mercredi 22 février 2023

les films «ALN à Oran» et «arrestation pillards par l'ALN», Jean-François PAYA

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commentaires sur les films «ALN à Oran»

et «arrestation pillards par l'ALN»

Jean-François PAYA

 

Ci-joint deux films «ALN à Oran» et «arrestation de pillards par l'ALN».

L'ALN vient d’entrer le dimanche 8 juillet 1962 en Oranie. Vous remarquerez les camions privés réquisitionnés dans le secteur Tlemcen, Témouchent où je me trouvais en disponibilité depuis plusieurs semaines pour tester officieusement les positions de l’ALN Oujda sur base de Mers-el-Kebir pour la Marine Nationale.
Il s’agit donc d’un donc d'un billard à 3 bandes entre OAS/FLN et militaires français.

Je confirme être entré à Oran le dimanche 8 juillet avec mission du sous-préfet français toujours en poste pour rechercher 2 amis instituteurs disparus le 5 juillet (pas retrouvés !).

Nous avons fait partir des amis de l'OAS par le port de Nemours.

* Pour la répression des «émeutiers», c’est un simulacre de sanction. On a revu des individus libres ensuite se pavaner dont le fameux Attou chef FLN (prime deux bijouteries considérés comme «biens vacants»).

Sur le lieu ferme «pont St-Albain" près d’Oran on y voit le capitaine Bakhti (frère de Nemiche, surveillant général au lycée Ardaillon) bien connu, qui fait l'article (taqîya) aux journalistes !

Jean-François PAYA

- film «Avec l'ALN à Oran»

- film «Arrestation de pillards par l'ALN»

 

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mardi 21 février 2023

le dernier livre de Sylvie Thénault sur Amédée Froger (fin), Jean MONNERET

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le dernier livre de Sylvie Thénault

sur Amédée Froger (fin)

Jean MONNERET

 

Les chapitres finaux du livre sont intéressants et l’on ne peut que louer les efforts de l’auteure pour démontrer que Hamdeche Ben Hamdi, l’assassin d’Amédée Froger, était un agent messaliste.
Nous ne sommes pourtant que moyennement convaincu. Une bonne part de la démonstration repose en effet sur les actes et les déclarations de personnages plutôt flous. (1)
Il est vrai que le FLN a, pour sa part, toujours nié avoir ordonné le meurtre de Froger. Un livre entier pourrait être consacré à ce Ben Hamdi.

Une conclusion qui interpelle

Il est dommage que Mme Thénault abuse du français dialectal qui est devenu celui des jeunes générations. Elle fait plus qu’abuser en outre de l’adjectif colonial utilisé, par exemple, 5 ou 6 fois (p. 319). Mais, ce qui retient l’attention est autre.

 «Relier ainsi l’histoire de la colonisation et l’histoire de la guerre ouvre une perspective de longue durée inédite» (p. 320), écrit-elle. J’ai dit ailleurs pourquoi le recours à «la longue durée» par certains doit éveiller la méfiance du lecteur.
En effet, légitime en elle-même, la longue durée devient çà et là un artifice, autorisant bien des sophismes. Nous n’en sommes pas loin dans cette conclusion.

Ainsi notre historienne estime-t-elle que la «violence des Français» n’a pas suscité dans l’historiographie les mêmes analyses que celles des «Algériens réclamant la fin de leur sujétion». Mais elle précise que la «violence des Français» qui va retenir son attention ne renvoie pas aux forces de l’ordre et aux autorités, catégorie impersonnelle et désincarnée remontant jusqu’à Paris.
Ce qui l’intéresse, c’est la violence «des Français présents en Algérie, nés là-bas». Autrement dit des Pieds-Noirs.

À partir de là se dessine une analyse dont les contours sont bien connus. Les exactions de certains Français d’Algérie, évoquées plus haut, deviennent un révélateur «de la société coloniale algérienne» et «de sa logique ségrégationniste».

Ben pardi !

Que voilà une belle trouvaille et une fine analyse ! Nous avons écrit ailleurs que cela faisait irrésistiblement penser à la «vertu dormitive de l’opium» chez les médecins de Molière. 

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Graffiti à la gloire de l’OAS et du général putschiste Raoul Salan
dans une rue d’Alger, en 1961. (c) Marc Garanger

Mais nous ne sommes pas au bout des révélations. Ainsi en est-il de l’OAS, souvent décrite comme «d’extrême droite» ce qui «la situe dans l’histoire politique de la France». Or, si poujadistes, royalistes, intégristes s’unissaient pour la défense de l’Algérie Française, «ils étaient en désaccord sur tout le reste».

Sylvie Thénault souligne, pour sa part, que : «L’OAS a aussi recruté parmi les Français d’Algérie» (p. 322). Il faut donc approfondir ce rapport avec «la société coloniale».

Et d’enchainer : sur «ce vivier» qu’ils ont constitué pour elle, «en faisant circuler des tracts, en taisant ce dont ils étaient témoins, en offrant ponctuellement leur aide, quand l’occasion s’en présentait, ou en s’engageant de façon plus décisive mais sans trop se compromettre sans salir leurs mains du sang versé en particulier. Sans eux, toutefois l’OAS n’aurait pu exister ni durer».

Et l’auteure d’insister : «l’histoire de l’OAS en Algérie n’est pas celle de l’OAS en métropole. Elle ne s’y cantonne pas à l’extrême-droite». (2)

Faut-il donc considérer que les Français d’Algérie porteraient une responsabilité collective ? Ce serait franchir un nouveau degré, tout à fait inédit, dans la Repentance.

On nous permettra de regretter qu’un travail se voulant historique finisse par des considérations qui le sont fort peu.

Le dernier paragraphe ne se termine-t-il pas par une allusion à l’adhésion à «la théorie du grand remplacement» qualifiée de «Fantôme que la culture politique française gagnerait à chasser». 

Hors sujet !

Une recommandation

Les Français d’Algérie se sont vus présenter la facture de la Guerre d’Algérie. Outre le terrorisme, les morts et les disparus, ils ont dû s’exiler et perdre leurs biens. Ils ont dû aussi faire face à des campagnes de diabolisation très sévères. Très souvent calomnieuses.

Pourtant, nombre de leurs morts reposent dans les cimetières de France, de Tunisie, d’Italie, d’Allemagne avec ceux de leurs compatriotes musulmans tombés à leurs côtés. La France leur doit une bonne part de sa liberté retrouvée. Est-ce trop de demander que l’on s’en souvienne ?

Nous avons fréquemment conseillé, à ceux qui écrivent, de renoncer à utiliser l'article défini les pour lui préférer l’indéfini des. Ainsi le nombre des amalgames reculerait comme celui des gens qu’il blesse. La culture politique française y gagnerait là aussi.

