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études-coloniales
14 décembre 2017

Gilbert Meynier est mort

L'Algérie révélée 1981 couv

 

 

 

Gilbert Meynier est mort

un maître de l'historiographie coloniale

 

 

Capture d’écran 2017-12-15 à 18
Gilbert Meynier, 1942-2017

 

L'historien de l'Algérie coloniale, puis de l'Algérie "des origines", est mort le mercredi 13 décembre 2017 à Lyon, à l'âge de soixante-quinze ans. Gilbert Meynier a marqué l'historiographie par sa thèse d'État (L'Algérie révélée : la guerre de 1914-1918 et le premier quart du XXe siècle), soutenue en 1979 : un apport majeur à la connaissance comme on n'en produit plus aujourd'hui ; et par ses investigations, longues et rigoureuses, sur l'histoire du FLN algérien.

Sympathisant de la cause anti-coloniale, son œuvre universitaire et savante n'est marquée par aucun préjugé doctrinaire ni par aucune concession aux différentes mémoires concurrentielles.

Il a, certes, qualifié les harkis de "mercenaires" mais a refusé pour eux le terme de "collaborateurs" (source). Il a certes eu recours à un anachronisme sémantique en nommant Algériens les habitants qu'on appelait alors Arabes ou Kabyles ou indigènes ou musulmans et en refusant le vocable aux Européens d'Algérie qui se désignaient pourtant ainsi ; mais c'est qu'il a choisi une dynamique historique, celle du mouvement des Jeunes-Algériens qui, dans la décennie qui précède la Première Guerre mondiale, pose les jalons initiateurs qu'empruntèrent les partisans de la sécession d'avec la France. Comme le dit Pierre Vidal-Naquet, dans sa préface à L'Algérie révélée : "la valeur nationale du mot algérien triompha".

Gilbert Meynier a été un historien sans concession à l'égard de la réalité coloniale. Mais il a refusé les divagations des anti-colonialistes post-coloniaux et autres indigénistes ou racialistes en écartant les discours délirants du régime algérien ou d'un politologue exalté tel Olivier Le Cour Grandmaison. Ainsi, il a écrit avec Claude Liauzu, en 2005 : "Il est faux d'affirmer que la colonisation a été un génocide ou une extermination" (lien). Et avec Pierre Vidal-Naquet, il a descendu en flammes le livre de Le Cour Grandmaison (2006) : "Coloniser, exterminer : de vérités bonnes à dire à l'art de la simplification idéologique" (lien).

 

Itinéraire

Gilbert Meynier est né à Lyon, le 21 mai 1942. Son père était instituteur. Il effectue toute sa scolarité dans cette capitale régionale.

À l'université, il devient responsabe de l'Unef. Et rencontre Pierre Vidal-Naquet : "Pierre Vidal-Naquet était pour moi un emblème respecté lorsque, à 22 ans, je fis sa connaissance à la rentrée 1964, alors qu’il venait d’être nommé maître-assistant d’histoire grecque à l’université de Lyon. À moi, chez qui les enseignants que j’avais jusque alors connus n’avaient pas réussi à susciter de vif intérêt pour cette matière, il la fit vraiment découvrir en en présentant un visage pour moi inaccoutumé — je venais de terminer mon diplôme d’études supérieures (aujourd’hui la maîtrise) en histoire médiévale et je préparais l’agrégation. Je me souviens en particulier d’une brillante synthèse de notre nouveau professeur sur le roi hellénistique — la période hellénistique était alors l’une des questions d’histoire ancienne au programme." (Confluences Méditerranée, 24 août 2006, en ligne).

Son premier contact avec l'Algérie date de l'été 1963 "lors d'un chantier d'alphabétisation à Oued Ouchaya (Hussein Dey), [il] y retourne l'été suivant, comme enseignant dans un «chantier culturel» à Ben-Aknoun" (Catherine Simon, Algérie, les années pieds-rouges, 2009).

En 1965-1966, Gilbert Meynier enseigne au lycée d'Ussel (Corrèze). En 1966, il est reçu à l'agrégation d'histoire, et affecté au lycée Alain-Fournier à Bourges (Cher) pour l'année scolaire 1966-1967.

ORAN 2009 JUILLET LYCEE PASTEUR EX LAMORICIERE
lycée Pasteur à Oran (photo de 2009)

En 1967, "il obtient un poste de professeur au lycée Pasteur à Oran, où il enseigne l'histoire-géographie. Il est ensuite coopérant, maître-assistant d'histoire contemporaine à l'université de Constantine, de 1968 à 1970." (Catherine Simon, op. cit.).

À la même date (1967), il renonce à sa thèse d'histoire médiévale et s'inscrit, sous la direction d'André Noushi, pour une thèse sur l'Algérie et la guerre de 1914-1918.

Il exerce encore une année dans le secondaire, au lycée Georges Clemenceau à Reims, en 1970-1971.

Sa carrière universitaire se déroule à l'université de Nancy-2, de 1971 à 2002, d'abord maître-assistant puis professeur à partir de 1984. Le 9 juin 1979, il soutient sa thèse à l'université de Nice.

Maître de son savoir, il n'a pas l'orgueil de refuser celui des autres. C'est avec Ahmed Koulakssis qu'il écrit un livre sur l'émir Khaled (1987). C'est avec Mohammed Harbi qu'il publie Le FLN, documents et histoire (2004).

Gilbert Meynier a habité à Malzeville, commune limitrophe de Nancy, puis à Villeurbanne et enfin à Lyon. Marié à Pierrette Arnaud (décédée le 1er novembre de cette année), ancienne professeure au lycée Hihi-El-Mekki de Constantine, il a trois enfants : Hélène (1967), Pierre-Antoine (1968) et Jean-Luc (1973).

Meynier Voix d'Algérie

 

Pierrette Meynier
Pierrette Meynier

 

 

repères autobiographiques

Gilbert Meynier a évoqué quelques étapes de sa vie lors d'un entretien avec l'écrivain algérien Kaddour M'Hamsadji, en mars 2005. (source)

  • J'ai fait mes études d'histoire à l'université de Lyon, où l'un de mes maîtres, en histoire grecque, fut Pierre Vidal-Naquet, le célèbre dénonciateur de la torture colonialiste, l'auteur de L'Affaire Audin, et la cheville ouvrière du Comité Maurice Audin. J'ai été très jeune un militant anticolonialiste – de sympathie originelle libertaire. J'ai notamment milité à l'Unef à Lyon.
    Aux étés 1963 et 1964, j'ai participé aux chantiers culturels à Alger. J'ai fait durant tout un été des cours d'alphabétisation (en français) au bidonville d'Oued Ouchaïh. Il m'est alors apparu qu'alphabétiser des humains dans une langue qui n'était pas la leur était un défi au bon sens.
    À l'origine, jeune chercheur, je m'étais orienté vers l'histoire socio-économique de la région lyonnaise au Bas Moyen-Age. Je lisais alors les chartes en latin médiéval aussi couramment qu'aujourd'hui je lis le journal.
    Mais mon intérêt pour l'Algérie a été le plus fort : j'ai abandonné en 1967 la thèse de doctorat que j'avais entreprise en histoire médiévale.
    L'année suivante, je me suis inscrit en doctorat d'État avec André Nouschi pour traiter un sujet d'histoire algérienne : l'Algérie et la guerre de 1914-1918. Le résultat en est paru, sous une forme abrégée de 792 pages, sous le titre L'Algérie révélée (Genève, Droz, 1981).
    Je suis resté trois ans enseignant en Algérie, un an enseignant de lycée à Oran (1967-1968), deux ans enseignant à la jeune université de Constantine (1968-1970).
    Si j'ai pu lire certains documents en arabe, c'est que j'ai entrepris l'apprentissage de cette langue dès 1967 avec un ami algérien qui a commencé à m'y initier.
    J'ai suivi ensuite un été de cours intensifs à Bourguiba School, à Tunis (1970). Je l'ai ensuite étudiée à l'université de Nancy-2, où j'ai enseigné de 1971 à 2002, et dont je suis professeur émérite. J'ai passé un semestre sabbatique au Caire en 1988.
    Ceci dit, je ne suis pas un vrai arabisant : depuis mon séjour au Caire, j'ai perdu la pratique, je m'exprime de manière hésitante, en cherchant mes mots. J'arrive à mener à bien la lecture de livres d'histoire et de documents en arabe, mais toujours avec un dictionnaire à portée de main.

 

Meynier avec livre

 

 

la thèse de Gilbert Meynier

 

Denise Bouche

Cr thèse Meynier par Denise Bouche (1)

Cr thèse Meynier par Denise Bouche (2)

Cr thèse Meynier par Denise Bouche (3)

Cr thèse Meynier par Denise Bouche (4)

  • Compte rendu de Denise Bouche, Revue d'histoire moderne et contemporaine, 1984, n° 31-2, p. 357-360.

 

 

Xavier Yacono

thèse Meynier cr Yacono (1)

thèse Meynier cr Yacono (2)

thèse Meynier cr Yacono (3)

thèse Meynier cr Yacono (4)

  •  Compte rendu de Xavier Yacono, Revue historique, juillet 1982, n° 7, p. 266-268.

 

Guy Pervillé

Ce compte-rendu de la thèse de Gilbert Meynier, L’Algérie révélée. La guerre de 1914-1918 et le premier quart du XXème siècle, préface de Pierre Vidal-Naquet, Genève, Librairie Droz, 1981, XIX - 793 pages, a été publié dans Annales Économie - Sociétés - Civilisations n° 4, juillet-août 1982, pp. 839-841.

La thèse de Gilbert Meynier, soutenue à l’Université de Nice le 9 juin 1979, nous est présentée par les Éditions Droz sous une forme allégée de ses notes, mais encore massive : près de 800 pages d’une typographie très dense. Ce travail considérable recoupe la dernière partie de la thèse de Charles-Robert Ageron (1), mais il ne fait pas double emploi avec elle. Non seulement parce que son auteur a poussé plus loin l’enquête, ajoutant aux archives utilisées par son devancier d’autres que celui-ci n’avait pu consulter, ainsi que des sources en arabe et des interviews systématiques de survivants. Mais surtout parce qu’il nous propose une interprétation sensiblement différente de faits qui restent, dans l’ensemble, hors de cause.

Les deux spécialistes semblent d’accord sur l’idée que la guerre de 1914-1918 a accéléré l’évolution de l’Algérie musulmane vers sa prise de conscience nationale, mais ils apprécient différemment la rapidité de cette évolution. Pour Charles-Robert Ageron, la guerre donne le coup de grâce au vieux «nationalisme musulman», et le mouvement national algérien proprement dit se forme progressivement à partir de 1919. Pour Gilbert Meynier, au contraire, la prise de conscience esquissée dès avant 1914 est achevée pour l’essentiel en 1919. L’Algérie sort de la guerre «révélée» à elle-même.

Ayant milité contre la guerre coloniale dès 1957 (à l’âge de quinze ans), puis découvert l’Algérie comme moniteur d’alphabétisation après l’indépendance, enfin comme coopérant à l’Université de Constantine, l’auteur sympathise visiblement avec la cause algérienne. Historien d’inspiration marxiste, il analyse avec une maîtrise enviable l’infrastructure économique de l’«impérialisme» colonial français, ainsi que les rapports de classes qui opposent les deux sociétés française et algérienne, et qui divisent chacune d’entre elles. À ses yeux, le colonialisme ou l’impérialisme colonial est un système d’exploitation et de domination (même s’il corrige le schéma léniniste pour tenir compte des réalités particulières de l’impérialisme français et de son cas algérien).

Puisque le colonialisme est un système, la bourgeoisie coloniale est par destination la «fondée de pouvoirs» de la bourgeoisie métropolitaine, et ses velléités d’autonomie, sans être négligeables, ne doivent pas être exagérées. C’est pourquoi les clivages politiques entre «colonialistes» et «libéraux» ne correspondent pas à l’opposition colons / métropolitains, à laquelle Charles-Robert Ageron semble tenté de l’identifier.

Comme Xavier Yacono, Gilbert Meynier admet donc l’existence d’une minorité de libéraux «algériens», mais il relativise ce libéralisme en le situant dans le cadre incontesté du projet colonial. Pour cette raison, il ne croit pas qu’il y ait eu d’«occasion perdue», en 1919 ni plus tard : le libéralisme ne pouvait aller jusqu’au bout de ses réformes sans mettre en danger le projet colonial et ouvrir la voie au nationalisme.

Celui-ci est évidemment la seule réponse adéquate au colonialisme, et l’indépendance, le seul remède efficace. C’est pourquoi l’auteur réserve dès les premières lignes le nom d’Algériens, suivant sa définition légale d’après l’indépendance, à la population «indigène» ou «musulmane», et appelle les colons Européens, ou «Algériens» entre guillemets, pour citer leur propre discours. Parmi les vrais Algériens, il distingue des «collaborateurs» et des «résistants», voire des «vichystes» et des «gaullistes» ; le «loyalisme» n’est mentionné qu’entre des guillemets ironiques, et assimilé, soit à l’attentisme, soit à un calcul intéressé.

Anachronismes ou simples anticipations ? L’auteur reconnaît que le terme Algériens ne s’impose vraiment qu’entre les deux guerres mondiales, mais il se justifie en montrant tous les signes de l’émergence progressive d’une conscience nationale de type moderne, se dégageant du vieux «nationalisme musulman» à travers l’échec du djihad prêché par le Sultan-Khalife, puis l’éclatement et la défaite de l’Empire ottoman. Ce nationalisme algérien se manifeste dès avant 1914 dans le mouvement Jeune Algérien, pendant la guerre par l’action d’émigrés maghrébins à Berlin, à Constantinople et en Suisse, et dès 1919, par celle du capitaine Khaled, petit-fils de l’émir Abdelkader, à Alger et à Paris.

La récente découverte par Claude Paillat à Washington du texte de la pétition adressée par l’«émir» Khaled au président Wilson en mai 1919, pour lui demander l’autodétermination de l’Algérie sous l’égide de la SDN (2) permet à Gilbert Meynier de marquer un point très important. Mais le fait que l’émir Khaled ait camouflé ses sentiments nationalistes sous le discours assimilationniste ou intégrationniste des Jeunes Algériens permet-il de conclure que tous ou la plupart d’entre eux dissimulaient dès avant 1914 leurs buts véritables ?

Tout en rejetant les affirmations excessives du «complot panislamiste», cher au colonialiste André Servier et de la dissimulation consciente, admise par l’historien arabe Belkacem Saadallah, Gilbert Meynier reconnaît avec le premier la «réalité nationalitaire du mouvement Jeune Algérien», et avec le second, que « ’élite crée une nouvelle conscience nationale et de nouveaux modes d’opposition» (page 226). Mais ses arguments ne nous semblent pas entièrement convaincants.

Même si la revendication avant tout égalitaire des Jeunes Algériens et la réaction coloniale devaient nécessairement les entraîner vers le nationalisme, cela ne prouve pas qu’ils étaient d’emblée conscients de cette nécessité. Le nationalisme «latent», ou plutôt virtuel n’excluait pas un désir sincère de s’assimiler ou de s’intégrer à la France, comme le montre l’exemple postérieur de Ferhat Abbas (De la colonie vers la province, 1931 ; La France, c’est moi ! 1936).

Et ce désir était bien réel chez les intellectuels formés par l’enseignement supérieur français, même s’il était contrarié, chez la plupart d’entre eux, par le souci de ne pas se couper de leur communauté naturelle. C’est pourquoi le mouvement Jeune Algérien, à notre avis, ne peut être considéré dans son ensemble comme le précurseur du nationalisme algérien. Ou bien comment expliquer que les intellectuels francisés aient pu jusqu’en 1936 nier l’existence de la nation algérienne et du nationalisme algérien ? Et que les véritables nationalistes n’aient cessé, jusqu’en 1954 au moins, de tirer à boulets rouges sur l’élite acculturée et embourgeoisée, accusée de trahir les aspirations de son peuple ?

Quant à ce peuple, on admettra volontiers que ses traditions et l’oppression coloniale le prédisposaient au sentiment national algérien (qui risquait pourtant de se perdre dans l’universalité de l’Oumma ou de se fragmenter dans les multiples particularismes ethniques, tribaux et locaux). L’influence de la guerre, avec la contrainte du recrutement forcé des soldats et des travailleurs et leur déracinement temporaire, semble devoir évidemment peser dans le même sens. Mais en fait, la thèse montre bien que le peuple algérien n’a guère bougé (sauf deux révoltes contre le recrutement, en 1914 et en 1916-1917, la seconde peut-être inspirée par l’exemple des Tripolitains et les appels des Turcs), et que la France a réussi à en tirer bon gré mal gré les hommes dont elle avait besoin. Derrière le «loyalisme» affecté par les notables, l’attentisme domine ; mais en dehors des chanteurs et des poètes frondeurs, les «résistants» actifs ne sont qu’une infime minorité.

De plus, l’expérience des quelque 300.000 Algériens déracinés ne fut pas uniformément défavorable à la cause française ; elle a pu dans certains cas renforcer le mythe séduisant de la « vraie France » opposée au colonialisme «algérien». L’auteur est obligé de reconnaître que l’intégration des soldats algériens à l’armée française (après les paniques, les désertions et les répressions des années 1914-1915) fut un grand succès, dû au paternalisme des officiers.

Tel ne fut pas le cas des travailleurs, recrutés de force et traités en «parias» dans les usines et les camps. Mais les uns et les autres découvrirent en France le monde moderne et le désir de s’approprier la science et la technique, bases de la puissance des nations. C’est après la guerre que le «refus scolaire» céda la place à la revendication de l’école française. Certes, le «mimétisme» n’est pas l’assimilation ; mais il ne l’exclut pas nécessairement.

Ne peut-on penser que la guerre a renforcé deux tendances politiques longtemps rivales : le nationalisme, faible et discret avant 1936, et l’«intégrationnisme» des élus Jeunes Algériens qui ne disparut pas à cette date, ni même en 1943, mais connut plusieurs résurgences jusqu’en pleine guerre d’indépendance ?

L’évolution politique de l’Algérie ne nous paraît donc pas si univoque, ni si linéaire, que le suggère la brillante thèse de Gilbert Meynier. Naissance d’une nation (comme le dit Pierre Vidal-Naquet dans sa préface) ou naissance d’un nationalisme (pour reprendre le titre d’un livre d’André Nouschi) ? La nuance est importante. Mais ces réserves ne diminuent en rien le mérite de l’auteur, ni l’intérêt considérable de son apport à l’histoire de l’Algérie, qui suscitera un débat fécond.

Guy Pervillé
source

(1) Les Algériens musulmans et la France, 1871-1919, Paris, PUF, 1968.

(2) Texte publié par Charles-Robert Ageron, dans la Revue d’Histoire maghrébine,Tunis, n° 19-20, juillet 1980.

 

 

le FLN : documents et histoire

  • compte rendu de lecture par Abdelkrim Badadja : source

 

 

l'Histoire intérieure du FLN

  • compte rendu de lecture par Fouad Soufi : source

Référence papier : Fouad Soufi, «Meynier Gilbert, Histoire intérieure du FLN, 1954-1962», Insaniyat / إنسانيات, 25-26 | 2004, 309-314.

Référence électronique : Fouad Soufi, «Meynier Gilbert, Histoire intérieure du FLN, 1954-1962», Insaniyat / إنسانيات [En ligne], 25-26 | 2004, mis en ligne le 14 août 2012, consulté le 16 décembre 2017. URL : http://journals.openedition.org/insaniyat/6610

 

 

la question des archives

Gilbert Meynier : D’abord je dois dire que la surabondance d’ouvrages édités pour ce cinquantenaire me laisse pantois. Cependant, aujourd’hui encore, beaucoup de documents font défaut.
Les six wilayas algériennes, j’ai pu les connaître grâce aux archives d’Aix-en-Provence et de Vincennes. Je n’ai reçu aucune réponse des autorités algériennes quant à mes nombreuses demandes de consulter leurs archives.
Ça a donc été un vrai manque qui m’a empêché de poursuivre correctement mes travaux. Je n’ai pas pu aller en Algérie pendant vingt et un ans. Aujourd’hui, j’y suis invité très régulièrement. Le contexte a changé, il est plus apaisé. Une nouvelle génération est là, qui n’a pas connu la guerre d’Algérie, cet entonnoir de l’époque coloniale.

  • Forum des écrivains, du 26 au 28 octobre 2012, Paris, mairie du Ve arrondissement (source)

 

 

Gilbert Meynier sur Charles-Robert Ageron, selon Benjamin Stora

 

Meynier sur Ageron par Stora

  • Benjamin Stora, Les guerres sans fin : un historien, la France et l'Algérie, 2008.

 

vidéos

 

 

 

 

 

Gilbert Meynier sur Études Coloniales

 

  • Il est faux d'affirmer que la colonisation française a été un génocide (avec Claude Liauzu) (2005) (lien)
  • Lettre ouverte à Arte au sujet des "Trois couleurs de l'Empire" (2006) (lien)
  • Avant-propos à L'Algérie des origines (2006) (lien)
  • Coloniser, exterminer : de vérités bonnes à dire à l'art de la simplification idéologique (avec Pierre Vidal-Naquet) - critique du livre d'Olivier Le Cour Grandmaison (2006) (lien)
  • Mise au point factuelle sur les événements de Constantine, 12 mai 1956 et jours suivants (mars 2007) (lien)
  • Du bon usage politique du passé colonial (juin 2007) (lien)
  • "Italiani, brava gente" : l'histoire de l'Italie entre national et colonial (janvier 2008) (lien)

 

 

 

photos

 

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dernières photos de Gilbert Meynier, octobre 2017

 

Gilbert Meynier oct 2017 (1)   Gilbert Meynier oct 2017 (2)

 

Gilbert Meynier oct 2017 (3)   Gilbert Meynier oct 2017 (4)
Gilbert Meynier le 10 octobre 2017 (source)

 

 

 

bibliographie

 

L'Algérie révélée 1981 couv

 

Meynier couv

 

Emir Khaled couv

 

FLN docs couv

 

FLN hist int couv

 

Algérie au cœur couv

 

Pour une histoire franco-algérienne couv

 

Meynier couv (1)

 

Deux siècles d'histoire croisée couv

 

dossier : Michel Renard

 

 

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18 décembre 2014

Fanny Colonna est décédée le 17 novembre 2014 - Les Versets de l'invincibilité

o-FANNY-COLONNA-facebook

 

l'ethnographie mais aussi l'histoire

Fanny COLONNA

 

Si il y une chose cependant que montrent à l'envi les travaux sur la société villageoise (ou tribale) au Maghreb, même les moins négligeables, et bien plus encore ceux qui s'efforcent de reconstruire des systèmes à l'aide de matériaux décontextualisés, c'est que toutes les dimensions de la vie religieuse ne sont pas saisissables dans la synchronie. C'est le cas en particulier de la dimension scripturaire.

Le présent ethnographique villageois offre à l'observation, en effet, de l'oralité et du segmentaire : prédication et charisme des saints vivants, visites aux tombeaux des saints morts, et jusqu'à l'enseignement du Livre au kuttab, tout cela se répète, se ressemble, et pourrait se permuter d'une unité à l'autre.

oasis de Chatma Aurès
Oasis de Chatma dans l'Aurès, marabout de Léla Sfaïa

Dans cette logique, on peut même intégrer des niveaux plus élaborés, les zawaya régionales, par exemple. Comme les confédérations ou presque, elles sont labiles. L'écriture est bien là, si on veut la voir, mais comme élément d'une culture de scribes (1) dont la caractéristique principale localement et dans la pratique semble l'instrumentalisation de l'écrit par l'oralité. Effectivement, pour en savoir plus, il faut aller plus loin que le village, et plus loin que le présent.

De même qu'on ne peut mettre en cause la segmentarité morphologique qui se manifeste dans la synchronie qu'en ayant recours à "différentes histoires" et à des traces écrites, même frustres, comme les généalogies et les chroniques, pour reconsidérer autrement le schéma de l'égalité des segments et de la non-ingérence des lignages religieux dans le pouvoir et l'accumulation (2), de la même manière, la prise en compte d'un espace et d'une durée englobant permet d'apercevoir l'autre extrémité du spectre et d'appréhender un système religieux régional dont l'observatoire villageois ne livre pas toute la vérité.

En un mot, si je voulais saisir le changement religieux, le lien entre les villageois, les lettrés et l'histoire, il me fallait considérer la durée.

Cela m'a conduit à explorer la période allant approximativement du milieu de ce siècle au milieu du siècle précédent, dans ce sens précisément, c'est-à-dire à reculons. Il se trouve que cette séquence de temps possède une réelle cohérence, spécialement du point de vue de l'histoire religieuse, mais, si je puis dire, de manière négative : c'est celle qui, dans l'Aurès, va de la fin des grandes insurrections aux débuts de la guerre d'indépendance.

 

oasis de Baniane Aurès
oasis de Baniane dans l'Aurès, marabout de Sidi Lakdar

D'un point de vue plus large que politique, cette césure est absolument pertinente, marquée à ses débuts par l'abandon des moyens des résistance traditionnels (jihad ou siba, comme on voudra), et l'invention de nouveaux modes d'encadrement et de leadership religieux, très liés contrairement au sentiment général, à des emprunts au monde islamique extérieur. À son terme, cette période est marquée par l'organisation de la wilaya I dont l'implantation aura sonné la fin du contrôle absolu des clercs sur la vie locale, au profit du Djeich (l'Armée de libération nationale), contrôle qui, comme on va le voir, est leur attribut essentiel, et dont la richesse est à la fois la conséquence et le moyen.

Prendre cette période comme un tout, c'était en restituer l'unité, y déceler une évolution progressive, une infinité de changements lents, minuscules, mais continus, plutôt qu'une cassure en son milieu, comme le veut la lecture réformiste locale des faits, qui coupe ce siècle en une jahiliya (barbarie), avant les années trente, et une nahda (renaissance), depuis. Ténèbes et lumières. État sauvage et civilisation.

Il s'agit là de la transposition sans le temps de la coupure entre le pouvoir et les paysans, qui s'est consolidée avec l'État moderne. Je retrouvais justement dans ces catégories celles qui ont fait obstacle àa la reconnaissance de l'orthodoxie et/ou de l'humanité civilisée du village ; il était donc essentiel de construire une durée qui permette de contourner cette interdiction de penser, parfois au prix d'un travail très violent contre les représentations les plus assurées des informateurs eux-mêmes. En même temps, il fallait prendre acte (s'en donner les moyens) du sentiment des gens, qui disaient que la religion "n'était plus la même" depuis cette fameuse cassure.

Fanny Colonna
Les versets de l'invincibilité
, 1995, p. 63-65

 

__________

1 - Cf. Jonathan Parry, Johanna Overing (eds), Reason and Morality, ASA Monography 24, 1985.

2 - Paul Pascon et Abdallah Hammoudi, "Segmentarisme, stratification sociale, pouvoir politique et sainteté", Hesperis Tamuda (Rabat), 15, 1974, chap. 3, p. 43, note 1.

 

Aurès cartes postales

 

______________________

 

 

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Mohammed Harbi

 

intervention de Mohammed Harbi lors de la célébration religieuse en mémoire de Fanny Colonna, en l’église Saint-Jean-Baptiste de Belleville, à Paris, mardi 25 novembre 2014.

Fanny Colonna sera enterrée au cimetière chrétien de Constantine, samedi 29 novembre, à 15 heures.
 
J’ai connu Fanny Colonna, en juin 1975, lors d’un colloque consacré aux rapports entre le politique et l’ethnologie au Maghreb. Sa communication s’intitulait : «Production scientifique et position dans le champ intellectuel et politique : deux cas, Augustin Berque et Joseph Desparmet».

