L'esclavage en noir et blanc
L'esclavage en noir et blanc
Europe du Sud, Maghreb, Machreq, Turquie,
du Moyen Âge au XXe siècle
Table
ronde
organisée par
Roger BOTTE & Alessandro STELLA
Centre d'études africaines - Centre de recherches historiques
vendredi 19 janvier 2007, 15 h à 19 h
105, bd Raspail - Paris 6e (salle 7)
De l'Europe du Sud au monde ottoman et barbaresque,
cohabitèrent des esclaves de différentes couleurs, origines, religions.
Loin d'être une institution anecdotique, cet esclavage concerna, sur la
longue durée, des millions de personnes. Or, l'attention des historiens
et des anthropologues, focalisée sur la servitude atlantique, n'a pas été
à la mesure de l'ampleur du phénomène méditerranéen et transsaharien. On
s'intéressera à l'analyse comparative des formes diverses
d'assujettissement, à la multiplicité des conditions, au traitement des
esclaves, à leur utilisation, aux possibilités de sortie de la sujetion,
selon la couleur, la religion et le sexe aux différentes époques.
La table ronde s'inscrit dans une réflexion préalable à la publication
d'un ouvrage. Il n'y aura donc pas d'exposés définitifs mais, à partir de
quelques textes introductifs, un débat avec les participants sur la
pertinence de la problématique.
Contacts
alessandro.stella@wanadoo.fr
botte@ehess.fr
Evelyn Tajetti, Couleurs Méditerranée, source, ©
L’ESCLAVAGE EN NOIR ET BLANC
Europe du Sud, Maghreb, Machreq, Turquie,
du Moyen Age au XXe siècle
Pour plusieurs raisons, l’opinion publique occidentale, et même une partie de l’opinion universitaire, associent l’esclavage avec les Noirs, et en particulier avec la traite transatlantique. L’équation posée esclave égal Noir est dès lors utilisée à des fins politiques, par des prétendue «communautés noires» en France ou aux États-Unis, ou par des États africains au sein des institutions internationales.
Il est certain que l’esclavage des Africains a alimenté le racisme envers les personnes à peau noire, et que ce racisme a lui-même justifié et alimenté l’esclavage de Noirs. Certes, l’esclavage de Noirs présente une spécificité parmi les esclavages, comme le génocide des Juifs garde une singularité par rapport aux autres génocides de l’histoire ; mais valider l’équation esclave = Noir est impropre au regard de l’histoire. Fonder un combat politique sur un postulat erroné ne saurait aboutir à des résultats justes. Mieux vaut regarder l’histoire en face pour essayer de comprendre ce qu’est l’esclavage, et cerner les facteurs de l’exploitation et de l’oppression.
Sans remonter à l’Antiquité gréco-romaine, et en laissant de côté la moitié de l’humanité (l’Asie), nombreux sont les exemples qui montrent que l’esclavage n’a pas été d’une seule couleur. Il faut aussi rappeler que la traite transatlantique d’Africains, devenue aujourd’hui synonyme d’esclavage, fut organisée pour pallier le fait que des raisons multiples (catastrophe démographique, convenances politico-stratégiques, intérêts et choix d’évangélisation) avaient fortement limité l’esclavage des Indiens du Nouveau Monde à partir du milieu du XVIe siècle. Mais au cours du premier demi-siècle de colonisation des Amériques, l’esclavage des Indiens avait été de loin supérieur à celui des esclaves importés à grands frais d’Afrique. Les Conquistadores avaient compris qu’il valait mieux mettre en servitude les Indiens par d’autres moyens. Et qui sait si l’histoire des traites esclavagistes n’aurait pas connu un autre cours, si les Turcs n’avaient pas coupé le robinet des «slaves» aux Européens d’Occident ? Quoi qu’il en soit, en se tenant grosso modo à la périodisation de la traite transatlantique, l’espace méditerranéen donne à voir un esclavage multicouleur.
De l’Europe du Sud au monde ottoman et barbaresque, cohabitent des esclaves de différentes couleurs, origines, religions. Dans l’Espagne chrétienne des XVIe-XVIIIe siècles, on trouve des esclaves noirs arrivés par la traite atlantique, et des esclaves blancs importés du Maghreb ou de la Méditerranée Orientale, via la course maritime, les razzias à partir des «presidios» et l’achat sur les marchés d’Orient. Dans l’Espagne musulmane des siècles précédents, le spectre des couleurs de l’esclavage était sensiblement le même : des noirs importés par la traite transsaharienne, et des blancs capturés dans la péninsule Ibérique ou sur mer, ou encore achetés sur le marché des esclaves slaves.
