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études-coloniales
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16 mai 2006

La France perd la mémoire (un livre de Jean-Pierre Rioux)

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La France perd la mémoire

un livre de Jean-Pierre Rioux



Jean-Pierre Rioux vient de faire paraître : La France perd la mémoire (Perrin, 2006)

- Quatrième de couverture : 
Notre débâcle intime et collective, celle du souvenir et de l'art de vivre, est en cours. Nous assistons à l'exténuation du vieux rêve qui faisait de la France un héritage et un projet. Tout se passe comme si ce pays était sorti de l'histoire vive pour entrer en mémoire vaine, comme si la rumination avait remplacé l'ambition et qu'on expédie par pertes et profits Austerlitz, la laïcité ou un demi-siècle de paix en Europe. Hier, nous célébrions la nation républicanisée, l'histoire laïcisée et l'intérêt général ; aujourd'hui, nous valorisons les mémoires et les "devoirs" de mémoire, mais nous ne savons plus saisir l'âme de la France. Résultat : ce pays vit à l'heure du n'importe quoi mémoriel.

 

  - Description de l'éditeur :
Titre provocateur ? Peut-être. Mais qui dit bien ce que l'on veut dire dans cet essai : ce pays bousculé, angoissé, coincé entre un présent sans héritage et un avenir sans projet, renonce à toute gestion nationale du passé. Sous des apparences triomphales et dans le flot des commémorations à tout va, la mémoire nationale et collective a été dépecée depuis trente ans par les groupes de pression intéressés, les localismes hagards et les politiques inconséquents, à grand renfort d'idéologies informes qui exaltent à tout hasard les identités comme les différences, les uns comme les autres, sans jamais dire "nous". Bref, les2266097830.08.lzzzzzzz1 Français ne s'aiment plus aussi parce que leur mémoire gîte et sombre. Se souvenir de travers, refuser l'oubli, travestir la mémoire : tout cela contribue à répandre ce fatalisme collectif qui tétanise le pays.
Voilà ce qui apparaît à l'examen de trente années d'effervescence et de déliquescence de notre mémoire française, du succès du Cheval d'orgueil à la non-commémoration d'Austerlitz, de la vogue du maingraphicpatrimoine au refus du Dieu de nos pères et des racines chrétiennes, de l'Europe, de l'affirmation de la Shoah au gâchis du "devoir" de mémoire, du règne des témoins à celui des faussaires et des négateurs, de la classe d'histoire aux studios de la télé-réalité, de la mère Denis à Dieudonné.
Historien, Jean-Pierre Rioux a ouvert au CNRS dans les années 80, avec Gérard Namer, un des premiers séminaires de recherches sur la mémoire collective. Il n'a pas cessé depuis de piocher la question au titre d'une nouvelle histoire plus "culturelle", aujourd'hui en plein essor. Chemin faisant, son inquiétude civique est allée grandissant. Il l'expose ici sans détours, au nom d'un devoir d'intelligence et de vérité qui revient à l'histoire et non à la mémoire.

 

Jean-Pierre Rioux, inspecteur général de l'Éducation nationale, ancien directeur de recherche au CNRS, directeur de la revue d'histoire Vingtième rioux2 Siècle, chroniqueur à La Croix et à Sud-Ouest, est un spécialiste consacré d'histoire politique et culturelle de la France contemporaine. Il a récemment publié Au bonheur la France (prix Guizot de l'Académie française) et Jean Jaurès.

 

* commander : La France perd la mémoire  9782262024536

* l'itinéraire de Jean-Pierre Rioux : Le bonheur de regarder le passé pour comprendre le présent (juin 2004)

 


* rencontre avec Jean-Pierre Rioux à Pau (Pyrénées-Atlantiques)

La France perd la mémoire

Mercredi 17 mai à 19h - HOTEL CONTINENTAL - Entrée libre.imageservlet

2, rue du Maréchal Foch 64000 Pau

Rencontre débat avec Jean-Pierre Rioux présentée par Marc Bélit. Cet ouvrage est une étude sur les difficultés à faire vivre la mémoire collective.

 

 

 

 

- retour à l'accueil

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2 octobre 2007

l'Institut d'Études sur l'Immigration et l'Intégration

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Le malaise des historiens

Ils craignent que la recherche sur

l’immigration

ne soit inféodée au pouvoir

Catherine COROLLER


Libération, mardi 2 octobre 2007

Nicolas Sarkozy tente-t-il de créer des think-tank de droite avec des chercheurs à sa botte sur les questions d’immigration et de colonisation ? La prochaine inauguration d’un Institut d’études sur l’immigration et l’intégration et d’une Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de lasimon Tunisie suscitent une forte émotion dans les milieux scientifiques. Une pétition contre la création de l’Institut circule, coordonnée par Patrick Simon [ci-contre], chercheur à l’Institut national d’études démographiques (Ined), et devait être rendue publique la nuit dernière [lire le texte ci-dessous]. D’autres universitaires, dont l’historien Gilles Manceron, réfléchissent à une «prise de position des milieux scientifiques» sur la Fondation.

Point commun entre les deux projets ? «On assiste à une reprise en main de la droite en général et du gouvernement en particulier dans le domaine de la production de recherche sur les questions d’immigration, d’intégration, de mémoire et d’histoire de la colonisation, analyse Patrick Simon. Le gouvernement fonde les décisions qu’il prend sur des diagnostics, et il est important pour lui que ces diagnostics soient partagés par la communauté scientifique.» Or, en matière d’immigration notamment, les chercheurs contestent certains diagnostics gouvernementaux, comme le fait que la France accueillerait plus de migrants que les autres pays.

Le gouvernement lance-t-il la contre-attaque avec ces deux projets ? Concernant la Fondation, il est trop tôt pour le savoir. Certes, la création de cette instance figurait dans la loi de février 2005. Une autre disposition de ce texte, incitant les programmes scolaires à reconnaître le «rôle positif de la présence française outre-mer», avait provoqué une mobilisation du monde de la recherche, contraignant Jacques Chirac à retirer cet article. Mais la Fondation, elle, est restée. Dans un discours prononcé le 25 septembre lors de la 20070405145307_HARKISCérémonie d’hommage national aux harkis, François Fillon a annoncé sa création pour 2008. Pas plus de détails si ce n’est une allusion à des «historiens indépendants». Pour l’Institut, les intentions du gouvernement sont plus précises. Parmi les points qui inquiètent les chercheurs, le fait que cette instance soit créée par le Haut conseil à l’intégration, dont le président est nommé par le Premier ministre. C’est d’ailleurs Brice Hortefeux qui «procédera à [l’]installation officielle» de cet institut, lundi prochain. Autre souci : sa présidente est l’historienne et académicienne Hélène Carrère d’Encausse, qui s’était fait remarquer en associant les émeutes en banlieue de l’automne 2005 et la polygamie. Enfin, des chercheurs figurant dans la liste des membres du Conseil scientifique affirment ne pas avoir donné leur accord. Ainsi, Elikia M’Bokolo, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) ou Paul Schor, maître de conférences à Paris X-Nanterre.

François Guéry, secrétaire général du HCI, ne voit pas où est le problème. «Nous sommes rattachés au Premier ministre, c’est normal qu’il confie l’inauguration de cet institut au ministre qui s’occupe de9782110061218_GF l’intégration». «Les chercheurs sont libres, poursuit-il. «Je n’ai jamais vu un chercheur ne pas être libre». Pour lui, le rôle de l’Institut sera de présenter des préconisations au gouvernement : «On va par exemple regarder comment les immigrés eux-mêmes planifient leur intégration, quel est leur souhait, leur stratégie. Il ne faudrait pas qu’une immigration mal agencée vienne mettre en cause le régime républicain. Il peut y avoir des ennemis de la République qui s’arrogent tous les moyens pour mettre les institutions en danger». La présence de Carrère d’Encausse ? «C’est quelqu’un d’absolument respectable. Certains ont mis en avant des déclarations, mais qui n’en a pas fait ?»

La rentrée des chercheurs s’annonce donc chargée. D’autant qu’ils ont un troisième sujet de BM_20070220161203360préoccupation : l’ouverture, le 10 octobre, de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration. Huit intellectuels avaient démissionné de son Comité d’histoire, avant l’été, pour protester contre la création d’un ministère dont l’intitulé associe «immigration» et «identité nationale». En précisant qu’il ne s’agissait pas d’une remise en cause du projet lui-même, piloté par Jacques Toubon. Ils craignent que la Cité ne pâtisse de ces polémiques, y compris celles entourant le projet de loi Hortefeux sur la maîtrise de l’immigration. Au risque d’ajouter à la confusion, selon eux, la Ligue des droits de l’homme appellerait à une manifestation contre la politique d’immigration de Sarkozy devant la Cité, le jour de l’ouverture. Ces huit chercheurs préparent un communiqué rappelant leur soutien à ce musée.

Catherine Coroller
Libération, 2 octobre 2007


liens

- réactions à cet article sur le forum Libération

- sur le blog d'Yvan Lubraneski, on trouve un texte de protestation signé par Jérôme Valluy, politologue et responsable du réseau terra. Texte passablement ambigu où se mêlent la posture de "résistant" au "racisme sarkozyen" en lutte contre le ministère de l'Intégration et de l'Identité nationale... et l'étonnement de ne pas être appelé par ce même ministère quand il inspire la création d'une instance de réflexion... Attitude qui illustre on ne peut mieux le proverbe arabe : On pleure avec le berger mais on mangerait bien avec le loup...!

Michel Renard

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Communiqué contre l'Institut

Communiqué au sujet la création
d'un Institut d'Études sur l'Immigration et l'Intégration

Un Institut d'études sur l'immigration et l'intégration vient d'être créé par le Haut Conseil à l'Intégration sous l'égide du Ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du co-développement. Il a vocation, selon ses fondateurs, à être le «guichet unifié» des financements venant des administrations et des entreprises pour les recherches portant sur ces thèmes. De fait, l'institut - dont l'indépendance annoncée n'est assortie d'aucune garantie institutionnelle - est un nouvel instrument de pilotage politique des recherches qui déterminera les «champs et sujets pertinents» sur lesquels engager des travaux scientifiques. Dans un contexte où le discours politique tend de plus en plus à présenter l'immigration comme un danger pour la collectivité nationale, où les législations successives restreignent toujours plus les droits des étrangers, où la rhétorique sur l'intégration sert à occulter les discriminations, nous exprimons les plus vives inquiétudes quant à la création de cet institut :

1. pour la menace qu'il constitue pour la liberté de la recherche sur une thématique aussi sensible, dès lors qu'il prétend devenir le lieu exclusif de contrôle des financements des travaux scientifiques,

2. pour le symbole que représente la nomination à la présidence de son conseil scientifique d'une personnalité dont les propos publics sur les familles africaines ont suscité l'étonnement et l'indignation.

Q'au moment où le gouvernement annonce un accroissement du potentiel de la recherche en France, le choix soit fait de renforcer le pilotage politique du travail scientifique nous semble inacceptable non seulement pour les chercheurs mais aussi pour l'ensemble des citoyens. Nous croyons que la crédibilité de la recherche sur l'immigration, les discriminations ou  la diversité, comme celle de toute recherche, ne peut être assurée que par l'entière liberté de définir les thèmes à aborder et les méthodes à appliquer. Il n'appartient pas à un institut sous tutelle politique de poser les «bonnes questions» auxquelles les chercheurs devront trouver de «bonnes réponses». Engagés depuis des années dans des programmes scientifiques nationaux et internationaux autour de ces questions, nous considérons que la recherche ne peut se développer fructueusement qu'avec l'appui d'institutions publiques indépendantes et pluralistes.

Paris, le 1er octobre 2007

Liste des initiateurs (par ordre alphabétique) :

Marie-Claude Blanc Chaléard, historienne, Université Paris 1
Catherine Coquery-Vidrovitch, historienne,  Université Paris 7
Véronique De Rudder, sociologue, CNRS
Didier Fassin, anthropologue, EHESS
Eric Fassin, sociologue, ENS
Denis Fougère, économiste, CNRS
Nancy Green, historienne, EHESS
Nacira Guénif, sociologue, Université de Paris 13
Nonna Mayer, politiste, CNRS
Pap Ndiaye, historien, EHESS
Gérard Noiriel, historien, EHESS
Catherine Quiminal, anthropologue, Université Diderot-Paris 7
Daniel Sabbagh, politiste, FNSP
Emmanuelle Santelli, sociologue, CNRS
Paul Schor, historien, Université Paris 10
Patrick Simon, socio-démographe, INED
Jocelyne Streiff-Fenart, sociologue, CNRS
Sylvie Thénaud, historienne, CNRS
Vincent Tiberj, politiste, FNSP
Patrick Weil, historien, Université Paris I

Liste des soutiens  (par ordre alphabétique) :

Jean-Loup Amselle, anthropologue, EHESS
Etienne Balibar, philosophe, Université Irvine
Nicolas Bancel, historien, Université de Lausanne
Sophie Bava, sociologue, IRD
Jean-Luc Bonniol, anthropologue, Université d'Aix-Marseille
Nadir Boumaza, géographe, Université Pierre Mendès France, Grenoble
Yael Brinbaum, sociologue, Université de Bourgogne
Stéphanie Condon, géographe, INED
Jocelyne Dakhlia, anthropologue, EHESS
Corinne Davaut, sociologue, doctorante, Université de Paris 8-URMIS
Irène Dos Santos, sociologue, doctorante
Caroline Douki, historienne, Université Paris 8
Stéphane Dufoix, sociologue, Université de Paris X
Mireille Eberhard, sociologue, post-doc INED
Jules Falquet, sociologue, Université Paris 7
Brigitte Fichet, Sociologue, Université Marc Bloch, Strasbourg
Camille Gardesse, sociologue, doctorante IUP
Christelle Hamel, sociologue, INED
Marie-Antoinette Hily, sociologue, CNRS-MIGRINTER
Fanny Jedlicki, sociologue, doctorante URMIS, Université Paris 7
Marie-Thérèse Lanquetin, juriste, Université de Paris X
Jean-Baptiste Leclercq, doctorant URMIS, Université Paris 7
Luc Legoux, démographe, Université de Paris I-IDUP
Françoise Lorcerie, sociologue, CNRS
Eric Macé, sociologue, Université Paris 3
Pierre Merklé, sociologue, Université de Lyon 2
Dominique Meurs, économiste, ERMES
Elise Palomares, sociologue, Université de Rouen
Edmond Préteceille, sociologue, OSC
Christian Poiret, sociologue, Université de Paris 7-URMIS
Janine Ponty, historienne
Philippe Poutignat, sociologue, CNRS-URMIS
Aude Rabaud, sociologue, Université de Prais 7-URMIS
Isabelle Rigoni, sociologue, Université de Poitiers-MIGRINTER
Christian Rinaudo, sociologue, Université de Nice
Valérie Sala Pala, politiste, Université de Clermont-Ferrand
Emmanuelle Sibeud, historienne, Université Paris 8
Roxane Silberman, sociologue, CMH-CNRS
Maryse Tripier, sociologue, Université Paris 7
François Vourc'h, sociologue, CNRS-GRASS
Loïc Waquant, sociologue, Université de Berkeley
Claire Zalc, historienne, ENS-EHESS

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- à la lecture de cette liste, l'article de Catherine Coroller aurait dû s'appeler "le malaise des sociologues"...

20070531Hortefeux












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28 février 2006

Objectifs de l'association "études coloniales"

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École de Kaya. Leçon de langage en plein air (Haute-Volta, 1945/1958)
source : base Ulysse du Centre des Archives d'Outre-Mer (Caom à Aix-en-Provence)

 

Objectifs de l'association

"Études Coloniales"

 

L'association "Études Coloniales" a pour but :

- d’encourager par tous les moyens appropriées, les recherches consacrées à l’histoire coloniale et post-coloniale, à l'histoire des constructions mémorielles et des immigrations d’origines coloniales ;

- de promouvoir la diffusion, en France et à l’étranger, des résultats de ces recherches, notamment par la publication d’une revue sur support hypermédia, Études coloniales, l’organisation de colloques, de conférences, etc.

- de contribuer à la formation des enseignants, journalistes, agents sociaux et administratifs, personnels de justice et fonctionnaires territoriaux dans le domaine des cultures coloniales et post-coloniales, des constructions mémorielles et des immigrations d’origines coloniales.

Elle édite une revue en ligne sur ce site, qui paraîtra dans quelques semaines.

Les responsables de l'association "Études Coloniales" sont des universitaires et des chercheurs qui refusent les problématiques du "jugement", de "l'apologie" ou de la "repentance", et qui accordent la priorité à l'intelligibilité historique du temps colonial dans la diversité et la complexité de ses déterminations et de ses manifestations.

Février 2006

 

contact
michelrenard2@aol.com

 

bilan, février 2008 - la revue annoncée n'a pas été mise en oeuvre mais le site fonctionne bien : plus de 180 000 visiteurs, plus de 400 000 pages lues ; plus de 300 articles (tous genres) publiés ; une audience internationale (vérifiable dans l'origine géographique des visiteurs fournie par la plate-forme du blog).

 

- retour à l'accueil

25 mars 2006

à la mémoire du professeur Paul Sebag, Tunis-Paris, 1919-2004

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Paul Sebag, 1955-56

 

à la mémoire du professeur Paul Sebag

Tunis-Paris, 1919-2004


dimanche 2 avril 2006
initialement prévue à la SORBONNE - PARIS

la manifestation aura lieu à l'Hôtel de la Monnaie :

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11, quai Conti (Paris 6e)


Journée organisée par :
La Société d'Histoire des Juifs de Tunisie

 

MELANGES À LA MÉMOIRE

DU PROFESSEUR PAUL SEBAG

Historien des Juifs de Tunisie

 

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Paul Sebag (au centre) en 1994

 

Entrée : 17 rue de la Sorbonne 452px_la_sorbonne_photo12
75005 - Paris

 

 

 

 

  • changement d'adresse la manifestation aura lieu : Hôtel de la Monnaie, 11 quai Conti (Paris 6e)

Dimanche 2 Avril 2006
Première séance
10h – 12h
Amphithéâtre Louis Liard

HISTOIRE ET POLITIQUE

Sous la présidence de
Habib KAZDAGHLI
Vice-Doyen de la Faculté des Lettres de Manouba


Entre Tunis et Alger : les élites juives vers 1800
par Yaron Tsur
Université de Tel-Aviv

Alger à la veille de la conquête française
par Jacques Taïeb
Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)

Le premier voyage d’un Bey de Tunis en France (Ahmed Bey 1837)
par Fayçal Bey
Ecrivain

La politique française à l’égard des Juifs de Tunisie sous le Protectorat
(1910-1923)
par Armand Maarek
Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)

 

Dimanche 2 Avril 2006
Deuxième séance
14h – 16h 00
Amphithéâtre Louis Liard

 

CULTURE ET RELIGION

Sous la présidence de
Mireille HADAS-LEBEL
Professeur à l’Université de Paris-Sorbonne (Paris IV)

 

Le complot des Juifs de Khaybar :
un poème en melhûn de Sidi Ben Khalûf al-Akhdar (Algérie, XVIème siècle)

par Paul Fenton
Université de Paris-Sorbonne (Paris IV)

La question linguistique dans la presse judéo-arabe de Tunis à la fin du XIXème siècle
par Yossef  Chetrit
Université de Haïfa

Joseph Cohen-Tanuji Hadria : un rabbin moderniste à l’époque du Protectorat
par Denis Cohen-Tannoudji
Ecole Normale Supérieure

Osiris et la Grande Synagogue de Tunis
par Dominique Jarrassé
Université de Bordeaux III

 

Dimanche 2 Avril 2006
Troisième  séance
16h 15 – 18h 30

 

PAUL SEBAG : L’HOMME, LE PROFESSEUR, L’ERUDIT

 

Sous la présidence de
Claude NATAF
Président de la Société d’Histoire des Juifs de Tunisie

 

La bibliothèque de Paul Sebag
Par Jean-Claude Kuperminc
Conservateur de la bibliothèque de l’Alliance Israélite Universelle

Paul Sebag dans son siècle
par Lucette Valensi
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales

L’apport de Paul Sebag à la recherche et à l’enseignement de la sociologie en Tunisie
par Lilia Ben Salem
Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis

L’historiographie des Juifs de Tunisie de Cazès à Paul Sebag
par Colette Zytnicki
Université de Toulouse Le-Mirail

La ville de Tunis dans l’œuvre de Paul Sebag
par Abdelhamid Larguèche
Faculté des Lettres de Manouba

 

Société d’Histoire des Juifs de Tunisie
45, rue La Bruyère – 75009 Paris

 


 

sur Paul Sebag (1919-2004)

 

- en hommage à Paul Sebag : in memoriam, par Mohamed Kerrou

- hommage à Paul Sebag, par Noura Borsali dans Réalités, magazine hebdomadaire tunisien

- souvenirs de Claude Sitbon et de Bruno Proïetto : carnottunis

- réflexion publiée sur le "blog perso d'un tunisien qui se cherche..." : zizou from djerba

- articles de Paul Sebag parus dans la Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée (fondée en 1966 par un groupe d'universitaires aixois sous le titre de Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée)

 

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Paul Sebag, professeur de français, année scolaire 1955-56
(source : Association des anciens élèves du lycée Carnot de Tunis)



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Histoire des Juifs de Tunisie (éd. L'Harmattan, 2000)

 

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Tunis, histoire d'une ville (éd. L'Harmattan, 2000)

 


 

les intervenants

 

Habib KAZDAGHLI
Vice-Doyen de la Faculté des Lettres de Manouba
- journée d'études "La mise en tourisme du Sahara (depuis la période coloniale)" : cnrs framespa/diasporas
- articles parus dans la Remm
- article : "apport et place des communautés dans l'histoire de la Tunisie moderne et contemporaine" : barthes.ens.fr/clio

Yaron TSUR
Université de Tel-Aviv
- "L’AIU et le judaïsme marocain en 1949 : l’émergence d’une nouvelle démarche politique" : cfaj
Jews in Muslim Lands in the Period of the Reforms, 1830-1880 (
The Littman Library of Jewish Civilization, 2006)

 

Jacques TAÏEBjacques_ta_eb2226068023.08.lzzzzzzz
Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)
Être juif au Maghreb à la veille de la colonisation (Albin Michel, 1994)

 

 

 

 

 

Fayçal BEYpres147_4749
Ecrivain
- La dernière odalisque (Livre de Poche, 2003)

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Armand MAAREKarmand_maarek
Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)

 

 

 

 

Mireille HADAS-LEBEL2070533565.08.lzzzzzzzhadas_lebel
Professeur à l’Université de Paris-Sorbonne (Paris IV)

- Entre la Bible et l'histoire : le peuple hébreu (Gallimard, 1997)
- Flavius Joseph. Le juif de Rome (Fayard, 1989)
- Hillel : un sage au temps de Jésus (Albin Michel, 2005)

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Paul FENTON2743609826.08.lzzzzzzzgf37.fenton.m
Université de Paris-Sorbonne (Paris IV)
professeur de langue et civilisation hébraïques, responsable de la "filière hébraïque" du département d'études arabes et hébraïques
- article : "La musique sacrée de tradition ashkénase", in L'Arche, n° 571 (2005)
- Sefer Yesirah ou le Livre de la Création : exposé de cosmographie hébraïque ancienne (éd. Rivages, 2002)

 

 

Yossef  CHETRITchetrit
Université de Haïfa
- bio-biblio : mimouna.nat

 

 

 

 

Denis COHEN-TANNOUDJI
Ecole Normale Supérieuredenis_cohen_tannoudji
- "Deux personnages dans la généalogie Cohen-Tanoudji : le rabbin Yismaël et le Caïd Yoshua", revue du CGJ, n° 56 (1998)

 

 

 

 

 

Dominique JARRASSÉ2130495842.08.lzzzzzzz2742712623.08.lzzzzzzz
Université de Bordeaux III
professeur d'histoire de l'art contemporain
- bio-biblio : institut universitaire d'études juives
- bio admin : ufr histoire de l'art et archéologie
- Existe-t-il un art juif ? (éd. Biro, 2006)
- Une histoire des synagogues française (Hébraïca, Actes Sud, 1999)
- Les synagogues (avec Maurice-Ruben Hayoun, Puf, "Que sais-je ?", 1999)

 

 

Claude NATAFclaude_nataf
Président de la Société d’Histoire des Juifs de Tunisie
- "L'établissement du Protectorat en Tunisie", colloque international Zadoc Kahn, 1839-1905 : judaïsme.sdv
- "Les institutions culturelles en Afrique du Nord",   Le Consistoire durant la Seconde Guerre mondiale, revue d'histoire de la shoah, n° 169
- "Le Consistoire et les fidèles au lendemain de la Shoah", les Cahiers de la Shoah, n°5

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Jean-Claude KUPERMINCku_rminc
Conservateur de la bibliothèque de l’Alliance Israélite Universelle
- "La reconstitution de la bibliothèque de l’Alliance israélite universelle, 1945-1955" : cfaj et article@inist

 

 

 

 

 

Lucette VALENSI2020135051.08.lzzzzzzz2020541459.01.lzzzzzzz
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales
- bio-biblio : chsim
- Fellah tunisiens : l'économie rurale et la vie des campagnes aux XVIIIe et XIXe siècles (éd. EHESS, 1977)
- La fuite en Égypte : histoires d'Orient et d'Occident (Seuil, 2002)
- Mémoires juives (avec Nathan Wachtel, Gallimard, 1986)
- Fables de la mémoire. La glorieuse bataille des trois rois (Seuil, 1999)

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Lilia BEN SALEM
Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis
- maître de conférence en sociologie
- articles parus dans la Remmm
- article : "Le statut de "l'acteur social" dans la sociologie tunisienne" : irmc

 

Colette ZYTNICKI
Université de Toulouse Le-Mirail
- cf. répertoire des historien(ne)s du temps colonial



Abdelhamid LARGUÈCHElargu_che
Faculté des Lettres de Manouba
- bio-biblio (1) : agence universitaire de la francophonie
- bio-biblio (2) : crlv
- "Les abolitions de l'esclavage en Tunisie : approches pour une histoie de la communauté noire", in Les abolitions de l'esclavage (Presses universitaires e Vincennes)
- Les ombres de Tunis (2000)
- article : "Pauvres, marginaux et minoritaires à Tunis aux XVIIIe et XIXe siècles" : irmc
- Abdelhamid Larguèche cité dans un forum de discussion sur Tunis et la Goulette
- article : "Le Maghreb n'est pas une terre de racisme", 25 juillet 2004, in Jeune Afrique.com (accès payant)

 

 


 

campus
université de la Manouba

 

incident antisémite en Tunisie

 

Des étudiants ont perturbé une cérémonie dédiée à un historien juif tunisien.


par José GARÇON
Libération, jeudi 16 mars 2006


L'affaire aurait dû être une cérémonie hautement symbolique : la donation à l'université de la Manouba, près de Tunis, d'une partie de la bibliothèque d'un historien et sociologue juif tunisien décédé en 2004, Paul Sebag. Ayant vécu en Tunisie jusqu'aux années 70, où il a formé les premiers sociologues tunisiens, Paul Sebag est notamment l'auteur de deux ouvrages de référence Tunis, histoire d'une ville et Tunis au XVIIe siècle. La célébration de son geste est devenue au contraire un nouvel exemple de la très forte radicalisation existant dans le monde arabo-musulman et s'est transformée en incident suintant la haine.