Toutefois, mon rapport à Fanny ne s’inscrivait pas dans le champ académique mais dans le champ politique. Ce fut, d’abord, un rapport à distance. Lycéen à Skikda, je fus un jour sollicité par un chef scout, Zerouk Bouzid, pour assurer la diffusion d’une publication que lui avait envoyée Salah Louanchi : il s’agit de Consciences maghrébines, une revue annonciatrice de la naissance d’un courant de pensée anticolonialiste au nom de la conscience chrétienne.
Le professeur André Mandouze en était l’animateur. Je sus, plus tard, que Fanny appartenait à ce courant, qui constituait une chance pour l’affirmation d’un nationalisme démocratique, œuvrant à une société multiculturelle et multiethnique.

Chacun sait que l’éveil de l’Algérie à une existence historique a fait de grands progrès après 1945. La critique des mythes fondateurs de l’Algérie coloniale, qui gagnait des secteurs de plus en plus étendus de la société, n’épargna pas la communauté européenne.
Une mince frange des chrétiens d’Algérie – prêtres, étudiants et syndicalistes, à l'image d'Evelyne Lavalette, détenue politique – s’attaquèrent aux «écrans accumulés pour nier le caractère politique du problème algérien et le réduire à un problème économique et social». Cette donnée, oh combien féconde, de l’histoire algérienne a été prise en charge à Alger par les Scouts musulmans, avec Mahfoud Kaddache, Salah Louanchi, Omar Lagha, Mohammed Drareni, Reda Bastandji et les centralistes du MTLD – auxquels Fanny a consacré une étude qui revoit les polémiques anciennes à la lumière des politiques de notre temps.

Loin d’atténuer cette avancée, la guerre la précipita.
Des prêtres comme les abbés Albert Berenguer, Pierre Mamet, Jobic Kerlan, Jean Scotto…, les militants de l’AJAAS et les animateurs de Consciences maghrébines s’engagent dans la résistance et incitent l’Église d’Algérie, avec à sa tête le cardinal Duval, et le Vatican à la défendre.
Hommes de l’ombre sur le sol algérien, détenus politiques dans les prisons, exilés à l’étranger, ils ont tous mis leur énergie et leur foi au service de la nation algérienne : «Nous ne venons pas en aide au FLN, dixit Pierre Chaulet. Nous sommes Algériens comme vous : notre sol, notre patrie, c’est l’Algérie, nous la défendons avec vous. Nous sommes du FLN». Cette profession de foi, c’est aussi celle de Fanny. Son amour de la terre natale, qu’elle a exprimé tout au long de la guerre civile des années 1990 et jusqu’à son dernier souffle, a transformé sa vie de manière à lui donner un sens que la mort ne peut lui ravir.

L’hommage que l’Algérie lui doit va aussi à tous les chrétiens que le fanatisme religieux n’a pas épargnés. Ne les oublions pas. Le silence institutionnel sur leur contribution à la victoire contre le colonialisme n’a pas aidé à assurer leur sécurité dans la tourmente qu’a connue l’Algérie ces dernières années. Espérons que le rattrapage en cours y remédiera.
 
Mohammed Harbi
25 novembre 2014

 

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Fanny Colonna

 

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Cher(e)s ami(e)s,
Notre compatriote Fanny Colonna nous a quittés lundi 17 novembre 2014. Elle reposera en sa terre natale, à Constantine, où elle a grandi. 
Une célébration religieuse en sa mémoire aura lieu à Paris, mardi 25 novembre 2014, à 14h30, à l'église Saint-Jean-Baptiste-de-Belleville (139, rue de Belleville, 75019, métro Jourdain).
Nous saluons la mémoire de Fanny Colonna, pour son engagement dans la lutte de libération et les causes démocratiques après l'indépendance, pour son amour du pays – auquel elle consacra la plupart de ses travaux d'anthropologue et de sociologue –, et pour sa contribution d'importance au développement des études de sciences humaines et sociales sur l'Algérie. 
Nous perdons, en sa personne, un des plus fidèles soutiens de notre association.
Toutes nos condoléances à sa famille, à ses enfants Vincent, François, Ugo et Marie.
Pour l'association algérienne en France ACDA (Agir pour le changement et la démocratie en Algérie),
Faïza Aït-Kaci
Paris, le 22 novembre 2014.
PS : ci-joint un lien à une page d'El Watan, où des ami(e)s de Fanny Colonna lui rendent hommage.

 

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20 octobre 2014

hommage à Daniel Lefeuvre sur Radio Courtoisie

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Daniel Lefeuvre, un an après

Olivier DARD, Marc MICHEL, Michel RENARD

et Guillaume LEFEUVRE

 

Le 20 octobre 2014, Radio Courtoisie diffusait une émission en hommage à Daniel Lefeuvre, décédé le 4 novembre 2013. Étaient réunis autour de Roger Saboureau et Patrice Boissy : Olivier DARD, professeur à l'université Paris IV-Sorbonne ; Marc MICHEL, professeur émérite à l'université de Provence et Michel RENARD ; professeur au lycée de Saint-Chamond, chercheur ; tous trois amis de Daniel Lefeuvre ; et Guillaume LEFEUVRE, son fils aîné.

 

Radio Courtoisie 20 octobre 2014
de gauche à droite, Michel Renard, Marc Michel et Olivier Dard

 

Radio Courtoisie 20 octobre 2014 (2)
de gauche à droite, Michel Renard, Marc Michel et Olivier Dard

 

1ère partie (18 mn) : https://www.youtube.com/watch?v=uNTQo-v4y0E

Hommage à Daniel Lefeuvre (1951-2013), historien de l'Algérie coloniale (20 octobre 2014).

 

 2e partie : à venir

 

lien

- Secours de France : hommage à Daniel Lefeuvre sur Radio Courtoisie

 

 

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19 août 2014

nécrologie d'Émile Masqueray, 1894

Émile Masqueray

 

 

Émile Masqueray, 1843-1894

 

Il y a cent vingt ans, le 19 août 1894, mourait Émile Masqueray. Le Bulletin du Comité de l'Afrique française de septembre 1894 (n° 9) lui consacrait cette nécrologie.

 

Comité Afr fra sept 1894

 

Nécrologie

M. E. Masqueray - M. E. Masqueray, membre du Comité de l’Afrique française, directeur de l’École des Lettres d’Alger, est mort le 19 août près de Rouen, des suites d’une maladie de cœur qu’il était allé soigner sur la terre natale. Sa mort est une grande perte pour le Comité de l’Afrique française ; ses fonctions qui le retenaient à Alger, l’empêchaient souvent d’assister aux séances du Comité, mais chaque fois qu’il était à Paris, il ne manquait pas de prendre part à ses travaux, et la sûreté de son jugement et la solidité dans toutes les questions algériennes, l’avaient fait sérieusement apprécier de ses collègues.

M. Masqueray n’avait pourtant pas, semble-t-il, dans l’estime du grand public, la très haute place à laquelle il avait droit. Assurément, les spécialistes le connaissaient bien et tous les tenaient pour l’un des hommes connaissant le mieux l’Algérie et avaient la plus pleine intelligence des intérêts et des besoins de notre colonie ; à Alger, on savait que son cours à l’École des Lettres sur l’histoire de l’Algérie musulmane était excellent, nourri de faits précis et éclairé d’idées générales ingénieuses et justes ; sous ce rapport, d’ailleurs, il avait donné sa mesure dans certains périodiques spéciaux et dans ce Dictionnaire de la langue touareg, dont la moitié seule a paru et qui était appelé à rendre tant de services à nos agents, aujourd’hui que le rapprochement s’impose avec ces nomades dont on s’était si longtemps tenu à l’écart. Mais ce qui n’était pas assez apprécié, c’étaient les qualités d’écrivain de M. Masqueray.

Depuis 1882, il envoyait régulièrement au Journal des Débats des lettres d’Algérie, dont beaucoup – nos lecteurs le savent, car depuis quatre ans nous en avons reproduit ici même un grand nombre – sont de véritables chefs-d’œuvre. Nul de ceux qui les a lues n’a pu oublier ces admirables descriptions de Biskra si colorées, et qui faisaient penser aux plus belles pages de Fromentin ; ces lettres sur les incendies de forêts dans la Grande Kabylie où, à l’émotion du peintre émerveillé du spectacle grandiose qu’il avait sous les yeux, se joignait l’émotion de l’amant passionné de cette terre d’Algérie dont il voyait les richesses disparaître en fumée.

Et cet amour de l’Algérie qui inspirait son éloquence, on le retrouve tout entier, puissant et irrité, dans les études vigoureuses qu’il a consacrées aux indigènes méprisés et ruinés par des colons orgueilleux et une administration trop souvent tracassière et ignorante.

Le système de «rattachement» n’avait pas eu d’adversaire plus décidé que M. Masqueray ; il l’avait combattu sans trêve et avait eu la joie d’amener à ses vues M. Jules Ferry sur lequel il comptait, comme sur M. Cambon, pour faire triompher la cause qui lui tenait tant à cœur. M. Jules Ferry est mort, M. Masqueray meurt à son tour, et ni l’un ni l’autre ne verront la cognée portée dans l’œuvre néfaste des prédécesseurs du gouvernement général actuel.

M. Masqueray n’a publié qu’un seul volume, Souvenirs d’Afrique, recueil d’articles donnés jadis au Figaro ; il y a dans ce livre des pages charmantes ; mais pour donner la mesure du talent de l’auteur, il faut attendre qu’une main pieuse ait réuni les lettres qu’il a adressées pendant douze ans au Journal des Débats.

Bulletin du Comité de l'Afrique française,
n° 9, septembre 1894, p. 142-143

 

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Émile Masqueray, Souvenirs et visions d'Afrique, 1894

 

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Émile Masqueray, Souvenirs et visions d'Afrique, 1894

 

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compte rendu critique de la publication de

Formation des cités d'Émile Masqueray,

par Fanny Colonna

Gabriel CAMPS (1983)

 

Il faut saluer cette excellente initiative d’Edisud de republier, avec l’aide des chercheurs du C.R.E.S.M., ces «Archives maghrébines» qui ressuscitent ou remettent à la disposition des spécialistes de l’histoire ou de la sociologie de l’Afrique du Nord des textes oubliés ou épuisés. Fanny Colonna présente en vingt-cinq pages l’œuvre et la vie d’Émile Masqueray. Personnellement, je demeure allergique au langage qu’emploient certaines sociologues, je ne sais pas ce que sont les «rapports tus» et les «discours absents», mais mis à part ces questions de style, on prend grand intérêt à lire ce qu’écrit F. Colonna sur Émile Masqueray.

Depuis que ce touche-à-tout des Sciences humaines, historien, sociologue, archéologue, linguiste, a été cité par Charles-Robert Ageron parmi les écrivains «indigénophiles» (Les Algériens musulmans et la France, t. 1, p. 421-422), il sort quelque peu de l’oubli dans lequel il aurait sombré complètement si l’administration française n’avait donné son nom à un village de colonisation établi sur le site romain de Rapidum qu’il avait reconnu et identifié.

Ce détail que ni Charles-Robert Ageron, ni Ph. Lecas et J. Cl. Vatin dans leur peu vraisemblable (L’Algérie des anthropologues), ni Fanny Colonna dans la présente édition ne signalent (curieux exemple, je pense, de «discours tu»), va quelque peu à l’encontre de l’image que veut nous donner la nouvelle hagiographie post-coloniale.

Masqueray, fort heureusement pour lui, était de son temps ; il en avait les préjugés et les formes de raisonnement, mais il connaissait mieux que d’autres les sociétés sédentaires d’Algérie, il était plus ouvert au «problème indigène». En aucun moment, il ne fut persécuté par l’idéologie dominante, pour la bonne raison qu’il en faisait partie. Si Augustin Bernard, Stéphane Gsell et bien d’autres, parmi les historiens, ou même les sociologues et ethnologues, ne portent pas sur son œuvre les jugements dithyrambiques que souhaiteraient ses thuriféraires modernes, c’est que cette œuvre n’est pas d’une si haute qualité que l’on voudrait nous faire croire.

Les historiens ne citent plus guère le De Aurasio monte et le Djebel Chechar que pour rejeter sa thèse sur les «deux Aurès». La lecture des premières pages de la Formation des cités fait frémir l’historien ou le simple lecteur ayant quelques connaissances sur l’histoire ancienne du Maghreb : dire, par exemple (p. 2), en citant En-Nowaïri que les Arabes ne se heurtèrent aux troupes berbères que lorsque Oqba marcha sur le Souss, c’est ignorer la bataille de Tahert, mentionnée quelques lignes plus haut par En-Nowaïri lui-même, et les nombreux combats antérieurs en Ifriqiya, Numidie et Zab, sans parler de la région de Tlemcen ou Koceïla fut capturé.

Quelques pages plus loin (p. 17), on apprend que les Quinquegentiens (Masqueray dit Quinquegetans) du Mons Ferratus Tinrent tête au comte Théodose lors de la révolte de Firmus. On se rend compte que Masqueray n’a pas lu Ammien Marcellin avec plus d’attention qu’en En-Nowaïri, car durant la campagne de Théodose les Quinquegentiens ne sont jamais cités. Ne retenons pas l’invraisemblable rapprochement entre Zenata et Chananéens (p. 7) ou l’affirmation que «les Sanhadja sont, en Kabylie, des immigrants venus de l’Est» (p. 17).

Masqueray paraît léger

Nous arrêterons là cet échenillage, mais on ne s’étonnera pas si nous partageons, en tant qu’historien, «l’insolence» (F. Colonna, p. XIII) de Stéphane Gsell disant de Masqueray qu’il était «un bel écrivain qui s’enthousiasme pour la science», et quoi qu’en pense l’auteur de la présentation, René Basset et même Edmond Doutté me paraissent avoir contribué davantage à la connaissance des sociétés nord-africaines. En un mot Émile Masqueray paraît léger et sa thèse n’eut, comme le reconnaît F. Colonna, aucun rayonnement, il semble d’ailleurs qu’il «ne fit rien pour s’assurer une reconnaissance dans le champ scientifique métropolitain» (p. X).

Comment s’expliquent ces tentatives de faire sortir du Purgatoire cet écrivain mort peut-être trop jeune ? Ce n’est pas parce que Masqueray était assimilateur ou parce qu’il fut l’initiateur de l’effort scolaire particulier en Kabylie (cela lui vaudrait plutôt auprès de nos sociologues post-coloniaux une «mauvaise note»), il paraît même qu’il ne fut pas «un partisan – un artisan – de la politique berbère de la IIIe République» et «qu’il préférait sans doute les nomades aux sédentaires» !

Certains jugements portés par Émile Masqueray sont bien singuliers sous la plume d’un écrivain qualifié d’indigénophile, ami d’Ismaïl Urbain. Ainsi, on peut lire, p. 88 de la présente édition : «De là une étroitesse de vues singulière, une inaptitude surprenante à comprendre certaines idées générales, une aversion irréfléchie de tout ce qui n’est pas renfermé dans l’horizon qu’on embrasse du haut d’un piton du Djurdjura, qu’il s’agisse de théories sociales, de conceptions politiques, ou de systèmes religieux». Voici donc ce qu’écrivait un auteur qui, si on suit Ph. Lucas et J.-Cl. Vatin, était «un ethnologue civil (qui) fait œuvre politique et en même temps œuvre scientifique (p. 126)» ; il paraît même, suivant ces auteurs, «qu’après lui, l’Algérie des "indigènes" entre dans l’ombre».

En fait, le grand mérite d’Émile Masqueray semble bien, aux yeux de la nouvelle école sociologique, d’avoir préféré «le nom général d’Africains à celui de Berbères qu’on applique d’ordinaire à toutes les populations de l’Afrique septentrionale regardés comme autochtones».

En ces années de renouveau «berbère» et de prise de conscience de leur identité, il serait intéressant de savoir ce qu’en pensent les intéressés eux-mêmes. Heureusement, ils n’ont plus besoin pour cela de maîtres à penser venus d’autres continents.

Gabriel Camps
Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée,
volume 36, 1983, p. 206-208

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- Émile Masqueray, Formation des cités chez les populations sédentaires de l'Algérie. Kabyles du Djurdjura, Chaouïas de l'Aourâs, Beni Mezab, présentation par Fanny Colonna. Archives maghrébines, C.R.E.S.M., Edisud, Aix-en-Provence, 1983, XXV plus 374 pages.

 

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Émile Masqueray,  Formation des cités chez
les populations sédentaires de l'Algérie
, présentation de Fanny Colonna

 

- lien : compte-rendu, par Gabriel Camps, de l'édition de Formation des cités chez les populations sédentaires de l'Algérie, d'Émile Masqueray (1983).

 

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26 décembre 2013

Daniel Lefeuvre, par Guy Pervillé

Daniel Lefeuvre 2008
Daniel Lefeuvre, Paris, 2008

 

Daniel Lefeuvre,

11 août 1951 - 4 novembre 2013

 Guy PERVILLÉ

 

Daniel Lefeuvre nous a quitté le 4 novembre dernier, à l’âge de 62 ans, par suite d’une grave maladie dont il avait informé ses amis il y a plus de trois ans, le 24 mai 2010, et dont plusieurs traitements successivement essayés n’ont pas pu venir à bout. Pendant plus de trois ans, à part quelques éclipses momentanées, il nous a fait croire qu’il se portait aussi bien que possible et il continuait à vouloir se projeter dans l’avenir. Maintenant qu’il a cessé d’être des nôtres, le moment est venu de nous interroger sur ce que nous avons su de lui et ce qu’il nous a apporté.

Résumer sa carrière par une notice biographique est relativement simple, à condition d’être bien informé par ceux qui l’ont connu mieux que moi. Son camarade et ami de longue date, Michel Renard, m’a fourni le texte de l’émouvant exposé qu’il a lu le 12 novembre dernier devant une nombreuse assistance réunie pour lui rendre un dernier hommage à l’Hôpital Lariboisière.

Né dans une famille ouvrière très modeste dans la banlieue parisienne, orphelin de père, Daniel Lefeuvre fut très jeune un militant convaincu des Jeunesses communistes, puis de l’Union des étudiants communistes, et il participa au groupe «Union dans les luttes» qui militait pour l’union de la gauche au début des années 1980. Très engagé dans la vie syndicale et dans celle de l’Université de Paris VIII où il étudiait l’histoire, initié à l’histoire économique par Jean Bouvier, il mit du temps à s’investir totalement dans une thèse de doctorat dirigée par Jacques Marseille, et portant sur l’industrialisation de l’Algérie de 1930 à 1962, qu’il soutint en 1994.

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Devenu, la même année, maître de conférences à l’Université de Paris-VIII-Saint-Denis, il passa son habilitation à diriger des recherches (HDR) à la Sorbonne le 18 décembre 2001, devant un jury composé des professeurs Jacques Marseille, Daniel Rivet, Jacques Frémeaux, Marc Michel, Michel Margairaz et Benjamin Stora - auquel il succéda en tant que professeur en 2002.

En même temps, il devint secrétaire général de la Société et de la Revue française d’histoire d’outre-mer durant plusieurs années ; à ce poste, il inaugura la nouvelle formule de la revue, qui de trimestrielle devint semestrielle à partir du premier semestre 1999, et il réalisa la publication immédiate et simultanée des actes du grand colloque en l’honneur de Charles-Robert Ageron réuni à la Sorbonne du 23 au 25 novembre 2000, sous le titre La guerre d’Algérie au miroir des décolonisations françaises [i].

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Peu à peu j’ai appris à connaître ce nouveau collègue sympathique et dynamique, qui s’était présenté à moi un jour que nous travaillions l’un et l’autre à la Bibliothèque nationale pour préparer nos communications à un même colloque. Mais à vrai dire son nom ne m’était pas inconnu, et il vaut la peine de raconter pourquoi.

En effet, alors que j’avais publié un premier article sur la guerre d’Algérie dans la revue L’Histoire en mars 1983, j’avais eu à répondre dans le numéro de mai à trois lettres de lecteurs, parmi lesquelles deux venaient d’intellectuels anticolonialistes, dont l’un s’appelait Daniel Lefeuvre. Il me paraît intéressant de reproduire aujourd’hui ce texte vieux de trente ans, auquel j’avais répondu de mon mieux :

 

«Les responsabilités de la France» [ii] (1983)

«Guy Pervillé s’efforce de d’établir le nombre de morts de la guerre d’Algérie. En s’appuyant sur les analyses d’André Prenant, il propose une fourchette entre 300.000 et 400.000 victimes. Reste à répartir les cadavres. G. Pervillé conteste les versions officielles des deux parties et pense qu’un certain équilibre s’est réalisé dans les pertes infligées au peuple algérien par les deux camps.

L’image que donne G. Pervillé de la guerre d’Algérie est donc celle d’une guerre où s’affronteraient deux ennemis : l’armée française et le FLN. Tous les deux étrangers au peuple algérien cantonné au rôle de victime des exactions de l’une et de l’autre. Derrière la froideur d’une analyse comptable, cette thèse habille de neuf la vieille propagande des tenants de "l’Algérie française", pour qui le FLN se réduisait à une poignée de fanatiques dirigée de Moscou ou du Caire et dont les relations avec le peuple algérien étaient basées uniquement sur la terreur. Et de cette hypothèse découle une affirmation attendue : "Quel que soit le bilan définitif, ces observations contraires au mythe du soulèvement national unanime suggèrent qu’une guerre civile entre Algériens accompagna la guerre franco-algérienne".

Cette deuxième "découverte" est surprenante de la part d’un historien, puisque toutes les guerres de libération nationale ont toujours revêtu ce double caractère, et que cela tient aux conditions mêmes de la domination coloniale qui, pour s’imposer et se maintenir, a dû s’appuyer sur une partie des populations indigènes, couches privilégiées et supplétifs engagés dans les force armées et de police. Que les caractéristiques propres au mouvement national algérien, mouvement messianique, essentiellement à base rurale à parti de 1956, organisé comme Armée-État, aient aggravé ce que Pervillé appelle des "règlements de compte", nul n’en disconviendra.            

Mais l’essentiel est escamoté par l’article : de 1954 à 1962 l’Algérie fut le théâtre d’une guerre de libération nationale à laquelle la plus grande part du peuple algérien donna son adhésion, comme le prouvent les ralliements successifs au FLN en 1955 et 1956 (de l’UDMA, des Oulémas, du PCA) ainsi que les manifestations de masse que le Front fut capable d’organiser tant à Paris qu’à Alger. Le peuple algérien en faut pas seulement spectateur et victime de la guerre,  il en fut aussi, à des degrés divers, acteur. L’analyse qui nous est proposée, en renvoyant dos-à-dos les adversaires, aboutit en fin de compte à masquer les responsabilités de la France dans le bilan très lourd de la guerre d’Algérie. Elle fait dévier le débat : tous coupables, inutile d’ouvrir le procès.

Décidément, la guerre d’Algérie n’a pas fini de démanger désagréablement notre conscience». Daniel Lefeuvre. [iii]     

 

Un premier tournant scientifique (1988-2006)

Cinq ans plus tard, à l’occasion du colloque sur La guerre d’Algérie et les Français organisé par Charles-Robert Ageron en 1988 et publié par Jean-Pierre Rioux en 1990, c’est un autre Daniel Lefeuvre qui s’est révélé à moi.

Converti à la discipline intellectuelle de l’histoire économique par son maître Jacques Marseille - qui avait le premier renoncé aux idées reçues du marxisme tiers-mondiste en réalisant sa propre thèse, Empire colonial et capitalisme français, histoire d’un divorce, publiée en 1984 - il s’était attaché à en appliquer la méthode au cas de l’Algérie en recherchant ce qu’avaient été l’importance économique de l’Algérie pour la France et la timide apparition d’une politique d’industrialisation de ce pays par la France entre 1930 et 1962.

N’étant pas compétent dans cette branche de l’histoire, j’ai d’autant plus apprécié ce qu’il m’apportait que j’y trouvais un complément et un approfondissement de ce que j’avais moi-même trouvé aux Archives d’outre-mer sur la nouvelle politique algérienne élaborée par le CFLN à Alger en 1944, et qui visait à rendre l’Algérie vraiment française par un ensemble de réformes politiques, économiques et sociales tendant à accélérer l’intégration de l’ensemble de ses habitants dans la France.

J’ai donc lu avec le plus grand intérêt sa thèse, qui fut publiée à deux reprises en 1999 par la SFHOM [iv]  et en 2005 par les éditions Flammarion [v]. Et j’ai lu avec la plus grande attention toutes les communications qu’il a présentées dans de nombreux colloques sur des sujets concernant la dimension économique et financière de la politique de la France en Algérie [vi], mais aussi les conditions dans lesquelles les «rapatriés» d’Algérie ont été accueillis et recasés en France métropolitaine, notamment son étude sur «Les pieds-noirs» publiée en 2004 dans le grand ouvrage collectif dirigé par Mohammed Harbi et Benjamin Stora sous le titre La guerre d’Algérie, 1954-2004, la fin de l’amnésie [vii].

guerre Algérie fin amnésie

Je l’ai aussi invité à l’Université de Toulouse-Le Mirail pour participer, le 19 mai 2003,  à une journée d’étude sur les exodes d’Algérie en 1962. Dans son exposé, il avait décomposé l’exode des citoyens français d’Algérie en quatre périodes chronologiques distinctes : la première allant de 1943 à 1959, la deuxième de septembre 1959 à mars 1962, la troisième, d’avril à août 1962, étant «la ruée», et la quatrième, de septembre 1962 à 1965, la queue du mouvement.

Faisant le point sur les modalités de cet exode avec la plus grande exactitude, il observait néanmoins que «contrairement à ce qu’a retenu la mémoire douloureuse des rapatriés, le rapatriement avait été pensé et préparé par l’administration».

Dans les débats, il avait vigoureusement insisté sur cet «énorme décalage entre les représentations et la réalité», montré que le bilan avait été positif pour la population accueillie, parce que, la société métropolitaine étant alors plus ouverte que celle de l’Algérie coloniale, avait offert aux «pieds-noirs» des possibilités de promotion plus grandes.

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Le pays d’arrivée en avait également bénéficié, étant donné que l’économie française n’avait pas souffert de la «perte» de l’Algérie, parce que le rapatriement avait transféré en France l’essentiel de son potentiel économique (main d’œuvre qualifiée, capitaux et consommation).

Quant au pays de départ, Daniel Lefeuvre posait ainsi le problème : y avait-il compatibilité entre le maintien d’une population française en position économiquement et socialement dominante, et la volonté légitime de promotion des Algériens musulmans ? Mais n’y a-t-il pas eu aussi un appauvrissement de l’Algérie par le départ massif de presque tous ses cadres ? [viii]

 

Un nouveau tournant vers une histoire engagée ?

(2006-2008)

Pourtant, je n’avais pas prévu le nouveau tournant qu’il allait prendre dans les années 2006 à 2008, et je ne sais même pas s’il l’avait prévu lui-même. Essayons donc d’en reconstituer les étapes avant d’en mesurer les conséquences.

À première vue, rien ne laissait prévoir ce tournant quand il avait lancé en 2006 un projet de revue scientifique en ligne appelée Études coloniales.

Dans un message daté du 18 mars 2006, il m’avait ainsi expliqué son projet : «J'ai sauté le pas et décidé, avec Marc Michel et Michel Renard, de créer une nouvelle revue : Études coloniales. Jacques Frémeaux a également accepté de participer à l'aventure. L'originalité de cette revue est double : une édition exclusivement hypermédia; une diffusion par abonnement gratuit (liste de diffusion). Ces caractéristiques ont pour objectif de diffuser la revue auprès des publics pour lesquels les revues "classiques" sont inaccessibles. Je pense, en particulier à nos collègues (et aux institutions universitaires) des pays du "Sud" (un réseau de correspondants sera à construire) qui n'ont pas les moyens de payer des abonnements qui représentent une fraction importante de leur traitement. Je pense aussi à la masse des étudiants, aussi bien de France qu'étrangers, ainsi qu'à nos collègues de l'enseignement secondaire. Chaque numéro (il y aurait deux livraisons par an) sera construit autour d'une thématique augmentée de varia, de comptes rendus de lectures. Nous nous proposons de publier un premier numéro en septembre autour de la notion d"'années ruptures", puisque nous fêtons le 50e anniversaire de 1956».

