Histoire du Vietnam contemporain, Pierre Brocheux
Histoire du Vietnam contemprain
la nation résiliente
Pierre BROCHEUX
Quatrième de couverture
L'histoire contemporaine du Vietnam est dominée par l'occupation du pays par les Français, par trente années de guerre et par la résilience d'un État national séculaire.
Grâce à sa connaissance des sources vietnamiennes, américaines et françaises, Pierre Brocheux propose un récit original - en même temps que l'analyse - de la gestation douloureuse d'un Vietnam moderne. Il souligne combien le moment colonial, pour avoir été un intermède court à vue historique, a transformé la société et la culture nationales.
Pour autant, le Vietnam n'est nullement «sorti d'Asie pour entrer dans l'Occident» : qu'il s'agisse de religion, de mode de vie et de pensée, de vision de l'avenir, le Vietnam contemporain offre le spectacle étonnant de sédimentations nettement repérables depuis le lointain héritage Viêt jusqu'à l'apport chinois ou américain. Cette synthèse pionnière permet de comprendre la place particulière du Vietnam dans l'Extrême-Orient d'aujourd'hui comme dans la mémoire française. [sortie le 5 octobre 2011]
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Rappel
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- Cf. http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/2010/04/12/17565239.html#trackbacks
"commémorations" du 17 octobre 1961
manifestation parisienne du 17 octobre 1961
général Maurcice FAIVRE
Les anticolonialistes et les municipalités qui les soutiennent ont ouvert les hostilités du 50e anniversaire. La première bataille concerne la répression de la manifestation parisienne du 17 octobre 1961.
Des historiens engagés soutiennent la légende des 200 noyés dans la Seine. Les travaux de Jean-Paul Brunet, ex-professeur à Normale Sup, sont ignorés.
Une bande dessinée de Didier Deaminck, préfacée par Benjamin Stora, rend hommage à Fatima Bedar, dont il est prouvé qu'elle s'est suicidée.
Voici quelques-unes des manifestations prévues :
- le 7 octobre à Nanterre, conférence-débat de Med Barkat et Manceron, inauguration du boulevard du 17 octobre
- le 10 octobre au Cabaret sauvage, rencontre des indignés : Stora, Plenel, Lalaoui, Assouline, D.Mermet, St. Hessel,
- le 13 octobre à Aubervilliers, inauguration de la place du 17 octobre, avec Manceron, Remaoun, Aounit
- le 14 octobre à Nanterre, projection du film de Yasmina Adi : Ici on noie des Algériens,
- le 14 octobre au Centre culturel algérien, pièce de théâtre engagée,
- le 15 octobre à Nanterre, colloque avec S.Thénault, Em.Blanchard, Macmaster, Djerbal, Mhamed Kaki, Lalaoui,
Med harbi V.Collet et J.Luc Einaudi. Témoignages de M.Hervo, N.Rein, MC Blanc-Chaleard.
Projection du film autrefois interdit de Panijel : Octobre à Paris;
- le 15 octobre à l'Assemblée nationale, colloque autour des films de Panijel, Yasmina et Daniel Kupferstein.
Table ronde avec E.Blanchard, Manceron, Einaudi, Harbi, House, Macmaster, Remanoun et Ruscio.
- le 16 octobre à Colombe, projection du film de Yasmina Adi
- le 17 octobre à Nice, conférence du Consul d'Algérie !
Défilé à Paris jusqu'au pont St Michel
- le 20 octobre à l'Agora de Nanterre, conférence-débat de JJL Einaudi,
- le 22 octobre à la Mairie de Paris, Festival de Maghreb du film, par l'Espace parisien Histoire-mémoire de la guerre d'Algérie
Projection des films de Panijel et Yasmina Adi, avec Manceron , le MRAP, et la LDH.
Je diffuserai ultérieurement le point de vue des historiens sérieux.
Maurice Faivre
la Mosquée de Paris sous l'Occupation, 1940-1944 - DOSSIER
Résistance à la Mosquée de Paris :
histoire ou fiction ?
Michel RENARD
Le film Les hommes libres d'Ismël Ferroukhi (septembre 2011) est sympathique mais entretient des rapports assez lointains avec la vérité historique. Il est exact que le chanteur Selim (Simon) Halali fut sauvé par la délivrance de papiers attestant faussement de sa musulmanité. D'autres juifs furent probablement protégés par des membres de la Mosquée dans des conditions identiques.
Mais prétendre que la Mosquée de Paris a abrité et, plus encore, organisé un réseau de résistance pour sauver des juifs, ne repose sur aucun témoignage recueilli ni sur aucune archive réelle. Cela relève de l'imaginaire.
Mon travail en archives depuis des années, me permet de rectifier ces exagérations et de ramener la réalité à ce qu'elle a eu de plus banale.
Le recteur Si Kaddour Ben Ghabrit fut une incontestable personnalité franco-musulmane ayant joué, au service de la diplomatie française et la défense des intérêts musulmans, un rôle primordial dès le début du siècle. Il entre dans les cadres du ministère des Affaires étrangères dès 1892. Kaddour Ben Ghabrit a su dépasser le dualisme de la confrontation et expérimenté la combinaison des cultures et des dynamiques de civilisation. Pièce maîtresse de la réalisation de la Mosquée de Paris, de 1920 à 1926, il l'a ensuite dirigée jusqu'à sa mort en 1954. Quel fut son rôle sous l'Occupation ?
Si Kaddour ben Ghabrit et le prince Ratibor
Il n'a pas été un collaborateur, n'ayant fourni aucun renseignement, aucune aide ni à l'armée ni à la police allemande, pas plus qu'aux services de Vichy collaborationnistes. Il n'a pu éviter ni les demandes d'audience ni quelques photos prises notamment lors de la remise à ses fonctions premières de l'Hôpital franco musulman en février 1941 en présence du prince Ratibor, représentant allemand de la place de Paris. C'est tout.
Mais il a refusé toute photo prise dans l'enceinte de la Mosquée, comme il a habilement repoussé tout appui à une déclaration du mufti de Jérusalem, collaborant avec l'Allemagne nazie, pour un appel au soulèvement des peuples musulmans colonisés par la France et la Grande-Bretagne. Il s'est toujours réfugié derrière la distinction du religieux et du politique. À la Libération, il fut accusé par certains d'avoir été complaisant avec les Allemands. Et a dû se défendre.
Or, j'ai découvert les rapports écrits par Si Kaddour Ben Ghabrit lui-même, par Rageot, consul de France au ministère des Affaires étrangères, chargé depuis 1940 de suivre les affaires de la Mosquée de Paris, et par Rober Raynaud, secrétaire général de l'Institut musulman depuis sa création. Ces écrits furent remis au capitaine Noël, officier d'ordonnance du général Catroux à l'Hôtel Intercontinental le 22 septembre 1944. Ils concernent tous l'activité de la Mosquée sous l'Occupation.
Voici le témoignage de Rageot : "Je dois dire que j'ai moi‑même été tenu au jour le jour, exactement informé de ce qui se passait, coups de téléphone, demandes d'audience, conversations, démarches, etc... et que M. Ben Ghabrit et moi nous sommes régulièrement concertés sur l'attitude à observer et les réponses à faire. Nous ne pouvions demeurer invulnérables qu'à deux conditions : rester sur le terrain religieux et nous abstenir de toute politique. M. Ben Ghabrit y a parfaitement réussi.
Sur le terrain cultuel, en multipliant son aide et ses soins aux musulmans, prisonniers ou civils qui ont afflué à la Mosquée chaque année de plus en plus nombreux. Sur le terrain politique, en s'abstenant de prendre parti dans les questions touchant à la collaboration, au séparatisme, au Destour et d'une façon plus générale, de répondre aux attaques dont la Mosquée a été l'objet de la part de musulmans à la solde de l'ambassade. Jamais, en cette matière, M. Ben Ghabrit ne s'est laissé prendre en défaut et il a su imposer la même discipline à son personnel religieux. En cela il s'est attiré personnellement et à plusieurs reprises l'animosité des autorités allemandes."
Par contre, aucun de ces mémorandums ne mentionne la moindre activité de résistance, ce qui aurait constitué – si cela avait été vrai – la meilleure défense contre l'accusation de collaboration.
La seule mention d'une activité de résistance organisée et systématique en faveur des juifs et d'autres (communistes, francs-maçons) par la Mosquée de Paris provient d'un témoignage postérieur et unique, celui d'Albert Assouline, aujourd'hui disparu. Il a écrit dans le Bulletin des Amis de l'islam, n° 11, 3e trimestre 1983, déposé aux archives de la Seine-Saint-Denis. Mais ce n'est pas une "archive".
le Dr Albert Assouline, image tirée du documentaire de Derri Berkani (1990)
Il a ensuite réitéré ses affirmations dans le documentaire, Une résistance oubliée… la Mosquée de Paris, 40 à 44 dû à Derri Berkani en 1990. Mais Assouline ne parle pas de réseaux de résistance et ses propos empathiques sur des centaines de personnes abritées et sauvées sont suspects aux yeux de l'historien qui cherche à confronter les témoignages et à les recouper. Je pourrai prouver qu'il se trompe sur un point précis concernant le sort d'une importante personnalité française qui n'a jamais été accueillie par la Mosquée contrairement à ce que dit Assouline. De toute façon, jamais aucun témoin n'a corroboré ses dires.
L'activité de la Mosquée de Paris sous l'Occupation a essentiellement consisté à assurer les ablutions, ensevelissements et obsèques de 1500 musulmans décédés à leur domicile, dans les hôpitaux, les prisons ou les sanas ; à distribuer des denrées, des secours et vêtements aux indigents, aux prisonniers libérés, évadés ou en situation irrégulière. Des repas ont été servis tous les vendredi au restaurant de la Mosquée, réservés plus spécialement aux prisonniers musulmans en traitement dans les hôpitaux et en instance de libération.
Trois fêtes musulmanes ont été célébrées chaque année : Aïd-Es-Seghir, Aïd-El-Kebir et Mouloud. Ces fêtes ont toujours revêtu un caractère purement religieux et aucun élément étranger à l'Islam n'a été autorisé à assister à ces manifestations. Les imams de la Mosquée de Paris se rendaient fréquemment en province pour assister aux obsèques de militaires musulmans prisonniers de guerre etc...
Mais ces histoires d'évasions rocambolesques par les souterrains de la Mosquée et les égouts menant à la Seine relèvent d'une littérature à la Alexandre Dumas ou Eugène Sue. Pas de la réalité historique. Il est quand même surprenant que la fiction l'emporte à ce point sur la vérité. On ne manie pas impunément le réel historique.
Michel Renard, historien, chercheur
Co-auteur de Histoire de l'islam et des musulmans en France
(Albin Michel, 2006)
et Histoire de la Mosquée de Paris (à paraître chez Flammarion).
- cet artucle a été édité sur le site Rue89 : http://www.rue89.com/2011/10/01/resistance-a-la-mosquee-de-paris-histoire-ou-fiction-224418, le 1er octobre 2011
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- Daniel Lefeuvre a fait parvenir cette autre critique au site Rue89 qui ne l'a pas publiée...