Le 10 mars donc, la faculté de lettres de la Manouba a prévu un petit colloque scientifique pour célébrer cette donation. La fille de Paul Sebag et l'historien Claude Nataf, président de la société d'histoire des juifs de Tunisie, venus de France, ainsi que l'attaché culturel français, des professeurs tunisiens et des représentants des autorités doivent y participer. Alors que tous sont reçus par le doyen de la Manouba, des cris fusent à l'extérieur. «Revendications étudiantes», affirment les Tunisiens, qui sont toutefois nerveux et retardent le début du colloque.

Les choses se corsent quand le groupe veut rejoindre un amphi dont l'entrée est bloquée par 100 à 150 personnes qui crient des slogans en arabe. «A bas Israël», «Vive la Palestine», «Vive le Hamas», «Pas de normalisation (avec Israël, ndlr)», «les juifs à la mer», «Nous ne voulons pas de la bibliothèque d'un communiste juif stalinien» et autres amabilités du même genre. Quelques coups partent. Les professeurs font la chaîne pour séparer les manifestants des invités qui peuvent enfin entrer dans l'amphi et tenir leur colloque.

Les autorités universitaires, qui, selon Claude Nataf, ont «tout fait pour empêcher les choses de dégénérer», se sont confondues en excuses. Absente, la police n'a pu intervenir. Officiellement car elle «n'entre pas sur les campus», mais la raison laisse songeur dans un pays aussi quadrillé. Dans une lettre à l'ambassadeur de Tunisie en France, le Crif demande des sanctions contre les auteurs de cet «incident antisémite». Un peu moins de 2000 juifs vivent encore en Tunisie.

***

 

- sur cet événement, cf. Guysen, Israël news, 18 mars 2006

- lire aussi  : "Incidents antisémites à l'université de Tunis" sur le site du Crif

 

 

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michelrenard2@aol.com



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11 décembre 2006

Nouvelles approches des sociétés coloniales et post-coloniales

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Nouvelles approches des sociétés

coloniales et post-coloniales :

pouvoirs, espaces, intercations

Journée d'études "jeunes chercheurs"

11 janvier 2007, ENS-LSH, Lyon, salle F106


Photo de l'ENS Sciences


10h00
Présentation du laboratoire jeunes chercheurs «Mondes colonisés».
Introduction générale par Pascale Barthélémy, ENS-LSH, présidente de la journée


10h30 – 12h30
LES ESPACES DE LA COLONISATION : CONTROLES, TRANSFORMATIONS, RESISTANCES

Dao Quang Vinh, doctorant en études urbaines, Université de Montréal, Canada
«Morphogenèse du quartier de Bui Thi Xuan à Hanoi : un entre deux négocié entre pouvoir colonial et résistance locale».
Rémi Manesse, doctorant en études urbaines, EHESS
«Les villes israéliennes: histoire d'un paysage urbain façonné par l'ambivalence de l'héritage colonial».
Myriam Suchet, doctorante en lettres modernes, Lille III-Paris XIII
«Les enjeux de la représentation de l'espace pour la construction de soi dans la littérature francophone caribéenne : l'apport des postcolonial studies à l'étude de Texaco».
Discutant : François Dumasy, EFR, Université de Provence, «Mondes colonisé»


13h30 – 15h30
LES REPRESENTATIONS METROPOLITAINES DE LA COLONISATION,
ACTRICES DE L’EXPANSION COLONIALE ET DE LA CONSTRUCTION NATIONALE

Adrien Delmas, doctorant en histoire, EHESS
«Culture écrite et expansion européenne à partir du cas de l'Itinerario au tournant du XVIIe siècle».
Nadia Vargaftig, doctorante en histoire, Paris VII, «Mondes Colonisés»
«Y-a-t-il eu un colonial-fascisme ? Ce que les expositions coloniales du Portugal et de l'Italie entre-deux-guerres nous disent».
Vanina Profizi, doctorante en histoire, EHESS
«U lamentu di u culuniale : la presse régionaliste corse face à la colonisation (1880-1940)».
Discutante : Marie-Albane de Suremain, I.U.F.M. Créteil

L'image “http://www.vacances-sejour.ch/angola/angola-histoire-4.jpg” ne peut être affichée car elle contient des erreurs.
Angola, colonie portugaise


16h – 18h
LA FABRIQUE DES CATEGORIES : NOMMER POUR AGIR.

Cécile Garcia, doctorante en anthropologie, EHESS
«Des "races" aux "classes". Naissance et réappropraition d'une nouvelle représentation en Nouvelle-Calédonie, celle des classes sociales».
Claire Llanes, doctorante en histoire, Université de Toulouse-Mirail
«Le tourisme en Tunisie et au Maroc : une nouvelle approche de la colonisation (1881-1956)».
Vincent Bonnecase, doctorant en histoire, Université de Provence
«Avoir faim en Afrique occidentale française. Investigations et représentations coloniales (1920-1960)».
Discutante : Isabelle Merle, CNRS.


Figure 4.27. La forme régulière de maison contemporaine à Hanoi.
façade du quartier Bui Thi Xuan à Hanoi (source)



- Répertoire des historien(ne)s du temps colonial

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24 mai 2006

À propos du quôc ngu et d’agression culturelle (Pierre Brocheux)

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Phan Van Truong
(1875-1933)

À propos du quôc ngu

et d’agression culturelle

Pierre BROCHEUX

 

Je viens ajouter mon grain de sel au commentaire de Patrice sur le quôc ngu. «L’indigène de la république» auquel Patrice fait allusion confond visiblement langue et écriture. La langue des Viet fait partie de la famille austrasiatique différente de la famille chinoise. Les «mille ans» de la domination han ont fait naître une transcription par idéogrammes à partir de laquelle les Viêt ont mis au point une écriture démotique, le nôm, dont on peut dire qu’il fut le premier quôc ngu (littéralement : langue nationale). Au XVIIème siècle et matteoricci_cl1pour les besoins de l’évangélisation, les jésuites portugais et français, parmi lesquels Alexandre de Rhodes, ont mis au point une transcription par l’alphabet latin. Par la suite, on en a attribué le mérite au seul jésuite français, attribution qu’il faut replacer dans le contexte de la domination française.  Quoiqu’il en soit cette opération est indépendante de l’arrivée des conquérants français au milieu du XIXème siècle.

Pour des raisons à la fois pratique (apprentissage et outil d’administration) et politique, les Français officialisèrent et généralisèrent cette écriture latinisée (à partir de 1897). L’apprentissage de celle-ci était plus simple et rapide que celle des caractères chinois ou sino-viet, il était accompagné de l’adoption de la syntaxe française et facilitait ainsi la traduction et aussi le passage à la connaissance du français. Du même coup les Français faisaient sortir la culture viet de l’orbite si ce n’est de la matrice culturelle chinoise. En011 1917, les concours de recrutement du mandarinat sur la base des dissertations en caractères chinois furent supprimés ; l’enseignement franco-indigène fut créé, l’université de Hanoi ré-ouverte, mais l’apprentissage des caractères ne fut jamais complètement éliminé, encore moins interdit par les Français. Ainsi le lettré et mandarin Nguyen Sinh Sac enseigna les caractères à son fils (le futur Hô Chi Minh) mais il l’inscrivit aussi à l’école franco-indigène de Quy Nhon avant que le jeune homme ne s’embarque pour la France en 1911.

Si, incontestablement, les Français considéraient le quôc ngu comme un instrument de leur pouvoir, de leur influence et comme un moyen de communication subalterne, une infra-langue destinée aux indigènes pas assez évolués pour accéder à la langue du maître, les Vietnamiens eux mêmes en firent le ciment de la nation viet* en créant très tôt (au début des années 1900) un journalisme d’opinion et une littérature moderne inspirée par la littérature occidentale (dans les années 1920). Un homme a joué un rôle capital dans l’adoption et l’évolution du quôc ngu et illustré de façon éclatante «le retournement des armes» (André Nouschi) : cet homme se nommait Phan Van Truong (1875-1933).

phan_van_truong1Issu d’une famille de lettrés du Tonkin, Truong était naturalisé français et avocat inscrit au barreau de Paris. En 1912, il fonde la Fraternité, «association d’Indochinois ayant pour but de travailler à l’instruction du peuple indochinois par la vulgarisation au moyen d’ouvrages en quoc ngu des connaissance utiles, scientifiques et littéraires». Il justifie son propos «La vaillante race annamite… a une langue originale» qui dispose dorénavant du quôc ngu : un merveilleux instrument. Reste à le doter d’un vocabulaire technique et scientifique». Truong encourageait ses compatriotes à lui envoyer des manuscrits en quoc ngu que l’association se chargerait de publier.

 Truong s’opposa vigoureusement à l’inspecteur des colonies Salles qui était aussi le secrétaire général adjoint de l’Alliance française. Salles avait clairement exposé l’enjeu du choix entre l’enseignement dunguyen_an_ninh Français en Indochine et le perfectionnement du quôc ngu, en ces termes : «l’Annamite (le quôc ngu) tel qu’il est est un outil utile à employer. L’Annamite enrichi que rêvent certains deviendrait vite un puissant levier pour le nationalisme indigène» (1911). Rentré en Cochinchine en 1923, Truong (qui fut emprisonné à deux reprises pour «menées antifrançaises») poursuivit son travail d’avocat et surtout de traducteur et journaliste aux côtés de Nguyen An Ninh, militant anticolonialiste que l’on peut qualifier de radical libertaire, qui ne cachait pas son admiration pour la Révolution française.

tutuong_cachtan_sangtao_phanchautrinhCes patriotes modernisateurs (dans le sillage du lettré Phan Chu Trinh) avaient compris tout le parti qu’ils pouvaient tirer de «l’agression culturelle française». Ces deux hommes comptent parmi la centaine d’intellectuels vietnamiens qui, dans les années 1920, 1930, 1940, ont fait passer leur culture dans la modernité…avec l’aide du quôc ngu.

Pierre Brocheux
Paris, le 21 mai 2006

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* et le quôc ngu fut le lien permanent entre  deux populations, deux États et deux cultures dans un Vietnam divisé entre 1955 et 1975.

 

Nguyen An Ninh, militant anticolonialiste que l’on peut qualifier de radical libertaire, qui ne cachait pas son 2846030057.08.lzzzzzzzadmiration pour la Révolution française (ci-dessus, photo de 1926 - tirée du livre de Ngo Van : Viêt-nam, 1920-1945, révolution et contre-révolution sous la domination coloniale, éd. L'insomniaque, 1995/2000)

 

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                    «L’oppression nous vient de France,
                    mais l'esprit de libération aussi
»
                    Nguyên an Ninh (cité par Ngo Van)

 

le livre de Phan van Truong

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- Phan van Truong,
Une histoire de conspirateurs à Paris, ou la vérité sur l'Indochine,
éd. L'insomniaque, 2003

 

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17 mars 2006

Le soldat inconnu était noir (Jacqueline Sorel)

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soldat d'une unité sénégalaise en tenue kaki

(source troupesdemarine)

 

Le soldat inconnu était noir

Jacqueline SOREL

 

On fleurit les tombes, on réchauffe le Soldat Inconnu.
Vous mes frères obscurs, personne ne vous nomme.
Léopold Sédar Senghor (Hosties noires, 1938)

 

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L'historien africaniste Marc Michel raconte le drame des soldats africains dépéchés sur le sol de France pendant la Première Guerre mondiale pour défendre une mère-patrie qui les considérait comme de la vulgaire chair à canon*. Un document utile pour comprendre cette page essentielle des relations franco-africaines.

Ce n'est pas sans un certain serrement de cœur que l'on imagine l'engagement des soldats africains sur le sol de France lors des guerres qui ensanglantèrent l'Europe. De ces "frères obscurs", célébrés par le poète Senghor dans Hosties noires, Marc Michel a reconstitué l'histoire dans une première thèse parue en 1982, et revue aujourd'hui pour une publication destinée à toucher le grand public.

Marc Michel est un professeur émérite de l'Université de Provence. Il a enseigné en Afrique et en France à de nombreux élèves, dont beaucoup d'Africains qui se souviennent de lui avec émotion. Sa contribution à l'histoire qui réunit dans un même combat les militaires africains et français est un document essentiel pour qui veut se souvenir du passé colonial et de la participation des "tirailleurs sénégalais" à la guerre. Le livre en fait l'historique et se limite à la guerre de 14-18.

Aux origines de la force noire, Charles Mangin, alors lieutenant qui, sous ce titre, développe en 1910 son projet de faire de l'Afrique noire le réservoir de la puissance française de demain devant le défi allemand. Le projet va cheminer dans l'esprit des autorités militaires, avec enquêtes auprès des administrateurs coloniaux et des chefs locaux, et avec des prises de positions diverses, dont celle très hostile de Jean Jaurès qui, au nom du parti socialiste pose le problème en ces termes : "...le prolétariat se demandera si vous ne voulez pas jeter sur le champ de bataille... une armée prétorienne au service de la Bourgeoisie et du Capital..."

La mise en place de "la force noire" n'est encore qu'à l'état d'expérience lorsque la conquête du Maroc vient modifier la situation. La métropole qui ne trouve pas aisément des militaires prêts à ces futurs combats, fait appel aux Africains recrutés tant bien que mal en Afrique Occidentale pour renforcer ses bataillons. Entre 1908 et 1914 ces "Tirailleurs sénégalais" font partie de l'armée d'Afrique qui impose le protectorat au Maroc.

tirailleurs_4En 1914, c'est la mobilisation générale contre l'Allemagne. L'appel à l'Afrique commence au mois d'août. Marc Michel analyse finement les diverses attitudes des responsables face à la guerre : William Ponty, gouverneur général de l'AOF, celui-là même dont le nom fut donné à la grande école de formation des élites, propose d'envoyer plusieurs milliers d'hommes et affirme que : "l'enthousiasme serait extrême si les populations étaient informées que les indigènes sont admis à l'honneur de se battre en France". Cette vision est souvent démentie sur le terrain. Dans la province du Bélédougou en particulier, le recrutement suscite une révolte et cet avertissement d'un chef qui déclare fièrement qu' : "à tout prendre, puisque ces guerriers ne devaient jamais revoir leurs villages, ils préféraient se faire tuer sur leur sol." Dans d'autres régions, c'est la fuite en brousse qui sauve les présumées recrues.

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village du cercle de Kolokani (Mali)

 

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"L'impôt du sang"
Plus complexe fut l'attitude des "évolués" dont beaucoup se disent attachés à la "mère patrie". Les notables font preuve de prudence, les marabouts sont accusés d'avoir un discours ambigu, tous sont pris entre le besoin de s'accommoder des autorités coloniales et de soutenir les populations hostiles à la conscription. L'intervention de Blaise Diagne élu député du Sénégal en 1914 est alors décisive. Au parlement français, il est considéré comme la voix de l'Afrique. Il propose d'échanger "l'impôt du sang" contre l'octroi "aux plus évolués de la population africaine" de la citoyenneté française. Ses propositions, débattues à l'Assemblée, aboutiront, en mars 1916 à une loi accordant aux natifs de quatre communes, Gorée, Dakar, Saint-Louis, Rufisque, de n'être plus des sujets mais des citoyens, ce qui implique le service militaire. Pour eux, "l'égalité est reconnue à travers le sacrifice ".

La guerre franco-allemande fut sanglante, en particulier pour les forces noires envoyées de façon massive sur la Somme, à Verdun, puis au Chemin des Dames. Mangin y recevra le titre de "boucher des noirs". Le livre de Marc Michel analyse les conséquences des nouveaux recrutements imposés par le gouvernement français à l'Afrique et les troubles qu'ils provoquent. De la chasse à l'homme à l'appât financier, tous les moyens sont mis en oeuvre pour enrôler des hommes sous le drapeau français entre 1915 et 1916. Ils s'accompagnent de grandes révoltes, souvent peu connues, que le livre de Marc Michel racontent en détails, telle celle de l'Ouest Volta décrite par un témoin effaré mais admiratif du courage de ces résistants.

L'année 1918 voit la montée en puissance de Blaise Diagne, élevé à la dignité de commissaire de la République. Son prestige en Afrique est immense. Il est chargé de faire à nouveau appel à la force noire, mais il veut que l'on offre des contreparties à ses concitoyens. Le "réservoir africain" fonctionne durant cette dernière année de guerre qui doit ouvrir des perspectives nouvelles pour les Africains qui ont servi sous les drapeaux français. L'armée coloniale est née ; elle aura son école, Blaise Diagne y croit : "Il y a le plus grand intérêt au point de vue politique et social à faire passer le plus grand nombre possible par l'Ecole de l'Armée de façon à ce qu'ils soient rendus à leur colonie d"origine plus instruits et mieux pénétrés de l'influence française".

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Le livre de Marc Michel montre bien la rupture que constitua La Grande Guerre au sein même de l'Afrique Occidentale Française. Les modifications apportées aux structures coloniales, les changements dans les mentalités, notamment suite aux récits des anciens combattants, la prise de conscience des évolués qui pour certains suivent les traces de Blaise Diagne, et pour d'autres prennent une voie radicalement différente, transforment les regards et les relations de part et d'autre de la barrière coloniale. Le récit en est passionnant pour qui s'intéresse aux relations entre la France et l'Afrique dans ces années évolutives ; il fournit de nombreuses informations et permet de recréer une époque et de donner quelques clés pour comprendre la suite des événements de ce 20e siècle qui vit l'Afrique combattre à nouveau aux côtés des soldats français, avant de gagner son indépendance et de prendre en main son destin.

Jacqueline Sorel
5 mars 2004 - source rfi.fr

* C'est un sort qu'ils ont partagé avec tous les Français mobilisés... (MR)

 

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Première Guerre mondiale : tirailleurs sénégalais traversant une ville (Reims ?)

 

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Les Africains et la grande guerre. L'Appel à l'Afrique,
par Marc Michel. Ed. Karthala, 304 pages, 26 euros.

 

 

 

 

 

 

 

 

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20 décembre 2006

L'esclavage en noir et blanc

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L'esclavage en noir et blanc

Europe du Sud, Maghreb, Machreq, Turquie,

du Moyen Âge au XXe siècle


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Table ronde

organisée par Roger BOTTE & Alessandro STELLA

Centre d'études africaines - Centre de recherches historiques



vendredi 19 janvier 2007, 15 h à 19 h

 

105, bd Raspail - Paris 6e (salle 7)

 


De l'Europe du Sud au monde ottoman et barbaresque, cohabitèrent des esclaves de différentes couleurs, origines, religions. Loin d'être une institution anecdotique, cet esclavage concerna, sur la longue durée, des millions de personnes. Or, l'attention des historiens et des anthropologues, focalisée sur la servitude atlantique, n'a pas été à la mesure de l'ampleur du phénomène méditerranéen et transsaharien. On s'intéressera à l'analyse comparative des formes diverses d'assujettissement, à la multiplicité des conditions, au traitement des esclaves, à leur utilisation, aux possibilités de sortie de la sujetion, selon la couleur, la religion et le sexe aux différentes époques.
La table ronde s'inscrit dans une réflexion préalable à la publication d'un ouvrage. Il n'y aura donc pas d'exposés définitifs mais, à partir de quelques textes introductifs, un débat avec les participants sur la pertinence de la problématique.

Contacts
alessandro.stella@wanadoo.fr
botte@ehess.fr


Evelyn Tajetti, Couleurs Méditerranée, source, ©


L’ESCLAVAGE EN NOIR ET BLANC

Europe du Sud, Maghreb, Machreq, Turquie,

du Moyen Age au XXe siècle


Pour plusieurs raisons, l’opinion publique occidentale, et même une partie de l’opinion universitaire, associent l’esclavage avec les Noirs, et en particulier avec la traite transatlantique. L’équation posée esclave égal Noir est dès lors utilisée à des fins politiques, par des prétendue «communautés noires» en France ou aux États-Unis, ou par des États africains au sein des institutions internationales.

Il est certain que l’esclavage des Africains a alimenté le racisme envers les personnes à peau noire, et que ce racisme a lui-même justifié et alimenté l’esclavage de Noirs. Certes, l’esclavage de Noirs présente une spécificité parmi les esclavages, comme le génocide des Juifs garde une singularité par rapport aux autres génocides de l’histoire ; mais valider l’équation esclave = Noir est impropre au regard de l’histoire. Fonder un combat politique sur un postulat erroné ne saurait aboutir à des résultats justes. Mieux vaut regarder l’histoire en face pour essayer de comprendre ce qu’est l’esclavage, et cerner les facteurs de l’exploitation et de l’oppression.

