la mort d'Omar Carlier (1944-2021)
la mort d'Omar Carlier
(1944-2021)
L'historien, professeur honoraire à Paris VII, et spécialiste en science politique, Omar Carlier est mort le 22 octobre 2021. Je suis triste. C'est une perte pour le savoir sur l'Algérie coloniale. C'est une perte humaine car Omar Carlier était d'un abord facile, attentif et pertinent conseiller.
Sa disparition me touche personnellement car à la fin des années 1990 quand j'ai envisagé de m'inscrire en thèse de doctorat et que j'étais étudiant à la Sorbonne, je suis allé voir les professeurs responsables de ce domaine de la recherche, à commencer par Daniel Rivet.
Celui-ci, plutôt mobilisé sur le Maroc, m'avait dit : "c'est Omar Carlier qu'il faut rencontrer sur ce type de sujet". J'ai donc discuté avec lui et me suis aperçu de sa connaissance profonde du tissu religieux dans l'Algérie coloniale et contemporaine.
À l’époque où Omar Carlier commence ses investigations, les analyses les plus courantes, sur l’Algérie, privilégient les notions de rupture, de coupure, de retour dans l’ordre politique et mental : rupture avec l’étatisme, coupure entre camp laïque/occidental et camp islamiste/musulman, retour du religieux et de l’identitaire…
Omar Carlier installe ces notions en amont de l’histoire algérienne tout à fait contemporaine (1954-1962). Il les identifie dès la première moitié du XXe siècle. Et les repère dans l’ordre social et anthropologique en insistant particulièrement sur les continuités reformulées, réinvesties, reconfigurées dans une évolution pluri-décennales. Ces valeurs politico-religieuses procèdent, selon lui, de ce qu’il appelle le «vieux modèle de parité entre les frères» ou encore le «vieil idéal maghrébin d’égalité et de justice».
Omar Carlier était contemporain de la guerre d'Algérie et de la décolonisation qu iont produit de nombreux de philo-musulmans (ou d'islamophiles sans dogmatisme), persuadés que les nouveaux peuples en libération libéreraient en même temps le vieux monde de ses tares mutiples.
Omar Carlier se prénommait, à l'origine, Jean-Louis. Il a épousé Rahmouna. Et a eu trois enfants avec elle : Soraya, Yacine et Mehdi. Ces derniers, avec leurs conjoints, ont donné naissance aux petits-enfants d'Omar Carlier : Louise, Léna, Axel et Pauline. Nous nous associons à leur peine.
Michel Renard
lettre d'Omar Carlier, 15 octobre 1998
Cher Michel Renard,
Je suis content d'avoir des nouvelles. Pour être franc, je me demandais si vous n'aviez pas été submergé par le cumul des tâches (enseignement, la revue [Islam de France] ; je sais d'expérience à quel point pont c'est lourd, et avec ça, encore un peu de vie personnelle !).
Il n'en est rien. Bravo ! Apparemment la pêche a été bonne. Ce dont je ne doutais pas vu des ipressions et réminiscences des dossiers, rapports, cotes, etc. consultés toutes ces années à Aix... même si votre sujet se rapporte à l'islam de France.
Pour les dérogations, cela devrait aller me semble-t-il, à condition d'aller pas à pas, par petits lots. Les récipendaires n'aiment pas qu'on demande des dérogations par grands listings.
Pour le reste, Mme Durand-Évrard [alors directrice des Anom à Aix] est une dame très bien, très ouverte. J'ai avec elle les meilleurs relations. Elle me connaît, ça peut aider, si je peux aider ! Surtout sur un sujet comme le vôtre, par principe considéré comme "sensible" !
Bon courage. À bientôt
je vous envoie le papier après-demain quand le passerai au bureau.
Omar Carlier
* un séminaire d'Omar Carlier en 2007 : lire iici
* publications d'Omar Carlier (Cairn.info) : lire ici
mort du professeur Jacques Valette
mort du professeur Jacques Valette
hommage à Hélène d'Almeida-Topor, par Marc Michel
hommage à Hélène d'Almeida-Topor
Comme Fabrice d'Almeida l'a déjà fait et m'a encouragé, je diffuse cet hommage privé à une grande historienne de l'Afrique et amie, Hélène d'Almeida-Topor.
Hélène,
Ton départ laisse un vide, un vide d’estime scientifique, d’amitié fraternelle. J’ai l’impression que nous nous sommes toujours connus, en tout cas depuis plus d’un demi-siècle, depuis le temps des indépendances en Afrique jusqu’à aujourd’hui où tu nous quittes.
Je n’insisterai pas sur l’autorité de la femme de science, sinon pour en souligner l’immense curiosité, la valeur et l’originalité. D’abord, tu as été une des meilleures spécialistes de l’histoire économique de l’Afrique contemporaine et je garde toujours de tes premiers travaux un tableau de calcul de ce que tu appelé « termes de l’échange social », un concept neuf dont j’ai admiré - et dont j’admire toujours-, la fécondité. Et puis, aussi, Hélène tu as été de toutes les avant-gardes, non celles qui font parler d’elles parce qu’elles partent à la guerre avec des slogans, mais de celles qui apportent du neuf, ouvrent des pistes.
Car, il ne faut pas s’y tromper ; tu étais, Hélène, historienne ; à cet égard, un de tes livres les plus connus, sur les Amazones du Dahomey n’est pas un hommage aux femmes en guerre et aux «guerrières» mais un démontage des images trop faciles ; tes guerrières «plus qu’aux héroïnes de l’Antiquité, c’est peut-être aux troupes féminines d’aujourd’hui, aux jeunes filles qui, dans plusieurs pays du monde, suivent une instruction militaire obligatoire, aux femmes gardes du corps, prêtes à tuer à la moindre alerte que s’apparentent les amazones du Danhomè (1). Et dès lors, peuvent-elles encore faire rêver ?», écrivais-tu en conclusion de son livre, en 1984.
De ton œuvre, je voudrais aussi extraire un des plus remarquables apports, le volume qu’elle tu as consacré aux « saveurs venues d’ailleurs depuis la fin du XVIIIème siècle » sous le joli titre Le goût des autres ; «la meilleure façon de découvrir un plat, la plus véridique, est sans doute celle que confectionne un hôte étranger pour ses invités.»
l'Afrique au cœur
Non seulement ce bel essai est, selon moi, un livre majeur, mais aussi un recueil de recettes étonnant pour tous ceux et celles qui croient que manger ensemble est le premier pas vers la reconnaissance de l’Autre.
À ce propos, là vraiment le privé et le public se sont rejoints ; je me souviendrai toujours et nos enfants je l’espère également d’un fameux repas dans l’appartement que tu avais boulevard Saint-Denis ; encombré des souvenirs africains, de livres et des tableaux de ton père et de ceux de ton frère. Tu n’avais peut-être pas encore rejoint l’Université Paris 1 et moi, celle d’Aix-en-Provence ; nous avions l’Afrique au cœur. Nous avions tous deux connus l’expérience exaltante, bien que parfois ingrate et frustrante de l’installation des premières Universités francophones en Afrique.
Nous avions des connaissances communes, de grands noms de l’anthropologie, Claude Tardits ou Philippe Laburthe-Tolra que tu avais connus au Dahomey et au Togo de l’époque, et moi au Cameroun. Nos domaines de recherches voisinaient ; j’appréciais ton franc-parler, ta chaleur, un rire, en tout cas une gaieté que tu partageais presque avec ton frère qu’hélas je n’ai pas rencontré. Plus tard, tu m’as témoigné ton amitié dans une lourde épreuve. Après ton passage à la Rue Malher, je suis allé te voir avenue de Tolbiac ; tu avais conservé ton franc-parler et ton optimisme.
Merci Hélène. Que tes enfants trouvent ici l’expression de ma fidèle amitié avec toi.
Marc MICHEL
1 - Danhomè : orthographe traditionnelle ancienne (pays ou royaume du Dan). Dahomey : orthohgraohe coloniale. Bénin : nom actuel usurpé.
Pierre Vidal-Naquet, par François Dosse (décembre 2019)
une biographie de Pierre Vidal-Naquet
par François Dosse, décembre 2019
Vidal-Naquet, ou la «religion de la preuve»…
mais pas toujours
Spécialiste de l'historiographie et de l'histoire des intellectuels (La saga des intellectuels français, 1944-1989, 2018), auteur prolixe de biographies de figures de la pensée française (Paul Ricœur, Michel de Certeau, Pierre Nora, Castoriadis), François Dosse, né en 1950, vient de publier une biographie d'un personnage aux multiples facettes : Pierre Vidal-Naquet (né en 1930 et mort en 2006) : Pierre Vidal-Naquet, une vie (La Découverte, janvier 2020, 660 p.).
Cet historien atypique a parcouru les champs de l’Antiquité et ceux de notre époque immédiatement contemporaine.
Il fut l'un des contributeurs de l'anthropologie historique de la Grèce ancienne à la suite de Jean-Pierre Vernant (19184-2007) et engagé dans deux des principaux combats de sa vie : l'opposition à la guerre d'Algérie, avec son livre paru en 1957, L'Affaire Audin , et la contestation de l'utilisation de la torture, d'une part ; la riposte aux négationnistes du génocide des juifs et des chambres à gaz par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale (Les Assassins de la mémoire, recueil, 1987 ; avec son célèbre article paru dans la revue Esprit en 1980 : «Un Eichmann de papier», qui visait Faurisson, d'autre part.
Pierre Vidal-Naquet est, avec justesse, qualifié de «dreyfusard» de la fin du XXe siècle, animé au plus profond de lui par l'idée de justice, d'inacceptabilité de l'erreur judiciaire et du mensonge d'État.
Mais il a été dreyfusard en assumant les règles de son métier d’historien. Ce fut le cas, par exemple, avec L’Affaire Audin, qui paraît le 20 mai 1958, dont on apprend que le travail d’accumulation de documents et de réflexion est celui de Vidal-Naquet mais que la rédaction finale revient à Jérôme Lindon, alors directeur des Éditions de Minuit qui refusa, cependant, que son nom n’apparaisse.
À l’intention des historiens actuels qui vitupèrent le positivisme au nom de théories fumeuses sur le «discours», la mémoire et la narratologie, on répondra : «la méthode [de Vidal-Naquet] s’inspire des enseignements de l’école des historiens méthodiques qui, avec Charles-Victor Langlois et Charles Seignobos, a défini en 1898 la critique interne et externe des documents. La décantation des informations passant du registre de la mémoire à celui de l’histoire est exemplaire de cette méthode qui singularise Vidal-Naquet, dont le modèle de surplomb est l’affaire Dreyfus» (p.85).
On trouve, dans le récit de François Dosse, toute une riche galerie de personnages de la vie intellectuelle, éditoriale et journalistique et la mention d’épisodes qui méritent le rappel. Comme l’opposition aux «loi mémorielles».
À l’occasion des déclarations de l’islamologue américain Bernard Lewis sur les massacres d’Arméniens en 1915 qui lui valent des poursuites judiciaires, Vidal-Naquet écrit au directeur du Monde :
- «J’apprends que Bernard Lewis et vous-même êtes poursuivis par des associations arméniennes pour avoir publié l’opinion du professeur de Princeton sur le génocide arménien. Je ne suis pas d’accord sur cette question avec Bernard Lewis, et comme d’autres historiens, j’avais signé un texte exprimant ce désaccord. Cela dit, je n’en suis que plus à l’aise pour vous dire que je tiens ces poursuites pour parfaitement scandaleuses. Je tiens la "loi Gayssot" pour elle-même scandaleuse, et je tiens l’application que l’on veut faire au Monde de cette loi pour un deuxième scandale. Il s’agit purement et simplement du principe même de la liberté » (p. 438-439).
