l'histoire n'est pas une monnaie d'échange entre États
François Hollande
et les "crimes coloniaux en Algérie"
Le nouveau président français François Hollande compte marquer le 50e anniversaire de l’indépendance algérienne et de la fin de la guerre d’Algérie par une décision sans précédent : reconnaître les crimes coloniaux en Algérie. "Il faut que la vérité soit dite. Reconnaître ce qui s’est produit.", écrit M. Hollande, alors candidat aux élections présidentielles françaises, dans une lettre datée du 26 mars 2012 et dont le Matindz [journal algérien] obtenu copie. Il y reconnaît implicitement les massacres perpétrés lors des manifestations du 8 mai 45 à Sétif, qu’il qualifie de "répressions sanglantes en réponse aux émeutes survenues dans le département de Constantine", ainsi que la tuerie du 17 octobre 1961 qui a frappé notre émigration.
À propos de ce dernier événement, le nouveau président français rappelle : "Vous vous souvenez peut-être qu’en hommage aux Algériens morts lors de la manifestation du 17 octobre 1961, j’ai déposé une gerbe, le 17 octobre 2011, au pont de Clichy, où des Algériens furent jetés à la Seine, il y a cinquante ans, par des policiers, placés sous les ordres de Maurice Papon, préfet de police. Au cours de cette commémoration, j’ai tenu à témoigner ma solidarité aux enfants et petits-enfants des familles endeuillées par ce drame." "Il faut que la vérité soit dite. Reconnaître ce qui s’est produit. Ce jour-là, j’ai agi en tant que socialiste. À l’avenir, ce sera sans doute à la République de le faire.”
il faut que TOUTE la vérité soit dite...
Michel RENARD
Avant de reconnaître, peut-être faudrait-il connaître ? "Mon souhait, si je suis élu, est d'apaiser et de normaliser les relations entre la France et l’Algérie" proclame François Hollande. Bien. Mais il ne s'agit que de diplomatie, de relations politiques et commerciales.
Que vient faire l'histoire là-dedans ? Le passé, ce sont les autorités algériennes qui en ont fait un boomerang politique sans cesse lancé contre "la France". Pour quelles raisons ?
légitimité fictive du pouvoir algérien
Parce que le bilan de l'Algérie indépendante est désastreux. Économie, société, patrimoine, culture…, c'est la faillite. Corruption, prévarication, détournements des fonds du pétrole et du gaz. Le pouvoir est confisqué par une machinerie à structure militaire depuis cinquante ans. Jamais il n'a eu de compte à rendre. Les révoltes, contestations, remises en cause ont toujours été jugulées par la force. Pas par la démocratie. Sa seule "légitimité" est une fiction historique : avoir été les héritiers de ceux qui de tout temps ont victorieusement résisté à l'envahisseur français. Il faut sans cesse en rajouter plus le temps passe.
Alors, on parle de déculturation, de crimes, de massacres, de génocide… Oui, la violence fit partie du rapport colonial mais on ne peut le réduire à cela. Jacques Marseille et Daniel Lefeuvre ont montré qu'il n'y avait pas eu "pillage" colonial et que le bilan de la présence française n'était vraiment pas un argument pour expliquer la déliquescence actuelle. Je vais retrouver la source de cette remarque d'un ministre syrien en visite à Alger en 1963 et qui, lucidement, lança aux dirigeants de l'Algérie indépendante : "encore un an ou deux et la France faisait de vous un pays développé"…
pas de génocide
Benjamin Stora a nié toute référence à un génocide : "Il n'y a pas trace dans les archives d'une planification, d'une anticipation de la destruction de la population indigène. Le système colonial est fondé sur la conquête, la dépossession foncière, mais pas sur l'extermination des populations" (http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/2008/05/27/9337858.html)
Comme le dit Mohammed Harbi : "La colonisation a été ambivalente dans ses effets. D'un côté, elle a détruit le vieux monde, au détriment de l'équilibre social et culturel et de la dignité des populations. D'un autre coté, elle a été à l'origine des acquis qui ont créé la modernité algérienne. (...) On peut même dire, sans risque de se tromper, que la colonisation a été le cadre d'une initiation à ce qui est une société civile, même si cet apprentissage s'est fait malgré elle et s'est heurté à une culture coloniale, d'essence raciste" (L'Algérie et son destin. Croyants ou citoyens, Arcantère, 1992, p. 26-27).
