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études-coloniales
10 novembre 2006

Réponse à la lecture de Benjamin Stora (Daniel Lefeuvre)

arton356
je ne crois malheureusement pas

qu’on puisse combler cette demande
de reconnaissance de la souffrance par des faits
et des chiffres
(Benjamin Stora)

 

Réponse à la lecture de Benjamin Stora

Daniel LEFEUVRE

couv_Daniel_newLa lecture que Benjamin Stora propose de Pour en finir avec la repentance coloniale, dans le numéro 493 (du 30 septembre au 6 octobre 2006, p. 69) de Marianne me semble ouvrir un débat sur trois points.

Le premier point touche à la question, toujours pendante, du rapport entre l’historien et ses sources. Quelle critique Benjamin Stora m’adresse-t-il sur ce plan ? De travailler à partir des archives de l’État et donc, inéluctablement, de restituer la parole de celui-ci. Travail certes utile mais unilatéral puisque écrivant l’histoire d’un seul versant et qui ignore la “parole des colonisés”, contrairement à la démarche originale mise en oeuvre naguère par Charles-Robert Ageron, Annie Rey-Goldzeiguer et, actuellement, par B. Stora lui-même.

Ce postulat de Benjamin Stora selon lequel les archives ne permettent de restituer que la parole de celui qui les a constituées n’est guère soutenable. Les exemples qu’il donne contredisent d’ailleurs cette affirmation. Sur quoi, en effet, repose l’œuvre magistrale de Ch.-R. Ageron, Les Algériens musulmans et la France, 1871-1919 (PUF, 1968, 2 vol.) sinon, pour l’essentiel, sur les archives publiques françaises ! Il en va de même pour Le Royaume arabe. La politique algérienne de Napoléon IIII, 1861-1870, (SNED, Alger, 1977) d’Annie Rey-Goldzeiger. Et c’est en puisant dans ces mêmes fonds, qu’André Nouschi a pu mener à bien son Enquête sur le niveau de vie des populations rurales constantinoises, de la conquête jusqu’en 1919 (PUF, 1961).

Plus près de nous, Raphaëlle Branche reconnaît (p. 441 de son livre) “la prépondérance des archives militaires” consultées au Service historique de l’Armée de Terre (SHAT) dans l’élaboration de sa thèse publiée sous le titre La torture et l’armée française pendant la guerre d’Algérie (Gallimard, 2001) qui, c’est le moins qu’on puisse dire, ne restitue pas le point de vue de l’armée.

Enfin, comment Gilbert Meynier aurait-il pu écrire sa monumentale Histoire intérieure du FLN, 1954-1962 (Fayard, 2002) sans disposer, lui-aussi des fonds du SHAT, auquel il paie sa dette (p. 26), à la fois parce que “les services français étaient souvent remarquablement informés” sur les activités et les militants du FLN/ANL, mais aussi parce qu’on trouve à Vincennes “des centaines de cartons renfermant des documents du FLN/ALN” dont la consultation est, aujourd’hui, toujours impossible en Algérie.

D’autres exemples venus d’autres “territoires” de l’historien pourraient, presque à l’infini, être convoqués pour prouver que le travail à partir des archives publiques ne conduit pas nécessairement à se faire le porte-parole de l’Etat, ce qu’au demeurant je n’ai pas le sentiment d’avoir fait.

Le second point porte sur l’affirmation selon laquelle je m’inscrirais dans “une querelle plus idéologique qu’historique”.

Certes, la “querelle” sur le passé colonial de la France et sur les prolongements contemporains de celui-ci est bien d’ordre idéologique et politique. Mais l’objet de mon livre est justement de rappeler que l’historien est dans son rôle lorsqu’il dénonce, avec les outils qui sont les siens, les falsifications qui se présentent comme étant des ouvrages d’histoire. Il faut bien alors, pour appuyer sa démonstration, en passer par les chiffres, les dates, les données économiques, militaires, sociales,… les plus précis possibles sans lesquels aucune interprétation scientifique, aucune compréhension ne sont possibles. Il est également dans son rôle lorsque, soixante ans après Lucien Febvre, il rappelle que l’historien n’est ni le juge, “pas même un juge d’instruction”, ni le procureur des acteurs ou des comparses du passé.