Il ne sera pas fait, dans ce court article une recension complète de l’ouvrage. Mais on relèvera quelques points de vue évolutifs sur la dimension de la guerre d’Algérie mais aussi quelques erreurs et oublis.
violence (s)
À revers de toute l’histoire coloniale réelle, Vidal-Naquet tente de définir la violence du FLN avec l’argument suivant :
- En 1989, il publie Face à la raison d’État. Un historien dans la guerre d’Algérie. Il y écrivait : «La violence algérienne nous apparaissait fondamentalement comme une riposte à une violence coloniale et raciste qui n’avait guère connu d’interruption depuis 1830» (cité par Dosse, p. 121). Est-il pertinent de parler de violence «algérienne» comme si elle était le fait de toute une population ? Et en oubliant qu’il y a eu une violence inter-algérienne ? Est-il pertinent d’évoquer une «violence coloniale et raciste» essentialisée et qui aurait duré durant tout le temps de la présence française ? Bien sûr que non. C’est écraser une période de plusieurs dizaines d’années sur des moments d’affrontements qui ne furent ni généralisés territorialement ni durables.
Mais l’historien est capable de changer de point de vue. Toujours tiré de Face à la raison d’État, Dosse retient l’épisode suivant.
- Ainsi, en 1995, «à l’occasion d’un débat amical organisé par la revue Esprit, Vidal-Naquet reconnaît n’avoir pris conscience du rôle politique de l’islam dans le processus d’émancipation du peuple algérien pendant la guerre d’indépendance que tardivement, à partir des événements d’octobre 1988. De son côté Thibaud confirme cette cécité et incrimine un habile habillage masquant cette dimension religieuse, au point même que de bons observateurs sur le terrain n’avaient rien vu venir» (p. 147-148).
Sur ce sujet, on renvoie à l’étude de Roger Vétillard, La dimension religieuse de la guerre d’Algérie, 1954-1962 (éd. Atlantis, 2018) qui montre que l’islam a tout de suite été une arme du FLN.
Pour preuve une référence qui ne figure pas dans le livre de Roger Vétillard mais que nous apportons au débat. Dans les Cahiers du Communisme, revue du PCF, Léon Feix, responsable des questions coloniales, écrit en février 1955 contre les dirigeants nationalistes qui ont «repris la formule de "l’Algérie musulmane"» (1). La question religieuse est donc bien perçue par les premiers soutiens au FLN, dès le début de l’affrontement.
Une erreur de propos rapporté.
- Est-ce de Vidal-Naquet ou de son biographe (?) mais une erreur se glisse dans la phrase datant de 1997 : «Vidal-Naquet réitère ses préventions par rapport aux nationalismes qui portent la guerre comme la nuée porte l’orage» (p. 366).
La phrase célèbre est de Jean Jaurès à qui on fait dire : «le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage», et qui, en réalité, a déclaré à l’Assemblée nationale le 7 mars 1905 : «Toujours votre société violente et chaotique, même quand elle veut la paix, même quand elle est à l’état d’apparent repos, porte en elle la guerre comme la nuée dormante porte l’orage» (2).
17 octobre 1961
Autre légèreté de François Dosse, qui aurait pu se documenter sérieusement, au sujet de la répression de la manifestation algérienne du 17 octobre 1961 à Paris. Les chiffres de victimes sont fantaisistes.
- Il évoque la librairie de François Maspéro et écrit : «Dans le lieu même de sa librairie, les policiers aux ordres du préfet de Paris, Maurice Papon, s’acharnent alors sur les corps au sol. Et ce soir-là, ils assassinent et précipitent des dizaines d’Algériens matraqués dans les eaux de la Seine, alors que leur manifestation se voulait non violente» (p. 113).
Plus loin, il réédite les mêmes approximations erronées : «le massacre méthodique à Paris, le 17 octobre 1961, de plus de deux cents nationalistes algériens par des policiers français, perpétré à l’initiative du préfet de Paris, Maurice Papon» (p. 123).
La formule est reprise une troisième fois : «Vidal-Naquet réclamait avec d’autres que Papon réponde de ses actes devant la justice pour ses méfaits commis de 1942 à 1944, mais aussi pour sonrôle en tant que préfet de prolice de Paris le 17 octobre 1961, quand au moins deux cents Algériens ont trouvé la mort dans un massacre qu’il avait orchestré en plein Paris» (p. 429).
La vérité sur le 17 octobre 1961
D’où sortent ces «au moins deux cents morts» du 17 octobre ? Quelle est la source de cette estimation ? Jamais la «preuve» (3) n’est avancée ni justifiée. Pourquoi déjà ne pas mentionner que cette manifestation avait été interdite ?
Que le FLN avait abattu nombre de policiers dans les mois précédents ? Que les Algériens ont été contraints d’y aller par les sbires armés et menaçants de ce même FLN ?
Quant au nombre de victimes, la propagande du FLN et du régime algérien a longtemps avancé le chiffre d’au moins 400 morts. En 1997, devant la Cour d’assises de Bordeaux, Jean-Luc Einaudi, qui avait publié un livre dénonciateur en 1991, a témoigné sur le 17 octobre 1961 lors du procès intenté à Maurice Papon pour son action de 1942 à 1944. Il a présenté une liste de 73 tués et de 67 disparus. Dans la liste des 73 «tués» le 17 octobre 1961, produite par Jean-Luc Einaudi, on compte 17 morts le jour même. 28 sont décédés antérieurement à cette manifestation. 10 sont morts postérieurement à cette date. 18 sont notés morts à une date indéterminée.
On ne peut donc imputer tous ces décès à la seule manifestation du 17 octobre, en particulier ceux morts antérieurement, ni ceux ceux dont la date ne peut être fixée. Comme on ne peut déterminer qui sont les auteurs des assassinats. La police bien sur, mais on sait aussi que le FLN a réglé des comptes. Sur un total de 67 «disparus » fournis par Jean-Luc Einaudi, on rencense : 38 disparus le 17 octobre 1961, 4 disparus antérieurement à cette date, 18 après, et 7 à une date indéterminée.
On ne peut donc parler de «centaines» de morts à l'occasion du 17 octobre 1961 ni imputer tous ces décès avec certitude à la seule police française.
L'historien Jean-Paul Brunet a affirmé : «Si l’on se limite à la répression des manifestations des 17 et 18 octobre, je suis parvenu, et sans avoir été démenti par aucune nouvelle étude, à une évaluation de plusieurs dizaines (de 30 à 50), en comptant large» (4).
génocide en Algérie ?
Cette biographie a beau peser ses 660 pages, elle comporte un oubli important : la position de Pierre Vidal-Naquet à l'égard des opinions, française ou algérienne, qui prétendent que la France aurait commis un génocide en Algérie. Le terme avait reçu un certain écho après la création de la Fondation du 8 mai 1945 par l'ancien ministre Bachir Boumaza en 1990 qui prétendait que les massacres de Sétif avaient causé la mort de 45 000 Algériens. (5).
En France, en 2005, le politiste Olivier Le Cour Grandmaison publie un livre au titre boutefeu : Coloniser, exterminer. Sur la guerre et l'État colonial, devenu la bible de tous les indigénistes actuels. Il a eu droit à une longue critique historienne en règle infligée par Gilbert Meynier et Pierre Vidal-Naquet qui qualifient son livre de «sottisier» :
- «Olivier Le Cour Grandmaison surfe sur une vague médiatique, avec pour fond de commerce des humains désemparés, et peu portée à l'analyse critique, cela en fignolant un sottisier plus qu'il ne s'appuie sur les travaux d'historiens confirmés (...) Dommage que ce livre, à la fois boursouflé et hâtif, ne puisse pas vraiment faire la preuve des bonnes intentions dont il est pavé. Nous sommes trop foncièrement anticolonialistes pour nous en réjouir. Il reste que l'air du temps de la dénonciation médiatique ne suffit pas à arrimer à la science des convictions et à faire d'OLCG un historien plausible. Le contexte social, économique et politique actuel est encore fécond qui continuera à générer de telles tonitruances idéologiques à vocation surtout médiatique» (6).
- «Ajoutera-t-on que les dénonciations d'OLCG furent énoncées plusieurs décennies avant lui par de vrais historiens - Charles-André Julien, André Nouschi, Charles-Robert Ageron... -, et en un temps où il y avait courage à le faire, à la différence d'aujourd'hui, et où n'existaient pas encore les fosses d'orchestre médiatiques de la bureaucratie algérienne, toujours avide d'engranger telles cautions solidaires françaises à même de conforter le discours ordinaire victimisant de légitimation de son pouvoir. Discours auquel, faut-il le préciser, les bureaucrates en question ne croient évidemment pas, mais dont il leur paraît qu'il peut encore servir à tenir un peuple toujours imaginé sous l'emprise de la langue de bois unanimiste usuelle».
Pierre Vidal-Naquet récuse toute allusion à un génocide auquel on pourrait ramener la période coloniale française en Algérie. François Dosse aurait pu le dire.
Michel Renard
1 - Cahiers du Communisme, n° 2, février 1955, p. 147-167 ; cité par Jacob Moneta, Le PCF et la question coloniale, 1920-1963, éd. François Maspéro, 1971, p. 211 et 233.
2 - Cf. Daniel Lefeuvre et Michel Renard, Faut-il avoir honte de l’identité nationale ? Larousse, 2008, p. 219.
3 - «J’ai la religion de la preuve» dit Vidal-Naquet, cf. p. 514.
4 - «Les victimes du 17 octobre 1961 selon Jean-Luc Einaudi», Études Coloniales, 22 janvier 2012.
5 - Voir les livres et travaux minutieux de Roger Vétillard sur le sujet.
6 - «Coloniser, exterminer : de vérités bonnes à dire à l'art de la simplification inéologique», Esprit, décembre 2005, relayé sur Études Coloniales, ici.
parution de : Une mémoire algérienne, de Benjamin Stora aux éditions Robert Laffont
parution de : Une mémoire algérienne,
de Benjamin Stora aux éditions Robert Laffont
Né en 1950 à Constantine, en Algérie, Benjamin Stora a été professeur des universités, inspecteur général de l’Éducation nationale et président du Musée national de l’histoire de l’immigration.
Il a enseigné dans plusieurs universités françaises et à l’étranger (New York, Rabat, Hanoï et Berlin). Il est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages sur l’histoire de la guerre d’Algérie, du Maghreb contemporain, de la décolonisation ou des relations entre juifs et musulmans.
Benjamin Stora, né à Constantine en 1950, évoque les grands chapitres de sa vie et ses engagements à gauche, jalonnés de combats et de désillusion. L’historien a consacré une grande partie de sa carrière à l’étude de ce pays qui l’a vu naître il y a soixante-neuf ans, et "Une mémoire algérienne" regroupe six de ses livres, notamment le très beau les Clés retrouvées qui raconte son enfance à Constantine. (Libération)
"L’œuvre de Benjamin Stora se confond pour partie avec la mémoire et l’histoire de la guerre d’Algérie. Un de ses grands thèmes de recherche, intimement lié à son parcours individuel tel qu’il le relate dans trois de ses ouvrages.