De plus, jeunes et moins jeunes, devraient se méfier de leurs certitudes. (3)
Avec l’âge et les épreuves, beaucoup de choses deviennent complexes. Un Français d’Algérie nommé Jean Daniel disait, parait-il, à ses jeunes confrères : «N’oubliez-pas que la vérité a toujours un pied dans l’autre camp». (4)

Ceci lui a permis, certes tardivement, de découvrir les souffrances des harkis qu’il avait, en un temps, négligées.

Personne ne le lui reprochera. Espérons-le.

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Débarquement du bataillon de marche n°4 de la 1ère division française libre, le 17 août 1944,
sur la plage de Cavalaire, dans le Var. ©Usis-Dite/Leemage

Fin
Jean MONNERET

Notes

1 - L’un d’eux s’appelle Mohammed, l’autre El Hadj.
2 - Terme au sens très extensif.  
3 - Nietszche ne disait-il pas «qu’elle rend fou».
4 - F-O Giesbert, Histoire de la Ve République. 2, La Belle Époque, Gallimard, 2022, p. 84.

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samedi 11 février 2023

le dernier livre de Sylvie Thénault sur Amédée Froger (suite), par Jean Monneret

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le dernier livre de Sylvie Thénault

sur Amédée Froger (suite)

Jean MONNERET

 

Combat 29 déc 1956 Froger


Compte tenu de ses méthodes de travail Mme Thénault, donne de l’assassinat d’Amédée Froger et de son contexte, une vision déformée.

Ceci est sensible dans la première partie où l’activité des Maires, le rôle de la ville de Boufarik, la défense de l’Algérie française lorsqu’éclate l’insurrection sont plus ou moins systématiquement rapprochés de pratiques liées à la Conquête (1).

Quant à l’administration locale, dès la page 83, elle est en mesure de formuler un diagnostic définitif : «(elle est) duale, discriminatoire».

Tous les défauts, tous les manques du système sont placés sous un verre grossissant ; inutile de dire que le tableau n’est guère flatteur. L’ensemble est long, laborieux et pour tout dire pénible. Tout ceci a déjà été fait, mieux, par maints historiens plus rigoureux.

Pour ne prendre qu’un exemple, lorsqu’elle fait allusion aux événements du 8 Mai 1945 dans le Constantinois, ses analyses sont conformes à l’unanimisme en cours dans les milieux anticolonialistes. Autant vaut dire que l’objectivité est sérieusement malmenée.

Sauf erreur de ma part, il n’y a aucune allusion au travail de Roger Vétillard. En revanche, Peyroulou est souvent cité. Ce dernier a d’ailleurs ses mérites, car, il a apporté du neuf. Il me semble toutefois qu’il a eu la délicatesse de soulever des questions plus que le souci d’alimenter on ne sait quelle doxologie déconstructrice. Passons…

 

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Une triste journée

La seconde partie est heureusement plus intéressante. L’auteure s’est donné du mal pour reconstituer les incidents, parfois graves, qui ont marqué les obsèques dans la journée du 29 décembre. Disons qu’elle y serait mieux parvenue sans le regrettable défaut d’exagérer ou de surinterpréter diverses données.

Prenons un exemple :  le chapitre 8 est titré Pour un Français, Dix Arabes ! Tout lecteur non informé pourrait croire qu’il s’agit là du bilan de ladite journée. Dieu merci ce n’est pas le cas.
Il s’agit d’un slogan crié par un excité à la venue du cercueil. Le fait de mettre en exergue cette sottise en en faisant un titre lui donne un relief disproportionné.

Nous tenons à indiquer qu’ayant vécu 20 ans en Algérie française, nous avons assisté à de nombreuses manifestations algéroises. Jamais, nous disons bien jamais, nous n’avons entendu scander pareille calembredaine. Certes, à l’heure de l’anisette, dans tel ou tel bistro, l’on aurait pu dénicher quelque illuminé pour proférer semblable balourdise. Il serait néanmoins peu sérieux de présenter cette ânerie comme courante en milieu pied-noir.

Ceci est d’autant plus regrettable que tout au long de ce chapitre Sylvie Thénault déplore le manque de «représentation iconique» des obsèques d’Amédée Froger ; notamment pour ce qui concerne «les violences infligées aux Algériens» (p. 162).

On notera que le collectif «Algériens» (2) renvoie à l’ensemble d’une communauté ce qui renforce le sentiment d’exagération alors que le nombre de victimes réelles parait limité (même si toutes sont évidemment de trop).

Page 165, l’auteure estime qu’il faut procéder à des «recoupements minutieux» des sources politiques ou administratives, qu’elle juge abondantes, avec les récits des journalistes. Ceci permettant «d’en évaluer la crédibilité» (p. 166).

Si l’on a bien compris, ceci compensera la pauvreté «des sources visuelles».

À quoi s’ajoute une sienne méthode originale en la matière.

«Il suffit de s’intéresser aux r....(explétif) pour en remarquer là où elles étaient jusqu’ici passées inaperçues» (p. 167). Et notre historienne d’ajouter : «La curiosité fait surgir l’évènement, l’enquête le fait exister» (sic). Étrange ! Serait-elle efficace, la méthode reste, selon nous, à déconseiller. On imagine ce que des propagandistes sans scrupules pourraient en faire...!

Remarquons qu’il est une hypothèse que Mme Thénault n’envisage pas :  à savoir que la «représentation iconique» des violences contre des arabo-berbères est rare parce qu’elles furent moins courantes qu’elle n’a pu le croire.

 

Le rôle du service d’Ordre

Pour éclaircir ce point, il faut analyser le rôle du service d’ordre ce jour-là. Nous nous baserons sur le témoignage du correspondant du Monde dans le numéro du 1er Janvier 1957 et également sur les citations puisées dans les rapports des Commissaires Jean Builles et Michel Gonzalez (3) figurant dans le livre.

Le correspondant du Monde n’est autre que Jacques Fauvet, qui fut bien plus tard, placé à la tête de ce journal. Nul ne le tiendra pour favorable ni à la colonisation, ni aux Pieds-Noirs, nul ne le tiendra pour un extrémiste. Sa présentation des faits n’en a que plus de valeur en la circonstance. Ainsi tient-il l’assassinat d’Amédée Froger pour une «odieuse provocation».

Redisons-le : après les massacres du 20 août 1955 frappant des Européens dans le Constantinois, après l’assassinat de la petite Françoise Salles en février 1956, une violence quotidienne a gagné la capitale. Survenant dans une ville en proie à un terrorisme incessant et cruel depuis des mois, le meurtre de Froger ne pouvait qu’entrainer un surcroît de tensions.

Rappelons en effet que l’exécution de Zabana et de Ferradj, au printemps précédant, a été accompagné de l’appel du FLN à des représailles contre la population européenne en général. Un attentat «contre-terroriste» dans la Casbah a été suivi, à l’automne, des bombes du FLN au Milk-Bar et à la Cafétéria, en plein centre-ville. Elles ont fait de multiples victimes parmi des enfants.