miniature persane, Hariri, XIIIe siècle,
marché aux esclaves (BnF)
En Sicile et en Italie du Sud, nous constatons une belle constance pluriséculaire, des derniers siècles du Moyen Age jusqu’au XVIIIe siècle inclus, de présence d’esclaves noirs amenés là par la traite transsaharienne, et des esclaves blancs d’origine slave et orientale. Sur la rive Sud de la Méditerranée, les esclaves blancs provenant du monde chrétien (catholique et orthodoxe) ont coexisté, aussi bien au cours des derniers siècles du Moyen Age qu’à l’époque moderne, avec les esclaves noirs acheminés par la traite transsaharienne. En Turquie et dans la Méditerranée orientale, l’éloignement de l’Atlantique n’a pas empêché de voir la présence concomitante d’esclaves blancs (slaves, caucasiens, occidentaux) et d’esclaves noirs venant du «Soudan».
Il ne s’agit pas, bien entendu, d’un esclavage anecdotique mais, tout compte fait, nous parlons de millions de personnes. Sauf que l’attention d’historiens et anthropologues n’a pas été à la mesure de l’ampleur du phénomène. Une bien curieuse lacune, notamment, renvoie le métissage immédiatement aux Amériques, alors que la Méditerranée a été un creuset pluriséculaire du phénomène biologique et culturel appelé métissage.
Il nous paraît donc de première importance, de rappeler d’abord cette évidence par trop négligée, et ensuite d’analyser comparativement cet esclavage méditerranéen avant, pendant et après l’expansion européenne par l’Atlantique. Nous voudrions pousser l’analyse loin sur le terrain du traitement, de l’utilisation, de la considération des gens nommés esclaves.
Les différences de couleur entraînaient-elles des traitements différents ? Les possibilités de sortir de l’esclavage, par l’affranchissement, le rachat ou la fuite, dépendaient-elles de la couleur de la peau, ou du sexe, ou des deux à la fois ? Employait-on les esclaves indistinctement à une tâche ou à une autre, ou les esclavagistes associaient-ils phénotype et travail à accomplir ? L’utilisation sexuelle d’esclaves, dans une maison chrétienne ou dans un harem musulman, suivait-elle des préférences morphologiques, et si oui lesquelles ? La vision de l’Autre, le racisme ou l’admiration, influençaient-ils le destin des esclaves ? Dans quelle mesure les clivages religieux déterminaient-ils la position des esclaves ?
Quand un propriétaire avait des esclaves noirs, blancs, métissés, comment s’organisait la hiérarchie de la dépendance, sur quelles bases, par quels critères ? Dans les sociétés prises en considération, quelles étaient les possibilités d’ascension sociale des esclaves et des affranchis, et quelles étaient les voies permises ou conquises pour gravir les marches de l’échelle sociale ? Quelles étaient les relations entre esclaves ? La commune condition d’oppression forgeait-elle des solidarités, voire un sentiment d’identification ? Ou, au contraire, les clivages «raciaux», religieux, ethniques maintenaient-ils les esclaves divisés entre eux, voire hostiles les uns envers les autres ? Enfin, était-ce mieux, ou moins dur, ou plus vivable d’être esclave en terre d’Islam ou en terre chrétienne ?
Voici une série de questions auxquelles nous voudrions essayer de répondre de façon pertinente, c’est-à-dire par une recherche approfondie et spécialisée. Nous souhaitons privilégier les recherches de première main, appuyées sur des connaissances bibliographiques larges et ouvertes, sans aucun a priori, et avec le goût de la comparaison et de la découverte. Conscients qu’une recherche innovante demande du temps, nous voudrions arriver à composer un ouvrage solide et cohérent pour la fin de l’année 2007.
Roger Botte et Alessandro Stella
Nicolas Poussin (1594-1665), Captif chrétien vu de dos face à un souverain
de face, gravé par Bouzonnet dite
Claudia stella (1636-1697).
L’ESCLAVAGE EN NOIR ET BLANC
Auteurs et titres (provisoires) des contributions
• Ghislaine ALLEAUME, «Le mamelouk et la concubine dans l’Égypte de la seconde moitié du XIXe siècle».
• António de ALMEIDA MENDES, «Les tangaroes de la côte de Guinée».
• Raed BADER, «L’esclavage en Algérie coloniale : réflexions et interrogations sur une pratique».
• Salvatore BONO, «Esclaves slaves, maghrébins et africains en Italie (XVIe-XIXe siècles)».
• Roger BOTTE, «La traite transsaharienne du VIIIe au XIVe siècles». Roger Botte, Centre d'études africaines - Cahiers d'études africaines, n° 179-180 (2005) : "Esclavage moderne ou modernité de l'esclavage ?" (en ligne)
• Sadok BOUBAKER, «Esclaves blancs et noirs en Tunisie».
