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études-coloniales
4 août 2011

massacre des Européens le 20 août 1955 à El-Halia

 El-Halia

 

Autour du livre de Claire Mauss-Copeaus,

ALGÉRIE, 20 août 1955

Michel MATHIOT

 

Claire MAUSS-COPEAUX, Algérie 20 août 1955, Insurrection, répression, massacres, éd. Payot, 2011. Fiche de lecture.

d

La thèse défendue par Claire MAUSS-COPEAUX pour expliquer les «événements du 20 août 1955 dans le Nord-Constantinos» est celle de l’insurrection, primant sur «les massacres» d’Européens. Car c’est bien cela le travail de l’historien : établir les faits mais aussi les expliquer. Pour asseoir sa démonstration, elle "décortique’" ce qu’ont vécu les villages martyrs d’El-Alia et Aïn-Aibid

Les deux événements, si connus parmi les anciens Français d’Algérie que les toponymes et les faits s’y étant déroulés ne font plus qu’un, sont présentés sous un jour inattendu. S’appuyant sur le témoignage d’acteurs toujours en vie, Claire Mauss‑Copeaux explique le massacre d’El-Alia par des alea de l’insurrection indigène ayant entraîné une émeute mal maîtrisée, et celui d’Aïn‑Abid par de la rancune entre rivaux dans le milieu des gros possédants – européens et musulmans - de la contrée, ayant impliqué une vengeance à l’occasion de cette insurrection. Des massacres "à chaud". Elle avance ce qu’El‑Alia et Aïn-Abid ne seraient pas : une élimination, sur ordre de l‘Armée de Libération Nationale (A.L.N.), de civils européens (hommes, femmes, enfants).

Mme Mauss-Copeaux accorde une place importante au travail de la mémoire collective à l’œuvre depuis cinquante-cinq ans. Certains auteurs, comme des historiens militaires par exemple, sont pour le moins égratignés, ainsi que ceux qu’elle appelle «mémorialistes» pieds‑noirs.

Par ses sources, tant orales qu’archivistiques dans la mesure où elles existent, on peut dire que le livre est aussi un ouvrage d’histoire sur la mémoire. Le texte renouvelle la vision du 20 août 1955. À défaut de preuves qu’elle ne peut toujours avancer faute d’archives disponibles françaises comme algériennes, certaines des hypothèses qu’elle pose sont autant de présomptions convergentes, d’intimes convictions à même d’être approfondies par d’autres.

Nous voulons parler de l’origine des massacres d’Européens. Tout en critiquant ceux qui restent campés sur des positions que l’on peut comprendre (celles des Français exilés), mais qu’en historienne elle ne peut faire siennes, Claire Mauss‑Copeaux élargit le champ des sources et donne dans un même récit la parole à une histoire bipartite : celle des anciens Français d’Algérie et celle des Algériens.

Le lecteur averti regrette que les témoignages soient moins nombreux qu’espérés. Pour autant, le chef de groupe du commando d’El‑Alia, critiqué par les siens et les mémorialistes, et questionné par Claire Mauss‑Copeaux, figure dans l’organigramme A.L.N. local établi par le 2ème Bureau. Au multipartisme des sources correspond un exposé multilatéral et c’est l’originalité de l’ouvrage, annoncée dans le titre même : Insurrection, répression, massacres.

Pour l’auteur l’insurrection est première, et les chapitres de tête sont là pour l’annoncer, analysant les causes qui s’enracinent dans le mythe des «trois départements français». Le «massacre» perpétré par l’A.L.N. stigmatise la violence aveugle, toujours idiote et insupportable mais si humaine car, on l’a vu, la cause en serait du domaine du "fait divers sanglant" et non de la "Guerre Sainte’", même si le "jihadisme" a certainement joué un rôle.

Cette violence a frappé majoritairement une première communauté, la communauté européenne. Claire Mauss‑Coppeaux la décrit et l’assimile à un «crime de guerre». Enfin, la question des représailles, jusqu’alors restée dans le flou, si elle n’est pas chiffrée est démontrée dans son intention. Pas de preuve écrite émanant du pouvoir civil. En revanche, une panoplie d’ordres déclinés en langage codé par la hiérarchie militaire algéroise et constantinoise. Dans ce cas, les archives ont parlé, et Claire Mauss-Copeaux avait d’ailleurs levé le voile dans sa thèse de doctorat et son livre Appelés en Algérie, la parole confisquée.