Bien d’autres explosions, bien d’autres crimes ont suivi faisant d’Alger une ville en crise, soumise à la tension extrême que crée un terrorisme indépendantiste omniprésent. De plus, l’Assemblée Générale de l’ONU s’apprête à se saisir de l’examen de la situation en Algérie.

Le meurtre du 28 décembre 1956 met donc littéralement le feu aux poudres. Le correspondant du Monde s’en fait, bien entendu, l’écho : «L’assassinat d’hommes sans défense est toujours une lâcheté ; celui de M. Froger, vendredi matin en était une».

Il ajoute : «La folie meurtrière de samedi soir en a été une autre dans la mesure où elle a frappé nombre de musulmans innocents». Et le journaliste poursuit : «Le devoir des responsables est d’empêcher le cycle absurde et infernal du terrorisme et du contre-terrorisme». Soulignons à regret que ces points de vue nuancés sont absents de ce qu’écrit Mme Thénault.

 

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obsèques d'Amédée Froger

Mais qu’a fait la police algéroise ? Précisons d’emblée que le 29 décembre, jour des obsèques, elle était appuyée par diverses compagnies de CRS et par quelques unités «prêtées» par le Corps d’Armée. La communauté européenne d’Alger vit alors - nous citons Jacques Fauvet - dans une «atmosphère d’insécurité, de crainte pour la vie et pour l’avenir, de désespoir parfois.»

Tel est bien en effet le contexte. Ne pas le rappeler, ne pas en tenir compte en évoquant ces journées est un défi à l’objectivité, intellectuellement inacceptable.

Bien entendu ce contexte, n’excuse en aucune façon les exactions aveugles, les stupides représailles contre des passants musulmans. Outre les souffrances et les deuils causés, elles ont fait le jeu du FLN qui n’en demandait pas tant.

Quels furent les problèmes des responsables du service d’ordre pendant les obsèques ?

Nous l’avons dit plus haut, Mme Thénault a eu accès aux rapports des commissaires Builles et Gonzalez concernant cet enterrement devenu manifestation par l’ampleur du cortège. Il en ressort que les responsables étaient désireux que l’inhumation se fît vite, donc dès le lendemain et, en automobiles, de manière à accélérer le déroulement des choses car, le cimetière de Saint-Eugène se trouvait à l’autre bout de la capitale.

Ces deux commissaires sont eux-mêmes Pieds-noirs, ils connaissent la situation locale et savent que les esprits sont tendus. Ils passent pour être de gauche. Ce qui est dans doute vrai pour le premier, moins pour le second que j’ai bien connu.

Un obstacle qu’ils n’ont apparemment pas prévu va bouleverser leur plan. Les participants au cortège, énervés, ont imposé que tout le monde suive le convoi funèbre à pied. Ils ont même obligé le Préfet Chaussade à en faire autant.

Mais, de ce fait, l’enterrement est devenu une manifestation. Elle va traverser toute la ville et, à deux reprises, longer les quartiers musulmans. Outre que l’inhumation sera très en retard sur l’horaire, le service d’ordre va se voir investi d’une tâche beaucoup plus longue à laquelle il n’est pas forcément préparé. Est-il suffisamment important ?

La question se pose car, un défilé de voitures suivant un convoi funèbre, requiert moins de surveillance et d’hommes qu’une marche d’un bout à l’autre de la ville. Une marche qui a attiré une marée humaine.

Un autre problème que les responsables ne semblent pas avoir prévu ou pas assez, est la présence de petits groupes parfois armés qui se détachent occasionnellement du défilé pour agresser des musulmans isolés, leurs commerces ou leurs véhicules. La Préfecture a fait circuler des mises en garde dans les quartiers autochtones recommandant à leurs habitants de ne pas en sortir cet après-midi-là. Le FLN les aurait relayées dans la Casbah. Mais dans ces cas-là, il y a toujours des gens mal informés.

 

obsèques Froger

 

Bilan

Aucun bilan définitif n’est possible sur une  pareille journée. Surtout, si l’on ajoute qu’une bombe a explosé dans l’après-midi, au cimetière, près du lieu d’inhumation. La chose s’étant produite avant l’arrivée du gros de la foule, il n’y eut pas de  victimes. Néanmoins, on imagine l’effet que ce fait, magnifié par la rumeur, a pu avoir sur certaines personnes déjà nerveuses. Six musulmans tués, 58 blessés dont 10 graves dira le communiqué officiel en matière de bilan global.

Certains le contesteront au motif que certaines victimes ne se sont pas signalées à la police ou à l’Armée. Ceci est habituel, chacun ayant tendance à minimiser ou à amplifier les chiffres selon le camp auquel il s’identifie. Les responsables avaient intérêt également à faire oublier une certaine impréparation de leur part, laquelle ne sera pas étrangère à l’arrivée des paras de Massu, quelques jours plus tard.

Du point de vue du maintien de l’ordre la police a pu donner en effet l’impression d’être débordée.

L’année 1956 avait commencé à Alger par l’Appel à la Trêve Civile de Camus, elle s’achevait dans la haine et le sang. La nouvelle année verrait la remise des pouvoirs de police à l’Armée et le début de la Bataille d’Alger. Un tournant s’il en fut.

Ceci explique probablement le rapport du Commissaire Gonzalez, qui semble très sévère pour ses compatriotes : «Dans son immense majorité, elle (population européenne) approuva (les violences aveugles). Sans réserve» précise-t-il, page 179.

Le commissaire Builles, autre pied-noir, dénonce, de son côté : «l’approbation tacite de la foule qui suivait le cortège et des badauds». Idem, page 179. Pour notre historienne, ces affirmations confortent ses points de vue.

On nous permettra pourtant d’en donner un différent. La déclaration du commissaire Builles est celle d’un homme à la réputation de gauche affirmée. Durant l’Affaire Audin, il apparaîtra très proche de P-H. Teitgen Secrétaire Général de la police. Quelques mois plus tard, Builles a répandu l’information que Maurice Audin, le communiste arrêté par les Paras était mort sous la torture. Ce que le Comité Audin répéta ensuite à satiété (4). Son affirmation sur le 29 décembre étonne donc peu.

Rien de semblable chez Michel Gonzalez. Son affirmation, pour qui l’a connu, détonne. Beaucoup.

Nous l’avons souvent rencontré lors de réunions hebdomadaires que nous eûmes pendant des années, dans un restaurant kabyle du 15e arrondissement, avec un groupe d’anciens d’Algérie. Il avait vécu la Guerre d’Algérie quasiment de bout en bout, n’ayant quitté la capitale qu’après les Accords d’Évian. Il savait tout. Il n’avait rien d’un gauchiste. Certes, son caractère était empreint de pessimisme, comme l’on peut s’y attendre de la part d’un responsable des RG, ayant connu le dessous de bien des cartes et ne nourrissant aucune illusion sur les hommes politiques de tout bord, voire sur l’humanité.

