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études-coloniales

16 décembre 2006

Gilbert Meynier, L’Algérie des origines. De la préhistoire à l’avènement de l’Islam

Diapositive1

 

L'Algérie des origines : histoire

avant-propos, par Gilbert Meynier


Gilbert Meynier, L’Algérie des origines. De la préhistoire à l’avènement de l’Islam, 228 p., à paraître à La Découverte le 27 décembre 2006

Meynier_portrait_juin_2006Dans l’Antiquité, il n’y avait pas d’Algérie, a fortiori avant l’Antiquité, parce que les nations et les États modernes n’existaient pas. Pour des raisons qui relèvent, non de l’Histoire, mais des préoccupations de pouvoir s’articulant sur l’idéologie, des terminus a quo ont arbitrairement fixé tels événements censés décisivement donner le branle à l’évolution historique de l’Algérie. Le Front de libération nationale (FLN) et le pouvoir autoritaire à ancrages militaires qui en est issu et qui régit l’Algérie depuis des décennies ont fait du 1er novembre 1954 le moment zéro de la libération de l’Algérie du colonialisme, moment sans antécédents et sans mémoire.

Jusqu’à la fin du XXe siècle, les manuels d’histoire algériens, conçus à partir de l’époque de Houari Boumediene, ne mentionnaient ni Messali Hadj, ni les militants centralistes du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), ni même nombre de chefs historiques du FLN de 1954 : il s’agissait ce faisant de disqualifier toute la préhistoire du nationalisme algérien – l’Étoile nord-africaine, puis le Parti populaire algérien-Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (PPA-MTLD) –, parce que cette séquence était trop dominée par la figure historique de Messali. Et, plus largement, de mettre hors jeu les ennemis centralistes, ces authentiques politiques qui passèrent la main sans rupture  du MTLD au FLN, et que l’État-major général de Boumediene élimina sans espoir de retour à l’été 1962 sous le parapluie du fragile fusible civil qu’était Ahmed Ben Bella – lui-même éliminé politiquement à son tour trois ans plus tard. Enfin, il importait de ne pas mentionner ceux des chefs historiques qui avaient politiquement mal tourné aux yeux d’une histoire officielle plombée par les bureaucrates dirigeants.

L’appareil qui s’empara alors du pouvoir eut aussi à cœur de figer les Algériens dans une identité identifiée sans discussion à ce qu’il disait être l’islam, et à la langue arabe : c’était là une vision dérivée desportra3 conceptions religieuses/culturalistes des ‘ulamâ’, [photo ci-contre] reprise et instrumentalisée pour en faire un topos dominant de la langue de bois officielle. Étant entendu que l’arabe dont il était question était trop souvent un arabe obscurantisé, qui n’avait que peu à voir avec l’épanouissement des grands penseurs et des grands poètes de l’époque classique de la civilisation arabe, et pas davantage avec les intellectuels libres et hardis de la Nahda égyptienne, dont le regretté Naguib Mahfouz était un chaleureux descendant.

Alors que, même dans l’Égypte de Nasser, de Sadate et de Moubarak, les manuels d’histoire ont toujours insisté sur la civilisation égyptienne de l’Antiquité – rappelons que c’est sous Nasser qu’une colossale statue de Ramsès II a été érigée sur la place de Bab El Hadid, devant la gare centrale, avant d’en être récemment retirée pour cause de dégradation liée à la pollution du Caire –, on se mit en Algérie à faire coïncider le début de l’histoire dans les manuels avec l’avènement de l’islam dans le nord de l’Afrique. Ce qui précédait fut expédié en quelques paragraphes renvoyant à une jâhiliyya (l’état d’ignorance et de sauvagerie antéislamique) connotant aussi l’isti‘mâr (le colonialisme) : l’Empire romain, établi sur l’Afrique du Nord deux millénaires plus tôt, était vu purement et simplement comme un pouvoir colonial étranger oppressif, cela en contresens anachronique symétrique aux fantasmes français en la matière, qui représentaient l’Empire romain d’Afrique en continuité civilisationnelle européenne, comme un prestigieux précurseur de l’Algérie française.

Mais déjà, dans le mémoire présenté à l’Organisation des nations unies (ONU) en septembre 1948 par Messali, était entendu que l’histoire de l’Algérie ne commençait qu’à partir de l’islamisation du pays. Messali demeurait même en retrait par rapport à cette manière de Lavisse algérien que fut l’historien officiel de la construction nationale, Ahmed Tawfiq al-Madani. Pourtant, la contribution originelle à ce mémoire du jeune militant et intellectuel Mabrouk Belhocine faisait amplement référence à l’histoire précédant l’islam. Mais Messali avait censuré le jeune téméraire et fait bureaucratiquement expurger la version finale. Pourtant, l’ancienneté du fait berbère en Algérie est une évidence. On sait que la conquête islamo-arabe n’a pas berberes2zndéplacé vers le Maghreb des foules démesurées, pas plus que, par exemple en Europe, les invasions germaniques en France et en Espagne. Aujourd’hui, on peut raisonnablement affirmer que, peu ou prou, les Algériens sont très majoritairement des Berbères arabisés, nonobstant tels radotages d’intellectuels idéologues qui ont voulu faire d’eux des Yéménites originels.

Aucun historien de l’Algérie ne peut cependant nier ou sous-estimer la place éminente, en Algérie, de son ancrage islamo-arabe plus que millénaire, y compris dans les zones restées berbérophones où l’arabe est devenu langue du sacré et langue de haute culture. Le pays chaouia, dans la partie sud-orientale de l’Algérie, berbérophone, fut l’une des régions où, dès les années 1930, le mouvement culturaliste islamo-arabe des ‘ulamâ’ s’implanta le mieux. Et, pendant la guerre de libération de 1954-1962, c’est en Kabylie – en wilâya 3 – que l’Armée de libération nationale (ALN) insista le plus sur l’œuvre d’éducation à réaliser in situ, pour les générations montantes, sous l’oriflamme de l’islam et de la langue arabe ; cela sous l’impulsion de son chef, le colonel Amirouche, qui était évidemment berbérophone – un berbérophone dont des témoignages disent qu’il lui prenait parfois de faire semblant de ne pas comprendre le berbère. Il n’est pas impossible que de telles situations hybrides aient pu exister à l’époque romaine, entre le berbère et le latin.

La «crise berbériste», déclenchée par des militants nationalistes algériens du MTLD se refusant à n’envisager d’acception de la nation que réduite à sa dimension islamo-arabe, secoua le MTLD en 1948-1949, et elle fut tranchée par l’exclusion des «berbéristes», laquelle permit en même temps à Messali d’éliminer politiquement son rival du parti, le docteur Mohammed Lamine Debaghine [photo ci-contre] – lequel était pourtantimages_1 arabophone et musulman croyant. Jusqu’à la fin de la guerre de libération, et au-delà, vouloir poser au FLN la question de la langue et de la culture berbères fut assimilé à une déviation dont l’obscénité frisait la traîtrise. Il fallut attendre le printemps berbère de 1980 pour voir à nouveau la question posée au grand jour, et 1995 pour voir la création du – bien formel – Haut Commisariat à l’amazighité auprès de la présidence de la République.

C’est que, dans leur stratégie du «diviser pour régner», des idéologues coloniaux avaient construit un mythe kabyle qui alla jusqu’à assimiler narcissiquement les «Berbères», parés de toutes les vertus, aux Gaulois, pour les opposer aux «Arabes», auxquels étaient imputés tous les vices : se réclamer de la constante berbère, c’était donc emboucher les trompettes des colonialistes et faire leur jeu ; c’était trahir. Même si nombre de militants berbères ne sont pas toujours, eux aussi, à l’abri du reproche de simplisme et de manichéisme, le fait berbère (dans l’Antiquité, on disait «maure» ou «libyque») est une composante incontournable évidente de l’histoire et de la préhistoire  de l’Algérie.

L'image “http://www.eden-algerie.com/images/wed-jdai.jpg” ne peut être affichée car elle contient des erreurs.
Oued Jdai, vue proche d'Elkantara (source)


Cet ouvrage met à la disposition des lecteurs une oeuvre simple, de large vulgarisation, aussi bien informée que possible, et tient compte des avancées de la vraie recherche historique, celle dégagée des préoccupations de pouvoir et d’idéologie. Il a donc l’ambition de présenter clairement, d’abord aux Algériens et aux originaires d’Algérie, ce que furent leurs ancêtres, d’où ils venaient, quelles étaient leur vie et leurs préoccupations, leurs joies et leurs frayeurs ; mais aussi, à un plus large public, les origines d’un pays qui est un incontournable partenaire afro-méditerranéen de l’Europe. S’il peut donc contribuer, de part et d’autre de la Méditerranée, à battre en brèche les préjugés, à combattre les stéréotypes et à refuser les facilités, il aura atteint son objectif.

Les ancêtres des Algériens, alors non musulmans et non arabisés, ont vécu dans des sociétés et ont été régis par des États, qui ne méritent pas, loin de là, d’être ravalés à l’obscurité de quelque jâhiliyya que ce soit. Ils étaient en relations – commerciales, techniques, culturelles/artistiques – avec le Proche-Orient et, carthageplus largement, avec les pays qui bordent la Méditerranée. C’est en ce sens que l’influence punique – originellement phénicienne –, par Carthage [photo ci-contre], puis l’influence romaine, par Rome et par les romanisés de l’Empire romain, ont été déterminantes pour modeler l’organisation politique, l’économie, les cadres de la société, la culture et les orientations religieuses des ancêtres des Algériens, mais aussi pour donner la main à des continuités à première vue insolites : le punique avait ici et là subsisté jusqu’au moment de la conquête islamo-arabe et, en Africa (Tunisie) et en Numidie, les conquérants n’eurent pas toujours trop de mal à comprendre cette langue sémite, voisine de l’arabe et de l’hébreu.

Cela même si, à l’évidence, leur langue principale, leur culture, leurs conceptions du sacré restaient – restent encore par de multiples traits – largement tributaires du vieux substrat mauro-libyco-berbère. Mais sans que, dans l’Antiquité, ne fût jamais rompue l’ample symbiose méditerranéenne dans laquelle ils fonctionnaient.

Certes, ce livre ne taira pas les ruptures : de même que l’Algérie indépendante n’est ni l’Algérie coloniale, ni l’Algérie ottomane, ni davantage celle des royaumes berbères, le christianisme n’est pas la révérence au vieux panthéon punique et/ou gréco-romain ; et l’islam n’est pas le christianisme. Pourtant, les ancêtres des Algériens ont adhéré successivement à ces différentes formulations du sacré, du polythéisme à l’islam, en passant par le christianisme. Cette succession se produisit-elle à coups de ruptures ou, à l’inverse, un enchaînement de continuités a-t-il prévalu ?

Tunisia16
Thuburbo Majus, temple de Mercure (Tunisie)

Car, d’une forme humaine à des formes humaines renouvelées du rapport au sacré et des rites, que de continuités : à titre d’exemple, à Thuburbo Majus (dont les ruines sont situées aujourd’hui en Tunisie, près de la localité du Fahs), le règlement d’accès au temple d’Esculape – l’Asclepios grec, l’Eshmaus punique – comportait, trois jours durant, l’abstention préalable des relations sexuelles, l’interdiction de consommer de la viande de porc ainsi que l’obligation de se déchausser. Cela six siècles avant l’implantation de l’islam dans le nord de l’Afrique… Et, dès le néolithique, l’image du croissant de lune appartenait déjà à la symbolique du sacré, mais généralement associée à celle du soleil. De même, au Proche-Orient, dans une autre aire devenue très majoritairement musulmane, c’était sous la personnification de la lune que les Cananéens, les Phéniciens et les Chaldéens adoraient Ashtar (ou Ishtar), divinité qui présidait à la fécondité et à l’amour, et déesse du printemps – c’était l’Astarté grecque, dont dériva probablement Aphrodite, que les Romains assimilèrent à Vénus.