Le troisième point de désaccord avec Benjamin Stora, peut-être le plus important, touche à la fonction même de notre discipline. “Contrairement à Daniel Lefeuvre, je ne crois malheureusement pas, écrit B. Stora,  qu’on puisse combler cette demande de reconnaissance de la souffrance par des faits et des chiffres. Les arguments rationnels ne viennent pas à bout de l’affect. Du moins cette réponse rationnelle, si elle est indispensable, n’est pas suffisante.”

La question qui est ici posée est celle de la fonction de l’histoire. Certes, B. Stora admet la nécessité des “arguments rationnels” et il ne nie pas totalement la fonction de connaissance du passé. Mais cette fonction semble secondaire dans ce qu’elle ne permettrait pas “de reconnaître la souffrance” des victimes de l’histoire et donc de panser les plaies encore ouvertes.

J’avoue ne pas suivre B. Stora dans cette voie qui tend à construire une histoire compassionnelle. Connaître, comprendre, expliquer le passé pour permettre aux hommes de mieux se situer dans le présent, voilà l’objet et l’ambition de notre discipline, ce qui n’est pas peu. La souffrance des victimes n’est pas de son ressort, sauf à en faire un objet d’histoire.

Reste, et bien des drames collectifs du vingtième siècle le montrent,  la vérité est bien souvent la première exigence des victimes - ou de leurs proches - qui veulent savoir et comprendre. C’est donc en faisant leur métier que les historiens peuvent contribuer aux apaisements nécessaires, et non en se donnant comme mission d’apporter du réconfort.

Daniel Lefeuvre

Daniel_30_septembre





 

 

Charles-Robert Ageron, Annie Rey-Goldzeiguer, André Nouschi,

Gilbert Meynier... les grandes thèses d'histoire algérienne

ont été faites à partir des archives d'État françaises, Daniel Lefeuvre

 

 

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Commentaires
M
Pour l'histoire de Madagascar, seuls nos ancêtres savent ce qu'ils ont vécu. Ne jugez pas les parties Malgaches à cette époque-là de fourbes. Pourquoi assassiner de pauvres hommes Malgaches qui ne font que revendiquer leur propre terre? C'est vous les français qui ont tout causé, les morts de votre partie n'étaient absolument que de votre faute! Vous et vous seuls avaient causé la mort de vos compagnons! blâmer les Malgaches ne servent à rien! eh oui, il y avait des victimes, nos sources disent qu'il y en avait pour les 8900 morts, nos sources Malgaches! Vous qui pensiez être de race supérieur, vous aimez dominé le monde, mais cela vous mènera à votre perte! Laissez nos passés et nos histoires pour nous même, vous pouvez inventé tout ce que vous voulez mais nous avons perdu des hommes, femmes, enfants innocents qui ne voulaient que leur liberté! Heureusement, ce temps est révolu, mais nous garderons à jamais jusqu'à notre mort ce que La France et La Sénégal nous ont fait enduré.
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J
Chez B Stora de 2011, au contraire, il me semble même qu'il est plus dans une logique de restituer un passé encore vif, juste avec ce qu'il faut d'empathie. Et comment ne le saurait il puisque lui même exilé, ayant vu enfant des civils morts au début de cette guerre. Ce qui n'est pas expliqué par contre, c'est la conséquence sur l'immigration algérienne qui en est à la quatrième génération. Personne n'a approché réellement cette population qu'on mêle au gré du jour, à une immigration totalement différente. Personne n'a vraiment compris dans quelle situation se trouvent aujourd'hui ces algériens d'origine, en dehors du champs banlieusard paumé. Alors que la plupart des algériens étaient justement des kabyles qui ont surtout vécu en province, puisque les usines y étaient implantées. Des algériens on ne retient que ceux qui ont travaillé dans l'industrie automobile, jamais on ne parle de ceux qui travaillaient dans les usines sidérurgiques de province.
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M
A Daniel Lefeuvre, pour le musée futur..Quand donc les idéologies cesseront-elles de s'emparer de la science humaine que représente l'histoire? Bien sûr, l'histoire n'est pas une science exacte, mais les archives avec leurs recoupements possibles, les documents comparés devraient offrir une matière la plus factuelle possible, aux gens honnêtes et désireux de savoir .<br /> Quant à ceux qui gardent sur les yeux le bandeau de la mauvaise foi... tant pis pour eux
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