Sa connaissance de «l’autre côté du miroir», rendaient ses propos fascinants et nous manquions rarement l’une de nos réunions. Nous avons souvent abordé tous les épisodes du conflit algérien et nous apprîmes, grâce à lui, beaucoup. Nous n’avons jamais rien entendu de sa part qui put confirmer, même de loin, une aversion pour les Pieds-Noirs aussi saillante que celle exprimée dans le rapport cité. En y réfléchissant, nous croyons pouvoir risquer l’hypothèse que, le 29 décembre 56, devant le fiasco du maintien de l’ordre, la colère a pu le gagner, contre «la foule».

 

Une police inquiète

Sylvie Thénault suit ensuite le commissaire Builles dans les méandres de son enquête pour vérifier le bilan officiel. Il ne parait guère le contredire en dépit de quelques réserves mineures. Elle consacre ensuite un long, trop long chapitre aux différentes versions données par la police de cette journée. C’est interminable et filandreux.
Nous dispenserons donc le lecteur de commentaires à l’exception de celui-ci : la police algéroise semble très inquiète devant la situation et confirme, de mauvais gré, qu’elle est dépassée.

Michel Gonzalez, cité à nouveau, ne reprend pas son jugement précédent fort sévère. En revanche, il surveille les mouvements susceptibles d’agir violemment, ce qui est parfaitement son rôle. En dépit des déclarations des deux chefs de la police, nous gardons, quant à nous, un souvenir différent : la vaste majorité des personnes suivant les obsèques maintinrent une attitude digne et désapprouvèrent la violence.

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obsèques d'Améde Froger

Pour conclure sur ce point, nous citerons le bandeau du Monde, qui précède l’article de son correspondant. Il  nous parait traduire la réalité. L’on sait pourtant que ce journal n’a jamais eu de tendresse particulière pour les Pieds-Noirs.

«Les obsèques de M. Amédée de Froger, célébrées samedi après-midi, ont été accompagnées et suivies de scènes de violence qui n’ont pris fin qu’après la tombée de la nuit. Selon un bilan établi par les services officiels, six musulmans ont été tués et cinquante-huit blessés, dont dix gravement.
Mais, de même source, on précise que tous les blessés n’ont pas été recensés, une partie d’entre eux ayant préféré ne pas se faire connaître.
Dimanche, le calme était revenu dans les rues de la capitale administrative, mais de nouveaux attentats à la bombe  étaient signalés, notamment dans les églises.
Prévisibles et redoutées, ces manifestations seront pour les uns justifiées par le caractère odieux et provocant du crime qui les a suscitées, pour d’autres injustes et inexplicables.
Il faut objectivement remarquer que les brutalités parfois meurtrières et les exactions toujours stupides n’ont été le fait que d’une partie des manifestants, et que la perte de tout sang-froid n’a jamais gagné l’ensemble de la foule (5) rassemblée pour témoigner de son émotion.
Le bilan parait en tout cas chargé de conséquences, auxquelles la plupart des acteurs n’ont pas réfléchi. Les meneurs y voient l’occasion d’une action politique qu’ils voudraient porter au-delà de l’Algérie.
Les obsèques d’Amédée Froger pour provocant qu’ait été le choix d’une telle personnalité de la communauté française d’Algérie, n’étaient qu’un élément d’une exaspération entretenue depuis plusieurs jours par une série de faits : mardi, tentative d’assassinat du président du conseil général Aït Ali : mercredi, grâce de 5 condamnés à mort par le Président de la République ; jeudi, actions terroristes diverses ; vendredi, assassinat du président Froger ; samedi, annonce d’augmentation de 10% des impôts directs en Algérie...etc..

Pour compléter nous citerons également le communiqué de la Fédération des Libéraux d’Algérie, association créée par des amis de Camus, dont il est permis de penser qu’ils avaient peu d’empathie pour les partisans de choc de l’Algérie Française. En l’occurrence leur prise de position a du poids et elle eût mérité d’être citée dans un livre sur l’histoire de ce temps.

«Se basant sur des renseignements recueillis auprès de témoins oculaires, la Fédération des Libéraux d’Algérie affirme que ces évènements ont été le fait de quelques dizaines de meneurs, presque ,tous des jeunes gens qui n’ont pas été suivis par l’ensemble de la population. La FLA tient à déclarer solennellement que la masse des Européens qui se trouvaient dans les rues réprouvaient ces agissements, que certains même se sont opposés au lynchage de paisibles passants d’origine musulmane parmi lesquels plusieurs femmes et enfants.»

Jean Monneret

* Dans une 3ème partie nous reviendrons sur le livre de Mme Thénault. Il y sera question du contre-terrorisme et de l’assassin de M. Froger.

___________

Notes

1) Ce que certains appellent «resituer dans le temps long». Excellent principe quand il n’est pas détourné. L’usage immodéré de l’épithète colonial est à déplorer aussi, car, il remplace l’analyse par la volonté de flétrir.
2) Pour I956, désigner comme Algériens les seuls  musulmans est un anachronisme car il revient à leur attribuer une nationalité putative.
3) Voir sa courte biographie sur internet : «J’ai eu de la chance.» www.lattrapp emots.fr
4) Voir pour plus de détails notre ouvrage : Dissidence, Dissonance, Fauve éditions. 2020.
5) Souligné par nous.

 

Froger, 1er nov 1937
L'Écho d'Alger, 1er novembre 1937

 

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jeudi 9 février 2023

Secours de France, au service des oubliés de l'histoire

Secours de France 60 ans

 

Secours de France

au service des oubliés de l'histoire

 

Le Secours de France a été créé en août 1961 pour faire face aux tragédies causées par la fin de l'Algérie française.
Grâce au dévouement sans faille de sa fondatrice Clara Lanzi, ses soutiens et donateurs ont très concrètement aidé des milliers de personnes : familles des militaires emprisonnés ou en fuite, pieds-noirs devant se reconstruire un avenir en métropole, prisonniers pour cause d'activités "subversives" et surtout Harkis rapatriés grâce à leurs officiers, mais parqués en France dans des conditions indignes.

Au fil des années, le Secours de France a adapté ses actions aux exigences complémentaires que les circonstances faisaient apparaître. Ses trois missions actuelles, venir en aide aux oubliés de l'histoire, préparer l'avenir et rétablir la vérité, lui permettent de contribuer, modestement mais efficicacement, à ce qui constitue depuis l'origine le cœur de son engaement : la défense de notre patrie et de la civilisation chrétienne qui l'a façonnée.