"Les hommes libres"
et les approximations historiques
Daniel LEFEUVRE
La sortie, mercredi 28 septembre 2011, du film Les hommes libres s’accompagne de la diffusion d’un dossier pédagogique, destiné aux professeurs de collège et de lycée. L’objectif est assumé : susciter des sorties scolaires et transformer une œuvre, ô combien de fiction comme le démontre l’historien Michel Renard, en «document» historique[1].
Pour asseoir auprès du public et du monde enseignant la crédibilité historique du film, le metteur en scène s’est attaché la participation de Benjamin Stora dans la rédaction de ce dossier. Dès lors, il n’est pas déplacé d’en mesurer la pertinence scientifique. Et, autant le dire tout de suite, certaines affirmations de Benjamin Stora laissent stupéfait.
Ainsi, comment peut-il affirmer que «dans l’Algérie de l’époque, les Algériens musulmans n’avaient pas la nationalité française. Ni Français, ni étrangers : ce sont donc des "hommes invisibles" qui n’auraient donc "aucune existence juridique ou culturelle"» ?
Pas Français, les Algériens musulmans ?
On peut admettre que B. Stora ignore que, dès les années 1840, la nationalité française a été reconnue aux Algériens musulmans – comme d’ailleurs aux Juifs de l’ancienne Régence – par plusieurs arrêts de la Cour supérieure d’Alger qui rappelle, en 1862, que «tout en n’étant pas citoyen, l’Indigène est Français» et de la Cour de Cassation qui stipule que «la qualité de Français est la base de la règle de leur condition civile et sociale». Il est, en revanche, incompréhensible qu’il ignore le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 qui confirme que «l’indigène musulman est Français».
Bien d’autres dispositions, dans le droit du travail, comme l’accès à la plupart des emplois à la fonction publique (à l’exception de quelques fonctions d’autorité), consacré par la loi Jonnart de 1919 ou l’intégration des travailleurs algériens dans la sphère de protection de la main-d’œuvre nationale du 10 août 1932, etc. suffisent à démontrer que les Algériens disposent bien de la nationalité française.
Autre confirmation : répondant à une enquête prescrite en juillet 1923 par le ministre de l’Intérieur sur «la situation des indigènes originaires d’Algérie, résidant dans la métropole[2]», le préfet de Paris avoue son incapacité à fournir des informations détaillées car, contrairement aux étrangers, les Algériens, «sujets français», ne sont astreints «à aucune déclaration de résidence, ni à faire connaître leur arrivée ou leur départ».
D’ailleurs, au grand dam du gouverneur général de l’Algérie, qui s’en plaint auprès du ministre de l’Intérieur, certaines municipalités, principalement communistes, n’hésitent pas à délivrer à ces Français des cartes d’électeurs !
Les Algériens sont-ils, en métropole,
des «hommes invisibles» ? autre assertion étonnante.
Pour le pire et le meilleur, la présence des Algériens en métropole est loin d’être invisible. Combattants aux côtés des Poilus de métropole et des Alliés, travailleurs venus complété les effectifs de l’industrie et de l’agriculture, les Algériens ont noué des liens, parfois étroits, avec les Français qu’ils ont côtoyés lors de la Première Guerre mondiale.
Cette participation à l’effort de guerre a laissé des traces, y compris dans le paysage : des tombes musulmanes sont présentes dans les carrés militaires, une kouba est édifiée, en 1919, au cimetière de Nogent-sur-Marne pour rendre hommage aux soldats musulmans morts pour la France. Enfin, l’existence de la Grande Mosquée de Paris, inaugurée par les plus hautes autorités de l’État en 1926, ne rend-elle pas visible cette présence au cœur de la capitale ?
À Paris encore, mais aussi en banlieue, le Bureau des Affaires Indigènes (BAI) de la Ville de Paris, créé en mars 1925, ouvre à l’intention des Algériens des foyers rue Leconte, à Colombes, à Gennevilliers et à Nanterre ainsi que deux dispensaires. C’est également à son initiative qu’est construit l’hôpital franco-musulman de Bobigny, inauguré en 1935, auquel est adjoint, en 1937, un cimetière musulman.
Le BAI s’est également préoccupé de l’importance du chômage qui touche de nombreux Algériens du département de la Seine, dès la fin des années 1920. Une section de placement est créée à cet effet : entre 1926 et 1930, 15 130 chômeurs ont bénéficié de son concours.
Progressivement, ses activités se sont élargies : assistance juridique aux accidentés du travail pour faire valoir leurs droits et obtenir le versement des indemnités ou des rentes auxquelles ils peuvent prétendre (1 534 dossiers traités) ; démarches en vue du versement des primes de natalité et indemnités pour charges de famille (9 696 dossiers). On peut estimer insuffisante l’ampleur de l’action entreprise, en particulier en matière d’habitat.
On peut également trouver, dans cette sollicitude des autorités parisiennes à l’égard des Nord-Africains du département de la Seine, une volonté de contrôle – sanitaire et politique – et pas seulement l’expression de sentiments philanthropiques. Mais, outre qu’il est impossible de nier l’intérêt qu’elle a représenté pour ses bénéficiaires, en particulier pour les milliers de patients pris en charge par les dispensaires ou l’hôpital franco-musulman, elle prouve la visibilité des Algériens et l’attention que leur portent les autorités départementales.
C’est bien aussi parce qu’ils sont visibles et, à ses yeux potentiellement dangereux, que la Préfecture de Police juge utile de créer une Brigade nord-africaine quelques semaines après la création du BIA – également située rue Leconte mais qui ne se confond pas avec le BAI - chargée de surveiller, avec moins d’efficacité qu’on le prétend généralement -, les Algériens du département de la Seine.
Victimes du racisme de la population métropolitaine ?
Le procès, une nouvelle fois, mérite d’être instruit avec plus de nuance. Certes, des sentiments racistes se manifestent et on en trouve bien des traces, dans l’entre-deux-guerres, dans la presse de droite. Sont-ils aussi généralisés que Benjamin Stora le sous-entend ?
Laissons la parole à l’une de ces prétendues victimes de l’ignorance, du mépris et du racisme des Français. Quel souvenir garde-t-il en mémoire de sa vie à Paris au cours des années vingt ? : «Nous étions unanimes à nous réjouir de l’attitude de sympathie des populations à notre égard, et à faire une grande différence entre les colons d’Algérie et le peuple français dans leur comportement avec nous. Les gens nous manifestaient du respect et même une grande considération mêlée de sympathie.»[3]
Messali Hadj, leader du nationalisme algérien
marié avec une Française
Paroles d’un «béni-oui-oui» aux ordres de l’administration ? Non. Éloge du peuple français extrait des Mémoires de Messali Hadj, le père fondateur du nationalisme algérien lui-même, que Benjamin Stora connaît bien mais qu’il semble avoir oublié le temps d’un film !
D’autres sources rapportent cette «sympathie», cette fois pour s’en inquiéter. En juillet 1919, l’administrateur de la commune-mixte de Ténès rapporte que les Algériens de sa commune, revenus de France, «ont été particulièrement sensibles aux marques d’affabilité et de politesse, quelque fois exagérées, que leur ont prodiguées nos compatriotes, ignorants de leurs mœurs et de leur esprit ; mais ces démonstrations auxquelles ils n’étaient pas accoutumés les ont conduits, par comparaison, à penser que les Algériens, les colons en particulier, n’avaient pas pour eux les égards qu’ils méritaient. Un simple khamès débarquant en France devenait un “sidi” […]. Il est donc indéniable que le séjour en France des travailleurs coloniaux les a rapprochés des Français de la métropole[4]».
Ce «rapprochement», Genevière Massard-Guilbaud en montre un aspect dans son ouvrage Des Algériens à Lyon de la Grande Guerre au Front populaire [5] qui met en évidence une proportion particulièrement importante de mariages avec des Françaises métropolitaines, dès les années 1930. Selon cette historienne, «contrairement à l’image qu’on a donnée d’eux, les Algériens de cette époque s’intégraient mieux que d’autres en France, dans la classe ouvrière ou la petite bourgeoisie commerçante. Le grand nombre de mariages mixtes n’en est-il pas un signe ? Dans quelle communauté étrangère d’ancienneté comparable en France en rencontre-t-on autant ?»
Dépourvus d’existence culturelle ?
On se demande alors à quoi pouvait bien répondre la Grande Mosquée de Paris et le cimetière musulman de Bobigny, si ce n’est aux besoins culturels et cultuels des musulmans du département ? Mais il existe bien d’autres manifestations[6] de cette existence et de sa prise en compte : respect par l’Armée des prescriptions en matière d’alimentation, des fêtes et des rites funéraires musulmans ; aménagement, avant la Première Guerre mondiale, par la Compagnie des mines d’Auby-les-Douai (département du Nord), d’un lieu de prière pour ses ouvriers musulmans. Benjamin Stora entre sur ce plan en contradiction avec lui-même, quand il rappelle que c’est à Paris qu’est né, avec la création en 1926, de l’Étoile Nord-Africaine, le nationalisme algérien organisé et qui regroupe, en métropole, environ 3 000 militants. N’est-ce pas là une manifestation culturelle autant que politique ? C’est à Paris, également, que sont publiés journaux et revues nationalistes. Enfin, le film et le dossier rappellent qu’il existe à Paris de nombreux cabarets «orientaux» comme le Tam-Tam, La Casbah, El Djezaïr ou encore El Koutoubia.
Enfin, Benjamin Stora affirme qu’après le débarquement anglo-saxon en Afrique du Nord (novembre 1942) «coincé par les autorités allemandes qui le pressent […] de collaborer franchement», le directeur de la Mosquée a été «obligé de se soumettre».
Kaddour Ben Ghabrit collaborateur ? L’accusation est grave. Elle mériterait d’être étayée. Comment, par quels actes, par quels propos cette collaboration s’est-elle manifestée ? Dans quelles circonstances ? il ne nous le dit pas. Comment admettre une telle liberté vis-à-vis de la méthode historique qui exige, pour toute affirmation, l’administration de preuves.
Le film et le dossier pédagogique témoignent aussi d’un angélisme confondant. Magnifiant, en l’amplifiant démesurément, le soutien que la Mosquée a pu apporter à quelques Juifs pendant l’occupation allemande, il laisse ignorer la profondeur de l’antijudaïsme d’un nombre considérable d’Algériens musulmans, qui s’est manifesté dans les émeutes qui ensanglantèrent Constantine en août 1934 et qui s’exprime tout au long de la guerre et ultérieurement.
Ainsi, en mars 1941, le CEI – équivalent en Algérie au service métropolitain des Renseignements généraux – note-t-il que «L’abrogation du décret Crémieux avait été quand elle fut connue, accueillie avec une grande joie par les Musulmans.» Cet antijudaïsme se rencontre même parmi les Algériens les plus libéraux et les plus laïques comme en témoigne cette lettre de Ferhat Abbas au préfet d’Alger, datée du 30 janvier 1943, connue de Benjamin Stora, et dans laquelle on retrouve bien des poncifs de l’antisémitisme :
- « Il me parvient de tous côtés que certains éléments importants de la population juive s’emploient à dénigrer systématiquement, auprès des Anglo-Américains, les Musulmans algériens. Je fais appel, Monsieur le Préfet, à votre haute autorité pour intervenir auprès des dirigeants israélites afin de mettre un terme à cette propagande insidieuse et malhonnête. Ce n’est pas la première fois que les juifs adoptent une double attitude et se livrent à un double jeu. Le torpillage du Projet Viollette en 1936 est encore présent à notre mémoire. Il convient, dans leur propre intérêt, de les persuader que les méthodes d’hier sont périmées et que nous nous devons, les uns et les autres, une franchise et une loyauté réciproques. Si cette franchise et cette loyauté n’étaient pas en mesure de faire de nous des amis, elles éviteraient pour le moins de faire de nous des ennemis. Et c’est beaucoup.»