Sans remonter à l’Antiquité gréco-romaine, et en laissant de côté la moitié de l’humanité (l’Asie), nombreux sont les exemples qui montrent que l’esclavage n’a pas été d’une seule couleur. Il faut aussi rappeler que la traite transatlantique d’Africains, devenue aujourd’hui synonyme d’esclavage, fut organisée pour pallier le fait que des raisons multiples (catastrophe démographique, convenances politico-stratégiques, intérêts et choix d’évangélisation) avaient fortement limité l’esclavage des Indiens du Nouveau Monde à partir du milieu du XVIe siècle. Mais au cours du premier demi-siècle de colonisation des Amériques, l’esclavage des Indiens avait été de loin supérieur à celui des esclaves importés à grands frais d’Afrique. Les Conquistadores avaient compris qu’il valait mieux mettre en servitude les Indiens par d’autres moyens. Et qui sait si l’histoire des traites esclavagistes n’aurait pas connu un autre cours, si les Turcs n’avaient pas coupé le robinet des «slaves» aux Européens d’Occident ? Quoi qu’il en soit, en se tenant grosso modo à la périodisation de la traite transatlantique, l’espace méditerranéen donne à voir un esclavage multicouleur.

De l’Europe du Sud au monde ottoman et barbaresque, cohabitent des esclaves de différentes couleurs, origines, religions. Dans l’Espagne chrétienne des XVIe-XVIIIe siècles, on trouve des esclaves noirs arrivés par la traite atlantique, et des esclaves blancs importés du Maghreb ou  de la Méditerranée Orientale, via la course maritime, les razzias à partir des «presidios» et l’achat sur les marchés d’Orient. Dans l’Espagne musulmane des siècles précédents, le spectre des couleurs de l’esclavage était sensiblement le même : des noirs importés par la traite transsaharienne, et des blancs capturés dans la péninsule Ibérique ou sur mer, ou encore achetés sur le marché des esclaves slaves.


miniature persane, Hariri, XIIIe siècle,
marché aux esclaves (BnF)

En Sicile et en Italie du Sud, nous constatons une belle constance pluriséculaire, des derniers siècles du Moyen Age jusqu’au XVIIIe siècle inclus, de présence d’esclaves noirs amenés là par la traite transsaharienne, et des esclaves blancs d’origine slave et orientale. Sur la rive Sud de la Méditerranée, les esclaves blancs provenant du monde chrétien (catholique et orthodoxe) ont coexisté, aussi bien au cours des derniers siècles du Moyen Age qu’à l’époque moderne, avec les esclaves noirs acheminés par la traite transsaharienne. En Turquie et dans la Méditerranée orientale, l’éloignement de l’Atlantique n’a pas empêché de voir la présence concomitante d’esclaves blancs (slaves, caucasiens, occidentaux) et d’esclaves noirs venant du «Soudan».
Il ne s’agit pas, bien entendu, d’un esclavage anecdotique mais, tout compte fait, nous parlons de millions de personnes. Sauf que l’attention d’historiens et anthropologues n’a pas été à la mesure de l’ampleur du phénomène. Une bien curieuse lacune, notamment, renvoie le métissage immédiatement aux Amériques, alors que la Méditerranée a été un creuset pluriséculaire du phénomène biologique et culturel appelé métissage.

Il nous paraît donc de première importance, de rappeler d’abord cette évidence par trop négligée, et ensuite d’analyser comparativement cet esclavage méditerranéen avant, pendant et après l’expansion européenne par l’Atlantique. Nous voudrions pousser l’analyse loin sur le terrain du traitement, de l’utilisation, de la considération des gens nommés esclaves.

Les différences de couleur entraînaient-elles des traitements différents ? Les possibilités de sortir de l’esclavage, par l’affranchissement, le rachat ou la fuite, dépendaient-elles de la couleur de la peau, ou du sexe, ou des deux à la fois ? Employait-on les esclaves indistinctement à une tâche ou à une autre, ou les esclavagistes associaient-ils phénotype et travail à accomplir ? L’utilisation sexuelle d’esclaves, dans une maison chrétienne ou dans un harem musulman, suivait-elle des préférences morphologiques, et si oui lesquelles ? La vision de l’Autre, le racisme ou l’admiration, influençaient-ils le destin des esclaves ? Dans quelle mesure les clivages religieux déterminaient-ils la position des esclaves ?

Quand un propriétaire avait des esclaves noirs, blancs, métissés, comment s’organisait la hiérarchie de la dépendance, sur quelles bases, par quels critères ? Dans les sociétés prises en considération, quelles étaient les possibilités d’ascension sociale des esclaves et des affranchis, et quelles étaient les voies permises ou conquises pour gravir les marches de l’échelle sociale ? Quelles étaient les relations entre esclaves ? La commune condition d’oppression forgeait-elle des solidarités, voire un sentiment d’identification ? Ou, au contraire, les clivages «raciaux», religieux, ethniques maintenaient-ils les esclaves divisés entre eux, voire hostiles les uns envers les autres ? Enfin, était-ce mieux, ou moins dur, ou plus vivable d’être esclave en terre d’Islam ou en terre chrétienne ?

Voici une série de questions auxquelles nous voudrions essayer de répondre de façon pertinente, c’est-à-dire par une recherche approfondie et spécialisée. Nous souhaitons privilégier les recherches de première main, appuyées sur des connaissances bibliographiques larges et ouvertes, sans aucun a priori, et avec le goût de la comparaison et de la découverte. Conscients qu’une recherche innovante demande du temps, nous voudrions arriver à composer un ouvrage solide et cohérent pour la fin de l’année 2007.

Roger Botte et Alessandro Stella



N . POUSSIN / C. STELLA Gravure 17ème de NICOLAS POUSSIN
Nicolas Poussin
(1594-1665), Captif chrétien vu de dos face à un souverain
de face
, gravé par Bouzonnet dite Claudia stella (1636-1697).



L’ESCLAVAGE EN NOIR ET BLANC

Auteurs et titres (provisoires) des contributions


Ghislaine ALLEAUME, «Le mamelouk et la concubine dans l’Égypte de la seconde moitié du XIXe siècle».

António de ALMEIDA MENDES, «Les tangaroes de la côte de Guinée».

Raed BADER, «L’esclavage en Algérie coloniale : réflexions et interrogations sur une pratique».

Salvatore BONO, «Esclaves slaves, maghrébins et africains en Italie (XVIe-XIXe siècles)».

Roger BOTTE, «La traite transsaharienne du VIIIe au XIVe siècles». Roger Botte, Centre d'études africaines  - Cahiers d'études africaines, n° 179-180 (2005) : "Esclavage moderne ou modernité de l'esclavage ?" (en ligne)

Sadok BOUBAKER, «Esclaves blancs et noirs en Tunisie».

Phillipe BRAUNSTEIN, «Itinéraire d’un négrier ordinaire : Alvise da Ca’ da Mosto, de la mer Noire à la Sénégambie».

Henri BRESC, «Esclaves blancs et noirs en Sicile aux derniers siècles du Moyen Âge».

Federico CRESTI, «Esclaves blancs et noirs en Libye au XIXe siècle».

Jocelyne DAKHLIA, «Eunuques noirs et eunuques blancs au Maroc».

Inès MRAD DALI, «Les esclaves noirs en Tunisie».

Sylvie DENOIX, «Mameluks, Janissaires, Circassiennes et Soudanais en Égypte : le marché des hommes et des femmes».

Jean-Michel DEVEAU, «Esclaves chez les Blancs et chez les Noirs à Saint-Louis du Sénégal (XVIIe-XVIIIe siècles)». (Jean-Michel Deveau, Raconte-moi l'esclavage)

Bruce S. HALL & Yacine Daddi ADDOUN (contact ou ydaddia@webbar.fr), «Une route transsaharienne à double sens ? Anjay Isa, esclave de Ghadamès à Tombouctou.». Bruce S. HALL & Yacine Daddi ADDOUN

Frédéric HITZEL (courriel), «L’esclavage dans la Turquie ottomane».

Fatima IBERRAKEN, «Processus d’asservissement par un lignage saint de Petite Kabylie : 1840 et 1957».

Mohamed MEOUAK, «Esclaves blancs et esclaves noirs dans l’Occident musulman médiéval : servitudes, hiérarchies, pouvoirs».

Mohammed MOUDINE, «Les esclaves musulmans en Europe méridionale».

Mahmed OUALDI, «Les esclaves blancs dans la haute administration du bey de Tunis».

Fabienne PLAZOLLES-GUILLEN-DIOP, «Esclaves slaves, maghrébins et africains à Barcelone aux XIVe-XVe siècles : à la recherche d’identités»

Judith SCHEELE, «Serfs au pays des hommes libres : l’esclavage en Kabylie».

Alessandro STELLA, «Les destins des affranchis noirs et blancs dans l’Andalousie des temps modernes».

Salah TRABELSI, « Esclaves noirs et blancs en Tunisie au Moyen Âge ».



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liens

- Medieval Mediterranean Slavery : études comparatives de la traite et de l'esclavage dans les sociétés musulmanes, chrétiennes et juives (VIIIe-XVe s.)

- présentation par Thomas Jackson, de : Robert C. Davis, Christian Slaves, Muslim Masters: White Slavery in the Mediterranean, the Barbary Coast, and Italy, 1500-1800, Palgrave Macmillan, 2003

- Cahiers de la Méditerranée, vol 65 (juillet 2005), "L'esclavage en Méditerranée à l'époque moderne" : sommaire

- Jean-Michel Deveau, "Esclaves noirs en Méditerranée", Cahiers de la Méditerranée, vol. 65, juillet 2005, "L'esclavage en Méditerranée à l'époque moderne" (texte intégral et bibliographie).

- Daniel Panzac, "Les esclaves et leurs rançons chez les Barbaresques (fin XVIIIe - début XIXe siècle)", Cahiers de la Méditerranée, vol. 65, juillet 2005, "L'esclavage en Méditerranée à l'époque moderne" (texte intégral et bibliographie).

-  Nordiske slaver - Afrikanske herrer : Kulturhistorisk Museum

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bibliographie

- Youval Otman, Les esclaves et l'esclavage, de la Méditerranée antique à la Méditerranée médiévale, VIe-XIe siècle, les Belles Lettres, 2004.


- Robert C. Davis, Esclaves chrétiens, maîtres musulmans : l'esclavage blanc en Méditerranée (1500-1800), éditions Jacque, avril 2006. Spécialiste de l'Italie de la Renaissance, Robert C. Davis est professeur d'histoire à l'université de Columbus (Ohio)
Présentation de l'éditeur
Sujet politiquement incorrect, sous-estimé par Fernand Braudel et par nombre d'historiens, l'esclavage blanc pratiqué par ceux que l'on nommait alors les Barbaresques a bel et bien existé sur une grande échelle et constitué une véritable traite qui fit, durant près de trois siècles, plus d'un million de victimes. Qui étaient-elles ? Comment se les procurait-on ? Comment fonctionnaient les marchés d'Alger, Tunis et Tripoli, les trois villes qui formaient le noyau dur de la Barbarie ? Quelle forme prenait l'asservissement, tant physique que moral, de ces hommes et de ces femmes originaires de toute l'Europe, et principalement d'Italie, d'Espagne et de France ? Quelle était leur vie dans les bagnes et sur les galères ? Comment l'Église catholique et les États européens tentèrent-ils de les racheter ? Dans cet ouvrage, fruit de dix années de recherches, et qui s'appuie sur de très nombreuses sources et une abondante documentation, Robert C. Davis bat en brèche l'idée élaborée au XIXe siècle et encore dominante d'un esclavage fondé avant tout sur des critères raciaux.

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- Jacques Heers, Les négriers en terre d'islam : la première traite des Noirs, VIIe-XVIe siècle, Perrin, 2003. Agrégé d'histoire, Jacques Heers a été professeur à la Sorbonne et directeur du département d'études médiévales de Paris-Sorbonne.
Présentation de l'éditeur
L'histoire de l'esclavage, généralement limitée à la Rome antique, à la période coloniale et à la traite des Anglais et des Français aux XVIIe et XVIIIe siècles, laisse de nombreux pans aveugles, en raison de la rareté des sources et de la culpabilité rétrospective des nations colonisatrices. Ainsi, du VIIe siècle à la fin du XIXe, s'est mis en place un système de traite musulmane des Noirs d'Afrique, par caravanes à travers le Sahara et par mer à partir des comptoirs d'Afrique orientale. En tenant compte des travaux les plus récents, notamment ceux des historiens ivoiriens et nigerians, Jacques Heers retrace le mécanisme de cette traite, ses itinéraires, ses enjeux commerciaux et le rôle des esclaves dans les sociétés arabes - à la Cour, dans l'armée, dans les mines ou aux champs. Il évoque les tensions épisodiques, mais aussi la grande révolte du IXe siècle. Se dessinent de la sorte une cartographie de l'esclavage africain ainsi qu'une étude sociale menée sur une période de plus de mille ans, encore trop méconnue.

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- Bartolomé et Lucile Bennassar, Les chrétiens d'Allah : l'histoire extraordinaire des renégats, XVIe-XVIIe siècles, Perrin, 2006.
Présentation de l'éditeur
Aux XVIe et XVIIe siècles, des centaines de milliers d'hommes et de femmes, convertis à l'islam, sont devenus des "renégats". La plupart furent emmenés en captivité un soir de défaite, après une razzia ou victimes de la course "barbaresque" en Méditerranée ou sur l'Atlantique. Certaines conversions furent volontaires. C'est l'histoire extraordinaire de ces milliers de destins, archivés par l'Inquisition, que retracent Lucile et Bartolomé Bennassar.



- Giles Milton, Captifs en Barbarie ; l'histoire extraordinaire des esclaves européens en terre d'Islam, éd. Noir Sur Blanc, 2006.   Giles Milton, journaliste et écrivain anglais, est spécialiste de l'histoire des voyages et des explorations.

Présentation de l'éditeur

C'est un chapitre fascinant et méconnu des relations entre l'Europe et l'Afrique du Nord aux XVIIe et XVIIIe siècles qu'aborde dans ce récit Giles Milton. Il s'agit de l'aventure cruelle de dizaines de milliers d'Anglais, de Français, d'Espagnols... capturés en mer par les corsaires de Barbarie, et vendus comme esclaves sur les grands marchés d'Alger, de Tunis, ou de Salé au Maroc. Lorsque Thomas Pellow quitte à onze ans sa Cornouailles natale pour embarquer en qualité de mousse sur le bateau de son oncle qui va commercer en Méditerranée, il est loin de se douter de l'odyssée extraordinaire qui l'attend. Le bateau est arraisonné, le jeune Thomas, captif des bandits, est vendu au terrible sultan Moulay Ismaïl, et rejoint les milliers d'esclaves qu'il emploie à la construction d'un palais gigantesque, dans des conditions épouvantables.

Comme beaucoup, sous la torture, il se convertit à l'islam. Mais Pellow, grâce à son ingéniosité et sa vivacité d'esprit parvient, malgré son jeune âge, à attirer l'attention puis l'estime du sultan qui lui confiera la garde de son harem et même des missions militaires. Vingt-trois longues années plus tard, lorsqu'il parvient enfin à s'évader, il sera l'un des rares survivants à pouvoir raconter son histoire. Outre le récit autobiographique de Pellow, Milton a utilisé pour cet ouvrage une documentation exceptionnelle et inédite. A travers des lettres, journaux et documents d'époque, il reconstitue avec sa verve habituelle et un œil clinique d'historien les épisodes troublants de ce commerce singulier, où se mêlent horreurs et malentendus et qui ne prendra fin qu'en 1816.

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Jean-Léon Gérome, 1866, Marché d'esclaves


Contacts
alessandro.stella@wanadoo.fr
botte@ehess.fr

- annonce de cette initiative sur le site de l'EHESS

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Commentaire

site sur l'esclavage médievale

Chers collègues,

je vous félicite de votre présentation. Je suis en train de préparer un projet comparatif sur l'esclavageb_cluse médievale au monde méditerranéen. Pour plus d'information, visitez notre site sur
http://urts96.uni-trier.de:8080/minev/med_slavery
Amicalement,
Christoph Cluse, Université de Trêves (Allemagne)

Posté par Christoph Cluse, mardi 16 janvier 2007 à 16:04

- lien

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- Répertoire des historien(ne)s du temps colonial

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26 avril 2006

La transmission de l'Etat colonial en Afrique (colloque, 28-29 avril 2006)

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Premier tour des élections présidentielles en 2001 au Bénin


La transmission de l'État colonial

en Afrique : héritages et ruptures

dans les pratiques et les technologies

du pouvoir


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28-29 avril 2006

MALD, Centre Malher

9 rue Malher, 75004 Paris (M° St-Paul)

Depuis quelques années, au sein du MALD (Mutations africaines dans la longue durée, UMR 8054), des historiens se réunissent autour d’une réflexion commune sur les modalités pratiques de la transmission de l’Etat colonial en Afrique (TECA), sur les traces des cultures et des techniques administratives et politiques léguées par les colonisateurs à leurs successeurs au moment des transitions à l’indépendance. Au fil des séminaires organisés par le groupe constitué autour de cette problématique et des rencontres qui les ont ponctuées, régulièrement depuis 2002, les attendus du programme de travail initial établi en 1997 ont considérablement évolué. En effet après plus d’une trentaine de séances au cours desquelles des historiens, mais aussi des anthropologues, des politistes ou des juristes, ont pu croiser leurs interrogations et confronter leurs perspectives avec les regards portés par des invités, témoins de l’époque et acteurs de ces passations, le projet a progressé et peu à peu son appropriation par les chercheurs l’a transformé.

Plus qu’un colloque final où l’on voudrait établir le bilan d’une étude arrivée à son terme, la réunion qui sera organisée les vendredi 28 et samedi 29 avril 2006 à Paris devrait permettre une mise en forme rigoureuse de ces changements afin que l’ampleur scientifique du sujet puisse se re-déployer dans les prochaines années. Ce ne sont pas tant les objectifs du programme initial ni ses méthodes qu’il paraît nécessaire de redéfinir, que ses cadres théoriques, chronologiques et disciplinaires qu’il semble utile de redimensionner, au regard des champs d’exploration ouverts par le dialogue de l’histoire avec les autres sciences humaines et sociales et des questions posées par l’engagement mémoriel récent des témoins des décolonisations africaines.


renseignement :
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N'Krumah et les membres
e son cabinet le 8 mars 1957



 

 

 

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23 novembre 2006

Ouvrir l’espace public au passé colonial

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Ouvrir l’espace public au passé colonial


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Samedi, 9 décembre 2006, 105 boulevard Raspail

9h00 Ouverture de la journée
Bogumil Jewsiewicki
titulaire de la Chaire de recherche du Canada
en histoire comparée de la Mémoire


9h15h - 12h30
A. Ouvrir le musée à la colonisation et à la traite des esclaves

9h15 - 10h00
Le Musée royal de l’Afrique centrale : de la présence belge au Congo à l’histoire et à la mémoire de la société congolaise, de Tervuren à Kinshasa
Présentation power point
Sabine Cornelis

10h00 - 10h30
Musée national Nasr Eddin Dinet de Bou-Saâda (Algérie), un lieu de mémoire
Barkahoum Ferhati             - Musée Dinet à Bou Saâda
10h30 - 10h45
Commentaire : François Pouillon
Daghesu, coll. Mus�e d'Abomey
11h00 – 11h30
Palais royal d'Abomey, un lieu de l'actualisation de la mémoire  du traumatisme collectif       - site du Musée historique d'Abomey
Anna Seiderer
11h30 - 11h45
Commentaire : Gaëlle Beaujean-Baltzer

11h45 - 12h15
Discussion


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13h30 - 16h30
B. Temps colonial en patrimoine : faire sienne la modernité attribuée à l’Autre

13h30 - 14h00
Musique congolaise «moderne» des années 1950, quel patrimoine ?
Projet Ndule ya kala au MRAC
Vincent Kenis et Césarine Sinatu Bolya

14h00 – 16h00
Patrimoines mises en image et travail de mémoire ?
Introduction : Donatien Dibwe dia Mwembu et Bogumil Jewsiewicki

Expositions virtuelles :
- Kushiripa, l'art de peindre chez les femmes lamba, réalisée par le Vicanos Club et la Halle de l'Etoile, l’Espace Francophone de Lubumbashi (Ambassade de France en RDC), avec le soutien de l'UNICEF Katanga.
- Paysannes peintres et peintures, photographies de Sammy Baloji et de Gulda El Magambo, montage Vicanos Club avec le soutien de l'Espace Culturel Francophone, (Ambassade de France en RDC) et de l'UNICEF Katanga.

Films :
kushiripa1- Kushiripa, un art féminin, réalisation Douglas Masamuna, production du Vicanos Club avec le soutien de l'Espace Culturel Francophone de Lubumbashi (Ambassade de France en RDC) et de l'UNICEF Katanga,
- Mémoires, réalisation Sammy Baloji (collection privé monsieur et madame George Forrest).
- Violence de la mémoire, mémoire de la violence, Ve édition des “Mémoires de Lubumbashi”, réalisation David Nadeau-Bernatchez

16h00 - 16h30DesFriches
Discussion

16h30
Clôture de la journée
Jean-Paul Colleyn et Eloi Ficquet

Une exposition «Des friches pour mémoire, Katanga industriel» se tiendra du 1er au 8 décembre au 54, bd Raspail, 75006 Paris.


*** Le 8 décembre, au CEVIPOF, 98 rue de l’Université, 75007 Paris, salle Georges Laveau, Donatien Dibwe et Bogumil Jewsiewicki aborderont «Le passé colonial belgo-congolais, patrimoine commun toujours impartageable», une introduction à la seconde partie de la présente journée.



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musée de l'Afrique à Tervuren (Belgique) - site


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musée de l'Afrique à Tervuren (Belgique)


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musée de l'Afrique à Tervuren (Belgique)


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musée de l'Afrique à Tervuren (Belgique)


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9 mai 2006

La mémoire d'un "grand colonial" : Gallieni (Marc Michel)

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La mémoire d'un "grand colonial" :

Gallieni

par Marc MICHEL

 

Patriote, républicain, laïque et colonial, Gallieni (1849-1916) fut à l'unisson de ces modérés qui façonnèrent la IIIe République dans le sillage de Gambetta. Il fut certainement aussi le général qui, jusqu'à la victoire de 1918, atteignit une popularité que seul Boulanger avait égalée. Elle reposait sur le reconnaissance émue que lui témoigna le petit peuple de Paris dont, aux heures les plus sombres de 1914, il avait galvanisé la résolution et dont il avait partagé le sort.
Si l'on retient l'image du gouverneur militaire de Paris au visage sévère derrière ses lorgnons, on doit tout autant retenir celle du jeune homme ardent qui piaffait de s'enfoncer au cœur de l'Afrique et se prit d'une véritable fièvre d'écriture que celle de l'homme mûr prenant plaisir aux joies familières au milieu des siens. Esprit moralisateur mais jamais étroit, il incarna à sa manière l'honnête homme de la IIIe République, belle illustration des vertus de la "méritocratie" du temps.

(extrait de la quatrième de couverture du livre de Marc Michel)

 

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Joseph Simon Gallieni, 1849-1916

 

La mémoire d'un "grand colonial"

Marc MICHEL

[à côté des militaires qui, les premiers, revendiquèrent la mémoire de Gallieni], les plus hautes autorités académiques ne demeurent pas en reste au moment de l'Exposition coloniale pour célébrer le "pacificateur de peuples" : Grandidier en 1931, Hanotaux en 1932. Un moment, la mémoire du colonial se superposa à celle du soldat de la Grande Guerre, sans l'estomper. À trois reprises, en effet, la presse célébra la mémoire du colonial.