C'est parce que ces missions sont jugées d'une évidente actualité par des donateurs qui se sont renouvelés et accrus que, soixante ans après sa création pour répondre à un drame ponctuel de notre histoire, le Secours de France continue d'exister.

Ce livre permettra à ses lecteurs de comprendre pourquoi.

Secours de France 60 ans

Secours de France Roger et Daniel

 

Secours de France
29, rue de Sablonville
92200 - Neuilly-sur-Seine
https://www.secoursdefrance.com/

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mercredi 8 février 2023

le nouvel ouvrage de Guy Pervillé

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Histoire de la mémoire de la guerre

d'Algérie

le nouvel ouvrage de Guy PERVILLÉ

 

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Pervillé Histoire mémoire guerre d'Algérie

 

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- site de Guy Pervillé

 

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mardi 31 janvier 2023

le dernier livre de Sylvie Thénault sur Amédée Froger (Jean Monneret)

Amédée Froger 1955
Amédée Froger, 1955

 

Première Partie

le dernier livre de Sylvie Thénault 

Jean MONNERET 

 

Sylvie Thénault a fait paraître  un nouveau livre (1), fruit d’un gros effort de documentation et d’analyse. Elle veut éclairer un double évènement historique : l’assassinat d’Amédée Froger, Président de la Fédération des Maires d’Algérie et ses obsèques qui furent l’occasion d’une vaste manifestation des Algérois, le 29 décembre 1956.

Plusieurs milliers d’entre eux suivirent, à pied, son cercueil depuis le haut de la rue Michelet jusqu’au cimetière de Saint-Eugène, à l’autre bout de la ville.

Cet enterrement fut malheureusement accompagné de regrettables exactions aveugles contre des passants musulmans, commises par une faible, mais bien nuisible, minorité d’égarés. L’immense majorité du cortège garda une attitude digne et manifesta sa réprobation à cet égard.

L’historienne part de ces journées tragiques pour tracer un portrait à charge d’Amédée Froger. De plus, et sans surprise, elle rattache les exactions commises contre des musulmans à un racisme colonial, imprégnant, selon elle, les mœurs et les institutions de l’Algérie, à l’époque française.

analyses partiales

Malgré le déploiement minutieux de références bibliographiques et documentaires, (elle va jusqu’à étudier l’urbanisme dans l’Algérie de 1956), ses analyses sont à nos yeux, décevantes. Elles semblent partiales et mènent à des conclusions stéréotypées bien entendu conformes à son anticolonialisme revendiqué. Certains chercheurs ne trouvent que ce qu’ils ont envie de trouver.

Dans ce premier article, nous nous bornerons à étudier la méthode de l’auteure. Nous aborderons ultérieurement le contenu central de son livre. 

Née à la fin des années 1960, Sylvie Thénault n’a pas connu la société qu’elle prétend décrire. Certes, l’historien doit souvent étudier un univers et une époque qu’il n’a pas connus ; ceci n’est pas un obstacle à des analyses valables. Il reste néanmoins très difficile de restituer les mentalités voire l’esprit d’un temps révolu.

L’abondance comme la qualité des documents et des témoignages utilisés peut pallier cette difficulté. C’est clairement ce qu’a voulu faire l’auteure. Mais à trop vouloir prouver…

Ainsi notre historienne semble mal interpréter la distinction opérée alors entre les européens et la population indigène d’Algérie couramment appelée les musulmans. De sorte que ces derniers deviennent sous sa plume : les «dits musulmans»

Elle va jusqu’à écrire ceci : «Les huit millions d’Algériens» (sont) officiellement appelés musulmans, dans le but de leur dénier le droit à la nation qu’ils réclament» (2).

Madame Thénault formule là une sienne conception préconçue et préétablie, bien assortie à son anticolonialisme de principe mais que l’on peut tenir pour inexacte (3).

Outre qu’il est plus que discutable d’imaginer qu’en ce temps-là huit millions d’Algériens réclamaient une nation, il est archiconnu que les autochtones algériens n’étaient pas «appelés musulmans ou dits tels» Ils se désignaient ainsi eux-mêmes, non sans fierté parfois.

 

Tribunal du cadi, Ouargla
Ouargla, place du Bureau arabe et Tribunal du cadi

 

contre-sens anachronique

Le laïcisme de l’auteure se conjugue ici à une appréciation contestable de l’état d’esprit de la population autochtone pour produire un parfait contresens. Elle oublie en effet que la majorité des habitants de souche nord-africaine, comme on le disait parfois, avait effectivement un statut juridique découlant du droit coranique.

Ainsi existait-il des tribunaux musulmans, les mahakam, des avoués musulmans, les oukla et des avocats, les bogadawat ou muhamiyin. Les uns et les autres étaient chargés de régler les contentieux et de protéger les biens et les droits des personnes selon les codes et la jurisprudence coraniques. Y voir aujourd’hui une discrimination est un pur non-sens. La masse de la population concernée ne voulait, ni ne pouvait être régie par des principes autres. Le système avait donc pour objectif fondamental de respecter son identité.

Ceci est difficile à comprendre pour certains Français formatés par le jacobinisme centralisateur et uniformisateur. Localement, la nécessité de ce double système paraissait aller de soi. Certes, rétrospectivement, il paraîtra discutable aux partisans de la République une et indivisible. Ceci appelle deux remarques :

Premièrement, le régime républicain ne fut vraiment instauré en Algérie qu’à partir de 1870 (4). Le statut de droit local musulman fut donc un héritage des régimes monarchiques précédents et de l’Empire, lesquels ne voyaient nullement en les musulmans des citoyens français potentiels. On sait même que Napoléon III nourrit longtemps un projet de Royaume Arabe.

Deuxièmement et surtout, la IIIe République et ses chefs les plus prestigieux, Jules Ferry, Gambetta, Jules Cambon, Jules Favre, Adolphe Crémieux, Jules Simon, Ernest Picard, Herriot plus tard et tant d’autres s’accommodèrent parfaitement de ce système.

Toutes ces grandes pointures républicaines ne s’y opposèrent pas. À eux comme à d’autres, l’accession de la masse musulmane à la pleine citoyenneté paraissait devoir être le fruit d’une longue évolution. Qui leur fera un procès en manque de républicanisme ? Qui les chargera de racisme et de discrimination ?

Encore faut-il rappeler qu’après la Grande Guerre, d’importantes réformes furent accomplies en matière de citoyenneté musulmane. Clémenceau et Georges Leygues rendirent possible, par une loi de 1919, l’accession de certains musulmans à la pleine citoyenneté française.

En sorte que malgré l’échec du projet Blum-Viollette en 1937 mais grâce à l’ordonnance de 1944 et même, en partie, grâce au Statut de 1947, l’Algérie de 1956 comptait un nombre non négligeable de musulmans jouissant, par décret mais aussi par choix personnel, de la pleine citoyenneté. Ils n’étaient pas régis par le droit coranique mais par le strict droit commun français.