Pour revenir sur terre, beaucoup plus près de nous, aux XIXe et XXe siècles, si les colonisateurs exploitèrent tant la vigne pour produire du vin en Algérie, la viticulture était aussi une activité importante dans l’Antiquité : la production et la consommation de vin y étaient fort développées. Et, depuis plus longtemps encore, les humains s’y nourrissaient principalement de blé – le couscous est resté l’élément de base de leur alimentation –, tout comme sur l’ensemble des rivages méditerranéens : dans le sud de la Palestine, on en connaît une variété moins finement roulée, dénommée justement le maftûl (le roulé) ; et au couscous, équivalent le burghul turc – lequel ressemble au farîk constantinois (blé [ou orge] vert concassé) –, voire la pasta italienne, qui a largement conquis l’espace culinaire maghrébin.

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couscous maftûl palestinien

Enfin, sur le plan de l’organisation sociale, les ancêtres des Algériens, socialisés dans des communautés dont les traits, qui portaient là encore la trace de leur profond ancrage méditerranéen, perdurèrent durant des millénaires en Afrique du Nord : la patrilinéarité, l’endogamie, avec tous les tabous qui s’y rattachent, et le pouvoir souverain des humains de sexe masculin sur l’espace public. Ajoutons, toujours dans le sens du souci de la continuité dont ce livre s’efforce de faire preuve, que, dans tous ses chapitres, a été entrevue la question de l’établissement, à la suite des Phéniciens et de Carthage, de l’évolution et du rôle des Juifs en Afrique du Nord : car ils font bien partie, de manière inséparable, du peuplement et de la société, cela en constante depuis la plus haute Antiquité jusqu’au XXe siècle.

Pour rendre compte de toute la richesse et de toute la complexité du sujet, cet ouvrage propose donc, dans une première partie, d’étudier l’évolution du territoire correspondant à l’Algérie contemporaine, de ses habitants, de l’origine de la vie humaine à l’Antiquité, à travers l’analyse de la préhistoire et de la protohistoire, puis les royaumes maures et numides indépendants – avec notamment les hautes figures de Massinissa et de Jugurtha le rebelle –, avec leurs caractéristiques socio-politiques, linguistiques et culturelles/religieuses. L’influence de Carthage et l’inclusion ancienne du nord de l’Afrique au sein d’une très vivante symbiose méditerranéenne seront abordées.

Nous verrons que les luttes de pouvoir romaines apparaissent étroitement liées au sort de la Numidiejuba indépendante que, après la destruction de Carthage en 146 av. J.-C., Rome finit pas vassaliser, avant de l’annexer purement et simplement. Cela n’empêcha pas in fine le plus célèbre des princes maures vassaux de Rome, Juba II [photo ci-contre], d’incarner, depuis Caesarea (Cherchel), capitale de son royaume de Maurétanie, un apogée raffiné de l’art, de l’architecture et des sciences. Deux ans après le mort de son successeur Ptolémée (40), son royaume fut finalement annexé par l’empereur Claude (42).

Dans la deuxième partie, nous aborderons les «Romano-Africains», à l’époque classique de la domination romaine, du Ier au IVe siècle ap. J.-C. Cette «colonisation», dont le terme même est trompeur, n’eut pas grand chose à voir avec la colonisation entreprise dix-huit siècles plus tard sous l’égide conjointe du national français et de l’avancée du capitalisme. Nous examinerons l’administration romaine et l’encadrement militaire du dispositif défensif du territoire conquis par Rome, ainsi que les normes d’une société, que certains ont donnée pour romaine, mais que d’autres ont prétendue rétive à la romanisation, sans omettre les modalités de l’aménagement de l’espace, dont la rationalité organisatrice et comptable n’exclut pas une forte injustice dans la répartition de la richesse, porteuse d’explosions sociales.

La civilisation romano-africaine fut cependant, au premier chef, une civilisation centrée sur un épanouissement sans précédent des villes : les cités, avec leur connotation sacrée, avec les sépultures qu’elles abritaient pieusement, étaient aussi le lieu d’une vie sociale – marchés, théâtres, jeux du cirque, sens du décor de vie… Dans un tel contexte, seront abordées les manifestations de l’art, de la littérature et de la culture, tant dans les espaces privés que dans l’espace public, et enfin les révérences à un sacré dont les composantes vont d’une religiosité populaire, prenant en compte la marque «nationale» des dieux africains locaux et la popularité du culte dyonisiaque, à un polythéisme plus ou moins officiel qui rendait, aussi, honneur à l’empereur-dieu, sans omettre la prégnance du culte de ce Saturne africain, dont l’origine plongeait dans le culte punique de Ba‘al Hammon, et dont la suprématie incontestée prêta peut-être bien quelque part la main au monothéisme.

Dans une troisième partie, il s’agit de tirer le bilan de l’Antiquité tardive et, notamment, des modalités de passage du christianisme à l’islam (IVe-VIIIe siècles). Nous nous attacherons à éclairer les origines et les raisons de l’expansion du christianisme nord-africain, dont les prémices remontent au IIe siècle, mais dont l’épanouissement fut plus tardif. Non sans voir que les manifestations du christianisme furent marquées par des spécificités – l’ «hérésie donatiste» notamment, en laquelle certains ont voulu voir la manifestation d’un particularisme africain quand d’autres soulignent sa signification au regard des violentes luttes internes qui ébranlèrent la société africaine. Toujours est-il que l’Antiquité tardive connut des révoltes multiformes où le courant de la protestation sociale fut intriqué, in fine, avec les ambitions de pouvoir de princes berbères sur SaintAugustinfond de recul du pouvoir romain.


Le «schisme donatiste», apparemment vaincu par l’orthodoxie catholique, fut refoulé, mais il resta disposé à rejaillir sous d’autres formes humaines. Apôtre de l’orthodoxie catholique, théologien, écrivain fécond et grand politique à sa place d’évêque d’Hippone (Annaba), Augustin de Thagaste (Souk Ahras) [photo ci-contre] marqua de son rayonnement le crépuscule de l’ère romaine. Dès lors, le terroir destiné à devenir un jour l’Algérie passa – à vrai dire peu profondément – sous la domination des Vandales, non sans qu’il se fragmente aussi en diverses principautés berbères et que, finalement, il passe en partie sous la domination théorique du pouvoir byzantin – celui des Rûm(s). Byrance tenta bien, au VIe siècle, une reconquête à contretemps, qui fut toujours bien précaire et seulement dans la partie orientale du Maghreb. C’en était bien fini de l’Empire romain en Afrique, comme dans tout l’Occident européen.

Cela n’empêcha pas que, dans les limites de l’actuelle Algérie, l’Antiquité tardive maintint jusque très tard, et souvent avec éclat, son organisation urbaine. Les villes continuèrent à être le centre de réalisations architecturales notables – bien amoindries et dégradées à l’époque byzantine –, et de vieilles formes architecturales préromaines connurent un réel renouveau dans telles principautés berbères. Dans les centres de la romanité africaine, ce qui s’impose à l’historien de l’Antiquité tardive, c’est la marque chrétienne qui, dans un sens concret comme dans le sens abstrait, différencia la Cité de Dieu de la cité terrestre, marqua les édifices religieux et s’imposa dans les thèmes et les formes du décor.

En conclusion/épilogue, ce livre s’interrogera pour essayer de comprendre si, du christianisme à l’islam, il y eut rupture ou glissement. Les conquérants islamo-arabes n’ont pas conquis aisément le Maghreb : des résistances, plus coriaces et plus longues que celles que les nouveaux conquérants rencontrèrent dans ce qui deviendrait l’Empire musulman, se manifestèrent. Mais, paradoxalement, alors que des traces chrétiennes non négligeables ont subsisté en Syrie ou en Égypte, la victoire à 100 % de l’islam dans l’Afrique du Nord s’expliquerait-elle par une implantation du christianisme somme toute peu profonde, en tout cas rayonnant surtout à partir des villes ? Certes, les humains, pour s’adapter à de nouveaux pouvoirs, n’ignorent pas ce que les Italiens appellent l’«arte di arrangiarsi» (l’art de se débrouiller, l’art de faire avec). Ceux-là même qui révéraient les pouvoirs et les religions établis et en tiraient honneur et puissance ne furent souvent pas les derniers à s’en affranchir pour accueillir les Islamo-Arabes. Et le donatisme couvait comme le feu couve sous la cendre, prêt à se réveiller et à se réorienter. Sans compter, et c’est peut-être bien l’argument décisif, que les gens du cru purent bien percevoir avec empathie les nouveaux venus, en ce sens que ces derniers leur parlaient depuis un substrat oriental qui n’était pas ressenti comme fondamentalement étranger aux ancêtres des Algériens.

cavaliers_arabes

 

Pour mener à bien l’achèvement de cet ouvrage, moi qui ne suis pas un historien antiquisant, encore moins un préhistorien, j’ai eu recours au service de collègues et/ou amis qui ont accepté de relire patiemment mon manuscrit et d’y traquer les erreurs et les insuffisances. Mes remerciements vont donc, pour cela, à Olivier Aurenche, préhistorien, professeur émérite à l’université Lyon-II, qui a relu la partie consacrée à la préhistoire ; François Richard, historien de l’Antiquité romaine, qui fut jadis professeur d’histoire à Oran, puis enseignant à l’université Lyon-III, aujourd’hui professeur à l’université Nancy-II – il y fut mon collègue et ami –, qui a relu ce qui concerne les périodes numide, maure et romaine ; Pierre Guichard, historien médiéviste spécialiste de l’Occident musulman, qui fut mon condisciple en classes prépa au lycée du Parc de Lyon, professeur émérite à l’université Lyon-II, qui a relu les passages touchant à l’Antiquité tardive et à l’arrivée de l’islam ; à Jean Comby, professeur à l’université catholique de Lyon, enfin, qui m’a précieusement conseillé pour traiter du christianisme

Gilbert Meynier


Timgad

Table

Avant-propos

I
____________ 
De la préhistoire à l’Antiquité

_______________________   
Les ancêtres des Algériens : la préhistoire et la protohistoire
Le paléolithique 
Le néolithique
La protohistoire 

_______________________ 
Les royaumes maures et numides indépendants
Aux origines des royaumes maesyles et masaesyles
Le demi-siècle du grand aguellid : Massinissa le Numide
Influence de Carthage et symbiose méditerranéenne
Les Nord-Africains et leurs langues
L’organisation politique

_______________________ 
La Numidie et la fin de Carthage
Ambitions romaines et indépendance numide
Le crépuscule de l’indépendance numide
La guerre de Jugurtha
Les luttes de pouvoir romaines et la fin de la Numidie indépendante
La Maurétanie de Juba II : l’éclat dans la vassalité
L’annexion finale de la Maurétanie par Rome

 

II
____________ 
Sous la domination romaine : les Romano-Africains


_______________________   
Colonisation, romanisation et administration provinciale
En Africa-Numidie
En Maurétanie
Les Juifs en Afrique romaine
Une conquête à protéger

_______________________ 
Une société romaine ?

Société, pouvoirs et citoyenneté romaine
Débats sur la «romanisation» de l’Afrique du Nord 

_______________________ 
La société et l’économie, entre rationalité et injustices
L’aménagement des terroirs
Prospérité et partage injuste des richesses

_______________________ 
Une civilisation centrée sur les ville
Villes et sens du sacré
Les défunts et leurs sépultures
S’approvisionner et se distraire
Les marchés
Le théâtre et les jeux du cirque
Jeux d’eaux
La floraison des villes. Quelques exemples
Tipasa
Cuicul/Djemila
Thamugadi/Timgad
Tiddis

_______________________
Arts et culture   
La vie privée : demeures romano-africaines
Art romain d’afrique, art romano-africain
Charmer les yeux : les mosaïques
La sculpture entre sacré et profane
Littérature et vie culturelle
Parcours d’écrivains
La culture dans la société romano-africaine

_______________________
Les Romano-Africains et leurs dieux
Culte dionysiaque et religiosité populaire
Le polythéisme africain ou un divin pluriel
Des dieux «nationaux» ?
Saturne africain : vers le monothéisme ?

