compte rendu de lecture : Le Dê Tham par Claude Gendre (Jean-Pierre Renaud)
Le Dê Tham, un livre de Claude Gendre
Jean-Pierre RENAUD
Livre intéressant, très documenté et illustré de beaucoup d’images sur un personnage méconnu, en tout cas en France, de l’histoire du Tonkin au cours de la période 1885-1913. Véritable héros de roman, chef de bande de pirates, mais aussi rebelle à la présence française au Tonkin, l’ouvrage de Claude Gendre nous donne la chronologie minutieuse de la vie aventureuse du Dê Tham. Le sous-titre Un résistant vietnamien à la colonisation française mérite un commentaire particulier.
Dans son rapport de mission (1902), en qualité de Gouverneur Général de l’Indochine (1897- 1901), le décrivait effectivement comme rebelle «Le Dê Tham n’était pas un bandit, mais un chef annamite rebelle qui tenait la campagne contre nous depuis dix ans» (p.74), et il avait réussi, au cours de son mandat, à obtenir sa soumission en 1897, en combinant les opérations militaires et la négociation.
Il convient de rappeler que le Gouverneur Général avait absolument besoin de cette soumission, car comme l’a fort bien rappelé l’auteur, le Yen Thé, situé à une soixantaine de kilomètres de Hanoï, menaçait la présence française au Tonkin, alors qu’il avait besoin de la paix pour négocier en métropole un grand emprunt d’équipement de 200 millions de francs, de l’ordre de 200 millions d’euros. L’auteur reprend les descriptions du Yen Thé dues à différents auteurs - notamment Gallieni et Lyautey - confrontés à sa pacification, précisément en qualité d’adversaires du Dê Tham, l’année précédant sa soumission supposée. Le Yen Thé était une jungle inextricable qui couvrait un relief aussi inextricable !
Le même rapport Doumer évoquait le démantèlement de deux bandes de pirates chinois dans les hautes régions du Tonkin, et cette évocation nous conduit à élargir la réflexion sur le rôle du Dê Tham au cours de cette période historique.
Pirate ou patriote ?
Car il est très difficile de démêler dans les hauts faits de ce rebelle ce qui relevait de la piraterie endémique du Tonkin et de ses convictions politiques, qualifiées aujourd’hui de nationales.
Aux yeux de Gallieni et de Lyautey, le Dê Tham était le chef d’une bandes de pirates, donc au cours de la première période de sa vie, au cours de laquelle les troupes coloniales ont combattu de nombreuses bandes de pirates, chinois et annamites. Gallieni avait réussi à pacifier les hautes terres du Tonkin, en obtenant la collaboration du Maréchal Sou, représentant de l’Empereur de Chine dans le Quang-Si.
Deux périodes méritent, à mon avis, d’être distinguées, la démarcation étant celle de la soumission du Dê Tham en 1897, soumission à plusieurs détentes, dans sa chronologie et son sens rituel. Car, que faut-il penser de cette soumission qui conduit le rebelle à bénéficier d’une «concession» coloniale, contestable, comme celles attribuées alors à plusieurs centaines d’européens ?
Double jeu à l’asiatique, peut-être, mais doublée plus tard d’une cérémonie de soumission rituelle qui ne pouvait manquer d’avoir un retentissement politique dans l’univers confucéen du respect du pouvoir de la cour de Hué.
À la date de cette soumission, toutes les autres bandes avaient été décimées, chinoises, chinoises et annamites, ou annamites, car il était, une fois de plus, difficile de faire le partage entre la piraterie chinoise et la piraterie annamite, et les gouverneurs généraux ont été obligés d’obtenir la coopération de la Chine pour mettre fin à la piraterie chinoise du Tonkin.
groupe de pirates des bandes du Dê Tham
Les chefs des bandes pirates du Tonkin ont toujours manœuvré habilement entre les deux cours des fils du ciel, celles de Hué et de Pékin, la première se reconnaissant selon les rapports de force, comme plus ou moins vassale de celle de Chine.
Une situation politique et internationale aussi inextricable que celle du Yen Thé !
D’ailleurs le Dê Tham, au cours de la deuxième période de rébellion, postérieure à 1897, s’est trouvé l’allié paradoxal de rebelles chinois réformistes qui prônaient la république en Chine, alors que, lui, se plaçait toujours sous le «ciel» de Hué. C’est une fois de plus la coopération entre la France et la Chine qui mit fin à cette révolte.
Il est donc délicat d’examiner le parcours de ce rebelle sans appeler en garantie l’arrière plan des relations entre France, Chine, et Annam, aussi bien au cours de la première période de rébellion qu’au cours de la deuxième, qui vit l’intervention d’un nouveau facteur international, la victoire maritime du Japon sur la Russie, en 1905, victoire qui eut un immense retentissement en Asie. Cette victoire était de nature à donner des ailes à la rébellion du Yen Thé, ce qui fut le cas. Le livre de Claude Gendre montre bien le type de relations qui pouvait exister alors entre le Tonkin et le Japon, lequel n’était pas encore perçu comme le nouveau conquérant de l’Indochine.
Alors double, triple, quadruple jeu ? Personne ne le saura, mais assimiler le Dê Tham à nos résistants de la Deuxième Guerre mondiale, me parait exagéré, sauf à souligner que la France eut en effet beaucoup plus de résistants de la dernière heure que de résistants de la première heure, mais laissons de côté les paroles de l’Évangile.
D’aucuns diraient sans doute que le regard de l’auteur est un peu trop marqué par une empathie pour son héros, et que l’esprit de son récit exprime peut être une sorte de remords colonial.
Mettre sur le même plan le Dê Tham et Hô Chi Minh, parait excessif, même si le roman national du Vietnam en a fait un héros de l’indépendance, car à partir de 1897, le Dê Tham n’eut pas vraiment de rivaux. Ils étaient tous morts ou ralliés.
Encore un mot sur les campagnes de presse évoquées par l’auteur (p.79) : le Tonkin d’alors ne comptait pas beaucoup de lecteurs, et la plupart d’entre eux étaient directement ou indirectement des salariés ou des «obligés» de la colonie, de l’ordre de quatre à cinq cents citoyens français. Doumer écrivait d’ailleurs qu’il ne lisait jamais les journaux locaux. Il ne leur trouvait aucun intérêt. Le sujet de la presse coloniale de la métropole et des colonies mériterait de faire l’objet de thèses, si ce n’a déjà été fait, afin de mesurer le rôle de ces journaux, lequel, à mon sens, est souvent largement surestimé. En tout cas pour la période antérieure à 1914, et sans doute aussi entre les deux guerres.
Jean-Pierre Renaud
le 24 janvier 2008
- voir : le Dê Tham, résistant vietnamien à la colonisation française, Claude Gendre
soumission du plus vieux partisan du Dê Tham et
de son gendre (carte postale ancienne)