Cet antijudaïsme culturel a-t-il disparu lors de la traversée de la Méditerranée ? En tout cas, de nombreux maghrébins parisiens, notamment d’anciens nationalistes – mais il faut le souligner exclus du parti par Messali Hadj dont l’attitude est, sur ce plan, irréprochable – ont collaboré avec l’occupant et les collaborationnistes français, par la propagande – en exprimant un antisémitisme violent - et comme supplétifs de la Gestapo dans la chasse aux résistants et aux juifs.
Au total, trop d’erreurs, parfois grossières, trop d’affirmations non étayées, trop de non-dits entachent ce dossier pour qu’il constitue un outil pédagogique fiable et dont on puisse en recommander l’usage aux professeurs, d’autant que, dans les documents proposés à la réflexion des élèves, la confusion est entretenue en permanence entre immigrés d’origine étrangère et Algériens, ce qui ouvre à des contresens.
Par ailleurs, je ne prête évidemment aucune arrière-pensée, ni au metteur en scène, ni à Benjamin Stora et je suis persuadé de leur entière bonne foi lorsqu’ils espèrent que le film permettra de rapprocher les communautés musulmanes et juives de France. Je ne peux qu’exprimer mon scepticisme à cet égard. Une autre conclusion, lourde de menaces, pourrait en être tirée, au moment même où l’Autorité palestinienne s’efforce de faire reconnaître l’existence d’un État palestinien contre la volonté d’Israël : les Juifs sont décidément bien ingrats vis-à-vis des Musulmans qui ont tant fait et pris tant de risques, sous l’Occupation, pour les sauver de la barbarie nazie.
Daniel Lefeuvre
Professeur d’histoire contemporaine, Université Paris 8 Saint-Denis
[1] Preuve de cette confusion, le libellé de la question n° 3, activité 3, p. 21 du dossier : «d’après le film, quelles actions les résistants maghrébins entreprennent-ils contre l’Occupant ?».
[2] Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), 9 H / 112.
[3] Cité par Benjamin Stora, Ils venaient d’Algérie, Fayard, 1992, p.15.
[4] ANOM, Alger, 2 I 49, Enquête sur l’état d’esprit des travailleurs coloniaux revenus dans la colonie prescrite par le gouverneur général, 31 juillet 1919. Réponse de l’Administrateur de la commune-mixte de Ténès, 16 août 1919.
[5] Massard-Guilbaud Genevière, Des Algériens à Lyon de la Grande guerre au Front populaire, Paris, Ed. l’Harmattan, 1995.
[6] Sur cette question, se reporter au travail novateur de Michel Renard, notamment "Gratitude, contrôle, accompagnement ; le traitement du religieux islamique en métropole (1914-1950)", Bulletin de l’IHTP, n° 83, premier semestre 2004, pp. 54-69.
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- le 4 octobre, le site Rue89 publiait une réponse de Benjamin Stora ainsi que quelques commentaires de Pierre Haski, responsable du site
Benjamin Stora répond aux critiques
des «Hommes libres»
Pierre Haski
Rue89
Le film « Les Hommes libres » d'Ismaël Ferroukhi, sur la mosquée de Paris pendant la Seconde Guerre mondiale, déclenche une polémique entre historiens. Benjamin Stora, spécialiste de l'Algérie, qui fut conseiller historique lors de la réalisation de ce film, a vivement réagi à la tribune, diffusée par Rue89 la semaine dernière, contestant la véracité du film.
Benjamin Stora nous a adressé des remarques concernant la tribune de Michel Renard, lui aussi historien, reprenant point pas point les critiques de son confrère.
Il est écrit par Michel Renard, en préambule de ce texte publié par Rue89 :
«Il est exact que le chanteur Selim (Simon) Halali fut sauvé par la délivrance de papiers attestant faussement de sa musulmanité. D'autres juifs furent probablement protégés par des membres de la Mosquée dans des conditions identiques.»
Benjamin Stora :
«C'est très exactement ce que montre le film “Les Hommes libres”.»
Michel Renard ajoute :
«Mais prétendre que la mosquée de Paris a abrité et, plus encore, organisé un réseau de résistance pour sauver des juifs, ne repose sur aucun témoignage recueilli ni sur aucune archive réelle. Cela relève de l'imaginaire.»
Benjamin Stora répond :
«Le film n'a jamais prétendu dire qu'il y avait un réseau organisé (ce mot n'est jamais été prononcé dans tout le film) (1), et il n'évoque jamais le sauvetage massif de juifs et de résistants (Michel Renard doit confondre avec des articles de presse à propos du film).
Le film montre un résistant algérien (l'exemple est celui de Salah Bouchafa, ancien du PCF, qui a rejoint le PPA, est mort en déportation), et une réunion du PPA clandestin, et l'histoire d'un chanteur, Salim Halali, dont l'histoire est bien réel.
Pour le sauvetage de juifs, il est montré deux petits enfants (sur la base de témoignages de personnages toujours vivants et qu'il est possible de rencontrer).
Si tous ces personnages ont réellement existé, alors pourquoi un article si virulent ? Ce film, à mon sens, s'inscrit dans la lignée d'autres films, comme “Le Vieil Homme et l'enfant”, de Claude Berri (l'histoire d'un vieil homme joué par Michel Simon, qui sauve un enfant juif). »
Michel Renard poursuit :
«Le recteur Si Kaddour Benghabrit fut une incontestable personnalité franco-musulmane ayant joué, au service de la diplomatie française et la défense des intérêts musulmans, un rôle primordial dès le début du siècle. Il entre dans les cadres du ministère des Affaires étrangères dès 1892. Kaddour Benghabrit a su dépasser le dualisme de la confrontation et expérimenté la combinaison des cultures et des dynamiques de civilisation.»
Benjamin Stora :
«Précisément, c'est ce que montre le film ! !»
Kaddour Benghabrit «n'a pas été un collaborateur»
Lorsque Michel Renard fait observer que Kaddour Benghabrit «n'a pas été un collaborateur», Benjamin Stora répond que c'est précisément «ce que montre le film». Même réponse lorsque Michel Renard ajoute qu'«il n'a pu éviter ni les demandes d'audience ni quelques photos prises» : «C'est ce que montre le film», répond Stora.
Plus loin, Benjamin Stora reprend un autre passage du texte de Michel Renard :
«Sur le terrain politique, en s'abstenant de prendre parti dans les questions touchant à la collaboration, au séparatisme, au Destour et d'une façon plus générale, de répondre aux attaques dont la mosquée a été l'objet de la part de musulmans à la solde de l'ambassade. Jamais, en cette matière, M. Benghabrit ne s'est laissé prendre en défaut et il a su imposer la même discipline à son personnel religieux. En cela il s'est attiré personnellement et à plusieurs reprises l'animosité des autorités allemandes.»
Pour Benjamin Stora, «c'est ce que montre, encore, le film».
Par contre, lorsque Michel Renard fait observer qu'«aucun de ces mémorandums ne mentionne la moindre activité de résistance, ce qui aurait constitué – si cela avait été vrai – la meilleure défense contre l'accusation de collaboration», Benjamin Stora répond que « le film s'arrête en 1944».
Michel Renard poursuit :
«La seule mention d'une activité de résistance organisée et systématique en faveur des juifs et d'autres (communistes, francs-maçons) par la mosquée de Paris provient d'un témoignage postérieur et unique, celui d'Albert Assouline, aujourd'hui disparu.
Il a écrit dans Le Bulletin des amis de l'islam, n° 11, troisième trimestre 1983, déposé aux archives de la Seine-Saint-Denis. Mais ce n'est pas une “archive”.
Il a ensuite réitéré ses affirmations dans le documentaire "Une résistance oubliée : la mosquée de Paris, 40 à 44" dû à Derri Berkani en 1990. Mais Assouline ne parle pas de réseaux de résistance et ses propos empathiques sur des centaines de personnes abritées et sauvées sont suspects aux yeux de l'historien qui cherche à confronter les témoignages et à les recouper.
Je pourrai prouver qu'il se trompe sur un point précis concernant le sort d'une importante personnalité française qui n'a jamais été accueillie par la Mosquée contrairement à ce que dit Assouline. De toute façon, jamais aucun témoin n'a corroboré ses dires.»
Benjamin Stora lui répond :
«Et Salim Hallali précisément ? Le film est surtout centré sur lui... Il est possible de rencontrer aujourd'hui des juifs séfarades qui ont demandé à être musulmans pendant cette période pour échapper à la mort.»
Michel Renard concluait ainsi sa tribune :
«L'activité de la mosquée de Paris sous l'Occupation a essentiellement consisté à assurer les ablutions, ensevelissements et obsèques de 1 500 musulmans décédés à leur domicile, dans les hôpitaux, les prisons ou les saunas ; à distribuer des denrées, des secours et vêtements aux indigents, aux prisonniers libérés, évadés ou en situation irrégulière. [...]
Mais ces histoires d'évasions rocambolesques par les souterrains de la mosquée et les égouts menant à la Seine relèvent d'une littérature à la Alexandre Dumas ou Eugène Sue. Pas de la réalité historique. Il est quand même surprenant que la fiction l'emporte à ce point sur la vérité. On ne manie pas impunément le réel historique.»
«Un film qui montre des gestes d'humanité»
Benjamin Stora lui répond :
«La critique historique de Michel Renard de cette œuvre est infondée. Le film n'a jamais montré la mosquée comme lieu central de la Résistance. Les sauvetages sont le produit de rencontres et pas de plans idéologiques pré-établis. Si le film n'évoque que le sort d'un résistant algérien, de l'amitié entre un jeune immigré et un chanteur juif sauvé par la mosquée (tous ces personnages sont bien réels), alors pourquoi cet article si virulent contre un film qui montre des gestes d'humanité ?
Je voudrais simplement rappeler cette phrase, à propos de polémiques sur les “chiffres” : Celui qui sauve une vie sauve l'humanité toute entière."
Et Salim Hallali a bien été sauvé par la Mosquée de Paris.»
1 - Beaucoup de spectateurs le voit pourtant ainsi. À commencer par le compte rendu, signé André Videau, sur le site de la Cité nationale de l'histoire de l'immigration : "L’histoire est peu connue. Dans le Paris occupé de 1942, alors que les autorités de Vichy, pactisent sans vergogne avec les nazis et participent à la traque des juifs, un réseau de soutien clandestin s’est organisé autour de la mosquée de Paris, sous la houlette de son Recteur Si Kaddour Ben Ghabrit." http://www.histoire-immigration.fr/magazine/2011/10/les-hommes-libres - Michel Renard
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Pierre Haski
Cette polémique entre deux spécialistes de l'Algérie a une toile de fond : les rapports entre juifs et musulmans en France, et la question plus large du conflit israélo-arabe.