En pleine Seconde Guerre mondiale, d'abord, pour ses souvenirs du Tonkin, parus en 1941. Cet hommage d'époque se teintait d'une certaine ambiguïté, tant il s'agissait surtout, pour certains, par l'exemple de Gallieni, de stigmatiser "l'indécision" des gouvernants de la IIIe République rendus responsables du désastre de 1940. L'occasion se présentait aussi d'exciter la fibre anglophobe de beaucoup, comme le confirme la parution au même moment de plusieurs biographies de Marchand rappelant "la honte de Fachoda" aux esprits trop ouverts aux séductions de Londres. Curieusement, à la même époque, Jean Gottmann, un Français émigré aux Etats-Unis, professeur de géographie à la Sorbonne avant la guerre, publie à Princeton la première étude sérieuse montrant la continuité de conceptions militaires de Bugeaud à Lyautey par l'intermédiaire de Gallieni. Peut-être beaucoup de jeunes officiers coloniaux des années 20, dont ils étaient les pères spirituels, "devront-ils être crédités d'une éventuelle influence dans les décades à venir", remarquait le nouveau professeur à Princeton, en plaçant Catroux, Noguès… et Giraud dans le même héritage !
La seconde occasion, nous la trouvons, aux lendemains immédiats de la Seconde Guerre mondiale, quand la41_1_sbl "reprise du rang" de la France commandait de reconstruire l'Empire sur de nouvelles bases. Dès 1945, le gouverneur général Robert Delavignette, bientôt directeur des Affaires politiques de la France outre-mer, et Charles-André Julien, déjà connu pour ses travaux sur l'Afrique du Nord et ses engagements militants, décidèrent la publication d'une anthologie des "Constructeurs de la France d'outre-mer". Charles-André Julien y fit la louange de "l'œuvre de Gallieni".

 

La même année, le grand géographe Pierre Gourou consacrait une vingtaine de pages à celui qui montrait par son œuvre que "le colonisateur a plus de devoirs que de droits" dans un volume d'une autre collection "impériale", les Techniciens de la colonisation, également dirigée par Charles-André Julien. Gallieni est redevenu d'actualité. Après la conférence de Brazzaville et dans ces débuts de l'Union française, c'est avant tout l'homme du réalisme intelligent, souple, humain, qu'on entendait exalter, celui chez qui "la colonisation qui est entrée dans une ère nouvelle", pour reprendre la formule de Charles-André Julien, pourra trouver un "maître à organiser", des méthodes et un modèle.

gallieni22Le centenaire de la naissance de Gallieni, à Saint-Béat, fournit la troisième occasion de célébrer la mémoire et l'œuvre du "grand colonial". La France était une nouvelle fois engagée en Indochine. Le Monde publia alors, sous la plume d'Edmond Delage, une chronique où les anciens principes de la pacification par la "tâche d'huile" étaient invoqués comme modèles toujours valables : "Les temps ont changé, les moyens matériels ont été révolutionnés par la technique. La règle conserve toute sa valeur", concluait l'auteur. Mais, a contrario, Gallieni servit aussi de caution à l'adversaire qu'on espérait réduire, au cours de cette même guerre. La première édition de Gallieni au Tonkin, en 1941, contenait une phrase explosive, à la fin de son second chapitre : "J'ajouterai que, sans tenir compte des pertes des partisans, je me suis toujours efforcé de les lancer en avant pour ménager nos propres troupes ; la colonne n'a eu qu'un mitrailleur blessé et deux morts de maladie". Elle ne fut pas supprimée dans la seconde édition, en dépit de certains avertissements, ni dans les extraits publiés en 1949 par le gouverneur Paul Chauvet, ancien résident à Lang Son. Celui-ci avait même ajouté une note expliquant que c'étaient les débris des bandes organisées par les Japonais, et détruites dans la région par des colonnes concentrique en décembre 1940, qui avaient constitué plus tard les premiers éléments du Viêt Minh. Celui-ci l'avait bien remarqué, de même qu'une autre phrase que Gallieni aurait prononcée devant le ministre André Lebon, en 1895, à la veille de son départ pour Madagascar : "Il faut emmener les légionnaires là où l'on meurt…" Aussi, le Viêt Minh, passé maître dans l'art de la propagande, sut-il utiliser ces atouts dans ses tracts de 1951, qui incitaient les légionnaires et les partisans à déserter. L'Histoire procède à des retournements imprévus.

Dans la France de 1949, cependant, le "doute colonial" n'est encore qu'en germe et n'atteint que peu d'esprits. Cette année-là, deux anciens gouverneurs passés au "métier d'historien", Paul Chauvet et Hubert Deschamps – celui-ci professeur à l'Institut d'études politiques de Paris – présentèrent les "écrits coloniaux" de Gallieni, sous le titre de Gallieni pacificateur. L'ouvrage entrait dans une collection, encore patronnée par Charles-André Julien, dont l'intitulé était bien l'affirmation d'une continuité : "Colonies et Empires". Gallieni y prenait place dans la galerie des "classiques de la colonisation" aux côtés de Faidherbe, Bugeaud, Pavie et Ferry, après Richelieu, Colbert et l'abbé Raynal, le défenseur des colonisés. L'esprit de renouveau n'était pas l'esprit de rupture.

D'ailleurs, beaucoup de colonisés honoraient toujours la mémoire de Gallieni. Il est remarquable, parreine_ranavalo3 exemple, que la famille royale de Madagascar exilée continua à entretenir des relations affectueuses avec la famille Gallieni, au moins jusqu'à la mort de la princesse Marie-Louise Ranavalo, nièce de la reine déchue, en janvier 1948 ; et que de nombreux Malgaches se soient longtemps réclamés de l'héritage de leur vainqueur. Le réveil de l'ancienne légende de Gallieni, celle du général Maziaka, c'est-à-dire "le Cruel", paraît bien avoir caractérisé une prise de conscience fort postérieure.

Peut-être encore plus significatifs furent les hommages réitérés d'un des hommes politiques les plus en vue de la nouvelle Afrique qui s'éveillait au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le fdabo1député du Soudan Fily Dabo Sissoko. En 1949, à propos des campagnes de Gallieni dans le haut Sénégal et le Niger, il s'écriait à la fin d'un vibrant hommage prononcé à Saint-Béat : "Gallieni n'est pas un César. Il ne mourut pas en César. Mais comme César, il a mérité devant l'Histoire le titre de fondateur d'Empire". Discours de circonstance, dira-t-on. Peut-être, mais propos sincère auquel un des chefs politiques de l'Afrique noire "française" tenait encore en 1961, autant qu'en 1949.

mad21Le souvenir du colonial s'estompait cependant alors dans le lointain d'un passé qui paraissait bien révolu et qu'on enfouissait dans le tréfonds d'une mauvaise conscience que les drames de la décolonisation avait engendrée. (…)

les Colonies. Certes, des considérations matérielles, prosaïques et très personnelles, l'y retinrent peut-être plus qu'il n'aurait souhaité. Mais les carrières militaires outre-mer n'offraient guère d'avantages et, par contre, beaucoup de risques pour la santé. Elles n'attirèrent jamais à l'époque qu'une minorité d'officiers, et la plupart parce qu'ils n'avaient pas le choix. Cependant, pour Gallieni, les colonies furent bien autre chose. Il s'y lança à corps perdu, dans son désir de "revanche" après l'humiliation de 1870. Il y trouva surtout la vraie réalisation de lui-même par l'action. Celle-ci, au cœur de l'aventure coloniale, fut bien une sorte de sublimation d'une pulsion que la vie monotone, terne, de l'officier de garnison en métropole ne pouvait satisfaire. Mais cette action ne fut pas seulement une action militaire ; l'action "civile" s'empara de lui tout autant, le posséda.

On a retenu longtemps que la première, parce qu'on était convaincu qu'elle offrait des recettes ; la "pacification", "tâche d'huile", etc., quitte à les accommoder aux exigences du moment. Après tout, le quadrillage, le regroupement des villages, l'armement des partisans, la connaissance intime des populationslv000622 et l'action psychologique constituent des nouvelles versions des méthodes que Gallieni avait perfectionnées au Soudan, au Tonkin, puis à Madagascar. D'ailleurs, quand on en prit conscience, on s'y référa. Ces méthodes, Gallieni n'en fut tout de même pas l'inventeur exclusif. Un Pennequin les expérimenta avant lui. Le rôle de Gallieni consista surtout à les systématiser, les théoriser et les publier. On put s'en inspirer plus tard. Mais les conditions avaient changé ; là où elles avaient réussi en 1894 ou 1896, elles devaient échouer en 1950. Objets d'histoire, elles n'ont plus pour beaucoup qu'un intérêt rétrospectif.

gallieni_t_te_nueLe bilan de l'action "civile" telle que la pratiqua Gallieni est plus actuel, pas ses séquelles et ses héritages, au moins à Madagascar.

Gallieni voulut construire un État. Le seul modèle qui lui paraissait valide était celui de son propre pays et il entendait réaliser, à sa manière, le "double mandat" prôné plus tard par le célèbre administrateur colonial britannique, lord Lugard : "Que l'Europe est présente en Afrique pour le bénéfice commun de ses classes industrieuses et des populations indigènes dans leur progression vers un plus haut niveau ; que le bénéfice peut être réciproque, et que le but et le désir d'une administration civilisée sont d'accomplir ce double mandat". Il y aurait beaucoup de mauvaise foi à accuser Gallieni d'hypocrisie ou de le blâmer de tant de naïveté. Les temps étaient ainsi. Il y a plus de fondement à lui reprocher des négligences de commandement, ou plutôt du contrôle de l'autorité subalterne, une théorie abstraite et pernicieuse de "l'impôt moralisateur", une certain dureté. Mais on ne saurait prendre au pied de la lettre le procès en "erreurs et brutalités coloniales" que lui intentèrent ses ennemis, Augagneur, Jean Carol ou Vigné d'Octon.

Ce qu'il légua à Madagascar est finalement le plus décisif, qu'on le juge bon ou mauvais. Une réalité d'abord : la fin de la monarchie et l'instauration d'un État républicain, laïque et rénové. Un bouleversementtananarive_courrier des structures sociales et aussi l'unification des ethnies et des régions, qui constituèrent une véritable révolution et la condition préalable d'une prise de conscience nationale. Enfin, une tentative et un projet de construire les bases d'une économie nouvelle, capable d'un démarrage autonome. Il se heurta là à l'indifférence d'une métropole égoïste, aux appétits des colons et des affairistes de tout poil, autant qu'aux difficultés de tout pays sous-développé. Quoi qu'il en fut, son action coloniale, ce fut aussi, dans un monde en crise, une accélération décisive de la "modernité".

Ce terme, fort imprécis au demeurant, peut, certes, être rejeté au nom des valeurs "traditionnelles" de la société qu'elle a bouleversée en lui imposant le modèle de l'Occident. La réalité moderne ne peut naître que d'une revendication de cette même "modernité" par ceux qui en furent tout à la fois les victimes et acteurs. Gallieni le comprit fort bien quand il fit appel aux Hovas vaincus pour reconstruire l'État à Madagascar. Il n'exclut même pas que ce grand choc puisse permettre la naissance d'une conscience nationale malgache. Mais, évidemment, il se trompait lorsqu'il croyait qu'elle se constituerait seulement dans l'allégeance à la puissance coloniale.

Marc Michel, Gallieni, Fayard, 1989, p. 319-326.

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Marc Michel, agrégé d'histoire, ancien élève de l'école normale supérieure, a enseigné l'histoire coloniale, professeur émérite à l'université de Provence (Aix- Marseille)

- Décolonisation et émergence du tiers-monde, Hachette-Supérieur, 2005.

- Jules Isaac : un historien dans la Grande Guerre - Lettres et carnets, 1914-1917, Armand Colin, 2004.

- Les Africains et la Grande Guerre : l'appel à l'Afrique (1914-1918), Karthala, 2003.

 

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6 novembre 2006

journée d'études "les administrations coloniales" (Samya El Mechat)


journée d'études

"les administrations coloniales"

Samya EL MECHAT



Institut d’Histoire du Temps présent
Groupe de recherche : « Les administrations coloniales»

Le 6 novembre 2006

Cher(e) Collègue,

Dans le cadre du groupe de recherche «Les administrations coloniales», l’Institut d’Histoire du Temps présent organise le 3o mars 2007 une journée d’études sur le thème des administrations coloniales.

Vous trouverez ci-joint une présentation du projet de recherche ainsi que les axes d’études qui ont été retenus pour cette journée.

Si ce sujet vous intéresse, nous vous prions de bien vouloir nous envoyer avant le 20 novembre 2006, une proposition de contribution sous la forme d’un titre et d’un bref résumé.   

Nous vous remercions de votre collaboration et vous adressons nos cordiales salutations.

Samya El MECHAT
Anne-Marie PATHE
Malika RAHAL

s.mechat@wanadoo.fr
anne-marie.pathe@ihtp.cnrs.fr
rahal@ihtp.cnrs.fr

Les administrations coloniales


Objectifs du groupe

Le groupe réunira un certain nombre d’enseignants-chercheurs, de chercheurs, de chercheurs associés et de doctorants qui souhaitent travailler ensemble sur un thème en histoire coloniale à l’époque contemporaine, le thème choisi se limitant au Maghreb et à la Méditerranée orientale. Les échanges au sein du groupe permettront d’améliorer les résultats du travail de recherche individuel en créant un cadre propice à la comparaison et à la confrontation sereine des différentes approches.

Le choix du thème - les administrations coloniales - est né des premières discussions entre les initiateurs de cette démarche. Celle-ci est largement ouverte à d’autres collaborations scientifiques de chercheurs désireux de mettre en commun leurs travaux.

L’approche historique constituera l’instrument privilégié pour comprendre et développer la problématique retenue. Mais la réflexion s’appuiera sur l’apport d’autres disciplines comme la sociologie, le droit, la science politique, etc.


Présentation du projet de recherche

Historiens du droit, juristes, sociologues, philosophes et anthropologues ont pensé et repensé le concept de l’Etat. Les uns et les autres ont explicitement construit des théories de l’Etat, défini la notion même d’Etat et la signification que le concept peut revêtir en fonction des contextes, des champs théoriques, voire des idéologies.

C’est sans doute la relative absence de travaux historiques qui nous conduisent à vouloir aborder l’administration coloniale et ses pratiques avec les outils de l’historien. Sans exclure les apports des autres disciplines dont la contribution aide à poser la problématique d’ensemble, l’approche qui est proposée laisse de côté la vision théorique et abstraite de l’Etat pour s’attacher à l’étude de l’administration coloniale.

Dans le champ de réflexion qui est le nôtre, nous retiendrons surtout que l’Etat n’est pas seulement une entité abstraite, mais qu’il fonctionne aussi comme un lieu de pouvoir et de commandement, tant stratégique qu’opérationnel. Cette ambivalence est fondamentale. Un Etat ne peut exister véritablement sans l’intervention d’un élément central dans l’affirmation de la puissance étatique : l’administration, ensemble complexe, ordonné autour d’un principe d’efficience, s’étendant à tous les domaines de la vie collective et de celle des individus. L’administration est au cœur de l’Etat, c’est elle qui assoit son pouvoir et lui fournit en temps de paix les moyens de sa puissance, comparable à celle que l’armée lui assure en période de guerre ou de tension. Selon l’expression de Jacques Ellul, elle donne à l’Etat « une ubiquité impressionnante ». Au sens complet du terme, il n’y a d’Etat que lorsque le système d’encadrement de la nation, d’organisation et de coordination des grandes fonctions de l’Etat est assuré par un corps ordonné et obéissant aux ordres de l’Etat. 

Cependant cette vision de l’administration omnipotente et centralisée correspond sans doute davantage à un idéal-type qu’à une formation sociale observable. En effet, l’étude des pratiques administratives montre que, si cette forme d’organisation est bien repérable, à l’époque contemporaine, la construction administrative reste un processus singulièrement lent, dont le développement est rarement linéaire. Certes l’administration transmet et fait exécuter les ordres de l’Etat, mais elle sait aussi les adapter aux nécessités des populations concernées, voire parfois prendre quelque liberté avec les orientations et les directives données pour suivre des objectifs qu’elle-même se donne. Au-delà des limites humaines et structurelles, les administrations doivent compter avec des comportements culturels et des inclinations sociales et politiques solidement ancrés dans les sociétés qu’elles ont pour mission d’encadrer. Ces limites sont une dimension importante pour la compréhension de l’action de l’administration.
   
Pour approfondir la réflexion, notre démarche combinera, dans une perspective comparée, des travaux portant sur le rôle de l’administration dans les processus constitutifs de l’hégémonie impériale (France, Angleterre, Espagne, Italie). Elle fera place à l’étude de divergences, voire d’oppositions dans les conceptions et les pratiques administratives mises en œuvre par les puissances coloniales.

Une analyse comparative des structures et des pratiques administratives des puissances coloniales européennes permettra d’aborder la nature des liens entre les métropoles et les territoires qui leur sont rattachés. Les pratiques britanniques tenues pour «libérales» s’opposent-elles vraiment au «tout-Etat colonial» français ?

L’étude de l’administration coloniale française est particulièrement significative, car elle repose sur une illusion, une fiction. Hors de ses frontières, la France répète l’expérience intérieure par la diffusion des mêmes principes d’organisation, et elle impose partout le même moule français (Pierre Legendre). L’objectif est en effet de souder fortement à la métropole les territoires situés hors des frontières nationales, et d’en faire des éléments d’un même ensemble.

Cette volonté d’instaurer la suprématie de la métropole fait surgir une situation paradoxale et conflictuelle qui, au total, dessert l’entreprise de domination plus qu’elle ne vient la servir. La réflexion de Chailley-Bert, député de 1906 à 1914, patron de l’Union coloniale et rapporteur du budget des Colonies, «c’est une chose très singulière que nos colonies, qui ont tant de rouages administratifs, manquent d’institutions», illustre parfaitement les contradictions du système. A la différence des structures administratives ou des rouages, dont elles sont largement pourvues, les colonies manquent d’institutions, c’est-à-dire d’instances de «médiation» (Pierre Legendre), de lieux de représentation. Bien évidemment, cette lacune fondamentale n’a rien de fortuit : l’existence d’institutions impliquerait une pluralité d’acteurs, qui est jugée incompatible avec la domination coloniale. La formule de Chailley-Bert amène aussi à s’interroger sur la nature véritable et la capacité de l’administration coloniale à prévenir les risques et à promouvoir l’émergence d’une société égalitaire.

Quatre thèmes sont proposés pour guider la réflexion :

1. La centralisation, pierre angulaire de tout l’édifice administratif. Est-ce la métropole qui fait la loi, gouverne et administre ou s’agit-il plutôt d’un Etat centralisé aux pratiques administratives multiples ?  L’étude des différentes formes de la puissance étatique et les conditions de leur réception au niveau des sociétés colonisées offrent sur ce plan de nouvelles perspectives de réflexion. 

2. L’assimilation et/ou la subordination. Seront abordées la substitution d’un mode de penser à un autre (organisation administrative, justice, régime foncier…), la formation et la prépondérance des élites administratives et des fonctionnaires coloniaux (l’école coloniale), l’intégration des structures locales traditionnelles ou préexistantes et leur conversion en appareils subalternes de contrôle des populations soumises (protectorats tunisien et marocain).

3. L’évocation des dérives et des paradoxes du «tout-Etat colonial» ne permet pas seulement de rendre compte, toujours dans une démarche comparative, de l’entreprise de domination, mais aussi de mettre en perspective les objectifs contradictoires du système colonial. Ce thème traitera notamment du rôle et de l’action des institutions et des structures administratives de la métropole, du statut des personnes, et des législations spécifiques aux territoires sous tutelle.

4. Le rôle de l’administration coloniale dans le transfert des structures de l’Etat moderne (délimitation de frontières, système juridique calqué sur les concepts métropolitains, fonctionnariat). L’apport de l’histoire coloniale comparée à la connaissance générale des formations des «nouveaux Etats» sera privilégié. Dans cette perspective, l’étude des interactions entre pouvoir colonial et organisation politique et administrative des Etats post-coloniaux nous paraît intéressante.


Programme d’activités

Une première journée d’études sera organisée le 30 mars 2007. Deux axes ont été définis pour cette journée :
- L’état de l’historiographie
- Les structures et les acteurs de l’administration coloniale


Une deuxième journée d’études est prévue à l’automne 2007 ainsi que la préparation d’un ouvrage sur les administrations coloniales.

Samya El MECHAT
Professeur des universités-UNSA
Chercheur associé-IHTP


siege11
Le siège de l'administration coloniale
Ensemble architectural construit à la fin du XIXe siècle
par Victor Ballot, premier gouverneur de la colonie du Dahomey,
au coeur du palais pour marquer sa domination sur le royaume fon.
La résidence et le bloc administratif de cet édifice colonial
servent aujourd'hui de cadre d'exposition des bas-reliefs découpés et restaurés.
(source : Musée historique d'Abomey)


 

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- Répertoire des historien(ne)s du temps colonial

6 décembre 2006

Le Havre colonial (Claude Malon)

Diapositive1

 

Le Havre colonial du XXe siecle,

une identité oubliée.

Résultats et enjeux d'une enquête à l'échelle locale

Claude MALON


Il ne s’agit pas ici d’inscrire dans le cycle de conférences consacrées au colonialisme, une page locale dans le but de flatter une image de marque de notre ville entretenue autour de la «maritimité», même s’il est vrai que le maritime et le colonial se confondent souvent. Il ne s’agit pas non plus de régler des comptes avec un colonialisme havrais qui serait pire ou meilleur que d’autres. Nous sommes d’autant plus éloignés d’une intention d’être à la mode que cette recherche sur Le Havre colonial de 1880 à 1960 a été achevée, provisoirement si l’on peut dire, en 2001 (1), bien avant que l’actualité ne souligne l’importance de cette «fracture coloniale» qui occupe aujourd’hui le champ politique et idéologique, jusqu’à mettre en danger la liberté même de l’historien.

Cette actualité me conduira cependant à m’interroger à nouveau sur ce travail tout en exposant ses résultats. Plutôt qu’un résumé linéaire de ma thèse, je choisirai donc ici d’en aborder la présentation sous trois angles d’attaque, d’en préciser les enjeux en essayant de penser le sujet en trois étapes. Le premier temps de cet exposé, factuel et analytique, parlera du Havre comme observatoire et laboratoire de la France coloniale au cours de la seconde colonisation. Le deuxième volet sera une réflexion sur le Havre colonial comme objet d’histoire, de mémoire et d’oubli, donc une approche plus épistémologique. La troisième partie, plus déontologique, envisagera l’histoire du Havre colonial comme histoire en situation, en tentant de trouver dans cette histoire elle-même les arguments de la résistance à l’instrumentalisation.

 

I – Le Havre, observatoire et laboratoire

de la France coloniale entre 1880 et 1962

Le Havre a-t-il été au XXe siècle une capitale coloniale comparable à Marseille ou Bordeaux ? Deux raisons rendent la question pertinente : un retard historiographique net par rapport à ces deux villes, une représentation spontanée du Havre colonial surtout comme port négrier du XVIIIe siècle. La tentative de reconstruire le Havre de la deuxième expansion coloniale s’est nourrie, outre les archives classiques,  des archives des colonies à Aix-en Provence, des archives de la Chambre de commerce, d’archives privées et d’entretiens avec des acteurs du négoce. Récapitulons brièvement les résultats de l’enquête dans trois domaines : les échanges maritimes, les entreprises coloniales, le contenu et la circulation de l’idée coloniale.

Les échanges du Havre avec l’outremer colonial français atteignent au maximum 12% du tonnage. Mais en valeur, c’est beaucoup plus : 28% de la valeur totale des importations à l’apogée, en 1937. La performance du deuxième port impérial de la France est encore plus significative si l’on souligne le leadership du Havre, en général les deux tiers ou les trois quarts des importations coloniales de la France, pour les produits chers, cacao, café, rhums, bois exotiques, cotons et bien d’autres. Le Havre est le port impérial de l’Afrique noire, très lié à la Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Gabon. Il est le port impérial de Madagascar mais beaucoup moins de l’Algérie ou de l’Indochine. Le recours aux réservoirs coloniaux de «produits» ou «commodités» se fait systématique sous l’effet de deux facteurs économiques essentiels, le désordre monétaire issu de la Grande guerre (l’économie de devises impose de «travailler chez soi», c’est-à-dire avec son Empire) et le privilège colonial, c’est-à-dire la protection douanière qui rend par exemple le café brésilien plus cher en métropole que les cafés ivoiriens et néo-calédoniens, souvent moins bons à cette époque. L’une des réussites les plus spectaculaires est l’importation des bois coloniaux, non protégée par le privilège douanier. Le Havre représente dans ce secteur dix fois le trafic marseillais, et son seul concurrent est Hambourg, des années vingt aux années soixante.