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Ce projet fut réalisé, mais sous une forme très différente de celle d’une revue scientifique : un blog portant le même titre, mais invitant ses lecteurs à réagir immédiatement à des publications (livres ou autres) présentées par lui. Daniel Lefeuvre proposait aussi un cycle de colloques sur les colonisations comparées, dont le premier eut lieu à Metz en 2007.

Mais au moment où aurait dû sortir le premier numéro de la dite revue en ligne, en septembre 2006, Daniel Lefeuvre publia chez Flammarion un livre au ton inhabituel de la part d’un historien, intitulé Pour en finir avec la repentance coloniale [ix].

C’était un ouvrage politique, au meilleur sens du terme, écrit par un historien qui s’élevait contre l’utilisation d’arguments pseudo-historiques par d‘autres auteurs nommément cités, parmi lesquels se trouvaient aussi quelques collègues universitaires. S’il était rédigé avec une évidente vigueur polémique, il n’en restait pas moins solidement fondé sur l’histoire. Qu’on en juge d’après son introduction et sa conclusion.

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La première définissait clairement son objet et sa raison d’être : «Après celle de la guerre d’Algérie, une nouvelle génération d’anticolonialistes s’est levée. Courageuse jusqu’à la témérité, elle mène combat sur les plateaux de télévision et dans la presse politiquement correcte. Multipliant les appels ou les pétitions en faveur des "indigènes de la République", elle exige de la France, de la République et des Français qu’ils expient ce huitième péché capital traqué avec obstination dans avec obstination dans les moindres replis de la conscience nationale : notre passé colonial et son héritage.

La discrimination sociale dont sont victimes les jeunes Français – et les immigrés – noirs et arabes de nos banlieues et de nos quartiers déshérités ? Héritage colonial ! Le racisme de la police ou de l’administration ? Héritage colonial ! La difficile insertion de l’islam dans l’espace national ?  Héritage colonial ! Et lorsque la justice condamne un jeune délinquant, pour peu qu’il soit arabe ou noir, c’est  encore l’œuvre d’une justice toujours coloniale ! Car, un demi-siècle après la fin de la décolonisation, l’esprit des "bureaux arabes" créés par l’administration française en Algérie perdure sournoisement au sein des institutions de la République. Rien ne serait plus urgent que d’extirper les séquelles immondes du colonialisme qui corrompent, aujourd’hui encore, la société française.

Aussi, d’ouvrages en articles, de radios en télévisions, les Repentants se sont-ils lancés dans cette salutaire mission : éveiller les Français au devoir de mémoire qu’il leur faut accomplir par rapport à leur histoire coloniale, érigée en nouveau "passé qui ne passe pas", par analogie avec les pages les plus sombres de la France de Vichy». 

Quant à la conclusion, elle ne laisse aucun doute sur l’attachement de Daniel aux principes républicains : «Prétendre que les Français doivent faire acte de repentance pour expier la page coloniale de leur histoire et réduire les fractures de la société française relève du charlatanisme ou de l’aveuglement. Cela conduit à ignorer les causes véritables du mal et empêche donc de lui apporter les remèdes nécessaires. Le risque est grand, alors, de voir une partie des Français, bien persuadés qu’ils seront à jamais les indigènes d’une République irrémédiablement marquée du sceau de l’infamie coloniale, vouloir faire table rase  et jeter, en même temps, nos institutions et le principe sur lequel elles reposent depuis la Révolution française : l’égalité en droit des individus. Belle révolution en perspective – peut-être même déjà en cours – , qui amènerait à créer en France un patchwork de communautés, avec leurs spécificités, leurs règles, leurs droits, leur police et leur justice, à l’appartenance desquelles les individus seraient assignés, avec ou sans leur accord. Une France, grâce à l’action du MRAP, définitivement débarrassée de l’horreur laïque, où chacun pourrait exhiber au sein des établissements scolaires ses convictions religieuses ou politiques. Une France où l’on serait blanc, noir ou arabe, chrétien, juif ou musulman – éventuellement athée – avant d’être Français. Bref, une France de l’Apartheid».

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Cet ouvrage, dont j’ignore à quel moment il en avait conçu le projet, était sans aucun doute le fruit de ses réflexions sur les querelles qui avaient divisé et opposé les historiens à propos d’enjeux mémoriels depuis plus d’une douzaine d’années. J’en avais rendu compte plus d’une fois, dans de nombreux textes placés sur mon site auxquels je me permets de renvoyer, notamment «Les historiens de la guerre d’Algérie et ses enjeux politiques en France» [x], présenté dans un colloque à Paris en septembre 2003.

J’y citais notamment une tribune libre sur «les historiens et la guerre d’Algérie» publiée dans Le Monde du 10-11 juin 2001 par le sociologue Aïssa Kadri et les historiens Claude Liauzu, André Mandouze, André Nouschi, Annie Rey-Goldzeiguer, et Pierre Vidal-Naquet, qui réclamait une ouverture des archives publiques beaucoup plus large : «Sans hypocrisie, il importe de veiller à l’ouverture des fonds militaires et civils, non pas au compte-goutte, pour quelques privilégiés dont on a testé l’échine souple, mais à tous les chercheurs et surtout aux jeunes qui découvrent une réalité difficile à imaginer».

Daniel Lefeuvre lui avait répondu par une lettre que le journal n’avait pas publiée, où il contestait «les exagérations de l’analyse de ses collègues (à l’exception de l’opacité de la gestion des archives de la préfecture de police de Paris), la revendication d’un accès illimité aux archives, et l’idée que celles-ci manquent aux historiens qui veulent les consulter». Il concluait ainsi : «cette histoire coloniale que l’on peut faire, rien ne justifie de la réduire à ses manifestations les plus sanglantes, les plus négatives, dans une perspective de dénonciation plus que de connaissance et de compréhension, comme nous y conduit la fin de la tribune publiée par Le Monde».

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Daniel Lefeuvre attendait des réactions constructives à son livre de ses principaux collègues, cités ou non. Il obtint par mail une appréciation plutôt favorable de Gilbert Meynier – qui avait organisé du 20 au 22 juin 2006 à Lyon un important colloque «Pour une histoire franco-algérienne, en finir avec les pressions officielles et les lobbies de mémoire»  auquel Daniel n’avait pas participé - même si celui-ci aurait aimé le voir ne pas réserver ses traits aux seuls «anticolonialistes», puisque le «lobby victimaire pied-noir» en était le symétrique idéologique.

Daniel Lefeuvre lui répondit que, s’il ne s’était pas attaqué à l’idéologie des organisations pieds-noirs, parce que le livre était consacré aux «Repentants», il avait pris soin, aux pages 165 et suivantes, de «consacrer un chapitre à "l’Algérie clochardisée", qui est un démenti apporté à l’idée d’une colonie prospère qui assurerait le bien être de sa population» [xi].

Puis Olivier Pétré-Grenouilleau, que Daniel Lefeuvre avait contribué à défendre contre la menace d’un procès abusif durant l’année précédente, publia un compte rendu très favorable dans Le Monde des livres du 28 septembre 2006 : «De tout cela on pourra évidemment discuter dans le détail tel ou tel point. Par ailleurs fallait-il être aussi direct vis-à-vis d'une "nébuleuse repentante" plus mise en avant que présentée ? Mais, utile, courageux, et pensé avec civisme, ce livre montre qu'il peut exister un espace entre repentance et "mission" colonisatrice (lesquelles renvoient toutes deux - est-ce un hasard ? - au même registre du théologique et du sacré) : celui de l'histoire et de l'historien. Car, à un moment où les mémoires deviennent traumatiques, l'histoire - une histoire assumée et dépassionnée - peut, aussi, être thérapeutique».

Benjamin Stora donna ensuite son avis sur le livre de Daniel Lefeuvre dans une interview accordée à Marianne n° 493 du 30 septembre au 6 octobre 2006, p. 69. Celui-ci lui répondit sur son blog personnel le 5 novembre 2006, avec modération mais fermeté, en distinguant trois points de désaccord avec lui : le reproche de ne travailler que sur des archives écrites de la puissance coloniale, celui de s’inscrire «dans une querelle plus idéologique qu’historique», et enfin un désaccord sur la fonction même de l’histoire : «Contrairement à Daniel Lefeuvre, je ne crois malheureusement pas qu’on puisse combler cette demande de reconnaissance de la souffrance par des faits et des chiffres. Les arguments rationnels ne viennent pas à bout de l’affect. Du moins cette réponse rationnelle, si elle est indispensable, n’est pas suffisante».

Daniel Lefeuvre lui répondit nettement : «J’avoue ne pas suivre B. Stora dans cette voie qui tend à construire une histoire compassionnelle. Connaître, comprendre, expliquer le passé pour permettre aux hommes de mieux se situer dans le présent, voilà l’objet et l’ambition de notre discipline, ce qui n’est pas peu. La souffrance des victimes n’est pas de son ressort, sauf à en faire un objet d’histoire. Reste, et bien des drames collectifs du vingtième siècle le montrent,  la vérité est bien souvent la première exigence des victimes - ou de leurs proches - qui veulent savoir et comprendre. C’est donc en faisant leur métier que les historiens peuvent contribuer aux apaisements nécessaires, et non en se donnant comme mission d’apporter du réconfort» [xii].

Claude Liauzu, qui avait été le promoteur de la pétition signée l’année précédente par de nombreux historiens et enseignants d’histoire contre la loi du 23 février 2005 exposa en détail sur Études coloniales du 4 octobre 2006 un avis partagé entre l’approbation et l’irritation : «D. Lefeuvre exprime à n’en pas douter un point de vue largement partagé parmi les spécialistes en rappelant clairement que la colonisation n’a pas été synonyme de génocide, que les procès ad satietatem et la surenchère victimaire n’ont rien à voir avec l’histoire.  (…) Cependant, comment critiquer les "repentants" sans faire de même pour les nostalgiques de la colonisation ? Ces tâches sont indissociables, car il s’agit de deux entreprises de mémoires minoritaires, qui cultivent les guerres de cent ans, se nourrissent l’une de l’autre et font obstacle à ce qui est désormais un enjeu fondamental pour notre société : élaborer un devenir commun à partir de passés faits de conflits, de relations aussi étroites qu’inégales, d’une colonisation ambigüe (…). Que Lefeuvrix (sic), descendant d’Arverne, ironise sur l’idée de poursuites contre les descendants de Jules César pour crime contre l’humanité, soit, mais le "Cafre" des Iles à sucre n’a peut-être pas encore atteint la distance permettant cette attitude envers un esclavage dont les traces n’ont pas disparu».

Rappelant le sens de sa lutte contre la loi du 23 février 2005, il prenait très clairement ses distances avec les excès des militants de la mémoire anticoloniale : «Contre les certitudes assénées au nom de la lutte idéologique, il faut maintenir le devoir d’histoire. Affirmer qu’on ne saurait avoir d’ "ennemis à gauche" et donc qu’il ne faut pas critiquer les historiens "anticolonialistes", c’est confondre les rôles, mélanger science et politique et se tromper d’époque. Les associations antiracistes, si elles veulent conserver des relations cohérentes avec les chercheurs, doivent revenir au modèle de l’affaire Dreyfus, quand les historiens et les archivistes assuraient leur fonction, celle d’expert et non de caution "scientifique" aux idéologues».

Mais il décochait aussi une flèche à Daniel Lefeuvre : «Cependant, on a du mal à croire que la société du maire de Marseille ou celle d’un Georges Frèche [xiii] et des associations nostalgiques de l’OAS, d’un ministre des anciens combattants qui insulte les historiens, soient plus gratifiantes que celle des associations antiracistes. Les projets de mémoriaux de la France d’outre-mer ou de l’Algérie française pour lesquels les politiciens sollicitent les historiens sont-ils scientifiquement plus solides ? Sur tout cela, le silence de Daniel Lefeuvre affaiblit sa démonstration».

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Enfin, Catherine Coquery Vidrovitch, qui avait été relativement peu attaquée par Daniel Lefeuvre dans son livre, réagit très vigoureusement (probablement par solidarité avec d’autres cibles de sa polémique [xiv]) sur le site du Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire le 29 mars 2007, puis Daniel lui répondit à son tour le 18 mai 2007 sur Etudes coloniales, et elle lui répondit sur un ton plus conciliant sur le site du CVUH le 26 juin 2007.

Même si cette polémique connut encore d’autres rebondissements plus tard, les textes en sont suffisamment longs et faciles à trouver pour que je n’y revienne pas davantage. Signalons seulement que, dans ma réponse au livre de Catherine Coquery Vidrovitch paru en 2012, Enjeux politiques de l’histoire coloniale, j’ai essayé de leur montrer un terrain d’entente possible [xv], et que son message publié sur le site Etudes coloniales après le décès de Daniel a en quelque sorte enterré le passé [xvi].

Daniel Lefeuvre avait pourtant relancé une nouvelle polémique en critiquant, dans un article du Figaro-Magazine du 30 juin 2007 («L’identité nationale et la République», co-signé avec Michel Renard) une pétition de quelque 200 universitaires et intellectuels (publiée à la une de Libération du 22 juin 2007) rassemblés autour de Gérard Noiriel, qui dénonçait «la dénomination du ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du co-développement», parce que «l’identité nationale constitue, aujourd’hui, une synthèse du pluralisme et de la diversité des populations et ne saurait être fixée dans le périmètre d’un ministère».

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Leur réponse, qui se réclamait notamment de Marc Bloch et de Vidal de la Blache,  posait ainsi le problème : «ce que souhaitent les pétitionnaires, dans leur appel au président de la République, ne relève pas des "traditions démocratiques françaises" qu’ils invoquent, mais, bien au contraire, leur tourne le dos : leur revendication conduit à ce que la République renonce à sa tradition assimilatrice au profit d’un multiculturalisme et d’un communautarisme destructeurs des valeurs universelles dont notre pays se veut le porteur. Ce débat sur l’identité nationale montre que la République est, aujourd’hui, à une croisée des chemins. Deux voies sont proposées. La première, dans la perpétuation des "traditions démocratiques françaises", entend maintenir la République dans ses valeurs universelles, une République une et indivisible, laïque, composée de citoyens égaux en droits et en devoirs, assurant l’égalité des hommes et des femmes, etc. quitte à lutter pour que les réalités se rapprochent chaque jour un peu plus de cet idéal. L’autre voie, qu’esquisse le texte de la pétition, jusque dans le vague de sa formulation, suggère d’abandonner l’universalisme républicain au profit d’une République de la cohabitation, du voisinage entre communautés, chacune disposant de ses valeurs, de ses normes, de son droit et de ses représentants». La réponse de Catherine Coquery-Vidrovitch, publiée le 31 juillet sur le site du CVUH était relativement brève et modérée.

Dans la même perspective, Daniel Lefeuvre et Michel Renard publièrent en octobre 2008 aux Editions Larousse (dans la collection «À dire vrai» dirigée par Jacques Marseille) un petit livre intitulé Faut-il avoir honte de l’identité nationale ?» [xvii].

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Ce livre commençait ainsi : «Dans la plus ancienne nation d’Europe, l’identité nationale n’a plus la cote. Il n’est question que "d’identité fantasmée", de "mythe national", "d’intolérance culturelle", de "xénophobie d’État". On écrit que la «"nation porte la guerre en son sein comme la nuée porte l’orage» selon une fausse citation de Jaurès (…). On affirme que c’est la "droite qui, depuis un siècle, a toujours privilégié le national contre une gauche rassemblée autour du social", etc. Ceux des Français qui tiennent la notion d’identité nationale pour autre chose qu’une pathologie développeraient une ringardise du national, une obsession des origines, voire un racisme honteux Il faudrait sacrifier toute fierté d’être français et se défaire d’une "construction" de l’histoire de France, fruit des idéologues d’une IIIe République qui, par "bourrage de crâne patriotique", aurait envoyé au massacre des millions d’hommes, un beau soir d’août 1914.

Nous refusons cette dévaluation arbitraire de la notion d’identité nationale comme si, tout au long de l’histoire, elle n’avait eu qu’une seule signification. Nous refusons la mise en accusation, quelque peu paranoïaque, d’une prétendue machine républicaine qui ferait violence à la "France plurielle et métissée", en lui inculquant une "identité" qui ne serait pas la sienne».

Et dans leur conclusion ils citaient plusieurs bons auteurs pour distinguer le patriotisme de la xénophobie : «Les idéologues de l’à-peu-près devraient entendre cette herméneutique républicaine. À défaut de vaines "leçons", pour un avenir qui toujours produira de l’original et de l’inattendu, l’histoire dégage du passé une multitude de références qui, entre les deux écueils de la honte et de l’orgueil, et à l’écart de tout essentialisme, rappellent ce que la culture, la fraternité et la démocratie doivent à l’identité nationale de la France. Quelle meilleure défense de l’identité nationale que celle prononcée par l’historien britannique Théodore Zeldin, dans son Histoire des passions françaises : "Aucune nation, aucune démocratie ne peut écrire sa propre histoire sans reconnaître à la France une dette ou une influence directe. L’histoire de France aura toujours un sens pour l’histoire universelle". Avons-nous le droit de renier cette identité ?».

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Théodore Zeldin

Mais entre temps,  Daniel Lefeuvre avait accepté pour la première fois de participer en tant qu’invité au congrès national des Cercles algérianistes, à Perpignan le 24 novembre 2007. À en juger d’après mes souvenirs, et d’après ma collection des Informations de L’Algérianiste, c’est à la suite de la venue du président du cercle de Reims, Gérard Rosenzweig, au colloque «L’Europe face à son passé colonial» organisé à l’Université de Metz du 25 au 27 avril 2007 par Olivier Dard et Daniel Lefeuvre, que ce dernier aurait été invité à participer au prochain congrès des Cercles algérianistes qui allait se réunir à Perpignan et coïncider avec l’inauguration du mémorial national des disparus le 25 novembre 2007.

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congrès algérianiste, Perpignan, 24 novembre 2007 ;
deuxième en partant de la droite, Daniel Lefeuvre

Dans un débat qui eut lieu la veille, sur le droit à la mémoire des Français d’Algérie, Daniel Lefeuvre eut la lourde tâche de défendre l’histoire, sinon tous les historiens, qui furent très critiqués à cause d’un «rapport récent d’un collectif d’historiens fort engagés» dont je reparlerai plus loin. Il reconnut que «toute mémoire est légitime», que la vertu cardinale des historiens doit être «l’honnêteté intellectuelle», mais qu’il n’était pas certain de faire le même métier que certains de ses collègues.

Pour mieux comprendre cette décision prise par Daniel Lefeuvre, il me faut revenir sur l’initiative prise le 20 janvier 2007 par le politologue Eric Savarese de réunir une table ronde d’historiens le 19 avril 2007 au Centre universaire de Narbonne. J’acceptai d’y participer sans lui cacher pour autant, dès ma première réponse, mon profond scepticisme sur les chances de succès de son entreprise, parce qu’elle se présentait d’une manière contradictoire comme une tentative de médiation entre les adversaires du projet de mémorial des disparus français d’Algérie à Perpignan et le Cercle algérianiste de cette ville qui l’avait conçu, mais sollicitée uniquement par les premiers.

La journée du 19 avril fut en elle-même une journée de discussion entre collègues très intéressante, mais les difficultés apparurent quand il fallut en tirer une synthèse. Pour mettre fin à de longues discussions par mail,  après avoir formulé toutes mes objections le 24 mai, j’acceptai de guerre lasse le texte d’Eric Savarese le 28 mai, tout en maintenant ma position personnelle que j’avais exprimée oralement le 19 avril et rédigée ensuite sous le titre «Les raisons de l’échec du traité d’amitié franco-algérien».

À la suite de quoi le rapport de synthèse d‘Eric Savarese fut publié sur le site de l’Université de Perpignan http://www.univ-perp.fr (page d'accueil, rubrique "A la une, actualité") le 29 mai. Par la suite, j’acceptai que le texte de mon intervention fût publié dans les actes de cette journée que publia son organisateur en octobre 2008, mais avec un renvoi à la mise au point que j’avais publiée sur mon site le 5 septembre 2007 sous le titre : «Ma position sur l’annexe au rapport d’Eric Savarese : « une note sur le ‘mur des disparus’», et qui se terminait ainsi :

«Pour conclure, je propose de réfléchir aux remarques suivantes :
Le groupe d’historiens qui s’est réuni le 19 avril dernier à Narbonne n’avait pas vocation à exercer la fonction d’arbitres du conflit mémoriel de Perpignan.
Le projet de “site public de documentation et d’exposition sur l’Algérie” qu’il a élaboré à juste titre peut être réalisé aussi bien à Perpignan, ou ailleurs.
Le Mémorial des disparus français d’Algérie en cours de préparation à Perpignan n’est pas a priori moins acceptable que les activités mémorielles de la Fondation du 8 mai 1945 ou de l’association “17 octobre 1961 contre l’oubli”. Il ne peut donc pas être jugé isolément sans tenir compte de ces précédents» [xviii].

Venu à Metz pour participer au colloque L’Europe face à son passé colonial organisé par Olivier Dard et Daniel Lefeuvre une semaine après la journée de Perpignan, j’y avais présenté la même communication sur «Les raisons de l’échec du traité d’amitié franco-algérien» [xix], qui fut également  publiée dans les actes de ce colloque en octobre 2008, afin de donner la plus large diffusion à mes analyses. Après coup, il me paraît évident que Daniel avait tiré les leçons de cette expérience.

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Et ce d’autant plus que dans le même temps plusieurs des participants au groupe réuni autour d’Eric Savarese, avec la participation très active de Gilbert Meynier, avaient pris l’inititiative de publier à la veille du voyage officiel du nouveau président français Nicolas Sarkozy en Algérie, le 1er décembre 2007, une pétition intitulée «France-Algérie : dépassons le contentieux historique», et sous-titrée «Le voyage à Alger de Nicolas Sarkozy doit être l’occasion de faire face au passé et de penser l’avenir», à la fois en France dans Le Monde et L’Humanité, et en Algérie dans El Watan et Le Quotidien d’Oran en français et dans Al Khabar en arabe.

Invité à participer à cette initiative quelques mois plus tôt, j’avais fait connaître mes critiques aux premières versions. Après avoir lu le texte final, ramassé en une page, qui avait été signé par plusieurs historiens dont j’approuvais le plus souvent les opinions, j’ai décidé de publier sur mon site, le 16 décembre 2007, mes points d’accord et de désaccord, pour aboutir à un essai de synthèse.

J’y approuvai les efforts déployés par le président Sarkozy pour «arriver à tenir un discours qui parvienne à satisfaire toutes les sortes de mémoires représentées en France, et si possible en Algérie», et je conclus ainsi : «Cependant, une implacable actualité est venue rappeler aux Algériens, le 11 décembre dernier, que leur vrai problème n’était pas d’obliger le président de la République française à prononcer les mots qu’ils lui réclament depuis tant d’années, mais de faire en sorte que le terrorisme cesse d’être considéré comme un moyen d’action légitime par des Algériens contre d’autres Algériens. Et ce problème-là, qui tient à l’idéologie enseignée par l’Etat algérien à son peuple depuis l’indépendance du pays il y aura bientôt un demi-siècle, mérite d’être enfin pris en considération si l’on veut que l’avenir des Algériens soit meilleur que leur passé». [xx]

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Mais la même initiative inspira à Daniel Lefeuvre et Michel Renard une réponse beaucoup plus tranchée que la mienne, datée du 3 janvier 2008 et intitulée «France-Algérie : l’impossible travail historique». Elle fut ensuite fut publiée sur le site de Julien Landfried, L’Observatoire du communautarisme, puis sur Etudes coloniales du 20 février 2008, mais aussi dans L’Algérianiste n° 121 de mars 2008, puis dans Historiens et géographes n° 402 de mai 2008 (à la suite du texte de l’appel «France-Algérie : dépassons le contentieux historique»).

«"Dépasser le contentieux historique" qui oppose la France et l’Algérie, tel et le vœu d’un appel lancé par des universitaires et diverses personnalités françaises et algériennes.

Au-delà de la démarche généreuse dont il témoigne, et à laquelle nous sommes sensibles, ce texte suscite bien des réserves qui justifient que nous ne pouvons nous y associer.

Ses auteurs appuient leur démarche sur l’idée que le passé colonial ferait "obstacle à des relations apaisées entre la France et les pays qu’elle a autrefois colonisés", en particulier avec l’Algérie. Dès lors, ils pressent "les plus hautes autorités de la République française de reconnaître publiquement l’implication première et essentielle de la France dans les traumatismes engendrés par la colonisation".

Comment ne pas s’étonner du recours à une conception aussi simpliste de la causalité en histoire qui ressemble plus à la théorie du "premier moteur" d’Aristote qu’aux structures de longue durée de Fernand Braudel ou aux temporalités plurielles et fragmentées de l’historiographie des mémoires. S’il fallait penser les relations entre la France et le Maghreb en terme de traumatismes, pourquoi alors ne pas revisiter une histoire longue, également "traumatique", intégrant les conquêtes arabes, la piraterie "barbaresque" et la mise en esclavage des chrétiens faits captifs ?

En réalité, les auteurs du texte semblent avoir été piégés par la rhétorique des dirigeants algériens qui, pendant la guerre d’Algérie et depuis l’indépendance du pays, utilisent une histoire mythifiée et diabolisée de la colonisation pour justifier leur dictature sur le peuple algérien, l’incurie de leur gestion, la prévarication des richesses nationales, en particulier des hydrocarbures, leur incapacité à assurer sécurité et progrès social à leurs concitoyens.

Ce n’est pas le passé colonial, en lui-même, qui fait obstacle à des relations franco-algériennes apaisées, mais bien plutôt l’usage politique et diplomatique qu’en font, selon les circonstances, les dirigeants algériens. La démagogie historique qu’ils déploient vise surtout à manipuler les ressentiments et les frustrations de la population ainsi qu’à mettre en difficulté le partenaire français. Quel autre sens accorder à cette mise en accusation des faits du passé ? Et quel sens aujourd’hui à vouloir les juger ? Le colonialisme serait-il d’actualité ? La re-colonisation de l’Algérie serait-elle planifiée ? Quand l’Algérie était sous domination française, les contemporains ont eu à réagir, et nombre d’entre eux l’ont fait. Mais, comme Marc Bloch le soulignait, "Le passé est, par définition, un donné que rien ne modifiera plus" et l’historien ne peut que l’étudier et s’attacher à le comprendre. Tout le reste n’est que littérature ou posture d’un anticolonialisme anachronique». (…)

Passons sur le développement très détaillé de l’argumentation, qui faisait un sort presque à chaque mot de ce bref appel, pour en venir à la conclusion :

«Enfin, quel pays, aujourd’hui, "utilise les mémoires meurtries à des fins politiques", sinon l’Algérie ? Qui instrumentalise un passé réécrit pour la circonstance ? Qui évoque les soi-disant "génocides" perpétrés par la France en Algérie ? Qui,  sinon les responsables algériens ? Il est bien inutile de s’indigner contre les "entreprises mémorielles unilatérales" parce que, par définition, la mémoire est toujours spécifique à un individu ou à un groupe. Comme telle, elle est nécessairement unilatérale et ne saurait être partagée avec d’autres individus ou d’autres groupes n’ayant pas vécu les mêmes événements.

