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études-coloniales
16 avril 2012

Ben Bella, biographie

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 Ahmed Ben Bella, un itinéraire

 Jean-Louis PLANCHE

 

Mercredi 11 avril dans l’après-midi mourrait à Alger Ahmed Ben Bella, premier président de la République algérienne de 1962 à 1965. Cette mort à 95 ans, entouré des siens, est venue conclure paisiblement une vie dont les engagements avaient pourtant été longtemps consacrés à la politique, sous une forme parfois aventureuse.

Transporté le lendemain au Palais du Peuple, l’ex-Palais d’Eté, résidence du chef de l’État, le corps du défunt recevait les hommages des personnalités et de ses anciens compagnons de combat, avant d’être accompagné vendredi par le président de la République Abd-el-Aziz Bouteflika au cimetière d’El-Alia, et d’être inhumé au Carré des Martyrs où reposent Houari Boumedienne, second président de la République, et l’Émir Abdelkader, héros légendaire. Un deuil national de huit jours était décrété.

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les obsèques de l'ex-président Ahmed Ben Bella

La presse algérienne rapporta que l’événement n’avait suscité aucune émotion dans l’opinion algérienne. Tout juste fut remarquée la coïncidence de cette mort, à quelques semaines près, avec le cinquantième anniversaire de l’indépendance recouvrée par l’Algérie en 1962. Le long retrait de la vie politique que subit Ahmed Ben Bella n’explique qu’en partie ce silence.

Certes, emprisonné puis assigné à résidence pendant 15 ans par Houari Boumedienne qui l’avait destitué violemment en 1965, Ahmed Ben Bella a vécu exilé en Suisse de 1981 à 1990, puis, de retour en Algérie s’est gardé de toute activité politique nationale, se consacrant à des causes lointaines (soutien à l’Irak et à la Palestine), puis à l’altermondialisme et à la religion. La presse ne l’évoquait même plus, les livres d’histoire ne citaient pas toujours son nom. Politiquement, le tumultueux Ahmed Ben Bella n’était plus de ce monde, sinon paradoxalement en France.

 

Né en 1916 à Maghnia en Oranie

Né en 1916 à Maghnia en Oranie, à la frontière avec le Maroc dont son père est originaire, Ahmed Ben Bella a la jeunesse d’un fils de petit paysan, scolarisé jusqu’au brevet, passionné par le football pour lequel il a des dispositions. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, il joue à l’Olympique de Marseille et ne porte aucun intérêt marquant à la politique. Mobilisé en 1943, il fait une guerre exemplaire, s’illustre à Monte Cassino, est promu adjudant et décoré des mains du général De Gaulle.

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soldats allemands au Mont Cassino

À son retour au pays en 1945, l’atrocité de la répression menée en mai-juin 1945 dans le Constantinois le bouleverse. Il quitte l’armée et adhère au PPA-MTLD de Messali Hadj dont il devient rapidement un permanent, est élu conseiller municipal de Maghnia, prend en Oranie la tête de l’Organisation spéciale du parti, sa branche armée.

Aventureux et athlétique, il dirige en 1949 le hold-up contre la grande poste d’Oran qui rapporte au PPA-MTLD 3 Millions de Francs (env. 90 000 €).

Cela lui vaut en 1949 d’être promu responsable national de l’Organisation spéciale et en 1950 d’être arrêté, l’enquête sur l’affaire d’Oran ayant abouti. Condamné à 7 ans de prison, il s’évade en mars 1952.

Réfugié en Égypte, il est membre de la Délégation extérieure du PPA-MTLD qui représente les intérêts du parti. Chaleureux, inspirant la sympathie, il se lie d’amitié avec le colonel Nasser et Fethi Al Dib, chef des services de renseignements, se spécialise dans les questions militaires et les commandos. L’Égypte devient en 1954 le principal soutien du FLN et de sa Délégation extérieure.

 

Ben Bella et le FLN d'Abane Ramdane

Les relations de Ben Bella avec Abane Ramdane, principal organisateur et théoricien du FLN en Algérie, sont très vite détestables. Ben Bella supporte mal les décisions prises par le Congrès de la Soummam en 1956 sous l’impulsion d’Abane Ramdane, notamment la primauté au FLN des civils sur les militaires.