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Dans le domaine des entreprises, les acteurs de l’échange sont nombreux (2). En huit décennies, près de 350 entreprises à capitaux havrais ou externes, négoce de place, transport, mise en valeur à la colonie ont agi. En 1930, 200 unités vivent de l‘économie coloniale dont 50% sont des entreprises portuaires de place, d’import-export.16% sont des entreprises «à la colonie». à côté d’une nébuleuse de maisons souvent familiales, sur la place, au petit capital de 1 à 2 millions de francs valeur 1938, quelques grands du négoce autochtone approchent ou dépassent les 40 millions de francs de chiffre d’affaires à la veille de la guerre comme Ancel, Raoul Duval, la Compagnie cotonnière (3). L’organisation en réseau est capitale. De grands entrepreneurs d’empire, agissant en réseau, ont des participations au capital d’entreprises externes au Havre, comme Georges Raverat en Indochine ou Hermann du Pasquier dans la boucle du Niger. Après 1945, une dizaine d’entreprises de négoce havraises se font conquérantes en Afrique de l’Ouest et réussissent à «tuer» le département café ou cacao de très grandes sociétés de traites des produits comme la SCOA ou la CFAO.

Ces pratiques sont en interaction avec des doctrines et des croyances, ce que l’on appellera par commodité l’idée coloniale (4). Tout cela favorise le prosélytisme en faveur de la «foi coloniale» que les élites cherchent à répandre. Il est impossible de mesurer l’impact réel de cet effort sur les mentalités et de prétendre reconstituer l’imaginaire colonial havrais. On peut décrire en revanche le développement d’un appareil colonial à la fois banal et original. On trouve ici comme dans beaucoup de villes une société de géographie commerciale (1884), une Ligue coloniale (1908). Mais on y remarque également, chose plus rare, une Société d’aide et de protection aux colons (1898) une Ecole pratique coloniale (1908), ancêtre de l’Istom, un Institut colonial (1929).

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général Archinard, né au Havre
1850-1932

Les traces de la culture impériale sont aujourd’hui à demi-effacées : le culte des conquérants enfants du pays dans les années trente, comme le général Archinard qui «donna le Soudan à la France», Belain d’Esnambuc qui lui «donna les Antilles», le culte des produits coloniaux (Temple du bois d’Albert Charles (5), décorations de l’ancienne gare du Havre), les collections ethnographiques (Collection Archinard, Le Mescam (6)) associant la curiosité scientifique à la légitimation de la conquête, le projet de 1937, renouvelé en 1949, d’une exposition coloniale internationale au Havre. Les efforts des élites locales pour constituer une identité coloniale ont été intenses entre la Grande Guerre et la Table Rase.

Les lacunes d’une pareille enquête, autant que les résultats, conduisent le chercheur à s’interroger sur la manière dont on fait cette histoire-là. Il s’agit d’aborder maintenant la mémoire du Havre colonial comme objet d’histoire, de se préoccuper d’épistémologie, mais dans un corps à corps avec la matière même de cette de recherche.

 

II- La mémoire du Havre colonial, objet d’histoire

Parlons d’abord de la mémoire comme source ou ressource pour l’historien du Havre colonial et laissons de côté pour l’instant la mémoire comme opposition ou substitution à l’histoire scientifique. De quelle mémoire s’agit-il ? Pas uniquement des souvenirs que des témoins exprimeraient aujourd’hui de ce temps là mais aussi des mémoires de groupe ou d’individus telles qu’elles s’exprimaient dans le passé, des mémoires révolues ou plutôt «ayant été». Comment se souvient-on par exemple en 1960 de l’activité coloniale du Havre de la «Belle Epoque» ou des années Trente ?

Voici un exemple de «mémoire d’époque» à prendre non comme argent comptant ou vérité historique, mais comme document appelant examen critique. En 1964, dans la revue Marchés Tropicaux, ancienne revue Marchés Coloniaux le directeur du port autonome parle des relations du Havre avec l’Afrique depuis le début du XXe siècle (7). Il affirme que le Havre n’a jamais été un port colonial, qu’il fut seulement, à la différence de Marseille ou Bordeaux, un port tropical. Ses homologues des années 1930 parlaient pourtant avec fierté de la «porte impériale» de la France. Une révision de l’identité économique s’opère au Havre au moment de la décolonisation. Comment interpréter cela ?

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Le Havre, l'entrée du port

 

Parler d’hypocrisie nous priverait de comprendre. La nouvelle identité ainsi proclamée résulte d’un projet stratégique sérieux, que l’on peut facilement expliquer par la volonté d’adresser un message aux partenaires africains en se présentant comme moins colonisateurs que les concurrents dans le passé, dans la tradition ou la vocation. Il y a dans cette démarche à la fois de la mémoire et de l’oubli. L’auteur néglige quelques pages peu glorieuses de l’histoire des Havrais aux colonies, sa mémoire du négoce, qui se veut histoire, est sélective, mais son argumentation sur les spécificités havraises n’est pas vraiment fausse, on y reviendra, et on ne peut la juger vraiment que si l’on combine l’histoire politique et l’histoire économique et entrepreneuriale. La mémoire est en évolution permanente et «inconsciente de ses déformations successives», nous rappelle Pierre Nora (8).

Allant dans le même sens, en 1958, un courtier en cafés, Jean Colchen, s’élevait contre la politique commerciale de la France qu’il accusait de «colonialisme périmé». De quoi s’agissait-il ? De la garantie d’un prix trop élevé accordé aux producteurs de café des TOM qui empêchait le marché libre de se développer. Son anticolonialisme est avant tout un cartiérisme (9), et dans ce cas c’est l’oubli qui est manifeste, car les négociants en café, celui-là compris, n’ont pas toujours protesté, bien au contraire, contre les diverses formes du privilège colonial qui maintenait les marges hautes pour les importateurs. Les identités des communautés sociales, culturelles et professionnelles, mises en conflit ou en contact par la colonisation, ici ou là-bas, ne sont pas éternelles. Elles sont polymorphes et malléables. Les identités sont des agencements de l’imaginaire qui se reconfigurent sous l’effet des conjonctures. C’est dire que pour l’historien les traces de l’imaginaire et la mémoire sont bien des documents à traiter comme sources plutôt qu’à considérer comme vérité pérenne.

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Coopérative indigène de café de Dschang (Cameroun). Les sacs prêts à partir (Caom)

La mémoire comme source est évidemment utile mais elle est avant tout une mémoire d’individus. Une vingtaine d’acteurs du négoce colonial havrais ont nourri cette enquête. Leur contribution, constitutive d’archive orale, permet de mieux comprendre, par exemple, la captation du café et du cacao de Côte d’Ivoire et du Cameroun des Maisons Raoul-Duval, Interocéanique, Hubert, les réseaux d’exploitation des bois coloniaux de la Maison Charles. Ces entretiens ont éclairé les méthodes commerciales qui ont permis aux «maisons» Ancel et Raoul-Duval de capter à elles deux 17% du café et du cacao de Côte d’Ivoire et du Cameroun à la fin des années 1950, de comprendre ce que signifiait «faire l’intérieur», «tuer les sociétés coloniales», faire du «marché de place».

Le témoignage oral est information, validation, il confirme ou infirme d’autres sources. Peut-on dire pour autant qu’il existe une mémoire collective du  négoce portuaire? On peut en douter. Certains dirigeants d’aujourd’hui ne connaissent pas les activités principales de leurs aînés dans l’entreprise. Aucun des anciens négociants interrogés n’avait en mémoire l’Institut colonial du Havre, créé en 1929, véritable syndicat colonial qui mettait en relation d’affaires les acteurs économiques et les chambres de commerce de France et des colonies, et qui comptait plus de 300 adhérents. Quant à la participation de personnalités comme Ernest Siegfried, Georges Raverat, Henri Génestal à l’économie de pillage dans le Congo des sociétés concessionnaires entre 1899 et 1920, elle n’a jamais été visible au regard du citoyen. Dans ce cas, ce n’est pas seulement de l’oubli, ni du refoulé, mais du caché. Hors ce cas extrême, le projet d’exposition coloniale internationale sera connu de plus nombreux havrais grâce à des publications récentes (10), mais dans ce cas il s’agira de mémoire historique, et non de mémoire collective «de première main». La mémoire collective n’est pas un esprit saint qui plane au-dessus de la cité (11) et qui descend quant on le convoque. Ce que l’on désigne ainsi est plutôt un corpus de représentations, un imaginaire qui tend à mythifier les agencements les plus commodes en fonction des rapports de force.

 

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la Bourse du Havre

Si l’on ne peut mesurer véritablement l’audience des idées coloniales, on peut en revanche en préciser la nature grâce aux traces de la croyance. La presse havraise des années de l’apogée impérial affirme la légitimité de l’exploitation des colonies, la nécessité de la «foi coloniale». Elle répète des concepts d’époque comme le «mécanisme colonial» (12) dont Le Havre serait une pièce irremplaçable. Ces traces publiques et visibles valident les sources manuscrites originales plus secrètes, comme les rapports sur les sociétés coloniales que l’on trouve au Centre des archives d’outre-mer à Aix-en-Provence ou aux archives de la Banque de France à Paris. Ce temps ou malgré une opposition anticoloniale marginale et courageuse, la certitude de «bien faire en colonisant» le partage à l’indifférence de l’opinion, c’est celui où une brochure de l’Institut colonial du Havre, en 1934, présentait en exergue cette devise : «jamais avant nous les populations coloniales n’avaient connu l’indépendance» (13) ! Devons-nous rire de cette formule, en avoir honte pour ses auteurs, ou bien faire de cette croyance un sujet d’histoire ?

Dans ces années-là, certains ont soutenu le travail forcé tel Georges Raverat, président de la Chambre de commerce, d’autres ont été des médiateurs humanistes comme Gilbert Vieillard, administrateur ethnologue. Cet effort de discernement n’est guère à la mode en ce moment et me conduit à aborder un autre aspect de la question. La mode, l’actualité, la «situation» nous sommeraient plutôt de nous transformer en professeur de morale pour prononcer le globalement positif ou l’intégralement négatif de la colonisation. Tous les historiens sérieux refusent aujourd’hui de se laisser piéger dans cette alternative. Le Havre colonial peut être, là aussi, un support à l’exercice de l’esprit critique sur l’histoire en situation.

 

III - Le Havre colonial du XXe siècle,

une histoire en situation au début du XXIe

Un retour vers une réflexion plus générale est nécessaire avant de revenir sur le terrain de l’histoire locale. Qu’appelle-t-on histoire coloniale ? Peut-on la réduire à une histoire du colonialisme ? En quoi met-elle particulièrement en jeu la question des rapports entre mémoire et histoire ? L’histoire coloniale de la France a constitué longtemps un genre spécifique, marginalisé et plutôt méprisé d’ailleurs, les «écuries de la Sorbonne», chargée d’une mission de justification des conquêtes et d’une ethnologie descriptive. En devenant l’histoire de la France coloniale, elle permettait du même coup une histoire autonome des Etats indépendants, et une véritable histoire du rapport entre Empires et colonies, incluant le pré et le post-colonial (14).

Cette «histoire coloniale critique» fait appel, du moins au stade des synthèses, à tous les champs de l’histoire. Elle est aujourd’hui pluridisciplinaire. On ne peut en effet dresser un bilan de la colonisation à partir du seul type algérien de colonisation, ni à partir de la seule mise en série des crimes coloniaux, ni à partir d’un florilège de discours racistes (15), encore moins à partir de la seule mémoire recueillie des acteurs de la guerre d’Indochine ou de la guerre d’Algérie. Il faut la saisir comme un rapport où le regard sur l’Autre s’inscrit dans une historicité, dans des configurations où jouent des facteurs économiques, sociaux, culturels, idéologiques. Le travail de l’historien s’inscrit lui aussi dans une historicité, car chaque époque a tendance à imposer ses points de vue à l’écriture de l’histoire. Cette historicité, nous l’appellerons «situation». L’historien sent bien l’effort qu’il doit faire pour ne pas se laisser intoxiquer par les sources, par sa propre subjectivité, par la configuration intellectuelle du moment. L’enracinement social ou politique de l’histoire coloniale est particulièrement visible en ce moment.

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les docks au Havre - source

Il nous faut donc dire un mot de la mémoire non plus comme source ou ressource pour l’historien, mais en tant qu’elle peut être utilisée contre l’histoire par les entrepreneurs de mémoire de manière à modeler, formater un devoir de mémoire dans le but de soutenir un projet idéologique. Au début de cette recherche sur le Havre colonial, vers 1996-1997, la «situation» semblait se résumer à un contexte historiographique. Les années 1980-90 avaient connu un recul des manichéismes, une approche plus sereine du fait colonial et des mondes coloniaux, avec un enrichissement considérable et nuancé des époques précoloniales, la naissance d’histoires nationales en Afrique notamment et un regard moins passionné et moins utopique sur les réalités du post colonial (16). «Décoloniser l’histoire» cela signifiait que désormais, les enfants des colonisateurs et des colonisés pouvaient lire ensemble une nouvelle histoire des mondes coloniaux, métropoles comprises, dans un effort commun de scientificité et d’interculturalité. On pourrait citer à cet égard de nombreux colloques. Des tendances s’exprimaient, mais dans un débat fondé sur les sources.

La situation actuelle est tout à fait différente. Une polarisation se produit autour de deux postures mémorielles d’origine opposée, et qui ne sont pas sans effet l’une sur l’autre. L’une cherche à imposer une lecture du passé et une histoire officielle, celle du rôle positif de la colonisation. C’est le contenu de la loi de février 2005 (17). L’autre établit une filiation directe entre la situation des Français issus de l’immigration et le passé colonial de la France qui serait demeurée un État colonial. C’est la démarche des Indigènes de la République. Dans cette guerre des entrepreneurs de mémoire, l’historien n’est reconnu par les uns ou les autres qu’en tant qu’il validerait idéologiquement la thèse défendue. D’un côté on a vu un ministre partisan des nostalgiques parler de «ceux qui se proclament historiens» à propos des universitaires, de l’autre des collectifs demander la radiation d’un universitaire de renom accusé de racisme et de révisionnisme pour avoir proposé des rectifications dans la mesure comparée de la traite occidentale et de la traite orientale. Le recours paradoxal à l’outil judiciaire menace la profession historienne sommée de valider telle ou telle mémoire plutôt que d’exposer le résultat de ses recherches, ou de développer l’esprit critique de ses élèves.

Sommes-nous sortis de notre sujet ? En quoi est-ce là-dedans que l’histoire coloniale du Havre  se trouve «en situation» ? Même à partir d’une situation locale, on vérifiera que l’histoire est dans un rapport de force avec la tentation que l’on peut avoir de l’instrumentaliser. L’apport positif ou négatif de toute expérience humaine ne peut être décrété par la loi, ni imposé au discours de l’historien, mais au contraire résulter d’un examen critique à l’échelle d’un sujet, élève ou citoyen, informé par des historiens professionnels. Parlons d’abord de ces catégories douteuses. Ai-je besoin de délivrer à mes auditeurs un jugement moral si je rappelle les conditions de construction du chemin de fer Congo-Océan et l’existence du travail forcé aboli seulement en 1945 ? La loi a fait son travail en abolissant précisément le travail forcé et le Code de l’Indigénat.

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l'Institut fondamental d'Afrique noire (IFAN) à Dakar

A-t-on besoin de dire «c’est bien» ou «c’est mal» si on explique que les sociétés concessionnaires havraises L’Ibenga ou La Kotto, en Oubangui, ont créé, comme leurs quarante homologues en 1900, un impôt sur les indigènes afin de les obliger à cueillir du caoutchouc, lequel sera revendu à prix d’or pour les pneumatiques de Michelin, et si l’on précise que ces sociétés avaient droit de justice et police sur leur territoire ? Doit-on faire deux colonnes pour satisfaire les clientèles ? Le travail de l’administrateur havrais et ethnologue Gilbert Vieillard, qui constitua le plus important fonds d’archives de la culture Peul à l’Ifan de Dakar sous la protection de Théodore Monod (18), est-il l’œuvre d’un affreux colonialiste ? Ce qui nous paraît contradictoire l’était-il forcément à l’échelle du sujet à telle époque ? Par exemple le docteur Loir, futur conservateur du Museum du Havre qui créa un Institut Pasteur en Tunisie en 1902, n’était-il pas en même temps l’ami du général Archinard et un admirateur du conquérant du Soudan, lequel lui confia sa collection ethnographique rassemblée au temps de ses conquêtes ?  À ce sujet, au delà des impasses du manichéisme, il est un problème de conscience citoyenne qui mériterait précisément d’être réactivé, celui de la légitimité même de la conquête coloniale. Mais on remarquera qu’il n’est pas vraiment au coeur de la guerre des mémoires actuelle.

 

L'image “http://www.senat.fr/evenement/archives/D34/Jules_Siegfried_1919.jpg” ne peut être affichée car elle contient des erreurs.
Jules Siegfried, 1837-1932,
maire du Havre,
fondateur de la Compagnie cotonnière

La moralisation de l’histoire lui ôte son caractère dynamique, sa complexité vivante. La figer c’est la rendre incompréhensible (19). Sur ce point observons, toujours à partir du Havre, que ce qui est intéressant, c’est d’expliquer le changement, les continuités et les ruptures. Un bel exemple nous est donné par l’histoire d’une entreprise de négoce du coton, la maison Siegfried (1862), devenue Compagnie cotonnière (en 1893). Elle participe à l’exploitation concessionnaire, l’économie de pillage en Afrique noire avant 1914 ; dans les années 20 et 30, elle bénéficie du système baptisé «le coton du commandant» (l’administration procure la main d’oeuvre aux sociétés privées), après 1947, sous l’impulsion d’Edouard Senn, elle met en place un système de commercialisation qui assure un prix minima au paysan africain et construit le système CFDT (Compagnie française des textiles), qui, avec les indépendances, permettra la création des sociétés d’économie mixte dans chaque nouvel Etat (Compagnie ivoirienne des textiles, Compagnie malienne des textiles etc).

Aujourd’hui cet édifice n’est pas assez concurrentiel aux yeux du FMI qui contraint chaque Etat à privatiser ces entreprises, et le pôle Coton et développement n’a eu pour soutien publicitaire à son action ces dernières années que le Monde diplomatique ! Si un paysan malien est chassé de ses terres par la misère et se transforme en immigré clandestin est-ce par l’action d’une France qui serait demeurée coloniale ou par l’effet d’économies dominées et d’échange inégal entre les pôles de puissance du capitalisme mondial et ce que plus personne n’ose appeler Tiers-Monde ? Autre exemple montrant que l’intérêt de l’histoire est de saisir les mutations. En 1908, Charles-Auguste Marande crée l’Ecole coloniale du Havre, cas unique alors de formation de techniciens pour l’égrenage du coton aux colonies. Elle est devenue plus tard l’Ecole technique d’outre-mer, puis l’Institut supérieur des techniques d’outre-mer (20). Jusqu’à 1960, cette école a fourni 6 à 700 cadres employés par des sociétés coloniales ou par l’administration pour la mise en valeur, puis pour la coopération et le développement (21). Est-ce bien ou mal ? À chacun de juger, mais est-ce vraiment le problème ?

Dernière question concernant cette histoire «en situation» : existe-t-il un rapport entre le passé colonial du Havre et l’image de la ville aujourd’hui ? L’histoire du Havre colonial bouscule deux représentations à l’oeuvre dans cette ville, celle d’une culture urbaine libérale et intemporelle, celle d’une ville comme machine à intégrer les apports humains venus de l’étranger ou des colonies. La mythologie de la ville ouverte et accueillante parce que libérale avant tout mérite quelques corrections. André Siegfried a beaucoup contribué à flatter le libéralisme havrais «Le Havre est libéral, d’un libéralisme foncier qui lui interdit l’étroit fanatisme des doctrinaires....»(22).

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"...entrepôt Havro-colonial d'importation..."

 

Bien au contraire, l’identité coloniale revendiquée puis oubliée dont il était question précédemment a eu entre les deux guerres pour corollaire une véritable crispation de l’imaginaire économique des élites autour de deux doctrines associées : d’une part un protectionnisme ciblé mais bien réel pour protéger le marché colonial privilégié, d’autre part un refus catégorique de voir au moins jusqu’aux années 1950 l’industrie se développer dans les territoires d’outre-mer afin de protéger l’industrie métropolitaine et les débouchés coloniaux. Cette doctrine autarciste devint ici dominante durant plus d’une génération. Or tous les milieux d’affaires capitalistes et colonialistes ne pensaient pas ainsi, notamment les Lyonnais, très puissants en Indochine. Et l’on a vu ainsi en 1934 la Chambre de commerce de Haïphong engager avec celle du Havre une violente polémique où cette dernière était accusée, non sans raison, de défendre le vieux pacte colonial.

Le cliché de la ville ouverte accueillante, cosmopolite, «mosaïque», «gigantesque bourse du travail de la classe ouvrière étrangère» (23) ne résiste pas à l’examen des faits historiques (24). La proportion des étrangers et de coloniaux a toujours été inférieure, au Havre, à la moyenne nationale alors même qu’il s’agit d’un port. Le seul moment d’immigration massive de travail est celui de la Grande guerre où les travailleurs coloniaux Chinois et Maghrébins suppléent au manque de main d’oeuvre dans l’industrie et la défense nationale. Cette présence est jugée indésirable avant le retour de la paix et les chasses à l’homme dans le quartier du Rond-Point en 1917 et 1922 font aussi partie de l’histoire du Havre.

Autre effet émergent de cette recherche, l’examen comparé de l’économie coloniale havraise et de la démographie migratoire montre que l’immigration d’hier et encore moins celle d’aujourd’hui, ne sont le résultat spécifique du Havre colonial, mais plus généralement celui des rapports entre France coloniale et Empire, puis entre pays riches et Tiers-Monde. Les Sénégalais et les Mauritaniens sont relativement nombreux au Havre aujourd’hui, mais leur pays d’origine n’a pas été commercialement très lié au Havre pendant la période coloniale. L’immigration ivoirienne et malgache a toujours été très faible, alors que la Côte d’Ivoire et Madagascar ont été essentiels comme réservoirs coloniaux de marchandises (25). Quant à la réussite de l’intégration, il faut être prudent car l’histoire des rejets et des solidarités doit être poursuivie. Mais on peut déjà dire que la société havraise n’a jamais été aussi merveilleusement libérale ni aussi vertueusement internationaliste qu’on a pu le penser.

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source

 

Conclusion

Allons-nous conclure à l’existence d’un colonialisme havrais ? Le travail sémantique sur les termes colon, colonie, colonisation, colonialisme, impérialisme, continue encore aujourd’hui à chaque colloque d’historiens. Une des plus grandes difficultés, et l’on vient de voir l’importance symbolique des mots, est de faire la part de la dénotation et de la connotation, du descriptif et du péjoratif dans l’usage de ce terme. Si l’on considère le colonialisme comme un système de domination et d’exploitation des territoires dominés par les métropoles, le Havre industriel et négociant y prit sa place, avec une certaine fierté il faut le dire, durant une bonne partie du XXe siècle.

Une nuance cependant : Le Havre fut davantage colonial par ses pratiques et son identité que colonisateur au sens où ses élites économiques participèrent davantage à la captation des richesses par le négoce qu’à leur mise en valeur, et dans le sens où les Havrais s’exportèrent peu, comme individus dans l’Empire à la différence des Marseillais, des Bordelais ou des Corses. Le colonialisme, comme idéologie dans la cité, fut à la fois répandu, contesté, et ignoré, ce qui n’est pas original dans la France coloniale de ce temps. Se poser la question du colonialisme, comme le fait ce cycle de conférences présente au moins le mérite de porter un regard critique et mieux informé sur l’intensité du fait colonial dans le passé et de s’interroger sur les limites de sa valeur explicative du temps présent.