Seul, et nous rejoignons sur ce point les auteurs de l’appel, "un travail historique rigoureux" est possible. Mais comment pourrait-il se faire, aujourd’hui, dans ce "partenariat franco-algérien" que le texte réclame, dès lors qu’en Algérie, une histoire officielle corsète la recherche et sa diffusion ? que la plupart des archives, notamment celle du FLN, restent pour l’essentiel fermées aux chercheurs ? Dès lors, au fond, que l’histoire, qui reste un élément central de justification du pouvoir pour des caciques qui n’ont plus guère d’autre source de légitimité, ne dispose d’aucune véritable liberté ? À moins, et le contenu du texte est hélas ! sur ce point particulièrement ambigu, d’entrer dans le jeu des autorités algériennes».

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Daniel Lefeuvre et Michel Renard

Ainsi, cette réponse particulièrement énergique refusait délibérément toutes les formules équivoques nécessaires pour rassembler le maximum de signatures des deux côtés de la Méditerranée. Elle dénonçait clairement l’exploitation de la mémoire dont le pouvoir algérien était et reste coutumier, et dont le texte de la pétition s’interdisait de parler explicitement tout en le désavouant implicitement.

Elle refusait ainsi le risque persistant d’une instrumentalisation de la mémoire par le pouvoir algérien afin de soumettre les esprits des Français (comme ceux des Algériens) à sa volonté affichée d’obtenir une déclaration de repentance pour les crimes de la colonisation, [xxi] ce qui lui aurait permis de continuer à se décharger de toutes ses responsabilités propres sur la seule France. En refusant délibérément ce risque, Daniel Lefeuvre et Michel Renard avaient délibérément pris le risque de couper les ponts avec ceux qui avaient fait le choix inverse.

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Pour autant, Daniel Lefeuvre n’avait pas renoncé à son rôle d’historien, bien au contraire. Dans l’introduction au colloque L’Europe face à son passé colonial, présentée à Metz en mars 2007 et publiée en octobre 2008, il partait, avec Olivier Dard, d’un tableau inquiétant de la «guerre des mémoires» qui prévalait en France depuis une quinzaine d’années :

- «La colonisation a-t-elle eu un "caractère positif" ou a-t-elle été facteur d’une exploitation et d’une domination féroces des peuples et des territoires colonisés ? Faut-il la traiter comme une page d’histoire parmi d’autres ou bien l’expier comme un péché, qui entache la France depuis plus d’un siècle ?  Glorifier l’œuvre française outre-mer ou entrer en pénitence et demander pardon pour les prétendus "génocides" perpétrés par la France dans ses colonies, comme l’exige le président algérien A. Bouteflika ?  Depuis la loi du 23 février 2005 et son article 4, le débat dait rage en France autour de ces questions».

Rappelant l’article de Daniel Rivet paru en mars 1992 dans Vingtième siècle sous le titre «Le fait colonial et nous, histoire d’un éloignement», ils devaient malheureusement constater son erreur : «Quinze ans plus tard, il faut bien le constater, loin d’être enfin devenu un objet froid de la recherche historique, le passé colonial nourrit une véritable "guerre des mémoires", selon l’expression de Benjamin Stora. Une guerre où tout se mêle : les lois mémorielles et leur légitimité, le projet de traité d’amitié franco-algérien et son échec, le poids du passé colonial dans les phénomènes d’exclusion au sein de la société française, les racines coloniales du racisme, les responsabilités de la colonisation dans le sous-développement, etc. Une guerre dans laquelle, bien souvent, l’historien peine à se reconnaître, tant les règles de sa discipline sont mises à mal, dès lors que l’histoire n’entre plus dans une démarche de connaissance et de compréhension, mais qu’elle est mise au service de calculs idéologiques ou politiques» [xxii].

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Et dans sa propre contribution à la fin du livre, intitulée La France face à son passé colonial, un double enjeu,  il se faisait en quelque sorte l’historien de cette histoire très récente, de manière à défendre l’indépendance de l’histoire contre son exploitation idéologique.

Dans sa première partie, il commençait par dresser «les jalons d’une récurrence», celle de la dénonciation du fait colonial depuis les années 1990, mais aussi de sa célébration. Il constatait les excès de la «nostalgérie» d’un certain nombre de rapatriés d’Algérie, qui n’était le plus souvent que «l’expression de la mélancolie du pays perdu de leur jeunesse (…) et de l’irritation et même de la colère face aux caricatures qui sont faites de ce que fut l’Algérie française et de ce qu’étaient les Français d’Algérie. D’autres poussent plus loin, et défendent, en réaction, une image idéalisée des réalités coloniales en s’attachant à ne voir que l’aspect "positif" de la présence française outre-mer».

Mais il rappelait aussi la réalité d’une œuvre positive de la colonisation («la colonisation s’est bien accompagnée du développement d’infrastructures modernes, de services sanitaires et scolaires, etc. On doit aussi porter à son crédit l’essor démographique des populations colonisées qui résulte en grande part de cette intrusion de la modernité»).

Il maintenait donc le cap de l’historien entre l’apologie et le dénigrement : «L’Algérie au temps des Français était une société coloniale, marquée par des inégalités non seulement sociales – lesquelles d’ailleurs traversaient aussi le peuplement français, en très grande proportion constitué de petites gens et non de ces gros colons trop souvent évoqués – mais aussi des inégalités et de même, des infériorités qui distinguaient la masse des Algériens musulmans des Français. Quel que soit le domaine considéré, économique, social, politique, juridique – au moins jusqu’en 1946 - , culturel, médical, etc, ces inégalités sont frappantes» (…).

Puis il distinguait du fait colonial sa condamnation aujourd’hui en vogue : «La condamnation, quant à elle, est le fait d’une nébuleuse qui soutient que la société française serait, aujourd’hui, une société post-coloniale. Dans la France du XXIe siècle, "la gangrène coloniale s’empare des esprits". Dès lors, l’histoire est mise à contribution pour justifier à la fois cette analyse et les revendications mémorielles ou matérielles qui l’accompagnent. Car qui est en jeu, à ce niveau, c’est donc moins la réalité du passé qu’on convoque que ce qu’il permet d’affirmer quant au présent de la République, de son fonctionnement, ainsi que des origines et des causes des disparités sociales et des discriminations de toute nature qui la minent».

C’était l’objet de la partie suivante, intitulée «le sens d’une légende noire». Il aboutissait à un jugement sévère sur des écrits qui confondaient l’histoire avec la justice : «Condamner la colonisation par un jugement politique, à la limite pourquoi pas, même si je trouve cela inepte, mais par un jugement historique ! Faut-il, pour la cause, changer la fonction de la discipline ? La transformer en procureur du passé et exiger que, désormais, elle rassemble les pièces d’accusation – voire qu’elle en fabrique de fausses si nécessaire -  en vue de du procès qu’elle est désormais chargée d’instruire ? Que la revue L’Histoire, pourtant de bonne tenue en général, publie, en octobre 2005, un numéro spécial sous le titre "La colonisation en procès", souligne combien la même dérive menace même des esprits éclairés. D’un enjeu politique, le débat sur la colonisation se double donc d’un enjeu académique, l’un s’articulant à l’autre».

Il en venait donc à proposer dans sa dernière partie un «retour sur quelques règles de la science historique», en s’appuyant sur la figure tutélaire de Marc Bloch, rappelant que «l’historien n’est pas un juge (…) pas même un juge d’instruction». Il formulait alors quatre critiques essentielles contre l’histoire-procès : la «confusion établie entre discours et pratiques», puis «l’anachronisme, ce "péché mortel" des historiens dénoncé naguère par Lucien Febvre», puis «la généralisation de l’exceptionnel ou du contingent qui deviennent alors des caractéristiques faisant de la colonisation un "système"», et enfin «l’absence de comparatisme».

conclusion Metz 2007
Daniel Lefeuvre, Metz, 2007

Et Daniel Lefeuvre concluait avec fermeté : «On le voit bien (…), l’histoire de la colonisation n’est pas seulement un objet de curiosité intellectuelle ou de controverses académiques. L’intérêt qui lui est accordé, au-delà du cercle limité des spécialistes, se justifie dans la mesure où elle parle de la France d’aujourd’hui et offre, par analogie plus que par analyse, des explications commodes et paresseusement satisfaisantes à la crise sociale et identitaire que traverse notre pays. C’est pourquoi on peut gager que le passé colonial ne disparaîtra pas prochainement de l’actualité française. Mais, dans ces conditions, il revient aux historiens de s’arc-bouter sur les principes et les pratiques consacrés de leur discipline, afin qu’un savoir frelaté ne se substitue pas aux connaissances accumulées depuis plusieurs décennies et que de nombreuses nouvelles recherches savantes ne cessent d’enrichir. C’est, en tant que tel, leur seul devoir civique».

Ce remarquable manifeste, qui me rappelle ce que Charles Robert Ageron avait écrit en 1993 sur le devoir d’impartialité incombant aux historiens de la guerre d’Algérie [xxiii], devrait rester présent dans les esprits de tous nos collègues.

 

Les cinq dernières années (2008-2013)

Durant les cinq années suivantes, et surtout durant les trois dernières qui furent pour Daniel une sorte de course contre la montre, est-il resté fidèle à ce beau programme ? Ou bien faut-il croire, comme ceux dont il avait dénoncé les pratiques et les idées, qu’il avait de plus en plus dérivé vers la droite et vers un «révisionnisme» colonaliste ? C’est ce qu’il me reste à examiner, sans oublier que je lui ai été associé dans le même opprobre. En effet, c’est lui qui m’annonça le 23 septembre 2010 que nous avions été l’un et l’autre cloués au pilori de la bien-pensance par un article de Thierry Leclère dans Télérama : «Nous voilà mis dans le même bateau du révisionnisme colonial par un édito de Télérama. Naviguer en ta compagnie est un honneur» [xxiv].

Durant ces années, Daniel Lefeuvre continua à participer à des colloques, voire à les organiser ou les éditer. Citons en quelques uns dans l’ordre chronologique :

- 11-12 décembre 2008 : colloque Pierre Mendès France et les outre-mers, de l’empire à la décolonisation, dans lequel il traita «Pierre Mendès France et l’Algérie coloniale» [xxv] ;

- 29 et 30 avril 2009 : Colloque L’Histoire nationale en débat, regards croisés sur la France et le Québec [xxvi], dans lequel il présenta, avec Michel Renard, leur analyse commune sur «L’identité nationale, enjeux politiques et controverses académique» -  condensé de leur livre antérieur, Faut-il avoir honte de l’identité nationale ?, à la jonction de l’histoire et du débat civique ;

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- 4 et 5 mars 2010 , colloque «Démonter les empires coloniaux» [xxvii] à Aix-en-Provence, dans lequel il avait présenté « le repli en métropole des Français d’Algérie, entre prévisions et improvisations». Mais sa communication écrite manquait dans la version imprimée de ce dernier colloque, qui parut trois ans plus tar [xxviii], sans doute à cause de sa maladie qui ne lui permettait plus de maintenir une activité continue à partir du milieu de l’année 2010. Pour la même raison il ne put participer au colloque «De Gaulle et l’Algérie» organisé par Maurice Vaïsse à Paris les 9 et 10 mars 2012, où il devait présenter «la politique du Général à l’égard de l’Algérie indépendante».

Pendant ce temps le revue en ligne Études coloniales continua sa parution, en donnant de plus en plus la parole à des défenseurs de la colonisation (ce qui en faisait une utile alternative au site internet de la Ligue des droits de l’homme de Toulon). Daniel Lefeuvre eut encore à y défendre en 2012 son livre Pour en finir avec la repentance coloniale contre une disciple de Catherine Coquery- Vidrovitch qui le qualifiait de «pamphlet politique réactionnaire», quand ce livre avait été placé au programme du concours de l’IEP de Grenoble, en répondant aux nombreuses questions du préparateur à ce concours Quentin Ariès [xxix].

réponses Daniel à IEP Grenoble
Études Coloniales, 13 février 2012

Mais il réagit lui-même plusieurs fois au nom de la discipline historique pour critiquer, en des termes toujours mesurés mais toujours fermes, certaines prises de positions de Benjamin Stora qui lui semblaient faire preuve de plus en plus souvent d’une «vision étonnamment angélique» ; il critiqua notamment sa présentation du film Les hommes libres, sorti en septembre 2011 [xxx] : «Au total, trop d’erreurs, parfois grossières, trop d’affirmations non étayées, trop de non-dits entachent ce dossier pour qu’il constitue un outil pédagogique fiable et dont on puisse en recommander l’usage aux professeurs (…). Par ailleurs, je ne prête évidemment aucune arrière-pensée, ni au metteur en scène, ni à Benjamin Stora et je suis persuadé de leur entière bonne foi lorsqu’ils espèrent que le film permettra de rapprocher les communautés musulmanes et juives de France. Je ne peux qu’exprimer mon scepticisme à cet égard».

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Puis de nouveau en avril 2012 il critiqua le film de montage intitulé La déchirure de Gabriel Le Bomin et Benjamin Stora [xxxi]. Ce qui n’avait pas empêché Daniel Lefeuvre de s’associer à moi en novembre 2010 pour défendre la présence espérée de Benjamin Stora dans un débat organisé par la MAFA [xxxii] ambitieusement intitulé «Vers la paix des mémoires ?», où sa présence annoncée avait soulevé une tempête de protestations de militants «pieds-noirs» : «j'assume totalement le fait de leur avoir proposé, parmi les historiens à inviter, le nom de Benjamin Stora. Il me paraît, en effet, comme le rappelle justement Guy Pervillé, important qu'un tel débat, qui manque depuis trop longtemps, associe des historiens dont les points de vue peuvent différer sur tels ou tels événements, la place à leur accorder ou l'interprétation à en donner. C'est aussi par la confrontation que la connaissance historique avance et nul n'a intérêt, aujourd'hui pas plus qu'hier, à vouloir une expression monolithique de la parole historienne».

En même temps, la multiplication de ses interventions dans la sphère des médias – qui lui donna aussi  l’occasion de défendre efficacement ses idées dans des débats télévisés arbitrés par Yves Calvi ou Franz-Olivier Giesbert (notamment celui du 5 avril 2009 où il s’opposa vigoureusement à Jack Lang) -  multipliait aussi les risques de malentendus, ce que prouve par exemple le soutien apporté par Daniel Lefeuvre, habitant du XVIIIe arrondissement de Paris, à la campagne menée par le site Riposte laïque contre l’occupation illégale et répétée chaque vendredi d’une rue de cet arrondissement au nom de l’islam pour la transformer en mosquée de facto.

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Daniel Lefeuvre, 5 avril 2009

Soutien motivé, comme il le disait dans son message du 14 juin 2010, en tant que citoyen par le refus de voir les lois républicaines régulièrement violées par des islamistes avec le soutien de fait des autorités, et en tant qu’historien «qui s’efforce de combattre, à son échelle, les présentations mensongères de ce que fut l‘histoire des colonisations françaises et la fausseté des affirmations qui rejettent la notion d’indentité nationale à l’extrême droite de l’échiquier politique, alors qu’elle s’est affirmée à partir de la Révolution française comme élément constitutif du corpus idéologique de la gauche, y compris du Parti communiste français» [xxxiii].

Mais c’était courir un risque de malentendu, puisque Riposte laïque identifiait l’islamisme à l’islam, alors que Daniel Lefeuvre et Michel Renard – ancien directeur de la revue Islam de France - avaient lancé en 2004 une campagne pour la reconstruction de la kouba des tirailleurs de 1914-1918 au cimetière de Nogent-sur-Marne [xxxiv], qui aboutit à son inauguration le 28 avril 2011.

En même temps Daniel Lefeuvre maintint puis développa de plus en plus nettement sa coopération avec les cercles algérianistes. En effet il revint au congrès algérianiste qui se tint à Saint-Raphaël du 24 au 26 octobre 2008 avec deux autres historiens (Jean-Jacques Jordi et Jacques Valette) pour participer à un débat sur les lieux de mémoires, dans lequel il «martela ses certitudes d’une voix égale».

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congrès algérianiste à San Raphaël, 25 octobre 2008
à partir de la droite, Jean-Jacques Jordi puis Daniel Lefeuvre
(source)

Peu après à l’Université de Metz, le 5 novembre 2008, une table ronde fut organisée par les professeurs Olivier Dard et Daniel Lefeuvre, avec la participation de Jean Monneret, pour comparer les enlèvements perpétrés en Argentine durant la dictature militaire des années 1976-1983 avec ceux qui avaient frappés tant de Français d’Algérie en 1962.

Le contraste était frappant entre la réprobation générale dont ces enlèvements étaient l’objet en Argentine et l’occultation presque totale qui leur était réservée en France. À cet égard, «Daniel Lefeuvre a repris brièvement ses arguments majeurs développés récemment au Congrès de Saint-Raphaël : aucun groupe de pression, notamment chez les historiens, n’a la moindre légitimité à contester ce devoir de mémoire. La science historique en peut en aucun cas se confondre avec le champ mémoriel, et les historiens n’ont pas à s’ériger en moralistes».

Son intervention n’était pas prévue au congrès des cercles algérianistes tenu à Aix-en Provence les 23, 24 et 25 octobre 2009,  mais il participa au deux congrès suivants, à Béziers les 5, 6 et 7 novembre 2010 – pour un débat sur «Cinéma, médias, université : l’histoire de la guerre d’Algérie est-elle condamnée à une représentation idéologique ?» -  puis à Perpignan les 27, 28 et 29 janvier 2012 pour le 50e anniversaire de l’exode des Français d’Algérie (avec la participation du ministre de la Défense Gérard Longuet) et l’inauguration du Centre national de documentation des Français d’Algérie.

Béziers 2010
congrès algérianiste de Béziers, 2010
de g. à d. : Roger Vétillard, Lionel Luca, Thierry Rolando,
Jean-Pierre Lledo, Jean-Paul Angelelli, Daniel Lefeuvre

À cette occasion, Daniel Lefeuvre publia pour la première fois dans Les informations de l’Algérianiste [xxxv] un article très combatif consacré à la justification de l’existence de ce centre, en tant que membre de son comité de pilotage, le défendant contre ses nombreux détracteurs. Justifiant l’existence de centre d’archives privées à côté des centres d’archives publiques, il défendait celui de Perpignan contare le procès d’intention qui lui était fait :

- «Il faut être prisonnier d’une conception très étriquée de l’histoire pour s’indigner d’une telle initiative, au lieu de s’en féliciter et de l’encourager. Ne devons-nous pas être comme les abeilles ? Toute fleur n’est-elle pas bonne à faire notre miel, où qu’elle se trouve ? J’ajouterai que pour les historiens il n’y a pas de "bonnes" ou de "mauvaises" archives. Quant à moi, je préfère remercier les promoteurs de ce centre et me tenir à leur disposition pour contribuer à le faire vivre comme lieu de rencherche sur l’histoire, mal connue – et trop souvent caricaturée – des Français d’Algérie».

Puis, passant de la défense à l’attaque, il s’en prenait à l’argument majeur des adversaires d’un centre d’archives ainsi conçu : «Enfin, que signifie cette revendication d’une "histoire franco-algérienne non falsifiée" de la part d’organisations et de personnalités qui ont une conception hémiplégique de l’histoire, dénonçant à qui mieux mieux les "crimes" du colonialisme français, qui ont de l’histoire une conception procédurale, mais qui restent très discrets – c’est un euphémisme – sur les crimes et les massacres perpétrés par le FLN, dont ont été victimes des milliers d’Européens et des dizaines de milliers d’Algériens musulmans ? Qui sont si peu prolixes – autre euphémisme – sur la politique de terreur du FLN, sur son recours massif aux enlèvements, à la torture et aux viols, pour imposer sa domination sur les populations algériennes et contraindre les Européens à quitter un pays qui les a vus naître. Qui n’évoquent que du bout des lèvres le drame des harkis, victimes d’abord de la barbarie et de l’esprit de vengeance du FLN, qui ne leur pardonnait pas d’avoir combattu aux côtés de l’armée française, foulant au pied l’engagement souscrit lors des "accords" d’Evian, avant même que l’encre n’en soit séchée. Qui vitupèrent l’ouverture d’un centre de documentation mais font silence sur la fermeture des archives du FLN aux chercheurs ! Que ces donneurs de leçons, ces parangons de vertu, balaient donc devant leur porte !»

De même quelques mois plus tard, après l’élection du président François Hollande, Daniel Lefeuvre participa en quelques jours à deux activités des cercles algérianistes. D’abord une table ronde à Masseube, dans le Gers, les 30 juin et 1er juillet, sur «la transmission de la mémoire des pieds noirs», [vidéo intervention D.L.] avec plusieurs autres participants dont Roger Vétillard et moi-même. Quelques jours plus tard à Perpignan, le 5 juillet 2012, il participa à un hommage aux disparus et victimes civiles de la guerre d’Algérie, suivi par une table ronde qu’il dirigea brillamment devant un auditoire de 180 personnes.

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Puis, au début novembre 2012, plusieurs personnalités algériennes ayant relancé leur vieille revendication de repentance de la France dans l’attente du voyage du président François Hollande en Algérie, l’ancien ministre de la Défense Gérard Longuet, interviewé sur la Chaîne parlementaire et croyant la caméra coupée, crut bon de répondre à cette revendication par un bras d’honneur, ce qui fit scandale. Les informations de L’Algérianiste  consacrèrent une page entière à cet événement [xxxvi] dont la majeure partie était un texte de Daniel Lefeuvre intitulé «Pardon à l’Algérie», d’abord publié le 2 novembre sur plusieurs sites internet, puis sur Études coloniales le 4 novembre. Il mérite d’être reproduit :

«Quelle honte ! Tu l’as bien cherché Longuet, ce seau de déjections qui tombe sur ta tête. Quoi ! Un bras d’honneur pour toute réponse à cette légitime revendication de repentance, exigée de la France par le ministre algérien des moudjahidin ! Parce qu’enfin, il faut bien que la France s’agenouille, n’a-t-elle pas d’ailleurs commencé à le faire, pour tous les malheurs dont elle fut la cause ?

Oui, nous devons demander pardon pour ces génocides, perpétrés pendant cent trente années de colonisation, qui ont conduit à un triplement de la population indigène. Oui, nous devons demander pardon au FLN pour l’avoir contraint, pendant la guerre d’Algérie, à massacrer des dizaines de milliers d’Algériens — hommes, femmes et enfants — qui refusaient de se plier à sa loi et à ses exigences. Pardon d’avoir forcé cette grande organisation démocratique à mener à coups d’enlèvements, d’attentats, de tortures et d’assassinats, une guerre d’épuration ethnique. Il fallait bien contraindre les Européens à fuir l’Algérie, pour que le colonisé puisse coucher dans le lit du colonisateur. D’ailleurs, ces pieds-noirs n’étaient-ils pas des occupants ? Bon, d’accord, la plupart étaient nés en Algérie, de parents et, souvent, de grands-parents eux-mêmes nés sur place. Mais Gérard, quand comprendras-tu que la nationalité de la "troisième génération" ne vaut que pour les descendants d’immigrés installés en France ?

Pardon d’avoir laissé sur place, en 1962, une infrastructure routière, ferroviaire, aéroportuaire, scolaire, agricole et industrielle à nulle autre pareille en Afrique. Pardon d’avoir ouvert notre marché aux produits algériens et pardon de les avoir payés à des prix beaucoup plus élevés que les cours mondiaux, pétrole et gaz compris des années durant.

Pardon aussi, pour avoir accueilli entre 1962 et 1967, à la demande de Bouteflika, 300 000 Algériens — dont de nombreux anciens dirigeants nationalistes — venus travailler et résider, ou se réfugier, dans une France coloniale et raciste. Pardon, encore, et jamais assez, pour avoir délivré aux apparatchiks du régime, le premier d’entre eux en tête, des permis de séjour pour se soigner dans les hôpitaux parisiens. Pardon d’avoir introduit le poison de la démocratie et de la liberté de la presse en Algérie, dont le FLN a eu tant de mal à se débarrasser.

Pardon pour être de toute façon, toujours et pour toujours, responsable de cinquante ans de gabegie, de détournement de fonds, de mépris du peuple, de répression contre les opposants, d’asservissement de la femme aux contraintes patriarcales et islamiques. Tout cela, comme le chômage qui frappe 40 % des jeunes, le manque de logements et d’eau courante, ne saurait connaître d’autre explication que l’héritage colonial.

La meute a donc raison, Gérard, de te clouer au pilori médiatique. Ce bras d’honneur est inexcusable. Surtout pour ceux qui ont perdu le sens de l’honneur et de la France».

Ce texte percutant, plus encore que l’article paru dans le n° 137 de mars 2012, donnait l’impression d’une rupture totale de Daniel Lefeuvre avec les règles bien connues de la discipline historique, d’une conversion sans retour au métier de polémiste. Et pourtant, cet exemple éclatant de ce que ses vieux amis appellent son «humour sarcastique» n’était pas une preuve de reniement de cette discipline. C’était plutôt l’un des styles dont il savait user pour exprimer sa pensée.

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Daniel Lefeuvre, studio de RFI en 2007

Qu’on en juge en comparant ce texte décapant avec l’analyse plus pondérée qu’il plaça sur le site Études coloniales le 18 décembre 2012 sous le titre «La réconciliation au prix de la falsification ? À propos du voyage de F. Hollande en Algérie».

«Si le président algérien s’est, jusqu’à maintenant, gardé de demander à la France de faire acte de "repentance" pour les crimes qu’elle aurait commis en Algérie durant la période coloniale, en revanche, d’autres dirigeants algériens exigent un tel acte de contrition.
Ainsi, mardi dernier, le ministre des Mouhdjahidin, Mohamed-Cherif Abbas, réclamait-il "une reconnaissance franche des crimes perpétrés" à l’encontre du peuple algérien. De son côté, le président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme, Farouk Ksentini avait déclaré, la veille, que "La colonisation a été un crime massif dont la France doit se repentir si elle envisage d'établir avec l’Algérie […] de véritables relations délivrées d'un passé tragique, dans lequel le peuple algérien a souffert l'indicible, dont il n'est pas sorti indemne et qu'il ne peut effacer de sa mémoire"
[xxxvii].

Quand on connaît un tant soit peu le fonctionnement du pouvoir algérien, on ne peut pas imaginer que de tels propos aient été tenus sans l’aval du président Bouteflika. Cela révèle une forme de partage des rôles au sommet de l’État algérien entre, d’une part, un président qui souhaite l’essor de la coopération – notamment économique – avec la France, dont son pays a besoin et, d’autre part, le ministre des Moudjahidine et les représentants des associations mémorielles (en particulier la Fondation du 8 mai 1945), dont les discours sont surtout à destination intérieure.

Ces demandes réitérées de repentance ont, en effet, pour fonction première de tenter de détourner le peuple algérien des difficultés qui l’accablent depuis des décennies : chômage massif, touchant en particulier la jeunesse ; crise du logement ; délabrement des services publics scolaires et universitaires, de santé, de transport, etc. Difficultés qui témoignent de l’incurie et de la corruption du parti au pouvoir depuis 1962.

une histoire falsifiée de la colonisation française et du nationalisme algérien

Cette exigence de repentance repose sur une histoire falsifiée de la colonisation française et du nationalisme algérien. Le but : légitimer le pouvoir accaparé par une fraction du FLN lors de l’indépendance de l’Algérie et jalousement conservé depuis.

Certes, la conquête (1830-1849, 1857) puis la guerre d’Algérie (1954-1962) ont été des conflits meurtriers. Mais en aucun cas génocidaires, ni dans les intentions, ni dans les actes. Le simple constat que la population algérienne a triplé entre 1830 et 1954 (hors populations d’origine européenne et juive) en est la démonstration la plus indiscutable. Faut-il, par ailleurs rappeler, que lors des années de conquêtes, l’émir Abd-el-Kader s’est montré impitoyable à l’égard des tribus qui lui refusaient allégeance ou qui s’étaient rangées aux côtés de la France, n’hésitant pas à les combattre et à en exterminer les hommes – y compris les prisonniers !