 

III
_______________________

La fin de l’Antiquité. Du christianisme à l’islam

_______________________
Le christianisme d’Afrique du Nord : origines et spécificités
Origines et expansion du christianisme nord-africain
«Hérésie» donatiste et circoncellions

_______________________
Le christianisme d’Afrique du Nord entre les luttes multiformes et la figure d’Augustin
Les révoltes de Firmus et Gildon
Vers l’extinction du donatisme : le feu sous la cendre ?
Le rayonnement d’Augustin (354-430)

_______________________
Vandales, principautés maures et reconquête byzantine
Invasion et domination vandales
L’indépendance reconquise ? Les principautés maures
Byzance en Afrique : une reconquête précaire

_______________________
L’éclat de la civilisation antique tardive
Des villes, toujours : finances et institutions
Des villes toujours : réalisations édilitaires et persistances païennes
La marque chrétienne : Civitas Dei et civitas terrena
La marque chrétienne : les édifices religieux
La marque chrétienne : le décor
Les villes à l’époque byzantine : à la veille de l’islam

_______________________
Du christianisme à l’islam : rupture ou glissement ?
L’accueil des nouveaux venus : de la résistance à l’extinction du christianisme
Victoire de l’islam : un christianisme peu implanté ?
Du christianisme à l’islam : adaptations et facilités
Du christianisme à l’islam : ressentiments et espoir
L’accueil des nouveaux venus : un substrat maghrébo-oriental ?
Épilogue

Annexes
Noms de lieux, noms géographiques : tableau de correspondance
Glossaire des noms communs
Repères chronologiques
Avant J.-C.
Après J.-C.
À lire pour en savoir plus
Table

http://pluq59.free.fr/image/Algerie/2003/016.JPG

 

 

 

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13 décembre 2006

recherche un historien de l'Océanie coloniale, germanophone, pour compte-rendu de la thèse de Claus Gossler

Genusschein
bon de jouissance de la Société Commerciale de l'Océanie, 1910
(donnant droit à une part du bénéfice net)



recherche un historien de l'Océanie

coloniale, germanophone, pour

compte-rendu

de la thèse de Claus Gossler

 

Claus Gossler vient de publier, en langue allemande, sa thèse de doctorat portant sur les activités de la Société commerciale de l'Océanie (1876-1914) et soutenue au Département d'histoire économique et sociale de l'université de Hambourg. Il recherche celle, ou celui, qui serait capable de lire son ouvrage et d'en faire un compte-rendu.
Merci.

association "Études Coloniales"

 

Papeete_quai
Papeete (Tahiti), quai du Commerce

 

Review of my doctoral dissertation just published : Die Société commerciale de l'Océanie (1876-1914)

To the editorial board !

I wonder if there is a chance of finding somebody on your staff willing and able to review my doctoral thesis written in German. It has been accepted by the Department of Social and Economic History of the University of Hamburg, was graded "magna cum laude" and has just been published. It is called :

Die Société commerciale de l’Océanie (1876-1914). Aufstieg und Untergang der Hamburger Godeffroys in Ost-Polynesien.

(in English:  Société Commerciale de l’Océanie (1876-1914). Rise and Fall of the Hamburg House of Godeffroy in East-Polynesia.)

The company I researched into was a joint-stock company registered in Hamburg whose center of commercial activity was located in Papeete, Tahiti, Society Islands. This trading company exported local products from these islands, such as coprah, mother of pearl shells, cotton and vanilla to Europe, the US and Latin America while importing manufactured goods and food stuffs from these countries for distribution on the islands. It operated between three and five trading stations on other islands at different times for collection and distribution, and it owned schooners for transporting their goods, and for a time also plantations.

It was the most important trading company in the area until the beginning of WW I, when it was expropriated by the French. From the correspondence of which a major part was handed down and deposited at the Hamburg State Archive I was not only able to reconstruct turnover figures, balance sheets and profit and loss statements for most of the years, but I also portrayed the personalities of their managers, their staff, some customers and all competitors. Critical analysis of their managers' actions and decisions are part of the study as well as a detailed picture of the social, political and economic circumstances under which the company had to operate.

If you are able to find a person to review this monograph (of 592 pages), I would be happy to send a complimentary copy.Claus_Gossler

ISBN-13: 978-3937729-20-6
Thanks in advance and best regards,

Claus Gossler

Posté par Claus Gossler, jeudi 14 décembre 2006 à 12:50
contact : Claus.Gossler@freenet.de

 

 

 

papeete_tahiti_couleur

 

___________________________________________________________________

présentation éditoriale de l'ouvrage de Claus Gossler

 

Die Société commerciale de l'Océanie (1876–1914)
Aufstieg und Untergang der Hamburger Godeffroys in Ost-Polynesien

[978-3-937729-20-6] - 44,9 Euros

Als sich der geschäftsführende Partner von Johann Cesar VI Godeffroy, der schon als „Südseekönig“ bekannt war, 1875 aus dem Management der gemeinsamen Firma in Tahiti verabschiedete, wurde die in diesem Buch dargestellte Hamburger Aktiengesellschaft mit französischem Namen gegründet. Ziel dieses Unternehmens war es, das in Ost-Polynesien bestehende Handelsgeschäft weiterzuführen und unter Einsatz zusätzlichen Kapitals weiter auszubauen.
Die weitgehend erhaltene Korrespondenz zwischen den Geschäftsführern in der Südsee, mit dem Hamburger Aufsichtsrat und dem Generalagenten der Firma machte es möglich, nicht nur das betriebswirtschaftliche Handeln des Unternehmens bis zur Enteignung zu Beginn des Ersten Weltkrieges präzise zu analysieren. Sie erlaubte es auch, ein getreues Bild der wirtschaftlichen, politischen und sozialen Verhältnisse auf den Gesellschaftsinseln zu zeichnen. Dabei stehen die Aktivitäten des Unternehmens in einer Zeit großen politischen Umbruchs – charakterisiert durch den Wettbewerb zwischen Frankreich und England um einzelne Inselgruppen – im Vordergrund. Das äußerst zurückhaltende Engagement, welches das siegreiche Frankreich dieser Inselgruppe gegenüber an den Tag legte, wird dabei kritisch unter die Lupe genommen.

 

Papeete_Tahiti_les_quais

 

___________________________________________________________________

 

 

Deutsches Schiffahrtsmuseum

Deutsches Schiffahrtsarchiv

Abstracts

Claus Gossler
Die Société Commerciale de l'Océanie (SCO)
Die Flotte einer Hamburger Handelsfirma in der östlichen Südsee (1876-1914)
Deutsches Schiffahrtsarchiv (DSA) 27, 2004, S. 93-110
Article printed in German, with English and French summaries, 3 ill.

Abstract

The Société Commerciale de l’Océanie (SCO). The Fleet of a Hamburg Trading Company in the Eastern South Seas (1876-1914)
Until its expropriation at the beginning of World War I, the Société commerciale de l’Océanie (SCO), founded in 1876 as a German joint-stock company in Hamburg, engaged in intensive trading with the islands of Eastern Polynesia. This involved the import of manufactured goods and foodstuffs from Europe, the United States and New Zealand, and the export of local products such as copra, cotton, mother-of-pearl shells, vanilla and several other articles. On the most important islands, manufactories and trading posts were in charge of the sale of food and manufactured goods and the purchase of export products. The SCO's zone of economic influence extended to almost all the inhabited islands of Eastern Polynesia. Since a regular shipping route developed only slowly, and floating sales stores and product collection-points were required in addition to the fixed trading posts, the company operated the largest schooner fleet in the large region consisting of around one hundred widely scattered islands. The trading company also experimented with the construction and use of gasoline schooners, invested in a Lübeck-built wooden steamer, and tried its luck as a sailing-ship company on the routes between San Francisco, Valparaiso and Papeete. The essay examines the reasons for the company to have a fleet of its own – a major investment at that time – and also the size, variety and use of such a fleet.

© 2005, Deutsches Schiffahrtsmuseum, Bremerhaven

Author's address :

Claus Gossler · Eichenweg 10 B · D-21465 Wentorf · Germany

 

___________________________________________________________________

 

The social and economic fall of the salmon/brander clan of tahiti

Author : Gossler, Claus

Source : Journal of Pacific History, Volume 40, Number 2, September 2005, pp. 193-212(20)

Lien

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Claus_Gossler  



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11 décembre 2006

Nouvelles approches des sociétés coloniales et post-coloniales

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Nouvelles approches des sociétés

coloniales et post-coloniales :

pouvoirs, espaces, intercations

Journée d'études "jeunes chercheurs"

11 janvier 2007, ENS-LSH, Lyon, salle F106


Photo de l'ENS Sciences


10h00
Présentation du laboratoire jeunes chercheurs «Mondes colonisés».
Introduction générale par Pascale Barthélémy, ENS-LSH, présidente de la journée


10h30 – 12h30
LES ESPACES DE LA COLONISATION : CONTROLES, TRANSFORMATIONS, RESISTANCES

Dao Quang Vinh, doctorant en études urbaines, Université de Montréal, Canada
«Morphogenèse du quartier de Bui Thi Xuan à Hanoi : un entre deux négocié entre pouvoir colonial et résistance locale».
Rémi Manesse, doctorant en études urbaines, EHESS
«Les villes israéliennes: histoire d'un paysage urbain façonné par l'ambivalence de l'héritage colonial».
Myriam Suchet, doctorante en lettres modernes, Lille III-Paris XIII
«Les enjeux de la représentation de l'espace pour la construction de soi dans la littérature francophone caribéenne : l'apport des postcolonial studies à l'étude de Texaco».
Discutant : François Dumasy, EFR, Université de Provence, «Mondes colonisé»


13h30 – 15h30
LES REPRESENTATIONS METROPOLITAINES DE LA COLONISATION,
ACTRICES DE L’EXPANSION COLONIALE ET DE LA CONSTRUCTION NATIONALE

Adrien Delmas, doctorant en histoire, EHESS
«Culture écrite et expansion européenne à partir du cas de l'Itinerario au tournant du XVIIe siècle».
Nadia Vargaftig, doctorante en histoire, Paris VII, «Mondes Colonisés»
«Y-a-t-il eu un colonial-fascisme ? Ce que les expositions coloniales du Portugal et de l'Italie entre-deux-guerres nous disent».
Vanina Profizi, doctorante en histoire, EHESS
«U lamentu di u culuniale : la presse régionaliste corse face à la colonisation (1880-1940)».
Discutante : Marie-Albane de Suremain, I.U.F.M. Créteil

L'image “http://www.vacances-sejour.ch/angola/angola-histoire-4.jpg” ne peut être affichée car elle contient des erreurs.
Angola, colonie portugaise


16h – 18h
LA FABRIQUE DES CATEGORIES : NOMMER POUR AGIR.

Cécile Garcia, doctorante en anthropologie, EHESS
«Des "races" aux "classes". Naissance et réappropraition d'une nouvelle représentation en Nouvelle-Calédonie, celle des classes sociales».
Claire Llanes, doctorante en histoire, Université de Toulouse-Mirail
«Le tourisme en Tunisie et au Maroc : une nouvelle approche de la colonisation (1881-1956)».
Vincent Bonnecase, doctorant en histoire, Université de Provence
«Avoir faim en Afrique occidentale française. Investigations et représentations coloniales (1920-1960)».
Discutante : Isabelle Merle, CNRS.