Claude Malon
Conférence pour Le Havre science et culture-Université populaire,
le 2 février 2006 à l’Université du Havre

 

 

 

(1) Claude Malon, Le Havre colonial de 1880 à 1960, thèse de doctorat d’histoire, dir. Dominique Barjot, Université Paris-IV- Sorbonne, 2001,  5 vol, 1450 p. Publiée en avril 2006 dans la Bibliothèque des thèses du Pôle Universitaire Normand. Pour un résumé cf. Dominique Barjot, Entreprises et Histoire, 2003, n°32, p. 163 à 172.
(2) Claude Malon, “Les entreprises coloniales au Havre de 1880 à 1960”, Colloque Créateurs et créations d’entreprises de la Révolution industrielle à nos jours, dir. Jacques Marseille, ADHE, Sorbonne, avril 2000.
(3) La maison Charles, bois coloniaux, déclare un chiffre d’affaires de 59 millions en 1939 et 700 millions en 1946 (soit 112 millions valeur 1938. Source : Banque de France et dommages de guerre)
(4) Sur ce sujet, voir notamment Raoul Girardet : L’idée coloniale en France et Charles-Robert Ageron, France coloniale ou parti colonial ?
(5) Albert Charles avait fait réaliser une copie de la Maison Carrée de Nîmes, entièrement en bois coloniaux de multiples essences. Elle fut exposée sur le port du Havre puis à la foire de Lyon en 1951.
(6) Conservées aujourd’hui dans les réserves du Museum d’histoire naturelle du Havre.
(7) Henri Deschênes, ”Le Havre et l’Afrique” in Marchés tropicaux et méditerranéens n° 968 du 30 mai 1964. pp.1419-1448.
(8) Pierre Nora, Les lieux de mémoire, Quarto Gallimard vol. 1, 1997 p. 24
(9) Cartiérisme ou complexe hollandais, point de vue considérant les TOM comme un boulet économique pour la France et rendu célèbre par des phrases de Raymond Cartier, journaliste, telles que «N’eût-il pas mieux valu construire à Nevers le super-hôpital de Lomé ?». Dans son livre intitulé De l’utilité des empires, Bouda Etemad parvient à cette conclusion : cette question met en évidence un processus encore peu étudié par les historiens : plus les écarts de développement entre métropoles et colonies s’élargissent, moins les secondes s’avèrent «utiles» pour les premières. Voir aussi J. Marseille sur le bilan impérial.
(10) Sylvie Barot, dans Migrants dans une ville portuaire : Le Havre (dir. Eric Saunier, John Barzman,) p. 196, reproduit le texte présenté par Albert Charles le 7 mars 1949 au Conseil municipal à ce sujet .
(11) Aux travaux connus de Paul Ricœur, Jacques le Goff, Maurice Halbwachs sur la mémoire collective et l’histoire on ajoutera  une publication récente : Mémoires et histoires, des identités personnelles aux politiques de reconnaissance, dir. Johann Michel, Presses universitaires de Rennes, 2005, 285 p.
(12) C’est le cas dans la revue Le Port du Havre en 1930, Bibliothèque municipale du Havre.
(13) À l’occasion de la Semaine coloniale 1934 (28 mai-3 juin), L’Institut Colonial du Havre vous demande de penser à nos colonies, Institut Colonial du Havre, Palais de la Bourse, imp. Le Petit Havre, 14 p.
(14) Cf. Sophie Dulucq et Colette Zytnicki, Décoloniser l’histoire ? De «l’histoire coloniale» aux histoires nationales en Amérique latine et en Afrique, Publications de la Société française d’histoire d’outre-mer (SFHOM), Paris 2003.
(15) Voir à ce sujet la critique du livre d’Olivier Le Cour Grandmaison, Coloniser, exterminer, par Pierre Vidal-Naquet et Gilbert Meynier dans la revue Esprit, sur le site de la Société française d’histoire d’outre-mer et sur ce blog ici-même.
(16) Cf. Daniel Rivet, «De l’histoire coloniale à l’histoire des Etats indépendants», dans L’histoire et le métier d’historien en France, 1945-1995, dir. François Bédarida, éd. MSH, Paris 1995.
(17) Même si l’article qui fait problème est abrogé prochainement par une procédure juridique, cela n’enlèvera rien à l’existence d’un rapport de forces sur une question de fond.
(18) Claude Malon, “Gilbert Vieillard, administrateur et ethnologue en Afrique occidentale (1926-1939)”, Cahiers de sociologie économique et Culturelle, Ethnopsychologie, n° 33, juin 2000, pp. 107-132.
(19) «A force de juger on finit, presque fatalement par perdre le goût d’expliquer» a écrit Marc Bloch.
(20) Il s’agit bien de l’ISTOM situé aujourd’hui à Cergy-Pontoise.
(21) On pourrait observer le même type d’évolution dans le passage de l’Institut havrais de psychologie des peuples à l’Institut de sociologie économique et culturelle. Cf. Claude Malon, "Le Havre et l’outremer, sociabilité et recherche", Études Normandes n°2, 1997, p. 75-96.
(22) André Siegfried, préface à Théodore Nègre : Étude de géographie urbaine, Le Havre, imprimerie M. Etaix, 1947, p. 9.
(23) Expressions utilisées sur la quatrième de couverture d’un ouvrage commandé à des journalistes par la municipalité du Havre à l’occasion des journées «Mémoires des migrations dans les villes portuaires», en novembre 2005, intitulé Le Havre du monde, Editions des Equateurs, 156 p.
(24) Cf. Migrants dans une ville portuaire : Le Havre, XVIe-XXIe siècle, dir. Eric Saunier, John Barzman, Publications des Universités de Rouen et du Havre, novembre 2005, 240 p.
(25) Cf. Claude Malon, « Travailleurs étrangers et coloniaux au Havre, 1880-1962 », dans Migrants dans une ville portuaire : Le Havre, dir. J. Barzman et Eric Saunier, 2005, p. 43-58.

 

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- Répertoire des historien(ne)s du temps colonial

28 février 2006

direction "Études coloniales"

intro
le temps colonial : une "aventure" ou une "fracture"...?

 

direction

de l'association "Études coloniales"

 

L'association "Études coloniales" a été créée et est dirigée par :

 

m_Dany

président : Daniel LEFEUVRE
professeur à l'université Saint-Denis/Paris VIII
Algérie coloniale, Maghreb, histoire économique
- Pour en finir avec la repentance coloniale (Flammarion, 2006)

 

 

 

 

m_Marcvice-président : Marc MICHEL
professeur émérite à l'université de Provence
Afrique coloniale, décolonisation, Première Guerre mondiale
- Gallieni (Fayard, 1989)
- Décolonisation et émergence du tiers-monde (Armand Colin, 2005)

 

 

 

 

Claire_13_juillet_2009

secrétaire : Claire VILLEMAGNE-RENARD
doctorante à l'EHESS
Indochine coloniale, Tonkin, microstoria, prosopographie coloniale

 

blog : Pionniers du Tonkin, 1872-1894

 

m_MR___Port_Cros___copiesecrétaire : Michel RENARD
doctorant Paris VIII
Histoire islam en métropole, islam et Maghreb colonial

 

blog : islam en France, 1830-1962

 

 

 

contact
michelrenard2@aol.com

 

Brazza_Jean_Martin

 

Imperia

 

 

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25 mai 2006

Répertoire des historien(ne)s du temps colonial (nouvelle adresse)

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cliquez ici pour accéder au répertoire



Répertoire des historien(ne)s

du temps colonial

nouvelle adresse



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Le Répertoire des historien(ne)s du temps colonial, édité par l'association Études Coloniales compte désormais 211 notices, 588 images et 1109 "liens". Il est loin d'être terminé. Des noms d'auteurs et leurs travaux doivent encore être intégrés, particulièrement provenant d'autres pays. Les portraits d'auteurs sont encore trop peu nombreux.
L'importance, en volume, du fichier a conduit à le placer sur un autre blog :

Répertoire des historien(ne)s du temps colonial

La recherche des éléments à l'origine de la production historiographique "coloniale", et cette synthèse provisoire qui en est le résultat, signalent l'étendue et la diversité des travaux universitaires ou d'autre nature consacrés à l'étude du temps colonial.

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construit en 1931 dans le cadre de l’exposition
coloniale internationale

L'image d'un affrontement entre nostalgiques de l'ordre colonial et tenants de la "repentance" est une caricature du débat à l'oeuvre en histoire coloniale. La rigueur de l'investigation et le refus méthodologique du primat passionnel (amertume, moralisme, idéologisme...) caractérisent l'essentiel du travail de connaissance sur cette période. Employons-nous à ce qu'il soit plus connu et discuté.

Merci aux auteurs qui se sont manifestés pour formuler des corrections, proposer des ajouts et compléments, et indiquer l'intérêt de cette recension.

Michel Renard

cliquez ici pour accéder au répertoire

 

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Dellys (Algérie) au temps colonial
         

 

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19 mai 2006

La colonisation n'est pas née d'un projet prédateur (Paul-François Paoli)

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La civilisation complète des peuples, et des chefs qui les commandent,
la réforme désirable des gouvernements, des moeurs, des abus
ne peuvent être que l'ouvrage des siècles, des efforts continuels de l'esprit humain,
des expériences réitérées de la société (D'Holbach, Système social, 1773)

 

La colonisation n'est pas née d'un

projet prédateur

Paul-François PAOLI *

 

Le Point : Au moment où l'on fête l'abolition de l'esclavage, vous définissez la colonisation comme un «projet émancipateur né des Lumières». N'avez-vous pas l'impression de céder à la provocation ?
Paul-François Paoli : Il ne s'agit pas de provoquer mais de rappeler que la colonisation n'est pas née d'un projet prédateur, mais qu'elle a été pensée par des gens habités par Rousseau et Voltaire, issus de la gauche radicale, qui considéraient que l'Occident avait une mission civilisatrice. C'était évidemment une erreur que de croire que l'autre devait absolument vous ressembler, mais c'était une erreur, et pas un crime.

Vous accusez les médias et l'Education nationale de vouloir «purifier» l'histoire de France en cédant aux «pressions des minorités» ? Mais reconnaître les erreurs d'un pays, est-ce pour autant le dénigrer ?
Non, mais je déplore cette tendance à la contrition. À ma connaissance, le rétablissement de l'esclavage par Napoléon n'est pas absent des livres d'histoire. En revanche, on parle très peu des guerres de Vendée, dont Emmanuel Le Roy-Ladurie a dit pourtant qu'on pouvait parler, à leur sujet, de «crime contre l'humanité». Or le traumatisme vendéen ne s'est pas érigé en devoir de mémoire. Et vous savez pourquoi ? Parce que les Vendéens n'ont pas de problèmes identitaires : ils se sentent français.

Pensez-vous que Christiane Taubira ne se sent pas française ?
Il semble en tout cas que nous ayons chacun notre conception de la France. Pour elle, elle commence en 1848. Pour moi, c'est une histoire de 1 000 ans. Maintenant, je crois que notre intérêt en tant que Français est de réconcilier ces conceptions de la France et de les rendre compatibles pour ne pas repartir indéfiniment dans des guerres idéologiques contre le passé. Je suis pour la commémoration de l'abolition de l'esclavage, mais il faudrait aussi considérer que c'est une bonne chose pour l'histoire de ce pays qu'il ait été le premier au monde à avoir tenté de l'abolir.

Propos recueillis par Christophe Ono-dit-Biot


9782710328780

 

* Journaliste, auteur de : Nous ne sommes pas coupables. Assez de repentances ! La Table ronde, 2006

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- source de cet article : © Le Point  11 mai 2006

 

 


 

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Condorcet (1743-1794)

 

Des progrès futurs de l'esprit humain

CONDORCET

 

Si l'homme peut prédire, avec une assurance presque entière les phénomènes dont il connaît les lois ; si, lors même qu'elles lui sont inconnues, il peut, d'après l'expérience du passé, prévoir, avec une grande probabilité, les événements de l'avenir ; pourquoi regarderait-on comme une entreprise chimérique, celle de tracer, avec quelque vraisemblance, le tableau des destinées futures de l'espèce humaine, d'après les résultats de son histoire ? Le seul fondement de croyance dans les sciences naturelles, est cette idée, que les lois générales, connues ou ignorées, qui règlent les phénomènes de l'univers, sont nécessaires et constantes ; et par quelle raison ce principe serait-il moins vrai pour le développement des facultés intellectuelles et morales de l'homme, que pour les autres opérations de la nature ? Enfin, puisque des opinions formées d'après l'expérience du passé, sur des objets du même ordre, sont la seule règle de la conduite des hommes les plus sages, pourquoi interdirait-on au philosophe d'appuyer ses conjectures sur cette même base, pourvu qu'il ne leur attribue pas une certitude supérieure à celle qui peut naître du nombre, de la constance, de l'exactitude des observations ?

Nos espérances sur l'état à venir de l'espèce humaine peuvent se réduire à ces trois points importants : la destruction de l'inégalité entre les nations ; les progrès de l'égalité dans un même peuple ; enfin, le perfectionnement réel de l'homme. Toutes les nations doivent-elles se rapprocher un jour de l'état de civilisation où sont parvenus les peuples les plus éclairés, les plus libres, les plus affranchis de préjugés, tels que les français et les anglo-américains ? Cette distance immense qui sépare ces peuples de la servitude des nations soumises à des rois, de la barbarie des peuplades africaines, de l'ignorance des sauvages, doit-elle peu à peu s'évanouir ?

Y a-t-il sur le globe des contrées dont la nature ait condamné les habitants à ne jamais jouir de la liberté, à ne jamais exercer leur raison ?

Cette différence de lumières, de moyens ou de richesses, observée jusqu'à présent chez tous les peuples civilisés entre les différentes classes qui composent chacun d'eux ; cette inégalité, que les premiers progrès de la société ont augmentée, et pour ainsi dire produite, tient-elle à la civilisation même, ou aux imperfections actuelles de l'art social ? Doit-elle continuellement s'affaiblir pour faire place à cette égalité de fait, dernier but de l'art social, qui, diminuant même les effets de la différence naturelle des facultés, ne laisse plus subsister qu'une inégalité utile à l'intérêt de tous, parce qu'elle favorisera les progrès de la civilisation, de l'instruction et de l'industrie, sans entraîner, ni dépendance, ni humiliation, ni appauvrissement ; en un mot, les hommes approcheront-ils de cet état où tous auront les lumières nécessaires pour se conduire d'après leur propre raison dans les affaires communes de la vie, et la maintenir exempte de préjugés, pour bien connaître leurs droits et les exercer d'après leur opinion et leur conscience ; où tous pourront, par le développement de leurs facultés, obtenir des moyens sûrs de pourvoir à leurs besoins ; où enfin, la stupidité et la misère ne seront plus que des accidents, et non l'état habituel d'une portion de la société ?

Enfin, l'espèce humaine doit-elle s'améliorer, soit par de nouvelles découvertes dans les sciences et dans les arts, et, par une conséquence nécessaire, dans les moyens de bien-être particulier et de prospérité commune ; soit par des progrès dans les principes de conduite et dans la morale pratique ; soit enfin par le perfectionnement réel des facultés intellectuelles, morales et physiques, qui peut être également la suite, ou de celui des instruments qui augmentent l'intensité et dirigent l'emploi de ces facultés, ou même de celui de l'organisation naturelle de l'homme ?

observateurs_de_l_homme1En répondant à ces trois questions, nous trouverons, dans l'expérience du passé, dans l'observation des progrès que les sciences, que la civilisation ont faits jusqu'ici, dans l'analyse de la marche de l'esprit humain et du développement de ses facultés, les motifs les plus forts de croire que la nature n'a mis aucun terme à nos espérances.

Si nous jetons un coup d'oeil sur l'état actuel du globe, nous verrons d'abord que, dans l'Europe, les principes de la constitution française sont déjà ceux de tous les hommes éclairés. Nous les y verrons trop répandus, et trop hautement professés, pour que les efforts des tyrans et des prêtres puissent les empêcher de pénétrer peu à peu jusqu'aux cabanes de leurs esclaves ; et ces principes y réveilleront bientôt un reste de bon sens, et cette sourde indignation que l'habitude de l'humiliation et de la terreur ne peut étouffer dans l'âme des opprimés.

En parcourant ensuite ces diverses nations, nous verrons dans chacune quels obstacles particuliers s'opposent à cette révolution, ou quelles dispositions la favorisent ; nous distinguerons celles où elle doit être doucement amenée par la sagesse peut-être déjà tardive de leurs gouvernements, et celles où, rendue plus violente par leur résistance, elle doit les entraîner eux-mêmes dans ses mouvements terribles et rapides.

Peut-on douter que la sagesse ou les divisions insensées des nations européennes, secondant les effets lents, mais infaillibles, des progrès de leurs colonies, ne produisent bientôt l'indépendance du nouveau monde ? Et dès lors, la population européenne, prenant des accroissements rapides sur cet immense territoire, ne doit-elle pas civiliser ou faire disparaître, même sans conquête, les nations sauvages qui y occupent encore de vastes contrées ?

Parcourez l'histoire de nos entreprises, de nos établissements en Afrique ou en Asie ; vous verrez nos monopoles de commerce, nos trahisons, notre mépris sanguinaire pour les hommes d'une autre couleur ou d'une autre croyance ; l'insolence de nos usurpations ; l'extravagant prosélytisme ou les intrigues de nos prêtres, détruire ce sentiment de respect et de bienveillance que la supériorité de nos lumières et les avantages de notre commerce avaient d'abord obtenu.

Mais l'instant approche sans doute où, cessant de ne leur montrer que des corrupteurs et des tyrans, nous deviendrons pour eux des instruments utiles, ou de généreux libérateurs.

Condorcet, Esquisse d'un tableau des progrès de l'esprit humain,
Vrin, 1970, p. 203-204.

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4 juillet 2006

Algérie coloniale - tyrannie des mémoires

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après les déclarations du président algérien Bouteflika sur l'Algérie coloniale, l'historien Claude Liauzu évoque des "affirmations outrancières" dans une interview accordée au NouvelObs.com

 

"Une tyrannie des mémoires"

 

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par Claude Liauzu, historien
et l'un des animateurs
du mouvement pour l'abrogation
de l'article 3 de la loi de février 2005
sur le "rôle positif" de la colonisation

 

 

diapositive12 L'occupation de l'Algérie par la France a-t-elle réellement été "une des formes de colonisation les plus barbares de l'histoire", comme l'affirme le président Bouteflika ?


- Je vous répondrai par une anecdote: il y a quelques années Aït Ahmed, s'exprimant sur une question du même type, avait répondu, en substance: "oui la colonisation française a été épouvantable, mais nous avons largement préféré avoir à faire aux Français plutôt qu'aux Russes".
Bien entendu, la conquête a été épouvantable, une "guerre de ravageurs", comme a pu le dire le général Bugeaud, au cours de laquelle, entre 1830 et 1870, un tiers de la population a disparu en raison des massacres, des famines et de la paupérisation. La France a effectivement tendance à sous-estimer cet aspect et, plus on attend pour dire les choses, plus elles sont dures à dire.
Ce que, malheureusement, Bouteflika ne dit pas, c'est que la colonisation est une réalité également beaucoup plus ambiguë. Elle a bel et bien existé, apportant parfois le pire. Mais elle a également laissé des espaces de liberté, des ouvertures, comme la francophonie
Il faut rendre compte de la complexité du phénomène, tout en n'enlevant rien aux crimes qui ont été commis. L'esclavage et la colonisation sont bien des crimes contre l'humanité. Mais, une fois que l'on a dit cela, les historiens doivent faire leur travail et celui-ci s'apparente en grande partie à des poupées gigognes, les problèmes imbriqués les uns dans autres. Par exemple, le 5 juillet est la date de la fête de l'indépendance, mais c'est également le début du processus de prise du pouvoir par Boumediene.

diapositive12 Pourquoi le chef de l'Etat algérien a-t-il choisi de relancer aujourd'hui cette polémique alors que les relations avec la France semblaient s'apaiser avec l'abrogation de l'article contestée de la loi de février 2005 sur "le rôle positif" de la colonisation ?


- C'est là tout le mystère de cette déclaration! Bouteflika est avant tout un homme politique et je pense qu'il utilise le passé de manière politique afin d'influer sur ses relations avec la France d'aujourd'hui. Mais, pour pouvoir réellement peser les enjeux de ces propos, il faudrait être au courant de ce qu'il se passe dans les arcanes du pouvoir algérien.
Je pense que les propos du président algérien sont dans la même logique que ceux qu'il a tenus il y a peu sur la double nationalité à laquelle il s'oppose. Alors que l'une des conséquences de la colonisation est justement que des milliers de personnes se sentent un peu françaises et un peu algériennes.
Il y a également des enjeux de politique intérieure. Bouteflika s'est lancé dans une surenchère avec les nationalistes au point que, ce qui est assez amusant, même les islamistes l'ont trouvé trop dur sur le sujet. Il y a à Alger un parti anti-français assez fort qui tente de tirer sur le traité d'amitié franco-alégérien et Bouteflika ne veut pas se laissé déborder.
Effectivement, après le retrait de l'article 3 de la loi de février sur le "rôle positif" de la colonisation, il aurait dû y avoir une détente des relations. Mais nous faisons face à des réaction émotionnelles très fortes. Comme pour les pied-noirs en France, nous touchons là quelque chose de très profond, une plaie qui menace de se rouvrir dès qu'on la touche.

diapositive12 Que pourrait faire la France pour apaiser ses relations avec Alger ? Qu'attendent les Algériens de l'Etat français ?


- C'est difficile à dire vu qu'à ce niveau, on pourrait dire qu'il y a plusieurs Algérie. En ce qui concerne Bouteflika, il y a une surenchère inexplicable car il doit très bien savoir qu'un dirigeant français ne peut pas aller trop loin sur le problème de la colonisation, d'autant plus qu'il est actuellement sous pression sur cette question.
Je pense que nous sommes malheureusement entrés dans une logique de guerre des mémoires, je dirais même dans une tyrannie des mémoires, dans laquelle chaque geste provoque une réaction encore plus forte. La loi Taubira a ainsi provoqué une vive réaction chez les rapatriés qui ont exigé une loi sur les pieds-noirs et les harkis, dans laquelle était inséré le fameux article sur le "rôle positif" de la colonisation.
Et vu qu'il n'y a pas de limites à la victimisation, chacun n'a jamais l'impression d'avoir obtenu satisfaction. Cette situation inquiète fortement les historiens. Enormément d'énergie est dépensée dans ces polémiques, au détriment d'autres problèmes à régler comme l'immigration qui, selon moi, est un problème mille fois plus important que les affirmations outrancières de telle ou telle personne.
Les historiens se sont mobilisés et se sont focalisés sur les complaisances néocolonialistes en France, mais il ne faut pas pour autant se laisser enfumer par des propos, ou des silences, officiels. La seule solution est que nous puissions travailler correctement et étudier sereinement ce phénomène complexe qu'est la colonisation.