Quant au bilan des pertes algériennes, lors de la guerre d’Algérie, il ne s’élève pas à un million, voire à un million et demi de "martyrs", comme l’histoire officielle algérienne s’évertue à en convaincre les Algériens, mais à 250 000 morts au maximum, parmi lesquels au moins 50 000  sont à mettre au compte du FLN : assassinats, en Algérie et en France, de militants nationalistes d’obédience messaliste ou supposés tels, assassinats d’Algériens refusant d’obéir aux ordres du FLN et de ceux favorables à la France, massacres de milliers de harkis, perpétrés pour la plupart au lendemain de l’indépendance, dans des conditions d’indicible horreur.

L’évocation par certains de "génocides culturels" relève, elle-aussi, de la propagande la plus grossière et non du constat historique. Jamais la France n’a tenté ni voulu empêcher la liberté du culte musulman et sa pratique. N’est-ce pas, au contraire, le seul pays à avoir acquis deux hôtels, l’un à Médine, l’autre à La Mecque, destinés aux pèlerins musulmans venus de son empire colonial ? Sous la colonisation, les Algériens n’ont pas cessé d’être des musulmans et ils ont pu, librement, s’adonner à leur culte et en observer les prescriptions – y compris lorsqu’ils ont été mobilisés dans l’armée française. Une telle tolérance religieuse existe-t-elle dans l’Algérie actuelle ?

Elle n’a pas, non plus, cherché à éradiquer la langue arabe, ni le tamazight, qui jusqu’à la fin de la période coloniale ont été les langues vernaculaires des populations locales. En revanche, c’est l’affirmation de l’arabité de l’Algérie, par le FLN – on se souvient de la déclaration de Ben Bella à l'aéroport de Tunis, le 14 avril 1962 : "Nous sommes arabes. Nous sommes arabes. Nous sommes arabes!" – qui a mis en péril la langue et la culture berbères.

Mais admettre ces réalités est impossible pour les dirigeants algériens, sauf à reconnaître qu’ils n’ont cessé de mentir et que le FLN a dû imposer son autorité – sa dictature - en usant aussi de la terreur contre le peuple dont il s’est proclamé l’unique représentant» [xxxviii].

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Études Coloniales, 18 décembre 2012

C’était donc une analyse politiquement engagée, sans aucun doute, et défavorable à la politique algérienne de la gauche française actuelle, mais qui continuait de se fonder sur l’histoire. Même si elle était elle-même discutable, puisque j’ai pu aboutir à des conclusions sensiblement différentes après un mois d’enquête et de réflexion sur le voyage du président Hollande en Algérie [xxxix].

En même temps, à partir d’octobre 2010, Daniel Lefeuvre était entré en relation avec la Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie – dont la création par l’État et par certaines associations d’anciens combattants était une conséquence de la loi du 23 février 2005 – pour voir à quelles conditions la participation d’historiens à son conseil scientifique serait utile et donc acceptable. Il exposa à plusieurs de ses collègues sa conception de ce que pourrait être  l’utilité de cette fondation :

- «Ce serait faire oeuvre utile, je crois, si la Fondation prenait en charge la construction d'un site internet (parce qu'évolutif et qui pourrait s'enrichir constamment) qui ne présenterait pas un inventaire des sources à proprement parlé, travail démesuré, mais qui constituerait une sorte de centre d'information sur les différents lieux conservant des fonds relatifs à la guerre d'Algérie et aux combats en Afrique du Nord, avec un descriptif sommaire permettant aux chercheurs intéressés de se rapprocher directement du détenteur de ces fonds. Bien entendu, cela suppose de travailler en étroite collaboration et en priorité avec le réseau des archives nationales (…). Ce serait au fond une sorte de guichet de première information, une plateforme d’orientation, auquel s'adresseraient les chercheurs et qui permettrait de faire connaître et vivre des ressources très largement inexploitées. La connaissance de la guerre d'Algérie et des combats en Afrique du Nord en serait tout à la fois approfondie et élargie à des champs jusque-là peu labourés».

Il voulut aussi faire connaître sa position en répondant à une tribune libre publiée dans Le Monde.fr du 10 novembre 2010 par l’éditeur François Gèze et le vice-président de la Ligue des droits de l’homme Gilles Manceron, qui s’attachaient à démontrer que la création de cette fondation participait d’une «vaste opération de réhabilitation de la colonisation».

Daniel Lefeuvre discutait la validité de leurs arguments, qui reprochaient à cette fondation son «péché originel» (l’article 3 de la loi du 23 février 2005) et son nom («Fondation pour la Mémoire, et non pour l’histoire, ce qui conduirait inévitablement à en faire le lit et la caisse de résonnance des nostalgiques de la colonisation, en particulier des rapatriés d’Afrique du Nord et de leurs associations»).

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Il concédait que cet argument n’était pas sans valeur, mais le relativisait : «Comme beaucoup, dès lors qu’une fondation se créait, j’aurais préféré une fondation pour l’histoire de la guerre d’Algérie et des combats en Afrique du Nord. Reste qu’il ne faut peut-être pas se rendre prisonnier de ce nom. D’ailleurs, combien d’historiens se sont-ils élevés contre la dénomination de la Fondation pour la mémoire (et non pour l’histoire)  de la shoah ? Combien aujourd’hui contestent-ils le travail considérable que cette Fondation a accompli jusqu’ici, notamment dans sa dimension proprement historique ?»

Et il remarquait qu’une autre fondation, la Fondation algérienne du 8 mai 1945, «dont le but est d'obtenir du gouvernement français la reconnaissance des "génocides" que la France aurait perpétrés lors des répressions des mouvements qui ont alors ensanglantés le Constantinois et plus généralement ceux qu’elle aurait commis durant toute la période coloniale», n’a pas inspiré la même opposition.

Il remarquait aussi que le conseil d’administration est composé en majorité de représentants des donateurs qui ne sont pas des militaires, mais des associations d’anciens combattants. Cependant, le point essentiel était  le statut et la composition du Conseil scientifique : si  ce Conseil «est composé d’historiens reconnus, français et étrangers, et s’il dispose de la maîtrise totale des orientations scientifiques et des activités – y compris mémorielles – de la fondation et de la ventilation des fonds disponibles, le Conseil d’administration se contentant de veiller à la bonne gestion financière de l’institution, alors, me semble-t-il, et compte tenu de ses moyens financiers importants, cette fondation peut-être utile à la recherche et aux chercheurs».

Daniel Lefeuvre critiquait ensuite l’argument suivant lequel la dotation généreuse de la Fondation nuirait à celle des universités et du CNRS en rappelant que les organisateurs de colloques font appel à tous les soutiens publics et privés possibles.

Enfin il répondait à l’argument essentiel, suivant lequel sur un tel sujet une fondation franco-algérienne serait préférable à une fondation française :

Le statut de l’histoire de la domination coloniale...

- «Certes, j’admets bien volontiers que, de prime abord, l’idée peut paraître séduisante. Mais je constate aussi qu’elle relève, et je le crains pour de longues années encore, de l’utopie. Qui, d’ailleurs, ne  le sait pas ? Le statut de l’histoire de la domination coloniale et de la guerre d’Algérie est d’une nature différente de part et d’autre de la Méditerranée. Ici, elle est l’objet d’une recherche fructueuse, déjà ancienne, reposant sur des archives – publiques et privées – très largement accessibles  qui ont permis aux historiens – de quelques nationalités qu’ils soient par ailleurs – de faire leur travail dans une totale liberté intellectuelle et de pouvoir en publier les résultats sans être soumis à une censure directe ou indirecte. Peut-on en dire autant en Algérie ? Certes, des progrès notables sont à souligner.

Là-bas aussi, la recherche progresse, des témoignages importants sont livrés, des travaux de grande qualité sont produits et publiés. Mais cela tient au courage des chercheurs algériens, beaucoup plus qu’à une volonté de l’Etat de dépolitiser l’histoire du nationalisme algérien et de la guerre d’Algérie. Le pouvoir politique, ses antennes institutionnelles ou militantes et ses relais médiatiques n’ont toujours pas renoncé aux mythes sur quoi repose leur reste de légitimité : unanimité du peuple algérien qui dès le 1er novembre 1954 se soulève à l’appel du FLN contre la domination coloniale ; FLN unique mouvement authentiquement nationaliste ;  guerre qui aurait coûté la vie à un million et demi de martyrs, etc.

Or, la création d’une Fondation, surtout bi-nationale, relève toujours, en bonne part,  de la décision des États concernés. Dès lors, de deux choses l’une : si l’État algérien donne son feu vert à une telle initiative, ce serait pour en contrôler l’activité afin qu’elle reste en conformité avec les dogmes du FLN, et, in fine pour obtenir de la France cette fameuse "repentance" et les réparations – morales et matérielles - qui vont avec, et qu’il exige depuis des lustres. Ou bien, si les historiens imposent de travailler selon les règles admises de leur discipline, alors l’État algérien refusera de s’associer à une entreprise qui conduirait, inéluctablement, à détruire ces mythes et ces dogmes auxquels il  s’accroche encore. Or, rien ne peut l’inquiéter plus qu’une histoire critique de la colonisation et de la guerre d’Algérie.

Dès lors, pourquoi cette revendication d’une Fondation commune  de la part de collègues ? Sans espoir que celle-ci puisse voir le jour et où ils pourraient travailler sérieusement, librement, comme ils le font dans leurs université ou au CNRS, le seul but que j’aperçois à cette demande est quelle permet de délégitimer a priori la Fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie.

En revanche, si une coopération institutionnelle n’est pas envisageable, rien n’interdit, bien au contraire, d’associer aux travaux de la Fondation des historiens de toutes origines, y compris, bien entendu, algériens».

Et il tirait donc de ce constat la conclusion suivante : «Dès lors, la question que je me pose est de savoir s’il faut persévérer dans le refus de principe que lui opposent non pas LES historiens mais CERTAINS d’entre eux, ou bien, au contraire, plutôt que de jouer le jeu de la chaise vide (pour combien de temps d’ailleurs ?) ne vaut-il pas mieux saisir les opportunités que la Fondation offre pour dynamiser notre champ de recherche, en lui apportant le concours de notre expertise et de nos exigences et en lui proposant ou en soutenant des  projets utile à l’avancée de la connaissance historique – y compris de chercheurs étrangers, notamment algériens ? Il serait alors toujours temps, si la Fondation trahissait la mission qui lui a été officiellement assignée, d’en dénoncer les éventuelles orientations partisanes, pièces à l’appui».

Fondation Algérie

En conséquence de cette analyse, et après de nombreuses péripéties dont certaines m’ont échappé, Daniel Lefeuvre, qui avait été élu à l’Académie des sciences d’outre-mer en 2012, accepta en juin 2013 la présidence du Conseil scientifique de la Fondation, qui lui rendit hommage lors de son colloque sur les harkis [xl] les 29 et 30 novembre 2013.

Historien engagé donc, il voulait néanmoins rester toujours fidèle à l’histoire, et il le manifesta encore une fois avec éclat le 27 février 2012, quand le maire de Paris intervint dans l’organisation d’une exposition sur «les Parisiens et la guerre d’Algérie», dont le commissariat général avait été confié à Jacques Frémeaux et Daniel Lefeuvre par le Comité d’histoire de la Ville de Paris.

Convoqués à un entretien avec le cabinet du maire pour s’entendre dire que ce commissariat général devait être élargi pour trouver «une solution scientifiquement rigoureuse et politiquement consensuelle», ils démissionnèrent pour les raisons suivantes : «Vous estimez donc que nous ne sommes pas capables de proposer aux Parisiens une exposition "scientifiquement rigoureuse",  contestant ainsi notre compétence scientifique en la matière. D’autre part, votre exigence que cette exposition présente un discours historique "politiquement consensuel" ne laisse pas de nous surprendre. Notre conception de l’histoire, comme discipline scientifique, ne saurait reposer sur une telle exhortation. Il n’existe pas une histoire "de gauche" et une histoire "de droite" qu’il conviendrait de rendre consensuelles. Il existe des faits historiques que l’historien, par un long travail de recherche et d’analyse critique, doit s’attacher à découvrir et à expliquer. Cela vaut pour l’histoire de la guerre d’Algérie comme pour tout autre sujet».

J’ai revu Daniel Lefeuvre, apparemment en pleine forme, le 14 mars 2013 au colloque de la MAFA intitulé «Vers la paix des mémoires ? Les accords d’Evian, traité ou chimère ?», où il présenta la situation économique de l’Algérie en 1962, et une dernière fois le 6 avril 2013 quand il vint à Bordeaux, à l’invitation du Cercle algérianiste local, pour répondre sur le thème «le cercueil et la valise» au livre de Pierre Daum intitulé Ni valise ni cercueil, auquel j’avais moi-même déjà répondu sur mon site [xli].

Avant de céder au nouvel assaut de sa maladie, il avait donné son accord pour participer au Congrès des cercles algérianistes qui s’est réuni à Perpignan du 8 au 10 novembre 2013, dans un débat avec Dimitri Casali prévu pour le samedi 9, qui aurait porté sur le thème : «Peut-on encore sauver l’histoire de France ?».

colloque Reims

Il aurait dû participer aussitôt avant (les 7 et 8 novembre) au colloque organisé à Reims sur «les troupes coloniales et la Grande Guerre» en parlant de l’hôpital colonial de Nogent-sur-Marne. Mais deux semaines plus tôt, le 18 octobre, un article du journal local fondé sur des sources anonymes avait dénoncé un scandale : «des historiens invités sont réputés complaisants avec la mémoire de la colonisation», et précisé : «C’est un colloque déséquilibré faisant la part belle à une idéologie nostalgique coloniale très marquée à droite, ce qu’on n’attendait pas de la part d’une municipalité de gauche», et «Le programme aux thématiques importantes laisse croire qu’il s’agit d’une rencontre sérieuse alors que la parole va être donnée à des historiens au discours réactionnaire», à savoir Daniel Lefeuvre et ses amis Michel Renard et Marc Michel, qui feraient partie des «historiens révisionnistes» [xlii].

La fin de l’article signalait pourtant la réaction des autorités universitaires qui avaient défendu la liberté du débat intellectuel, et celle de l’organisateur du colloque Philippe Buton : «Ce sont des bruits de sanitaire indignes d’un journal d’information».

En effet, à lire cet article, on est stupéfié de voir à quel point la notion même de liberté de l’histoire paraît avoir disparu des esprits de journalistes, mais aussi de soi-disant historiens nostalgiques du temps de l’Inquisition ou du KGB. Mais pour tous ceux qui l’ont connu et apprécié, Daniel restera dans leur mémoire comme un modèle de courage : courage intellectuel, courage civique – jusqu’au bord de  la témérité - et courage privé.

Guy Pervillé
professeur émérite d'histoire contemporaine
à l'université de Toulouse - Le Mirail

Conference-Guy-Perville--n--1-25-09-2012

 


[i] La guerre d’Algérie au miroir des décolonisations françaises, Paris, Société française d’histoire d’outre-mer, 2000, 683 p.

[ii] Sous-titre choisi par la rédaction de la revue pour sa lettre.

[iii] L’Histoire, n° 56, mai 1983, pp. 98-101.

[iv] Chère Algérie, comptes et mécomptes de la tutelle coloniale (1830-1962),  Paris, Société française d’histoire d’outre-mer, 1999, 397 p.

[v] Chère Algérie, la France et sa colonie (1930-1962), Paris, Flammarion, 2005, 512 p.

[vi] Par exemple son étude sur «Le coût de la guerre d’Algérie» dans les actes du colloque Ageron publié par lui en 2000, pp. 501-514.

[vii] «Les pieds-noirs», in Mohammed Harbi et Benjamin Stora s. dir. La guerre d’Algérie, 1954-2004, la fin de l’amnésie, Paris, Robert Laffont, 2004, pp. 267-286.

[viii] Le texte rédigé de son intervention fut publié dans les Cahiers d’histoire immédiate n° 28 hiver 2005 (pp. 67-76) sous le titre : «Les prémices de l’exode des Français d’Algérie».

[ix] Pour en finir avec la repentance coloniale, Paris, Flammarion, 2006, 231 p.

[x] «Les historiens de la guerre d’Algérie et ses enjeux politiques en France» (2003), http://guy.perville.free.fr/ spip/article.php3?id_article=20.

[xi] Échange de mails indirectement restransmis. Daniel Lefeuvre avait développé la même analyse dans la partie explicative de la correspondance qu’il avait publiée d’un appelé mort en 1959, Lettres d’Algérie, André Segura, la guerre d’un appelé (1958-1959), Paris, éditions Nicolas Philippe, 2004.

[xii] Blog personnel de Daniel Lefeuvre : www.blog-lefeuvre.com/

[xiii] Daniel Lefeuvre avait accepté de participer à la réalisation d’un projet de «musée de la France en Algérie» à Montpellier, mais il avait claqué la porte en novembre 2005 : «Nous ne sommes pas là pour servir la soupe aux politiques ni aux rapatriés».

[xiv] Daniel s’en prenait beaucoup plus à Olivier Lecour-Grandmaison, Gilles Manceron, Pascal Blanchard…

[xv] Réponse au livre de Catherine Coquery-Vidrovitch, Enjeux politiques de l’histoire coloniale (2012), http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=282.

[xvi] Daniel Lefeuvre (1951-2013), http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/2013/11/05/28368217.html.

[xvii] Faut-il avoir honte de l’identité nationale ?, Paris, Larousse, 2008, 189 p. Ce livre répondait à celui de Gérard Noiriel, À quoi sert l’identité nationale ? éditions Agone, 2007, 156 p.

[xviii] http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=156.

[xix] http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=231.

[xx] Voir sur mon site : http://guy.perville.free.fr, ma réponse à la pétition «France-Algérie, dépasser le contentieux historique», http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_ article=162.

[xxi] Voir mon texte sur «La revendication algérienne de repentance de la France» (2004), http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_ article=22.

[xxii] L’Europe face à son passé colonial, Paris, Riveneuves, 2009, 391 p.

[xxiii] Préface de Charles-Robert Ageron à L’Algérie des Français, Paris, le Seuil, 1993, p. 13.

[xxiv] Voir sur mon site ma «réponse à Thierry Leclère» du 3 octobre 2010, http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=256.

[xxv] Paris, éditions Les Indes savantes, 2012, 130 p.

[xxvi] Publié par Eric Bédard et Serge Cantin, avec la collaboration de Daniel Lefeuvre, Paris, éditions Riveneuve, 2010, 240 p.

[xxvii] Publié sous la direction de Jean Fremigacci, Daniel Lefeuvre et Marc Michel, Paris, Riveneuve, 2013, 507 p.

[xxviii] Les actes des deux derniers colloques cités rejoignirent L’Europe face à son passé colonial (2007) dans la même collection des éditions Riveneuve.

[xxix] http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/____pour_en_finir_avec_la_repentance_coloniale/index.html

[xxx] http://www.rue89.com/2011/10/04/lhistorien-benjamin-stora-repond-aux-detracteurs-des-hommes-libres-224831, et http://ripostelaique.com/la-vision-etonnament-angelique-de-benjamin-stora-presentant-le-film-les-hommes-libres.html.

[xxxi] http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/2012/04/10/23971171.html.

[xxxii] Maison des agriculteurs français d’Algérie, dirigée par un fils de disparu de 1962, Jean-Félix Vallat.

[xxxiii] http://ripostelaique.com/Bien-des-raisons-me-conduisent-a-m.html.

[xxxiv] http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/2007/01/15/3708854.html.

[xxxv] Complément de la revue L’Algérianiste, n° 137, mars 2012, pp. 12-13.

[xxxvi] Supplément au n° 140 de L’Algérianiste, décembre 2012, p. 10.

[xxxvii] En fait, Daniel Lefeuvre confondait la dernière déclaration de Farouk Ksentini, avec la précédente. Voir mon analyse dans la référence suivante.

[xxxviii] http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/2012/12/18/25952048.html; Les mêmes réponses se retrouvent le lendemain dans une interview accordée au site Atlantico :  http://www.atlantico.fr/decryptage/faut-se-reconcilier-avec-algerie-tout-prix-daniel-lefeuvre-dimitri-casali-ahmed-rouadjia-581616.html.

[xxxix] «Le voyage du président Hollande en Algérie, 19-21 décembre 2012», placé sur mon site le 17 janvier 2013, http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=287.

[xl] Colloque Les harkis, des mémoires à l’histoire, Paris, Hôtel national des Invalides, Amphi Austerlitz, 29-30 novembre 2013.

[xli] Réponse au livre de Pierre Daum : Ni valise ni cercueil, les pieds-noirs restés en Algérie après l’indépendance (2012), http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=280.

[xlii] http://www.lunion.presse.fr/region/des-invites-controverses-au-colloque-sur-les-troupes-coloniales-ia3b24n232134.

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5 novembre 2013

Daniel Lefeuvre (1951-2013)

Daniel 2007Daniel Lefeuvre en 2007, dans sa maison de la Creuse (photo M.R.)

 

la disparition de l'historien Daniel Lefeuvre

spécialiste de l'Algérie coloniale

 biographie - iconographie - hommage - réactions

 

I - Décès de Daniel Lefeuvre

Daniel Lefeuvre, historien de l'Algérie Coloniale, est mort le lundi 4 novembre 2013 à 23 heures dans une chambre de l'hôpital Saint-Louis à Paris. À l'âge de 62 ans. Prennent ainsi fin trois années d'une maladie dévastatrice dont il savait l'issue inéluctable. Et pourtant, jamais, il n'a renoncé, supportant courageusement tous les traitements sévères prescrits par le médecin très compétent et très attentionné qui s'occupait de lui.

Jamais il n'a renoncé à préserver les siens, son épouse et ses deux fils, ses proches et tous ceux qu'il côtoyait, des douleurs qu'il endurait. Il a gardé, jusqu'au bout, une belle allure et l'envie de chercher, d'écrire, de combattre et d'aider les jeunes chercheurs.

Jamais Daniel n'a abdiqué. Il a toujours répondu aux sollicitations de conférences, de débats, de publications, de projets, de responsabilités. Dernièrement, en juin 2013, il était devenu président du Conseil scientifique de la Fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie, des combats du Maroc et de Tunisie. Il avait été élu, l'année dernière, membre de l'Académie des Sciences d'Outre-mer.

La douleur, la peine, le chagrin de sa famille, de ses amis, de ses collègues, de ses nombreuses connaissances, sont immenses. Chacun perçoit l'injustice devant le départ prématuré d'un homme si plein d'humanité, de gentillesse, d'humour, de dévouement et d'abnégation.

Je connaissais Daniel depuis près de quarante ans. On me pardonnera cette incursion personnelle. Nous avons partagé tant de moments et de défis intellectuels, professionnels et personnels. Témoin de mariage, parrain de mon deuxième fils aujourd'hui âgé de 9 ans.
Cheminement parallèle dans la rédaction de nos mémoires de maîtrises (Daniel, avec Jean Bouvier) et de DEA, préparation des concours, réussite au Capes. Nos parcours universitaires ont, par la suite, divergé. Daniel a mené, sans se laisser distraire, les recherches minutieuses qui l'ont conduit à sa thèse de doctorat, sous la direction de Jacques Marseille (décédé lui aussi prématurément le 4 mars 2010), L'industrialisation de l'Algérie (1930-1962), soutenue en 1994.

 

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Devenu, en 1994, maître de conférence à l'université Saint-Denis/Paris VIII, à laquelle il est resté fidèle, il passe son H.D.R. (habilitation à diriger des recherches), en salle Duroselle à la Sorbonne, le 18 décembre 2001. Le jury est composé de Jacques Marseille, de Daniel Rivet, de Jacques Frémeaux, de Marc Michel, de Benjamin Stora et de Michel Margairaz.

À la fin des années 1990, il s'implique dans la relance de la Revue Française d'Histoire d'Outre-mer, avec la connivence de Pierre Brocheux.

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Accédant au rang de professeur des universités en 2002, il anime des séminaires sur l'histoire coloniale, il devient même, un moment, directeur du Département d'Histoire à Paris VIII.
Daniel prend des initiatives - auxquelles il m'associe souvent - comme ces sessions de formation à l'histoire de l'islam et de la laïcité. Il dirige le travail de nombreux étudiants en les incitant toujours à la rigueur du chercheur. Daniel Lefeuvre a été un infatigable prescripteur de recherches en archives dont il connaissait de très nombreux centres.

En 2006, nous fondons avec Daniel Lefeuvre, Marc Michel et moi-même, l'association Études Coloniales. Puis le blog homonyme, espace hybride entre la revue et le magazine, lieu d'informations, de contacts et de confrontations, ressource à laquelle ont puisé des chercheurs de dizaines de pays à travers le monde.

Tout en poursuivant inlassablement ses propres recherches dans de multiples dépôts d'archives - dont de nombreux résultats, hélas, ne donneront pas lieu à des publications scientifiques -, Daniel publie le retentissant Pour en finir avec la repentance coloniale (Flammarion, 2006).
 

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Les controverses sur cet ouvrage n'ont pas toujours été honnêtes. On trouvera sur ce blog les échanges polémiques de Daniel Lefeuvre avec quelques-uns de ses contradicteurs. En d'autres occasions, il a pu s'exprimer sereinement et infliger une leçon de rigueur historique à l'ancien ministre Jack Lang.
http://www.dailymotion.com/video/xi5ds_chez-f-o-g-jack-lang_news

2006 chez FOG

 

En 2008, nous écrivons ensemble Faut-il avoir honte de l'identité nationale ? (Larousse) pour montrer à tous les détracteurs ingorants du passé intellectuel de notre pays, que l'essentiel de l'historiographie française - à commencer par les plus grands (Michelet, Lavisse, Seignobos, Mathiez, Bainville, Marc Bloch, Braudel, Duby, Mandrou, Girardet, Chaunu, Agulhon, Zeldin, Colette Beaune, Nora, Burguière, etc.) - parlait de l'identité française sans xénophobie, sans collusions barrésiennes ni maurassiennes.
Reçus par un ministre, à Paris, en avril 2009 pour évoquer les idées de cet ouvrage, nous sortons sans trop d'illusions.
Daniel venait d'acheter L'Identité malheureuse de Finkielkraut qu'il comptait lire lors du prochain séjour projeté dans sa chère maison creusoise. Il s'apercevait que nous en avions déjà beaucoup dit sur le sujet.

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Sorbonne 9 avril 2009à Paris, sortant d'un ministère, dans la cour de la Sorbonne, le 9 avril 2009

 

En 2008, également, il organise avec le professeur Olivier Dard, à l'université de Metz, un colloque international intitulé L'Europe face à son passé colonial.
Daniel Lefeuvre termine sa propre communication par les propos suivants : "C'est pourquoi on peut gager que le passé colonial ne disparaîtra pas prochainement de l'actualité française. Mais, dans ces conditions, il revient aux historiens de s'arc-bouter sur les principes et les pratiques consacrés de leur discipline, afin qu'un savoir frelaté ne se substitue pas aux connaissances accumulées depuis plusieurs décennies et que de nombreuses nouvelles recherches savantes ne cessent d'enrichir. C'est, en tant que tel, leur seul devoir civique" (éd. Riveneuve éditions, 2008, p. 377).

 

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En 2009, il est associé au projet de déménagement des Archives nationales quittant ainsi le centre de la capitale. Il participe à la pose de la première pierre avec Isabelle de Neuschwander, conservateur du patrimoine, chargée du projet de nouveau centre à Pierrrefitte-sur-Seine.

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du nouveau Centre des Archives nationales à Peyrefitte

 

En 2010, il collabore au colloque organisé par Serge Cantin et Olivier Bédard, L'histoire nationale en débat. Regards croisés sur la France et le Québec, publié par Riveneuve éditions.