Dans Les Clés retrouvées, il évoque son enfance juive à Constantine et le souvenir d’un monde qu’il a vu s’effondrer ; dans La Dernière Génération d’Octobre, son militantisme marqué très à gauche avec son cortège de désillusions. Les Guerres sans fin témoignent d’un engagement mémoriel qui se fonde sur une blessure collective et personnelle que seules la recherche et la connaissance historiques peuvent aider à panser.
Benjamin Stora a étudié en ce sens le rôle spécifique joué par les grands acteurs de ce conflit singulier. Dans Le Mystère de Gaulle, il analyse l’attitude de ce dernier lors de sa prise du pouvoir en 1958 et sa décision d’ouvrir des négociations avec les indépendantistes en vue d’une solution de compromis associant de manière originale la France et l’Algérie. Dans François Mitterrand et la guerre d’Algérie, écrit avec François Malye, il montre les contradictions de celui qui, avant de devenir un adversaire de la peine de mort, la fit appliquer sans hésiter en 1957 en tant que ministre de la Justice au détriment des Algériens. C’est enfin de la longue histoire des juifs en terre algérienne qu’il est question dans Les Trois Exils.
Cet ensemble, qui porte la marque d’un historien majeur, permet de mieux comprendre la genèse, le déroulement et l’issue d’une tragédie où se mêlent un conflit colonial livré par la France, un affrontement nationaliste mené par les indépendantistes algériens et une guerre civile entre deux communautés résidant sur un même territoire. Ce sujet, resté sensible pour nombre de nos compatriotes, continue d’alimenter des deux côtés de la Méditerranée des débats passionnés." (présentation éditoriale)
Julie d'Andurain : apport à l'histoire coloniale
Julie d'Andurain :
apport à l'histoire coloniale
présentation succincte
Michel Renard *
En 1999, au centre des archives diplomatiques du Quai d’Orsay, Julie d'Andurain apprend du conservateur Pierre Fournié que les archives privées du général Gouraud viennent d'être déposées. Ce fonds représente près de 200 cartons d’archives, dont 14 000 photographies. Il est à l'origine de son diplôme d'étude approfondies (DEA), puis des recherches pour sa thèse menée sous la direction de Jacques Frémeaux.
Le général Gouraud et le «parti colonial»
C'est l'immersion dans ce fonds, mêlant documents officiels et papiers privés, qui a décidé de l'orientation des recherches de Julie d'Andurain. Dans l'étude de la figure et de l'action du général Gouraud, elle a recours à la prosopographie et se trouve confrontée à l'importance du «parti colonial» dans la carrière des officiers opérant aux colonies :
«Le général Gouraud est indissociable du "parti colonial". Dans le cadre de ma thèse, j’ai découvert en quoi Gouraud devait sa carrière à ce lobby à l’origine de la politique coloniale de la France. En retour, je commence désormais à mieux comprendre le fonctionnement de cet organisme qui reste encore quelque peu mystérieux, suscitant ça et là pas mal de fantasmes» (1).
le général Gouraud, aux Dardanelles, 1915
Capture de Samory, heurt des impérialismes
Julie d'Andurain soutient sa thèse en 2009 : Le général Gouraud, un colonial dans la Grande Guerre (2). Le texte est encore inédit ; une biographie de Gouraud a été annoncée.
En 2012, elle publie un ouvrage sur le premier temps de la carrière d'Henri Gouraud, alors capitaine, quand il opérait en Afrique : La capture de Samory (1898). L'achèvement de la conquête de l'Afrique de l'Ouest :
«Aujourd’hui oubliée, la soumission du "plus vieil ennemi de la France" dans le bassin du haut Niger, ou du "Napoléon des savanes", comme on disait également, marque la fin d’une époque : l’ère de la «course au clocher» (3) et à l’élargissement des empires s’achève alors, tandis que s’ouvrent les perspectives de développement portées par l’unification des bassins des fleuves Sénégal et Niger en un vaste marché, avec en arrière-plan le rêve récurent du transsaharien.
C’est tout l’intérêt de l’ouvrage que nous livre Julie d’Andurain (...) que d’approcher, derrière l’événement haut en couleur, les réflexions au cœur de l’historiographie récente : la colonisation au prisme des relations entre acteurs politico-militaires, ou le point de vue de la résistance africaine à la colonisation, y compris dans son contexte propre, telle la révolution Dyula (les commerçants itinérants par qui l’Islam se diffuse en Afrique occidentale) et l’examen à distance de sa légende noire ou dorée (voir le mythe de l’ascendance de Sékou Touré en Guinée ; le tout en refusant une vision téléologique de l’histoire coloniale» (4).
Cette étude utilise l'immense travail de recherche d’Yves Person (5) et fait le point sur le contexte historique ayant entraîné l’affrontement des empires : les empires africains des Toucouleurs et de Samory d’une part, et les empires coloniaux français et britanniques d’autre part.
capture de Samory Touré ; ici avec le capitaine Gouraud, 16 octobre 1898
Définition du «parti colonial»
Le «lobby colonial», ou «parti colonial» était surtout connu par les travaux précurseurs d’Henri Brunschwig et de Charles-Robert Ageron qui l'avaient étudié dans sa dimension parlementaire. Pour Julie d'Andurain, le réseau qui a contribué à la mise en place d'une «France coloniale» se compose de plusieurs sous-réseaux ou plus exactement de «réseaux emboités et interdépendants les uns des autres» (6). Elle en distingue quatre :
- le premier réseau est «le groupe parlementaire qui représente tout à la fois la partie visible du lobby, la centralité et le pouvoir» (6).
- le deuxième réseau «par ordre d’importance est celui des financiers. Bailleurs de fonds initiaux du lobby, ils se structurent selon une logique parallèle à celle des parlementaires, tout en agissant de façon discrète, sinon secrète» (6).
- le troisième est «le réseau militaire qui se qualifie lui-même de «phalange coloniale» (et) est fonctionnellement chargé de la collecte, de la transmission de l’information (venue des colonies ou des territoires convoités) puis de l’action» (6).
- «le quatrième réseau qui sert de relais transmetteur avec le pouvoir parisien (est constitué par) le groupe des publicistes, lesquels se qualifient de "bulletinistes"» (6).
Le «parti colonial» : «s’est formé au tournant des années 1890 autour de quelques publicistes passionnés par la découverte du continent africain. Regroupant des hommes politiques, des financiers, des militaires au sein de comités coloniaux, ils ont rapidement gagné en puissance et en efficacité. Ainsi, ces auxiliaires de la colonisation ont-ils permis la formation d’un vaste lobby capable d’agir au plus haut niveau de l’État, jusque dans les années 1920» (6).
Contours et action du «parti colonial»
Avec son livre intitulé Colonialisme ou impérialisme ? (2017) (7), Julie d'Andurain propose une étape préalable au projet de montrer que l'expansionnisme français a été plus colonial qu'impérial. Elle présente une série d'analyses bio-bibliographiques du monde colonial français dans sa diversité : colonistes ou colonialistes (militants du fait colonial), coloniaux (fonctionnaires), colonisateurs ou colons (Français installés aux colonies) (8), sur le modèle du livre précurseur de Charles-André Julien : Les techniciens de la colonisation (1946).
Les hommes du lobby colonial
Elle range tous ces personnages en trois catégories : les doctrinaires, les politiques, les militaires.
Dans le groupe des doctrinaires, elle a retenu : Paul Dislère, Jules Harmand, Paul Leroy-Beaulieu, Jean-Marie de Lanessan, Joseph Chailley, les frères Paul et Jules Cambon, Arthur Girault, Auguste Terrier, Robert de Caix.
Dans le groupe des politiques : Gambetta, Jules Ferry et Alfred Rambaud, Gabriel Hanotaux, Félix Faure, Paul Deschanel, Théophile Delcassé, Charles-Marie Le Myre de Vilers, Eugène Étienne, Albert Sarraut.
Dans le groupe des militaires : Bugeaud, Faidherbe, Auguste Pavie, Brazza, Gallieni, Lyautey.
Julie d'Andurain cherche à : «déterminer les interactions et les influences réciproques des principaux hommes du lobby colonial. À une analyse thématique qui a les faveurs de l'Université du fait de sa capacité à être problématisée, nous avons privilégié ici une présentation bio-bibliographique de façon à montrer davantage les proximités ou les interdépendances entre chacun des personnages.
bulletin du Comité de l'Afrique française,
1903
Il s'agit surtout de poser la question fondamentale de savoir comment un petit groupe d'individus déterminés a pu mettre en place une politique coloniale d'une telle ampleur alors même que les Français - on le sait aujourd'hui grâce aux travaux de Charles-Robert Ageron s'intéressaient très peu aux colonies.
La réflexion sur le «parti colonial» pose donc la question des usages du jeu démocratique sous la IIIe République, et vise plus fondamentalement à questionner la façon dont émerge et se met en place une politique de lobbying au plus haut niveau de l'État, entre 1890 et 1920» (9).
Devant la question qu'il posait en termes simples : France coloniale ou parti colonial ?, Charles-Robert Ageron était catégorique : «La réponse va de soi. Dans ses profondeurs, la France n'était pas coloniale au XIXe et au XXe siècle, quand elle a conquis un Empire dont le souvenir fascine encore les peuples étrangers. La France a été entraînée par le parti colonial qui seul, savait à peu près ce qu'il ambitionnait pour la République. C'est le parti colonial qui a voulu et qui a enfanté la France coloniale» (10).
Mais il s'était montré très prudent sur les modalités stratégiques de cette ambition :
«Que les coloniaux isolément ou regroupés dans le parti colonial soit à l'origine de nos principales prises de possession outre-mer dans la seconde moitié du XIXe siècle paraîtra peut-être une évidence. Encore conviendrait-il d'en administrer la preuve. Or, l'étude du processus de décision chère aux historiens américains, n'a pas encore retenu les historiens de la colonisation française. On ne sait pas grand-chose quant à la préparation psychologique des "décideurs", moins encore sur la mise en condition de l'opinion. Le rôle des groupes de pressions est inconnu, "l'étude des relations entre le parti colonial et les ministères reste à faire", comme le constatait, en 1973, un éminent spécialiste, Jean-Louis Miège» (11).
Stratégie impériale ou stratégie coloniale ?
Selon Julie d'Andurain : «Si on entend par stratégie la réunion et l'appropriation des moyens pour aboutir à une fin donnée, on doit considérer, au regard des parcours de ces hommes politiques, de ces publicistes et de ces militaires, qu'il a existé véritablement en France une stratégie impériale. Elle tient essentiellement dans le discours dit de la Perpendiculaire d'Eugène Étienne (10 mai 1890) qui trace non seulement les contours d'un Empire, essentiellement africain, mais aussi le programme. Le futur chef du lobby colonial réussit rapidement à mettre en œuvre des moyens importants lui permettant de voir son programme se réaliser pour partie» (12).
Il ne faut pas confondre la stratégie impériale du lobby colonial et l'éventuelle stratégie de la colonisation. C'est ce que rappelle Hubert Bonin : «Julie d'Andurain insiste sur le fait qu'il n'existe pas de plan préconçu de colonisation, pas plus qu'une méthode coloniale déterminée, ce qui explique les hésitations coloniales, les erreurs, les avancées par à-coups» (13).
