guerre d'Indochine, par le général Paul Ély
Général Ély, Les enseignements de la guerre d’Indochine. 1945–1954, Tome 1, SHD, 2011, 340 pages, 18 photos, 20 schémas, 5 documents. 26 €.
Haut-Commissaire et Commandant en chef en Extrême-Orient de juin 1954 à décembre 1955, le général Paul Ély a jugé nécessaire de faire une critique de nos échecs et de nos réussites dans ce conflit. Le général Robert, Chef du Service historique, présente ce rapport qui montre comment une armée moderne s’est adaptée à une guerre révolutionnaire.
La réédition a été confiée au capitaine Cadeau, qui en Introduction rappelle ce que fut cette guerre et quelle a été la genèse du rapport. Le manque de moyens, l’indifférence des Français et le financement américain caractérisent ce conflit mené par des soldats de métier, dans un milieu physique difficile, contre une guérilla généralisée qui s’est transformée en Corps de bataille de 125.000 hommes.
1 400 rapports d'officiers
Les épisodes principaux en sont le désastre de la RC4 en octobre 1950 (7 bataillons anéantis par 30 bataillons viets), les victoires sans lendemain du général de Lattre en 1951-52, et la défaite de Dien Bien Phu où 60.000 soldats vietminh ont submergé 15.000 combattants du camp français. Quelques succès locaux ont permis ensuite au général Ely d’établir un réseau de manoeuvre au Sud-Vietnam, en dépit de l’opposition à la France du président Diem.
Le rapport a fait la synthèse de 1.400 rapports d’officiers, de 60 rapports demandés aux généraux, des comptes-rendus du 3ème Bureau et des synthèses du 2ème Bureau. Il comprenait trois fascicules, dont le premier, critiquant la politique des gouvernements, n’a pas été diffusé. Est donc publié ici le fascicule 2, consacrés aux aspects opérationnels et tactiques. Le fascicule 3, consacré aux leçons à tirer des formes du combat sino-soviétique, sera diffusé plus tard en 2012.
La préface du général Ély est suivie d’un tableau des pertes de la guerre d’Indochine : une centaine d’officiers supérieurs, 341 capitaines, 1.140 lieutenants, 2.683 sous-officiers et 6.000 soldats français, sans compter 12.000 légionnaires et Africains et 14.000 autochtones MPF. Plus de 100.000 morts et 20.000 disparus au total.
En première partie est abordée «la guerre des idées», qui montre l’absence d’une idéologie positive à opposer au Vietminh, malgré quelques opérations de déception réussies.
une guerre sans front
La deuxième partie définit ce que fut cette guerre sans front, marquée par la qualité du renseignement opératif comparé au renseignement tactique, par l’efficacité des regroupements de population et des bases de manoeuvre, par la priorité du contrôle des axes routiers et fluviaux, par le rôle des fortifications combinant tours et points d’appui. Le contrôle en surface est assuré par les forces vietnamiennes, et les opérations de destruction par les groupements mobiles. Des actions humanitaires et civilo-militaires contribuent à la pacification.
La troisième partie passe en revue toutes les formes non orthodoxes du combat mené par les différentes armes et subdivisions d’armes. L’infanterie mène un combat fluide avec le concours des supplétifs, des maquis montagnards, qui inquiètent les Viets ; elle lance des contre-attaques à partir de môles aéro-terrestres.
La formation des Dinassauts, des groupements mobiles (18 GM constitués), des Commandos de choc, des groupements amphibies de l’arme blindée, et des bataillons légers vietnamiens sont des réussites. Lors de 150 opérations aéroportées, 14 bataillons, motivés par l’esprit para, mettent au point une doctrine d’emploi.
Le maintien en condition est assuré par les centres d’instruction créés en 1952, et par la récupération de deux tiers des blessés (9.640 évacuations par hélicoptère). 690 pièces d’artillerie (contre 135 vietminh) réalisent des appuis permanents, instantanés et précis. Le Génie, le Train et les Transmissions, malgré des moyens limités, s’efforcent de soutenir le combat ; la logistique repose sur le système D (60.000 véhicules à soutenir) jusqu’à ce qu’arrive le soutien américain.
raisons d'un échec
Les raisons de l’échec sont attribuées au manque de moyens :
- une infanterie en sous-effectif, incapable de contrôler un territoire qui comprend deux tiers de forêt, de brousse dense et de marécages
- des appuis aériens insuffisants, appliqués en priorité à l’appui direct et manquant d’autonomie pour soutenir Dien Bien Phu. Dans son journal de marche, le général Ély attribue la perte de l’Indochine à la politique des petits paquets. Il ne dit pas, mais c’est peut-être le sujet du fascicule 1 resté inédit : l’orientation initiale utopiste, la dualité du commandement entre d’Argenlieu et Leclerc, la division des gouvernements absorbés par la reconstruction et par la défense contre les menaces soviétiques sur l’Europe.
Maurice Faivre
le 29 janvier 2012.
le général Ély au chevet d'un blessé de Dien Bien Phu