle crée un peu de bruit médiatique.

Engagez_vous__Troupes_coloniales__Sogno__55_x_79_cmsNégligeant ces comètes, l'auteur s'attache surtout à condamner les travaux plus substantiels de ceux qui, tels Olivier Le Cour-Grandmaison ou le groupuscule des adeptes de la «fracture coloniale», utilisent le passé de la France à des fins plus politiques. Celles-ci sont de plusieurs ordres : universitaires (obtenir de nouveaux moyens, des centres de recherches, etc.), idéologiques (la repentance) et financier (l'argent de la repentance). Falsifier l'histoire, c'est fausser le jugement. En prétendant que la France coloniale avait des projets exterminateurs, qu'elle serait l'ancêtre du nazisme, et que ce secret aurait été intentionnellement «bien gardé», prépare les esprits à toutes les démissions. Or, la colonisation, notamment celle de l'Algérie, que Daniel Lefeuvre connaît bien pour lui avoir consacré plusieurs ouvrages, a été sanglante. Mais il n'y a jamais eu de projet d'extermination générale. Les «Repentants» oublient ou feignent d'oublier que «l'histoire est tragique», comme disait Raymond Aron. Lefeuvre rappelle qu'il y a eu, avant la conquête de l'Algérie, bien d'autres tristes épisodes dans l'histoire de l'Europe, comme le sac du Palatinat par les armées de Louis XIV ou les massacres de Vendée par les colonnes infernales de Turreau. On pourrait remonter jusqu'à l'Antiquité biblique. Tous seraient les ancêtres directs du nazisme ? Cela fait un arbre généalogique un peu trop fourni.

Les colonies : «un tonneau des Danaïdes»

L'essai de Daniel Lefeuvre est encore plus intéressant quand il démonte certaines idées reçues. Sait-on queailes_fran_aises_caom «loin de remplir les caisses de l'Etat, les colonies se sont révélées un véritable tonneau des Danaïdes» ? Sait-on encore que, contrairement à une légende tenace, le métro de Paris a été beaucoup moins construit par les Kabyles que par des ouvriers venus des quatre coins de France ? Sait-on enfin que les immigrés n'ont joué après 1945 qu'un rôle mineur dans le relèvement national, contrairement à ce qui s'était passé au cours de la Première Guerre mondiale ? Toutes ces données feront frémir les sociologues de la «fracture coloniale». Elles les embarrasseront d'autant plus que Lefeuvre ne part pas de quelque «enquête» en banlieue. C'est un travail historique, chiffré, sans faux-semblant. Même si on peut discuter çà et là quelques assertions, il faut saluer le courage d'un historien qui ne se contente pas de s'enfermer dans des colloques de spécialistes ou des articles publiés dans des revues «scientifiques» que personne ne lit, comme tant de ses confrères qui font leur petite carrière en laissant la voie libre aux bonimenteurs médiatiques.

Le Figaro littéraire
28 septembre 2006



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