La même observation est retenue par Élodie Salmon dans Parlement[s], revue d'histoire politique : «S’il n’existe pas de plan préconçu pour la conquête du domaine ultramarin, ces différents parcours permettent de dessiner les contours d’une stratégie impériale française. C’est une politique de prestige, revancharde et nationaliste avant d’être économique» (14).
Quelles sont les caractéristiques de cette stratégie impériale ? Elles tiennent en quelques points de l'avis de Julie d'Andurain. D'abord sa filiation, puis sa conception algéro-centrée qui la réduisent en fait à une stratégie coloniale :
«Elle trouve son origine dans la pensée gambettiste qui renonce provisoirement à une politique continentale après Sedan pour renouer avec une politique de prestige. Mais ce choix qui adosse l'expansion à un processus revanchard sous-tendu par des rivalités nationales sinon nationalistes rend l'impérialisme français d'emblée très fragile pour la simple et bonne raison qu'il n'est ni compris ni partagé par tous les Français. Elle fait de l'impérialisme un succédané du nationalisme et transporte outre-mer les rivalités des principales nations européennes.
En outre Eugène Étienne modélise une stratégie impériale structurellement organisée autour du noyau algérien. Du fait de son magistère, il impose une stratégie qui est d'essence bien plus coloniale qu'impériale en ce qu'elle est profondément algérianiste. D'un point de vue tactique, son projet se résume longtemps à la formation autour de l'Algérie d'un hinterland le plus vaste possible par l'adjonction d'États tampons successifs. De ce fait, dès l'origine, la conception initiale de l'empire est plus africaine qu'asiatique, plus terrestre que maritime» (15).
Eugène Étienne meurt en 1921. Avec sa disparition :
«le parti colonial se retrouve pratiquement orphelin. Il n'est d'ailleurs, à cette date, plus que l'ombre de lui-même d'une part parce que la génération des fondateurs a soit disparu, soit s'est enfermée dans une posture académique peu visible, au sein de l'Académie des sciences coloniales. En outre, le lobby s'est considérablement affaibli au cours des années 1906-1908 au moment des grands débats sur les choix entre assimilation et association.
Un vrai projet global d'association compatible avec la République n'ayant pu naître, le projet d'armée coloniale n'ayant pas réellement fonctionné, le pouvoir d'Eugène Étienne a décliné inexorablement, particulièrement en Algérie où les accusations de népotisme, de dictature politique se sont multipliées. Après la guerre, Albert Sarraut [1872-1962] tente de récupérer l'héritage étienniste, mais d'emblée son réseau personnel est trop asiatique et trop peu africain pour pouvoir s'imposer, son discours indigénophile trop peu partagé pour pouvoir s'enraciner auprès des élites coloniales et des colons» (16).
Continuité historique et spatiale du fait colonial
À travers la figure du général Gouraud et des photographies qu'il a transmises, Julie d'Andurain restitue ce qu'elle appelle la «linéarité» coloniale sur l'ensemble des théâtres géographiques affectés par la colonisation quelles qu'en soient les formes.
Retrouver la continuité historique du moment colonial
«Il y a un lien - une linéarité incarnée par Henri Gouraud lui-même - entre la colonisation en Afrique noire, la colonisation de l’Afrique du nord et celle de la Syrie et du Liban pour ce qui concerne les Français. Les photographies montrent très bien que l’on se situe dans une continuité historique que l’on a parfois du mal à saisir dans le champ des études universitaires tant les analyses sont faites par aires géographiques constituées, séparées les unes des autres.
Elles permettent donc de souligner combien il faut, sur un plan épistémologique, étudier dans un même ensemble les colonies, les protectorats et les mandats. Passé par l’Afrique noire, le Maghreb et le Machrek, il ne manquerait à Gouraud a priori que l’Asie dans son parcours militaire, mais l’album montre bien comment il incarne une nouvelle forme de grandeur de la France avec sa fonction de gouverneur militaire qui l’amène à voyager à la fois en Amérique et aux Indes. Là, la figure de l’officier cède le pas à celle du diplomate et pose, à travers leur reconversion, la question de l’effacement progressif des militaires après la Première Guerre mondiale» (17).
Gouraud, «Pour le Droit et la Civilisation», 1918
Le «visage républicain» de la colonisation
Parmi les officiers coloniaux et leurs différents modes d'agir, Julie d'Andurain distingue les «Soudanais», aux méthodes détestables d'une part, et les «Marocains» qui préfèrent la négociation, comme Lyautey ou Gouraud, d'autre part. Il en découle une référence au républicanisme colonial qui n'épouse pas les accusations généralisantes de certains auteurs qui pourfendent la «République coloniale» (18).
«Si l’on met à part l’engagement dans la Première Guerre mondiale, la carrière du général Gouraud s’articule autour de trois grands espaces géographiques qui se subdivisent eux-mêmes en trois grandes périodes. La première période, la plus importante en durée (1894-1905) correspond à la conquête soudanaise, c’est-à-dire à l’espace correspondant à l’ensemble de la boucle du Niger. C’est véritablement le grand moment de la conquête coloniale qui n’a pas laissé que des bons souvenirs, loin s’en faut. C’est même le plus dur de la conquête coloniale donnant lieu à des débordements de violence allant au-delà des ordres donnés par Paris (affaire Voulet-Chanoine). Elle a laissé une image détestable des coloniaux, particulièrement des "Soudanais", et ce, jusqu’à aujourd’hui. Simplement, tous les officiers coloniaux ne se ressemblent pas.
Loin de moi l’idée de présenter Henri Gouraud comme un pacifiste ; il a su en son temps faire usage de la force. Mais au cours de mes travaux, j’ai pu me rendre compte qu’il ne correspondait pas totalement à l’image du "Soudanais" : en dehors de ses premières expériences où la recherche du baptême du feu a constitué un objectif, il a été un soldat qui n’a cessé d’aller vers la surprise ou l’économie de moyens, vers l’usage du politique en lieu et place de la force. Ce positionnement ne correspond ni à de la tiédeur ou de la pusillanimité, mais à une prise en considération de la particularité du combat colonial, combat où les hommes disposent de peu de moyens militaires, de troupes éparses, alors qu’ils font face à des populations certes moins bien outillées militairement, mais numériquement très importantes.
Cela explique pourquoi Gouraud se rapproche des "Marocains" incarnés par Lyautey à partir de 1911-1912. Principal pourfendeur des "Soudanais", Lyautey prône le recours à la force, comme ultima ratio, quand la négociation n’est plus possible. Cette école coloniale a su donner un visage "républicain" à la colonisation» (18).
Michel Renard
Musée de l'Armée, salle d'Aumale - Sahara, Sénégal et Afrique occidentale
selle et armes de Samory pris par le capitaine Gouraud en 1898
* Je reprends une partie de ma contribution à la page d'une encyclopédie en ligne consacrée à Julie d'Andurain. Je l'ai légèrement modifiée. Le chapitre consacré à la photographie en terrain colonial a été publié dans l'article : Henri Gouraud, photographies d'Afrique et d'Orient (2016). Michel Renard
Notes
1 - Entretien avec Julie d'Andurain, «La photographie en terrain colonial», Les clés du Moyen-Orient, 1er mars 2017. [lire]
2 - Theses.fr. [lire]
3 - La course au clocher désigne la compétition à laquelle se livrent les puissances européennes pour conquérir le plus de territoires possible, particulièrement en Afrique, à la fin du XIXe siècle.
4 - Dominique Guillemin, «Julie d’Andurain, La capture de Samory (1898). L’achèvement de la conquête de l’Afrique de l’Ouest», Revue historique des armées, n° 271, 2013, p. 134.
5 - Cf. «Yves Person», par Pierre Alexandre, Cahiers d'études africaines, n° 84, 1981, p. 614. [lire]
6 - Julie d'Andurain, «Le "parti colonial" à travers ses revues. Une culture de propagande ?» Clio Themis, revue électronique d'histoire du droit, n° 12, 2017, p. 1-11. [lire]
7 - Julie d'Andurain, Colonialisme ou impérialisme ? Le parti colonial en pensée et en action, éd. Zellige, 2017.
8 - Julie d'Andurain, Colonialisme ou impérialisme ?, 2017, p. 5.
9 - Julie d'Andurain, Colonialisme ou impérialisme ?, 2017, p. 6.
10 - Charles-Robert Ageron, France coloniale ou parti coloniale ?, éd. Puf, 1978, p. 297-298.
11 - Charles-Robert Ageron, France coloniale ou parti coloniale ?, éd. Puf, 1978, p. 99.
12 - Julie d'Andurain, Colonialisme ou impérialisme ?, 2017, p. 411.
13 - Hubert Bonin, L'empire colonial français : de l'histoire aux héritages, XXe-XXIe siècles, éd. Armand Colon, 2018.
14 - Élodie Salmon, Parlement(s), revue d'histoire politique, n° 28, 2018. [lire]
15 - Julie d'Andurain, Colonialisme ou impérialisme ?, 2017, p. 411-412.
16 - Julie d'Andurain, Colonialisme ou impérialisme ?, 2017, p. 327-328.
17 - Entretien avec Julie d'Andurain, «La photographie en terrain colonial», Les clés du Moyen-Orient, 1er mars 2017. [lire]
18 - Cf. La République coloniale. Essai sur une utopie, Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Françoise Vergès, 2003 : «La République ne fut pas "bafouée", trahie, trompée aux colonies, elle y imposa, bien au contraire, son utopie régénératrice, l'utopie d'une République coloniale», p. 13.
le général Archinard et le colonel Gouraud, 1911
Georges Yver, 1870-1961
Georges Yver, 1870-1961
un grand technicien du savoir historique sur l'Algérie coloniale
Michel RENARD *
Georges Yver (1870-1961) est un historien français. Ancien élève de l'École française de Rome, il se consacre d'abord à l'histoire économique de l'Italie médiévale et publie sa thèse en 1903.
À la suite de son installation à Alger, à l'automne 1903, il se tourne vers l'étude de la conquête coloniale de l'Algérie et l'histoire de l'Afrique du Nord française. Il fait partie des universitaires auxquels la faculté des lettres d'Alger doit son rayonnement (1) (a).
________________________
sommaire
Biographie
1 - Origines
2 - Études
3 - Une carrière de professeur
4 - Dernières années
Apport à l'histoire : commerces et marchands de l'Italie méridionale
1 - L'histoire économique en question
Apport à l'histoire : l'Afrique du Nord
1 - Histoire de la conquête et histoire de la société musulmane
2 - Correspondances de chefs militaires
A - Les dépêches de Daumas, consul à Mascara, 1837-1839
B - Correspondance du maréchal Valée, 1837-1840
Publications
1 - Auteur
2 - Éditeur scientifique
3 - Articles
Bibliographie
Notes et références
1 - Notes
2 - Références
_____________________
Georges Octave Théodore Yver est né le 22 septembre 1870 à Caen, dans le Calvados (2) (3). Fils aîné de Louis Georges Yver et de Louise Le Corsu, il passe son enfance à Caen, au n° 30 de la rue des Carmes (4) (b). Son oncle maternel, Octave Victor Le Corsu5, était éditeur maritime (6).
Le jeune Georges Yver est admis à l'École normale supérieure en 1890 (7). Mais il effectue d'abord son service militaire. Engagé pour trois ans le 16 octobre 1890, il passe une année, jusqu'au 23 septembre 1891, au 5e régiment d'infanterie alors en garnison à Caen (7).