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En 2004, je découvre aux Archives d'Outre-mer le dossier racontant l'histoire de l'édification de la kouba de Nogent-Sur-Marne, dédiée aux combattants musulmans décédés en métropole (1919), mais entièrement disparue depuis. Il nous apparaît, à Daniel et à moi que ce témoignage d'histoire et de mémoire méritait d'être relevé.
Après plusieurs années de démarches après des ministères, des organismes d'anciens combattants, des communes et départements - combats politiques, financiers et épistolaires menés avec persévérance par Daniel -, le projet voit le jour. La kouba est reconstruite et inaugurée le 28 avril 2011.

kouba 28 avril 2011inauguration de la kouba du cimetière de Nogent-sur-Marne reconstruite

 

En 2013, Riveneuve éditions publie les actes du colloque organisé par Daniel, Jean Fremigacci, spécialiste de l'histoire malgache et Marc Michel, africaniste, tous trois amis de longue date : Démontages d'empires.

 

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Daniel avril 2012Daniel Lefeuvre, avril 2012

 

Nous reviendrons sur le bilan scientifique de son oeuvre. L'heure est à l'affliction. Nous pensons à toi, Daniel.

 

Philippe Conrad et couv DANIEL
une évocation de Daniel Lefeuvre dans une émission de Philippe Conrad
avec Jean Monneret en 2021

 

Michel Renard

 

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II - quelques images de Daniel, notre ami

 

Union dans les luttes 2Jean-Charles Venturini, Daniel Lefeuvre, Michel Renard, mai 1981 (© Denise Arias)

 

Union dans les luttes 1vente militante de journal Union dans les Luttes, mai 1981 à Paris (© Denise Arias)

 

Daniel Creuse 19821982, dans la Creuse

 

Daniel Creuse 1982 avec Pierrot1982, dans la Creuse, avec mon fils Pierre

 

Daniel Creuse août 82
1982, dans la Creuse, avec mon fils Pierre

 

avec Maurice Creuse 19831983, dans la Creuse, avec le paysan, Maurice, (mort le 11 octobre dernier)
et mon fils Pierre

 

3 juillet 20043 juillet 2004

 

Daniel à la cuisine 23 oct 2005Daniel... rabelaisien généreux, 23 octobre 2005

 

m_Dany3à Paris, XVIIIe arrondissement, en 2005



Daniel 2006Daniel Lefeuvre à Paris, en 2006

 

Daniel portant ÉmileDaniel et son filleul Émile, dans la Creuse, juillet 2007

 

IMG_1448_1 copieessai d'une nouvelle tenue professorale pour la rentrée 2007...

 

24 juin 200824 juin 2008, dans son bureau

 

7 avril 20097 avril 2009, avec son filleul

 

8 avril 20098 avril 2009

 

Daniel 2011Daniel à i-télé, le 9 mai 2011 (source)

 

avril 2012 rue Simartavril 2012, chez lui

 

 

DSCN0486 - Version 2le 17 mars 2013 à Saint-Chamond/Saint-Étienne

 

juin 2013 resto (1)en juin 2013, Paris, avec André Fontaine, médecin, et Michel Renard

 

juin 2013en juin 2013, Paris, avec André Fontaine, médecin, et Pierre Renard

 

___________________________

 

III - la bibliothèque de travail de Daniel Lefeuvre

 

bibliothèque 3 24 juin 200824 juin 2008

 

bureau Daniel 24 juin 2008 (1)24 juin 2008

 

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IV - Hôpital Lariboisière, le mardi 12 novembre 2013

 

faire-part Mondefaire-part du Monde, 9 novembre 2013

 

faire-part Figarofaire-part du Figaro, 8 novembre 2013

 

IMG_7986-630x350hôpital Lariboisière, Métro "Gare du Nord" ou "Barbès-Rochechouart"

 

1472772_10201681314288086_1992170892_nGuy Konopnicki (journaliste, écrivain) et Gérard Molina (agrégé de philosophie)
le 12 novembre 2013, évoquant le souvenir de Daniel, leur ami

 

Néness et Konop (1)Jean-Pierre Janesse, dit "Nénesse" et Konop, la force des souvenirs

 

André, Malika, 12 nov (3) 2013Malika et André Fontaine, amis de Daniel


____________________

 

V - Hommage, le mardi 12 novembre 2013


Quatre allocutions ont été prononcées lors de la cérémonie d'hommage, en présence de plus de cent cinquante personnes, avec Denise Lefeuvre, son épouse, et Guillaume et Louis, ses deux fils.

Michel Renard, Michel Margairaz, Marc Michel et Jean Fremigacci se sont exprimés.

Michel Margairaz            Marc Michel
Michel Margairaz                                                     Marc Michel

   

in memoriam Daniel Lefeuvre (1951-2013)

Michel Renard, 12 novembre 2013

La vie de Daniel Lefeuvre, son parcours, sa pensée n’appartiennent à personne. Ils les emportent avec lui.

Mais chacun, ici, en gardera des moments, des fragments, le souvenir de discussions vives dont on ressortait plus lucide, le souvenir de l’extraordinaire humanité de Daniel, de son humour sarcastique mais toujours fraternel, de son dévouement gratuit, de la modestie qui ne sied qu’aux grands esprits, et bien sûr de son incontournable œuvre d’historien.

Je livrerai quelques fragments du Daniel que j’ai connu. En espérant que Denise, son épouse, Guillaume et Louis, ses deux fils y trouveront le témoignage de ma fidélité et de mon admiration pour leur mari et pour leur père, mon ami.

22 juillet 2007 Daniel et ÉmileDaniel Lefeuvre et son filleul, 22 juillet 2007

Daniel Lefeuvre est issu d’un milieu socialement modeste. Son père était fossoyeur au cimetière de Pantin et Daniel en parlait toujours avec vénération. Cet ouvrier, d’origine bretonne, est décédé l’année où son garçon passait son Bac à 18 ans.

Louis, le fils cadet de Daniel perd aujourd’hui son papa, à l’âge où son propre père perdait le sien. Triste symétrie d’un crève-cœur familial.

cimetière Pantincimetière parisien de Pantin

La mère de Daniel, Irène, que nous sommes plusieurs à avoir connue, était ouvrière. Je salue avec affection sa mémoire. C’était un «cœur simple» comme aurait dit Flaubert, mais avec plus de liberté acquise dans sa destinée.

Son petit pavillon de banlieue, à Bondy, était ouvert et d’une inoubliable hospitalité. On y était reçu avec spontanéité et générosité.

Il a manqué un Willy Ronis pour fixer avec poésie l’image de ces instants de «bonheur modeste» qu’Irène dispensait à tous les amis de Daniel qui devenaient immédiatement les siens.

La scolarité et les études de Daniel Lefeuvre ont été marquées par les convictions politiques et les engagements militants de l’époque. Son milieu familial ouvrier et les rencontres loyales qui accompagnèrent sa jeunesse l’orientèrent «naturellement» vers le communisme, les Jeunesses communistes au lycée, l’Union des étudiants communistes (UEC) à l’université, parallèlement au syndicalisme étudiant au sein de l’UNEF.

Il sacrifia une partie de son cursus universitaire à son volontariat partisan. Y contractant des amitiés indéfectibles et y croisant des individus dont la carrière ultérieure put lui sembler une trahison.

 

les amitiés fécondes

Au chapitre des amitiés fécondes, il y aurait une belle brassée de figures.

Parmi les plus anciennes, il faudrait citer Jean-Pierre Janesse, dit «Nénesse», avec qui Daniel effectua un mémorable tour d’Europe en moto et avec peu d’argent… ; Daniel Milekitch et Denis Maresco, étudiants à Villetaneuse, l’université des fils de banlieue, que j’ai connue quelques années après eux ; André Fontaine, notre ami médecin, et son épouse Malika, amis ultimes ; la haute stature de Gérard Vaugon, dit «Bakou», disparu en 2003 ; la culture littéraire et le sens politique de Guy Konopnicki, dit «Konop» ; l’exceptionnelle intelligence de Gérard Molina.

Entrée de VincennesParis VIII, à Viincennes

Et dans cette université de Paris VIII, à Vincennes, c’est là qu’il rencontra Denise, élève de l’historienne Germaine Willard, qui devint la compagne de toute sa vie.

J’ai rencontré Daniel, la première fois, à Villetaneuse, avec Bakou à la rentrée universitaire 1974. Bakou, inimitable Mirabeau des campus, le verbe étincelant et le charisme rayonnant. Daniel, véritable boule de révolte, en guerre avec tout ce que le monde avait fait naître en lui de déceptions et de désillusions.

Tous les deux fondèrent, peu après, une librairie dans un local de la cité HLM «Allende», à la sortie du campus de Villetaneuse. Ils croyaient en la diffusion de la culture. Pour eux, l’université devait être une grande prêtresse du livre. Ils en seraient les officiants.

Auparavant, comme élu national étudiant, Daniel fut membre du CNESER. Et il y a quelque ruse de l’histoire à ce qu’il fût devenu, il y a quelques années, membre du CNU, ayant à examiner la qualification des futurs maîtres de conférence et professeurs des universités.

 

Entre-temps, son trajet le conduisit, plusieurs années durant, à la vente du livre, de manière itinérante d’abord sur les campus universitaires, puis dans une librairie ouverte dans la Zup d’Argenteuil et intitulée «La halte des heures».

Il s’y dépensa avec Denise pour tenter d’offrir une vraie littérature à tous et des conseils de lecture pour les enfants.

Zup Argenteuilune dalle de la Zup d'Argentueil

Puis il reprit le chemin des études et des concours. En commençant par le professorat, en tant que maître-auxiliaire, dans les LEP. Et par la préparation du Capes-Agrégation à la Sorbonne où nous suivîmes les cours passionnants de Michel Vovelle, de Robert Fossier, de Michel Zimermann, de François Hincker, de François Rebuffat et de Joël Cornette dont Daniel, plus tard, devint le collègue à Paris VIII Saint-Denis.

 

la recherche historienne en histoire coloniale

Il engagea parallèlement ses recherches en archives, sous la direction de Jacques Marseille dont la lecture de Empire colonial et capitalisme français l’avait convaincu des illogismes de nos simplistes convictions de jeunesse en matière d’histoire coloniale.

Marseille couv

Daniel Lefeuvre eut le courage intellectuel de renoncer à celles-ci et de se confronter à la rigueur de l’histoire positiviste, particulièrement en matière économique.

Son souci de l’exactitude factuelle et de la méthodologie historienne le poussèrent, à travers l’investigation archivistique de sources nouvelles, à réfuter quelques mythes, plus politiques qu’historiens d’ailleurs.

Il retrouvait, renouvelait et prolongeait une historiographie française attachée à la neutralité axiologique qu’avait illustrée, en 1960, Henri Brunschwig dans Mythes et réalités de l’impérialisme colonial français, 1871-1914.

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La thèse de Daniel, parue en 1997 sous le titre amphibolique de Chère Algérie, 1930-1962, suscita des débats mais aucune réfutation étayée.

La colonisation, qu’elles qu’en furent les affres militaires, ne fut jamais un «pillage».

Oui, Daniel doit à Jacques Marseille. Mais il édifia son propre cheminement historien et ne suivit pas ce dernier dans l’éloge du libéralisme.

Il resta un historien libre qu’aucun «camp» ne put jamais s’approprier.

Ni les nouveaux adeptes des «études post-coloniales», qui ne voient qu’«images» et «discours» comme démiurges d’une réalité dont ils ignorent l’épaisseur sociale ; ni les nostalgiques a-critiques de l’Algérie coloniale qui oublient les injustices et inégalités de la domination des conquérants.

À distance de toutes les reconstructions mémorielles, l’historien ne sombra jamais ni dans l’anachronisme ni dans la téléologie.

Il faut dire que Daniel Lefeuvre était un infatigable lecteur en archives, acceptant ce qu’elles pouvaient lui apprendre et ce qui pouvait le surprendre. Cela le préserva de tous les dogmes partisans.

 

Caom 20 juillet 2004 copiesalle de lecture du Caom

Nous nous sommes maintes fois retrouvés au Centre des archives d’Outre-mer à Aix-en-Provence, présents à la première heure et derniers partis, en négligeant souvent le repas.

Le soir, nous retrouvions notre ami, le conservateur André Brochier, et d’autres passionnés de la recherche, comme Jean-Louis Planche et Jean Fremigacci, qui ne pouvaient se satisfaire des huit petites heures quotidiennes à compulser les papiers sortis des célèbres et épais cartons gris.

 

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C’est dans ce scriptorium des temps modernes, et dans une multitude d’autres, que Daniel découvrit et analysa les données qui constituèrent son œuvre historienne.

Je ne dirais pas qu’il avait la religion de l’archive, parce que son esprit critique, son positivisme analytique et son sens de la problématisation l’interdiraient. Mais il avait la «passion de l’archive», comme le formula un jour l’historienne Arlette Farge.

Cette passion de l’archive et de la rigueur historienne lui fit écrire l’éclatant Pour en finir avec la repentance coloniale (2006) qui, sous une forme ramassée et d’apparence polémique est d’abord un livre de démonstration historique.

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Par son expérience politique et sa connaissance de l’histoire, Daniel Lefeuvre savait très bien qu’on ne peut jamais vraiment «en finir» avec les préjugés et les idéologies partisanes, mais à ne pas le tenter on se montrerait infidèle aux vertus du savoir comme à l’éthique du savant.

En 2006, nous fondons, Daniel Lefeuvre, Marc Michel et moi-même l’association Etudes Coloniales. Puis le blog homonyme, espace hybride entre la revue et le magazine, lieu d’informations, de contacts et de confrontations, ressource libre à laquelle ont puisé des chercheurs de dizaines de pays à travers le monde. Daniel y répondit, avec précision, caractère et courtoisie, à ses contradicteurs.

Dans la foulée est mis en ligne le Répertoire des historiens du temps colonial, comportant ce jour 225 notices auxquelles Daniel contribua largement.

 

l'identité nationale

J’ai partagé avec Daniel, la joie et la stimulation intellectuelle d’écrire Faut-il avoir honte de l’identité nationale ? (2008).

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Il ne s’agissait pas d’une histoire de l’identité française, seulement d’une réaction contre une logomachie honteuse du passé national mais ignorante de celui-ci, d’une réaction contre les ponts-aux-ânes d’un militantisme de slogans.

Il fallait rappeler l’extraordinaire bilan de l’école historique française, et anglo-saxonne, qui sut définir l’identité française sans jamais sombrer dans aucun barrésisme, dans aucun maurrassisme ni dans une quelconque xénophobie.

Historien de l’Algérie coloniale, ayant voyagé en Algérie et au Maroc, Daniel avait fait de la Creuse son havre de ressourcement. Il y retrouvait le paysan Maurice, son complice, disparu le mois dernier à l’âge de 84 ans.

Il y retrouvait aussi les traces de la longue histoire agraire de la France. Un  moment, Daniel avait envisagé de racheter la maison creusoise de l’immense historien médiéviste, Marc Bloch : «ça aurait de l’allure !», disait-il…

le Bourg d'Hem CreuseLe Bourg d'Hem, patrie creusoise de Marc Bloch

Daniel Lefeuvre avait «sous le coude» et dans les innombrables fichiers de son ordinateur des centaines de pages destinées à la rédaction de plusieurs livres que la maladie lui a interdit de mener à terme.

Mais il est une entreprise qu’il eut la force d’accompagner jusqu’à sa réalisation concrète et à l’égard de laquelle il éprouva un indéniable amour-propre, ce fut la reconstruction de la kouba de Nogent-sur-Marne.

Cette initiative, selon nous, symbolisait la fusion du savoir historique et de l’hommage mémoriel.

En 2004 – pardonnez-moi de dire «je» en ce jour -, je découvre aux Archives d'Outre-mer le dossier racontant l'histoire de l'édification de la kouba de Nogent-sur-Marne, dédiée aux combattants musulmans décédés en métropole et inaugurée en 1919, mais entièrement disparue depuis 1982.

C'est principalement à Émile Piat, consul général, attaché au cabinet du ministre des Affaires étrangères et chargé de la surveillance des militaires musulmans dans les formations sanitaires de la région parisienne, que l'on doit la construction de cette kouba.

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Le monument fut édifié à la fin de la Première Guerre mondiale grâce à une conjonction d'initiatives qui importait à Daniel : la politique de gratitude et de reconnaissance de l'institution militaire à l'endroit des soldats venus du domaine colonial, l'empathie d'un consul entreprenant et l'entremise d'un officier des affaires indigènes en poste à Alger, le soutien d'un édile communal et la générosité d'un marbrier. Cette osmose dépassait toute politique d'intérêts au sens étroit.

C'est ce surplus de signification, le signe d'une mutuelle reconnaissance, qui avaient toutes raisons d'être rappelés malgré le temps passé.

Après plusieurs années de démarches après des ministères, des organismes d'anciens combattants, des communes et départements - combats politiques, financiers et épistolaires menés avec persévérance par Daniel tout seul -, le projet voit le jour. La kouba est reconstruite et inaugurée le 28 avril 2011.

Daniel disparaît alors que débutent toutes les commémorations du centenaire de la Grande Guerre. Il y aura magnifiquement participé avec la renaissance de la kouba, au sein du carré musulman du cimetière de Nogent-sur-Marne.

 

un testament d'historien

En 2008, il avait organisé avec le professeur Olivier Dard, à l'université de Metz, un colloque international intitulé L'Europe face à son passé colonial.

Il terminait sa propre communication par les propos suivants qui, aujourd’hui, résonnent comme un testament d’historien :

"C'est pourquoi on peut gager que le passé colonial ne disparaîtra pas prochainement de l'actualité française. Mais, dans ces conditions, il revient aux historiens de s'arc-bouter sur les principes et les pratiques consacrés de leur discipline, afin qu'un savoir frelaté ne se substitue pas aux connaissances accumulées depuis plusieurs décennies et que de nombreuses nouvelles recherches savantes ne cessent d'enrichir. C'est, en tant que tel, leur seul devoir civique".

Daniel 6 juin 2013Daniel Lefeuvre, 6 juin 2013

Daniel affectionnait la lecture du Journal de Jules Renard. J’y puise cette dernière formule, dont la presque inconvenance n’aurait pas, je crois, déplu à Daniel : «On ne s’habitue pas vite à la mort des autres. Comme ce sera long quand il nous faudra nous habituer à la nôtre ! ». Sans toi, Daniel…

Et ainsi que tu ponctuais souvent la fin de nos innombrables discussions : Kenavo, mon ami !

 Michel Renard

 

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VI a - L'article de l'historien Guy Pervillé

- lire ici

Conference-Guy-Perville--n--1-25-09-2012

 

VI b - L'hommage de l'historien Olivier Dard

Olivier Dard pour Daniel Cercle algérianiste
publication du Cercle Algérianiste

Olivier Dard
Olivier Dard

 

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VII - Articles de presse et liens vers des sites

Figaro 11 nov 2013 articleLe Figaro, 11 novembre 2013

 

Le monde 0
Le Monde 1
Le Monde 1_2

Le Monde, 12 novembre 2013

 

- département d'histoire de l'Université Paris VIII / Saint-Denis
http://www2.univ-paris8.fr/histoire/?p=5258

- Cril 17 info
http://cril17.info/2013/11/09/in-memoriam-daniel-lefeuvre/

- articles et vidéos où apparaît Daniel Lefeuvre
http://www.fdesouche.com/429527-lhistorien-daniel-lefeuvre-est-mort

- autres vidéos sur le site Prêchi-Prêcha
http://www.prechi-precha.fr/colonisation-de-lalgerie-rappel-historique-avec-daniel-lefeuvre-video/

- "Comment la France s'est ruinée en Algérie : hommage à Daniel Lefeuvre", par Bernard Lugan
http://bernardlugan.blogspot.de/2013/11/comment-la-france-sest-ruinee-en.html

- le site Boulevard Voltaire a relayé l'article de Bernard Lugan
http://www.bvoltaire.fr/bernardlugan/daniel-lefeuvre-un-africaniste-libre,40719

- le site Noix Vomique
http://noixvomique.wordpress.com/2013/11/13/daniel-lefeuvre-1951-2013/

- "Hommage à Daniel Lefeuvre qui vient de nous quitter", sur le site Agora Vox
http://www.agoravox.tv/tribune-libre/article/hommage-a-l-historien-daniel-41684

- "Hommage à Daniel Lefeuvre", par Pierre Cassen sur le site Ripsote Laïque
http://ripostelaique.com/hommage-a-daniel-lefeuvre-auteur-de-faut-il-avoir-honte-de-lidentite-nationale.html

- Nicolas Marty sur le site de l'Association française d'histoire économique
http://afhe.hypotheses.org/3510

- le site Enquête et débat, Jean Robin
http://www.enquete-debat.fr/archives/hommage-a-lhistorien-daniel-lefeuvre-qui-vient-de-nous-quitter-20188

- "Disparition de Daniel Lefeuvre", sur le site Bir-Heicheim, le rombier
http://www.bir-hacheim.com/disparition-de-daniel-lefeuvre/

- "Daniel Lefeuvre est mort" sur le blog de l'histoire
http://blog.passion-histoire.net/?p=13776

- "Daniel Lefeuvre", sur le site Le coin du Popodoran
http://popodoran.canalblog.com/archives/2013/11/06/28371538.html

- le site de l'APHG (Association des professeurs d'histoire-géographie), l'article nécrologique préparé par Hubert Bonin
http://popodoran.canalblog.com/archives/2013/11/06/28371538.html

- le même article sur le site de la SFHOM (Société française d'histoire d'outre-mer)
http://sfhom.free.fr/daniellefeuvre.pdf

- "un historien courageux au service de la République", site Apolocalisse laica
http://apocalisselaica.net/index.php?option=com_content&view=article&id=195393%3Adaniel-lefeuvre-un-historien-courageux-au-service-de-la-r%C3%A9publique&catid=226%3Aestero&Itemid=222

 

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VIII - Réactions, messages et condoléances

 

Daniel 30 sept 200630 septembre 2006

 

1) Messages reçus

 

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Bien chers amis,

C'est avec beaucoup de tristesse que nous avons appris le décès, hier soir, de notre ami Daniel Lefeuvre qui luttait depuis trois ans déjà contre la maladie.
Daniel était très proche du cercle qu'il avait rejoint, il devait à nouveau intervenir devant les congressistes le week-end end prochain à l'occasion de notre congres national.
Son fils Guillaume qui m'apprenait cet après-midi la triste nouvelle me disait combien son père se sentait bien parmi les algérianistes lui qui nourrissait plein de projets avec le cercle Algérianiste. Il me disait aussi l'émotion qui étreignait son père lorsque le chant des africains retentissait parmi les nôtres.
Merci à Daniel pour son soutien, pour sa compréhension de nos drames, pour avoir eu le courage de dire au sein du monde universitaire bien trop souvent monolithique une autre vérité.
Un hommage lui sera rendu samedi prochain lors du 40e anniversaire du cercle à Perpignan.
Avec mes fidèles amitiés

Thierry ROLANDO
5 novembre 2013

 

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Cher Monsieur,

Je n'ai pas eu le temps de vous répondre hier, pardonnez m'en.
La nouvelle que vous m'avez apportée m'a touché. Je connaissais peu Daniel Lefeuvre personnellement, mais chacun de nos contacts avait été simple et direct. Je crois qu'il s'est battu courageusement contre la maladie. C'est une perte douloureuse pour ses proches et ses amis, dont vous êtes, mais aussi pour l'histoire.
Le prochain numéro du Figaro Histoire (sortie fin novembre) lui rendra hommage.
Bien cordialement

Jean SÉVILLA
6 novembre 2013

 

Fondation Algérie

 





Monsieur le Président, Madame, messieurs les administrateurs, madame, messieurs les conseillers scientifiques,  Nous apprenons avec une très grande tristesse le décès de notre ami le Professeur Daniel Lefeuvre, survenue le 4 novembre. Homme d'un dévouement exceptionnel, historien de très grande qualité, Daniel Lefeuvre, était un universitaire rigoureux et respecté, d'une grande honnêteté intellectuelle.
Il avait accepté avec courage d'être  le président du conseil scientifique de la Fondation à laquelle il a immédiatement apporté un soutien éclairé. Sa présence et sa bonne  humeur vont nous manquer.  La Fondation adresse à sa famille ses condoléances les plus sincères.

Paul MALMASSARI Directeur de la FM-GACMT
6 novembre 2013

 

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Cher Michel,
Je viens d’apprendre par un message de Hubert Bonin, la triste nouvelle, le décès de Daniel Lefeuvre. Je sais combien vous étiez proches tous les deux, et devine la peine qui doit être la tienne. Je connaissais Daniel depuis le début des années 1990 à Paris 8, et j’avais participé à son jury d’habilitation. Nous nous étions opposés ces dernières années, notamment à propos des ouvrages sur “la repentance coloniale” et “l’identité nationale”, ou sur le documentaire La déchirure.  Mais je crois pouvoir dire que nous avions un respect mutuel pour chacun de nos travaux.
Je présente à sa famille mes plus sincères condoléances.
Bien à toi.

Benjamin STORA
7 novembre 2013

 

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J’ai appris avec tristesse le décès de Daniel Lefeuvre. C’était un homme sympathique, plein d’humour et de joie de vivre. Il avait toujours plein de projets à soumettre à son entourage. Je le connaissais depuis peu de temps. Après notre rencontre de septembre 2008, nous nous sommes revus régulièrement et à chaque fois c’est avec beaucoup de plaisir que nous avons pu échanger sur bien des sujets, et pas seulement sur l’Histoire .
Le bel hommage que Michel Renard  - son complice de toujours - lui rend sur le site d’Études Coloniales mérite d’être lu. Daniel Lefeuvre a écrit sur des sujets difficiles, pas toujours politiquement conformes, avec une grande rigueur, sans langue de bois, ce qui lui a attiré des critiques pas toujours très honnêtes. C’est un grand historien qui nous quitte, nous ne l’oublierons pas.

Roger VETILLARD
8 novembre 2013

 

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Pour Daniel Lefeuvre
Pourquoi avais-je de l’estime pour l’historien Daniel Lefeuvre ?
Après avoir servi la France comme officier SAS du contingent pendant les années 1959-1960, et cru, à un moment donné, court, aux chances d’une communauté franco-africaine, je m’étais imposé une sorte de «jeûne» colonial.
C’est en reprenant contact avec l’histoire coloniale, plus de trente années plus tard, que j’ai découvert dans l’air du temps toutes sortes de nouveaux romans «nationaux», qui valaient bien celui de notre Lavisse national, porté aux nues d’une nouvelle histoire coloniale tout à la fois anachronique, médiatique, «entrepreneuriale», et à la fin, repentante.
Et dans tout ce tumulte plus idéologique qu’historique, le flux montant et renouvelé des histoires ou des mémoires de la guerre d’Algérie, et de l’Algérie elle-même, des histoires ou des mémoires dont j’avais eu soin de me garder, tant elles envahissaient tout le champ de l’histoire coloniale, en même temps qu’elles faisaient aussi top belle part à l’émotion, à la passion, et au cas personnel.
Les ouvrages de Daniel Lefeuvre m’ont sorti de cette sorte d’exil historique intérieur parce qu’elles s’inscrivaient dans le type d’histoire qui seul à mes yeux en a les caractéristiques, c’est-à-dire le respect de la chronologie et des faits, mais en même temps, et ce qui n’est pas si courant dans l’histoire coloniale, l’analyse des faits sous leur angle statistique, économique et financier, au-delà donc des histoires des idées seules beaucoup plus malléables.
Au fin du fin, l’exemple d’un historien authentique qui pratiquait son métier à contre-courant, contre toutes les dérives de notre temps.

