L'écriture au Vietnam
Lettrés et interprètes à la Résidence, Hanoï - photo du Dr Hocquard
(cf. Une campagne au Tonkin, prés. Philippe Papin, arléa,1999, p. 179)
L'écriture au Vietnam
Dans un commentaire, posté le 16 avril 2006, "Patrice" écrit :
Bonjour,
Il est sain de réapprendre aux gens ce que fut réellement la colonisation française : phénomène en soi bien sûr, mais aussi phénomène international parmi d'autres. Récemment, un immigré vietnamien croyait raisonnable de rejoindre une manifestation des prétendus "Indigènes de la République" pour clamer son ressentiment contre la France. Son argument était simple : la colonisation française aurait traumatisé le peuple vietnamien en lui imposant une nouvelle écriture. Cet homme ignorait que la romanisation fut revendiquée par les révolutionnaires vietnamiens eux mêmes ! En plus, l'ancienne écriture vietnamienne fut elle même une écriture imposée par un autre colonisateur : la Chine. Et cette colonisation là dura mille ans. Laquelle des deux écritures est la plus vietnamienne ?
Patrice
l'écriture au Vietnam
En complément de cette réaction, quelques "liens" sur l'écriture vietnamienne :
- Tan Loc NGUYEN propose un sujet sur la calligraphie (mais c'est en vietnamien) et une explication des problèmes d'écriture informatique vietnamienne
- un site très complet sur les écritures au Vietnam : de l'idéogramme à l'alphabet, du pinceau à la plume, des estampes à l'ordinateur
le camp des lettrés pendant le concours
Le Petit Journal, 28 juillet 1895
historique de l'écriture au Vietnam
- sur le site de l'université Laval au Québec (TLFQ - Trésor de la langue française au Québec) :
Les Vietnamiens ont utilisé les caractères chinois jusqu'au jusqu'au XIIIe siècle. Tout comme pour le chinois, les mots vietnamiens contenaient deux symboles: le premier indiquait la signification et le second la prononciation. Puis, les Vietnamiens ont inventé leur propre système d'écriture: le nôm.
Par la suite, au XVIIe siècle, Alexandre de Rhodes (1591‑1660), un jésuite français de nationalité portugaise, introduisit l'alphabet phonétique romanisé (appelé quõc ngu), toujours en vigueur actuellement. C'est lui qui, le premier, a classé systématiquement les phonèmes de la langue vietnamienne ; par ses publications, il a systématisé, perfectionné et vulgarisé le nouveau mode d'écriture.
L'alphabet vietnamien n'a pas de lettre f (remplacée par le graphème Ph équivalant au son [f]) ni de z (remplacé par le graphème GI équivalant au son [z]). De plus, afin de tenir compte des tons, les lettres peuvent porter des signes diacritiques différents.
Le vietnamien d'aujourd'hui peut encore s'écrire à l'aide de caractères chinois (le chu nôm) dans des occasions spéciales ou comme forme d'art, mais la graphie romanisée, le quõc ngu, est devenue l'écriture officielle du pays. Malgré une influence chinoise omniprésente, le Vietnam demeure le seul pays du Sud-Est asiatique à posséder une écriture romanisée. Sous sa forme orale, le vietnamien présente des différences importantes d'accent et de vocabulaire entre le Nord, le Centre et le Sud, mais l'intercompréhension demeure relativement aisée.
bientôt un mémorial à Hanoï pour Alexandre de Rhodes
Le quõc ngu (graphie romanisée du vietnamien) fut créé au XVIIe siècle par un missionnaire français : le père Alexandre de Rhodes. Nombre d'intellectuels de la capitale appellent depuis des années à redresser son mémorial, abattu il y a une trentaine d'années.