Le 28 juillet 1892, il obtient sa licence ès lettres (7) et deux ans plus tard, il est reçu à l'agrégation d'histoire (1894) (8). Il est ensuite pensionnaire de l'École française de Rome de 1894 à 1896 (9) ; celle-ci occupait le deuxième étage du palais Farnèse.
Le 25 février 1903, il soutient ses deux thèses en Sorbonne (10) : thèse latine : De Guadagniis (les Gadagne), mercatoribus Florentinis Lugduni, XVIe. P. CHRN. sæculo, commorantibus (c) (11) ; thèse française : Le commerce et les marchands dans l'Italie méridionale aux treizième et quatorzième siècles.
Rome, palais Farnèse, vers 1900
De retour en France, il est nommé professeur dans différents lycées : à Tours (12) d'octobre 1896 à mai 1897 ; puis à Bourges de mai 1897 à septembre 1898 (7). À cette date, il est envoyé au lycée Carnot de Tunis et y reste cinq ans (7).
Georges Yver est arrivé à Alger au début de l'automne 1903 (7). Il se marie le 24 octobre 1907, au Mans, avec Alice Berthe Lucie Guillet3.
Pendant la Première Guerre mondiale, il appartient au 3e bataillon territorial de Zouaves et est affecté au dépôt des prisonniers de guerre à Tizi-Ouzou, de mai 1916 à octobre 1917 (7).
Après avoir été chargé de cours à l'École supérieure des lettres d'Alger (1903-1904), il occupe la chaire d'histoire moderne de l'Afrique dans cette même faculté, de 1904 à la fin des années 1930. Il habite d'abord au n° 21 de la rue Clauzel (1903-1909) puis au n° 8 de la rue Monge (1909-1914), et enfin à partir de 1914 au n° 23 de la rue Michelet (7) (13), proche de la faculté où il enseigne.
Il quitte cette ville au moment de la Seconde Guerre mondiale, pour s'installer à Nice puis à Paris (1).
Georges Yver était membre de la Société historique algérienne (14), il en a même été un moment secrétaire général (15) ; et membre de la Société de géographie d'Alger et d'Afrique du Nord (16).
Il est mort le 26 juin 1961, à Caen (3).
L'historien Fernand Braudel a été son collègue et a témoigné des dernières années de Georges Yver :
«Les jeunes historiens qui travaillent autour de moi et m'écoutent à l'occasion, au Collège de France ou à l'École des Hautes Études, auront bien connu Georges Yver durant ces quinze dernières années. Il était leur ami. Plus encore, nous étions ses amis ; nous lui donnions la seule raison qu'il avait encore de sortir d'une vie austère et d'échapper à des ennuis et à des tourments sans nombre.
Après un long enseignement à la Faculté des Lettres d'Alger, puis une halte à Nice pendant la Seconde Guerre Mondiale, il avait dû tout vendre ou mettre au garde-meuble, se séparer d'une magnifique installation, puis faire hospitaliser sa femme dans une maison de santé ; et il était venu vivre seul à Paris, à soixante-quinze ans passés, dans une simple chambre d'hôtel du quartier de la gare Saint-Lazare, au milieu du bruit et du mouvement qu'il aimait et qui lui permettaient, sans doute, d'oublier sa solitude. Une vie difficile. Il l'accepta avec ce courage discret qui fut toujours le sien.
Dix années durant, l'amitié l'amena, chaque mercredi et chaque samedi, à mes cours du Collège : ils étaient sa sortie, sa prise de contact avec le monde des vivants. Ensuite, nous retournions à pied jusqu'à la Cité Universitaire, d'où il regagnait alors en métro son lointain hôtel. L'amitié, aussi, l'avait entraîné, en 1958, à faire en ma compagnie ce voyage jusqu'à Venise qui fut peut-être sa dernière grande joie.
Jusqu'au dernier jour, il aura travaillé, publié, lu avec passion ; il aura raconté d'exquis souvenirs sur le Paris de sa jeunesse, sur l'École normale où il avait été l'ami et le compagnon de Georges Fedel, de Zimmerman, de René Lespès (17), d'Édouard Herriot, sur l'Algérie si proche et si lointaine... Nul, par contre, ne l'entendit parler de ses propres succès, jadis, au Concours général, à l'entrée de l'École, à l'agrégation d'histoire. Pour y penser, il était bien trop préoccupé de faire l'éloge des autres et surtout de ses maîtres : Vidal de la Blache, G. Monod, plus encore Émile Bourgeois, à l'égard de qui, comme l'auteur de ses lignes, il avait conservé un attachement indéfectible (1).»
«l'amitié l'amena, chaque mercredi et chaque samedi, à mes cours du Collège»
«nous retournions à pied jusqu'à la Cité Universitaire»
«ses propres succès... à l'entrée à l'École...»
Apport à l'histoire : commerce et marchands
de l'Italie méridionale
Avec sa thèse sur Le commerce et les marchands dans l'Italie méridionale au XIIIe et au XIVe siècle, publiée en 1903, Georges Yver est devenu, selon Fernand Braudel, le «premier des historiens économistes de son temps» (1).
L'histoire économique en question
Ce ne fut pas le jugement de certains de ses pairs à l'époque, rapporte Maurice Prou, professeur à l'École des chartes : «La tentative faite par M. Georges Yver de tracer le tableau de la vie économique dans l'Italie méridionale aux XIIIe et XIVe siècles, a paru à quelques-uns prématurée. Un savant professeur en Sorbonne a même prétendu, si nous avons bien compris sa pensée, qu'une pareille entreprise était condamnée à l'avortement, car l'établissement d'une série de statistiques serait nécessaire pour faire l'histoire économique» (18).
«Mais l'on peut se demander si l'histoire économique repose toute sur la statistique. (...) L'histoire économique est plus compréhensive. La faire, c'est reconstituer les manifestations de la vie matérielle d'un groupe social en ses phases successives, le mode d'exploitation de la terre, la mise en valeur et la consommation des richesses, et aussi les mesures prises par les gouvernements à l'égard de l'industrie et du commerce. Autant de points qu'on peut éclairer sans recourir à la statistique. (...)
Aussi bien, M. Yver n'a pas intitulé son livre Histoire économique du royaume de Sicile. Puisque c'est presque uniquement des registres de la chancellerie de Charles Ier, de Charles II et de Robert qu'il a recueilli la plupart des documents qu'il a mis en œuvre, il ne pouvait guère prétendre qu'à examiner les questions sur lesquelles ces registres fournissent des renseignements, et tout d'abord la "politique économique des Angevins". À dire vrai, c'est là le titre qui eût le mieux convenu à son livre. Cette politique ressort clairement de la lecture des mandements royaux insérés dans les registres de la chancellerie et des comptes des trésoriers. Nous n'avons qu'un choix d'actes royaux, mais qui suffisent à déterminer la ligne de conduite suivie par les princes angevins en Italie (18).»
Palerme, palais des rois de Sicile
Apport à l'histoire : l'Afrique du Nord
À la suite de ses nominations au lycée Carnot de Tunis en 1898, puis à Alger en 1903, Georges Yver a modifié le cours de ses recherches.
Son arrivée en Afrique du Nord «l'avait amené dans un pays qu'il allait passionnément aimer, mais elle l'avait aussi détourné de sa vraie vocation et jeté en pleine histoire corrosive, celle de la conquête de l'Algérie par les Français, où tout était à élaborer et d'abord la trame des événements, le rôle des individus, la place des institutions» (1).
Georges Yver y contribue par la publication de nombreux articles, par des livres de synthèse (en 1927 et en 1937), mais surtout par l'édition scientifique de correspondances de grandes figures militaires : le capitaine Daumas, le général Damrémont et le maréchal Valée.
Il a montré, dans l'exploration des archives de la conquête, toute la rigueur méthodique de l'investigation historienne acquise à l'École française de Rome et dans les recherches ayant abouti à sa thèse.
université d'Alger, années 1920
Histoire de la conquête et histoire de la société musulmane
Selon l'historien Alain Messaoudi (19), la désignation de Georges Yver à la chaire d'histoire moderne de l'Afrique, vacante depuis la mort d'Édouard Cat en 1903, a donné lieu à une controverse :
«À Georges Yver, un jeune historien ancien élève de l'École normale supérieure, René Basset aurait préféré Edmond Doutté, bien que ce dernier n'ait pas encore soutenu ses thèses. En effet selon lui : "(...) l'histoire moderne de l'Algérie ne doit pas être uniquement le récit de la conquête du pays, mais elle doit avoir aussi pour but l'étude de la société musulmane, de son passé, de son avenir, de sa civilisation : or cette étude n'est possible que pour quiconque connaît l'arabe et a vécu parmi les indigènes". Mais Yver, docteur, soutenu par le "parti normalien", l'emporte : l'enseignement de l'histoire contemporaine de l'Algérie reste jusqu'après la décolonisation confié à des professeurs qui ne connaissent pas l'arabe ni le berbère - ce qui conduit à une étude de la conquête coloniale qui fait la plus grande part aux Européens (20).»
notables musulmans, Guelma, 1856-1857
Ce reproche n'est pas complètement fondé. Dans le chapitre X du recueil collectif édité en 1931, Histoire et historiens de l'Algérie, Georges Yver appelle à «considérer les événements du point de vue indigène aussi bien que du point de vue français» :
«Les Français ont eu comme adversaires, non les Turcs, dont la puissance s'était effondrée avec la prise d'Alger, mais les indigènes, Arabes et Kabyles que les Turcs eux-mêmes n'avaient qu'incomplètement soumis. Ces populations ne formaient pas une masse homogène, mais se partageaient en une multitude de groupements sans cohésion et souvent en lutte les uns contre les autres. Le seul lien qu'il y eût entre eux, la religion, ne fut pas assez fort pour les unir contre l'étranger.
Les Français trouvèrent parmi eux des partisans et des alliés. Il suffit de rappeler les Douair et les Smela de la province d'Oran qui furent, à partir de 1833, les auxiliaires fidèles des Français. Bien d'autres tribus une fois vaincues suivirent cet exemple et n'hésitèrent pas à combattre avec les chrétiens contre leurs coreligionnaires. Ces revirements ne sont pas dus seulement à la supériorité militaire de la France. Les ambitions des chefs, les rivalités d'influence, les querelles de famille ou de çof (d) ont, en maintes circonstances, déterminé l'attitude des populations et contribué, autant que l'emploi de la force, à la soumission du pays.
Une histoire vraiment complète de la conquête devra donc considérer les événements du point de vue indigène aussi bien que du point de vue français. Les éléments de cette étude sont dispersés dans les archives des Bureaux arabes. Les officiers de ces bureaux étaient tenus, en effet, de rechercher ls renseignements de tout ordre concernant "l'histoire des tribus" et d'y joindre ceux qu'ils pourraient recueillir peu à peu "sur toutes les familles et sur les hommes politiques qui s'y trouvent" (circulaire de Bugeaud, 1er février 1844). Une masse énorme d'informations a été ainsi rassemblée mais les "historiques" rédigés en exécution de ces prescriptions sont pour la plupart inédits. Ils n'en ont pas moins fourni la matière de publications assez nombreuses parues le plus souvent dans les revues locales et dont certaines ont été réunies en volumes (21).»
notables musulmans, Oran, 1856-1857
Correspondances de chefs militaires
Le 4 décembre 1910, le gouverneur général de l'Algérie institue une commission (e) pour assurer la publication d'une collection de documents inédits sur l'histoire du pays conquis depuis 1830 (22). La commission décide qu'il y aurait deux sortes de publications ; la correspondance générale des commandants en chef de l'armée d'Afrique et des gouverneurs généraux : des documents se rapportant à des sujets divers comme les négociations ou les épisodes de la conquête.