L’ironie de l’Histoire est que plusieurs chefs indépendantistes eux-mêmes, entraient dans cette catégorie. Personne n’en parle bien entendu.

Aujourd’hui, avec le recul, on peut estimer que de solides réformes eussent été nécessaires que cette société a trop tardé à réaliser, quand elle ne les a pas repoussées.

Cette erreur a été payée au prix fort. Par des gens qui n’en étaient pas responsables.

Il est bien sûr facile à présent de crier à la discrimination et de dénoncer un «racisme institutionnel». Mais cela reste, historiquement parlant, très hasardeux et mériterait, au minimum, de sérieuses nuances. 

une société incomprise par Sylvie Thénault

D’autres considérations, égrenées tout au long du livre appellent des réfutations. Madame Thénault comprend mal cette société qu’elle ramène constamment à ses vues réductrices et à son anticolonialisme assumé.

Prenons un exemple. Page 35, elle évoque divers témoignages archivés relatifs au meurtre d’Amédée Froger. Voici ce qu’elle écrit : «Dans cette Algérie où la possession des armes semble banale (chez les Européens), un jeune contrôleur des Contributions se saisit du pistolet automatique qu’il doit porter constamment en raison de ses "fonctions»". On notera les guillemets à ce dernier mot. De toute évidence, Sylvie Thénault ne comprend pas qu’un contrôleur, exerçant ce métier, porte une arme.

Peut-être croit-elle que dans l’Algérie d’alors ces fonctionnaires exigeaient taxes et impôts l’arme au poing. D’autres penseront plus généralement que les Pieds-Noirs sont armés pour soumettre les Algériens musulmans à leur domination. Certes l’historienne n’écrit pas cela mais ses remarques à la volée peuvent avoir cette portée.

Elle oublie simplement qu’en décembre 1956, beaucoup de Pieds-Noirs sont armés car, le 20 juin précédant, le FLN a ordonné à ses commandos dans la capitale d’abattre tout européen entre 18 et 54 ans. Chaque Pied-Noir sait donc qu’il est une cible. Tous n’ont pas l’intention de se laisser tuer.

D’où viennent ces armes plus ou moins abondantes ? Elles sont un résidu de la Seconde Guerre mondiale. La génération de nos pères a été surmobilisée à partir de 1942 (5) pour débarquer en Europe et y écraser le national-socialisme et le fascisme. En 1956, presque tous les hommes de cette génération sont des anciens combattants. Beaucoup ont gardé des armes et elles circulent. L’auteure semble tout ignorer de cela.

D’autres points caractéristiques appellent des réserves.

Madame Thénault dresse d’Amédée Froger un portrait sans aménité, peu surprenant de sa part.

Froger, 1937
L'Écho d'Alger, 25 septembre 1937

un portrait d'Amédée Froger

Dans sa jeunesse, il fut dreyfusard. Il n’a pas été vichyste. Attentiste au début tout au plus, il s’est opposé ensuite à Darlan. Ceci ne l’empêche pas d’être sévèrement épinglé, pour tout ce qui concerne Boufarik et la Fédération des Maires d’Algérie.

Encore une chose que l’auteure ne cherche guère à comprendre. Les hommes de ce temps croyaient à la France et à l’Empire. Pour eux, sans l’Empire, la France serait devenue une puissance moyenne voire très moyenne. Aujourd’hui ceci paraît dépassé. Encore que...

Froger était de ceux qui voyaient en l’Empire français un moyen de résister à la domination germanique. Pour cela, à leur niveau, ils agissaient, au jour le jour, pour que la Patrie conserve ses avantages et son influence en Algérie, en Afrique et ailleurs.

Il est donc Radical comme nombre de ses contemporains. Sans être franc-maçon précise sa famille (6). Chose inhabituelle dans le milieu politique algérien où les attaches maçonniques étaient plus que courantes.

Entré en politique dès 1925, Froger est perçu comme un «ancien». Il est respecté, une haute personnalité qui a reçu le Président de la République en 1930, Vincent Auriol plus tard, De Gaulle à l’époque du RPF et Mitterrand en 1954 .

Madame Thénault détaille avec une relative objectivité ses activités, qui ne sont pas toutes politiques, et, s’étendent largement au champ économique et social.

Maire de Boufarik, Froger et sa municipalité célèbrent le «génie colonisteur» français à propos du défrichement de la Mitidja et de l’assèchement des marécages putrides qui en faisaient un lieu dangereusement insalubre. Un vaste monument de 45m de long exalte cet exploit.

Naturellement, ceci n’impressionne pas du tout notre historienne qui écrit que «la réussite agricole coloniale est entachée d’illégitimité par la spoliation originelle» (7).

Elle conteste en outre à Froger le droit d’être appelé Président des Maires d’Algérie. Il ne l’était en effet qu’à tour de rôle ; la centralisation algéroise jouant en sa faveur. Il n’y a pas là de quoi fouetter un chat mais l’auteure tient ce point pour important. Elle juge que Froger était l’objet d’un culte de la personnalité à bas bruit. Il est servi par une stratégie de communication bien organisée par ses soins. «Méthodiquement», précise-t-elle.

Assez curieusement, elle pense en trouver la preuve dans un fait précis mais qui paraît pourtant fort mince. Pensez donc : un témoin algérien de cette époque, interrogé en 2015 à une émission de la radio algérienne, parle de Froger comme du Président de la Fédération des Maires d’Algérie. En français ! Alors qu’il est arabophone ! Ça alors ! Que voilà un argument solide !

J’ignore quelle connaissance a Mme Thénault de l’arabe dialectal algérien, la Darja Dziria (8) mais chacun sait qu’il regorge de mots et d’expressions françaises parfois déformées.

(Dans un second article nous reviendrons sur le meurtre d’Amédée Froger).

Jean Monneret

assassin du président Froger

 

1 - Cet ouvrage porte un titre affligeant : Les Ratonnades d’Alger, 1956 (éd du Seuil, février 2022). Personnellement, je me refuse à utiliser ce terme ignoble désignant des actes ignobles. Je ne contribuerai pas à le populariser et j’invite tout un chacun à en faire autant.
2 - Op. cit., p. 30
3 - On ne comprend pas la guerre d’Algérie si l’on imagine l’ensemble du peuple algérien derrière les indépendantistes.
4 - Si l’on excepte la brève parenthèse de 1848.
5 - 170 000 européens d’Algérie et du Maroc ont combattu aux côtés des Alliés. Pourcentage considérable pour une population d’environ 1 500 000 personnes.
6 - Émilie Chartier, Mémoire de Maîtrise à Paris IV Sorbonne, dir. Jacques Frémeaux.
7 - Op. cit. p. 60. Il y aurait beaucoup à dire sur ce raccourci.
8Et oui, de nos jours encore, un train se dit chmindifir et pas forcément qitar, une gare langar et pas mahatta, un hôpital sbitar et pas mustaschfa. Aujourd’hui encore encore, on entendra semana pour semaine conjointement avec usbu’, ou familia  concurremment avec ayla. On pourrait multiplier les exemples.
  

