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études-coloniales
26 mai 2017

Algérie, l'histoire à l'endroit, de Bernard Lugan (Roger Vétillard)

Algérie Lugan couv

 

 

une histoire de l'Algérie sans légendes

un livre de Bernard Lugan

 

L’africaniste Bernard Lugan s’intéresse ici à l’histoire officielle de l’Algérie. Il y décèle beaucoup de légendes et d’inexactitudes. Il en fait un inventaire très argumenté et précis. Tout au long des dix études qu’il mène en autant de chapitres, il explique clairement les raisons qui l’ont fait exposer ses analyses.

Au fil des pages, on se souvient que le peuple algérien, en dépit des affirmations de ses responsables, est avant tout berbère. Génétiquement, démographiquement l’imprégnation arabe est très marginale. Pourtant les revendications «berbérisques» furent toujours présentées en Algérie comme une conspiration séparatiste dirigée contre l’Islam et la langue arabe.

 

islamisation

En fait, à travers la religion musulmane, l’identification aux peuples issus de la péninsule moyen-orientale a été imposée et a finalement été plus ou moins acceptée. Et l’islamisation succéda à la christianisation qui était pourtant jusqu’au VIe siècle un fait important dans ces régions où il existait, dans l’actuel Maghreb, plus de 900 diocèses, dont près de la moitié avaient une référence donatiste.

Si l’islam a ainsi pu s’imposer en moins de deux siècles à la Chrétienté, c’est en partie à cause des querelles religieuses et sociales du monde berbéro-romano-chrétien et à la conversion imposée par les nouveaux colons arrivés du Moyen-Orient.

Et puis, l’Algérie n’a pas été créée avant que la France décide d’en faire un pays. Les «principautés» de Bougie et de Tlemcen n’eurent d’existences qu’éphémères, elles furent souvent plus ou moins soumises à l’influence du Maroc ou de Tunis, puis à l’administration ottomane. Les différentes révoltes au moment de la présence turque ne peuvent, pour Lugan, être considérées comme des mouvements pré-nationaux.

À aucun moment, elles ne menacèrent le pouvoir ottoman. En fait, les menaces européennes, voire marocaines et tunisiennes entrainèrent une mainmise ferme des Turcs sur la Régence d’Alger, notamment parce que cette dernière affirmait protéger le caractère musulman de ces contrées. La tempête qui décima en 1541 la flotte de Charles Quint en rade d’Alger fut considérée comme une intervention divine et conforta cette assertion.

 

la résistance d’Abd el-Kader

Ailleurs, l’auteur montre que la résistance d’Abd el-Kader n’a concerné qu’une partie de l’actuelle Algérie, tout comme celle de Mokrani en 1871 ne fut qu’un soulèvement des zones berbérophones. Il met à mal les légendes et contre-vérités qui s’attachent en Algérie, et même en France, au soulèvement de Mai 1945 dans l’Est algérien, à Guelma et Sétif. Il s’oppose à celles qui présentent le soulèvement de novembre 1954 comme celui de tout un peuple uni dans la lutte contre la puissance coloniale. Il confirme que l’armée française n’a pas été vaincue par le FLN, mais que c’est la volonté politique des gouvernants de la France qui a permis l’indépendance de l’Algérie.

Quant au 17 octobre 1961 à Paris, là où des gens comme Jean-Luc Einaudi et les auteurs britanniques Jim House et Neil Master évoquent plus de 100 morts parmi les manifestants sollicités par le FLN, il établit en s’appuyant sur les enquêtes rigoureuses d’historiens come Jean-Paul Brunet ou celles des rapports diligentés par le gouvernement de Lionel Jospin (Rapports Mandelkern et Géronimi) que le nombre de morts de cette journée est faible voire quasiment inexistant.

Et enfin, comme l’a démontré Daniel Lefeuvre, et confirmé Jacques Marseille, «la France a plutôt secouru l’Algérie qu’elle ne l’a exploitée».

En 132 années de présence, elle a créé ce pays, l’a unifié, lui a offert un Sahara qu’elle n’avait jamais possédé, a drainé ses marécages, bonifié ses terres, soigné sa population qui a ainsi pu se multiplier.

C’est un travail de synthèse remarquable, auquel on peut reprocher certains manques concernant par exemple le poids des préceptes musulmans dans la guerre d’Algérie et dans la société d’aujourd’hui, mais qui permet à chaque lecteur intéressé par l’histoire de ce pays, de trouver des arguments pas souvent convoqués pour éclairer ou contredire certains moments et certaines affirmations présentées comme des consensus qui ne concernent pas les historiens rigoureux. Ce livre devrait permettre de revenir aux débats, mais beaucoup ne le souhaiteront peut-être pas.

Roger Vétillard

 

Bernard Lugan, Algérie, l’histoire à l’endroit, éd., Panissières, 243p, 2017, 25 €.
ISBN 2-916393-83-8

 

_____________________

 

Algérie Lugan couv

 

Présentation par l'éditeur

Depuis 1962, l’écriture officielle de l’histoire algérienne s’est appuyée sur un triple postulat :

- celui de l’arabité du pays nie sa composante berbère ou la relègue à un rang subalterne, coupant de ce fait, l’arbre algérien de ses racines. 