Les dépêches de Daumas, consul à Mascara, 1837-1839
Dès 1912, Georges Yver publie les 119 dépêches du capitaine Daumas à ses supérieurs hiérarchiques. En vertu du traité de la Tafna (30 mai 1837) entre les autorités françaises et l'émir Abd el-Kader, la France pouvait entretenir des agents auprès de ce dernier. Daumas est envoyé par Bugeaud comme résident, ou consul, auprès de l'émir à Mascara. Cette imposante correspondance (660 pages du livre) a été appréciée par le ministère de la Guerre dans une analyse des dépêches du consulat de Mascara :
«Sous les rapports de l'observation du pays et de la constitution intérieure des tribus, de la connaissance de la province d'Oran, hommes et choses, la mission française à Mascara a certainement fait faire un grand pas. La correspondance du consul abonde en détail curieux et bien observés sur le mouvement des tribus, sur leurs intérêts politiques et commerciaux, sur le rôle que chacune d'elles sera nécessairement appelée à jouer dans une lutte contre la France. Elle fait connaître, par un ensemble de petits faits, qu'elle révèle à mesure qu'ils se produisent, l'organisation administrative et militaire qu'Abd el-Kader cherche à imposer au pays qu'il occupe.
L'impression générale, qui résulte des observations recueillies par M. Daumas et des réflexions qui les accompagnent, nous semble celle-ci, c'est que la puissance d'Abd el-Kader, établie d'ailleurs sur des bases fragiles, repose surtout sur la valeur propre de l'homme qui en est le dépositaire ; que ses éléments, une fois le chef disparu, pourraient être dispersés facilement et ne pourraient guère se réunir à nouveau ; qu'en un mot, le grand obstacle à l'introduction parmi les tribus de l'intérieur d'un commencement de civilisation européenne, réside bien plutôt dans les idées propres d'Abd el-Kader que dans la manière d'être des Arabes ou dans leurs mauvaises dispositions à notre égard (23).»
Tagdempt, camp fortifié d'Abd el-Kader, 1838 ;
consulat de France à Mascara
Correspondance du maréchal Valée, 1837-1840
Cette édition compte cinq volumes : d'octobre 1837 à mai 1838, de juin à décembre 1838, 1839, de janvier à août 1840, de septembre 1840 à mars 1841. Le maréchal Valée a été gouverneur général de l'Algérie d'octobre 1837 à décembre 1840. Le travail de Georges Yver conduit à revaloriser la politique et les idées de Valée contre celles de Bugeaud.
statu du maréchal Valée, à Constantine
Dans la Revue historique, Henri Brunschwig rend compte de ces ouvrages qui fournissent une masse d'informations sur la conquête de l'Algérie à la fin des années 1830 :
«La publication de la correspondance du maréchal Valée conduit à préciser la notion d'occupation restreinte et à réhabiliter le maréchal calomnié par Bugeaud. Valée s'y révèle intelligent, actif, décidé. Sa personnalité, qui jusqu'à présent ne tranchait guère sur celle de ses prédécesseurs et dont le rôle essentiel semblait être de servir de repoussoir à Bugeaud, s'impose. Il ne cesse de protester contre le traité de la Tafna, dont il ne voit pas l'utilité. (...)
D'autre part, s'il a gouverné l'Algérie pendant l'occupation restreinte, il ne s'en est certes pas montré partisan. Dans ses rapports, il affirme à plusieurs reprises la nécessité de la conquête totale. Il est convaincu que cette solution seule amènera la paix en Afrique du Nord. Il n'accepte de différer la guerre, à laquelle il ne cesse de se préparer, que sur l'ordre du gouvernement. Et ce dernier partage son opinion. Ce qui amène à réviser les idées répandues dans nos manuels. Le ministère de la Guerre ne doutait pas que la France serait amenée à la conquête totale. Dans le premier volume de près de cinq cents pages, le terme d'occupation restreinte n'apparaît qu'une fois. (...)
Tous ces textes conduisent à réhabiliter l'homme que calomnia Bugeaud. Ce dernier ne pouvait pas ignorer les fréquentes protestations de Valée contre le traité de la Tafna. Il ne pouvait pas davantage réfuter les arguments du maréchal. Mais il était député ; il était l'ami du roi, son complice même, depuis l'accouchement de la duchesse du Berry au château de Blaye. Il savait faire de beaux discours et savait que ses auditeurs ne se souviendraient pas des harangues précédentes, où il avait soutenu aussi brillamment des opinions différentes. Il savait écrire et savait mentir.
Il rendit Valée responsable de l'occupation restreinte qu'il avait lui-même défendue devant la Chambre, puis rendue impossible en conférant au seul Abd el-Kader une puissance telle que la France ne se trouva plus en présence seulement d'une poussière de tribus divisées. Bugeaud conserve cependant son renom militaire. Mais Valée, ou tout autre vétéran de l'Empire, n'aurait-il pas aussi bien réussi la conquête, ne l'aurait-il pas opérée à moindres frais, sans tant de razzias, si on l'y avait autorisé et si on lui avait donné les gros moyens dont Bugeaud disposa ? (24).»
monts Bibans, près des Portes de Fer, vers 1905
Georges Yver a consacré plusieurs années à la correspondance de Valée. Les derniers ouvrages paraissent de 1954 à 1957. C'est toujours Henri Brunschwig qui commente ce travail :
«M. Georges Yver achève la publication de la correspondance du maréchal Valée. Les trois derniers tomes ne le cèdent pas, en intérêt, aux précédents. Le maréchal jouit, en 1839, de l'entière confiance du roi et des gouvernements. Il précise son système, en insistant davantage sur son hostilité foncière à la guerre. Il y a là sans doute une concession à l'opinion publique française, qui n'exprime pas les convictions intimes du gouverneur. Car, après avoir encore insisté sur la nécessité d'une colonisation restreinte au sein d'une domination universelle (t. III, p. 167 sq.), après s'être appuyé sur le succès de l'expérience dans la province de Constantine, après avoir, une fois de plus, judicieusement, critiqué le principe de la colonne mobile qui ne s'appuie pas sur des établissements coloniaux (t. III, p. 184-185), il est bien obligé de rappeler que le traité de la Tafna autorisait Abd el-Kader à certaines prétentions et que l'émir n'avait jamais ratifié la convention rectificative du 4 juillet 1838, qui faisait triompher l'interprétation français. Dès lors, la guerre menaçait toujours. (...)
Profitant du voyage du duc d'Orléans en Algérie, il établit la liaison entre Constantine et Alger à travers les Biban. La fameuse traversée du défilé des Portes de Fer du 25 octobre au 1er novembre [1839] fut presque imposée par le maréchal au prince. Valée affirma que l'opération ne déclencherait pas la guerre. Mais, le 3 novembre, Abd el-Kader la lui déclara (25).»
passage des Portes de Fer, octobre 1839 (tableau d'Adrien Dauzats, 1840)
Auteur
- Esquisse d'une histoire du bassin de la Méditerranée, conférences faites à l'Hôtel des Sociétés françaises à Tunis, Impr. française, Sousse, 1900 (f).
- Le commerce et les marchands dans l'Italie méridionale au XIIIe et au XIVe siècle, Bibliothèque des Écoles françaises d'Athènes et de Rome, Fontemoing, Paris, 1903.
- La Commission d'Afrique (7 juillet-13 décembre 1833, éd. Fontana, Alger, 1905.
- Documents relatifs au traité de la Tafna, 1837, éd. J. Carbonel, Alger, 1924.
- Histoire d'Algérie, avec Stéphane Gsell et Georges Marçais, éd. Boivin, Paris , 1927 et 1929.
- L'Afrique du Nord française dans l'histoire, Paris-Lyon, 1937 et 1955.
Éditeur scientifique
- Correspondance du capitaine Daumas, consul à Mascara (1837-1839), Impr. de A. Jourdan, Alger, 1912. [lire]
- Correspondance du général Damrémont, gouverneur général des possessions françaises dans le nord de l'Afrique (1837), H. Champion, Paris, 1928.
- Correspondance du maréchal Valée, gouverneur général des possessions françaises dans le Nord de l'Afrique, 5 vol., éd. Larose, Paris, 1949-1957.
Articles
Annales de géographie
- «L'émigration italienne», Annales de Géographie, t. 6, n° 26, 1897, p. 123-132 [lire].
Société de géographie d'Alger
- «Paysages et gens du Nord. Les îles Lofoten», Bulletin de la Société de géographie d'Alger et de l'Afrique du Nord, 1905, p. 152-165 [lire].
- «En Bosnie», Bulletin de la Société de géographie d'Alger et de l'Afrique du Nord, 1909, p. 66-78 [lire].
- «La mort du commandant Ménonville», Bulletin de la Société de géographie d'Alger et de l'Afrique du Nord, 1907, p. 32-36 [lire].
- «Note sur un projet de colonisation suisse en Algérie, 1832», Bulletin de la Société de géographie d'Alger et de l'Afrique du Nord, 1910, p. 76-83 [lire].
- «Le traité Desmichels, d'après un ouvrage récent», Bulletin de la Société de géographie d'Alger et de l'Afrique du Nord, 1925, p. 43-51 [lire].
Bulletin de la Société de géographie d'Alger
Revue africaine
- «Si Hamdan ben Othman Khodja», Revue africaine : journal des travaux de la Société historique algérienne, 1913, p. 96-138 [lire].
- «Lettres de Ben Allal au maréchal Valé», Revue africaine : journal des travaux de la Société historique algérienne, 1914, p. 6-8 [lire].
- «Enfantin et l'émigration étrangère en Algérie», Revue africaine : journal des travaux de la Société historique algérienne, 1918, p. 249-265 [lire].
- «Abd el-Kader et le Maroc, en 1838», Revue africaine : journal des travaux de la Société historique algérienne, n° 298, 1919, p. 93-111 [lire].
- «Les Irlandais en Algérie», Revue africaine : journal des travaux de la Société historique algérienne, 1919, p. 170-223 [lire].
- «Les maronites et l'Algérie», Revue africaine : journal des travaux de la Société historique algérienne, 1920, p. 165-211 [lire].
- «Les préliminaires de la négociation de la Tafna», Revue africaine : journal des travaux de la Société historique algérienne, 1923, p. 529-543 [lire].
Questions nord-africaines
- «L'Algérie de 1830 à nos jours», Questions nord-africaines : revue des problèmes sociaux de l'Algérie, de la Tunisie et du Maroc, 25 juin 1935, p. 3-29 [lire].
Annales E. S. C.
- «L'Algérie à l'époque d'Abd-el-Kader», Annales. Économies, sociétés, civilisations, 7ᵉ année, n° 4, 1952, p. 562-564 [lire].
- «Méthodes et institutions de colonisation : les bureaux arabes», Annales. Économies, sociétés, civilisations, 10ᵉ année, n° 4, 1955. p. 569-574 [lire].
- «Xavier Yacono. "Les débuts de la Franc-Maçonnerie à Alger (1830-1852)"», extrait de la Revue africaine, t. CIII, année 1959, Annales. Économies, sociétés, civilisations, 16ᵉ année, n° 2, 1961. p. 396 [lire].