Cette répression – ce deuxième massacre accompli "à froid" - a touché l’autre communauté, celle des Français musulmans d’Algérie. L’auteur rééquilibre le discours sur la violence, discours traditionnellement monopolisé par la mémoire des civils d’El-Alia et d’Aïn‑Abid, au détriment de ceux des autres banlieues martyres de Philipeville, eux aussi victimes – dit-elle en conclusion – de «crimes de guerre».

Les explications jusqu’à présent apportées sur les raisons de ce qui est considéré comme le véritable enracinement de la guerre ne seraient-elles donc que des rationalisations a posteriori, reconstruites en fonction de ce que l’on sait depuis ? C’est ce que l’on peut déduire du récit de Claire Mauss-Copeaux. L’historienne met à mal la principale des théories reprises jusqu’alors par les auteurs pour expliquer la sauvagerie des massacres de civils européens : Il ne s’agirait pas d’une préméditation stratégique devant entraîner, à coup sûr, des représailles gigantesques comme en 1945, pour servir à la survie de la "Révolution". Il n’en serait rien.

Remarquons que nul auteur Algérien n’avait d’ailleurs défendu cet argument, et on savait à partir des échos rapportés de la réunion F.L.N. du 20 août 1956, dite « Congrès de la SOUMMAM’’, que ces massacres de civils avaient été désavoués par d’autres chefs F.L.N. À ce titre d’ailleurs Ali Kafi, personnalité bien placée comme ancien bras droit de Zighout Youssef, n’en fait état dans la liste des objectifs livrée dans ses mémoires.

Sur la forme, l’appareil de notes juste dosé pour éviter d’alourdir davantage un ouvrage grand-public est relégué à la fin, le rendant peu commode. Les lecteurs curieux pardonneront à Claire Mauss‑Copeaux de ne pas trouver dans son texte des réponses systématiques à toutes leurs questions, ni une énumération exhaustive de tous les événements ni tous les lieux touchés par l’insurrection.

Un traité d’histoire est une démonstration, non pas une encyclopédie. Pour cela d’autres livres suivront sans doute, utilisant notamment d’autres sources disponibles. Comme tous les historiens du "Temps Présent", elle a été confrontée au verrouillage de certaines archives encore trop récentes d’une part et à l’existence de souvenirs oraux fort bienvenus d’autre part. Les uns compensent les autres, même si le caractère épars de ces témoignages laisse toujours planer un doute quant à leur représentativité. Mais ils permettent à l’auteur de formuler des hypothèses et de les argumenter.

Car ce livre devrait être l’instrument de discussions entre historiens, pour aider la connaissance historique de cette question emblématique de l’enracinement de la Guerre en Algérie. La discussion est utile, salutaire, non pas la polémique stérile. Il est important de regarder ce que ce livre apporte à l’Histoire, en dépit d’inexactitudes factuelles comme par exemple le nombre sous-estimé des civils tués depuis le 1er novembre, ou d’autres manques à relever, et à corriger éventuellement.

Cette question, il était temps d’enfin l’aborder avant que les derniers contemporains ne s’éteignent. Mais après avoir tourné la dernière page du dernier chapitre, on est frappé par la violence qui s’exprime en début de conclusion, de l’attaque à l’égard des «activistes de la mémoire». Il faut croire que dans l’esprit de Claire Mauss-Copeaux, nombreux ont dû pécher contre l’Histoire pour avoir rendu son propos à tel point incisif. Souhaitons que d’autres auteurs viennent nourrir cette discussion dans un esprit de construction historique. Ce texte parait humain. Est-ce le fait d’une femme ? Le fait divers y surpasse la politique, et les morts ‑ tous les morts – y redeviennent égaux entre eux. Dans un livre d’Histoire, regardons avant tout ce qu’il apporte à l’Histoire.

Michel MATHIOT
DEA d’histoire contemporaine
ancien doctorant, 13 mai 2011

- critique de ce livre par Maurice Faivre sur ce site (19 mai 2011)

 

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