Figure 4.27. La forme régulière de maison contemporaine à Hanoi.
façade du quartier Bui Thi Xuan à Hanoi (source)



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10 décembre 2006

Soldats indigènes : prenons garde à la mythification (Pierre Brocheux)

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soldats coloniaux sur les champs de bataille d'Indochine

 

Soldats indigènes :

prenons garde à la mythification

Pierre Brocheux

Les questions et commentaires adressés à Daniel Lefeuvre au sujet du film INDIGÈNES me font réagir. Ce film est bon et il mérite le succès qu'il a remporté auprès du public. Il est un rappel de la réalité (mais n'oublions pas la guerre 1914-1918 et les maquis de la résistance de la seconde guerre mondiale, n'oublions pas les tirailleurs sénégalais ni ...les tirailleurs et travailleurs indochinois. L'Indochine est d'ailleurs la grande absente du tumulte mémoriel français) jusqu'ici ignoré ou oublié et c'est justice que ce film glorifie les soldats coloniaux qui se sont sacrifiés pour la puissance qui avait conquis et dominé leur pays. Mais, il ne faut pas l'oublier non plus, un certain nombre d'entre eux ont été sacrifiés sur les champs de bataille d'Indochine pour "restaurer la souveraineté de la France" sur ces terres lointaines. Donc, en même temps que ce film nous restitue un pan de réalité, il construit un mythe comme en témoigne le commentaire caricatural, injurieux et faux signé Juba. J'approuve entièrement la réponse de DL.

posté par Pierre Brocheux,
dimanche 10 décembre 2006 à 11:08

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6 décembre 2006

Le Havre colonial (Claude Malon)

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Le Havre colonial du XXe siecle,

une identité oubliée.

Résultats et enjeux d'une enquête à l'échelle locale

Claude MALON


Il ne s’agit pas ici d’inscrire dans le cycle de conférences consacrées au colonialisme, une page locale dans le but de flatter une image de marque de notre ville entretenue autour de la «maritimité», même s’il est vrai que le maritime et le colonial se confondent souvent. Il ne s’agit pas non plus de régler des comptes avec un colonialisme havrais qui serait pire ou meilleur que d’autres. Nous sommes d’autant plus éloignés d’une intention d’être à la mode que cette recherche sur Le Havre colonial de 1880 à 1960 a été achevée, provisoirement si l’on peut dire, en 2001 (1), bien avant que l’actualité ne souligne l’importance de cette «fracture coloniale» qui occupe aujourd’hui le champ politique et idéologique, jusqu’à mettre en danger la liberté même de l’historien.

Cette actualité me conduira cependant à m’interroger à nouveau sur ce travail tout en exposant ses résultats. Plutôt qu’un résumé linéaire de ma thèse, je choisirai donc ici d’en aborder la présentation sous trois angles d’attaque, d’en préciser les enjeux en essayant de penser le sujet en trois étapes. Le premier temps de cet exposé, factuel et analytique, parlera du Havre comme observatoire et laboratoire de la France coloniale au cours de la seconde colonisation. Le deuxième volet sera une réflexion sur le Havre colonial comme objet d’histoire, de mémoire et d’oubli, donc une approche plus épistémologique. La troisième partie, plus déontologique, envisagera l’histoire du Havre colonial comme histoire en situation, en tentant de trouver dans cette histoire elle-même les arguments de la résistance à l’instrumentalisation.

 

I – Le Havre, observatoire et laboratoire

de la France coloniale entre 1880 et 1962

Le Havre a-t-il été au XXe siècle une capitale coloniale comparable à Marseille ou Bordeaux ? Deux raisons rendent la question pertinente : un retard historiographique net par rapport à ces deux villes, une représentation spontanée du Havre colonial surtout comme port négrier du XVIIIe siècle. La tentative de reconstruire le Havre de la deuxième expansion coloniale s’est nourrie, outre les archives classiques,  des archives des colonies à Aix-en Provence, des archives de la Chambre de commerce, d’archives privées et d’entretiens avec des acteurs du négoce. Récapitulons brièvement les résultats de l’enquête dans trois domaines : les échanges maritimes, les entreprises coloniales, le contenu et la circulation de l’idée coloniale.

Les échanges du Havre avec l’outremer colonial français atteignent au maximum 12% du tonnage. Mais en valeur, c’est beaucoup plus : 28% de la valeur totale des importations à l’apogée, en 1937. La performance du deuxième port impérial de la France est encore plus significative si l’on souligne le leadership du Havre, en général les deux tiers ou les trois quarts des importations coloniales de la France, pour les produits chers, cacao, café, rhums, bois exotiques, cotons et bien d’autres. Le Havre est le port impérial de l’Afrique noire, très lié à la Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Gabon. Il est le port impérial de Madagascar mais beaucoup moins de l’Algérie ou de l’Indochine. Le recours aux réservoirs coloniaux de «produits» ou «commodités» se fait systématique sous l’effet de deux facteurs économiques essentiels, le désordre monétaire issu de la Grande guerre (l’économie de devises impose de «travailler chez soi», c’est-à-dire avec son Empire) et le privilège colonial, c’est-à-dire la protection douanière qui rend par exemple le café brésilien plus cher en métropole que les cafés ivoiriens et néo-calédoniens, souvent moins bons à cette époque. L’une des réussites les plus spectaculaires est l’importation des bois coloniaux, non protégée par le privilège douanier. Le Havre représente dans ce secteur dix fois le trafic marseillais, et son seul concurrent est Hambourg, des années vingt aux années soixante.

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Dans le domaine des entreprises, les acteurs de l’échange sont nombreux (2). En huit décennies, près de 350 entreprises à capitaux havrais ou externes, négoce de place, transport, mise en valeur à la colonie ont agi. En 1930, 200 unités vivent de l‘économie coloniale dont 50% sont des entreprises portuaires de place, d’import-export.16% sont des entreprises «à la colonie». à côté d’une nébuleuse de maisons souvent familiales, sur la place, au petit capital de 1 à 2 millions de francs valeur 1938, quelques grands du négoce autochtone approchent ou dépassent les 40 millions de francs de chiffre d’affaires à la veille de la guerre comme Ancel, Raoul Duval, la Compagnie cotonnière (3). L’organisation en réseau est capitale. De grands entrepreneurs d’empire, agissant en réseau, ont des participations au capital d’entreprises externes au Havre, comme Georges Raverat en Indochine ou Hermann du Pasquier dans la boucle du Niger. Après 1945, une dizaine d’entreprises de négoce havraises se font conquérantes en Afrique de l’Ouest et réussissent à «tuer» le département café ou cacao de très grandes sociétés de traites des produits comme la SCOA ou la CFAO.

Ces pratiques sont en interaction avec des doctrines et des croyances, ce que l’on appellera par commodité l’idée coloniale (4). Tout cela favorise le prosélytisme en faveur de la «foi coloniale» que les élites cherchent à répandre. Il est impossible de mesurer l’impact réel de cet effort sur les mentalités et de prétendre reconstituer l’imaginaire colonial havrais. On peut décrire en revanche le développement d’un appareil colonial à la fois banal et original. On trouve ici comme dans beaucoup de villes une société de géographie commerciale (1884), une Ligue coloniale (1908). Mais on y remarque également, chose plus rare, une Société d’aide et de protection aux colons (1898) une Ecole pratique coloniale (1908), ancêtre de l’Istom, un Institut colonial (1929).

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général Archinard, né au Havre
1850-1932

Les traces de la culture impériale sont aujourd’hui à demi-effacées : le culte des conquérants enfants du pays dans les années trente, comme le général Archinard qui «donna le Soudan à la France», Belain d’Esnambuc qui lui «donna les Antilles», le culte des produits coloniaux (Temple du bois d’Albert Charles (5), décorations de l’ancienne gare du Havre), les collections ethnographiques (Collection Archinard, Le Mescam (6)) associant la curiosité scientifique à la légitimation de la conquête, le projet de 1937, renouvelé en 1949, d’une exposition coloniale internationale au Havre. Les efforts des élites locales pour constituer une identité coloniale ont été intenses entre la Grande Guerre et la Table Rase.

Les lacunes d’une pareille enquête, autant que les résultats, conduisent le chercheur à s’interroger sur la manière dont on fait cette histoire-là. Il s’agit d’aborder maintenant la mémoire du Havre colonial comme objet d’histoire, de se préoccuper d’épistémologie, mais dans un corps à corps avec la matière même de cette de recherche.

 

II- La mémoire du Havre colonial, objet d’histoire

Parlons d’abord de la mémoire comme source ou ressource pour l’historien du Havre colonial et laissons de côté pour l’instant la mémoire comme opposition ou substitution à l’histoire scientifique. De quelle mémoire s’agit-il ? Pas uniquement des souvenirs que des témoins exprimeraient aujourd’hui de ce temps là mais aussi des mémoires de groupe ou d’individus telles qu’elles s’exprimaient dans le passé, des mémoires révolues ou plutôt «ayant été». Comment se souvient-on par exemple en 1960 de l’activité coloniale du Havre de la «Belle Epoque» ou des années Trente ?

Voici un exemple de «mémoire d’époque» à prendre non comme argent comptant ou vérité historique, mais comme document appelant examen critique. En 1964, dans la revue Marchés Tropicaux, ancienne revue Marchés Coloniaux le directeur du port autonome parle des relations du Havre avec l’Afrique depuis le début du XXe siècle (7). Il affirme que le Havre n’a jamais été un port colonial, qu’il fut seulement, à la différence de Marseille ou Bordeaux, un port tropical. Ses homologues des années 1930 parlaient pourtant avec fierté de la «porte impériale» de la France. Une révision de l’identité économique s’opère au Havre au moment de la décolonisation. Comment interpréter cela ?

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Le Havre, l'entrée du port

 

Parler d’hypocrisie nous priverait de comprendre. La nouvelle identité ainsi proclamée résulte d’un projet stratégique sérieux, que l’on peut facilement expliquer par la volonté d’adresser un message aux partenaires africains en se présentant comme moins colonisateurs que les concurrents dans le passé, dans la tradition ou la vocation. Il y a dans cette démarche à la fois de la mémoire et de l’oubli. L’auteur néglige quelques pages peu glorieuses de l’histoire des Havrais aux colonies, sa mémoire du négoce, qui se veut histoire, est sélective, mais son argumentation sur les spécificités havraises n’est pas vraiment fausse, on y reviendra, et on ne peut la juger vraiment que si l’on combine l’histoire politique et l’histoire économique et entrepreneuriale. La mémoire est en évolution permanente et «inconsciente de ses déformations successives», nous rappelle Pierre Nora (8).

Allant dans le même sens, en 1958, un courtier en cafés, Jean Colchen, s’élevait contre la politique commerciale de la France qu’il accusait de «colonialisme périmé». De quoi s’agissait-il ? De la garantie d’un prix trop élevé accordé aux producteurs de café des TOM qui empêchait le marché libre de se développer. Son anticolonialisme est avant tout un cartiérisme (9), et dans ce cas c’est l’oubli qui est manifeste, car les négociants en café, celui-là compris, n’ont pas toujours protesté, bien au contraire, contre les diverses formes du privilège colonial qui maintenait les marges hautes pour les importateurs. Les identités des communautés sociales, culturelles et professionnelles, mises en conflit ou en contact par la colonisation, ici ou là-bas, ne sont pas éternelles. Elles sont polymorphes et malléables. Les identités sont des agencements de l’imaginaire qui se reconfigurent sous l’effet des conjonctures. C’est dire que pour l’historien les traces de l’imaginaire et la mémoire sont bien des documents à traiter comme sources plutôt qu’à considérer comme vérité pérenne.

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Coopérative indigène de café de Dschang (Cameroun). Les sacs prêts à partir (Caom)

La mémoire comme source est évidemment utile mais elle est avant tout une mémoire d’individus. Une vingtaine d’acteurs du négoce colonial havrais ont nourri cette enquête. Leur contribution, constitutive d’archive orale, permet de mieux comprendre, par exemple, la captation du café et du cacao de Côte d’Ivoire et du Cameroun des Maisons Raoul-Duval, Interocéanique, Hubert, les réseaux d’exploitation des bois coloniaux de la Maison Charles. Ces entretiens ont éclairé les méthodes commerciales qui ont permis aux «maisons» Ancel et Raoul-Duval de capter à elles deux 17% du café et du cacao de Côte d’Ivoire et du Cameroun à la fin des années 1950, de comprendre ce que signifiait «faire l’intérieur», «tuer les sociétés coloniales», faire du «marché de place».