Encyclopédie de l'Islam
- articles «Alger» et «Algérie».
- Fernand Braudel, «Georges Yver (1870-1961), nécrologie», Annales E.S.C., 1963, n° 2, p. 407-408 [lire].
Michel Renard
mai 2019
* Je reprends la matière d'un article rédigé pour une encyclopédie en ligne. Je l'ai un peu modifié et en ai enrichi l'iconographie.
Georges Yver,
Correspondance du général Damrémont
a - Dans la nécrologie qu'il lui consacre, Fernand Braudel écrit : «Avec Georges Yver se clôt pour la Faculté des Lettres d'Alger, que j'ai admirée au temps de ma jeunesse, aussi belle, sinon aussi vantée, que celle de Strasbourg, le cortège de tous ceux que nous y avons connus ou aimés : Eugène Albertini, Émile-Félix Gautier, Louis Leschi, Louis Gernet, Jean Alazard, Pierre Martino...»
Le recensement de 1881 fait apparaître que la famille était composée, outre son père et sa mère, de la grand-mère paternelle (Marie Yver) et de ses frères et sœurs : Gabrielle, Léon, Hélène et Louis.
Les Gadagne, marchands florentins à Lyon au XVIe siècle.
Le çof est une ligue, un parti qui divise les clans kabyles eux-mêmes.
La commission était composée de : Jean-Dominique Luciani, directeur des Affaires indigènes ; René Basset, doyen de la faculté des lettres d'Alger ; Georges Yver et Stéphane Gsell, professeurs à la même faculté ; Léon Paysant, président de la Société historique algérienne ; Gabriel Esquer, archiviste du Gouvernement général.
Fernand Braudel raconte qu'il doit à Georges Yver son orientation vers l'étude de la Méditerranée : «Avant que Lucien Febvre n'intervienne dans ma vie, il a été le meilleur de mes conseillers et de mes maîtres. C'est grâce à lui, en premier lieu, qu'un beau jour je me suis décidé à saisir pour elle-même, et non de biais, la vie entière de la Méditerranée. J'hésitais devant son immensité. Il eut l'audace qui me manquait» ; cf. nécrologie de Georges Yver.
Fernand Braudel, «Georges Yver (1870-1961), nécrologie», Annales, 1963, n° 2, p. 407-408 [lire].
École française de Rome, Annuaire des membres, 1873-2011, 2010 [lire].
Archives départementales du Calvados, état civil numérisé de la ville de Caen, 1870 [lire].
Archives départementales du Calvados, recensement numérisé de la ville de Caen, 1881 [lire].
Généalogie d'Octave Victor Le Corsu, frère de la mère de Georges Yver [lire].
Annuaire-almanach du commerce, de l'industrie, de la magistrature et de l'administration, 1898, p. 941 [lire].
Archives départementales du Calvados, registre matricule numérisé [lire].
Les agrégés de l'enseignement secondaire. Répertoire 1809-1950 [lire].
Liste des membres de l'École française de Rome depuis sa fondation, Mélanges de l'école française de Rome, 1920, n° 38, p. 325 [lire].
Journal officiel de la République française, 21 février 1903, p. 1090 [lire].
Victor-Louis Bourrilly, compte rendu, Revue d'histoire moderne et contemporaine, tome 4 n° 9, 1902. p. 623-624 [lire].
Georges Yver, «L'émigration italienne», Annales de Géographie, t. 6, n° 26, 1897, p. 123-132 [lire].
Revue africaine : journal des travaux de la Société historique algérienne, 1927, p. 12 [lire].
Bureau de la Société historique pour 1906, Revue africaine : journal des travaux de la Société historique algérienne, 1906 [lire].
Revue africaine : journal des travaux de la Société historique algérienne, 1922, p. 5 [lire].Bulletin de la Société de géographie d'Alger et de l'Afrique du Nord [archive], 1908, p. LXXIV [lire].
René Lespès, data.bnf [lire].
Maurice Prou, compte rendu, Le Moyen âge : bulletin mensuel d'histoire et de philologie , 1904, p. 215-220 [lire].
Alain Messaoudi, maître de conférences à l'université de Nantes [lire].
Alain Messaoudi, Les arabisants et la France coloniale, 1780-1930, éd. ENS Lyon, 2015, p. 457.
Histoire et historiens de l'Algérie, «La conquête et la colonisation de l'Algérie» par Georges Yver, 1931, p. 286-287 [lire].
Comité de l'Afrique française, L'Afrique française : bulletin mensuel du Comité de l'Afrique française et du Comité du Maroc, janvier 1913, p. 176 [lire].
Correspondance du capitaine Daumas, consul à Mascara (1837-1839), par Georges Yver, Alger, 1912, p. XXII-XXIII [lire].
Henri Brunschwig, «Histoire de la colonisation (1945-1951)», Revue historique, 1952, p. 281-284 [lire].
Henri Brunschwig, «Bulletin historique. Colonisation française», Revue historique, 1859, p. 132 [lire].
- sur ce blog, voir son article : «L'établissement de la domination fançaise en Algérie» (1937) [lire]
Annie Rey-Goldzeiguer (1925-2019)
Annie Rey-Goldzeiguer (1925-2019)
une grande thèse sur le Royaume arabe
et une histoire de la France coloniale
Michel RENARD *
Annie Rey-Goldzeiguer, née le 12 décembre 1925 à Tunis, est morte le 17 avril 2019 (1). Historienne, spécialiste de l'Algérie coloniale, elle a soutenu une thèse sur les initiatives du Second Empire en Algérie et l'évolution des sociétés traditionnelles sous la colonisation : Le Royaume arabe. La politique algérienne de Napoléon III (1861-1870) en 1974.
Elle a aussi publié un ouvrage, reconnu important par tous les spécialistes de la période : Aux origines de la guerre d'Algérie, 1940-1945. De Mers-el-Kébir aux massacres du Nord-Constantinois, en 2002.
sommaire
Biographie
1 - Repères
Famille
Jeunesse
Mariage
Études
2 - Carrière professionnelle
3 - Opinions politiques
4 - Don de sa bibliothèque
Apport à l'histoire de l'Algérie coloniale
1 - La thèse sur le Royaume arabe (1974)
Objectif de la thèse
Composition de la thèse
Compte rendu de la thèse par Henri Grimal
Critique de la thèse par E. Peter Fitzgerald
Triomphe de l'économie coloniale ?
2 - Aux origines de la guerre d'Algérie (2002)
Critique du livre par Guy Pervillé
Critique du livre par Sylvie Thénault
Un complot du Gouvernement général
Les deux complots, selon Annie Rey-Goldzeiguer
L'histoire de la France coloniale (1991)
1 - La critique de Finn Fuglestad
2 - La critique de Daniel Rivet
3 - Inconvénients d'un plan trop chronologique
Publications
1 - Ouvrages
2 - Articles
3 - Préfaces
Notes et références
Notes
Références
__________________________
Napoléon III viisite la Casbah d'Alger, 1865 (estampe)
Annie Rey-Goldzeiguer est née le 12 décembre 1925 à Tunis. Rey est son nom d'épouse, Goldzeiguer son nom de jeune fille.
Famille
Son père, David Goldzeiguer (2), est un immigré russe, fils d'un industriel juif du port d'Odessa, arrivé en France en 1905 (3) (4). Il suit des études de médecine à Montpellier et devient docteur en 1913. Engagé volontaire, «à titre étranger», il sert dans les formations sanitaires au front, particulièrement à l'ambulance 5/16 de la 32e division d'infanterie (5).
Sa mère, issue d'une famille de petits vignerons du Midi, est institutrice à Bar-sur-Aube et infirmière pendant la Première Guerre mondiale. C'est dans un hôpital de campagne qu'elle rencontre le médecin Goldzeiguer (3). En 1919, ils s'installent à Tunis où ils se marient (3) (6) (n 1).
Tunis, rue d'Angleterre où habitait la famille Goldzeiguer
Jeunesse
En 1940, Annie Goldzeiguer découvre Alger, lors de vacances (7) : «elle repart bien vite à Tunis pour échapper à la tutelle directe du régime de Vichy. Son père est cependant déporté en Grande Allemagne au camp d'Oranienbourg» (3) (n2).
En 1943, avec sa mère, elle s'installe à Alger et s'inscrit à l'université : «j'ai vécu alors à Alger dans le milieu, fortement politisé, des étudiants de l'université. J'y ai participé à la manifestation du 1er mai 1945 : j'ai été traumatisée par la manifestation nationaliste et sa répression brutale. Mais le véritable choc fut le 8 mai 1945, quand j'ai vu et compris la riposte violente de l'aviation française sur la Petite Kabylie. J'ai alors vécu intensément la ruine de mes illusions» (8). De ces événements, date une prise de conscience anti-coloniale :
«Avant guerre, ma famille habitait Tunis, où je suis née. J'appartenais à un milieu libéral, anti-raciste, laïque [...] Jusqu'alors [mai 1945], je voyais plutôt dans la colonisation une "mission civilisatrice". D'autant que, en Tunisie, mon père était médecin et avait accès à ceux qu'on appelait les "indigènes". À mon arrivée à Alger, ma première impression a été épouvantable. J'ai vu pour la première fois ce qu'était la colonisation. Elle était très différente de celle qui existait en Tunisie» (7).
université d'Alger, années 1920
Mariage
En 1948 (4), elle épouse Roger Rey (1925-2010) (9), saint-cyrien, officier d’active de l’armée française de 1944 à 1952 en Indochine et à Madagascar, devenu militant au service du FLN à partir de 1957 (10). Elle l'avait rencontré à l'université d'Alger en 1943. Mariée, ayant deux enfants, elle le suit à Madagascar jusqu'en 1952 (3).
Études
Elle obtient son bac à Alger en 1943 (4) puis son agrégation d'histoire en 1947 (11) à la Sorbonne à Paris.
Après les événements de mai 1945, Annie Goldzeiguer avait pris une décision : «Je me suis jurée de quitter l'Algérie et de n'y revenir qu'après l'indépendance. J'ai tenu parole» a-t-elle déclaré à Gilles Perrault en 1983 (3). À Alger, en 1962, sous l'influence de Charles-André Julien (12), «elle consacre ses recherches, sa thèse sur le Royaume arabe et ses publications à l'histoire coloniale de l'Algérie, tout en revenant à la maison familiale près de Tunis» (3).
Elle soutient sa thèse en Sorbonne, le 14 mars 1974, sous le titre Royaume arabe et désagrégation des sociétés traditionnelles en Algérie (13) (14). Le directeur en est Charles-André Julien (14).
Carrière professionnelle
Au retour de Madagascar, en 1952, Annie Rey-Goldzeiguer enseigne à Paris (3). Après sa thèse, elle devient maître de conférence, puis professeur, puis professeur émérite et enfin honoraire à l'université de Reims.
Selon sa fille, Florence Rey, Charles-André Julien : «souhaitait qu'elle quitte la fac de Reims pour celle de Tunis. Mais c'est à ce moment-là qu'on lui a signifié qu'elle n'y serait pas la bienvenue. Mais maman ne lâche jamais. Quand Bourguiba l'a reçue en lui disant : "vous êtes une dangereuse gauchiste", elle lui a répondu : "oui, une dangereuse gauchiste mais comme vous !". Ils ont discuté pendant deux heures et il lui a dit : "toi, tu repars plus". Elle est restée deux ans et elle dit toujours qu'elle a passé les plus belles années de sa vie en Tunisie» (4).