«Les juifs sont bien ingrats vis-à-vis des musulmans»
Ce mardi, Rue89 a reçu un nouveau texte mettant en cause « les erreurs de Benjamin Stora », et signé par Daniel Lefeuvre, professeur d'histoire contemporaine, université Paris-VIII Saint-Denis. Daniel Lefeuvre se réfère à la tribune de Michel Renard, avec lequel il avait signé, en 2008, un texte commun intitulé : « Faut-il avoir honte de l'identité nationale ? » (Larousse), écrit en réponse à l'opposition suscitée par la création du ministère de l'Identité nationale (aujourd'hui disparu) par Nicolas Sarkozy.
Après avoir relevé ce qu'il qualifie d'«erreurs» ou de «non-dits» du dossier historique acompagnant le film, Daniel Lefeuvre ajoute :
« Je suis persuadé de leur [Benjamin Stora et le réalisateur Ismël Ferroukhi, ndlr] entière bonne foi lorsqu'ils espèrent que le film permettra de rapprocher les communautés musulmanes et juives de France. Je ne peux qu'exprimer mon scepticisme à cet égard. »
Sa conclusion donne peut-être une des clés de cette polémique, puisqu'il rattache le film, et le récit du sauvetage de juifs par la mosquée de Paris, aux débats actuels autour de la Palestine :
«Une autre conclusion, lourde de menaces, pourrait en être tirée, au moment même où l'Autorité palestinienne s'efforce de faire reconnaître l'existence d'un Etat palestinien contre la volonté d'Israël : les juifs sont décidément bien ingrats vis-à-vis des musulmans qui ont tant fait et pris tant de risques, sous l'Occupation, pour les sauver de la barbarie nazie.»
C'était donc ça ? Toute cette polémique pour éviter qu'on puisse penser que juifs et musulmans aient une histoire commune ou des raisons de vivre ensemble en bonne intelligence ? Dérisoire
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- le site Rue89 a ensuite renoncé de publier le texte de Daniel Lefeuvre ainsi que ma réponse à Benjamin Stora. Voici ces textes :
texte adressé à Rue89
Daniel LEFEUVRE
Monsieur,
Je viens de prendre connaissance de la mention que Rue89 fait de mon article consacré aux erreurs historiques énoncées par Benjamin Stora, dans le dossier de presse et dans le dossier pédagogique accompagnant le film. Je vous remercie d'avoir souligné que mes divergences d'appréciation sur la portée politique - ou citoyenne, selon l'expression à la mode - du film ne mettent pas en cause la bonne foi du réalisateur ni celle de son conseiller historique.
En revanche, alors que vous faites état des "erreurs" que je reproche à Benjamin Stora, vous n'avez pas pris soin de les porter à la connaissance de vos lecteurs. Or, ces critiques relèvent du rétablissement de réalités historiques que Benjamin Stora paraît avoir oubliées (notamment sur le statut juridique des Algériens pendant la période coloniale) et de questionnements à propos de certaines de ses affirmations qu'il ne prend pas la peine de justifier (par exemple lorsqu'il explique, qu'après le débarquement anglo-américain au Maghreb en novembre 1942, je cite : "Ben Ghabrit est coincé par les autorités allemandes qui le pressent de rompre ses liens avec le Sultan et de collaborer franchement. Il est obligé de se soumettre". Ben Ghabrit, collaborateur, l'accusation mériterait d'être étayée par des faits !
Confiant dans votre scrupule à offrir à vos lecteurs une information complète et honnête, je ne doute pas que vous aurez à coeur d'éclairer complètement vos lecteurs en publiant l'intégralité de mon texte. Ils pourront ainsi juger de sa pertinence en toute connaissance.
Je vous en remercie par avance et vous prie de croire en l'assurance de mes salutations les meilleures.
Daniel Lefeuvre
Professeur des Universités en histoire contemporaine, Université Paris 8 Saint-Denis", nous avons tout à y gagner parce que nous avons raison.
Salut, et vive la polémique.
réponse à Benjamin Stora
Michel RENARD
J'ai vu le film dont je parle. Il montre plus que – même si il est centré sur…- l'histoire de Selim Halali. Si le mot "réseau" n'est pas prononcé, sa réalité est montrée.
Ces résistants cachés dans les caves de la Mosquée appartiennent à un réseau, ils organisent le sauvetage du résistant Francis en le faisant sortir de l'Hôpital franco-musulman. Ce qui fait dire à Si Kaddour qu'ils ont mis la Mosquée "en danger" (dialogue Si Kaddour / Younès).
Ben Ghabrit est informé préventivement – par qui ? – de la rafle du Vel d'Hiv, comme il l'est de la descente de la police – par qui ? - ce qui lui permet de faire évacuer toutes les personnes cachées dans la Mosquée.
Selon le film, les soupçons formulés par les Allemands sur son activité le font convoquer par Knochen, représentant de Himmler à Paris… ce qui, à ma connaissance, n'a jamais été le cas.
La scène des fidèles qui se lèvent ensemble, à la demande de l'imam pour sortir entourer Younès et la fillette juive et leur permettre de s'échapper, ne correspond à rien de réel.
Benjamin Stora répond que le film s'arrête en 1944. Or, justement les rapports que j'évoque (Ben Ghabrit, Rageot et Rober Raynaud) sont rédigés en 1944 et portent sur toute la période de l'Occupation. Aucun des trois n'évoquent ces activités.
Je n'ai tout de même pas inventé la fin du film avec cette évasion de nombreuses personnes par les égouts, leur accueil sur une péniche qui les attendait… toutes choses difficilement envisageables hors l'activité d'un réseau organisé.
Le film ne dit pas explicitement que Ben Ghabrit en était l'organisateur direct mais laisse bien comprendre que la Mosquée de Paris a accueilli cette structure résistante. On imagine malaisément, dans la logique du récit de ce film, que cela fût possible sans l'accord tacite de Ben Ghabrit.
Or, il n'existe aucune preuve de tout cela. Le documentaire de Derri Berkani (1990) pêchait déjà par l'absence de preuve ainsi que le court métrage de Mohammed Ferkrane l'année dernière… Le film d'Ismaël Ferroukhi, et ses propres commentaires ("Ben Ghabrit… tout en risquant sa vie pour sauver des hommes et des femmes en danger : résistants, Juifs, indépendantistes d'Afrique du Nord…", cf. dossier de presse), offrent une vision qui dépasse le secours apporté à Selim Hallali et à des Juifs sépharades selon des "rencontres fortuites".
Il laisse penser que la Mosquée a été le lieu d'une intense activité résistante.
collaborateur ou pas collaborateur ?
Benjamin Stora rétorque à mon affirmation selon laquelle Ben Ghabrit n'a pas été un collaborateur : "c'est ce que montre le film". Or, dans son interview, il affime que "la Mosquée de Paris a collaboré avec le régime de Pétain et les autorités allemandes". Où est alors la vérité ?
La "virulence" (?) de ma critique ne portait pas sur les gestes d'humanité portés à quelques juifs aidés par la Mosquée mais sur tout ce qui dans le film évoquait une activité résistante dont il n'existe aucune preuve historique. Ou alors, je les attends.
Michel Renard
Il est dommage, pour la "vie des idées", que le site Rue89 n'ait pas assumé le débat jusqu'au bout... Il y a encore des vérités historiques qui sont dérangeantes pour la "Gauche"... MR
- voir aussi : le père de Philippe Bouvard sauvé par la Mosquée de Paris
Expériences contrastées des soldats en Algérie
témoignages de soldats en Algérie
général Maurice FAIVRE
- Jean-Charles Jauffret, Soldats en Algérie. 1954-1962. Expériences contrastées des hommes du contingent, Edition Autrement, revue et augmentée, 2011, 383 pages, 55 photos, 25 €.
La première édition avait été recensée par le Cercle des combattants d’AFN en 2001 (1), qui avait souligné l’intérêt d’une analyse de quelques 430 témoignages traitant des manifestations des rappelés en 1955-56, de la disponibilité des hommes du rang, de la distinction entre réserves générales et troupes de Secteurs, de la compétence des officiers et sous-officiers de réserve, de la solidarité des soldats, des conditions de vie en poste (initialement précaires), de certaines incohérences administratives, de la modernisation des systèmes d’armes (hélicoptères et guerre électronique), de l’efficacité des évacuations sanitaires et de l’acheminement du courrier, des méthodes de pacification (5ème Bureau, AMG, regroupements, scolarisation), de la confiance accordée aux officiers (favorable à 78%), du volontariat de nombreux musulmans, des pertes militaires après Evian.
La nouvelle édition tient compte de nouveaux témoignages, portés à 800, des ouvrages et des films diffusés depuis 2000, des débats en cours sur les victimes des irradiations nucléaires et sur la politique de la mémoire (Fondation, mémoriaux, loi de 2005, date de commémoration). Les cadres d’active sont cependant peu sollicités.
L’exploitation des témoignages recueillis, plus de 20 ans après les faits, pose un problème de méthodologie que l’auteur n’occulte pas quand il les décrit contrastés, parfois contradictoires et déformés par le temps (p.113). Il en est ainsi des jugements portés sur les fautes de la IVème République et du Haut Commandement, sur la gabegie des effectifs, sur la finalité du conflit, sur la nébuleuse de la contre-révolution. Sur ces sujets, les directives militaires (Ely, Challe, Olié, Trinquier) et les projets des politiques (Soustelle, Lacoste, Delouvrier, Debré) apportent des réponses qui méritent la discussion. Quant à la démoralisation des soldats, on peut comprendre ceux qui déclarent qu’ils ont perdu le temps de leur jeunesse. Qui peut se réjouir d’avoir participé à une guerre perdue, alors qu’il a cru pouvoir la gagner ?
La pertinence des témoins ne peut être reconnue que s’ils sont vérifiés par d’autres (c’est la règle du recoupement des 2èmes Bureaux). Jean Pouget applique cette régle en interrogeant ses subordonnés (p. 181). D’autres témoignages ont été ainsi confirmés ou infirmés au moment des faits. Mais la confrontation des témoins aurait dû s’imposer dans les cas suivants :
- Rocard contredit par Delouvrier, de Planhol, Olié, Bugnicourt et Adjoul
- R.Branche nuancée par la Commission de Sauvegarde du droit et le CICR (2)
- Mauss-Copeaux critiquée par Gilbert Meynier et Roger Vétillard ; Lacoste-Dujardin par Jacques Frémeaux et Vincent Joly ; Bollardière par Allard, Salan et Ely ; PH Simon par Robert Lacoste, Beaufre, Ely, Debré, Challe ; Favrelière par son capitaine Bôle du Chaumont ; le photographe Garanger par son chef de corps de Mollans,
- Lacheroy réhabilité par la biographie de Paul Villatoux ,
- l’aumônier Peninou à confronter au Père Casta… etc…
Il faut refuser enfin, comme contraires à l’histoire vécue, des fictions qui prétendent présenter la réalité. Ainsi en est-il, entre autres, des films de Rotman-Siri, de Mehdi Charef , Alain Tasma ou Laurent Herbier.
Ces réserves (3) dites, le livre de JC Jauffret mérite d’être lu et étudié pour son exposé détaillé des expériences des hommes du contingent.