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Ben Bella, Nasser et Bourguiba

Il voyage beaucoup, et c’est au retour d’une conférence au Maroc que l’appareil où il se trouve, le 22 octobre 1956, avec la délégation algérienne, est intercepté au-dessus de la Méditerranée par l’aviation française, acte de piraterie aérienne qui compta dans l’isolement de la France en guerre d’Algérie.

Emprisonné jusqu’en 1962 en forteresse militaire, il y gagne de survivre aux aléas de la guerre et des conflits au FLN. Peu connu mais rendu célèbre par sa détention, il devient pour l’opinion algérienne une légende.

 

Président de la République algérienne

Dans ces conditions, et celle du morcellement des centres de décision, à l’issue d’une guerre civile impitoyable qui a duré 8 ans, parvenir au pouvoir suprême est une affaire de chance et d’habileté. Libéré très vite à la suite des Accords d’Évian, il sait jouer le groupe de Tlemcen et l’Armée des frontières qui, n’ayant pas combattu, dispose d’un potentiel militaire intact, contre le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne, l’improbable Exécutif provisoire, réfugié à Rocher Noir, son radeau de la Méduse, n’ayant qu’une réalité formelle.

Son sourire radieux et sa mince silhouette d’éternel jeune sportif captivent les foules. Le 27 septembre 1962, il est désigné Président du Conseil, tandis que l’armée achève de ramener l’ordre dans Alger et sa banlieue.

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Tout puissant, il ne peut pas grand-chose tant que la désorganisation n’a pas été jugulée. Elle est si profonde qu’il y faudra du temps. La lecture de la courbe de la consommation nationale d’électricité est éloquente. Elle ne cesse de baisser depuis 1962 et ne commença à se redresser qu’en 1967. La SNCFA par exemple n’a conservé qu’une poignée de techniciens. Par ailleurs, aventuriers, escrocs et pillards venus de tous les horizons se sont abattus sur le pays.

En sens inverse, la destination est mondaine. On peut dîner à Alger à l’improviste chez la nièce d’un futur et hautain président de la République française. Si à l’automne 1962 des rafales de pistolets-mitrailleurs s’entendent encore du côté d’El-Harrach, la ville d’Alger est ensuite la capitale la plus sûre de la Méditerranée, et peut sans danger se traverser de nuit à pied pour les romantiques solitaires.

Certes, il ne faut pas tenter le diable, comme ces jeunes écossaises trop belles et trop inconscientes qui acceptèrent d’être invitées à un mariage dans l’Atlas saharien. C’était leur mariage. Devenues grand-mères, elles y vivaient encore il y a quelques années, entourées de leurs petits-enfants.

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Fidel Castro et Ben Bella

L’époque est aussi au socialisme qui paraît triomphant. Cuba, aux portes des États-Unis, s’est converti à un système qui semble ouvrir les portes du futur. En France même, au Parti communiste, certains responsables rêvent qu’un jour les rapatriés français d’Algérie, conquis eux aussi par contagion, puissent lui servir de tête de pont en France.

 

Les coopérants français

Avec les retours de l’automne 1962, les Français sont plusieurs centaines de milliers en Algérie, où plus de 20 000 coopérants venus de France s’activent dans tous les ministères, jusqu’au Palais du Gouvernement (ex-Gouvernement général). Des fonctionnaires français locaux quittent cependant le pays à l’automne, quand les salaires sont réduits des 2/3, l’Algérie ne pouvant plus leur servir les salaires de la colonie, et les coopérants lui coûtant cher.

Le grand départ des Français se fit après les décrets de mars 1963 qui ont nationalisé les terres coloniales et les ont mise en autogestion, s’inspirant du modèle de la Yougoslavie socialiste. Des Espagnols quittent aussi. "Les Arabes ne peuvent plus nous nourrir", disent-ils.