• Phillipe BRAUNSTEIN, «Itinéraire d’un négrier ordinaire : Alvise da Ca’ da Mosto, de la mer Noire à la Sénégambie».
• Henri BRESC, «Esclaves blancs et noirs en Sicile aux derniers siècles du Moyen Âge».
• Federico CRESTI, «Esclaves blancs et noirs en Libye au XIXe siècle».
• Jocelyne DAKHLIA, «Eunuques noirs et eunuques blancs au Maroc».
• Inès MRAD DALI, «Les esclaves noirs en Tunisie».
• Sylvie DENOIX, «Mameluks, Janissaires, Circassiennes et Soudanais en Égypte : le marché des hommes et des femmes».
•Jean-Michel DEVEAU, «Esclaves chez les Blancs et chez les Noirs à Saint-Louis du Sénégal (XVIIe-XVIIIe siècles)». (Jean-Michel Deveau, Raconte-moi l'esclavage)
• Bruce S. HALL & Yacine Daddi ADDOUN (contact ou ydaddia@webbar.fr), «Une route transsaharienne à double sens ? Anjay Isa, esclave de Ghadamès à Tombouctou.». Bruce S. HALL & Yacine Daddi ADDOUN
• Frédéric HITZEL (courriel), «L’esclavage dans la Turquie ottomane».
• Fatima IBERRAKEN, «Processus d’asservissement par un lignage saint de Petite Kabylie : 1840 et 1957».
• Mohamed MEOUAK, «Esclaves blancs et esclaves noirs dans l’Occident musulman médiéval : servitudes, hiérarchies, pouvoirs».
• Mohammed MOUDINE, «Les esclaves musulmans en Europe méridionale».
• Mahmed OUALDI, «Les esclaves blancs dans la haute administration du bey de Tunis».
• Fabienne PLAZOLLES-GUILLEN-DIOP, «Esclaves slaves, maghrébins et africains à Barcelone aux XIVe-XVe siècles : à la recherche d’identités»
• Judith SCHEELE, «Serfs au pays des hommes libres : l’esclavage en Kabylie».
• Alessandro STELLA, «Les destins des affranchis noirs et blancs dans l’Andalousie des temps modernes».
• Salah TRABELSI, « Esclaves noirs et blancs en Tunisie au Moyen Âge ».
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liens
- présentation par Thomas
Jackson, de : Robert
C. Davis, Christian Slaves, Muslim Masters: White Slavery in the Mediterranean,
the Barbary Coast, and Italy, 1500-1800, Palgrave Macmillan, 2003
- Jean-Michel Deveau, "Esclaves noirs en Méditerranée", Cahiers de la Méditerranée, vol. 65, juillet 2005, "L'esclavage en Méditerranée à l'époque moderne" (texte intégral et bibliographie).
- Daniel Panzac, "Les esclaves et leurs rançons chez les Barbaresques (fin XVIIIe - début XIXe siècle)", Cahiers de la Méditerranée, vol. 65, juillet 2005, "L'esclavage en Méditerranée à l'époque moderne" (texte intégral et bibliographie).
- Nordiske slaver - Afrikanske herrer : Kulturhistorisk Museum
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bibliographie
- Robert C. Davis, Esclaves chrétiens, maîtres musulmans : l'esclavage blanc en Méditerranée (1500-1800), éditions Jacque, avril 2006. Spécialiste de l'Italie de la Renaissance, Robert C. Davis est professeur d'histoire à l'université de Columbus (Ohio)
Présentation de l'éditeur
Sujet politiquement incorrect,
sous-estimé par Fernand Braudel et par nombre d'historiens, l'esclavage
blanc pratiqué par ceux que l'on nommait alors les Barbaresques a bel
et bien existé sur une grande échelle et constitué une véritable traite
qui fit, durant près de trois siècles, plus d'un million de victimes.
Qui étaient-elles ? Comment se les procurait-on ? Comment
fonctionnaient les marchés d'Alger, Tunis et Tripoli, les trois villes
qui formaient le noyau dur de la Barbarie ? Quelle forme prenait
l'asservissement, tant physique que moral, de ces hommes et de ces
femmes originaires de toute l'Europe, et principalement d'Italie,
d'Espagne et de France ? Quelle était leur vie dans les bagnes et sur
les galères ? Comment l'Église catholique et les États européens
tentèrent-ils de les racheter ? Dans cet ouvrage, fruit de dix années
de recherches, et qui s'appuie sur de très nombreuses sources et une
abondante documentation, Robert C. Davis bat en brèche l'idée élaborée
au XIXe siècle et encore dominante d'un esclavage fondé avant tout sur
des critères raciaux.