Maurice Faivre
le 4 septembre 2011
"Un sujet français", d'Ali Magoudi
l'autopsie d'un silence paternel
Michel RENARD
Un sujet français (Albin Michel, août 2011) est le dernier livre d'Ali Magoudi, psychanalyste connu, né à Paris en 1948, d'un père algérien et d'une mère catholique polonaise. Passionnant par son acharnement à découvrir l'itinéraire des "gens de rien" et par ses réactions face aux incroyables découvertes généalogiques qu'il met à jour...!
C'est le récit dense, d'un acharnement à retrouver l'histoire de son père, Abdelkader Magoudi, qui lui disait, petit : "ma vie est un véritable roman, quand tu seras grand je te la raconterai et tu l'écriras", mais qui ne l'a jamais fait... "J'avais à réaliser l'autopsie du silence paternel" (p. 59). Tenace.
Jusqu'à imaginer des dialogues post-mortem : "Cesse de me regarder avec tes yeux d'enfant, la vie adulte nest pas innocente. Cesse de me juger avec ton intelligence de docteur, insensible à la honte qui m'a tant fait boire. Si tu es qui tu es, tu me le dois, ne l'oublie jamais !" (p. 207).
Une investigation forcenée dans de multiples centres d'archives et auprès de témoins nombreux, en Pologne et en Algérie... Une véritable leçon de méthodologie pour tout chercheur en histoire. Ali Magoudi tente toutes les pistes, n'hésite pas à dépouiller des milliers de fiches et de feuillets d'archives, à interroger savamment les témoins, à rebondir d'un indice à l'autre, à débusquer les chausses-trappes de la mémoire archivée, à flairer la mythologie de la mémoire orale. Il éprouve le plaisir du chercheur perdu dans les cartons d'archives ouverts les uns après les autres : "la vie de rat de bibliothèque offre une jouissance rare, celle de s'extraire du temps présent, crise économique mondiale y compris" (p. 287).
le sens d'un titre
Le "sujet français" revêt au moins trois sens possibles :
1) son père, sujet et non citoyen français dans l'Algérie coloniale (jusqu'en 1962)
2) le statut de l'auteur lui-même : sujet d'une généaologie dont il cherche à démêler les silences et les leurres.
3) le statut de ce récit comme un sujet de l'histoire de France, de l'identité française et de ses contournements/contradictions.
Prenant, captivant...! Et plein de questions sur la quête du père, bien sûr. Ali Magoudi, longtemps, n'en voulut rien savoir. Mais "la question du silence du père concerne tous les enfants"... Il dut attendre la sollicitation de son fils pour s'y atteler. C'est le fils qui rend son père à son propre père.
Recherche qui prend parfois l'aspect d'un tourbillon généalogique incontrôlable, particulièrement en Algérie où la parenté se révèle tentaculaire (p. 347). Cette exploration, qui dure au moins trois ans, change celui qui l'effectue : "Je le crie avec force, l'irréalisable ne l'est pas totalement. Il est possible de se lancer avec succès dans le remaniement du passé, et d'en sortir autre" (p. 405).
Tiaret (Algérie), la rue Bugeaud
Mais plein de questions d'histoire aussi. Son géniteur était né à Tiaret en 1903. Ali Magoudi découvre le statut de "Français de droit local". Son père s'engage pour trois ans la Marine. On verra, à la lecture, ce qu'il en fut en réalité.
"Rentré dans ses foyers le 28 décembre 1928, ayant terminé son
engagement de 3 ans. Se retire à Tiaret, rue Bugeaud" (p. 343)
Ali Magoudi finit par trouver qu'Abdelkader Magoudi est arrivé en France métropolitaine en 1938, qu'il y travaille dans diverses entreprises, qu'il part à Munich en 1941. Toutes les pérégrinations paternelles en Allemagne et en Pologne, pendant la guerre, font l'objet de questionnements sur leur réalité, les traces qu'elles ont laissées ou non, les angoisses qu'elles suscitent chez Ali. Les années 1940-1945 forment le coeur des interrogations du fils sur ce qu'a fait son père : collaborateur ou pas collaborateur. On laisse le lecteur le découvrir lui-même (p. 145... et de nombreux chapitres du livre).
À propos du séjour parisien, l'auteur découvre l'organisme qui s'occupait des Nord-Africains, les services de la rue Lecomte. Mais - petite correction historique, si l'auteur me le permet - ce service n'était pas seulement policier mais également social. Il était sous la double autorité de la Préfecture de Police ("Brigade Nord-Africaine") et de la Préfecture de la Seine. Il n'a pas été que répressif.
cimetière musulman de Bobigny
Le passage sur la découverte de la sépulture, quasi inidentifiable, de son petit frère mort-né en 1949, dans le cimetière musulman de Bobigny, est émouvant. Le père a porté, sans plus de précaution, le cadavre de l'enfant sur le porte-bagage de son vélo et l'a inhumé lui-même avec l'imam du lieu.
Ali Magoudi se demande comment son père a trouvé ce lieu un peu étrange. Il apprend, par ses recherches, qu'Abdelkader Magoudi, avait été hospitalisé du 8 mai au 12 juillet 1939 à l'hôpital Franco-Musulman (aujourd'hui, Avicenne) à Bobigny .
"Pourquoi mon père avait-il enterré son fils dans ce cimetière-là ? Comment connaissait-il ce lieu si singulier ? m'étais-je alors demandé. Il n'est pas déraisonnable de penser que ce fils de fossoyeur [le père d'Abdelkader Magoudi travaillait dans un cimetière] a, pendant les deux mois de son séjour hospitalier, assisté au départ de nombre de ses coreligionnaires par une porte discrète, à l'arrière de l'hôpital, pour rejoindre le cimetière de Bobigny, propriété privé du Franco-Musulman. Ainsi avait-il stocké l'information dix ans avant de l'utiliser pour organiser l'enterrement de son dernier fils" (p. 374).
Je peux dire à Ali Magoudi, d'après mes propres investigations, qu'en mai 1939, il y eut 17 inhumations ; en juin, il y en eu 15 et qu'en juillet, on en compte 12. Ainsi, en trois mois, quarante-quatre pensionnaires de l'hôpital Franco-Musulman y mourrurent et furent enterrés dans le cimetière de Bobigny, rue des Vignes. Son père n'a pu le méconnaître, évidemment.
mosquée du cimetière musulman de Bobigny
sujet français
Ali Magoudi avoue, sans fausse honte, découvrir le statut de Français "de droit local", c'est-à-dire de sujet français qui ne détient pas l'intégralité des droits politiques attachés traditionnellement à la citoyenneté. Stigmatisation, infériorisation...? Peut-être. C'était la condition de la domination coloniale sur le plan démographique.
Mais en même temps, cela manifestait le refus de convertir les musulmans, acquis au statut civil coranique, incompatible avec le statut civil français. D'ailleurs, l'auteur rend témoignage de la relativité de cette situation à propos de son cousin algérien : "il en a subi les conséquences, certes. Mais que l'état d'infériorité citoyenne dans lequel il a été placé soit fondé juridiquement ou non ne le concernait pas. Les statuts qui l'assujetissaient entraient en contradiction avec les principes de la République française ? Et après ! Travailler à la chaîne ne fait pas de vous un théoricien du taylorisme ni ne vous rend capable de réaliser Les Temps modernes. Avoir été maltraité par la colonisation française ne vous forme pas non plus aux principes de la législation coloniale" (p. 252).
L'histoire réelle ne se réécrit pas. La citoyenneté diminuée fut le reflet d'une réalité politique et culturelle du temps colonial et des rapports de domination. Elle ne put être dépassée. La tentative de passer outre aurait certainement été pire. Ali Magoudi se pose la question : "Je rêve. Que se serait-il passé si le décret Crémieux, qui a déclaré citoyens français les israélites indigènes des départements de l'Algérie, avait été appliqué aux indigènes musulmans, etc. " (p. 350). Je rêve aussi...
l'histoire de "gens de rien"
L'historien Alain Corbin avait réussi à ressusciter le "grouillement d'un disparu", un être ordinaire qui n'avait guère laissé de traces dans les mémoires (Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot. Sur les traces d'un inconnu (1798-1876), 1998). Ali Magoudi est aussi parvenu à évoquer les traces et étapes majeures de la vie d'un père qui ne tint pas sa promesse de les lui livrer : "Je reprends espoir, les gens de rien ont bien une existence et la piste des anonymes, susceptibles de contenir les événements que mon père a passés sous silence, n'est pas une impasse" (p. 75).
Michel Renard
pétrole algérien, un livre de Hocine Malti (cr Maurice Faivre)
histoire secrète du pétrole algérien
compte rendu par Maurice FAIVRE
Hocine Malti, Histoire secrète du pétrole algérien, La Découverte, 2010, 359 pages, 21 €.
Ingénieur pétrolier, l’auteur a rejoint la Sonatrach en 1964 avant d’exercer des fonctions de direction à l’OPAEP au Koweit en 1975, et de 1977 à 1982, à l’Arab Petroleum à Tripoli. Il a donc une connaissance approfondie du développement du pétrole algérien, et de ses implications internationales. En même temps, il apporte un témoignage autorisé sur l’évolution de l’Algérie indépendante, et sur la corruption des milieux politiques et militaires.
Après que la Gulf Oil eût déclaré en 1950 qu’il n’y avait pas trace d’hydrocarbures au Sahara, les pétroliers français, sous la conduite de Pierre Guillaumat, ont découvert à In Salah en 1954, des réserves importantes qui ne furent exploitées que plus tard. Les permis accordés en 1953 à la CREPS, à SN/Repal et à la CFP/A ont abouti en 1956 à la mise à jour des gisements de pétrole d’Edjeleh et Sidi Messaoud, qui seront évacués par le baby pipe de Touggourt, puis par oléoducs vers la Skhirra et Bougie, et du gaz d’Hassi R’Mel, évacué par gazoduc vers Arzew(1). La France a cherché alors à conserver la propriété de l’exploitation et la priorité des recherches, en instituant l’OCRS, puis le Code pétrolier de 1958, inclus dans les accords d’Évian.
Ayant créé la Sonatrach (transport et recherche) en 1964, confiée à Abdesselam puis à Ghozali, les Algériens se sont employés à obtenir des participations étrangères, britannique pour le gazoduc d’Arzew, américaine (Corelab) pour l’évaluation des réserves, soviétique pour la croissance de Messaoud, italienne pour le gisement d’el-Borma et le gazoduc de Sicile. Un accord associatif franco-algérien (Ascoop), adopté en juillet 1965, fut dénoncé par Boumediene pour non-application, le 24 février 1971.
La production de gaz est ainsi nationalisée et la propriété algérienne du pétrole portée à 51%. La France prend des mesures de rétorsion peu efficaces, et une guerre des nerfs s’engage avec la direction de Neuilly de la CFP. Le 30 avril 1971, la CFP donne 48 heures aux Algériens pour remplacer 800 techniciens. Malgré l’incompétence supposée des Algériens, les torchères continuent de brûler, et la production passe à 30 millions puis 52 millions de tonnes. La CFP et Elf-Erap acceptent désormais les conditions du pouvoir algérien, qui célèbre une dispendieuse fête du régime.