Propos recueillis par Jérôme Hourdeaux
le lundi 3 juillet 2006

NOUVELOBS.COM | 03.07.06 | 16:40

 

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Il faut rendre compte de la complexité du phénomène,
tout en n'enlevant rien aux crimes qui ont été commis

 

 

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27 août 2006

Charles-Robert Ageron, historien de l'Algérie coloniale (Daniel Rivet)

Ageron_Puf_couv
Histoire de l'Algérie contemporaine, tome II. De l'insurrection
de 1871 au déclenchement de la guerre de libération (1954),
Charles-Robert Ageron, Puf, 1979

 

Charles-Robert Ageron,

historien de l'Algérie coloniale

Daniel RIVET

 

Le colloque sur "La guerre d'Algérie au miroir des décolonisations françaises", dont Daniel LefeuvreCharles_Robert_Ageron (université de Paris VIII) et Anne-Marie Pathé (IHTP) ont été les initiateurs, est l'occasion de rendre, enfin, l'hommage qui lui est dû à un historien qui a marqué de son empreinte au moins trois feuillets du livre de la recherche historique : l'Algérie au temps des Français, l'opinion française et la question coloniale, les "chemins de la décolonisation" en France et dans le reste de l'Europe, en collaboration avec un réseau de chercheurs coordonnés par l'Institut Français d'Histoire d'Outre-mer à Aix et l'Institut d'Histoire du Temps Présent à Paris. Les organisateurs de cette manifestation n'ont pas cherché, comme nos collègues maghrébins qui nous ont heureusement précédés en tenant l'important colloque de Zaghouan en Tunisie en 1995, à vous rendre hommage sous la forme d'un bouquet de contributions illustrant chacune une facette des recherches historiques en cours sur le Maghreb. Ils ont préféré vous rejoindre là où, aujourd'hui, vous avez planté votre tente de chercheur : au coeur de la guerre d'indépendance de la nation algérienne. Aussi voudrez-vous bien, Monsieur Ageron, prendre connaissance des communications qui suivront, comme s'il s'agissait d'avisos escortant le navire-amiral pour une expédition scientifique au long cours, mais nullement les interpréter comme le rugissement de sirènes de cuirassés qui saluent la dernière sortie en mer du navire-phare de la flotte.

C'est à l'homme qui fréquente ces dernières saisons le centre des archives de l'armée de terre à Vincennes, avec la régularité de Kant opérant sa promenade de l'après-midi à Könisberg, qu'ils tiennent à manifester shat_en_noirleur estime, leur admiration et leur amitié. Car voilà une des premières donnée signalétiques pour vous poirtraiturer : vous êtes au travail inlassablement. Vous conservez une boulimie d'archives et une fringale d'écriture qui constituent un exemple pour nous, petits travailleurs qui fatiguons vite ou bien paresseux que l'obligation d'être chercheurs tient en haleine. Les jeunes historiens n'ont pas manqué de relever ce trait. Il y a peu, une étudiante en maîtrise me disait qu'elle vous regardait compulser votre carton d'archives, lorsque son attention faiblissait, pour se redonner du coeur à l'ouvrage. Cette anecdote définit ce que vous êtes d'abord pour nous : la statue du commandeur quand nous sommes tarabustés par le constat que nos recherches n'aboutiront pas ou bien qu'elles ne font plus sens pour nous.

C'est à une manière de pratiquer la recherche historique qu'isl tiennent aussi à rendre hommage. Elle consiste à construire une oeuvre et à la soumettre à la critique des lecteurs. Autours de vous s'est agrégé un cercle de chercheurs qui vous soumettent également leurs travaux et ils aiment que vous preocédiez à la lecture exigeante de leurs écrits. Ainsi s'est constitué non pas une mouvance d'élèves se réclamant de vous comme d'un maître initiateur d'une nouvelle manière de faire de l'histoire, mais un cercle de chercheurs qui se rattachent à vous non par un lien de subordination institutionnalisé, mais parce que vous êtes leur conscience critique, parce qu'ils savent que c'est vous qui êtes le plus savant, parce qu'ils ont le sentiment, les uns les autres, de vous devoir une partie de ce qu'ils sont devenus.

Vous n'avez pas fondé de "zaouïa". Autour de vous ne gravite pas une "Braudélie" ou une "Rémondie", avec ses grands barons et ses petits châtelains. Mais autour de vous travaille un réseau informel de chercheurs qui vous lisent et qui vous donnent à lire ce qu'ils produisent. Cet in-group, où on distingue au moins trois strates générationnelles (vos pairs, vos cadets, de jeunes pousses prometteuses), entretient avec vous le commerce des idées dans une atmosphère de rare liberté intellectuelle. Car voici votre deuxième caractéristique : vous êtes un esprit libre, dégagé de toute inféodation à une chapelle historique, de toute attache à une institution de savoir, avec ce qu'elle engendre inévitablement de quasi ecclésial. Jusqu'à ce que vous trouviez à l'IHTP un espace de recherche scientifique taillé à votre aune, vous avez déambulé à travers le dédale des lieux de production du savoir et votre résistance aux pensées toutes faites et aux instituts de recherche pratiquant l'auto-congratulation eut pour contrepartie, de votre part, le consentement à la solitude.

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Bilda, place d'armes, 1920

 

Vous ayant dit quelle place vous occupez dans notre corps de métier et parce que, comme le disait Marrou, l'histoire est inséparable de l'historien qui la fait, je voudrais évoquer l'historien avant de parler un peu de votre oeuvre algérienne. Je le ferai à pas de colombes, parce que, tous, nous savons combien vous vous refusez à l'usage délicieux et frivole de l'égo-histoire. Vous invoquez volontiers la clause du h'urm dès qu'on vous questionne au-delà de l'enceinte de votre oeuvre scientifique. Il me semble, tout de même, que deux données sont fondamentales pour comprendre la singularité de votre parcours scientifique.

En premier lieu, vous appartenez à la génération, ô combien féconde, des historiens qui sont entrés à l'âge adulte au cours de la Deuxième Guerre mondiale avec tous les choix que cela a pu impliquer. Et d'abord de se soumettre au STO ou de s'y soustraire. La guerre : les historiens qui lui survécurent ont oscillé entre deux conduites après 1945.

Ou bien l'oublier, comme ce fut le cas de la deuxième génération des Annales : celle qui s'embarqua dans l'exploration braudélienne de la longue durée et amorça un glissement de l'histoire économique et sociale à l'histoire anthropologique. Du passé immédiat et d'un présent obnubilé par la guerre froide et la décolonisation, les Annales ne soufflèrent mot dans les années 1950. Ce n'est pas un jugement de valeur, seulement un constat. Ou bien l'intégrer dans une vision de l'histoire, où l'événement n'est pas réduit à un fait divers qui fait du bruit. L'événement fait qu'il y a de l'histoire. Et si je ne veux pas être le jouet de cette histoire, je dois le reconstruire le plus exactement, le plus fidèlement possible pour le comprendre et prendre position.

La Deuxième Guerre mondiale vous a donné le goût de l'histoire classique, celle qui pèse de tout son poids sur les hommes (le Guerre et Paix de Tolstoï), en même temps qu'elle vous convainc que l'opération historique a obligatoirement une dimension civique : mieux informer le citoyen pour éclairer ses choix. Deux professeurs à la Faculté des Lettres de Lyon, où vous êtes étudiant, ont été pour vous d'admirables éveilleurs de conscience et vous ont appris à conjuguer l'engagement et la distanciation, à soumettre vos convictions au doute méthodique qui est l'alpha et l'omega de notre discipline : Henri-Irénée Marrou et André Mandouze. Ils vous ont marqué en profondeur en prenant ouvertement position contre Vichy et en s'embarquant dans la résistance spirituelle, celle qui fut impulsée par Témoignage Chrétien. Ce ne fut pas un hasard si votre trajectoire ultérieure croisa celle de ces deux professeurs au moment de la guerre d'Algérie.

Le deuxième événement fondateur de votre conscience d'historien, ce fut votre démobilisation en Algérie, avant même votre affectation, en qualité de jeune agrégé d'histoire, au lycée Gautier à Alger, en 1947. À Sidi bel Abbès, où vous disposez de raltions familiales, vous êtes horrifié d'apprendre par le bouche à oreille l'ampleur encore tue de la répression de ce que vous appellerez plus tard "L'insurrection manquée du Nord Constantinois". Vous réalisez avec effroi que le milieu "pied-noir" est porteur, après la tuerie dont il a été victime, le 8 mai dans la région de Sétif, de cette pulsion de vengeance qui autorise les crimes de masse. À Alger aussi, vous découvrez l'inégalité congénitale entre Français et "Algériens musulmans" (l'expression vous appartient). Alors que vous circulez dans un autobus en qualité de "pathos" en uniforme, vous voulez céder votre place à une musulmane et vous vous faites vertement rappeler à l'ordre par le public européen. De fait, se déroule au cours de cette première expérience de l'Algérie une succession d'incidents où le jeune homme, héritier de valeurs judéo-chrétiennes et porteur d'une conception républicaine de la cité, se trouve en porte-à-faux par rapport à la société coloniale.

Cette plongée si brutale dans le drame algérien qui se noue vous épargne un long apprentissage pour acquérir une conscience anticoloniale ou bien une conscience critique du fait colonial. Votre oeuvre scientifique est suffisamment équilibrée, grâce aux nuances et aux balancements qui corrigent ce qu'une proposition initiale peut comporter d'excessif, pour que votre lecteur puisse opter pour un terme ou l'autre de cette alternative. Ou disons plutôt que votre quête de l'objectivité et votre érudition tiennent si fort votre oeuvre que le lecteur, s'il ne vous résiste pas, se laisse entraîner par votre refus d'entrer dans les catégories de jugement établies une fois pour toutes.

ALGER_1951Quoi qu'il en soit, l'extrême gravité de la situation algérienne ne vous échappe pas dès le début de votre séjour en Algérie, de 1947 à 1956. Elle vous fera opter pour le choix d'une thèse vous faisant remonter non pas aux origines du drame franco-algérien, mais au moment névralgique où la Troisième République opte pour une politique de francisation, c'est-à-dire de négation complète de la personnalité algérienne, et fait ce qu'elle dit, c'est-à-dire l'applique sans restriction, ni précaution. À l'unisson de Charles-André Julien, votre directeur de thèse et votre maître admiré, vous pensez que le problème algérien est trop grave, trop immédiat, pour qu'on se préoccupe d'y introduire les nouveaux questionnements, les nouveaux objets, les nouvelles procédures, qui fécondent et renouvellent l'école historique dans les années 1950-1960. Ce dont il s'agit d'abord, c'est d'exposer à la pleine lumière les données du problème et de faire réfléchir le lecteur sur une question qui menace de défaire la cité républicaine.

Dès lors, depuis quarante cinq ans, vous n'avez de cesse d'explorer l'histoire contemporaine de l'Algérie. Vous l'abordez sous trois angles d'attaque définissant chacun un genre : celui de la thèse d'antan, où on se devait d'élaborer une somme monumentale, celui de l'ouvrage de synthèse, où on se propose de lire une époque, celui de l'article, où on pointe la focale sur un problème en suspens, soit pour compléter l'oeuvre de ses prédécesseurs, soit pour faire remonter un pan du passé occulté.

Votre thèse paraît en 1968 sous le titre Les Algériens musulmans et la France, 1871-1919. Elle représenteAgeron_musul l'entreprise d'archéologie la plus complète qui soit de la strate de colonisation déposée par la Troisième République en Algérie dans ce demi siècle que vous parcourez et une enquête en profondeur, vertigineuse d'érudition maîtrisée, sur la condition des sujets indigènes de la France dans cette province très particulière qu'était l'Algérie française. Le premier apport de cette thèse monumentale est de démontrer, avec une rigueur impeccable, le refoulement d'un peuple par la minorité coloniale aux limites de l'infrahistoire. Qu'il s'agisse de la législation foncière, du régime forestier, de la fiscalité à double détente avec le s"impôts arabes" ou du code de l'indigénat, votre étude est argumentée comme une magistrale plaidoirie en faveur d'un peuple nié, dépersonnalisé et exclu de la cité. Elle est, à rebours, une pièce à conviction implaccable contre l'oligarchie coloniale en Algérie.

Il reste possible de comprendre autrement cette période en s'adossant même à votre travail. On peut affirmer, comme les marxistes férus de structuralisme dans les années 1960, que la colonisation en Algérie, comme ailleurs, faisait système et que les hommes n'étaient que les instruments de ce système. Ou bien on peut mettre en exergue que Paris était, en dernière instance, la clé de voute de la République impériale, que par conséquent, la classe dirigeante locale n'était qu'une courroie de transmission et que c'est la République qui est intrinsèquement colonialiste. Mais, de toute façon, on ne peut, travaillant l'Algérie sur ce demi-siècle, faire l'économie de votre ouvrage, qui reste bien plus que la référence centrale : le socle indéracinable des études portant sur l'Algérie au temps des Français.

 

Beaucoup de vos lecteurs découvrent dans votre thèse un regard posé sur l'histoire auquel vous vous tiendrez par la suite, de sorte que votre œuvre scientifique fait suite à elle-même, à la différence de la majorité de vos contemporains qui seront le jouet des mésaventures de la dialectique ou bien erreront d'une posture historiographique à l'autre pour se cramponner à une avant-garde qui, depuis longtemps, n'est plus une aventure, mais une assurance. La certitude qui arme votre thèse, c'est qu'il y a un ordre du politique doté de sa consistance propre et qu'une démarche citoyenne ou militante peut agir sur lui pour le modifier. Car c'est par la politique que les peuples accèdent à leur histoire, qu'ils cessent de la subir pour l'assumer. Cette autonomie du politique, bien peu de travaux novateurs s'en réclament dans le courant de ces années 1960-1970, quand le Maghreb et, plus généralement, le Tiers-Monde deviennent des places-fortes et presque le territoire réservé d'une philosophie de l'histoire portée par le principe d'explication selon lequel l'infrastructure économique commande au politique, comme le pouvoir est au bout du fusil.

La génération qui accède à la recherche historique aujourd'hui a du mal à réaliser l'ambiance intellectuelle de ces années 1960-1970 et à comprendre le mélange de pouvoirs de persuasion et d'intimidation du marxisme et du gauchisme tiers-mondiste, qui conféraient une explication rationnelle à la poussée imprévisible et mystérieuse de l'événement : en l'occurrence la débâcle des empires coloniaux. Vous avez, Monsieur Ageron, de même qu'un autre grand historien qui était également un esprit libre, Henri Brunschwig, aidé nombre de jeunes chercheurs à trouver leurs marques encore hésitantes, quand ils subissaient quelque peu l'emprise de cette école de pensée, dont on a oublié aujourd'hui la puissance de séduction.

Dans votre thèse déjà, vous mettez en exergue les hommes qui, sur les deux versants de l'Algérie coloniale, ont essayé de modifier un ordre de la cité qu'ils jugeaient inacceptable moralement et catastrophique politiquement : Ismaïl Urbain [photo ci-contre], Émile Masqueray, Jules Ferry, Paul Cambon, le recteur Jeanmaire, entre autres. De même, priviligiez-vous les Algériens musulmans, qui ont pensé et agi en médiateurs entre lesurbain deux communautés : Si Mohammed ben Rahal, le docteur Benthami et tant d'autres dans la mouvance des Jeunes Algériens. Dans la conjonction qui se produit entre Français indigénophiles et Jeunes Algériens, vous retrouviez comme une anticipation de l'alliance, si ténue, mais courageuse, qui se noua en 1956 entre des intellectuels nationalistes algériens et les militants d'Algérie-Espoir, à laquelle vous avez appartenu. Déjà vous affirmez votre prédilection pour les hommes passerelles entre les deux communautés, mais aussi pour les avertisseurs incompris en leur temps, les Cassandre qui crient dans le désert. Vous exhumerez de l'océan d'indifférence deux hommes, Ferhat Abbas et Maurice Viollette, qui furent les mécontemporains d'une époque qui s'aveuglait sur la pérennité du phénomène colonial. récemment, vous affirmiez du premier qu'il aurait pu être le Mandela de l'Algérie.

 

Annoncé par un Que sais-je ? bondissant d'intelligence historique, qui donne la réplique à celui, magistral, de Pierre Bourdieu consacré à la sociologie de l'Algérie, votre tome 2 de l'Histoire de l'Algérie socioalGcontemporaine, paru en 1979, prolonge le tome 1 dû à la plume étourdissante de Charles-André Julien. Il constitue une fresque complète de l'Algérie, du triomphe des colons au commencement de la fin, qui s'accélère après 1945. Il faut se hasarder dans l'entreprise d'écrire une histoire du Maghreb contemporain pour comprendre à quel point ce maître-livre est sans équivalent dans les protectorats, sur lesquels on dispose d'essais historiques, de qualité certes, mais qui n'ambitionnent pas d'être synthétiques, pour ne pas dire panoptiques, comme le vôtre.

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Au vu de votre tome 2, le lecteur est sensible à l'équilibre que vous avez maintenu entre les deux Algéries, qui se juxtaposent sans se compénétrer, sinon à la marge : sur des franges d'interférences qui ne vous échappent nullement. On vous savait avoir des affinités avec les Jeunes Algériens. Vous redonnez pourtant au mouvement des oulémas réformateurs et aux nationalistes plébéiens, entraînés dans le sillage de Messali Hadj, toute leur importance et leur consistance propre sans marquer de préférence. On vous situait comme un homme ayant peu d'affinités pour les extrêmes. Sur les communistes d'Algérie après 1945, vous nous projetez un éclairage qui fait abstraction de vos préférences partisanes. Vous nous démontrez que ces soi-disant sépératistes étrangers à la communauté française étaient les seuls à imaginer une cité franco-algérienne où il y eut de la place pour tous les habitants de l'Algérie et qu'ils constituaient uncamus_couv parti-charnière entre les deux communautés religieuses. Extrémistes les communistes algériens ? Nullement, mais hommes de l'intermédiation de plus en plus marginalisés par la bipolarisation raciale.

On peut évidemment projeter sur cette époque un autre éclairage. Peut-être ici l'homme de passion que vous êtes - vous qui êtes impassible et sensible à l'extrême - surprend sur un point  l'homme de rigueur impitoyable que vous n'êtes pas moins. C'est quand vous parlez du peuple des "pieds-noirs". En 1979, il est vrai, Le premier homme de Camus est encore inédit, qui nous révélera la charge d'inquiétude existentielle de ces hommes qui se sentent comme des enfants trouvés sur la terre d'Algérie, et qu'il faut lire en parallèle avec Ndejma de Kateb Yacine pour comprendre le flottement identitaire qui travaille les uns et les autres : ce qui se joue de déchirant, de paroxystique entre ces orphelins sur les versants opposés d'une Algérie à l'histoire rompue, au présent hybride et à la ligne d'horizon si incertaine, parce qu'orpheline de père. Peut-être eussiez-vous pu, en vous appuyant sur les témoignages d'Emmanuel Roblès, Jean Senac, Jean Pellegri, Jean Daniel, Marie Cardinal et de tant d'autres qui n'ont pas percé l'anonymat des fantassins de l'histoire, restituer une Algérie française à la topographie plus complexe et plus douloureuse que vous ne la donnez à voir.

 

En contrepont de ces grands ouvrages, il y a la myriade d'articles que vous avez consacrés à l'Algérie, où ruisselle votre savoir immense et bouillonne votre soif de nuancer, de corriger les travaux des autres. Vous y laissez libre cours à votre tempérament je ne dirais pas de polémiste, mais de chercheur de vérités qui ont été bousculées par des travaux aveuglés par des préjugés. Vous avez exercé sur la communauté des historiens ce droit de remontrance (nasîha) exercé par les ‘ulama sur le prince pour l'exhorter à rester sur le droit chemin. J'évoquerai quelques-unes, seulement, de vos dernières mises au point sur des points chauds de l'histoire du temps présent, qui sont des admonestations adressées à ceux qui diluent la vérité pour servir une explication partisane ou bien l'allongent pour qu'on braque sur eux le projecteur des médias.

Je vise ici vos écrits ponctuels sur le nombre de victimes de mai 1945 et de fin août 1955 et, plus globalement, le nombre des morts algériens au cours de la guerre d'indépendance, de même que vos mises au net sur le drame des harkis ou sur les fluctuations de l'opinion publique de 1954 à 1962. Ce qui caractérise ici votre démarche, c'est l'absence totale de complaisance pour toutes les vérités reçues ; c'est la mobilisation de toutes les ressources de votre immense savoir pour parvenir à une plus juste appréciation du réel. Cette exigence de remise en cause des savoirs établis, vous l'exercez sur vous-même et vous vous corrigez durement ; je fais allusion, entre autres, à votre première approche de l'émir Khaled, avant qu'on sache la teneur de son adresse à Wilson, en 1919.

Vous aimez démystifier les lectures idéologiques de l'histoire. Vous traquez avec acharnement les traces du passé pour corriger les chiffres qui empoisonnent l'imaginaire des peuples et alimentent la guerre des mémoires. Vous ne croyez pas à la mémoire, toujours menacée d'être manipulée et de devenir non plus une mémoire vive, porteuse de libertés pour les consciences individuelles, mais une mémoire obligée, qui les enferme dans des croyances collectives, où la passion opacifie la connaissance. Volontiers, vous soucrivez, en la transcrivant en version laïque, à l'injonction de l'apôtre Paul de Tarse : "Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres". Effectivement, vous avez la certitude qu'on doit faire la vérité sur un problème historique, parce que vous croyez au réel et que vous savez qu'il se venge, lorsqu'on le maltraite à force d'approximations et de contresens. Vous pensez qu'on peut parvenir à un "récit vrai" de l'histoire. On plaisante gentiment votre néo-positivisme. On devrait plutôt saluer votre réalisme critique.

Vous reconstruisez le réel en vous astreignant à l'ascèse de l'exigence de la preuve documentaire. Certains pourraient incriminer votre état d'esprit et vos procédures de juge d'instruction. Vous rétorquez que l'histoire de l'ère coloniale est trop grave et lourde d'enjeux de mémoire pour qu'on l'abandonne aux historiens qui croient à la mémoire autant qu'à l'histoire. En s'inspirant de Paul Ricoeur, on pourrait que l'historien en vous opère comme l'analyste dans la cure psychanalytique pour clarifier une conscience civique obscurcie par le travail de la mémoire, qui reste toujours hasardeux et producteur de faux sens. Mais je n'irai pas plus loin dans ce débat, où votre confiance absolue dans la suprématie de l'indice écrit sur le témoignage oral vous engage à une fructueuse confrontation de points de vue avec nos plus jeunes collègues.

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salle de lecture des archives diplomatiques à Nantes

 

Certains, de même, pourraient regretter que vous ne nous ayez pas délivré le mode d'emploi de votre oeuvre et c'est un fait qu'on ne trouve pas de discours de la méthode sous-jacent dans vos maîtres-livres. À ceux-là, vous pouvez rétorquer en transposant la formule de Matisse : "Ce qui compte, ce n'est pas ce que dit un peintre, c'est ce qu'il peint". De même pour l'historien. Vous n'avez donc pas fait dans la miniature surchargée de signes exigeant un décrypteur pour les déchiffrer. Vous avez peint de larges fresques historiques, comme d'autres ont écrit des romans fleuves historiques, où, comme dans votre oeuvre, on voit le travail du temps exercer ses effets.

Je ne sais trop quel grand spirituel du XXe siècle a dit :"Nous naissons vieux, il faut apprendre à mourir jeunes". Monsieur Ageron, vous nous précédez de beaucoup dans l'acquisition de cet état d'esprit grâce auquel on se déprend de l'obsession, si légitime à ses débuts dans le métier, de creuser sa trace dans le territoire de l'historien. Ce qui vous importe depuis longtemps, c'est de servir notre discipline scientifique et de transmettre une éthique de la profession. Vous nous objurguez de maintenir le cap de la connaissance historique, parce que vous croyez avec un élan contagieux à l'accès à la vérité historique par le travail de la recherche. Vous êtes devenu notre naqîb ; je veux dire le syndic doyen des études historiques sur le Maghreb et le phénomène colonial en France. Mais vous êtes restés notre shâb : le plus jeune d'entre nous par l'appétence qui vous caractérise, quand vous déliez avec une fiévreuse impatience les ficelles retenant la liasse de papiers commandée la veille au service d'archives du fort de Vincennes, à la manière d'un étudiant dont c'est le premier contact avec l'archive. Car, plus qu'aucun d'entre nous, vous restez un historien affamé d'archives comme l'ogre de chair fraîche, ainsi que le recommandait Marc Bloch dans son Apologie du métier d'historien.

Daniel Rivet (2000), in
La guerre d'Algérie au miroir des décolonisations françaises,
actes du colloque en l'honneur de Charles-Robert Ageron
,
Sorbonne, novembre 2000,
Société française d'histoire d'outre-mer, 2000, p. 5-16.

