à l’occasion de l’anniversaire du 20 août 1955
critique du livre de Roger Vétillard,
20 août 1955 dans le Nord-Constantinois
Michel MATHIOT
Ce livre (1) passe en revue l’ensemble des thématiques que peut inspirer au chercheur l’insurrection du 20 août 1955 ; à une exception près, par exemple, celle des origines sur une plus longue durée. On a le loisir de pouvoir cheminer assez facilement dans l’ouvrage, de par le plan adopté.
On pourrait bien sûr en imaginer d’autres, davantage problématisés historiquement, mais il me semble que le lecteur grand-public s’y retrouve plus aisément ; surtout s’il est néophyte ; ce qui est – il faut bien le dire – le cas de la quasi-totalité des lecteurs sur ce sujet.
J’ai apprécié des chapitres tels que, par exemple, celui sur la genèse de l’opération, ou "Séparer les différentes communautés", ainsi que celui sur les intellectuels et sur Camus. Il en va de même du travail sur les conséquences du 20 août. L’ensemble est de mon point de vue propice à éveiller l’intérêt du chercheur, ne serait-ce que pour sa propre remise en question. La partie consacrée à la presse internationale méritait, à mon avis, davantage d’analyses qui auraient d’ailleurs pu s’étendre à la presse en général (algérienne et métropolitaine).
Etant spécialisé sur Philippeville et les environs, je reste un peu sur ma faim devant les développements qui en ont été faits, faute de place sans doute, et faute d’approfondissement de certaines sources.
J’ai souvent regretté de voir reprises des hypothèses rebattues, sans pouvoir ni les démontrer ni les invalider. Peut-être n’est-ce effectivement pas possible.
En résumé sur le fond, je crois que ce livre est une bonne synthèse documentaire, qui devrait intéresser un public curieux, sans le lasser comme le font souvent des livres d’histoire érudits. Notamment, l’absence de nombreuses références et justifications qui alourdiraient la présentation, va dans ce sens même si elle peut décevoir le chercheur scientifique.
Cette synthèse se suffit-elle à elle-même ? Un livre n’a jamais suffi à traiter un sujet. Il faut alors se mettre en perspective et je pense que différents auteurs pourraient se compléter au lieu de s’opposer. J’apprécie d’ailleurs assez modérément à ce sujet la préface de M. Guy Pervillé que j’estime par ailleurs. Il y avait d’après moi d’autres choses à dire avant de se livrer à une attaque peu élégante de Mme Mauss-Copeaux (Algérie, 20 août 1955, Insurrection, répression, massacres, Payot, 2011). Avec elle, nous formons un trio improbable, le seul en France à travailler sur le sujet. Mieux vaudrait capitaliser et ne pas s’opposer, voire le faire avec élégance.
les décédés européens de Philipeville
Je me suis donc penché sur l’étude faite par R. Vétillard des décédés européens de Philippeville (et quartiers rattachés), puisque c’est le sujet que je connais le mieux. Le but étant de retenir les noms véritablement historiquement attestés et de reporter peut-être dans une deuxième liste ceux qui resteraient néanmoins possibles, mais non publiables. Soit pour El-Alia une diminution de 15 noms, ramenant le chiffre qui serait le plus sûr de 51 à 36 tués.
Pour Philippeville au sens large (il faut préciser que tout comme El-Alia, les petites agglomérations humaines de Filfila, Carrières romaines, ainsi que le Béni-Melek ne sont pas des localités, mais des quartiers de la commune de Philippeville, certes excentrés), la liste de noms passerait ainsi de 12 à 7. Sans préjuger de l’ensemble des tués du Nord-Constantinois, au sujet desquels R. Vétillard, son préfacier et quelques commentateurs annoncent avoir fait le tour de la question, le chiffre de tués de Philippeville et agglomérations rattachées passe de 63 à 43.
Peut-être R. Vétillard dispose-t-il de justificatifs probants et dont il n’a pas mentionné la méthode. Des noms apparaissent en doublon dans plusieurs listes, des fautes de typographies (bien compréhensibles à l’époque entre les journalistes, les opérateurs telex, les transmissions téléphonées, les pratiques coutumières, etc) n’ont pas été critiquées à leur juste mesure, une bonne connaissance du milieu familial d’El-Alia aurait pu éliminer des doublons, parmi les enfants notamment ou entre conjoints, beaucoup de noms ne sont pas justifiés autrement que par un témoignage ou un écrit unique non convainquant, des personnes blessées ne sont pas décédées, etc.
J’ai également signalé à l’auteur quelques erreurs ne touchant pas au fond (forme, références douteuses, citations illicites, typographie, orthographe, style, répétitions, etc.) à qui la localisation peut être utile.
Cette fiche de lecture ne peut être prolongée sans devenir trop lourde et ennuyeuse. Mes textes s’en feront l’écho dans le détail, mais – par souci d’éthique intellectuelle - je l’ai communiquée à l’auteur il y a deux mois et demi, accompagnée d’une lecture critique détaillée, patronyme par patronyme, concernant les tués d’El-Alia et de Philippeville, ainsi que quelques erreurs de forme qui peuvent être corrigées dans une édition ultérieure.
Je ne comptais pas rendre ce texte public pour le moment, mais une remarque suivie d’une suggestion de M. M. Renard vient de m’y conduire, à la veille de cet anniversaire. Pour autant je réserve – par discrétion, par respect et peut-être aussi par prudence – la publication d’une liste de morts pour une édition en bonne et due forme.
18 août 2012
- (1) Roger Vétillard, 20 août 1955 dans le Nord-Constantinois, un tournant dans la guerre d’Algérie ? Riveneuve Editions, 2012.
_________________________________________
enterrement des victimes européennes du 20 août 1955
- Michel Mathiot sur le site Skikda magazine
- article de Michel Mathiot sur Études Coloniales (30 décembre 2011)
- article de Michel Mathiot sur Études Coloniales (4 août 2011)