Jean-Pierre RENAUD
9 novembre 2013

 

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J’ai connu assez tard Daniel Lefeuvre, un printemps, aux Centre national des archives d’Outre-Mer à Aix-en-Provence où il travaillait avec le rythme soutenu de ceux qui savent où ils vont, et que le chemin sera ardu. Conduit par la nécessité à suspendre un temps ses études, jeune père de famille, il entendait ne gaspiller ni un instant ni un centime. Le seul loisir qu’il se soit accordé, à la veille de son départ, fut un détour par le centre-ville pour acheter un modeste cadeau à l’intention de ses deux garçons.

Le sujet de thèse qu’il avait choisi n’était pas non plus au demeurant des plus faciles. Il entendait démontrer par l’étude du cas de l’Algérie que l’abandon par la France de ses colonies, au tournant des années soixante, avait été dicté par un raisonnement financier bien compris : le coût en était devenu bien supérieur au rapport. Il suffit de se rappeler le gouffre financier que provoquait la guerre d’Algérie, au moment où en Afrique noire des groupes armés commençaient de se constituer dans la brousse. La France qui entrait dans le Marché commun se retrouvait en concurrence face à une Allemagne, une Italie et une Hollande, débarrassées de leurs charges coloniales.

Tout, certes, ne se monnaye pas. Comment comptabiliser l’apport au rayonnement de la France qu’avait apporté un auteur comme Albert Camus ? Comment estimer la profondeur stratégique que conférait l’Algérie et qui explique le choix par les Anglo-américains en 1942 d’amorcer par leur débarquement la reconquête de l’Europe, Alger devenant du coup la capitale de la France en guerre, et le siège du gouvernement de la République ?

Cependant Chère Algérie, 1930-1962, ouvrage que Daniel Lefeuvre tira de sa thèse, provoqua parmi les progressistes et les marxistes étriqués un tollé. Il fut d’autant plus vif que la démonstration par le cas algérien venait conforter l’étude générale menée par son directeur de thèse, Jacques Marseille, sur le poids qu’était devenu pour la France son empire colonial.
On parla d’un renouveau de «cartiérisme», rangeant Daniel Lefeuvre et Jacques Marseille parmi les héritiers du journaliste Raymond Cartier, anticolonialiste conservateur, célèbre un moment pour sa phrase «plutôt la Corrèze que le Zambèze».

Mais le fait que l’Algérie soit toujours aujourd’hui le premier client de la France, et que la ville de Marseille, seconde ville de France, lui doive de garder son rang de premier port de Méditerranée, sans sombrer dans une misère totale, prouvent qu’ils savaient raison garder. Si être marxiste est d’abord faire l’analyse réelle de faits réels, Daniel Lefeuvre, accusé comme Jacques Marseille par les «bien-pensants» d’avoir trahi, restera un auteur incontournable.

Jean-Louis PLANCHE
10 novembre 2013

 

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Roger SABOUREAU (association Secours de France) n'a pas laissé de message écrit mais plusieurs témoignages oraux lors de conversations téléphoniques. Je puis en témoigner. Les signes de son attachement à l'humanité et à l'intelligence historique de Daniel ont été touchants et sincères. Il l'a plusieurs fois reçu sur Radio Courtoisie. Une complicité était née entre entre eux. Roger Saboureau est un homme droit qui a su écouter Daniel et lui prodiguer, dans les derniers temps, les soutiens et aides nécessaires, sur nombre de projets en cours et notamment sur le dossier de la Kouba de Nogent-sur-Marne. (M.R.)
- "Daniel Lefeuvre nous a quitté !" sur le site de Secours de France
http://www.secoursdefrance.com/content/view/1311/9/

 

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À Monsieur Michel RENARD
Cher Monsieur,
C'est avec une très grande tristesse - immédiatement exprimée sur le site www.clan-r.fr - que j'ai appris le décès de Daniel Lefeuvre pour qui j'avais beaucoup d'estime et même de l'amitié. Nous nous connaissions assez bien. Il était mon confrère à l'Académie des Sciences d'Outre-Mer où il présidait le conseil scientifique du Centenaire et nous siégions ensemble au conseil scientifique de la Fondation dont il était le Président.
Compétent, rigoureux, courageux, Daniel avait d'immenses qualités humaines et morales qui le faisaient apprécier d'un très grand nombre.
Il va laisser un énorme vide mais son oeuvre subsistera, je dirais même se poursuivra ; vous allez la faire vivre, nous allons tous la faire connaître et elle va assurément être à l'origine de vocations.
L'Académie des Sciences d'Outre-Mer lui rendra hommage vendredi prochain, le 22 novembre à 15 heures ; il serait bien que vous-même et ceux qui vous entourent à l'Assocation puissiez être présents.
Je vous prie d'agréer, cher Monsieur, l'expression de ma profonde sympathie.

Denis FADDA
Président (h) de l'Académie des Sciences d'Outre-Mer
18 novembre 2013

 

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2) Commentaires sur Daniel Lefeuvre (1951-2013), postés sur le blog

 

Habib-Kazdaghli

 





- J'adresse toutes mes condoléances à sa famille, à ses amis et à ses collègues. C'est un collègue généreux et disponible, à chaque fois que je l'ai rencontré à Paris 8, j'ai gardé une très bonne impression. Paix à son âme.
Habib Kazdaghli, professeur d'Histoire contemporaine
Doyen de la Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de Manouba-Tunisie.
Posté par Habib Kazdaghli, 5 novembre 2013

- Je m'associe à la peine de ceux qui ont côtoyé Monsieur LEFEUVRE historien émérite sur l'Algérie. J'ai rencontré le général Maurice FAIVRE et Monsieur Jean MONNERET, tous deux historiens dans le même domaine, mais je n'ai jamais eu l'opportunité de rencontrer Monsieur LEFEUVRE. En revanche, je serai heureux de pouvoir rencontrer Monsieur Michel RENARD qui doit habiter à Saint Chamond. Personnellement, je réside à St Jean Bonnefonds.
Posté par anicaud, 5 novembre 2013

- Toutes mes très sincères condoléances à sa famille, a ses amis.
Il reste une Œuvre et pour cela nous le remercions; mais nous le remercions surtout, pour sa recherche de la vérité , qui demandait le vrai courage d'aujourd'hui : le courage intellectuel.
JLF
Posté par JLf, 6 novembre 2013

- Je ne connaissais pour ainsi dire pas Daniel Lefeuvre, croisé seulement quelques fois dans des séminaires parisiens, mais j'ai toujours eu beaucoup d'estime pour le combat qu'il menait à juste titre contre ce que vous appelez le "savoir frelaté". Sur ce point tout particulièrement je partage votre analyse.
J'essaye, à ma mesure, autant que l'Université veuille bien m'en donner la possibilité de mener moi aussi ce même combat qui est, après le combat pour la vie, le seul qui vaille vraiment la peine.
Toutes mes condoléances à la famille de Daniel Lefeuvre. Très sincèrement.
J.A.
Posté par J.A., 6 novembre 2013

- Une nouvelle bien triste et des photos profondément touchantes. Mes plus sincères condoléances vont à la famille et aux proches de M. Lefeuvre.
Posté par Benjamin, 6 novembre 2013

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- Une vieille amitié nous liait, remontant à Jacques Marseille. Nous ne nous sommes pas fait mutuellement de cadeau dans le domaine historique, ayant assez souvent des interprétations divergentes depuis quelques années. Mais nous avions, je crois pouvoir le dire, une sincère affection l'un pour l'autre, faite de respect mutuel, sensible à chacune de nos rencontres. Je présente à sa famille mes plus sincères condoléances.
Catherine Coquery-Vidrovitch
Posté par Catherine C. Vid, 6 novembre 2013

 

Badr Maqri













- Mes sincères condoléances à sa famille, ses proches et ses ami(e)s.
Badr Maqri / Université Mohammed I / Oujda / Maroc
Posté par Maqri, 7 novembre 2013

Jean-François Paya













- Profondement touche j’ai eu l'honneur de rencontrer plusieures fois le professeur Lefeuvre lors de colloques et conférences dont une à notre cercle Algerianiste de Poitiers où il m’avait vivement en courage à poursuivre mes recherches sur les massacres du 5 juillet 62 à Oran, contre vents et marées, en m’affirmant que l’Histoire n’était pas le privilege des universitaires, sa vision de notre histoire algérienne reste lumineuse et toujours présente, impérissable. Merci cher Professeur.
Jean Francois Paya AC/ Algérie classe 54/2
Posté par JF PAYA, 7 novembre 2013

- Une mémoire s’en va, un drame pour notre pays au moment où nous aurions besoin de tant de tolérance
Posté par Mogondi, 7 novembre 2013

- C'est avec tristesse que j'apprends la mort de mon cher professeur. Il a été mon directeur de recherche pour ma maitrise et mon DEA.
J'ai toujours apprécié sa liberté de pensée hors des cadres dogmatiques et son exigence intellectuelle qui le caractérisait. Je prenais énormément de plaisir à assister à ces cours et à nos rencontres de suivi de travaux. Je garde le souvenir d'un homme profondément humain, sans prétention, dans ses rapports avec ses étudiants.
Toutes mes condoléances à sa famille et à ses proches.
Rodolphe Belmer
Posté par Rodolphe, 7 novembre 2013

- J'ai eu l’honneur de connaître le professeur Daniel Lefeuvre et de travailler avec lui de 2008 jusqu'à son départ. Il était mon directeur de recherche pour mon Master2 (2008-2009) et dirigeait ma thèse en cours. Je demeure très reconnaissant à son égard pour ses qualités humaines et scientifiques, son humilité, ses conseils et son accompagnement dans des conditions extrêmement difficiles et particulières.
Son départ est une grande perte pour les étudiants, les chercheurs et pour le domaine de l'histoire.
Je présente toutes mes condoléances pour ses proches et ses amis. (Tu nous a quitté mais nous ne t'oublions pas).
MARGHICH Moussa
Posté par MARGHICH, 7 novembre 2013

- Bonsoir,
j'avais dévoré son livre sur la repentance coloniale
j'apprends sa disparition sur "Enquête et Débat"
j'adresse toutes mes condoléances à sa famille
je prie pour son âme sans connaitre ses convictions religieuses et/ou sa foi
Je suis très triste car il a y a bien peu d'hommes capables comme lui de défendre la vérité historique à partir de quoi se construit la mémoire et l'identité.
Bref je pleure la disparition de cet homme que je ne connaissais pas personnellement
RIP
Posté par WOILLEMONT, 7 novembre 2013

 

Maxime Gauin







- Un historien aussi rigoureux que courageux, et un homme plein d'humanité. Sa mort est une perte à tous égards. Je renouvelle ici mes condoléances.
Posté par Maxime Gauin, 7 novembre 2013

En souvenir des années militantes à Paris XIII-Villetaneuse. Mes condoléances les plus attristées à sa famille et à ses proches.
Posté par christophe93200, 7 novembre 2013

- La lutte contre le politiquement correct et l'histoire frelatée, contre les bien-pensants démagos et les réflexions binaires blancs mauvais noirs gentils, basée sur le socle de la vérité vient de perdre son plus grand serviteur.
Je m'amuse encore très souvent à regarder M. Lefeuvre "moucher" quelques énergumènes du genre en direct à la télévision, sur youtube… sincères condoléances….
Posté par GAULMIN, 8 novembre 2013

 

Jean Pavée









- Professeur d'histoire dans un lycée de la banlieue de Nancy, militant et contributeur à Riposte Laïque, je remercie Daniel Lefeuvre pour m'avoir éclairé grâce à la lecture de "Pour en finir avec la repentance coloniale" et de "Faut-il avoir honte de l'identité nationale ?".
Merci à sa rigueur et à son courage.
Jean Pavée
Posté par Jean Pavée, 8 novembre 2013

- La France a perdu en la personne de Daniel Lefeuvre un très grand bonhomme, un très grand historien.
Je vous salue M .Lefeuvre. Condoléances à la famille.
Posté par lanceur, 8 novembre 2013

- Étudiant à Paris 8 il y a un peu plus de 10 ans, j'ai connu brièvement M. LEFEUVRE. Sa disparition m'attriste beaucoup. Toutes mes condoléances à sa famille.
Posté par Cyril, 9 novembre 2013

- Pour être un grand historien comme M. Lefeuvre il faut être habité par le doute et obsédé par la vérité.
Toutes mes condoléances à sa famille.
Posté par bernard, 10 novembre 2013

- C'est grâce à l'enseignement de Daniel Lefeuvre que j'ai appris ce qu'est la recherche en Histoire. Sa culture historique, sa connaissance des archives et sa rigueur resteront pour toujours un modèle. C'est aussi l'homme bienveillant et généreux que j'ai découvert au fil de ces années.
J'ai une pensée pour sa famille pour laquelle j'adresse mes sincères condoléances.
Monsieur Lefeuvre, je ne vous oublierai jamais.
Posté par DH, 10 novembre 2013

- Ma fille a été une de ses étudiantes il y a quelques années. J'ai le souvenir d'un enseignant extrêmement attentif et bienveillant, qui donnait beaucoup de conseils avisés, et mettait les mains dans le cambouis pour aider ses étudiants. Je l'ai vu malmené dans des émissions, plus ou moins accusé de relents colonialistes, alors qu'il ne faisait que dire la réalité des choses, j'en avais ressenti un profond malaise.
Mais dans ce pays, lorsqu'on s'éloigne du politiquement correct, on est sanctionné et rudoyé. Tout mon soutien à sa femme et ses enfants. C'était un monsieur bien, très bien, un honnête homme, et il y en a peu, finalement.
Posté par Dominique, 11 novembre 2013

- Simple lecteur de ses ouvrages et de ce blog, j'en apprécie la volonté de rigueur sur la période coloniale, traitée de manière historique et non manichéenne.
Il était aussi intervenu à l'émission C dans l'air, lors de la visite de F. Hollande en Algérie l'an dernier ; j'apprends donc qu'il se savait gravement malade à cette date.
Mes condoléances à ses amis et à sa famille.
Posté par ted, 12 novembre 2013

- C'est bien d'avoir posté ces photos personnelles. Elles montrent que ce n'est pas qu'un chercheur et un historien qui disparaît (et dont les commentaires déplorent avec raison la disparition) mais aussi un homme qui laisse un vide douloureux chez ses proches. De tout coeur avec vous et sa famille.
Posté par Sisyphe, 12 novembre 2013

 

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- Nous avions participé à un colloque ensemble et j'avais admiré son propos courageux car à contre courant d'une pensée dominante. C'est une grande perte pour la recherche historique. Toutes mes condoléances à sa famille.
Posté par G. Crespo, 12 novembre 2013

- je m'associe aux condoléances de tous ceux pour qui le savoir est plus important que le pouvoir ...
Posté par emmanuel, 15 novembre 2013

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- Très touché par sa disparition, je tiens à saluer Daniel Lefeuvre pour ses grandes qualités humaines, son ouverture d'esprit et son honnêteté intellectuelle. Il m'a permis de publier mon premier article et m'a donné confiance en moi.
Toujours disponible pour échanger à la fin d'un séminaire. Courageux de se montrer à contre-courant de la pensée dominante et toujours critique dans ses démarches. Boycotté par les médias traditionnels car pas assez "politisé" dans le "bon sens".
Il va nous manquer.
Mes condoléances à ses proches et l'assurance de tout mon soutien.
Posté par Olivier Berger, 15 novembre 2013

- Merci pour le partage. Il était une source d'inspiration.
Posté par emmanuel, 22 novembre 2013 

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- Ces photos de Daniel publiées en son hommage suscitent l'émotion et ravivent la douleur de sa perte. Ce fut un honneur que de travailler avec lui ; ce fut un honneur que de l'avoir comme ami. À Daniel qui continuera d'accompagner nos pensées.
Posté par Diane Sambron, 23 novembre 2013

 

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1 janvier 2013

disparition de Marie-Hélène Degroise

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un des photographes "d'outre-mer" que Marie-Hélène Degroise a patiemment étudiés

 

in memoriam Marie-Hélène Degroise

conservateur aux archives

(1947-2012)

 

Nous sommes nombreux à avoir connu Marie-Hélène Degroise, conservatrice dans ce qui s'appelait le CAOM, Centre des archives d'outre-mer à Aix-en-Provence (aujourd'hui ANOM).

Pendant des années, nous avons sollicité ses compétences et sa bienveillance. Elle a toujours répondu. Son sens de la rigueur a peut-être étonné certains chercheurs. Mais elle n'a jamais été ingrate, poussant ces derniers à la rectitude et à la précision.
Marie-Hélène Degroise est née en 1947 et est décédée précocement le 19 juin 2012. Elle souffrait alors d'une maladie rare du coeur qui lui avait été diagnostiquée 3 ans auparavant.

Pour ce que nous en connaissons, sa carrière professionnelle a commencé avec son diplôme de l'École nationale des chartes, promotion 1973. Le 1er janvier 1976, elle fut nommée conservateur aux archives départementales de la Côte-d'Or.

Puis elle est affectée au service historique de l'armée de l'Air. Elle y publie, une description de cette institution : Le Service historique de l'Armée de l'Air et ses archives, Vincennes, Service historique de l'Armée de l'Air, 1978.

En 1998, elle est donc nommée au Caom (c'est la deuxième année de ma fréquentation de ce centre d'archives). Finalement, on lui confie le service de l'iconothèque auquel personne, jusqu'alors n'avait été affecté à temps plein. Elle entreprend le recollement de ce fonds, c'est-à-dire "la description rayonnage par rayonnage, et carton par carton de leur contenu".

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Marie-Hélène Degroise témoigne :

- "On m'annonçait 60 000 photographies et cartes postales. Or, les 85 fonds et collections couvraient environ 200 mètres linéaires. De plus on y trouvait des négatifs sur plaques de verre et des négatifs souples rangés en cartons d'archives, des tirages isolés en vrac ou en cartons, des tirages collés recto-verso sur des plaques de cartons aux formats dépassant souvent l'in-folio, environ 300 albums constitués de clichés, cartes postales, dessins et gravures, des classeurs à pochettes pour les 3 000 cartes postales répertoriées (sous logiciel Texto), des agrandissements encadrés. Lorsque début juin 2009, je suis partie à la retraite, 35 mètres linéaires s'y étaient ajoutés concernant 40 fonds et 210 albums supplémentaires, le tout acquis par dons, legs, ou achats, ce que les archivistes appellent "entrées par voies extraordinaires"."

Marie Hélène Degroise a accompli un extraordinaire travail, non seulement de recollement mais d'identification biographique des centaines de photographes qui se sont intéressés à "l'outre-mer", aux colonies.

En onze années de recherches, elle a constitué un dictionnaire de 1500 noms...! On n'a pas toujours su reconnaître la valeur de ce travail ni lui accorder la reconnaissance et la diffusion qu'il méritait. Dommage. L'ingratitude acompagne souvent le lent et souterrain travail des chercheurs, qu'ils soient historiens ou archivistes. Mais les connaisseurs lui en seront infniment reconnaissants. Elle a créé son propre blog.

Marie-Hélène Degroise a terminé sa carrière au grade de conservateur en chef honoraire des Archives Nationales.

Nous lui manifestons toute notre estime et notre reconnaissance et souhaitons que l'on se souvienne longtemps d'une aussi belle figure attachée à la restitution du passé et à la rigueur des méthodes de l'archiviste et de l'historien.

Michel Renard

 

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_______________________

 

- le blog de Marie-Hélène Degroise: http://photographesenoutremer.blogspot.fr/

blog Marie-Hélène Degroise

 

Historique

De nombreux thèmes sont abordés par le biais des photographies, qui “parlent” souvent plus que les rapports, comptes rendus et autres correspondances. Le premier qui vient immédiatement à l’esprit est celui de la topographie et de la visualisation des paysages.

Les photographes qui ont vécu ou voyagé en outre-mer entre 1840 et 1944 ont "couvert" d’abord les thèmes traditionnels que l’on attend : missions et explorations, conflits coloniaux, équipements militaires, ethnologie, portraits des chefs et des administrateurs coloniaux, civils et militaires. Les vues représentant l’urbanisme et l’architecture, la création des villes nouvelles, l’habitat local et colonial constituent des domaines bien représentés. Celles montrant les infrastructures, l’agriculture, l’industrie, et le commerce, le patrimoine culturel, et l’archéologie permettent de compléter les renseignements glanés dans les fonds d’archives.

Photographies collées en albums, support idéal permettant à un militaire ou à un administrateur colonial de rassembler une collection de clichés personnels, ou de reproductions achetées sur place auprès de photographes de studios européens ou indigènes, album que l’on sera fier de présenter à toute la famille au retour en métropole.

Tirages éparses, albuminés et argentiques, cyanotypes, plaques de verre utilisées encore dans les années 1920, négatifs souples, quels que soient les supports techniques, les clichés ont souvent été abandonnés sur place, rachetés avec l'atelier quand un photographe professionnel décédait, édités en cartes postales à de multiples reprises, ou simplement oubliés dans un grenier. Certains ont été utilisés dans des publications contemporaines de leur création, ou parfois très récentes. Le plus souvent sans citer leur auteur. Or, ils sont soumis au droit d'auteur et protégés pendant 70 ans après le décès du photographe. De plus, ce dernier jouit d'un droit moral, imprescriptible et inaliénable, qui oblige l'utilisateur à mentionner son nom.

On l'aura compris, la photographie n'est plus considérée par les chercheurs comme de la simple documentation interchangeable. Au contraire, elle est une véritable archive. Comme telle, on se doit donc de la replacer dans son contexte historique.

Pour ces deux raisons, le but de nos recherches a donc été de retrouver les biographies et parcours de tous ces photographes en outre-mer (environ 1500 actuellement), afin de permettre aux chercheurs de mieux comprendre et utiliser leur travail. Pour attirer aussi l'attention des détenteurs sur des documents précieux et fragiles qui font partie du patrimoine national.

Ce blog n'aurait jamais vu le jour sans les encouragements et la participation de quelques amis. En tout premier lieu je citerai Michel Quétin, conservateur général du Patrimoine, responsable des fonds photographiques aux Archives de France. Je dois beaucoup, en ce qui concerne l'océan Indien, à Claude et Claudine Bavoux. Enfin, Serge Dubuisson, photographe aux Archives nationales d'outre-mer, m'a lancée sur les pistes indochinoises, tout comme les amis de la nouvelle Association des Amis du Vieux Hué. Cette présentation est un remerciement pour tous leurs conseils éclairés.

Marie-Hélène Degroise

 

liens

- Images & Mémoire, bulletin, n° 27

- saïgon.virtualcities

 - mousssons.revue.org

- Madagascar

- L'indochine d'Aurélien Pestel

- le capitaine Sénèque, artcle de Claude Bavoux

- http://www.dogon-lobi.ch/photographes.htm

 

blog Marie-Hélène Degroise
http://photographesenoutremer.blogspot.fr/

 

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31 octobre 2011

L'histoire coloniale n'a jamais été très importante en France...???

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les bévues de l'historien indien Soubrahmanyam

 

À l'occasion des Rendez-vous de l'histoire de Blois, l'historien indien a déclaré un peu légèrement : "L'histoire coloniale n'a jamais été très importante en France, ça commence maintenant. Cherchez un grand nom d'historien de l'Indochine en France, il n'y en a pas. Pour le Maghreb, c'est un peu mieux. Mais les "grands noms" de la recherche historique en France, de 1850 à nos jours, ce sont soit des gens qui travaillent sur la France, l'Europe occidentale, la Méditerranée, un peu le transatlantique, l'Amérique latine, quelques sinologues..."

http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/10/13/passer-de-l-histoire-comparee-aux-histoires-en-conversation_1587083_3232.html

Pour quelqu'un qui a longtemps fréquenté la France et ses institutions universitaires (EHESS), cette appréciation est surprenante et même scandaleuse. N'y a-t-il aucun grand historien de l'Indochine en France...? Et Pierre Brocheux alors ? qui a longtemps travaillé avec Daniel Hémery... Pierre Brocheux dont la bibliographie est impressionnante et qui vient de publier Une histoire du Vietnam contemporain. La nation résiliente (Fayard, 2011).

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Pierre Brocheux

- voir sa bio-bibliographie dans le Répertoire des historiens du temps colonial

- voir Indochina, An ambiguous colonization, 1858-1954

- voir Une histoire économique du Vietnam

- voir Une biographie de Hô Chi Minn par Pierre Brocheux

- voir À propos des souvenirs de Dang Van Viet, colonel Viet Minh

- voir À propos du quô ngu et d'agression culturelle

 

9782213661674 

 

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3 mai 2009

au sujet de la "scientificité" des soutenances de thèse

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au sujet des thèses d'histoire coloniale

Jean-Pierre RENAUD

Pertinence scientifique et transparence publique des thèses d’histoire coloniale, secret de confession universitaire ou tabou colonial ?

Au cours des dernières années, mes recherches d’histoire coloniale (d’amateur) m’ont conduit à aller à la source, c'est-à-dire à prendre connaissance de plusieurs thèses d’histoire coloniale qui donnaient, je le pensais, un fondement scientifique aux interventions verbales ou aux ouvrages écrits par leurs auteurs.

J’étais plutôt surpris par la teneur des discours que ces derniers tenaient sur ce pan largement ignoré de notre histoire nationale.

Leur consultation me donna la conviction qu’elles ne suffisaient pas toujours, totalement ou partiellement, à donner une accréditation scientifique à leurs travaux, dans le domaine de la presse, des sondages, des images coloniales quasiment absentes et sans aucune référence sémiologique dans les thèses en question, et d’une façon générale en ce qui concerne la méthodologie statistique, économique ou financière

Constat surprenant, alors que le terme de «scientifique» est souvent mentionné dans les arrêtés qui ont défini la procédure d’attribution du titre de docteur par les jurys : intervention d’un conseil scientifique, intérêt scientifique des travaux, aptitude des travaux à se situer dans leur contexte scientifique…

communication des rapports de jury

Il me semblait donc  logique d’aller plus loin dans mes recherches, c'est-à-dire accéder aux rapports du jury visés par les arrêtés ministériels de 1992 et 2006, rapports susceptibles d’éclairer l’intérêt scientifique des travaux. J’ai donc demandé au Recteur de Paris d’avoir communication des rapports du jury, communication qui m’a été refusée, alors que la soutenance était supposée être publique.

Mais comment parler de soutenance publique, s’il n’est conservé aucune trace du débat, du vote (unanimité ou non) du jury, et s’il n’est pas possible de prendre connaissance des rapports des membres du jury, et donc de se faire une opinion sur la valeur scientifique que le jury a attribué à une thèse, ainsi que des mentions éventuellement décernées.

Je m’interroge donc sur la qualité d’une procédure :

- qui ne conserverait aucune trace d’une soutenance publique, sauf à considérer que celle-ci n’a qu’un caractère formel ;

- qui exclurait toute justification de l’attribution d’un titre universitaire, appuyé seulement sur la notoriété de membres du jury, alors même que ce titre est susceptible d’accréditer l’intérêt scientifique de publications ultérieures, ou de toute médiatisation de ces travaux.

Conclusion : les universités et leurs jurys seraient bien inspirés de lever ce secret, sauf à jeter une suspicion légitime et inutile sur le sérieux scientifique des doctorats qui sont délivrés, sauf également, et cette restriction est capitale, si mon expérience n’était aucunement représentative de la situation actuelle des thèses et des jurys.

La transparence publique devrait être la règle. Pourquoi en serait-il différemment dans ce domaine de décisions, alors que la plupart des décisions publiques sont aujourd’hui soumises à des contraintes utiles de transparence publique.

Il parait en effet difficile d’admettre que, sous le prétexte de préserver le secret de la vie privée, le secret des délibérations sûrement, mais pas le reste, il soit possible de sceller tout le processus supposé «scientifique» du même sceau du secret. À l’Université, en serions-nous encore, à l’âge du confessionnal et de l’autorité d’une nouvelle Église ? Les jurys auraient donc quelque chose à cacher ? Un nouveau tabou ?

Jean Pierre Renaud
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7 septembre 2008

In memoriam. Charles-Robert Ageron (1923-2008) (Guy Pervillé)

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In memoriam.