 

 

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cartons d'archives au Caom (Aix-en-Provence, juillet 2004)

 

quelques liens

  • texte de Charles-Robert Ageron (1984) : L'Exposition coloniale de 1931 : mythe républicain ou mythe impérial ? [lire]
  • bio-bibliographie parue sur le site de la Société française d'histoire d'outre-mer (SFHOM) [lire]

 

Vignette DECITRE - Cliquez pour fermer.

 

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Ageron, Alger, annés 1950
Charles-Robert Ageron, Alger, annés 1950

 



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28 décembre 2006

Origines géographiques des visiteurs de ce blog (28 décembre 2006)

http://soulalain.blogs-de-voyage.fr/images/medium_tunisie-drapeau.3.gif
drapeau de la Tunisie



Origines géographiques des visiteurs

du blog "Études Coloniales"

28 décembre 2006




Diapositive1
(cliquer sur l'image pour l'agrandir)


- Près de la moitié des visiteurs, en cette fin de matinée du jeudi 28 décembre 2006, proviennent de Tunisie.


Tunisie coloniale

http://www.affiche-francaise.com/images6/ElmekkiTunisie.JPG
Elmekki, 1954 (source)


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Tunisie, médaille coloniale pour les opérations de 1881 (source)
(cliquer sur l'image pour l'agrandir)


Diapositive1
Tunis, la gare française


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musée du Bardo (Tunis)


L'image “http://www.tunecity.net/IMG/jpg/sfax-loubet.jpg” ne peut être affichée car elle contient des erreurs.
Sfax (Tunisie), rue Émile Loubet


- Répertoire des historien(ne)s du temps colonial

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15 mai 2006

origines géographiques des connexions à "Études Coloniales"

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la bannière d'Études Coloniales, depuis le 28 février 2006

origines géographiques

des connexions à "Études Coloniales"

journée du 15 mai 2006



Le lundi 15 mai 2006, à 22 h 30, l'origine géographique des connexions à ce site étaient les suivantes :

 

g_o_blog_etudes_coloniales

 

Attention ! Il ne s'agit que des 100 dernières connexions... De nombreux autres pays fournissent des lecteurs. On le verra prochainement.

La mise en ligne d'une revue - qui est l'objectif principal de l'association Études Coloniales - permettra indéniablement d'atteindre des lecteurs qu'aucune revue traditionnelle de support papier ne saurait toucher aujourd'hui.

Association "Études Coloniales"

 

 

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jardin de l'ancienne résidence du sultan Moulay Ismaïl à Tanger
(photo : © Mohammed El Joumri)



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7 novembre 2012

Si Kaddour Ben Ghabrit, un "juste parmi les nations" ?

couv Mohammed Aïssaoui

 

La Mosquée de Paris a-t-elle sauvé des juifs

 

entre 1940 et 1944 ?

 

une enquête généreuse mais sans résultat

 

Michel RENARD

 

Le journaliste au Figaro littéraire, Mohammed Aïssaoui, né en 1947, vient de publier un livre intitulé L’Étoile jaune et le Croissant (Gallimard, septembre 2012). Son point de départ est un étonnement : pourquoi parmi les 23 000 «justes parmi les nations» gravés sur le mémorial Yad Vashem, à Jérusalem, ne figure-t-il aucun nom arabe ou musulman ?

Il mène une enquête, cherche des témoins ou des descendants de témoins, évoque la figure de Si Kaddour Ben Ghabrit, directeur de l’Institut musulman de la Mosquée de Paris de 1926 à 1954, fait allusion à d’autres personnages qu’il a rencontrés, et plaide pour une reconnaissance mémorielle d’actes de solidarité, de sauvetage, de juifs par des musulmans durant cette période. Et pour leur reconnaissance et inscription sur le mémorial de Yad Vashem.
 

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mémorial Yad Vashem

Cet ouvrage est fréquemment mentionné par voie de presse, avec force sympathie. Mais… rares sont les critiques, positives ou négatives, réellement argumentées. On a le sentiment que ce livre est légitime, généreux, qu’il «tombe» bien en cette période.
C'est ce que le sociologue américain Merton avait repéré dans les phénomènes d'identification et de projection même si le rapport à la réalité est totalement extérieur. Aujourd'hui, l'Arabe musulman, sauveur de juifs, devient un type idéal auxquels de nombreux musumans ont envie de croire. La réalité n'est pas celle-ci, mais peu importe ! On reproduit la quatrième de couverture du livre (qu'on n'a pas lu), on ose quelques citations d’extraits… Mais personne ne se hasarde à une évaluation de la validité historique de sa teneur.
 

Compliments

Commençons par les compliments. Et pas seulement pour contrebalancer, de manière formelle, les critiques qui vont suivre… Ce livre a des qualités. Il est passionné. Mohammed Aïssaoui, tel un Tantale ne cesse de remonter le rocher contre l’oubli. Il cherche, s’évertue à prolonger les moindres pistes, ne renonce pas devant les échecs partiels, interroge et ré-interroge, fouille des archives, se déplace en France et au Maghreb. Le sujet lui tient à cœur. Il a également des qualités morales, n’hésitant pas à critiquer l’antisémitisme d’une partie du monde arabe et musulman, se sentant dépassé par la haine anti-juive et le pro-hitlérisme du mufti de Jérusalem, Hadj Amin al-Husseini (1895-1974), encore considéré comme un héros par beaucoup.

Mohammed Aïssaoui est un humaniste. Il est intérieurement remué devant la modestie et la discrétion publique d’hommes ou de femmes qui devraient être considérés comme des héros. Il est sensible au moindre geste d’altruisme et de désintéressement.

Il a lu, comme moi, avec émotion et engouement le livre d’Ali Magoudi, Un sujet français (2011) sûrement frappé par «l’autopsie du silence paternel» (p. 59 du livre d'Ali Magoudi) et ses raisons profondes : «Pris par la nécessité d’occulter ses faits de collaboration, mon père a caché tout événement qui l’aurait trahi. Il a omis de nous raconter Pruszków, quitte à inventer un camp de concentration et une évasion héroïque sur un chariot de morts, version plus glorieuse qu’une libération pour cause de collaboration» (p. 328).

Sincèrement, je crois qu’il a manqué à Mohammed Aïssaoui un peu de cette réserve devant les témoignages dont Ali Magoudi a fait une tension intellectuelle sans faille. L’Étoile jaune et le Croissant veut, à tout prix, trouver des «justes parmi les nations», des musulmans qui auraient sauvé des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale en France.
 

Quels témoins ?

Mais il n’en trouve guère. Les comptes rendus, dans la presse, disent qu’il a sollicité des «interlocuteurs célèbres comme Elie Wiesel, Serge Klarsfeld et Philippe Bouvard». Mais aucun de ces trois personnages ne témoigne en faveur d’une activité organisée de la Mosquée de Paris. Wiesel (p. 17-18) est rencontré à titre de témoin du génocide en général et de la transmission de la mémoire. Rien à voir avec la Mosquée de Paris. Klarsfeld explique que pendant quelques mois, il a eu «une mère algérienne et musulmane… appelée Mme Kader» (p. 25). Durant l’Occupation, dit-il, «elle a bénéficié de faux papiers avec un prénom et un nom arabe» délivrés «par une filière classique de faussaires» (p. 25). Donc, pas de rapport, a priori, avec la Mosquée de Paris. Plusieurs filières de délivrance de faux papiers ont existé sous l'Occupation, certaines résistantes et d'autres simplement mercantiles.

Le cas de Philippe Bouvard est différent. Son père adoptif, Jules Luzzato, juif, petit-fils de rabbin, fabriquait des costumes civils pour des déserteurs allemands. Dénoncé et arrêté, il est finalement délivré suite à une démarche de la mère de Philippe Bouvard auprès de Si Kaddour Ben Ghabrit.

«Avec ma mère, ajoutait-il, on se cachait, on a peut-être changé une dizaine de fois de domicile. Non, je ne me souviens pas que nous nous soyons cachés à la Mosquée. Mais j’y allais souvent, tout m’y semblait exotique, c’était, pour moi, le grand dépaysement en prenant simplement le métro jusqu’à Jussieu. Je pense que ce qui rapprochait ma mère et Si Kaddour, c’était la littérature, la culture et la musique. Son salon était très vivant.» (p. 68).

Geste noble de la part de Si Kaddour, mais peut-être seulement motivé par une espèce de connivence intellectuelle, une accointance de salon. Cela étant, il l’a fait.

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Si Kaddour Ben Ghabrit

Quels autres témoins, Mohammed Aïssaoui peut-il mobiliser ?  Il y a en a une, du nom d’Oro Boganim, infirmière à l’hôpital franco-musulman, dont le fils Michel Tardieu, rapporte que Si Kaddour l’a appelée un jour pour lui dire : «les Allemands sont en train de regarder les dossiers du personnel de l’hôpital, ils vont se rendre compte que tu es juive. Sauve-toi tout de suite !» (p. 43). Michel Tardieu dit que «Si Kaddour a sans doute aidé sa mère à sortir, mais je ne sais pas comment» et que son père, Noël Tardieu, français et catholique, l’a ensuite rejointe au Maroc.

Mohammed Aïssaoui cite également un auteur marocain d’une biographie de Si Kaddour, Hamza ben Driss Ottmani, évoquant le cas d’une pianiste sauvée par le recteur de la Mosquée de Paris. Elle s’appelait Georgette Astorg, son nom de jeune fille étant Zerbib : «Après s’être renseigné, Si Kaddour aurait décidé de l’abriter au sein de la Mosquée pendant quelques jours, puis aurait facilité son transfert en zone libre, à Toulouse» (p. 62).

Tout cela est peut-être vrai. Mais les preuves sont ténues et non corroborées.

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Le documentaire de Derri Berkani (1990) et ses témoins

Jusqu’alors, le poids principal des témoignages reposait sur les personnages intervenant dans le documentaire de Derri Berkani, Une résistance oubliée, la Mosquée de Paris de 40 à 44 (La Médiathèques des trois mondes, 1990)… que j’ai eu la prescience d’acheter moi-même quand on le trouvait encore à la librairie de l’Institut de Monde Arabe il y a quelques années…

Le témoin principal justifiant une activité de sauvetage d’envergure de juifs par la Mosquée de Paris était Albert Assouline. Ce dernier, abrité lui-même par la Mosquée sous l’Occupation avait déjà parlé de tout cela en 1983. Mohammed Aïssaoui le cite (c’est aussi dans le documentaire filmé) : «Pendant toute la dernière guerre, la Mosquée de Paris ne cessa d’apporter son aide à la résistance contre l’Allemagne nazie. Pas moins de 1732 résistants trouvèrent refuge dans ses caves : des évadés musulmans mais aussi des chrétiens et des juifs. Ces derniers furent de loin les plus nombreux» (p. 105). Le chiffre de 1732 serait établi à partir des cartes de rationnements distribuées par la Mosquée. Quelles sources à cette affirmation quantitative… ?

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Albert Assouilne

La même année, Albert Assouline livrait ce témoignage dans le bulletin Les Amis de l’Islam, n° 11, 3e trimestre (disponible aux Archives départementales de la Seine-Saint-Denis à Bobigny) : «C'est dans le sous-sol de cette Mosquée si paisible jusqu'alors que, pendant l'occupation nazie, se réfugièrent de nombreux hommes, femmes et enfants ; beaucoup d'entre eux étaient des juifs d'Afrique du Nord, des communistes ou des francs-maçons que le gouvernement de Vichy avait mis hors-la-loi, sans compter des évadés d'Allemagne et des aviateurs anglais. L'accueil réservé à une fillette de 12 ans nommée Simone Jacob n'a pas été oubliée : elle est devenue Simone Veil.»

Tout cela est invérifiable et même en partie démenti. D’où vient ce chiffre de 1732 cartes de rationnements ? Comment la Mosquée se les aurait-elle procurées ? Qui en aurait bénéficié ?

 

Personne n’a jamais témoigné

Personne n’a jamais témoigné avoir été abrité dans ces caves ou sous-sols de la Mosquée. Dalil Boubakeur répond à Mohammed Aïssaoui : «Il y a bien des caves ! Mais pas de sous-sols censés communiquer avec la Bièvre ! Quand je suis arrivé, j’ai bien trouvé un panneau sur lequel était indique le mot "ABRI", une protection dans les sous-sols en cas de bombardements de Paris par les avions alliés. La confusion vient peut-être de là… C’était un refuge réquisitionné pour la population du quartier pendant l’Occupation, mais impossible d’abriter là-dessous 1700 personnes» (p. 77).

Quant à Simone Veil qui aurait été sauvée par la Mosquée de Paris, selon Albert Assouline, Dalil Boubakeur répond : «C’est [l’imam Mohamed Benzouaou] qui serait à l’origine de la fable selon laquelle Simone Veil a été sauvée par la Mosquée de Paris» (p. 100).

stèle Benzouaou en 1998
stèle de Mohhmed Benzouaou au cimetière de Bobigny (photo MR, mars 1998)

De mon côté, j’avais remarqué depuis longtemps l’impossibilité chronologique de ce «sauvetage» de Simone Veil par la Mosquée et lui avais écrit à ce sujet. Je l’avais déjà mentionné allusivement et sans trop de précision. Mais voici sa lettre. Elle m’avait répondu :

- «Je vous remercie d’avoir pris soin de vérifier cette affirmation qui vous a paru contradictoire avec les éléments biographiques me concernant qui figurent dans le livre de Maurice Szafran. En effet j’ai eu l’occasion à diverses reprises de démentir la rumeur et les écrits de M. Assouline selon lesquels j’aurais été cachée à la Mosquée de Paris.
Née à Nice, j’ai toujours vécu dans cette ville jusqu’à mon arrestation le 30 mars 1944, à l’exception de quelques déplacements très brefs à Paris avant la guerre pour rendre visite à des membres de ma famille.
À l’exception du transfert de Nice à Drancy au début du mois d’avril 1944, je ne suis jamais allée à Paris pendant la guerre. Tout ce que je peux dire des écrits de M. Assouline, c’est qu’il n’est pas théoriquement impossible qu’une fillette de 12 ans, portant les mêmes nom et prénom ait été effectivement cachée à la Mosquée.
N’ayant pas les coordonnées de M. Assouline (je ne savais d’ailleurs pas jusqu’à ce jour qu’il était à l’origine de cette information inexacte), je n’ai jamais pu rétablir la vérité. Je vous serais obligée, si vous en avez l’occasion de bien vouloir le faire.» (lettre de Simone Veil, du 8 février 2005).

Simone_Veil_s
Simone Veil

Le témoignage d’Albert Assouline n’est donc pas crédible et doit susciter la méfiance de l’historien. Comme le dit le recteur Dalil Boubakeur, il s’agissait d’un homme «au cœur très généreux, très imaginatif» (p. 81). Peut-être trop imaginatif ?

Le documentaire de Derri Berkani, comme le film d'Ismël Ferroukhi, Les hommes libres (septembre 2011), mettent en avant la figure du chanteur juif Salim (Simon) Halali qui aurait été sauvé grâce à la délivrance d’une attestation de musulmanité délivrée par Si Kaddour qui aurait fait modifier l’inscription d’une stèle funéraire au cimetière musulman de Bobigny pour y porter le nom de Halali. Mohammed Aïssaoui, dans son livre, précise qu’il a cherché cette tombe et ne l’a pas trouvée : «Par acquit de conscience, je me suis rendu au cimetière de Bobigny. Il est impossible de savoir si un jour il y a eu ici une tombe au nom du père de Salim Halali. La légende est belle, mais est-elle vraie ?» (p. 108).

De mon côté, dans mes investigations sur les inhumés du cimetière musulman de Bobigny, devenu aujourd’hui cimetière intercommunal, je n’ai jamais rencontré de Halali.
 

cimetière Bobigny en 1998
vue partielle du cimetière musulman de Bobigny (photo MR, mars 1998)

 

Que reste-t-il ?

Mohammed Aïssaoui a trouvé des archives – que j’ai lu et enregistrées il y a déjà longtemps déjà… mais pas encore publiées – relatives à l’activité de la Mosquée de Paris entre 1940 et 1944. Il les cite mais n’en tire guère de conséquence logique.

Quand Si Kaddour Ben Ghabrit est plus ou moins accusé de collaboration en 1944, il rédige et fait rédiger en septembre trois notes remises au capitaine Noël, officier d’ordonnance du général Catroux : l’une de lui-même, l’une de Rageot, consul de France au ministère des Affaires étrangères et l’autre de Rober Raynaud, chargé des fonctions de secrétaire général de l’Institut musulman depuis 1926 par le même ministère des Affaires étrangères (Mohammed Aïssaoui cite en partie la première).

Or, à aucun moment, ces trois mémoires en défense ne font allusion à ce sauvetage massif de juifs et de résistants dont la Mosquée aurait été l’auteur. Le seul axe de parade est d’expliquer comment Ben Ghabrit a su jouer des demandes allemandes sans les satisfaire.

Comme l’explique Rageot : «À ces dispositions successives des autorités d'occupation, comment y a-t-il été répondu par la Mosquée?
Tout d'abord et d'une manière générale, par les façons courtoises et la correction absolue du directeur et du personnel. Je dois dire que j'ai moi‑même été tenu au jour le jour exactement informé de ce qui se passait, coups de téléphone, demandes d'audience, conversations, démarches, etc... et que M. Ben Ghabrit et moi nous sommes régulièrement concertés sur l'attitude à observer et les réponses à faire. Nous ne pouvions demeurer invulnérables qu'à deux conditions : rester sur le terrain religieux et nous abstenir de toute politique. M. Ben Ghabrit y a parfaitement réussi.

Sur le terrain cultuel, en multipliant son aide et ses soins aux musulmans, prisonniers ou civils qui ont afflué à la Mosquée chaque année de plus en plus nombreux.

Sur le terrain politique, en s'abstenant de prendre parti dans les questions touchant à la collaboration, au séparatisme, au Destour et d'une façon plus générale, de répondre aux attaques dont la Mosquée a été l'objet de la part de musulmans à la solde de l'ambassade. Jamais, en cette matière, M. Ben Ghabrit ne s'est laissé prendre en défaut et il a su imposer la même discipline à son personnel religieux. En cela il s'est attiré personnellement et à plusieurs reprises l'animosité des autorités allemandes.» (Archives Nationales).

Au vu de la prudence ici rapportée, et de la surveillance dont la Mosquée faisait l'objet par les autorités allemandes, il semble difficile d'imaginer ces centaines de sauvetage, ces allées et venues... qui n'auraient jamais donné lieu à des arrestations.

 

Quelques erreurs

Mohammed Aïssaoui commet parfois quelques confusions. Par exemple entre la Brigade Nord-Africaine, la branche policière du Service de surveillance et de protection des Indigènes nord-africains, de la rue Lecomte, créée en 1925, et le «Comité Musulman de l'Afrique du Nord» créé par l’algérien musulman collaborateur El-Mahdi sous l’Occupation (p. 147-149).

Autre imprécision. L’échaudoir musulman (p. 130). Je raconterai cette histoire ailleurs. Mais le contentieux date d’avant la guerre. La Préfecture avait accordé, sans formalisme administratif un agrément pour l’exploitation d’un échaudoir (lieu de sacrifice rituel pour les musulmans) dès le 12 juin 1939 à Si Ahcène Djaafrani, leader de la confrérie Al-Alaouia à Paris depuis des années.
En fait, cette autorisation fut officiellement attribuée à la Mosquée de Paris, seul organisme musulman reconnu officiellement par les autorités métropolitaines. Mais cette substitution d’attribution fut conflictuelle. Et il est vrai que Si Kaddour n’usa point que d’arguments moralement dignes… Mais la police n’a pas grand chose à lui reprocher. En tout cas, cela n’a rien à voir avec la collaboration.

 

«pas de témoins directs»

Finalement Mohammed Aïssaoui, non seulement n’a pas été capable de fournir, au terme de sa quête, de témoignages vraiment irréfutables, mais il a même en partie déconsidéré ceux qui existaient préalablement (Salim Halali, Albert Assouline…) – ce que je savais déjà…. Et il avance, en plus, la preuve (p. 93-96) que Ben Ghabrit n’a pas toujours répondu en faveur de juifs dont le Commissariat aux Questions Juives lui demandait s’ils étaient musulmans ou non. Jean Laloum, chercheur au CNRS, a publié un article à ce sujet dans Le Monde du 7 novembre 2011.

Mohammed Aïssaoui finit par reconnaître : «Je n’ai pas à proprement parler de témoins directs» (p. 171). D'ailleurs l'auteur ne mentionne qu'allusivement, et sans jamais s'appuyer sur lui, le film Les hommes libres d'Ismaël Ferroukhi (septembre 2011) parce qu'au terme de son enquête il sent bien que cette production est totalement fictionnelle et ne repose sur rien de tangible.

Au final, la probabilité de vérité historique de sauvetage de juifs par la Mosquée de Paris se réduit peut-être à quelques cas – pour lesquels, cependant, aucune preuve ne peut être fournie sans conteste et sans croisement de sources – due à l’intervention personnelle de Si Kaddour Ben Ghabrit dont les motivations restent obscures.
Des présomptions mais pas de preuves. Jamais le personnage n’a revendiqué, après guerre, ces interventions. Si Kaddour Ben Ghabrit n’a pas été un collaborateur mais il est, pour le moment du moins, quasiment impossible de le considérer comme un «juste parmi les nations».

Michel Renard
7 novembre 2012

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Mohammed Aïssaoui

 liens

- http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/2011/10/09/22292189.html

- http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/11/07/la-mosquee-de-paris-sous-l-occupation_1599082_3232.html

- http://etoilejaune-anniversaire.blogspot.fr/

 

couv Mohammed Aïssaoui

 

__________________________________

 

précision

Mon collègue Maxime Gauin me signale ceci à propos de la mention de musulmans au mémorial de Yad Vashem :

- «Son point de départ est un étonnement : pourquoi parmi les 23 000 "justes parmi les nations" gravés sur le mémorial Yad Vashem, à Jérusalem, ne figure-t-il aucun nom arabe ou musulman ?» S'il a vraiment écrit ça, c'est un ignorant. Selahattin Ülkümen (1914-2003), consul de Turquie à Rhodes pendant la Seconde Guerre mondiale a été reconnu comme Juste parmi les nations en 1990. http://www1.yadvashem.org/yv/en/righteous/stories/ulkumen.asp Un dossier est en cours pour l'ambassadeur turc à Paris, le consul à Marseille et quelques autres. 65 Albanais (en majorité musulmans) ont été faits Justes parmi les nations en 2010 : http://www.amb-albanie.fr/press.html

 

 

 

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18 octobre 2018

Jean Sévillia, Les vérités cachés de la guerre d'Algérie

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Jean Sévillia

Les vérités cachées de la guerre d'Algérie

Fayard, 24 octobre 2018

 

 

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27 octobre 2017

Daniel Lefeuvre : l'Algérie au temps colonial, le droit d'inventaire

Daniel C dans l'air (1)

 

 

Daniel Lefeuvre :

l'Algérie au temps colonial, le droit d'inventaire

 

 

émission C dans l'air, 20 décembre 2012 (extraits)

 

 

Daniel Lefeuvre, 1951-2013

 

Daniel C dans l'air (2)

 

 

img-1

 

daniel repentance couv

 

 

 

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28 août 2023

congrès national du Cercle algérianiste à Béziers, 20-22 octobre 2023

 

mail

 

congrès national du Cercle algérianiste

à Béziers, 20-22 octobre 2023 

 

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14 juin 2021

cérémonies du 5 juillet 2021

memorial-national-de-la-guerre-d-algerie-et-des-combats-du-maroc-et-de-la-tunisie-sga-dmpa

 

 

cérémonies du 5 juillet 2021

guerre d'Algérie

 

À la mémoire des victimes oranaises du 5 juillet 1962 et de tous civils, militaires et harkis tombés en Algérie ou portés disparus.

Souvenons-nous de nos morts restés sur notre terre d'Algérie.

5 juillet cérémonies

 

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