- celui d’une Algérie préexistant à sa création par la France à travers les royaumes de Tlemcen et de Bougie présentés comme des noyaux pré-nationaux.

- celui de l’unité d’un peuple prétendument levé en bloc contre le colonisateur alors qu’entre 1954 et 1962, les Algériens qui combattirent dans les rangs de l’armée française avaient été plus nombreux que les indépendantistes.

En Algérie, ces postulats biaisés constituent le fonds de commerce des rentiers de l’indépendance. En France, ils sont entretenus par une université morte du refus de la disputatio et accommodante envers les falsifications, pourvu qu’elles servent ses intérêts idéologiques. Dans les deux pays, ces postulats ont fini par rendre le récit historique officiel algérien aussi faux qu’incompréhensible.

Cinquante ans après l’indépendance, l’heure est donc venue de mettre à jour une histoire qui doit, comme l’écrit l’historien Mohamed Harbi, cesser d’être tout à la fois «l’enfer et le paradis des Algériens».

Ce livre répond donc aux interrogations fondamentales suivantes : l’essence de l’Algérie est-elle Berbère ou Arabe ? Avant la conquête française, ce pays fut-il autre chose qu’une province de l’Empire ottoman ? Les résistances d’Abd el-Kader et de Mokrani furent-elles des mouvements pré-nationaux ?

Que s’est-il véritablement passé à Sétif et à Guelma en mai 1945 ? La France a-t-elle militairement perdu la guerre d’Algérie ? Quelle est la vérité sur le «massacre» du 17 octobre 1961 à Paris ? Enfin, peut-on raisonnablement affirmer que la France ait «pillé» l’Algérie comme le prétendent certains ?

 

 

Algérie Lugan couv

 

 