Charles-Robert Ageron (1923-2008)

Guy PERVILLÉ

Charles-Robert Ageron, historien de l’Algérie coloniale et de la décolonisation française, est décédé dans la nuit du 2 au 3 septembre 2008 à l’âge de 84 ans, après une longue maladie. Cette nouvelle, outre les réactions naturelles de condoléances que suscite normalement tout décès, risque de provoquer des réactions divergentes. Pour tous les historiens de l’Algérie et de la colonisation française, quelle que soit leur nationalité, sa mort ne peut être ressentie que comme une lourde perte, car Charles-Robert Ageron fut pendant de longues années, après la retraite de Charles-André Julien, le maître reconnu et incontesté de l’histoire de la colonisation et de la décolonisation françaises.

Mais pour d’autres, et notamment pour ceux des Français d’Algérie restés partisans de l’Algérie française, il est à craindre que son décès soit avant tout ressenti comme celui d’un adversaire de leur cause, même si ses anciens élèves d’Alger ont conservé du respect pour lui sans avoir nécessairement partagé ses opinions politiques. C’est pourquoi il convient de revenir sur son œuvre et sur ses motivations pour mieux comprendre les raisons de ces jugements divergents, et pour les surmonter.

 

Une oeuvre et ses motivations

Charles-Robert Ageron, né à Lyon en 1923, a été marqué dans sa jeunesse par les idées des historiens catholiques de gauche Henri-Irénée Marrou et André Mandouze, et par l’expérience de l’occupation allemande et de la Résistance. En convalescence en Algérie, où il avait de la famille, durant l’été de 1945, il n’en retira pas le projet de lui consacrer son activité d’historien, bien au contraire.

C’est après avoir réussi l’agrégation d’histoire, en 1947, qu’il y fut nommé contre son gré. Il resta pendant dix ans en poste dans un grand lycée d’Alger, où il entama ses recherches sur l’histoire de la colonisation de l’Algérie. À partir de la rentrée 1957 il enseigna dans la banlieue parisienne, puis fut chargé de cours à la Sorbonne. Dès 1964, il se fit connaître en publiant un «Que-sais-je ?» intitulé Histoire de l’Algérie contemporaine, qui révisait le passé de l’Algérie française à la lumière de son échec final.

Sa thèse de doctorat d’Etat, réalisé sous la direction de Charles-André Julien, et intitulée Les Algériens musulmans et la France (1871-1919), publiée en 1968, fut remarquée pour son ampleur quasi-encyclopédique, Ageron_musulet par la fermeté de sa conclusion, indiquant que l’inachèvement des réformes de 1919 avait signifié l’échec de la politique d’assimilation, et condamné à terme l’Algérie française : «L’historien n’a ni à le regretter, ni à s’en réjouir. Il doit seulement marquer que le péché d’omission de la politique française tellement évident à la date du Centenaire, en 1930, était prévisible, dès lors qu’en 1919 la France avait, pour ménager les préjugés d’une partie de ses nationaux, renoncé à ses principes et à la logique de ses traditions» (1). Œuvre monumentale qu’il reprit et compléta en publiant en 1979, sous le même titre et chez le même éditeur que son «Que-sais-je ?», Histoire de l’Algérie contemporaine, t. 2, 1871-1954 (2).

À la suite de sa thèse, il fut élu professeur à l’Université de Tours (où il fonda le Centre d’étude de la presse et de l’opinion), puis à celle de Paris-XII-Créteil. Il dirigea des thèses en rapport avec l’histoire de la colonisation et de la décolonisation à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Mais il contribua surtout au développement de l’histoire dite coloniale en animant d’abord le Groupe d’études et de recherches maghrébines (GERM) dans les années 1970 et 1980, et un groupe de recherche sur l’histoire de l’Empire colonial français dans le Comité d’histoire de la deuxième guerre mondiale, qui devint ensuite le groupe de recherche sur la décolonisation de l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP) à partir des années 1980.

En plus d’un séminaire régulier, ce groupe organisa et publia sous son impulsion toute une série de colloques :
- Les chemins de la décolonisation de l’empire colonial français, 1936-1956 (3)  ;
- Brazzaville, janvier-février 1944, Aux sources de la décolonisation (4) ;
- L’Afrique noire française : l’heure des indépendances (5) ;
- L’ère des décolonisations, actes du colloque international d’Aix-en-Provence (1993) (6).

À quoi il faut encore ajouter sa participation à une grande Histoire de la France coloniale en deux tomes  (7), œuvre collective qu’il préfaça, et deux colloques sur la guerre d’Algérie :
- La France en guerre d’Algérie, publié sous la direction de Jean-Pierre Rioux (8) ;
- La guerre d’Algérie et les Algériens (9) , colloque franco-algérien.

Et aussi un grand nombre d’œuvres moins importantes par leurs dimensions, publiées sous forme de livres, de communications dans des ouvrages collectifs ou d’articles dans des revues. Une republication de ses principaux écrits en cinq grands volumes a été heureusement réalisée par Gilbert Meynier pour les éditions Bouchène (Saint-Denis) en 2005.

Reconnu par ses pairs

Il n’est donc pas étonnant que Charles-Robert Ageron ait été honoré deux fois par des Mélanges qui lui ont été Ageron_miroir_1offerts devant une nombreuse assistance d’historiens. D’abord les Mélanges Charles-Robert Ageron en deux tomes, réalisés par la Fondation du professeur Abdeljelil Temimi à Zaghouan (Tunisie) et remis à l’occasion du premier colloque d’histoire maghrébine le 27 novembre 1997. Puis le colloque intitulé La guerre d’Algérie au miroir des décolonisations françaises, organisé à la Sorbonne en novembre 2000, et publié en même temps par la Société française d’histoire d’outre-mer (10) .

On comprend ainsi pourquoi Charles-Robert Ageron a été reconnu par tous ses pairs comme le modèle incontesté des historiens de la colonisation française – il présida pendant plusieurs années la Société française d’histoire d’Outre-mer - et pas seulement de celle de l’Algérie. Et aussi bien par les historiens français que par les Algériens et par ceux d’autres pays décolonisés.

Pourtant, en France tout au moins, les historiens plus jeunes de l’Afrique du Nord qui s’étaient formés dans la lutte anti-impérialiste l’avaient longtemps considéré comme un «libéral» (au mauvais sens du terme dans leur esprit), c’est-à-dire un homme trop modéré, attaché à relever les «occasions perdues» par la France en Algérie au lieu de condamner en bloc la colonisation capitaliste.  Ils ont ensuite révisé leur jugement, comme l’a rappelé Gilbert Meynier.

"Conscience française" contre "présence française"

Mais les préventions les plus fortes et les plus durables contre sa personne sont encore le fait des partisans de l’Algérie française. Le fait est que nombre d’entre eux n’ont pas oublié sa participation au groupe de «libéraux» qui tentaient en 1956 et au début 1957 de publier le bulletin Espoir-Algérie, ses tentatives de tirer des leçons politiques de l’histoire de l’Algérie coloniale dans la revue socialiste Demain, puis son ralliement à la politique algérienne du général de Gaulle.

Et ils pouvaient d’autant moins l’oublier qu’il avait conclu son «Que-sais-je ?» de 1964 par deux pages de réflexions très sévères sur les causes et les responsabilités de l’échec de la France en Algérie, qui avaient le ton d’un réquisitoire : «Bien des aspects de cette longue tragédie algérienne échappent encore à l’historien, qui ne saurait donc porter sur ces derniers moments des jugements motivés. Du moins se doit-il de rejeter les explications trop commodes des esprits partisans, de ceux surtout qui ne savent pas encore qu’ils ne peuvent accuser personne qu’eux-mêmes.»

Il indiquait que, selon les observateurs les plus lucides, «entre les Musulmans gagnés à l’idée nationale et les Européens rebelles à toute évolution libérale, le rôle de la France ne pouvait être que celui d’un arbitrage constant, aidant à la délivrance de ce nationalisme et permettant pour l’avenir la construction d’une nation algérienne authentiquement franco-musulmane. ‘Quand on veut éviter une Révolution, il faut la vouloir et la faire soi-même’ (Rivarol)».

Et plus loin vers la fin : «il n’y a pas à désigner de ‘bradeur‘ de l’Algérie française : quel que fût son régime, jamais la France n’aurait pu mener à terme la francisation de l’Algérie par une guerre  engagée, à l’âge de la décolonisation, contre un nationalisme arabe. Les vrais responsables sont ceux qui, obstinément de 1919 à 1954, refusèrent ou sabotèrent toutes les réformes et qui, après 1958, prêchèrent l’intégration, comme alibi commode et mensonger. C’est dire qu’est surtout engagée la responsabilité collective des Européens d’Algérie ; ceux-ci font aujourd’hui reproche aux divers gouvernements de la France de n’avoir pas su imposer la politique métropolitaine en brisant ‘la résistance de quelques élus locaux‘. En fait les Européens d’Algérie furent toujours unanimes dans leur hostilité à toute forme de politique libérale envers les Musulmans. Les retards successifs exigés par leurs élus, puis par les divers fronts de l’Algérie coloniale, aboutirent seulement au déracinement final du peuple européen d’Algérie» (11) .

Ces formules-choc, où l’on voyait s’effacer la différence souhaitable entre l’histoire et la politique, donnèrent l’impression d’une hostilité fondamentale envers l’ensemble des Européens d’Algérie, ne distinguant même plus entre «colonialistes» et «anticolonialistes» ou «libéraux». Et l’on comprend aussi que par la suite, certains n’aient pas été apaisés par la citation de Tocqueville qu’il avait placée en tête du tome 2 de l’Histoire de l’Algérie contemporaine :  «Je n’ai craint, je le confesse, de blesser personne, ni individus, ni classes, ni opinions, ni souvenirs, quelques respectables qu’ils puissent être. Je l’ai souvent fait avec regret, mais toujours sans remords. Que ceux auxquels j’ai pu déplaire me pardonnent en considération du but désintéressé et honnête que je poursuis» (12). 

C’est pourquoi il n’est pas étonnant qu’il ait été visé par certains de ses collègues qui ne partageaient pas ses options politiques. Ce fut d’abord l’historien algérois Xavier Yacono, qui publia un point de vue critique sur sa thèse dans la Revue historique en 1970 (13). Charles-Robert Ageron déplaça le débat dans le numéro suivant (pp. 355-365) en déclarant que ses analyses et celles de son contradicteur s’expliquaient par leur appartenance aux deux tendances que l’on pouvait symboliser par des noms bien connus à l’époque : «Conscience française » et «Présence française». Xavier Yacono, dans la réponse qu’il publia dans la Revue d’histoire et de civilisation du Maghreb  (14), eut l’habileté de rester sur le terrain de l’analyse de faits historiques. Plus tard, Charles-Robert Ageron me dit qu’il avait eu tort de politiser ainsi le débat et qu’il ne le referait plus.

 

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Polémique sur l'historiographie algérienne

Une deuxième polémique fut déclenchée contre lui par François Caron, historien spécialiste de l’histoire économique et auteur d’un ouvrage de synthèse intitulé La France des patriotes, 1852-1919 (15). Celui-ci y attaquait le caractère outrancier de l’histoire coloniale, et d’elle seule, dans son orientation bibliographique, après avoir rendu hommage au renouvellement de toutes les spécialités historiques (16) : «Un seul domaine reste en dehors du champ de cette relecture : c’est celui de l’histoire coloniale. Celle-ci est trop souvent tombée dans la dénonciation polémique et le pamphlet injurieux. Le cas de l’historiographie algérienne est à cet égard caricatural. Ce retard est inexplicable».

Auparavant, il avait directement attaqué : «Charles Ageron, historien quasi officiel de l’Algérie, voue à cette population une haine et un mépris féroces parfaitement inexplicables. Il s’appuie sur la pire des littératures du temps. Il entretient le mythe absurde d’une ‘fusion des races’ d’origine européenne qui se serait immédiatement réalisée et aurait abouti à la formation d’un ‘peuple franco-algérien’, différent du peuple français… Il décrit cet ‘Algérien’ comme uns sorte de matamore inculte et orgueilleux, imbu d’un ‘sentiment de supériorité ‘ sans limite, dont l’attachement à la France s’explique uniquement par la peur des ‘indigènes’, et va jusqu’à prétendre que les Français d’Algérie   se sont ‘embusqués’ en masse pendant la guerre, alors que c’est l’inverse qui est vrai ! La réalité est en effet différente de celle décrite par Ageron : la communauté française d’Algérie est infiniment diverse dans ses opinions et dans ses comportements, comme le sont les Français de métropole. Ils fournissent une image exacerbée, caricaturale parfois, des passions françaises. Il n’y a pas de Français d’Algérie, mais des Français tout court !» (17)

Et après avoir donné ses propres analyses, il conclut : «Il convient donc d’aborder les problèmes de l’histoire coloniale avec plus de sérénité que ne le font les historiens universitaires actuels : la colonisation ne fut pas seulement une vaste entreprise d’exploitation et de massacre. Elle fut aussi dans bien des cas une étape possible vers le développement (…)» (18).

Cette fois-ci, Charles-Robert Ageron réagit beaucoup plus habilement par une réponse dactylographiée qu’il envoya à la plupart des historiens français de la colonisation. Il défendit ces derniers, que François Caron avait eu l’imprudence d’attaquer tous en bloc, puis réfuta point par point toutes les accusations portées contre lui, et conclut en les rejetant : «M’étant toujours imposé l’impartialité, je ne puis accepter des accusations infondées et des propos volontairement blessants et diffamatoires».

Quelques années plus tard, dans la préface de l’Histoire de la France coloniale écrite en 1990, il exprima de nouveau l’idée que les conditions étaient réunies pour une «histoire scientifique de la France coloniale», et que «au-delà des affrontements stériles de naguère entre chantres et détracteurs de la colonisation, nous avons tenté d’écrire, sinon ‘l’histoire totale’ de la France coloniale, du moins une approche large des réalités multiples que contient ce concept (…) dont nous voudrions ressusciter la richesse» (19).


 

Une histoire "dépassionnée" ?

Peu après l’un de ses premiers disciples, l’historien Daniel Rivet, publia dans XXème siècle, un important article intitulé «Le fait colonial et nous, histoire d’un éloignement» (20), qui permettait de remettre toutes ces controverses à leur juste place. Il retraçait dialectiquement en trois grandes étapes l’évolution de l’histoire dite coloniale. D’abord le temps de l’histoire coloniale triomphante, jusqu’au milieu des années 1950. Puis à partir des années 1960, le temps de l’histoire anti-coloniale victorieuse, mais avec une résistance au «tiers-mondisme de la part d’historiens néo-coloniaux (tels que Xavier Yacono et Raoul Girardet) et aussi d’inclassables tels que Charles-Robert Ageron». Et enfin la situation actuelle, caractérisée à la fois par l’absence d’une école unique ou dominante,  le «refus du rejet de l’histoire historicisante par les deux premières générations de l’école des Annales» (sic), et une polarisation entre deux grandes tendances : l’étude de la colonisation comme processus en fonction des forces profondes et des décisions (suivant les conceptions des grands maîtres de l’histoire politique (Pierre Renouvin, Jean-Baptiste Duroselle et René Rémond),  et celle de la colonisation comme système suivant des conceptions structuralo-marxistes.

Si la plupart des auteurs de l’Histoire de la France coloniale appartenaient à cette dernière tendance, comme par exemple Gilbert Meynier ou Annie Rey-Godzeiguer,  Charles-Robert Ageron appartenait incontestablement à la première. Mais l’article de Daniel Rivet, que je résume beaucoup trop brièvement, surestimait largement ce qu’il estimait être une tendance générale au dépassionnement de l’histoire en fonction du temps écoulé.

On hésitera sans doute à croire que cette savante analyse correspondait bien à l’évolution réelle des travaux d’historiens sur la période coloniale et la décolonisation, et à celle de  Charles-Robert Ageron en particulier. Pourtant, la phrase de Charles-André Julien qu’il aimait à citer, «J’ai vécu ces événements, donc je ne les connais pas», témoigne de la réalité de ses scrupules intellectuels, qui lui interdisaient de prétendre apporter la vérité scientifique sur la guerre d’Algérie avant le début de l’ouverture des archives publiques (juillet 1992).

Par la suite, sa présentation du recueil d’articles de la revue L’Histoire , L’Algérie des Français (21), intitulée «Pour une histoire critique de l’Algérie de 1830 à 1962», confirma la réalité de ces scrupules. Il s’en prenait désormais, non plus seulement aux illusions des Français d’Algérie, mais à toutes les erreurs admises dans les  deux pays : «Nos contemporains ont subi successivement les effets d’affirmations scolaires, d’informations partiales et contradictoires. Aux mythes de l’Algérie française se sont surimposés les mythes de l’Algérie algérienne pour le plus grand dommage d’une histoire authentique. Or c’est à une histoire résolument critique que je voudrais appeler dans cette préface, invitant tous les historiens à s’y associer des deux côtés de la Méditerranée».

 

Équilibre entre les mythes «colonialistes»
et «anticolonialistes»

Il commençait par réfuter, dans l’ordre chronologique, toutes les idées fausses qu’il distinguait dans les conceptions historiques chères aux deux pays, avec une impartialité manifeste entre les nationalités et entre les tendances. Mais il ne se faisait pas trop d’illusions sur ce que les historiens pouvaient faire : «Il faut admettre, hélas, qu’il est pour l’heure impossible d’écrire une histoire scientifique de la guerre d’Algérie. Trente ans après ce drame, des blessures restent ouvertes et les passions flambent à chaque rappel imposé aux mémoires.  On ne peut demander une vision sereine à ceux qui croient avoir perdu ou gagné une guerre, moins encore à ceux qui souffrent d’être des "expatriés" et non des rapatriés. Pour l’heure les historiens, qui ne disposent pas de l’ensemble des archives conservées par les deux parties, peuvent du moins travailler à éliminer les affabulations ou les chiffres nés de la guerre psychologique ou de partis pris idéologiques».

Et il concluait : «s’agissant de drames récents dont la mémoire risque d’être transmise déformée aux jeunes générations qui n’ont connue ni ‘l’Algérie de papa’ ni ‘l’Algérie des colonialistes’, les historiens ont le devoir d’être plus prudents encore que leur métier ne l’exige habituellement. Si l’objectivité est philosophiquement impossible,  l’impartialité est une vertu que tout historien peut et doit s’imposer. Et les enfants de France comme les enfants d’Algérie ont un droit semblable à la vérité de leur histoire» (22).

La réalité de cette position d’équilibre entre les mythes «colonialistes» et «anticolonialistes» fut prouvée peu après, quand Charles-Robert Ageron fut attaqué pour son refus d’admettre des nombres mythiques de victimes, aussi bien par des auteurs «anticolonialistes» protestant contre la réduction des prétendus bilans admis jusque-là sans examen critique (Yves Benot, dans son livre Massacres coloniaux) que par des auteurs «colonialistes» comme un défenseur des «150.000 harkis massacrés de la vérité historique» (23).

La formulation d’accusations semblables contre le même homme par des militants aux opinions diamétralement opposées aurait dû suffire à leur en démontrer l’inanité. Il n’avait fait que son devoir d’historien en refusant d’admettre des nombres mythiques répétés sans examen critique et en vertu de l’argument d’autorité, qu’il s’agisse de massacres coloniaux ou de massacres anti-coloniaux. Ceux qui l’avaient accusé ne croyaient avoir rien en commun, mais ils partageaient pourtant le même attachement à des convictions dogmatiques symbolisées par des nombres également sacralisés (bien que différents), et la même intolérance envers leur remise en question.

Il est pourtant vrai que, durant les années 1990 et surtout à partir de 1995 ou 1997, l’essor du «devoir de mémoire» prenant le pas sur le «devoir d’histoire» a de plus en plus démenti les prévisions de Daniel Rivet sur la tendance naturelle au dépassionnement des événements qui s’éloignent de nous, comme si l’écoulement naturel du temps s’était subitement inversé. Trop d’historiens s’y sont laissés prendre, et se sont laissés utiliser comme garants de revendications mémorielles de tel ou tel camp, mais pas de tous à la fois.

Charles-Robert Ageron a lui aussi été impliqué dans certaines querelles (concernant la valeur des estimations hautes du nombre de harkis massacrés admises par Mohand Hamoumou, et le crédit qu’il  crut devoir accorder aux Mémoires du général Katz, en acceptant de les préfacer, sur les tragiques événements d’Oran en 1962) (24). Certains ont vu dans ses prises de position un retour à ses partis pris politiques gaullistes de l’époque de la guerre d’Algérie, et ce n’était pas nécessairement faux dans la mesure où la notion de «devoir de mémoire» confondait de nouveau l’histoire du passé avec la politique actuelle. On doit regretter qu’il ne se soit pas suffisamment gardé de cette confusion, mais le fait est qu’il ne fut malheureusement pas le seul dans ce cas (25).

 

Résistance à la version officielle algérienne

À ceux qui ne seraient pas suffisamment convaincus que Charles-Robert Ageron avait clairement indiqué, au début des années 1990, l’attitude qui devait être celle des historiens,  je veux citer encore plusieurs faits précis. Dans son article sur «L’opinion française à travers les sondages», d’abord publié en 1976 dans la Revue française d’histoire d’Outre-mer (n° 231, 2ème trimestre 1976, pp. 256-285, et republié en 1990 dans La guerre d’Algérie et les Français, il écrivait  au sujet de l’approbation massive des accords d’Evian en métropole par le référendum du 8 avril 1962 : «Faut-il s’indigner de l’indifférence  avec laquelle les Français acceptent d’avance les résultats du référendum d’autodétermination quels qu’ils soient, alors que plus de la moitié d’entre eux ne se sentent plus solidaires des Européens d’Algérie ? Ont pourtant voté oui des métropolitains qui se posaient avec angoisse la question ‘Qu’as-tu fait de ton frère ?’ Mais l’historien ne peut cacher les marques d’un égoïsme déplaisant : ainsi, en août 1961, alors qu’une majorité relative de Français pensait que les Européens n’auraient pas la possibilité de rester dans l’Algérie indépendante, 69% refusaient d’être mis à contribution pour les indemniser» (26).

Dans le même colloque de 1988, publié en 1990, il terminait sa communication sur «Les Français devant la guerre civile algérienne» (FLN-MNA) en posant la question : «les réactions de peur et de colère face au terrorisme algérien, sous-estimées aujourd’hui par les chroniqueurs, ne furent-elles pas l’une des composantes de l’opinion profonde des couches populaires ? Et n’ont-elles pas contribué à renforcer les stéréotypes racistes de l’Algérien agressif et violent, vindicatif et impitoyable ? Parmi les séquelles de la guerre d’Algérie, on aurait probablement tort d’oublier la marque, dans la mémoire des Français, de cette guerre entre Algériens qu’ils jugèrent absurde et révoltante» (27).

En 1992, alors qu’il avait présenté et publié dans XXème siècle une analyse des accords d’Évian  beaucoup plus optimiste que la mienne, il me demanda un article sur la question pour la Revue française d’histoire d’Outre-mer (29),  qu’il dirigeait alors, en sachant très bien que mes analyses risquaient d’être sensiblement différentes des siennes. Enfin, les trois études qu’il consacra aux événements de mai 1945 témoignent avec éclat de sa volonté de ne pas être dominé par ses premières réactions personnelles très défavorables à la répression quand il en avait  recueilli l’écho en 1945. Que ce soit dans les pp. 572 à 578 du tome 2 de l’Histoire de l’Algérie contemporaine  paru en 1979, ou dans son article : «Les troubles du Nord-Constantinois en mai 1945 : une tentative insurrectionnelle ?», paru dans XXème siècle en 1984 (30), ou enfin dans «Mai 1945 en Algérie, enjeu de mémoire et d’histoire», paru dans Matériaux pour l’histoire de notre temps en 1996 (31), il a très fermement résisté à la version officielle algérienne faisant de cette répression implacable d’une insurrection manquée un «génocide» ou un «crime contre l’humanité» assimilable à celui commis contre les juifs par les nazis.

Pour ma part, je retiens de ma fréquentation de Charles-Robert Ageron pendant près d’un tiers de siècle le fait qu’il n’a jamais prétendu me diriger à sa guise en me mettant à son service, comme un «mandarin». Au contraire, il m’a accordé toute sa confiance et m’a laissé me diriger moi-même (en lui demandant conseil chaque fois que j’en ressentais le besoin, mais sans qu’il exigeât rien de ma part).

En cela, il fut un modèle de libéralisme au meilleur sens du terme. Et j’en conserve précieusement les traces écrites, telles que son appréciation sur mes articles historiographiques de l’Annuaire de l’Afrique du Nord, (à voir sur mon site), ou son avant-dernière lettre me remerciant, après l’avoir lu, pour l’envoi de mon livre Pour une histoire de la guerre d’Algérie en 2002 : «Je vous félicite et je vous remercie au nom de tous les historiens». J’y vois un juste retour pour tout ce que je lui dois.

Guy Pervillé
guyperville

 

1 - Paris, Presses universitaires de France, 1968, t. 2, p. 1227.
2 - Paris, PUF, 1979, 643 p. Le tome 1, «Conquête et colonisation», avait été publié en 1964 par son maître Charles-André Julien.
3 - Paris, Editions du CNRS, 1986, 564 p.
4 - Paris, Institut Charles de Gaulle, IHTP, et Plon, 1988, 384 p.
5 - Paris, CNRS Editions, 1992, 729 p.
6 - Paris, Karthala, 1995, 516 p., et  un deuxième volume publié en souscription par les Presses de l’Université de Provence à Aix-en-Provence.
7 - Paris, Armand Colin, 1990, t. 1, 846 p. et t. 2, 654 p.
8 - Paris, Fayard, 1990, 700 p.
9 - Paris, Armand Colin, 1997, 346 p.
10 - Paris, SFHOM, 2000, 688 p.

11 - 7ème édition, 1980, pp. 112-114.s
12 - Histoire de l’Algérie contemporaine, t. 2, p. 4.
13 - Revue historique, Paris, janvier-mars 1970, pp. 121-134.
14 - Alger, juillet 1970, n° 9, pp. 108-115.
15 - La France des patriotes, 1852-1919, Fayard, 1985.
16 - Ibid., p. 625.
17 - Ibid., p. 550.
18 - Ibid., p. 552.
19 - Histoire de la France coloniale, t. 1, pp. 7-9.
20 - XXème siècle, revue d’histoire, n° 33, janvier-mars 1992, pp. 127-138.
21 - Paris, Le Seuil, collection Points-histoire, 1993.

22 - Ibid., pp. 7, 10 et 13.

23 - Voir dans mon article «Les historiens de la guerre d’Algérie et ses enjeux politiques en France», paru en 2003, sur mon site, rubrique Textes.
24 - Ibid. Voir aussi mon exposé «Mémoire, justice et histoire : à propos de la plainte contre le général Katz  (2000), sur mon site, rubrique Textes.

25 - Voir notamment mon article déjà cité plus haut, «Les historiens de la guerre d’Algérie et ses enjeux politiques en France», paru en 2003,

26 - La guerre d’Algérie et les Français, op. cit., pp. 25-44.
27 - Ibid., p. 62.
28 - «Les accords d’Evian (1962)»,  XXème siècle, n° 35, juillet-septembre 1992, pp. 3-15.
29 - «Trente ans après : réflexions sur les accords d’Evian (1992)», Revue française d’histoire d’outre-mer, n° 296, 3ème trimestre 1992, pp. 365-379.
30 - XXème siècle, revue d’histoire, n° 4, octobre 1984, pp. 23-38.
31 - Matériaux pour l’histoire de notre temps, Nanterre, BDIC, n° 39, juillet-décembre 1995, pp. 52-56.

- site de Guy Pervillé, professeur d'histoire contemporaine à l'université Toulouse-Le Mirail

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