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jeudi 5 janvier 2023

Musulmans d'Algérie et Français : leurs droits - Jean Monneret

Pascal Praud et Algériens

 

Musulmans d'Algérie et Français : leurs droits

Jean MONNERET

 

L"émission de Pascal Praud est intéressante et je la regarde souvent. Toutefois, il m'a énervé hier soir [mercredi 4 janvier] en affirmant, pour la énième fois, qu'en Algérie française les Algériens n'avaient pas les mêmes droits que les Français. Cette formule mériterait plus que des nuances mais baste... J'ai envoyé à l'intéressé ce petit SMS dont j'ignore même s'il lui parviendra.
Jean Monneret.
Cher Monsieur,
Je vous ai entendu maintes fois sur CNews dire qu'en Algérie Française les Musulmans n'avaient pas les mêmes droits que les Français. Ceci est vrai et faux à la fois.
Permettez-moi une précision : dans le groupe des gens disposant de la pleine citoyenneté française, il y avait de très nombreux Musulmans. Tel était, par exemple, le cas de Ferhat Abbas et de plusieurs dirigeants indépendantistes.

Les Musulmans n'ayant pas la pleine citoyenneté française disposaient d'un statut de droit local, en fait de droit coranique. Ils pouvaient très simplement accéder à la pleine citoyenneté en la demandant au greffe d'un tribunal proche.
La majorité d'entre eux ne le fit pas. Par attachement au droit coranique et à l'Islam pour les uns, par crainte des représailles des partis nationalistes pour les autres.
Telle est la vérité. Elle vous laissera peut-être sceptique. Elle n'en est pas moins exacte et d'ailleurs, facilement vérifiable.

Meilleures salutations,
Jean Monneret, Historien

  

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mardi 5 juillet 2022

Jean Monneret : allocution du 5 juillet 2022 au Quai Branly

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Jean Monneret au micro, le 5 juillet 2022

 

Jean Monneret :

allocution du 5 juillet 2022 au Quai Branly

 

Réunis ici en ce jour de deuil pour rappeler les victimes du massacre du 5 juillet 1962 à Oran et toutes celles du conflit algérien, je me permets de souligner quelques faits qui illustrent les progrès accomplis, nos progrès.

1°) Nous avons eu beaucoup de difficultés initialement à faire simplement reconnaître ces drames et nos victimes. Le contexte était très défavorable. La vision anticoloniale la plus sommaire commençait à se généraliser et les victimes de cette guerre dite de «libération» par certains, mais qui était pour nous une guerre civile, n’étaient tout simplement pas censées exister.

Si cette situation aujourd’hui a changé, c’est parce que nous avons mené pour cela une lutte inflexible et pendant 60 ans.

2°) L’aide reçue dans ce combat vint pour l’essentiel, et c’est dans l’ordre des choses, des familles des proches de personnes victimes du terrorisme du FLN, des personne enlevées et de personnes toujours portées disparues.

Nous avons également reçu l’aide de personnalités parlementaires et politiques Très parcimonieusement au début, puis plus nettement au fil des ans, localement d’abord puis nationalement ensuite. Nous les remercions toutes, à tout niveau.

Des militaires ont été sensibles à nos épreuves ce qui est également dans l’ordre des choses. On nous permettra de distinguer parmi eux, nos amis, les généraux Maurice Faivre et François Meyer récemment décédés. Tous deux, jadis, s’efforcèrent de sauver leurs compagnons d’armes harkis. Ils ont ainsi à leur échelle, avec leurs moyens, contribué à sauver l’honneur militaire et national. Nous ne les oublierons jamais.

3°) D’entrée, il est apparu que notre combat avait besoin du soutien d’historiens. Là aussi les débuts furent difficiles puis, en trois décennies, le cercle de nos amis parmi eux s’est élargi. Ceci fut capital. Certains sont des universitaires prestigieux et ils sont toujours avec nous aujourd’hui, à l’exception hélas, de Daniel Lefeuvre et de Jean-François Mattei dont le souvenir ne nous quitte pas.

4°) Pour finir comment ne pas formuler une crainte : depuis quelques années, l’idéologie dite Woke, largement importée des États-Unis, menace de submerger nos universités et les milieux intellectuels.

Nous ne pourrions que regretter que la discipline Histoire soit «déconstruite» pour alimenter de douteuses démarches politiciennes.

L’Histoire nous a toujours enseigné que pour étudier une période, il faut comprendre avant de juger. Ceux dont je parle jugent, ils ont déjà jugé, bien avant de comprendre quoique ce soit à la période coloniale.

Nous sommes bien placés nous, pour savoir que ces méthodes totalitaires conduisent à une vue hémiplégique des choses, ne tenant compte pour ce qui est du conflit algérien que d’une catégorie de victimes, celles causées par l’Armée française dans le camp indépendantiste.

Nous savons bien nous, qu’il y eut des victimes dans tous les camps et dans toutes les communautés.

C’est pourquoi nous continuerons à le dire. Aussi longtemps que la liberté de pensée, de tout temps chérie par le peuple français, existera.

Merci de votre attention.

Jean MONNERET 

 

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mardi 22 février 2022

Oran, 2 mars 1962 : une véritable crise de folie meurtrière

Oran massacre 2 mars 1962
les enfants Ortega et leur mère massacrés sauvagement le 2 mars 1962

 

Oran, 2 mars 1962

une véritable crise de folie meurtrière

 

Oran, 2 mars. - La tension restait vive vendredi matin à Mers-El-Kébir, où l'agitation a repris dans le centre européen vers 9 heures. À 9 h. 30 des coups de feu ont été entendus, et l'on apprenait que, selon l'A.F.P., cinq musulmans avaient été tués et des magasins saccagés. Une demi-heure plus tard, à 10 heures, le couvre-feu était décrété sur l'ensemble de la commune de Mers-El-Kébir.

La grève générale a été déclenchée dans toute la ville, par solidarité avec les ouvriers des arsenaux de la Direction des constructions et armes navales, après le massacre par des musulmans jeudi, dans des conditions particulièrement atroces, d'une mère de famille européenne, Mme Rosette Ortega, âgée de trente ans, et de ses deux petits enfants.

Les émeutiers, conduits par des meneurs F.L.N., ont assassiné Mme Ortega à coups de hache et de barres de fer, après avoir fracassé le crâne des deux enfants contre les murs. Puis ils ont saccagé et pillé la modeste demeure.

