Janos Riesz - littératures africaines et coloniales francophones
la fécondité de l'échange entre Littérature
et Histoire selon Janos Riesz
Marc MICHEL
- «Astres et désastres», Histoire et récits de vie africains de la Colonie à la Postcolonie, Georg Olms Verlag, Hidesheim, Zurich, New York, 2009, 396 p.
Sous ce titre intrigant, Janos Riesz dont on connait les contributions incontournables sur les littératures africaines et coloniales francophones, publie en un recueil considérable une partie de ces contributions, revues et réécrites.
Le titre de l'ouvrage suscite évidemment la curiosité. Dans sa première contribution, Janos Riesz s'en explique en précisant qu'il s'agit d'une figure de pensée dans les relations entre la France et ses anciennes colonies ; il relève cette figure dans une série de poètes français et la met en rapport avec des œuvres majeures de la littérature des colonisés.
L'ouvrage fait suite à un premier livre intitulé De la littérature coloniale à la littérature africaine publié en 2007 et rassemble des textes dispersés, ayant fait l'objet de communications sur deux décennies, de 1987 à 2008. Janos Riesz en a gommé, autant que faire se peut, les recouvrements et les a ajustés aux dernières informations disponibles.
L'ensemble du volume est divisé selon trois grands axes : le discours historique dans les textes littéraires, les récits de vie et les écritures autobiographies, les espoirs et échecs des indépendances. Précisons qu'il s'agit ici des colonies et des indépendances d'Afrique noire et que, sauf l'exception d'une communication sur "Charles de Foucauld et le Désert", il s'agit de l'Afrique noire et d'auteurs très majoritairement africains : Léopold Panet, Dadié, Mariama Bâ, Lumumba, Kourouma, Ousmane Sembène, Kossi Efoui, Sénouvo Agbota Zinzou, Senghor. Il s'élargit aux écrivains antillais de la Négritude comme le grand poëte Léon Gontran Damas. Le cas de Lumumba est évidemment particulier puisqu'il ne fut en aucune manière écrivain, si bien que Janos Riesz analyse seulement le personnage dans la production romanesque africaine.
Il est difficile de rendre compte d'un tel ouvrage. Un des mérites du volume est de rappeler à la mémoire l'importance de certains textes plus ou moins oubliés : par exemple, la Relation d'un Voyage du Sénégal à Soueira au Maroc du métis Panet, «indigène» (entendons ici habitant) du Sénégal ou encore les Carnets de prison de Bernard Dadié.
ce que l'Histoire doit à la Littérature
Un autre mérite est d'appréhender des textes dont on ne savait pas trop quoi faire comme les fameuses autobiographies recueillies par le célèbre ethnologue allemand Dietrich Hermann Westermann publiées en Français en 1938. Le décryptage et la mise en situation de ces textes en sont formidablement faits par Janos Riesz qui en prouve ainsi la valeur historique.
La fécondité de l'échange entre Littérature et Histoire est d'ailleurs au centre de l'ouvrage. Janos Riesz nous montre à quel point les œuvres et les auteurs ne peuvent être séparés du contexte de leur production et des circonstances de leurs vies.
Cela peut paraître une évidence quand il s'agit d'autobiographies. Janos Riesz en montre cependant la richesse méthodologique à propos de certaines œuvres oubliées, et pourtant très instructives, comme le roman de René Maran Un homme pareil aux autres dont l'analyse pourrait être rapprochée du fameux Peaux noires, masques blancs de Franz Fanon. Il est aussi évident en ce qui concerne Tiaroye racontée et mis en scène par Ousmane Sembène, bien que sur ce point il eût été utile de tenir compte du démontage de la fabrication littéraire et cinématographique de celui-ci.
Le décryptage ne se fait pas dans le seul sens de l'Histoire vers la Littérature ; il indique aussi ce que la première doit à la seconde en matière de mythes et de symboles, par exemple à propos de l'Orphée noir dont Jean-Paul Sartre et Léopold Sédar Senghor ont fait, selon Janos Riesz, un mythe «utile à l'Afrique». La propension des chercheurs et des écrivains africains en situation «post-coloniale» à une relecture des œuvres littéraires est aussi très sensible à propos du même Senghor.
On peut ne pas être toujours convaincu par tous les travaux historiques auxquels se réfère Janos Riesz, il reste que sa méthode d'aller et venue entre Histoire et Littérature permet de renouveler et d'enrichir les approches réciproques. Le principal regret que me laisse ce livre est qu'il se cantonne encore à la littérature africaine en relation avec un passé colonial qui s'éloigne alors qu'une nouvelle littérature, riche, variée, neuve, s'est développée partout en Afrique, chez de jeunes écrivains, Emmanuel Dongola, Léonora Miano, Libar Fofana, pour ne prendre que quelques exemples, appelant à une confrontation non avec la «colonie», mais à une proprement africaine
Marc MICHEL
- «Astres et désastres», Histoire et récits de vie africains de la Colonie à la Postcolonie, Georg Olms Verlag, Hidesheim, Zurich, New York, 2009, 396 p.
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