Si nous ne partageons pas, dans sa généralité, l'expression "culture coloniale d'essence raciste", il faut reconnaître les modalités contradictoires de la présence coloniale. Et ne pas la réduire aux "crimes coloniaux".
la vérité historique... au-delà des idéologies
Ces derniers temps, des investigations historiennes scrupuleuses, jamais démenties, ont montré que le leitmotiv anti-colonial, qu'il provienne des autorités algériennes, de la sphère médiatique française ou des lobbies "anti-racistes", n'avait que peu de rapport avec la vérité historique.
Il faut lire les ouvrages solidement référencés de Roger Vétillard, Sétif, Guelma, mai 1945, massacres en Algérie, ou encore le tout récent 20 août 1955 dans le nord-constantinois. Un tournant dans la guerre d'Algérie ? pour comprendre qu'il n'y a pas d'un côté les victimes et de l'autre les bourreaux dans un dualisme du Bien et du Mal.
Il faut lire le livre le livre de Jean-Jacques Jordi, Un silence d'État. Les disparus civils européens de la guerre d'Algérie, pour découvrir qu'il y eut une "barbarie" algérienne jusqu'au dernier moment. Il faut lire les enquêtes de Jean-Pierre Lledo, Algérie, histoires à ne pas dire…, pour reconnaître que la "guerre de libération" fut également une guerre d'épuration.
Il faut lire le livre de Jean-Paul Brunet pour se rendre compte que le 17 octobre 1961 ne fut pas le massacre proclamé (ce que j'ai longtemps cru moi-même…), Police contre FLN. Le drame d'octobre 1961, Flammarion, Paris, 1999. Et d'autres encore… Gilbert Meynier, Guy Pervillé, le général Maurice Faivre, Diane Sambron, des thèses universitaires passées sous silence parce qu'elles n'avalisent pas le catéchisme "anti-colonial"…
il n'appartient pas aux politiques de jouer avec la vérité historique
Le nouveau président de la République n'a pas à "reconnaître" les "crimes coloniaux", sauf à passer sous les fourches caudines de Brennus qui humilia ses vaincus dans l'histoire ancienne de Rome. Qu'il laisse les historiens travailler. Qu'il demande aux autorités algériennes la liberté historienne à Alger. Liberté de travailler, de s'informer (il n'y a plus de crédit d'achat dans les bibliothèques universitaires…) et de publier.
La France en Algérie n'a pas commis que des "crimes". Les Algériens, certes infériorisés politiquement durant la période coloniale, n'ont pas été que des dominés dignes de repentance. Ils furent, pour une partie d'entre eux, des massacreurs.
Comment qualifier les massacres d'El-Halia (août 1955) qui virent les tueurs du FLN lapider des civils, femmes et enfants y compris ? Comment qualifier le massacre de Melouza (1957) qui vit les lames du FLN égorger des centaines de messalistes sans défense ? Comment qualifier les assassinats d'Européens après mars 1962 jusqu'à l'apogée d'Oran le 5 juillet 1962 ? Comment qualifier les décimations de harkis à l'été 1962 ? Sont-ce des crimes contre-coloniaux ?
C'est le temps plus ou moins long de l'histoire et de la mémoire qui mettra à jour toutes les blessures et leur compréhension (?). Mais on doit leur refuser le statut de monnaie d'échange unilatérale dans les rapports entre États. Il faut que TOUTE la vérité historique soit dite. Et il n'appartient pas aux politiques d'en jouer.
Michel Renard
Études coloniales
- voir aussi : une certaine rhétorique algérienne "anticoloniale" (Michel Renard)