- Jacques Heers, Les négriers en terre d'islam : la première traite des Noirs, VIIe-XVIe siècle, Perrin, 2003. Agrégé d'histoire, Jacques Heers a été professeur à la Sorbonne et directeur du département d'études médiévales de Paris-Sorbonne.
Présentation de l'éditeur
L'histoire de l'esclavage,
généralement limitée à la Rome antique, à la période coloniale et à la
traite des Anglais et des Français aux XVIIe et XVIIIe siècles, laisse
de nombreux pans aveugles, en raison de la rareté des sources et de la
culpabilité rétrospective des nations colonisatrices. Ainsi, du VIIe
siècle à la fin du XIXe, s'est mis en place un système de traite
musulmane des Noirs d'Afrique, par caravanes à travers le Sahara et par
mer à partir des comptoirs d'Afrique orientale. En tenant compte des
travaux les plus récents, notamment ceux des historiens ivoiriens et
nigerians, Jacques Heers retrace le mécanisme de cette traite, ses
itinéraires, ses enjeux commerciaux et le rôle des esclaves dans les
sociétés arabes - à la Cour, dans l'armée, dans les mines ou aux
champs. Il évoque les tensions épisodiques, mais aussi la grande
révolte du IXe siècle. Se dessinent de la sorte une cartographie de
l'esclavage africain ainsi qu'une étude sociale menée sur une période
de plus de mille ans, encore trop méconnue.
- Bartolomé et Lucile Bennassar, Les chrétiens d'Allah : l'histoire extraordinaire des renégats, XVIe-XVIIe siècles, Perrin, 2006.
Présentation de l'éditeur
Aux XVIe et XVIIe siècles, des
centaines de milliers d'hommes et de femmes, convertis à l'islam, sont
devenus des "renégats". La plupart furent emmenés en captivité un
soir de défaite,
après une razzia ou victimes de la course "barbaresque" en
Méditerranée ou sur l'Atlantique. Certaines conversions furent
volontaires. C'est l'histoire extraordinaire de ces milliers de
destins, archivés par l'Inquisition, que retracent Lucile et Bartolomé
Bennassar.
- Giles Milton, Captifs en Barbarie ; l'histoire extraordinaire des esclaves européens en terre d'Islam, éd. Noir Sur Blanc, 2006. Giles Milton, journaliste et écrivain anglais, est spécialiste de l'histoire des voyages et des explorations.
Présentation de l'éditeur
C'est un chapitre fascinant et méconnu des relations entre l'Europe et l'Afrique du Nord aux XVIIe et XVIIIe siècles qu'aborde dans ce récit Giles Milton. Il s'agit de l'aventure cruelle de dizaines de milliers d'Anglais, de Français, d'Espagnols... capturés en mer par les corsaires de Barbarie, et vendus comme esclaves sur les grands marchés d'Alger, de Tunis, ou de Salé au Maroc. Lorsque Thomas Pellow quitte à onze ans sa Cornouailles natale pour embarquer en qualité de mousse sur le bateau de son oncle qui va commercer en Méditerranée, il est loin de se douter de l'odyssée extraordinaire qui l'attend. Le bateau est arraisonné, le jeune Thomas, captif des bandits, est vendu au terrible sultan Moulay Ismaïl, et rejoint les milliers d'esclaves qu'il emploie à la construction d'un palais gigantesque, dans des conditions épouvantables.
Comme beaucoup, sous la torture, il se convertit à l'islam. Mais Pellow, grâce à son ingéniosité et sa vivacité d'esprit parvient, malgré son jeune âge, à attirer l'attention puis l'estime du sultan qui lui confiera la garde de son harem et même des missions militaires. Vingt-trois longues années plus tard, lorsqu'il parvient enfin à s'évader, il sera l'un des rares survivants à pouvoir raconter son histoire. Outre le récit autobiographique de Pellow, Milton a utilisé pour cet ouvrage une documentation exceptionnelle et inédite. A travers des lettres, journaux et documents d'époque, il reconstitue avec sa verve habituelle et un œil clinique d'historien les épisodes troublants de ce commerce singulier, où se mêlent horreurs et malentendus et qui ne prendra fin qu'en 1816.
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Jean-Léon Gérome, 1866, Marché d'esclaves
Contacts
alessandro.stella@wanadoo.fr
botte@ehess.fr
- annonce de cette initiative sur le site de l'EHESS
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Commentaire
Chers collègues,
je vous félicite de votre présentation. Je
suis en train de préparer un projet comparatif sur l'esclavage
médievale au monde méditerranéen. Pour plus d'information, visitez
notre site sur
http://urts96.uni-trier.de:8080/minev/med_slavery
Amicalement,
Christoph Cluse, Université de Trêves (Allemagne)
Posté par Christoph Cluse, mardi 16 janvier 2007 à 16:04
- lien
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