Le témoignage oral est information, validation, il confirme ou infirme d’autres sources. Peut-on dire pour autant qu’il existe une mémoire collective du  négoce portuaire? On peut en douter. Certains dirigeants d’aujourd’hui ne connaissent pas les activités principales de leurs aînés dans l’entreprise. Aucun des anciens négociants interrogés n’avait en mémoire l’Institut colonial du Havre, créé en 1929, véritable syndicat colonial qui mettait en relation d’affaires les acteurs économiques et les chambres de commerce de France et des colonies, et qui comptait plus de 300 adhérents. Quant à la participation de personnalités comme Ernest Siegfried, Georges Raverat, Henri Génestal à l’économie de pillage dans le Congo des sociétés concessionnaires entre 1899 et 1920, elle n’a jamais été visible au regard du citoyen. Dans ce cas, ce n’est pas seulement de l’oubli, ni du refoulé, mais du caché. Hors ce cas extrême, le projet d’exposition coloniale internationale sera connu de plus nombreux havrais grâce à des publications récentes (10), mais dans ce cas il s’agira de mémoire historique, et non de mémoire collective «de première main». La mémoire collective n’est pas un esprit saint qui plane au-dessus de la cité (11) et qui descend quant on le convoque. Ce que l’on désigne ainsi est plutôt un corpus de représentations, un imaginaire qui tend à mythifier les agencements les plus commodes en fonction des rapports de force.

 

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la Bourse du Havre

Si l’on ne peut mesurer véritablement l’audience des idées coloniales, on peut en revanche en préciser la nature grâce aux traces de la croyance. La presse havraise des années de l’apogée impérial affirme la légitimité de l’exploitation des colonies, la nécessité de la «foi coloniale». Elle répète des concepts d’époque comme le «mécanisme colonial» (12) dont Le Havre serait une pièce irremplaçable. Ces traces publiques et visibles valident les sources manuscrites originales plus secrètes, comme les rapports sur les sociétés coloniales que l’on trouve au Centre des archives d’outre-mer à Aix-en-Provence ou aux archives de la Banque de France à Paris. Ce temps ou malgré une opposition anticoloniale marginale et courageuse, la certitude de «bien faire en colonisant» le partage à l’indifférence de l’opinion, c’est celui où une brochure de l’Institut colonial du Havre, en 1934, présentait en exergue cette devise : «jamais avant nous les populations coloniales n’avaient connu l’indépendance» (13) ! Devons-nous rire de cette formule, en avoir honte pour ses auteurs, ou bien faire de cette croyance un sujet d’histoire ?

Dans ces années-là, certains ont soutenu le travail forcé tel Georges Raverat, président de la Chambre de commerce, d’autres ont été des médiateurs humanistes comme Gilbert Vieillard, administrateur ethnologue. Cet effort de discernement n’est guère à la mode en ce moment et me conduit à aborder un autre aspect de la question. La mode, l’actualité, la «situation» nous sommeraient plutôt de nous transformer en professeur de morale pour prononcer le globalement positif ou l’intégralement négatif de la colonisation. Tous les historiens sérieux refusent aujourd’hui de se laisser piéger dans cette alternative. Le Havre colonial peut être, là aussi, un support à l’exercice de l’esprit critique sur l’histoire en situation.

 

III - Le Havre colonial du XXe siècle,

une histoire en situation au début du XXIe

Un retour vers une réflexion plus générale est nécessaire avant de revenir sur le terrain de l’histoire locale. Qu’appelle-t-on histoire coloniale ? Peut-on la réduire à une histoire du colonialisme ? En quoi met-elle particulièrement en jeu la question des rapports entre mémoire et histoire ? L’histoire coloniale de la France a constitué longtemps un genre spécifique, marginalisé et plutôt méprisé d’ailleurs, les «écuries de la Sorbonne», chargée d’une mission de justification des conquêtes et d’une ethnologie descriptive. En devenant l’histoire de la France coloniale, elle permettait du même coup une histoire autonome des Etats indépendants, et une véritable histoire du rapport entre Empires et colonies, incluant le pré et le post-colonial (14).

Cette «histoire coloniale critique» fait appel, du moins au stade des synthèses, à tous les champs de l’histoire. Elle est aujourd’hui pluridisciplinaire. On ne peut en effet dresser un bilan de la colonisation à partir du seul type algérien de colonisation, ni à partir de la seule mise en série des crimes coloniaux, ni à partir d’un florilège de discours racistes (15), encore moins à partir de la seule mémoire recueillie des acteurs de la guerre d’Indochine ou de la guerre d’Algérie. Il faut la saisir comme un rapport où le regard sur l’Autre s’inscrit dans une historicité, dans des configurations où jouent des facteurs économiques, sociaux, culturels, idéologiques. Le travail de l’historien s’inscrit lui aussi dans une historicité, car chaque époque a tendance à imposer ses points de vue à l’écriture de l’histoire. Cette historicité, nous l’appellerons «situation». L’historien sent bien l’effort qu’il doit faire pour ne pas se laisser intoxiquer par les sources, par sa propre subjectivité, par la configuration intellectuelle du moment. L’enracinement social ou politique de l’histoire coloniale est particulièrement visible en ce moment.

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les docks au Havre - source

Il nous faut donc dire un mot de la mémoire non plus comme source ou ressource pour l’historien, mais en tant qu’elle peut être utilisée contre l’histoire par les entrepreneurs de mémoire de manière à modeler, formater un devoir de mémoire dans le but de soutenir un projet idéologique. Au début de cette recherche sur le Havre colonial, vers 1996-1997, la «situation» semblait se résumer à un contexte historiographique. Les années 1980-90 avaient connu un recul des manichéismes, une approche plus sereine du fait colonial et des mondes coloniaux, avec un enrichissement considérable et nuancé des époques précoloniales, la naissance d’histoires nationales en Afrique notamment et un regard moins passionné et moins utopique sur les réalités du post colonial (16). «Décoloniser l’histoire» cela signifiait que désormais, les enfants des colonisateurs et des colonisés pouvaient lire ensemble une nouvelle histoire des mondes coloniaux, métropoles comprises, dans un effort commun de scientificité et d’interculturalité. On pourrait citer à cet égard de nombreux colloques. Des tendances s’exprimaient, mais dans un débat fondé sur les sources.

La situation actuelle est tout à fait différente. Une polarisation se produit autour de deux postures mémorielles d’origine opposée, et qui ne sont pas sans effet l’une sur l’autre. L’une cherche à imposer une lecture du passé et une histoire officielle, celle du rôle positif de la colonisation. C’est le contenu de la loi de février 2005 (17). L’autre établit une filiation directe entre la situation des Français issus de l’immigration et le passé colonial de la France qui serait demeurée un État colonial. C’est la démarche des Indigènes de la République. Dans cette guerre des entrepreneurs de mémoire, l’historien n’est reconnu par les uns ou les autres qu’en tant qu’il validerait idéologiquement la thèse défendue. D’un côté on a vu un ministre partisan des nostalgiques parler de «ceux qui se proclament historiens» à propos des universitaires, de l’autre des collectifs demander la radiation d’un universitaire de renom accusé de racisme et de révisionnisme pour avoir proposé des rectifications dans la mesure comparée de la traite occidentale et de la traite orientale. Le recours paradoxal à l’outil judiciaire menace la profession historienne sommée de valider telle ou telle mémoire plutôt que d’exposer le résultat de ses recherches, ou de développer l’esprit critique de ses élèves.

Sommes-nous sortis de notre sujet ? En quoi est-ce là-dedans que l’histoire coloniale du Havre  se trouve «en situation» ? Même à partir d’une situation locale, on vérifiera que l’histoire est dans un rapport de force avec la tentation que l’on peut avoir de l’instrumentaliser. L’apport positif ou négatif de toute expérience humaine ne peut être décrété par la loi, ni imposé au discours de l’historien, mais au contraire résulter d’un examen critique à l’échelle d’un sujet, élève ou citoyen, informé par des historiens professionnels. Parlons d’abord de ces catégories douteuses. Ai-je besoin de délivrer à mes auditeurs un jugement moral si je rappelle les conditions de construction du chemin de fer Congo-Océan et l’existence du travail forcé aboli seulement en 1945 ? La loi a fait son travail en abolissant précisément le travail forcé et le Code de l’Indigénat.

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l'Institut fondamental d'Afrique noire (IFAN) à Dakar

A-t-on besoin de dire «c’est bien» ou «c’est mal» si on explique que les sociétés concessionnaires havraises L’Ibenga ou La Kotto, en Oubangui, ont créé, comme leurs quarante homologues en 1900, un impôt sur les indigènes afin de les obliger à cueillir du caoutchouc, lequel sera revendu à prix d’or pour les pneumatiques de Michelin, et si l’on précise que ces sociétés avaient droit de justice et police sur leur territoire ? Doit-on faire deux colonnes pour satisfaire les clientèles ? Le travail de l’administrateur havrais et ethnologue Gilbert Vieillard, qui constitua le plus important fonds d’archives de la culture Peul à l’Ifan de Dakar sous la protection de Théodore Monod (18), est-il l’œuvre d’un affreux colonialiste ? Ce qui nous paraît contradictoire l’était-il forcément à l’échelle du sujet à telle époque ? Par exemple le docteur Loir, futur conservateur du Museum du Havre qui créa un Institut Pasteur en Tunisie en 1902, n’était-il pas en même temps l’ami du général Archinard et un admirateur du conquérant du Soudan, lequel lui confia sa collection ethnographique rassemblée au temps de ses conquêtes ?  À ce sujet, au delà des impasses du manichéisme, il est un problème de conscience citoyenne qui mériterait précisément d’être réactivé, celui de la légitimité même de la conquête coloniale. Mais on remarquera qu’il n’est pas vraiment au coeur de la guerre des mémoires actuelle.

 

L'image “http://www.senat.fr/evenement/archives/D34/Jules_Siegfried_1919.jpg” ne peut être affichée car elle contient des erreurs.
Jules Siegfried, 1837-1932,
maire du Havre,
fondateur de la Compagnie cotonnière

La moralisation de l’histoire lui ôte son caractère dynamique, sa complexité vivante. La figer c’est la rendre incompréhensible (19). Sur ce point observons, toujours à partir du Havre, que ce qui est intéressant, c’est d’expliquer le changement, les continuités et les ruptures. Un bel exemple nous est donné par l’histoire d’une entreprise de négoce du coton, la maison Siegfried (1862), devenue Compagnie cotonnière (en 1893). Elle participe à l’exploitation concessionnaire, l’économie de pillage en Afrique noire avant 1914 ; dans les années 20 et 30, elle bénéficie du système baptisé «le coton du commandant» (l’administration procure la main d’oeuvre aux sociétés privées), après 1947, sous l’impulsion d’Edouard Senn, elle met en place un système de commercialisation qui assure un prix minima au paysan africain et construit le système CFDT (Compagnie française des textiles), qui, avec les indépendances, permettra la création des sociétés d’économie mixte dans chaque nouvel Etat (Compagnie ivoirienne des textiles, Compagnie malienne des textiles etc).

Aujourd’hui cet édifice n’est pas assez concurrentiel aux yeux du FMI qui contraint chaque Etat à privatiser ces entreprises, et le pôle Coton et développement n’a eu pour soutien publicitaire à son action ces dernières années que le Monde diplomatique ! Si un paysan malien est chassé de ses terres par la misère et se transforme en immigré clandestin est-ce par l’action d’une France qui serait demeurée coloniale ou par l’effet d’économies dominées et d’échange inégal entre les pôles de puissance du capitalisme mondial et ce que plus personne n’ose appeler Tiers-Monde ? Autre exemple montrant que l’intérêt de l’histoire est de saisir les mutations. En 1908, Charles-Auguste Marande crée l’Ecole coloniale du Havre, cas unique alors de formation de techniciens pour l’égrenage du coton aux colonies. Elle est devenue plus tard l’Ecole technique d’outre-mer, puis l’Institut supérieur des techniques d’outre-mer (20). Jusqu’à 1960, cette école a fourni 6 à 700 cadres employés par des sociétés coloniales ou par l’administration pour la mise en valeur, puis pour la coopération et le développement (21). Est-ce bien ou mal ? À chacun de juger, mais est-ce vraiment le problème ?