Alexandre de Rhodes est né le 15 mars 1591 à Avignon, dans le Sud de la France. Ce missionnaire s'est rendu de 1627 à 1645 au Vietnam pour propager le catholicisme. Pour convertir ses ouailles, il a cherché à maîtriser le vietnamien, ce qui lui a demandé peu de temps - le jésuite était en effet très doué pour les langues. Il commença, paraît-il, à prêcher en vietnamien seulement six mois après son arrivée ! Ensuite, grâce aux travaux de certains missionnaires portugais et espagnols qui avaient commencé à retranscrire en caractères romains le vietnamien, il réussit à mettre au point le quôc ngu. En remplaçant les caractères chinois par cette graphie romanisée, le père de Rhodes facilita la diffusion de l'Évangile. Rappelons qu'à cette époque, le vietnamien s'écrivait avec des idéogrammes (chu nho et chu nôm ) et il fallait de nombreuses années d'études pour maîtriser cette écriture complexe, domaine exclusif des lettrés, des mandarins et que le peuple était bien incapable de déchiffrer. Ce système d'écriture perdura jusqu'au début du XXe siècle, puis le quôc ngu le remplaça largement à partir de la Première Guerre mondiale. Parallèlement à sa mission évangélisatrice et à ses travaux sur la langue vietnamienne, le père de Rhodes s'intéressa aussi aux us et coutumes des locaux, à l'histoire et aussi aux ressources naturelles du pays. Il rédigea de nombreux ouvrages, les plus connus étant un "Dictionnaire annamite-portugais-latin", des "Explications brèves sur un voyage de mission religieuse au Tonkin", une "Histoire du royaume tonkinois"...
Pour rendre honneur à cet inventeur du vietnamien romanisé, un mémorial fut dressé fin mai 1941, donc pendant la présence coloniale française, sur une petite place au nord-est du lac Hoàn Kiêm, à côté du temple de Bà Kiêu. C'était une stèle en pierre, haute de 1,7 m, large de 1,1 m et épaisse de 0,2 m, sur laquelle étaient gravés, en quôc ngu , en chinois et en français, les mérites d'Alexandre de Rhodes.
Le journal Tri Tân du 13 juin 1941 informa ses lecteurs de la manière suivante : "M. Alexandre de Rhodes a revécu parmi les habitants de Hanoi lors de l'inauguration de son mémorial ; la cérémonie a été réalisée dans une atmosphère solennelle et émouvante... Maintenant, le quôc ngu est considéré comme les fondements de la langue nationale, c'est pourquoi, nous ne pouvions pas ne pas remercier sincèrement celui qui l'a inventé, M. Alexandre de Rhodes".
Mais malheureusement, le monument disparut un jour, il y a une trentaine d'années. Qui l'enleva ? Nul ne le sait ! Acte politique ou simple vandalisme, le mystère reste entier... Il faut dire que les missionnaires n'ont jamais eu bonne presse au sein des milieux révolutionnaires en lutte pour l'indépendance du pays. C'est un fait que, dans l'histoire du colonialisme, et pas seulement au Vietnam, la croix a souvent précédé l'épée et le canon. La stèle, donc, bien que volumineuse, disparut de son piédestal... Un temps, on la revit dans l'échoppe d'un serrurier qui s'en servit comme... enclume. Puis une marchande de thé l'utilisa comme comptoir - bien pratique pour boire et se cultiver à la fois ! Certains la virent même au bord du fleuve Rouge... Dans les années 1980, l'espace dédié à Alexandre de Rhodes vit l'érection d'un superbe monument révolutionnaire blanc immaculé, à la gloire des patriotes : trois grandes statues de combattants, dont une femme. Sur le piédestal, cette inscription : "Prêts à se sacrifier pour la Patrie".
Redresser la vieille stèle ou élever un buste ?
