le dernier livre de Sylvie Thénault sur Amédée Froger (fin), Jean MONNERET
le dernier livre de Sylvie Thénault
sur Amédée Froger (fin)
Jean MONNERET
Les chapitres finaux du livre sont intéressants et l’on ne peut que louer les efforts de l’auteure pour démontrer que Hamdeche Ben Hamdi, l’assassin d’Amédée Froger, était un agent messaliste.
Nous ne sommes pourtant que moyennement convaincu. Une bonne part de la démonstration repose en effet sur les actes et les déclarations de personnages plutôt flous. (1)
Il est vrai que le FLN a, pour sa part, toujours nié avoir ordonné le meurtre de Froger. Un livre entier pourrait être consacré à ce Ben Hamdi.
Une conclusion qui interpelle
Il est dommage que Mme Thénault abuse du français dialectal qui est devenu celui des jeunes générations. Elle fait plus qu’abuser en outre de l’adjectif colonial utilisé, par exemple, 5 ou 6 fois (p. 319). Mais, ce qui retient l’attention est autre.
«Relier ainsi l’histoire de la colonisation et l’histoire de la guerre ouvre une perspective de longue durée inédite» (p. 320), écrit-elle. J’ai dit ailleurs pourquoi le recours à «la longue durée» par certains doit éveiller la méfiance du lecteur.
En effet, légitime en elle-même, la longue durée devient çà et là un artifice, autorisant bien des sophismes. Nous n’en sommes pas loin dans cette conclusion.
Ainsi notre historienne estime-t-elle que la «violence des Français» n’a pas suscité dans l’historiographie les mêmes analyses que celles des «Algériens réclamant la fin de leur sujétion». Mais elle précise que la «violence des Français» qui va retenir son attention ne renvoie pas aux forces de l’ordre et aux autorités, catégorie impersonnelle et désincarnée remontant jusqu’à Paris.
Ce qui l’intéresse, c’est la violence «des Français présents en Algérie, nés là-bas». Autrement dit des Pieds-Noirs.
À partir de là se dessine une analyse dont les contours sont bien connus. Les exactions de certains Français d’Algérie, évoquées plus haut, deviennent un révélateur «de la société coloniale algérienne» et «de sa logique ségrégationniste».
Ben pardi !
Que voilà une belle trouvaille et une fine analyse ! Nous avons écrit ailleurs que cela faisait irrésistiblement penser à la «vertu dormitive de l’opium» chez les médecins de Molière.
Graffiti à la gloire de l’OAS et du général putschiste Raoul Salan
dans une rue d’Alger, en 1961. (c) Marc Garanger
Mais nous ne sommes pas au bout des révélations. Ainsi en est-il de l’OAS, souvent décrite comme «d’extrême droite» ce qui «la situe dans l’histoire politique de la France». Or, si poujadistes, royalistes, intégristes s’unissaient pour la défense de l’Algérie Française, «ils étaient en désaccord sur tout le reste».
Sylvie Thénault souligne, pour sa part, que : «L’OAS a aussi recruté parmi les Français d’Algérie» (p. 322). Il faut donc approfondir ce rapport avec «la société coloniale».
Et d’enchainer : sur «ce vivier» qu’ils ont constitué pour elle, «en faisant circuler des tracts, en taisant ce dont ils étaient témoins, en offrant ponctuellement leur aide, quand l’occasion s’en présentait, ou en s’engageant de façon plus décisive mais sans trop se compromettre sans salir leurs mains du sang versé en particulier. Sans eux, toutefois l’OAS n’aurait pu exister ni durer».
Et l’auteure d’insister : «l’histoire de l’OAS en Algérie n’est pas celle de l’OAS en métropole. Elle ne s’y cantonne pas à l’extrême-droite». (2)
Faut-il donc considérer que les Français d’Algérie porteraient une responsabilité collective ? Ce serait franchir un nouveau degré, tout à fait inédit, dans la Repentance.
On nous permettra de regretter qu’un travail se voulant historique finisse par des considérations qui le sont fort peu.
Le dernier paragraphe ne se termine-t-il pas par une allusion à l’adhésion à «la théorie du grand remplacement» qualifiée de «Fantôme que la culture politique française gagnerait à chasser».
Hors sujet !
Une recommandation
Les Français d’Algérie se sont vus présenter la facture de la Guerre d’Algérie. Outre le terrorisme, les morts et les disparus, ils ont dû s’exiler et perdre leurs biens. Ils ont dû aussi faire face à des campagnes de diabolisation très sévères. Très souvent calomnieuses.
Pourtant, nombre de leurs morts reposent dans les cimetières de France, de Tunisie, d’Italie, d’Allemagne avec ceux de leurs compatriotes musulmans tombés à leurs côtés. La France leur doit une bonne part de sa liberté retrouvée. Est-ce trop de demander que l’on s’en souvienne ?
Nous avons fréquemment conseillé, à ceux qui écrivent, de renoncer à utiliser l'article défini les pour lui préférer l’indéfini des. Ainsi le nombre des amalgames reculerait comme celui des gens qu’il blesse. La culture politique française y gagnerait là aussi.
De plus, jeunes et moins jeunes, devraient se méfier de leurs certitudes. (3)
Avec l’âge et les épreuves, beaucoup de choses deviennent complexes. Un Français d’Algérie nommé Jean Daniel disait, parait-il, à ses jeunes confrères : «N’oubliez-pas que la vérité a toujours un pied dans l’autre camp». (4)
Ceci lui a permis, certes tardivement, de découvrir les souffrances des harkis qu’il avait, en un temps, négligées.
Personne ne le lui reprochera. Espérons-le.
Débarquement du bataillon de marche n°4 de la 1ère division française libre, le 17 août 1944,
sur la plage de Cavalaire, dans le Var. ©Usis-Dite/Leemage
Fin
Jean MONNERET
Notes
1 - L’un d’eux s’appelle Mohammed, l’autre El Hadj.
2 - Terme au sens très extensif.
3 - Nietszche ne disait-il pas «qu’elle rend fou».
4 - F-O Giesbert, Histoire de la Ve République. 2, La Belle Époque, Gallimard, 2022, p. 84.