Dernière question concernant cette histoire «en situation» : existe-t-il un rapport entre le passé colonial du Havre et l’image de la ville aujourd’hui ? L’histoire du Havre colonial bouscule deux représentations à l’oeuvre dans cette ville, celle d’une culture urbaine libérale et intemporelle, celle d’une ville comme machine à intégrer les apports humains venus de l’étranger ou des colonies. La mythologie de la ville ouverte et accueillante parce que libérale avant tout mérite quelques corrections. André Siegfried a beaucoup contribué à flatter le libéralisme havrais «Le Havre est libéral, d’un libéralisme foncier qui lui interdit l’étroit fanatisme des doctrinaires....»(22).

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"...entrepôt Havro-colonial d'importation..."

 

Bien au contraire, l’identité coloniale revendiquée puis oubliée dont il était question précédemment a eu entre les deux guerres pour corollaire une véritable crispation de l’imaginaire économique des élites autour de deux doctrines associées : d’une part un protectionnisme ciblé mais bien réel pour protéger le marché colonial privilégié, d’autre part un refus catégorique de voir au moins jusqu’aux années 1950 l’industrie se développer dans les territoires d’outre-mer afin de protéger l’industrie métropolitaine et les débouchés coloniaux. Cette doctrine autarciste devint ici dominante durant plus d’une génération. Or tous les milieux d’affaires capitalistes et colonialistes ne pensaient pas ainsi, notamment les Lyonnais, très puissants en Indochine. Et l’on a vu ainsi en 1934 la Chambre de commerce de Haïphong engager avec celle du Havre une violente polémique où cette dernière était accusée, non sans raison, de défendre le vieux pacte colonial.

Le cliché de la ville ouverte accueillante, cosmopolite, «mosaïque», «gigantesque bourse du travail de la classe ouvrière étrangère» (23) ne résiste pas à l’examen des faits historiques (24). La proportion des étrangers et de coloniaux a toujours été inférieure, au Havre, à la moyenne nationale alors même qu’il s’agit d’un port. Le seul moment d’immigration massive de travail est celui de la Grande guerre où les travailleurs coloniaux Chinois et Maghrébins suppléent au manque de main d’oeuvre dans l’industrie et la défense nationale. Cette présence est jugée indésirable avant le retour de la paix et les chasses à l’homme dans le quartier du Rond-Point en 1917 et 1922 font aussi partie de l’histoire du Havre.

Autre effet émergent de cette recherche, l’examen comparé de l’économie coloniale havraise et de la démographie migratoire montre que l’immigration d’hier et encore moins celle d’aujourd’hui, ne sont le résultat spécifique du Havre colonial, mais plus généralement celui des rapports entre France coloniale et Empire, puis entre pays riches et Tiers-Monde. Les Sénégalais et les Mauritaniens sont relativement nombreux au Havre aujourd’hui, mais leur pays d’origine n’a pas été commercialement très lié au Havre pendant la période coloniale. L’immigration ivoirienne et malgache a toujours été très faible, alors que la Côte d’Ivoire et Madagascar ont été essentiels comme réservoirs coloniaux de marchandises (25). Quant à la réussite de l’intégration, il faut être prudent car l’histoire des rejets et des solidarités doit être poursuivie. Mais on peut déjà dire que la société havraise n’a jamais été aussi merveilleusement libérale ni aussi vertueusement internationaliste qu’on a pu le penser.

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source

 

Conclusion

Allons-nous conclure à l’existence d’un colonialisme havrais ? Le travail sémantique sur les termes colon, colonie, colonisation, colonialisme, impérialisme, continue encore aujourd’hui à chaque colloque d’historiens. Une des plus grandes difficultés, et l’on vient de voir l’importance symbolique des mots, est de faire la part de la dénotation et de la connotation, du descriptif et du péjoratif dans l’usage de ce terme. Si l’on considère le colonialisme comme un système de domination et d’exploitation des territoires dominés par les métropoles, le Havre industriel et négociant y prit sa place, avec une certaine fierté il faut le dire, durant une bonne partie du XXe siècle.

Une nuance cependant : Le Havre fut davantage colonial par ses pratiques et son identité que colonisateur au sens où ses élites économiques participèrent davantage à la captation des richesses par le négoce qu’à leur mise en valeur, et dans le sens où les Havrais s’exportèrent peu, comme individus dans l’Empire à la différence des Marseillais, des Bordelais ou des Corses. Le colonialisme, comme idéologie dans la cité, fut à la fois répandu, contesté, et ignoré, ce qui n’est pas original dans la France coloniale de ce temps. Se poser la question du colonialisme, comme le fait ce cycle de conférences présente au moins le mérite de porter un regard critique et mieux informé sur l’intensité du fait colonial dans le passé et de s’interroger sur les limites de sa valeur explicative du temps présent.

Claude Malon
Conférence pour Le Havre science et culture-Université populaire,
le 2 février 2006 à l’Université du Havre

 

 

 

(1) Claude Malon, Le Havre colonial de 1880 à 1960, thèse de doctorat d’histoire, dir. Dominique Barjot, Université Paris-IV- Sorbonne, 2001,  5 vol, 1450 p. Publiée en avril 2006 dans la Bibliothèque des thèses du Pôle Universitaire Normand. Pour un résumé cf. Dominique Barjot, Entreprises et Histoire, 2003, n°32, p. 163 à 172.
(2) Claude Malon, “Les entreprises coloniales au Havre de 1880 à 1960”, Colloque Créateurs et créations d’entreprises de la Révolution industrielle à nos jours, dir. Jacques Marseille, ADHE, Sorbonne, avril 2000.
(3) La maison Charles, bois coloniaux, déclare un chiffre d’affaires de 59 millions en 1939 et 700 millions en 1946 (soit 112 millions valeur 1938. Source : Banque de France et dommages de guerre)
(4) Sur ce sujet, voir notamment Raoul Girardet : L’idée coloniale en France et Charles-Robert Ageron, France coloniale ou parti colonial ?
(5) Albert Charles avait fait réaliser une copie de la Maison Carrée de Nîmes, entièrement en bois coloniaux de multiples essences. Elle fut exposée sur le port du Havre puis à la foire de Lyon en 1951.
(6) Conservées aujourd’hui dans les réserves du Museum d’histoire naturelle du Havre.
(7) Henri Deschênes, ”Le Havre et l’Afrique” in Marchés tropicaux et méditerranéens n° 968 du 30 mai 1964. pp.1419-1448.
(8) Pierre Nora, Les lieux de mémoire, Quarto Gallimard vol. 1, 1997 p. 24
(9) Cartiérisme ou complexe hollandais, point de vue considérant les TOM comme un boulet économique pour la France et rendu célèbre par des phrases de Raymond Cartier, journaliste, telles que «N’eût-il pas mieux valu construire à Nevers le super-hôpital de Lomé ?». Dans son livre intitulé De l’utilité des empires, Bouda Etemad parvient à cette conclusion : cette question met en évidence un processus encore peu étudié par les historiens : plus les écarts de développement entre métropoles et colonies s’élargissent, moins les secondes s’avèrent «utiles» pour les premières. Voir aussi J. Marseille sur le bilan impérial.
(10) Sylvie Barot, dans Migrants dans une ville portuaire : Le Havre (dir. Eric Saunier, John Barzman,) p. 196, reproduit le texte présenté par Albert Charles le 7 mars 1949 au Conseil municipal à ce sujet .
(11) Aux travaux connus de Paul Ricœur, Jacques le Goff, Maurice Halbwachs sur la mémoire collective et l’histoire on ajoutera  une publication récente : Mémoires et histoires, des identités personnelles aux politiques de reconnaissance, dir. Johann Michel, Presses universitaires de Rennes, 2005, 285 p.
(12) C’est le cas dans la revue Le Port du Havre en 1930, Bibliothèque municipale du Havre.
(13) À l’occasion de la Semaine coloniale 1934 (28 mai-3 juin), L’Institut Colonial du Havre vous demande de penser à nos colonies, Institut Colonial du Havre, Palais de la Bourse, imp. Le Petit Havre, 14 p.
(14) Cf. Sophie Dulucq et Colette Zytnicki, Décoloniser l’histoire ? De «l’histoire coloniale» aux histoires nationales en Amérique latine et en Afrique, Publications de la Société française d’histoire d’outre-mer (SFHOM), Paris 2003.
(15) Voir à ce sujet la critique du livre d’Olivier Le Cour Grandmaison, Coloniser, exterminer, par Pierre Vidal-Naquet et Gilbert Meynier dans la revue Esprit, sur le site de la Société française d’histoire d’outre-mer et sur ce blog ici-même.
(16) Cf. Daniel Rivet, «De l’histoire coloniale à l’histoire des Etats indépendants», dans L’histoire et le métier d’historien en France, 1945-1995, dir. François Bédarida, éd. MSH, Paris 1995.
(17) Même si l’article qui fait problème est abrogé prochainement par une procédure juridique, cela n’enlèvera rien à l’existence d’un rapport de forces sur une question de fond.
(18) Claude Malon, “Gilbert Vieillard, administrateur et ethnologue en Afrique occidentale (1926-1939)”, Cahiers de sociologie économique et Culturelle, Ethnopsychologie, n° 33, juin 2000, pp. 107-132.
(19) «A force de juger on finit, presque fatalement par perdre le goût d’expliquer» a écrit Marc Bloch.
(20) Il s’agit bien de l’ISTOM situé aujourd’hui à Cergy-Pontoise.
(21) On pourrait observer le même type d’évolution dans le passage de l’Institut havrais de psychologie des peuples à l’Institut de sociologie économique et culturelle. Cf. Claude Malon, "Le Havre et l’outremer, sociabilité et recherche", Études Normandes n°2, 1997, p. 75-96.
(22) André Siegfried, préface à Théodore Nègre : Étude de géographie urbaine, Le Havre, imprimerie M. Etaix, 1947, p. 9.
(23) Expressions utilisées sur la quatrième de couverture d’un ouvrage commandé à des journalistes par la municipalité du Havre à l’occasion des journées «Mémoires des migrations dans les villes portuaires», en novembre 2005, intitulé Le Havre du monde, Editions des Equateurs, 156 p.
(24) Cf. Migrants dans une ville portuaire : Le Havre, XVIe-XXIe siècle, dir. Eric Saunier, John Barzman, Publications des Universités de Rouen et du Havre, novembre 2005, 240 p.
(25) Cf. Claude Malon, « Travailleurs étrangers et coloniaux au Havre, 1880-1962 », dans Migrants dans une ville portuaire : Le Havre, dir. J. Barzman et Eric Saunier, 2005, p. 43-58.

 

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1 décembre 2006

"villages noirs" ou zoos humains ?

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Villages noirs

et autres visiteurs africains et malgaches

en France et en Europe (1870-1940)

un livre de Jean-Michel BERGOUGNIOU, Rémi CLIGNET et Philippe DAVID

aux éditions Karthala (2001)

 

présentation  de l'éditeur

Attestés par une riche iconographie, les "Villages noirs" présentés un peu partout en France entre 1870 et 1930 ont pris place dans le phénomène universel et permanent des exhibitions ethnographiques plus ou moins commercialisés, selon les époques et les endroits, du cirque aux spectables et aux expositions coloniales ou non. En majorité sénégalais pour ce qui des formules "à la française", ils ont à leur manière participé positivement à la lente et malhabile découverte réciproque des peuples périphériques, coloniaux ou non.