L’Algérie prend parti en 1974 dans le conflit entre l’OPEP et l’Agence internationale fomentée par Kissinger, et lance les travaux du gazoduc de Transmed avec les Italiens (ENI) et les Américains ( Bechtel). Après la mort de Boumediene, le ministre de l’Energie Nabi limoge les cadres de la Sonatrach, et Mitterrand accorde une augmentation de 27% du gaz algérien !
En 1986, la recherche est ouverte aux compagnies étrangères ; en 1989, le général Mediene dit Tewfik, directeur du Renseignement et de la Sécurité (DRS), contrôle la Sonatrach, et des généraux ripoux s’infiltrent dans les sociétés pétrolières. La compagnie Anadarko découvre alors les gisements de Hassi Berkine et Ourhoud. Après 1999, Bouteflika confie l’Energie à Chekib Khelill, de la Banque mondiale ; la législation algérienne s’aligne sur la loi pétrolière de Busch, et des agents de la CIA s’introduisent dans certains réseaux. État dans l'État, traversée par les scandales, la Sonatrach (100 000 personnels) est devenue le corps malade du pays.
Les experts pétroliers trouveront dans ces pages de nombreuses précisions sur les problèmes fiscaux, sur les techniques de recherche et sur les discussions tarifaires. Les trafics de corruption, initiés par Bouteflika en 1979, touchent ensuite des achats de blé et les travaux du gazoduc italien ; ils sont peu à peu pris en mains par le général Belkheir et la DRS de Tewfik. L’auteur dévoile les pots de vin distribués dans les affaires de l’Orascom, de Lavalin et de la Saipem, ainsi que l’implication des frères de Bouteflika dans ces trafics.
Les historiens seront passionnés par les observations de l’auteur sur la politique internationale (conflits palestiniens, guerre froide, décolonisation, terrorisme islamique) et par son jugement sur la politique algérienne. Despote éclairé, mais brutal avec ses opposants, Boumediene y apparaît comme un dirigeant austère, dictateur et bâtisseur, soucieux de mesures sociales mais indifférent à la pénurie alimentaire et au progrès agricole ; pro-soviétique, il joue double jeu avec les Américains par le canal d’un lobby ; se considérant comme le président des Non-Alignés, il promeut le mythe d’un Nouvel Ordre économique mondial. Belaïd Abdesselem est un de ses ministres ; fonctionnaire intègre, étatiste, promoteur de l’industrie industrialisante, il développe avec efficacité le pétrole algérien.
Mis en place par le patron de la SM, Merbah, le colonel Chadli est un roi fainéant ; populiste mais hargneux, il s’entoure de conseillers corrompus, réprime avec brutalité les émeutes sociales de 1988 ; il favorise les entreprises étrangères et la propagation de l’islamisme politique, avant d’être démis de ses fonctions par les généraux qui l’avaient choisi. Ce seraient les adeptes de la corruption qui firent assassiner le Président Boudiaf, le 29 juin 1992, par un soi-disant illuminé.
Sous le régime du général Zeroual, les propositions pacifistes de Sant’Egidio n’éliminent pas la lutte des clans. Les Services noyautent les islamistes armés qui fomentent des attentats en France. Ils massacrent les moines de Tibirhine et les habitants de Benthala.
Notre auteur considère Bouteflika comme un instable, vindicatif, egocentriste ; il serait à la fois pro-français et pro-américain. Il est contré par les Services qui utilisent des taupes en Afghanistan et manipulent les salafistes enleveurs de touristes dans le Sahel.
L’Algérie est donc malade de ses dirigeants qui accaparent la rente pétrolière, tolèrent les règlements de compte entre clans, négligent pas le niveau de vie de la population et provoquent le désespoir des harragas. La seule solution serait la démocratie.
Hocine Malti est un observateur avisé ; à défaut d’être ami des Français il manie avec brio leur langue.
Maurice Faivre
le 12 août 2011
les guerres ne finissent jamais
Émission de France Culture :
1961, année charnière ?
Michel LAGROT
Ouvrant avant l’heure le bombardement médiatique dont nous sommes menacés pour le cinquantenaire de la mort de l’Algérie française, la chaîne FM France Culture a produit récemment une semaine d’émissions sous le titre «Algérie 1961, année charnière». Elle n’a pas lésiné : trois heures chaque matin pendant cinq jours ! chaque matinée comportant un volet «archives», un volet «débat», un volet «documentaire», le tout fort bien fait sur le plan technique, avec de gros moyens.
D’emblée les débats vont au fond du problème historique avec une édifiante affirmation de Wassila Tamzali : cette dernière, dont le père fut tué par le FLN, est connue par son livre, Une éducation algérienne, passionnant retour sur l’itinéraire d’une intellectuelle militante du FLN dont l’unique et constant fil conducteur est une haine quasiment pathologique de la France et des Français. Laquelle déclare sans ambage que sa famille était parvenue au faîte des honneurs, du pouvoir et de la fortune, respectée de tous dans l’Algérie des Français, et que néanmoins, les Algériens eussent ils été tous dans cette situation, ils auraient été tous nationalistes.
En clair, les musulmans se sont révoltés, non parce qu’ils étaient pauvres ou opprimés, mais par ce qu’on ne peut appeler autrement que du racisme à l’état pur….. quel aveu ! Il est assez curieux de rapprocher ce propos des interviewes multiples de musulmans interrogés dans l’émission, dont pas un seul ne se montre hostile aux Français d’Algérie, même à l’époque, et même parmi des fellaghas prisonniers ; on entend même à l’occasion de franches déclarations de fraternité ! Serait ce cette haine qui ressemble à l’amour...?
Autre aveu révélateur, et combien important : toutes les personnalités du FLN interrogées (dont «Si» Azzedine) confirment ce que Ben Bella avait clamé depuis longtemps : dans l’esprit des «fondateurs», les Européens n’avaient aucune place dans l’Algérie indépendante, et les déclarations contraires n’étaient que pour endormir l’opinion française.
Avis à ceux qui, de nos jours, prétendent imputer notre exode à des craintes irraisonnées ou à l’action de l’OAS... un de ces chefs fellagha fait, par ailleurs, une description complaisante des méthodes par lesquelles il recrutait ses combattants par l’intimidation et la menace dans des douars de montagne livrés à eux mêmes. On est loin du paradigme du peuple unanime en révolte spontanée contre ses oppresseurs ! Dans une de ses remarquables et très mesurées interventions, Boualem Sansal, qui supervisait les débats, observe d’ailleurs que le FLN s’est d’abord imposé par la violence.
La présence de cet écrivain a contribué à remettre de la chair et du sang dans cette histoire, par ailleurs déshumanisée par des historiens manifestement incapables (c’est aussi une révélation de cette émission d’entrer dans la dimension humaine des évènements. Il est vrai que les historiens présents étaient d’abord Gilbert Meynier et Raphaëlle Branche, idéologues d’une partialité caricaturale : la torture, bien sur, fut mise en épingle comme le fait principal de cette guerre, partant de trois références que sont Djamila Boupacha, Djamila Bouhired et Henri Alleg ; or on sait que les deux Djemila n’ont jamais été torturées ailleurs que dans la péroraison de leurs avocats et dans la propagande du FLN. Quant à Henri Alleg, jamais torturé lui non plus (voir le témoignage à l’époque du Dr Michaux, médecin légiste) il initia, sous l’égide du PCF, cette méthode érigeant en système de défense l’accusation de torture… avec le formidable succès que nous savons. Et pour les supplices exercés par le FLN sur de parfaits innocents choisis comme tels, ce ne sont que des «exactions»…
Mais pouvait on faire confiance aux historiens ? pour réponse on citera Jean-Charles Jauffret, pourtant réputé sérieux, prétendant dans le débat que les villages de regroupement ouverts par l’Armée déplaçaient 2 millions de personnes ! chiffre exorbitant et totalement faux, complété par une description, tout aussi fantaisiste, les assimilant à des camps de concentration…
Cependant ces considérations militaires ont donné lieu à des échanges instructifs : dont le concept de «guerre dissymétrique» exposé par un spécialiste des guerres subversives ; nous avons subi une guerre non déclarée entre une puissance classique technique et une organisation idéologique sans règles ni morale : ce type de conflit, d’après ce militaire, peut être gagné mais à condition de sortir de la règle démocratique. Pour nous, c’est enfoncer une porte ouverte, mais c’est dire aussi que nous étions condamnés à perdre. Difficile aussi de faire confiance aux historiens lorsqu’on entend l’un d’eux déclarer froidement qu’en 1961 l’OAS a fait plus de morts que le FLN…
Les lieux communs sur les «citoyens de seconde zone» ne nous ont pas été épargnés, sans que personne mentionne que chacun pouvait sortir du «statut personnel» à tout instant et jouir de la citoyenneté française sans restriction, sans que personne non plus n’évoque la quadrature du cercle qu’était (et est encore) la coexistence du droit islamique et du droit commun français.
Des documents nous ont rafraîchi la mémoire sur la palinodie des premières négociations officielles de 1961 avec le GPRA à Évian, et l’échec que l’on sait ; saisissante interview de Louis Joxe, liquéfié après l’humiliation que lui avaient fait subir les Barbaresques, arrogants jusqu’à l’insulte… De même les discours de De Gaulle à l’époque, son éclatant cynisme, son mépris affiché pour le passé et pour les hommes, sa démagogie, ses mensonges et hélas, les applaudissements des foules à son verbe : cela ressort fort bien, malignement mis en valeur par les responsables de l’émission.
Et puis, bien sur, après le pseudo putsch d’avril, réactions à chaud des officiers gaullistes et de quelques furieux du contingent, révélateurs du climat de guerre civile fabriqué par le général. D’ailleurs seuls ont été sollicités des militaires violemment hostiles à l’Algérie française , ou au mieux de ceux «qui ne savaient pas ce qu’ils venaient faire là» : question que, curieusement, les 173 000 Pieds noirs de 1943 ne s’étaient pas posée en Italie ou dans les Ardennes…
Des nombreuses interviewes reproduites, dont quelques unes - sans plus – auprès des Français d’Algérie, de l’époque et d’aujourd’hui, on retire des impressions diverses et quelques «matériaux historiques», tels que ce brave musulman de la Kasbah racontant comment, le dimanche, il avait coutume de se baigner à la Madrague ; cette plage étant présentée couramment (v. ARTE) comme interdite aux musulmans…. Ou cette très virulente militante FLN racontant candidement avec des frissons comment, circulant avec sa voiture à Constantine, elle fut glacée d’effroi, prise dans une manifestation de jeunes gens pour l’Algérie française. La pauvre chérie ne réalise pas que d’autres jeunes femmes, européennes, ont été aussi prises dans des hordes de manifestants FLN, la différence étant que ces dernières n’ont plus eu le loisir de le raconter…
On retiendra la remarquable intervention de J.C. Perez, comme on pouvait s’y attendre sans langue de bois, exposant crûment le problème de la survie des Européens et du nécessaire combat dont, hélas, ils n’ont pris conscience que bien trop tard. La seule interview extensive, réalisée sur place à Mascara dans un cimetière européen, est consacrée à Mme Aline Cespedes-Vignes, auteur de 2 ouvrages d’évocation des dernières années françaises. Pourquoi elle, parmi les auteurs si nombreux dans le genre ? On croit comprendre que son sésame pour l’émission fut la phrase prononcée au début : «je savais dans mon fors intérieur que leur combat (celui du FLN) était légitime»…
Le mot de passe obligé…!