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Commentaires
A
Même si j'apprécie monsieur Bernard Lugan je suis contrarié par son parti-pris idéologique. En effet, dans tous ses écrits il ignore systématiquement les résistances kabyles, antérieures à Mohammed At Mokran, surnommé Mokran, dirigées tour à tour par B'Maza, B'Baghla et Fadhma de Soumer. D'autre part, il ignore systématiquement les études sur les Kabyles menées par les officiers qui ont participé à la conquête ; hélas ce n'est pas le seul. En m'appuyant sur les dites études, j'affirme que les Kabyles n'existent plus.
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O
Mr Lugan, a' vous lire on croirait que la France a fait une faveur aux Algeriens de venir les coloniser, Ah les bienfaits de la colonisation. Vous semblez oublier que les routes, les hopitaux, les tunnels, les ports etc... etaient construits pour les "blancs" pensant qu'ils allaient rester pour toujours. Les "Indigenes" etaient des citoyens de seconde classe. L'arrivee des colons a vu l'expropriation des terres par la force. La France avait des dettes envers le Dey d'Alger qu'elle ne pouvait pas payer et donc trouva l'excuse "du coup de l'evantail" pour non seulement pas payer les dettes mais d'envahir le pays.<br /> <br /> Je colle un petit resume de Wikepedia que vous devriez lire pour vous mieux informer and enlever vos lunettes teintees de l'Algerie Francaise":<br /> <br /> Le bilan démographique<br /> <br /> Les estimations contemporaines de la population algérienne avant la conquête française de 1830 varient très fortement, le manque de données rend une estimation précise impossible56. Les tribus insurgées de 1871 – 1872, amendées d'une somme de 65 millions de francs (70 % du capital) et les confiscations des terres, entraînent une forte perturbation économique, une famine et une épidémie dévastatrice57. La population connaîtra un recul quasiment constant durant la période de conquête jusqu'à son étiage en 1872, ne retrouvant finalement un niveau de trois millions d'habitants qu'en 1890. On peut découper cette période de l'évolution démographique algérienne en trois phases. La population est estimé 2,7 millions en 1861 avant de connaître sa chute la plus brutale à 2,1 millions en 187158 à la suite d'une série de famines et de maladies et aux émigrations59. <br /> <br /> La diminution observée lors de la première phase de conquête tient pour une part dans la violence des méthodes utilisées par l'armée française, attestée par de nombreux témoignages. De retour d'un voyage d'enquête en Algérie, Tocqueville écrit que « nous faisons la guerre de façon beaucoup plus barbare que les Arabes eux-mêmes […] c'est quant à présent de leur côté que se situe la civilisation. »60 L'objectif de la « pacification » est comme le déclare le colonel de Montagnac d'« anéantir tout ce qui ne rampera à nos pieds comme des chiens »61. La politique de la terre brûlée, décidée par le gouverneur général Bugeaud, a des effets dévastateurs sur les équilibres socio-économique et alimentaire du pays : « nous tirons peu de coup de fusil, nous brûlons tous les douars, tous les villages, toutes les cahutes ; l'ennemi fuit partout en emmenant ses troupeaux »61. Selon Olivier Le Cour Grandmaison, la colonisation de l'Algérie se serait ainsi traduite par l'extermination du tiers de la population, dont les causes multiples (massacres, déportations, famines ou encore épidémies) seraient étroitement liées entre elles62 ce qui est nié par Daniel Lefeuvre63, affirmant que le Maroc a connu une crise démographie similaire64. <br /> <br /> Après l'accalmie consécutive à la fin de la première phase de conquête, la période 1866 – 1872 voit à nouveau se creuser le déficit démographique algérien. En raison d'un cycle de six années où se mêlent les répressions de l'armée française, un tremblement de terre, le développement d'une épidémie de choléra et de la famine qui sévit en 1868, la population diminue de plus de 300 00065 voire 500 000 personnes66. Selon Augustin Bernard, la famine de 1868 serait responsable à elle seule de 300 000 à 500 000 morts67 et aurait réduit de 10 % la population de l'époque68. <br /> <br /> Les déportations massives : des tribus entières ont fait l'objet de déportations et de bannissement. Les grandes familles maures (d'origine espagnole) de Tlemcen s'exilent en Orient (au Levant) tandis que d'autres émigrent ailleurs. Les tribus jugées trop turbulentes sont bannies et certaines se réfugient en Tunisie et au Maroc, voire en Syrie. D'autres tribus sont déportées en Nouvelle-Calédonie ou en Guyane. <br /> <br /> La crise démographique est telle que, dans une étude démographique de plus de trois cents pages sur l'Algérie, le Docteur René Ricoux, chef des travaux de la statistique démographique et médicale au bureau de statistique du gouvernement général de l'Algérie, prévoit tout simplement la disparition des « indigènes » algériens69. Le phénomène est interprété comme une conséquence des opérations militaires françaises mais aussi des conditions nouvelles imposées aux indigènes dont les caractéristiques les condamnent « à une lente mais inéluctable disparition ». Pour le professeur Ricoux comme pour nombre de ses contemporains des milieux scientifiques, une loi de la sélection naturelle voue les races les « plus faibles » à disparaître devant les races « supérieures ». <br /> <br /> Les prévisions du démographe Ricoux n'advinrent jamais : une fois terminée la phase de conquête du pays, la population algérienne connut une croissance continue. La fréquence, la virulence et l’extension géographique des épidémies, reculèrent peu à peu à partir de 1880 ou 1890, avec l'installation de l'administration civile, la fin des opérations de « pacification » et des déplacement de populations, l'amélioration de l'alimentation et, après la Première Guerre mondiale, la généralisation des contrôles sanitaires ou l’amélioration progressive de l’hygiène dans les villes. Il faudra néanmoins attendre la fin des années 1940 pour les voir disparaître de la région. <br /> <br /> References 56 - 69:<br /> <br /> 56↑ Kamel Kateb (préf. Benjamin Stora), Européens, « indigènes » et juifs en Algérie (1830-1962) : représentations et réalités des populations, INED, 2001, 386 p. (ISBN 2-7332-0145-X, lire en ligne [archive]), p. 11-14. <br /> <br /> 57↑ Diana K. DAVIS, Les mythes environnementaux de la colonisation française au Maghreb, Paris, Editions Champ Vallon, 2007 (ISBN 2876739496 et 9782876739499), chapitre IV. <br /> <br /> 58↑ Kamel Kateb, Européens, « Indigènes » et Juifs en Algérie (1830-1962), Paris, Ined/Puf, 2001. <br /> <br /> 59↑ La famine de 1866-1868 (lire en ligne [archive]). <br /> <br /> 60↑ Alexis de Tocqueville, De la colonie en Algérie. 1847, Éditions Complexe, 1988. <br /> <br /> 61↑ a et b Cité dans Marc Ferro, « La conquête de l'Algérie », dans Le livre noir du colonialisme, Robert Laffont, p. 657. <br /> <br /> 62↑ Coloniser Exterminer. Sur la guerre et l'État colonial, Paris, Fayard, 2005. Voir aussi l'ouvrage de l'historien américain Benjamin Claude Brower, A Desert named Peace. The Violence of France's Empire in the Algerian Sahara, 1844-1902, New-York, Columbia University Press. <br /> <br /> 63↑ Pour en finir avec la repentance coloniale (lire en ligne [archive]). <br /> <br /> 64↑ Daniel Lefeuvre, Pour en finir avec la repentance coloniale (lire en ligne [archive]). <br /> <br /> 65↑ Abderahman Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou, Ouanassa Siari Tengour, Sylvie Thénault, Histoire de l'Algérie à la période coloniale, 1830-1962 (lire en ligne [archive]). <br /> <br /> 66↑ Kamel kateb, op. cit. Pour un témoignage d'époque on pourra lire l'abbé Burzet, Histoire des désastres de l’Algérie 1866-1868. Sauterelles, tremblement de terre, choléra, famine, Alger, 1869. <br /> <br /> 67↑ Augustin Bernard, L'Algérie, Paris, Alcan, 1929. Cité par Kamel Kateb, op. cit. <br /> <br /> 68↑ Jean-Baptiste Rivoire, Le crime de Tibhirine : Révélations sur les responsables (lire en ligne [archive]). <br /> <br /> 69↑ La démographie figurée de l'Algérie, Paris, Masson, 1880. <br /> <br /> Salutations
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