 

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"Village noir - Famille Wolof, bijoutiers", exposition d'Angers, 1906

 

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"Villages noirs", Visiteurs africains et malgaches en France et en Europe (1870-1940),
Jean-Michel Bergougniou, Rémi Clignet, Philippe David, Karthala, 2001.


Depuis quelques années, on évoque abondamment les «zoos humains» où les Africains auraient été exhibés devant les badauds européens du XIXe siècle dans un esprit honteusement raciste. Saluons donc le travail déployé par trois chercheurs pour remettre les choses en place, dans cet ouvrage paru chez Karthala, éditeur spécialisé dans l’Afrique et ne passant pas pour être particulièrement réceptif aux thèses impérialistes et néo-colonialistes.

De quoi s’agit-il ?  De la vogue des «spectacles ethnographiques» et des «villages noirs» qui, pendant une trentaine d’années, de 1880 à 1910, se répandit en même temps que celle des expositions universelles, reflet d’un intérêt général pour les progrès de la science et des connaissances géographiques apportées par les grandes explorations.

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"Sortie des Noirs", exposition d'Angers, 1906

Ce n’est pas la République «coloniste» de Jules Ferry qui fut la première à avoir l’idée de tels spectacles, mais l’Allemagne, certes engagée dans l’exploration et la colonisation de l’Afrique noire, mais pas autant que la France et l’Angleterre de Fachoda. Fondateur d’un célèbre parc animalier près de Hambourg et grand pourvoyeur de zoos européens en faune africaine, Carl Hagenbeck ne heurta pas les sensibilités de l’époque en faisant accompagner certains de ses fauves par des indigènes «de même provenance».

Au contraire, il fut rapidement imité par des compatriotes, les frères Möller, organisateurs de «caravanes» africaines en Allemagne et dans les pays voisins. De Hambourg à Copenhague, leurs «spectacles» attirèrent des milliers de visiteurs. Ils recrutaient directement en Afrique des «troupes» auxquelles ils promettaient des «cachets» faramineux à l’aune locale.

Ce qui nous paraît choquant aujourd’hui, ne l’était pas à l’époque. Pourquoi pas des Africains, puisque les Gauchos argentins, les Lapons norvégiens et les Cosaques des bords du Kouban faisaient aussi partie des «curiosités» offertes à la contemplation des écoliers et de leurs parents ?

La France, en tout cas, emboîta le pas à l’Allemagne et à la Grande-Bretagne. Les Ashantis du Ghana furent «produits» à Paris après avoir «tenu l’affiche» à Londres. Le Makoko du Congo en personne, le roi qui avait signé un traité d’amitié avec Brazza, fut «emprunté» aux autorités pendant qu’il faisait une «visite officielle» à Paris, pour participer à un «spectacle congolais» organisé à Roubaix en 1887. Le zoologiste Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, président du conseil d’administration du Jardin d’Acclimatation de Paris, donna une caution scientifique à des activités mêlant spectacles animaliers et parades humaines.

En 1878, la revue La Nature le remercia vivement d’«offrir ainsi à ceux qui s’occupent spécialement des races humaines des moyens d’étude que nos mœurs casanières ne nous permettent que très rarement d’aller chercher sur place.» Du chirurgien Paul Broca au prince Roland Bonaparte, futur président de la Société de géographie, les sommités de diverses disciplines scientifiques ne jugèrent pas indigne de venir observer et mesurer les hôtes du Jardin d’Acclimatation.

 

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"Village noir - prière à la mosquée", exposition de Nantes, 1904

Le grand mérite des trois auteurs de Villages Noirs est de ne rien cacher du caractère aujourd’hui inacceptable de ces spectacles, sans en profiter pour faire le procès expéditif des générations précédentes. Les «vedettes» les plus applaudies des Français, y compris aux Folies-Bergère, furent les célèbres «Amazones» du Dahomey, celles-là même qui donnèrent le plus de fil à retordre à la Coloniale pendant la conquête de ce pays. Si c’était du racisme, il cachait bien son jeu.

Ce livre déborde la période faste des «villages noirs» pour aller brièvement jusqu’aux années 1950. «Réduire quatre-vingts ans de contacts au seul schéma ridicule et déformé du Blanc-qui-jette-des-cacahuètes-au-Nègre-par-dessus-un-grillage, en refusant de le cantonner aux seules occasions où cela s’est effectivement produit et, surtout, tenter d’en faire le jalon manquant entre l’esclavage et les camps de concentration, c’est mentir, au mieux par ignorance, au pire par omission», concluent les auteurs. L’un d’eux, Rémi Clignet, fut directeur de recherches à l’ex-Orstom1. Un autre, Philippe David, a derrière lui un long passé de magistrat breveté de l’Enfom2. Cette carte de visite vaut bien celle des thésards en mal de sujet «original» qui ont fait leur fonds de commerce de la dénonciation répétitive des «zoos humains».

Jean de la Guérivière

 

1 - Office de recherche scientifique et technique outre-mer, devenu l’Institut français de recherche scientifique pour le développement en coopération.
2 - École nationale de la France d’outre-mer.

- Jean de la Guérivière, ancien journaliste au Monde, correspondant à Alger et responsable de la rubrique Maghreb, auteur de Les fous d'Afrique (Seuil, 2001), L'exploration de l'Afrique noire (Le Chêne, 2002), Amère Méditerranée (Seuil, 2004) et Indochine, l'envoûtement (Seuil, 2006).

 

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"Au village noir : un groupe", exposition d'Orléans, 1905

 

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"Village noir : famille Mandingue, joueurs de Cora", exposition d'Angers, 1906

 

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"Au village noir - Famille Laobé", exposition d'Orléans, 1905


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"Village Noir : salle de danse", exposition du Mans, 1911



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30 novembre 2006

Hommage à un résistant bordelais : Mohamed Taleb (Daniel Lefeuvre)

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une plaque de prisonnier au Frontsalag (en haut à gauche), Buchenwald (en bas)



Hommage à un résistant bordelais :

Mohamed Taleb

Daniel LEFEUVRE

 

En consultant des archives relatives à l’Algérie, au Centre des Archives d’Outre-Mer d’Aix-en-Provence, j’ai été attiré par une information concernant un Bordelais, M. Mohamed Taleb, dont une note émanant du ministre de l’Intérieur du 15 octobre 1945 (conservée au Caom) souligne en ces termes les mérites :

Ex maréchal des logis au 2e Spahis algérien, Mohamed Taleb qui habitait Bordeaux : "au cours des années 1941 et 1942, durant l’occupation, a créé dans cette ville une officine secrète grâce à laquelle les évadés nord-africains et français des fronstalags et du Sud-Ouest de la France purent trouver asile, nourriture et tous moyens de passer de zone occupée en zone libre. Ce ne fut qu’après avoir réussi à contribuer à la libération de plusieurs centaines de prisonniers que Taleb fut arrêté par la Gestapo allemande.

Torturé, menacé de mort dans le but de le faire parler et de dénoncer ceux qui l’avaient aidé dans la dangereuse mission qu’il s’était donnée, Taleb eut le courage et l’énergie de ne trahir aucun de ceux [qui] de près ou de loin secondaient son action.

Déporté en Allemagne en juin 1943, il séjourna [sic!] aux camps de Buchenwald et de Dora dont il vient de rentrer. Son état physique indique les souffrances cruelles qu’il eut à endurer. De plus, de son commerce à Bordeaux, de ses économies, il ne reste rien. Taleb est entièrement ruiné et démuni de tout. "

Le ministre de l’Intérieur invitait en conséquence, le Gouverneur général de l’Algérie à contribuer à la souscription ouverte par les Amitiés africaines pour venir en aide à ce héros.

Je ne sais rien de plus sur M. Mohamed Taleb. Mais, j’ai adressé un courrier dans ce sens à M. Juppé, redevenu, depuis, Maire de Bordeaux, afin de lui proposer de poursuivre l’enquête pour que la ville, en toute connaissance de cause, honore ce résistant exemplaire.

Daniel Lefeuvre, professeur
à l'université Paris VIII/Saint-Denis

 

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musée national de la Résistance à Bordeaux

 

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29 novembre 2006

la France face à ses ex-colonies (forum avec Daniel Lefeuvre)

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Après la sortie du film "Indigènes",

la France face à ses ex-colonies

un forum avec Daniel LEFEUVRE

 

NouvelObs.com - mercredi 25 octobre 2006
de 09h50 à 11h45
avec Daniel Lefeuvre, professeur d'histoire contemporaine à l'université Paris VIII - Saint-Denis, auteur de Pour en finir avec la repentance coloniale (Flammarion, sept. 2006)

Question de : qsfdqs
La guerre en Côte d'Ivoire est-elle plus ou moins pilotée par la France ? Quels sont les enjeux de cette guerre pour la France ?
Réponse : Je ne suis spécialiste ni des relations internationales, ni de la politique étrangère de la France, ni de la politique ivoirienne. Mais, ce qui m'apparaît dans cette crise, c'est qu'elle conduit à la liquidation des intérêts français - et même de la présence française - dans ce pays. Je ne vois donc pas ce que la France gagnerait à entretenir une crise qui dessert ses intérêts et nuit à ses ressortissants installés sur place.

Question de : juba
bonjour un simple merci de la nation pour les indigènes qui ont fait la guerre pendant que l'armée des Francaise était dans les camps de prisonniers (mon grand-père a fait la guerre de 39-40 et ensuite celle de 1942 à 1945). À propos avez-vous entendu parler de la bataille des ponts de la Loire de juin 1940 ? Mon aieul qui était spahi a combattu avec l'énergie du désespoir pendant que les bons soldats metropolitains fuyaient comme des lapins ; certains n'ont même pas tiré une cartouche ! Mon grand-père, de cavalier est devenu artilleur parce que les Francais qui devaient couvrir les indigènes en première ligne qui résistaient face aux Allemands avaient fuit. Résultat : de très grosses pertes pour les Algériens : vraiment l'armée francaise en 40, elle était belle !
Réponse : Vous avez raison de rappeler ce que la France doit à ses combattants venus des colonies, non seulement au cours des années 1943-1945, mais également lors de la première bataille de France, en 1940. Il n'est pas juste, cependant, d´opposer le courage des uns - les "indigènes" - à la lâcheté des autres - les "métropolitains". Contrairement à un état-major gagné par le défaitisme dès les premiers jours des combats, la plupart des soldats et des officiers subalternes ont fait face avec courage et détermination. Ils n'ont pas fuit comme des lapins, mais se sont battus, l'ampleur des pertes qu´ils ont subies comme les pertes qu´ils ont infligées aux troupes allemandes témoignent de ce comportement exemplaire.

Question de : paul
Bonjour, Pourquoi accuser les occidentaux d'être les principaux responsables de l'esclavage ? Les Arabes sont les principaux responsables de l'esclavage. 40% de l'esclavage concerne les pays arabes (17 millions d´esclaves) 30% les pays africains (traite interafricaine 14 millions) 26% pour les pays occidentaux (11 millions). (Olivier Pétré-Grenouilleau : "Quelques vérités gênantes sur la traite des Noirs"). Il faut ajouter la traite des blancs. Par exemple Cervantes est resté esclave 8 ans en Algérie et la Grande Mosquée de Cordoue (lorsque cette ville d'Espagne était occupée par les Arabes au Xe siècle) a été construite par des esclaves blancs. L'esclavage se poursuit aujourd'hui avec 800 000 esclaves au Niger (lexpress.fr)
Réponse : Je partage totalement l'analyse d'Olivier Pétré-Grenouilleau qui a rappelé que la traite négrière européenne s'était greffée sur des courants antérieurs (internes à l'Afrique noire et traite arabe) et qui se sont prolongés bien longtemps après l'interdiction de la traite puis de l'esclavage décidée par les puissances européennes. Et vous avez pleinement raison de rappeler qu'aujourd'hui encore cette pratique scandaleuse n'a pas disparu. On pourrait d'ailleurs ajouter que, dès le début des années 1840, dans les parties du territoire algérien qu'elle contrôle, la France s´est attachée à interdire l'acheminement et la vente publique d'esclaves ainsi que la possession et le commerce d'esclaves - du moins aux Européens et aux Juifs. Après 1848, la France s'est efforcée, avec plus ou moins de rigueur et de succès, compte tenu du poids des traditions locales, d'interdire l'esclavage dans ses colonies.