La réaction des Européens a été immédiate, et au faubourg Saint-André-de-Kébir des magasins appartenant à des musulmans ont été incendiés.

L'intervention des fusiliers marins de la base navale et d'un escadron de gendarmerie mobile a empêché la foule déchaînée de se ruer à travers le port de pêche. Un bébé musulman de trois mois a été brûlé vif jeudi soir dans son berceau, des Européens ayant incendié un appartement qu'ils croyaient vide.

Le Monde
par LÉO PALACIO
  publié le 03 mars 1962 à 00h00

 

Oran, 2 mars (U.P.I.,A.F.P.). - C'est vers 11 h. 40, jeudi, que des groupes de musulmans ont fait irruption dans la conciergerie du stade de la Marsa, à Mers-El-Kébir (7 kilomètres à l'ouest d'Oran), tout près de la base militaire.

Au cours d'une véritable crise de folie meurtrière collective, ces hommes ont tué sauvagement la gardienne, une jeune Européenne de trente ans, Mme Rosette Ortega, et ses deux enfants, André, quatre ans, et Sylvette, cinq ans.

La jeune femme fut massacrée à coups de hache, tandis que, dans un réflexe de mère affolée, elle tentait de s'interposer entre les musulmans déchaînés et son petit garçon. Puis les déments brisèrent le crâne du petit André contre un mur.

Alors qu'ils allaient partir, leur forfait accompli, ils aperçurent la petite fille qui rentrait du jardin, des fleurs dans les bras. Aussitôt, l'un des hommes la saisit par les pieds et lui écrasa la tête contre la muraille.

Quand M. Jean Ortega, employé à la direction des constructions navales, rentra chez lui, les corps des malheureuses victimes baignaient dans des mares de sang : Mme Ortega gisait les bras en croix, à l'entrée de son appartement, le petit garçon à côté d'elle. Dans la cour, tenant dans sa main crispée des géraniums, gisait le corps de la petite fille.

Des jeunes gens vêtus de blousons noirs.

La nouvelle de l'assassinat s'est répandue rapidement en ville, déchaînant la colère des Européens. Des jeunes gens, vêtus de blousons noirs et armés de bâtons, se sont répandus dans les ruelles étroites des quartiers musulmans, criant des slogans activistes.

Prévenus par les passants, des éléments des forces de l'ordre arrivèrent sur les lieux et ouvrirent le feu sur les assassins qui tentaient de fuir en direction du douar qui surplombe le stade. Trois d'entre eux furent abattus.

Les fusiliers marins du commando Jobert et des gendarmes mobiles participèrent à une opération de contrôle dans le village musulman et dans les douars des environs de Mers-El-Kébir.

Quatre fuyards musulmans ont été tués dans des conditions mal précisées. Des blessés ont été trouvés dans des maisons musulmanes.

 

Oran massacre 2 mars 1962

 

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mercredi 8 décembre 2021

la mort d'Omar Carlier (1944-2021)

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la mort d'Omar Carlier

(1944-2021)

 

L'historien, professeur honoraire à Paris VII, et spécialiste en science politique, Omar Carlier est mort le 22 octobre 2021. Je suis triste. C'est une perte pour le savoir sur l'Algérie coloniale. C'est une perte humaine car Omar Carlier était d'un abord facile, attentif et pertinent conseiller.

Sa disparition me touche personnellement car à la fin des années 1990 quand j'ai envisagé de m'inscrire en thèse de doctorat et que j'étais étudiant à la Sorbonne, je suis allé voir les professeurs responsables de ce domaine de la recherche, à commencer par Daniel Rivet.

Celui-ci, plutôt mobilisé sur le Maroc, m'avait dit : "c'est Omar Carlier qu'il faut rencontrer sur ce type de sujet". J'ai donc discuté avec lui et me suis aperçu de sa connaissance profonde du tissu religieux dans l'Algérie coloniale et contemporaine.

À l’époque où Omar Carlier commence ses investigations, les analyses les plus courantes, sur l’Algérie, privilégient les notions de rupture, de coupure, de retour dans l’ordre politique et mental : rupture avec l’étatisme, coupure entre camp laïque/occidental et camp islamiste/musulman, retour du religieux et de l’identitaire…

Omar Carlier installe ces notions en amont de l’histoire algérienne tout à fait contemporaine (1954-1962). Il les identifie dès la première moitié du XXe siècle. Et les repère dans l’ordre social et anthropologique en insistant particulièrement sur les continuités reformulées, réinvesties, reconfigurées dans une évolution pluri-décennales. Ces valeurs politico-religieuses procèdent, selon lui, de ce qu’il appelle le «vieux modèle de parité entre les frères» ou encore le «vieil idéal maghrébin d’égalité et de justice».

Omar Carlier était contemporain de la guerre d'Algérie et de la décolonisation qu iont produit de nombreux de philo-musulmans (ou d'islamophiles sans dogmatisme), persuadés que les nouveaux peuples en libération libéreraient en même temps le vieux monde de ses tares mutiples.

Omar Carlier se prénommait, à l'origine, Jean-Louis. Il a épousé Rahmouna. Et a eu trois enfants avec elle : Soraya, Yacine et Mehdi. Ces derniers, avec leurs conjoints, ont donné naissance aux petits-enfants d'Omar Carlier : Louise, Léna, Axel et Pauline. Nous nous associons à leur peine.

Michel Renard

 

Omar Carlier, visage
Omar Carlier

 

 

lettre d'Omar Carlier, 15 octobre 1998

Cher Michel Renard,

Je suis content d'avoir des nouvelles. Pour être franc, je me demandais si vous n'aviez pas été submergé par le cumul des tâches (enseignement, la revue [Islam de France] ; je sais d'expérience à quel point pont c'est lourd, et avec ça, encore un peu de vie personnelle !).

Il n'en est rien. Bravo ! Apparemment la pêche a été bonne. Ce dont je ne doutais pas vu des ipressions et réminiscences des dossiers, rapports, cotes, etc. consultés toutes ces années à Aix... même si votre sujet se rapporte à l'islam de France.

Pour les dérogations, cela devrait aller me semble-t-il, à condition d'aller pas à pas, par petits lots. Les récipendaires n'aiment pas qu'on demande des dérogations par grands listings.

Pour le reste, Mme Durand-Évrard [alors directrice des Anom à Aix] est une dame très bien, très ouverte. J'ai avec elle les meilleurs relations. Elle me connaît, ça peut aider, si je peux aider ! Surtout sur un sujet comme le vôtre, par principe considéré comme "sensible" !

Bon courage. À bientôt 

je vous envoie le papier après-demain quand le passerai au bureau.

Omar Carlier

Omar Carlier lettre 15 oct 1998

 

 

Carlier couv livre 1

 

* un séminaire d'Omar Carlier en 2007 : lire iici

* publications d'Omar Carlier (Cairn.info) : lire ici

 

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