Il restait cependant à l’automne 1965 près de 60 000 Français d’Algérie. Ceux-là acceptent d’être commandés par des Arabes, et ne partirent que l’âge venant, la médecine n’ayant pas le niveau français, les filles grandissant, le niveau de l’Université baissant, tandis que la France en face est emportée par la hausse continue du pouvoir d’achat que suscitent les "Trente glorieuses", et l’esprit mai 1968 attirant les plus jeunes. Au demeurant, l’émigration des Algériens vers la France bat ses records. Un ouvrier qualifié chez Renault peut gagner autant qu’un jeune coopérant en Algérie.

Ben Bella signe, les attributions de biens vacants, comme les décrets de mars. Il parle bien d’union de l’Islam et du Socialisme. Mais les milieux religieux font grise mine, certains regrettant, en conversation privée, "le temps de la France". Les critiques contre lui sont rares. Elles sont le fait d’opposants politiques, en Kabylie notamment, et de bourgeois dont souvent les familles ont préféré passer sur la rive nord de la Méditerranée, le frère ou le cousin connu pour être un progressiste assurant sur place la gestion des affaires familiales.

Pas dupe, ou revenant vite à la réflexion, l’opinion algérienne apprécie au total Ben Bella. Sa dictature de fait est progressiste, permissive, et accepte de fait bien plus qu’elle ne le dit. Son accord paraît total avec le chef d’état-major des Armées, le colonel Boumedienne, dont la chevelure châtain clair se teint peu à peu en noir, cependant qu’une moustache lui pousse. Et les opposants sont peu à peu ralliés par des prébendes, des rentes de situation, des sinécures, qui désarment leur hostilité.


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Ben Bella et Boumedienne

Une bourgeoisie d’État, discrète, se forme sous ses yeux. Elle choisit d’aller passer le carnaval à Rio plutôt qu’à Nice, apprécie la Suisse pour sa discrétion et son respect de l’argent, préfère Paris, où la discrétion et le respect sont incontestables, mais dont les prix sont si exagérés. Avant la guerre, elle levait parfois le poing dans les manifestations du Parti communiste algérien, ou l’index, dans ceux du PPA-MTLD. Aujourd’hui, elle lève le doigt, à l’adresse du croupier, aux tables de roulettes des casinos d’Europe.

 

Mais Ben Bella ne voit rien, écoute à peine. Peu à peu, devant les obstacles que la réalité des hommes et des forces économiques lui opposent, il renforce ses pouvoirs. En septembre 1963, candidat unique du parti unique, le FLN, il a été élu président de la République. Il cumule les ministères, donnant l’impression à son entourage qu’il vise au pouvoir personnel. Le gouvernement français lui fait de plus en plus grise mine, mais il se rapproche de l’URSS et de la Chine. Il refuse de prendre au sérieux les mises en garde qu’il inquiète et qu’un coup d’État se prépare.

Les blindés de l’armée qui se mettent en place dans Alger le 18 juin 1965 ne sont destinés qu’à la figuration dans le film La Bataille d’Alger que Pontecorvo tourne. En fait, les armes sont approvisionnées. Le samedi 19 juin, à 1h30 du matin, Ben Bella, éberlué, est arrêté au centre d’Alger, dans sa villa dont le service de protection est trop insignifiant pour le défendre.

Ses amis, le colonel Boumedienne et Abdelaziz Bouteflika, sont à la tête du coup d’État militaire qui l’arrête et le déporte. Dans le pays, les manifestations de protestation sont insignifiantes. La fête, commencée le 5 juillet 1962, est finie.

Jean-Louis Planche
auteur de Sétif 1945 : histoire d'un massacre annoncé, Perrin, 2001.

 

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Commentaires
S
Ben Bella est parti ! Des funérailles dignes d'une chef d'Etat ! S'il a eu "une belle mort", on ne peut pas dire de même pour sa vie. Les meilleures années de sa vie, il les a perdues, ou plutôt on les lui a volées. En 65 il avait 49 ans, sorti de l'ombre plus de 35 ans aprés ! La vie est injuste. Peut être qu'en lui ayant accordé des funérailles aussi grandioses nous l'avons beaucoup plus emmerdé. Et ce ne sont pas ces funérailles qui lui redonneront vie. Adieu père, adieu frère Hmimed,tu as eu raison de partir, je sais que tu ne supportes plus de nous voir car nous n'avons pas su t'aimer.
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