Autrement dit, à partir des années 1840, la colonisation a été l'une des voies qui a contribué à lutter contre l'esclavagisme. Pourquoi ne s'intéresser qu´à la traite européenne ? La réponse n'est pas d'ordre historique : depuis des décennies les historiens ont fait leur travail comme la somme publiée par O. Pétré-Grenouilleau l´atteste. La réponse est d'ordre politique. Il s´agit pour certains d'assigner les Noirs de France dans une identité de "descendants d'esclaves". On construit donc, de manière artificielle une "mémoire victimaire" : - se dire "descendants d'esclave, c'est-à-dire choisir dans son ascendance est un choix ; - tandis qu'il est par ailleurs évident que parmi les Africains de France, certains descendent de peuples qui ont pratiqué l'esclavagisme ou participé aux traites -négrières.

Au total, l'objectif de cette campagne est, en premier lieu, de justifier l'existence d'une créance - morale et matérielle - que la République aurait à l'égard de ces "descendants" d'esclaves. En second lieu, elle vise à expliquer que le racisme dont des Noirs - comme les Arabes - sont aujourd'hui souvent victimes - discrimination à l'embauche, au logement... - trouverait ses origines et son explication dans une pseudo "fracture coloniale" que la France serait incapable de réduire. Ainsi, on évacue la dimension sociale de ces manifestations : importance du chômage qui frappe toutes les couches populaires ; absence d'une politique ambitieuse du logement social ; relégation des couches populaires, etc.

Question de : paul
Bonjour, La Corée a été colonisée par le Japon : la colonisation la plus brutale de l'histoire. 2 millions de Coréens ont connu l'esclavage. Puis ce fut la guerre de Corée avec 2 millions de morts. En 1960 la Corée du Sud avait le même PNB par habitant que les pays d'Afrique. Pourquoi la Corée du Sud est-elle une grande puissance malgré l'état de guerre avec la Corée du Nord alors que les pays d'Afrique sont toujours aussi pauvres?
Réponse : De nombreux facteurs expliquent le destin divergent de la Corée et des pays africains. Au début des années 1960, les conjoncturistes pariaient plus volontiers sur l'Afrique que sur l'Asie. Le continent noir disposait d'importantes ressources naturelles, d'une faible densité de population, alors que la Corée, privée des premières était perçue comme surpeuplée. C'est cette dernière, pourtant, qui a réussi son décollage et son développement, alors que l'Afrique, dont il ne faut pas nier les dynamismes, est à la peine. Pourquoi ? Quelques pistes : - on pourra certes évoquer l'importance des investissements étrangers (japonais et américains) - mais il faut souligner aussi que la Corée du Sud est l'un des pays au monde qui a fourni le plus gros effort d'investissement dans le secteur de l'éducation et de la formation - le niveau très élevé de productivité de la main-d'oeuvre locale, reposant sur un haut niveau de formation et de compétence. - le choix de l'ouverture internationale et du développement à partir des industries légères (textiles) relayées, ensuite, par le développement des industries lourdes ou mécaniques.

Question de : sdfqs
Finir avec la repentance coloniale ? OUI mais d´abord faudrait qu'elle ait commencé ! La colonisation a été totalement passée sous silence et justice sera rendue qd elle prendra toute la place qu´elle doit occuper au même titre que les autres thèmes de l'histoire de France ! Qu'en pensez-vous ?
Réponse : Contrairement à ce que vous avancez, la colonisation n´a pas été "totalement passée sous silence". Cette histoire est étudiée depuis le XIXe siècle, y compris de manière critique (je vous renvoie au très beau livre d´un des plus grands historiens de l´Algérie coloniale, Charles-Robert AGERON : L'Anticolonisalisme en France de 1871 à 1914, PUF, dossier Clio, 1971). Même de manière insuffisante, elle a pris place dans les programmes scolaires au collège et au lycée. Elle est fortement présente à l'Université. Des revues "grand public" comme L'Histoire ou Historia lui ont consacré de très nombreux articles, voire des numéros spéciaux. De nombreuses oeuvres de fiction (romans, films,... en ont traité. Il n´y a donc eu ni silence ni, encore moins, complot du silence autour du passé colonial de la France. Quant à se "repentir", de ce passé, cela n'a aucun sens. L'histoire est faite pour connaître et comprendre, pas pour juger ni engager une démarche pénitentielle.

Question de : aezer
Finir la repentance ne veut pas dire ne pas reconnaitre ses torts et travers, mais surtout accorder à la colonisation toute la place qu'elle a dans notre histoire et laisser place à la justice. Et que proposez-vous à ce sujet
Réponse : Sur le premier volet de votre question, je redis à nouveau, que "reconnaître ses torts" n'a, historiquement, aucun sens. À quoi se réfère "ses" torts ? Les torts de qui ? On ne juge pas le passé, on s'attache à le connaître et à le comprendre. "Laisser place à la justice" ? Pour juger qui ? Selon quelle procédure ? Juger les esclavagistes du XVIIe ou du XVIIIe siècle ? Juger Pélissier ou Saint-Arnaud pour les enfumades qu'ils ont perpétrés lors de la conquête de l'Algérie ? Je pense que cela les indiffère.

Ce qui me semble grave, dans cette demande de justice c'est d'abord qu'elle tend à se substituer à la demande de connaissance, de savoir. C'est d'autre part qu'elle tend à substituer à la complexité des faits, à leur évolution, une vision manichéenne où s'opposeraient les bons et et les méchants, le bien et le mal, les victimes et les bourreaux. Dès lors, c'est qu'on puisse exiger des historiens qu'ils se conforment à cette façon d'appréhender le passé et que leurs travaux ne disent plus le "vrai", mais le bien, ou plus exactement ce que la société ou la justice considèrent, à un moment donné, comme ce qu'il convient de dire. Pour prolonger cette discussion, je vous renvoie aux articles que deux grands historiens - par ailleurs anticolonialistes de la première heure - Madeleine Rébérioux et Pierre Vidal-Naquet, ont publié à propos de la loi Gayssot et plus généralement des qualifications juridiques du passé.

Question de : Internaute
Le film fait l'impasse sur la présence de soldats noirs dans les troupes coloniales. On les plaçait sur l'avant du front moins pour leur valeur militaire que pour leur effet destabilisateur sur le moral d'en face, où leur réputation de pratiquer des mutilations cruelles sur les prisonniers répandait la terreur
Réponse : Je pense que vous faites allusion au film Indigènes. Une première remarque, les soldats noirs ne sont pas absents du film, on les voit participer à la campagne d'Italie puis à celle de France, jusqu'à l'arrivée dans les Vosges. S'ils disparaissent du film à ce moment, c'est que la campagne des Vosges commence à l'hiver 1944 et que, expérience de la Première Guerre mondiale aidant, l'état-major retire du front ces soldats mal préparés à affronter les hivers rigoureux (c´est ce qu'on appelait, lors de la Première Guerre, l'hivernage).

Il n'est pas exact d´affirmer que ces soldats ont été systématiquement placés aux premiers rangs lors des assauts. Là encore, l'expérience des premiers mois de la Grande Guerre a convaincu l'état-major que l'efficacité de ces combattants imposait d'intégrer leurs régiments dans des unités où ils côtoyaient des combattants métropolitains ou d'Afrique du Nord. On ne trouve pas, d'ailleurs, ni lors de la Première Guerre mondiale ni lors de la Seconde, de sur-mortalité parmi ses soldats. S'ils avaient été engagés les premiers, leurs pertes auraient été supérieures à celles des autres combattants, et, je le répète, ce n´est pas le cas. Enfin, concernant la réputation de cruauté ou de sauvagerie des soldats noirs, c'est une légende forgée lors de la Première Guerre par la propagande allemande (la Honte noire) et qui a justifié, lors de la Sesconde Guerre mondiale les crimes de guerre perpétrés par les armées allemandes contre nombre d'entre eux, après qu'ils se soient rendus, et le traitement souvent inhumain qui leur a été réservé dans les camps de prisonniers. Pour plus de détail sur les soldats africains pendant la Première Guerre mondiale : Marc Michel, L'Appel à l'Afrique (rééd. Karthala, 2005).

Question de : dfsdfsdf
Apres le vote sur le génocide arménien à quand le vote de la loi sur la pénalisation liée à la colonisation qui concerne énormément notre pays !
Réponse : J'espère que l'Assemblée nationale reviendra sur le vote de cette nouvelle loi mémorielle et, il est permis de rêver, qu'elle aura même le courage d´abroger TOUTES les lois de ce type : la loi Gayssot et la loi Taubira.

Question de : kiki
J'ai lu une excellente chronique sur les émeutes de l'année dernière, signée par le grand écrivain Gabriel Matzneff. Lui-même fils d'immigrés, Matzneff rappelle que le fait d'être d'origine étrangère ne l'a pas empêché d'aimer La Fontaine et Alexandre Dumas, Marcel Carné et de Jean Renoir, le Louvre et le Palais de la Découverte. Il se pose une question :

  • "pourquoi, contrairement aux adolescents d'origine italienne, ou russe, ou arménienne, ou grecque (pour ne rien dire des émigrations plus récentes, l'espagnole, la portugaise, l'asiatique), ces garçons d'origine africaine traînent-ils toute la journée, ne s'intéressent-ils à rien, s'ennuient-ils, semblent-ils n'avoir aucune curiosité intellectuelle, aucune soif d'apprendre, de s'instruire, de lire de beaux livres ?

    " (source : matzneff.com) Qu'avez-vous à lui répondre ?

Réponse : Les raccourcis sont toujours dangereux. L'intégration dans la société - et la culture - françaises des immigrés venus d'Europe s'est réalisée beaucoup plus difficilement et beaucoup plus lentement qu'on ne l'imagine aujourd´hui. Inversement, et enseignant à l'Université Paris VIII, à Saint-Denis (dans le 93), je constate que parmi les étudiants de cette université, beaucoup sont d'origine africaine et que, malgré des conditions sociales souvent défavorables - un très grand nombre travaille parallèlement à leurs études - ils manifestent une volonté de réussir tout à fait remarquable.

Ce qui m'inquiète beaucoup plus c'est qu'on a privé l'école d'une bonne partie des outils qui en faisait un formidable instrument d'intégration et de promotion culturelles et sociales. Ainsi, le nombre d'heures d'enseignement du français a-t-il été considérablement réduit au cours de ces trente dernières années. L'enseignement de l'histoire et de la géographie, des langues vivantes a été également réduit, tandis qu'on a pratiquement fait disparaître des établissement des quartiers populaires l'enseignement du latin et du grec. Bref, par mépris ou bêtise, on a estimé que les jeunes de ces quartiers, quelle que soit leur origine, étaient incapables d'accéder à la culture dite - non sans mépris - "classique". Bref, l'école a été transformée en bonne part, et malgré les enseignants, en lieu de vie ou en lieu d'occupation, mais, de moins en moins en lieu d'apprentissage. Tous les gouvernements qui se sont succédés au pouvoir depuis le début des années 1970 sont responsables de cette politique qu'il conviendrait d'inverser radicalement.

Je voudrais remercier toutes celles et tous ceux qui m'ont fait l'amitié de poser des questions. Le temps qui m'était imparti ne m'a permis de répondre à tous. Mais je propose de prolonger ce débat sur mon blog et sur celui de l'association Études Coloniales.

source
(orthographe des questionneurs corrigée)

 

 

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28 novembre 2006

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