Sur la description de la situation de l’époque, occultation totale de ce qui gêne : l’action pacificatrice de l’Armée tournée en dérision, pas un mot sur les SAS, dont l’action fut pourtant si importante et si novatrice. Pas un mot des persécutions du pouvoir à l’encontre de la population européenne, pas un mot des enlèvements, des égorgements, de l’exode prévisible et déjà commencé, des polices parallèles, des arrestations arbitraires de jeunes, des camps de Djorf et de Lambèse, des tortionnaires comme Desbrosse…. Les souffrances du peuple pieds noirs, n’existent pas, pertes et profits… en revanche, la manifestation du FLN à Paris le 17 octobre, dont le bilan est grotesquement refabriqué, est décrit horrifiquement, bien que Boualem Sansal reconnaisse honnêtement qu’à l’époque il en avait à peine entendu parler.
Les extraits de films illustrant la partie documentaire sont pratiquement tous tirés d’œuvres très orientées, genre «La bataille d’Alger» et il est surprenant de constater combien, déjà, ils sonnent faux … R. Branche, «historienne» d’extrême gauche fait à ce propos une remarque assez plaisante, s’étonnant du bruit fait autour de Hors-la-loi, film insignifiant, puisqu’on était libre d’aller voir d’autres productions…. comme si on avait le choix ! pas la moindre mention du film de J.P. Lledo, totalement passé sous silence, alors qu’il est justement un véritable événement.
Un certain J.Ferrandez, auteur d’une assez médiocre B.D. sur cette guerre, plaide pour ne pas céder à l’anachronisme, dans lequel pourtant il plonge en permanence dans son oeuvre, sans doute de bonne foi : une illustration de la difficulté qu’il y a à revivre un temps sur lequel tant de mensonges ont passé, et pourtant si proche….
Mai au 2 août 1961 - El Gassia - Thé à la menthe lors d'un contact avec la population
du douar El Soltane, en présence du Sergent harki source
Au total, les inébranlables paradigmes du siècle restent le socle de toute approche de l’Histoire : il est entendu que tout le monde savait que l’Algérie serait indépendante (sans doute avons nous mauvaise mémoire...), que tout le peuple algérien (dont les Pieds noirs n’ont jamais fait partie) s’est soulevé contre un colonialisme oppresseur, que la nostalgie est un sentiment réactionnaire (quand elle est ressentie par nous), que la colonisation était un échec (que nous ayons remis à des assassins le pays quasiment le plus moderne d’Afrique ne compte pas)…
Lorsque B. Sansal évoque la confiscation de l’Histoire par le FLN, il peut étendre sa réflexion à la France ! Pour nous, Français de là-bas, c’est encore plus simple : nous avons compté pour zéro dans les décisions du politique, et historiquement on nous a déjà rayé de l’Histoire. Jacques Soustelle avait nommé cela un ethnocide…..
Remercions tout de même France-Culture de nous avoir épargné le «spécialiste-de-la-guerre-d’Algérie» qui remplit habituellement de ses prétentieuses péroraisons ses émissions historiques, et que tout le monde aura reconnu. Et laissons Boualem Sansal, encore lui, tirer de tout cela une conclusion désabusée : Les guerres, a-t-il déclaré, ne finissent jamais…..
Michel Lagrot, Hyères le 4/8/2011
Cercle Algérianiste
Pierre Savorgnan de Brazza
Pierre Savorgnan de Brazza
photo inédite
"Ce jeune homme dans son cadre doré, c'est Pierre Savorgnan de Brazza (1852-1905). Il s'agit d'une photo de 20x26, sans doute la plus ancienne existante de l'explorateur. Vu son jeune âge, elle est absolument inconnue et inédite, mais même ainsi elle n'intéresse personne. Les quelques spécialistes à qui je l'ai montrée n'ayant fait que sourire ou hausser les épaules."
Serge NAKKACHIAN (Bruxellles)
massacre des Européens le 20 août 1955 à El-Halia
Autour du livre de Claire Mauss-Copeaus,
ALGÉRIE, 20 août 1955
Michel MATHIOT
Claire MAUSS-COPEAUX, Algérie 20 août 1955, Insurrection, répression, massacres, éd. Payot, 2011. Fiche de lecture.
La thèse défendue par Claire MAUSS-COPEAUX pour expliquer les «événements du 20 août 1955 dans le Nord-Constantinos» est celle de l’insurrection, primant sur «les massacres» d’Européens. Car c’est bien cela le travail de l’historien : établir les faits mais aussi les expliquer. Pour asseoir sa démonstration, elle "décortique’" ce qu’ont vécu les villages martyrs d’El-Alia et Aïn-Aibid
Les deux événements, si connus parmi les anciens Français d’Algérie que les toponymes et les faits s’y étant déroulés ne font plus qu’un, sont présentés sous un jour inattendu. S’appuyant sur le témoignage d’acteurs toujours en vie, Claire Mauss‑Copeaux explique le massacre d’El-Alia par des alea de l’insurrection indigène ayant entraîné une émeute mal maîtrisée, et celui d’Aïn‑Abid par de la rancune entre rivaux dans le milieu des gros possédants – européens et musulmans - de la contrée, ayant impliqué une vengeance à l’occasion de cette insurrection. Des massacres "à chaud". Elle avance ce qu’El‑Alia et Aïn-Abid ne seraient pas : une élimination, sur ordre de l‘Armée de Libération Nationale (A.L.N.), de civils européens (hommes, femmes, enfants).
Mme Mauss-Copeaux accorde une place importante au travail de la mémoire collective à l’œuvre depuis cinquante-cinq ans. Certains auteurs, comme des historiens militaires par exemple, sont pour le moins égratignés, ainsi que ceux qu’elle appelle «mémorialistes» pieds‑noirs.
Par ses sources, tant orales qu’archivistiques dans la mesure où elles existent, on peut dire que le livre est aussi un ouvrage d’histoire sur la mémoire. Le texte renouvelle la vision du 20 août 1955. À défaut de preuves qu’elle ne peut toujours avancer faute d’archives disponibles françaises comme algériennes, certaines des hypothèses qu’elle pose sont autant de présomptions convergentes, d’intimes convictions à même d’être approfondies par d’autres.
Nous voulons parler de l’origine des massacres d’Européens. Tout en critiquant ceux qui restent campés sur des positions que l’on peut comprendre (celles des Français exilés), mais qu’en historienne elle ne peut faire siennes, Claire Mauss‑Copeaux élargit le champ des sources et donne dans un même récit la parole à une histoire bipartite : celle des anciens Français d’Algérie et celle des Algériens.
Le lecteur averti regrette que les témoignages soient moins nombreux qu’espérés. Pour autant, le chef de groupe du commando d’El‑Alia, critiqué par les siens et les mémorialistes, et questionné par Claire Mauss‑Copeaux, figure dans l’organigramme A.L.N. local établi par le 2ème Bureau. Au multipartisme des sources correspond un exposé multilatéral et c’est l’originalité de l’ouvrage, annoncée dans le titre même : Insurrection, répression, massacres.
Pour l’auteur l’insurrection est première, et les chapitres de tête sont là pour l’annoncer, analysant les causes qui s’enracinent dans le mythe des «trois départements français». Le «massacre» perpétré par l’A.L.N. stigmatise la violence aveugle, toujours idiote et insupportable mais si humaine car, on l’a vu, la cause en serait du domaine du "fait divers sanglant" et non de la "Guerre Sainte’", même si le "jihadisme" a certainement joué un rôle.
Cette violence a frappé majoritairement une première communauté, la communauté européenne. Claire Mauss‑Coppeaux la décrit et l’assimile à un «crime de guerre». Enfin, la question des représailles, jusqu’alors restée dans le flou, si elle n’est pas chiffrée est démontrée dans son intention. Pas de preuve écrite émanant du pouvoir civil. En revanche, une panoplie d’ordres déclinés en langage codé par la hiérarchie militaire algéroise et constantinoise. Dans ce cas, les archives ont parlé, et Claire Mauss-Copeaux avait d’ailleurs levé le voile dans sa thèse de doctorat et son livre Appelés en Algérie, la parole confisquée.
Cette répression – ce deuxième massacre accompli "à froid" - a touché l’autre communauté, celle des Français musulmans d’Algérie. L’auteur rééquilibre le discours sur la violence, discours traditionnellement monopolisé par la mémoire des civils d’El-Alia et d’Aïn‑Abid, au détriment de ceux des autres banlieues martyres de Philipeville, eux aussi victimes – dit-elle en conclusion – de «crimes de guerre».
Les explications jusqu’à présent apportées sur les raisons de ce qui est considéré comme le véritable enracinement de la guerre ne seraient-elles donc que des rationalisations a posteriori, reconstruites en fonction de ce que l’on sait depuis ? C’est ce que l’on peut déduire du récit de Claire Mauss-Copeaux. L’historienne met à mal la principale des théories reprises jusqu’alors par les auteurs pour expliquer la sauvagerie des massacres de civils européens : Il ne s’agirait pas d’une préméditation stratégique devant entraîner, à coup sûr, des représailles gigantesques comme en 1945, pour servir à la survie de la "Révolution". Il n’en serait rien.
Remarquons que nul auteur Algérien n’avait d’ailleurs défendu cet argument, et on savait à partir des échos rapportés de la réunion F.L.N. du 20 août 1956, dite « Congrès de la SOUMMAM’’, que ces massacres de civils avaient été désavoués par d’autres chefs F.L.N. À ce titre d’ailleurs Ali Kafi, personnalité bien placée comme ancien bras droit de Zighout Youssef, n’en fait état dans la liste des objectifs livrée dans ses mémoires.
Sur la forme, l’appareil de notes juste dosé pour éviter d’alourdir davantage un ouvrage grand-public est relégué à la fin, le rendant peu commode. Les lecteurs curieux pardonneront à Claire Mauss‑Copeaux de ne pas trouver dans son texte des réponses systématiques à toutes leurs questions, ni une énumération exhaustive de tous les événements ni tous les lieux touchés par l’insurrection.
Un traité d’histoire est une démonstration, non pas une encyclopédie. Pour cela d’autres livres suivront sans doute, utilisant notamment d’autres sources disponibles. Comme tous les historiens du "Temps Présent", elle a été confrontée au verrouillage de certaines archives encore trop récentes d’une part et à l’existence de souvenirs oraux fort bienvenus d’autre part. Les uns compensent les autres, même si le caractère épars de ces témoignages laisse toujours planer un doute quant à leur représentativité. Mais ils permettent à l’auteur de formuler des hypothèses et de les argumenter.
Car ce livre devrait être l’instrument de discussions entre historiens, pour aider la connaissance historique de cette question emblématique de l’enracinement de la Guerre en Algérie. La discussion est utile, salutaire, non pas la polémique stérile. Il est important de regarder ce que ce livre apporte à l’Histoire, en dépit d’inexactitudes factuelles comme par exemple le nombre sous-estimé des civils tués depuis le 1er novembre, ou d’autres manques à relever, et à corriger éventuellement.