En 1993, le Club des historiens organisa une causerie sur Alexandre de Rhodes. Le professeur Nguyên Lân évoqua le mémorial du Français. Pour lui, il n'aurait jamais dû être abattu. Cet acte révélait une certaine étroitesse d'esprit, une méconnaissance totale de l'histoire et, de toute manière, c'était indigne de notre peuple. Le Vietnam a toujours été une nation reconnaissante envers ses bienfaiteurs. En mangeant un fruit, garde le souvenir de celui qui a planté l'arbre, dit un adage fameux. Même sous la domination chinoise, Shi Nie, un administrateur chinois, fut élevé à un rang supérieur, en raison de ses efforts pour propager l'écriture chinoise au sein du peuple vietnamien. Ce dernier bâtit d'ailleurs un temple pour lui rendre hommage.
À Hanoi, un monument vantant les mérites d'un Français célèbre a survécu à la révolution d'Août 1945 : le buste de Pasteur (chimiste et biologiste français, 1822-1895). Et la rue Yersin existe toujours (microbiologiste français d'origine suisse, qui est mort en 1943 à Nha Trang, Vietnam, là où il étudia pendant des années le bacille de la peste). À Hô Chi Minh-Ville, il existe également des rues Yersin et Calmette (médecin et bactériologiste français, qui a découvert, avec Guérin, le vaccin antituberculeux, dit BCG). Une statue de Yersin trône aussi à Nha Trang, province de Khánh Hoà (Centre).
Et Alexandre de Rhodes n'a-t-il pas aussi oeuvré pour le peuple vietnamien ? L'écriture romanisée, d'apprentissage beaucoup plus facile que les idéogrammes, a favorisé l'accès au savoir et à l'information de larges pans de la population, et il a permis aussi d'affaiblir le pouvoir des mandarins qui était en grande partie fondé sur leur savoir traditionnel écrit en scriptes chu nho et chu nôm.
Et le missionnaire était aussi un humaniste, proche de la population... C'est pourquoi, il est temps de redonner à de Rhodes un espace de mémoire au cœur de la capitale vietnamienne. Le professeur Nguyên Lân a proposé d'élever un buste au parc Tao Dàn, devant l'Université de pharmacie de Hanoi. Mais il est aussi possible de remettre en place la vieille stèle qui a finit son parcours rocambolesque dans les rues de Hanoi, et qui est maintenant entreposée dans les locaux du Comité de gestion des vestiges historiques et des sites touristiques de la capitale.
En 1995, le Centre des sciences sociales et humaines a organisé un colloque sur la vie et l'œuvre du missionnaire français. Dans son intervention relative aux contributions du jésuite au Vietnam, le docteur Nguyên Duy Quy a conclu : "Nous comptons déposer la vieille stèle dans l'enceinte de la Bibliothèque nationale. Nous voulons aussi redonner à une rue de Hô Chi Minh-Ville le nom du célèbre missionnaire, débaptisée il y a quelques décennies."
L'histoire de la stèle du jésuite a enfin reçu un écho dans le monde des intellectuels, après une "disparition" de plusieurs décennies. Selon une circulaire publiée le 29 juillet 1997, le Service de conservation des monuments historiques et des musées - dépendant du ministère de la Culture et de l'Information - avait l'intention de remettre la stèle au parc Canh Nông, dans l'actuelle rue Diên Biên Phu, à Hanoi.
Le professeur Vu Khiêu, lui, est partisan de remettre le mémorial à sa place initiale, au bord du lac Hô Guom (lac à l'Épée restituée). Alors ce plan d'eau, véritable cœur de la capitale, abritera les trois symboles les plus importants du pays : la Paix (symbolisée par la restitution, à une tortue géante du lac, de l'épée magique qui servit au roi Lê Loi à chasser les Ming au XVe siècle - selon une légende populaire), la Culture (le Tháp Bút - obélisque en forme de pinceau - érigé par Nguyên Siêu) et l'Amitié entre les peuples (la stèle d'Alexandre de Rhodes, inventeur du quôc ngu ).
Hông Nga et Sébastien - Le Courrier du Vietnam - 4 Juillet 2004.
* voir la contribution de Pierre Brocheux : "À propos de quôc ngu et d'agression culturelle"