Cette question, il était temps d’enfin l’aborder avant que les derniers contemporains ne s’éteignent. Mais après avoir tourné la dernière page du dernier chapitre, on est frappé par la violence qui s’exprime en début de conclusion, de l’attaque à l’égard des «activistes de la mémoire». Il faut croire que dans l’esprit de Claire Mauss-Copeaux, nombreux ont dû pécher contre l’Histoire pour avoir rendu son propos à tel point incisif. Souhaitons que d’autres auteurs viennent nourrir cette discussion dans un esprit de construction historique. Ce texte parait humain. Est-ce le fait d’une femme ? Le fait divers y surpasse la politique, et les morts ‑ tous les morts – y redeviennent égaux entre eux. Dans un livre d’Histoire, regardons avant tout ce qu’il apporte à l’Histoire.
Michel MATHIOT
DEA d’histoire contemporaine
ancien doctorant, 13 mai 2011
- critique de ce livre par Maurice Faivre sur ce site (19 mai 2011)
les harkis, histoire, mémoire et transmission
harkis, torture, présence française : polémique
général Maurice FAIVRE
Objet : recension de la NRH
Ce message intéressera ceux qui n'apprécient pas la LDH. Il a été adressé aux membres de la CFHM, avec copie à LDH, INRP et AHDH.
Chers amis historiens, excusez ce message personnel, qui concerne mes travaux d'historien. C'est une pièce tragi-comique en 4 actes, un peu longue, vous n'êtes pas obligé de tout lire.
Maurice Faivre
Primo
Peut-être avez-vous lu dans la NRH de janvier le texte suivant :
À OUBLIER D’URGENCE... Les harkis, Histoire, mémoire et transmission, dir. F. Besnaci-Lancou, B. Falaize et G. Manceron, éditions de l’Atelier, 222 p. 19 euros.
Rédigé par dix-sept auteurs, cet ouvrage, présenté comme un «travail d’histoire et de mémoire» est publié par la Ligue des droits de l’Homme et l’Institut National de Recherche Pédagogique… Sauf exceptions, les approximations, contre-vérités et ignorances sont la règle. Un certain Gilles Manceron croit pouvoir s’en prendre de façon diffamatoire au général Faivre dont on sait le travail considérable qu’il a accompli sur les harkis, au point d’apparaître comme le pionnier de l’étude historique de la question. On sait ce qu’est – auprès de ses pairs (Frémeaux, Pervillé, Brunet, Lefeuvre, Vaisse, les divers spécialistes qui oeuvrent au sein des commissions française et internationale d’histoire militaire) la réputation de sérieux de celui qui a été visé par ces attaques indignes et stupides.
Philippe Conrad
Secundo
Ce texte de la NRH résume de façon succincte la recension que M. Faivre avait rédigée en novembre et qui n'a pas été diffusée. La voici :
Fatima Besnaci-Lancou, Benoit Falaize et Gilles Manceron (sous la direction de), Les harkis, histoire, mémoire et transmission, éd. de l’Atelier (ex-Ouvrières), sept. 2010, 222 pages, 19,90 €.
17 auteurs ont participé à l’écriture de cet ouvrage collectif, qui est présenté par son préfacier comme un beau travail conjoint d’histoire et de mémoire. La Ligue des droits de l’homme et l’Institut national de recherche pédagogique se sont unis pour produire cet ouvrage qui prétend renouveler la connaissance d’un sujet qui, étudié dès 1989, s’est peu à peu enrichi au début du siècle.
D’emblée, il faut distinguer deux historiens qui n’appartiennent pas à la LDH et qui proposent des analyses objectives du problème. Mohamed Harbi replace l’histoire des harkis dans l’évolution d’une nation en formation ; l’attachement à la famille, au clan et à la religion précède en effet le sentiment national ; cette diversité de la société algérienne est ignorée par les ulemas, citadins indifférents à la réalité des campagnes, qui ont imposé la doctrine d’une nation préexistant avant 1830 et d’un islam anti-démocratique; quant à certains chefs de l’ALN, ils ont porté atteinte à l’honneur des populations rurales, lesquelles se sont protégées en répondant aux campagnes de recrutement de l’armée française.
Fils de harki, Abderhaman Moumen expose de façon claire les massacres de 1962 et les lieux de mémoire qui commémorent le passage des harkis dans divers centres d’accueil ; ayant retrouvé le rapport Massenet qui proposait un rapatriement massif, son analyse de la notion d’abandon des harkis est argumentée ; elle aurait mérité d’être complétée par les archives disponibles du CICR, des Affaires algériennes (Comité et ministre), et sur le témoignage des assistantes sociales et monitrices de hameaux forestiers.
En revanche, deux auteurs font la démonstration de leur incompétence et (ou) de leur mauvaise foi. Il s’agit du Britannique Mac Master qui critique l’idéologie de deux officiers de supplétifs : l’ethnologue Jean Servier, qui aurait monté – et raté - l’opération Oiseau bleu, et dont les connaissances manquent de fondement scientifique (sic), et le colonel Montaner, fondateur de la Police auxiliaire de Paris, dont les méthodes autoritaires s’affranchissaient du respect de la loi.
L’historien Jean-Paul Brunet, dans la revue Commentaires, a montré le manque de méthode et de morale de ce sociologue. Rémy Valat a fait le même constat. «L’humaniste de la LDH» Manceron, critique lui aussi les illusions de Jean Servier, fondateur de la première formation supplétive à Arris ; il montre la même méconnaissance que Mac Master du montage de l’opération Kabyle (dite à tort Oiseau bleu), et énonce un certain nombre de contre-vérités qui font sourire les anciens harkis et leurs chefs. Il attribue la lenteur du recrutement des harkis à la personnalité des généraux, alors qu’elle est due au rapport des forces initiales. Ses évaluations des effectifs des harkis, des musulmans engagés et des rebelles sont inexactes, et il affirme que les harkis n’ont pas tous porté des armes, et que les plus nombreux n’ont servi que dans des emplois civils (maçons, jardiniers …etc).
Opposés à l’indépendance (ce que dément Mohammed Harbi), soumis à la méfiance de leurs chefs, recrutés pour la gamelle, désarmés après chaque opération, les supplétifs ont rejoint les maquis en 1962 avec armes et bagages (sic), ce qui est vrai pour les appelés de la Force locale (UFL), mais pas pour les harkis. Dans un chapitre comparant les mémoires et l’histoire, Manceron se livre à des attaques, toutes inexactes, contre le rédacteur de cette recension, démontrant ainsi son incapacité à recouper des informations partielles. Ni l’histoire, ni la mémoire ne sont au rendez-vous.
Les chapitres répétitifs consacrés à la transmission de l’histoire des harkis confirment que cette histoire est un sujet difficile ; la colonisation étant un fait ambigu, les supplétifs sont pratiquement absents des manuels scolaires ; les enseignants ont peur d’être contestés et présentent les harkis comme des victimes de la colonisation, des anti-héros et des marginaux.
Quant aux manuels algériens, ils évitent de parler de ces hommes affectés aux sales besognes, qui contredisent le mythe de la nation unanime.
Une bibliographie détaillée conclut cet ouvrage, dans laquelle ne figurent pas les livres de Jean-Paul Brunet, ni les articles de l'anthropologue Khemisti Bouneb ni les films d'Alain de Sédouy.
Maurice Faivre
le 14 novembre 2010
Tertio
Dans cette recension, M. Faivre ne précise pas la nature des 4 attaques qui lui sont adressées.
Voici ces précisions, et les éléments de réponses aux accusations personnelles de Manceron, qui ont été reprises par la LDH de Toulon les 4 et 13 octobre 2010.
1. M. Faivre aurait justifié l'usage de la torture. S'agissant de son action sur le terrain, cela est démenti par J.-C. Jauffret dans "ces officiers qui ont dit non..." p.115. Citation : qui concerne les atrocités du FLN, hélas bien réelles (J.Julliard "incapable de provoquer un soulèvement généralisé, le FLN a eu recours à la terreur et aux atrocités", Nouvel Obs du 10/05/2001). Mais il faut lire le 8ème paragraphe : "certains se sont salis les mains... ces dérives furent marginales et en contradiction avec les méthodes voulues et les objectifs poursuivis par la France et son armée". Ce n'est donc pas une approbation. M. Faivre a fait la même analyse dans un article de Liberté politique (automne 2001) sur "terrorisme et torture", et dans deux ouvrages (Conflits d'autorité et La croix-Rouge dans la guerre d'Algérie).
2. M. Faivre est le seul historien ayant participé à une réunion du député Diefenbacher (puis Kert), en préparation de la loi du 23 février 2005 évoquant "le rôle positif de la présence française outre-mer, etc.." En réalité, il s'est prononcé contre le paragraphe 4 de cette loi, dans des lettres à G.Meynier (10 mai 2005), à Fatima Besnaci (10 septembre), et lors d'une audition par JL Debré le 18 janvier 2006.
Il proposait que l'on parle des aspects positifs et négatifs de cette présence. Il a conservé les archives de ces documents.
3. Il intervient, sous le pseudo de Cyrano, sur des sites internet proches de l''extrême droite, qui se livrent à de violentes attaques contre la religion musulmane (sic). En réalité le texte de Riposte laïque qui a été diffusé sous son nom par un imbécile, a été rédigé par le professeur de philo Maurice Vidal. Riposte laïque a dénoncé le 14 décembre 2009 cette fausse information, en précisant : nous ne connaissons pas le général Faivre. Il n'est donc pas Cyrano ! En revanche, il a publié dans le Casoar d'octobre 1995 un article "Pour un islam tolérant", dans lequel il approuvait la position modérée de l'imam Soheib ben Cheikh. Il a d'ailleurs été en relation sur ce sujet avec le P. Lelong, Abdelkader Barakrok, Sellam Sadek et récemment Boualem Sansal.
4. Camille Lacoste-Dujardin lui reproche un total manque de rigueur historique. Dans l'affaire K, dite de l'Oiseau bleu, il en effet critiqué cette ethnologue, qui a découvert cette affaire en 1969 (13 ans après les faits). Elle n'a rien compris au montage de cette affaire, n'ayant pas eu accès aux archives des Services secrets, ni aux écrits de Jean Servier en 1956.
Ceci est confirmé par Jacques Frémeaux dans les Annales de janvier 2000 : "Avoir omis le témoignage de Servier affaiblit la portée de sa démonstration". Dans Guerres d'Afrique, université de Rennes, 2009, Vincent Joly confirme, p. 285, que les textes publiés par le général Faivre infirment la thèse de Camille Lacoste. Jacques Frémeaux a demandé le 17 janvier 2001 une mise au point sur le montage de l'affaire, qui pour finir a été publiée par Etudes coloniales en décembre 2010.
Quarto
Le 8 octobre 2010, Maurice Faivre a proposé à la LDH un débat entre historiens, Gilles Manceron a accusé réception, mais n'a pas répondu à cette proposition. En revanche, un professeur de Sorbonne, cité plus haut, écrit le 24 janvier 2011 :
- Mon général, je ne peux qu'approuver votre volonté de donner de votre carrière et de votre action en Algérie une vision fidèle et juste. Croyez que pour ma part j'ai toujours accordé une totale confiance aux informations que vous donnez dans vos ouvrages. Dont acte. D'autres critiques ont été formulées par Raphaëlle Branche dans un article sur le livre blanc de l'armée française, publié par la LDH. Pour ne pas surcharger ce message déjà long, il y sera répondu dans un autre courriel.
Maurice Faivre
le 29 janvier 2011