Annie Rey-Goldzeiguer a dirigé de très nombreuses thèses de doctorat (15).
Opinions politiques
À partir de 1952, Annie Rey-Goldzeiguer milite au PCF (3).
«Elle est affectée à la cellule du XIe arrondissement [de Paris] qui est aussi celle de Gérard Spitzer et de Victor Leduc, qui sont critiques, à travers la publication oppositionnelle L'Étincelle, du refus du débat sur les crimes de Staline et sur le vote des pouvoirs spéciaux en Algérie par les députés communistes en mars 1956. Elle a aussi des échos des protestations de la cellule Sorbonne-Lettres par André Prenant, alors assistant de géographie à la Sorbonne, spécialiste de l'Algérie avec lequel elle partage un intérêt passionné pour tout ce qui se passe dans ce pays. Avec un grand ressentiment à l'adresse du PCF, Annie Rey-Goldzeiguer se joint au groupe de La Voie communiste et participe à l'aide au FLN» (3).
En 2011, elle est signataire d'un manifeste intitulé : «Non à un hommage national au général Bigeard» (16).
En 2014, elle participe à l'«Appel des 171 pour la vérité sur le crime d’État que fut la mort de Maurice Audin» (17).
Don de sa bibliothèque
Annie Rey-Goldzeiguer a fait don de sa bibliothèque personnelle (3 500 ouvrages) à l'Institut d'histoire de la Tunisie contemporaine (4).
Apport à l'histoire de l'Algérie coloniale
La thèse sur le Royaume arabe (1974)
L'investigation historienne d'Annie Rey-Goldzeiguer porte sur une décennie, celle qui suit la résolution du problème militaire en Algérie : 1861-1870. Elle en présente ainsi la problématique :
- «Pourtant le problème colonial reste entier. De tâtonnements en expériences, d’essais infructueux en réalisations insuffisants, l’exploitation de l’Algérie se révèle difficile. Comment établir les canaux de transmission qui maintiendront habilement la "périphérie" coloniale dans la sphère d’influence du modèle métropolitain ? Ce problème à deux inconnues s’est très tôt compliqué d’une donnée supplémentaire : l’installation dans le pays d’une communauté de migrants "européens" qui cherchent à exploiter rapidement et à leur profit la conquête collective. Dès lors, le problème de gouvernement et d’administration, simple domination à l’origine, devient un problème d’arbitrage permanent entre trois intérêts divergents. (…) À ce jeu politique, quelle solution novatrice a apporté Napoléon III ?» (18).
voyage de Napoléon III en Algérie, 1865
Elle insiste sur la différence de connaissance historique entre la société dominante (étudiée) et la société vaincue (ignorée) :
- «La colonisation, dans sa phase d’installation, met face à face deux adversaires, puis oblige bientôt deux sociétés à vivre côte à côte, sinon en commun. Une trame de relations, d’oppositions, de réactions s’établit et crée cette "situation coloniale" que Balandier a si nettement définie en Afrique Noire. Ces phénomènes de contact, d’agression et de défense ont une histoire qu’il importe de retrouver en suivant la trame chronologique (…). Par quelles armes la société dominante française agit en maître sur la société vaincue algérienne ? Ce problème de stratégie et de tactique coloniale, au temps du capitalisme montant, a été soulevé dès la Seconde Guerre mondiale. De nombreux chercheurs ont, par des travaux remarquables, éclairé cette voie d’intégration de sociétés "attardées" à un système social qui se voulait modèle universel. La masse archivistique a permis, sur ce sujet, une exploitation sérieuse : de la monographie la plus précise à la synthèse» (19).
- «Par contre, la seconde phase de ce problème social est restée dans une ombre prudente. Dès 1903, cette abstention avait été relevée par un remarquable historien trop tôt disparu, Joost Van Vollenhoven : "la propriété indigène a été étudiée et l’a été magistralement, le propriétaire indigène jamais" (Essai sur le fellah algérien, Paris, 1903, p. 4). Disons, en simplifiant son expression : l’Algérie coloniale a été étudiée, la société algérienne colonisée, simplement effleurée ou même ignorée. Consciemment ou non, l’historien niait ou oubliait cette réalité sociale pour légitimer l’occupation coloniale ou rejeter la tentation nationale» (19).
La thèse comprend plusieurs parties :
- Le cadre algérien : cadre géographique et cadre colonial surimposé.
- Les réalités algériennes en 1861 : facteurs d'évolution.
- L'attente anxieuse : les objectifs et les hommes (creuset colonial algérien ; opinion métropolitaine et Algérie ; Napoléon III) ; l'offensive coloniste (initiatives du clan coloniste ; réactions indigènes).
- La politique du Royaume arabe et ses répercussions immédiates.
- La révolte coloniale.
- Les indigènes entre l'espoir et la crainte.
- Les masses algériennes en mouvement (1864-1866) : l'insurrection de 1864-1866 ; la politique du Royaume arabe à l'épreuve des réalisations ; le testament algérien de Napoléon III.
- L'effondrement des sociétés traditionnelles, les années de misère : le désastre démographique, 1867-1869 ; la résistance désespérée des tribus du Sud-Oranais.
- La réussite de l'Algérie coloniale.
caïds et interpète du Bureau arabe, Tlemcen, 1865
Compte rendu de la thèse par Henri Grimal
C'est un historien plutôt spécialiste de l'Empire britannique, Henri Grimal, qui rédige un compte rendu pour la Revue d'histoire moderne et contemporaine (20).
- «Assez curieusement, cette période de l’histoire algérienne n’avait pas auparavant suscité un grand intérêt parmi les spécialistes. La nouveauté de la thèse d’Annie Rey-Goldzeiguer est de montrer qu’elle fut le début d’une "période-charnière" : non seulement celle des initiatives politiques et économiques de Napoléon III, mais celle où se forgea parmi les Européens immigrés une conscience de communauté et une force qui, pour la première fois, pesa d’un poids très lourd sur la politique métropolitaine ; celle enfin où en Algérie "tout un monde bascula, l’évolution s’accéléra". La transformation que tout cela a contribué à déclencher n’a pas été conforme aux options politiques de l’empereur. Il n’a jamais eu les moyens d’imposer sa volonté. Elle s’est faite en dehors de lui, parfois malgré lui» (20).
- «La politique du Royaume arabe a été conçue par Napoléon III pour mettre fin à trente années d’incertitude administrative en Algérie et à l’incapacité de trouver un système capable d’assurer une convergence entre les objectifs qui étaient à l’origine de l’entreprise : la conquête et la rentabilisation. L’histoire officielle, d’inspiration "coloniste", n’y a vu que la lubie d’un visionnaire et n’a pas ménagé ses sarcasmes. S’il n’est pas douteux que l’empereur ait été influencé par ses sentiments personnels ("coup de foudre" pour l’Algérie, idée de mission "rédemptrice" de la France), ce plan obéissait à une option politique rationnelle : le système dualiste (civil et militaire) se révélant être un échec, il était nécessaire de le remplacer par un autre qui, sans sacrifier les intérêts de la colonisation, protégerait ceux des indigènes et respecterait leur identité et l’originalité de leurs institutions sociales et les rattacherait à la métropole» (20).
- «Mais cette politique, "la plus intelligente et la plus humaine qui fut conçue pour l’Algérie", dit Charles-André Julien, n’était pas dépourvue d’ambiguïtés. Surtout, elle n’avait pas prévu les moyens de neutraliser les obstacles que par son audace, elle soulèverait de la part des préjugés, des situations acquises et des convoitises intéressées qu’elle allait contrarier. La lutte entre forces antagonistes devait être d’autant plus sévère que l’enjeu n’était plus simplement la prépondérance des civils ou des militaires, mais le destin des hommes et de la terre d’Algérie» (20).
Souvenir d'Algérie, Eugène Fromentin (1820-1876)
Critique de la thèse par E. Peter Fitzgerald
Un historien canadien de l'université Carleton, E. Peter Fitzgerald, a commenté scrupuleusement l'œuvre d'Annie Rey-Goldzeiguer :
- «Si étrange que cela puisse paraître aujourd’hui, il n’y a pas si longtemps Napoléon III avait mauvaise réputation auprès des historiens de l’Algérie français. Pour eux, il était l’homme qui avait tenté d’enfermer les "indigènes" dans une société traditionnelle, rétrograde et féodale, en les écartant des voies du progrès empruntées par les colons ; celui qui avait rêvé à de bizarres "royaumes arabes", le souverain qui avait "imaginé" comme disait naguère Augustin Bernard, "nationalité arabe qui n’existait pas et n’a jamais existé" (Augustin Bernard, «L’administration de l’Algérie», in Bulletin du Comité de l’Afrique française. Renseignements coloniaux, avril 1929, p. 236). Ces temps-là sont révolus et des historiens comme Charles-André Julien et Charles-Robert Ageron ont déjà montré combien la politique algérienne de l’empereur fut libérale à l’égard de ses "sujets arabes". Annie Rey-Goldzeiguer continue dans cette voie de réhabilitation historique de Napoléon III, mais le gros livre qu’elle nous présente témoigne d’ambitions bien plus vastes. Suivre les péripéties de la politique dite du royaume arabe et l’éclaircir d’abord. Mais également décrire et analyser comment une société traditionnelle aux prises avec une agression coloniale accentuée, a réagi, a résisté et finalement s’est effondrée» (21).
- «La thèse d’Annie Rey-Goldzeiguer est basée sur un travail d’archives poussé et une connaissance de la littérature polémique (brochures, journaux) que j’estime inégalée. Elle est la première historienne qui a eu la patience de reconstruire, dans le détail, les rivalités personnelles et politiques qui ont joué dans le débat sur l’Algérie pendant le Second Empire. La façon dont elle analyse le langage emprunté par les porte-parole des colons est admirable. Elle éprouve, bien sûr, beaucoup plus de sympathie pour les écrits des "arabophiles" et l’on se demande parfois si cela, ajouté à l’importance archivale des papiers laissés par Lacroix (22) et Urbain, ne l’a pas entraîné à exagérer la cohérence de "l’équipe" de la politique du royaume arabe. Et si son usage des données statistiques n’est pas toujours convaincant (par ex., p. 470), on doit admettre que les chiffres officiels de cette époque laissent beaucoup à désirer» (21).
une société traditionnelle :
hommes et femmes d'Algérie, 1888
Urrabieta Vierge, Daniel (1851-1904), NYPL digital
Peter Fitzgerald aborde la question du «ton» de cette étude et pointe une forme de «caricature».
- «Annie Rey-Goldzeiguer est une historienne engagée. Elle croit, et elle a raison, que l'historien d'une situation coloniale doit avoir pour son sujet une "sympathie profonde sans laquelle le tableau le plus exact reste sans vie...". Et aucun lecteur du Royaume Arabe ne pourrait dire que l'auteur n'a pas su trouver cette sympathie pour le peuple algérien pris en tenailles par un système colonial triomphant. Mais la question n'est pas là ; ou, plutôt, elle apparaît comme la contre-partie de cette "sympathie profonde" : une aversion également profonde que l'auteur porte au colonialisme. Annie Rey-Goldzeiguer est visiblement agacée par sa rhétorique humanitaire creuse, son décor progressiste et civilisateur, son hypocrisie tous azimuts. Cela se perçoit non seulement à la fin, dans les conclusions globales, mais aussi à chaque étape de l'étude, lorsqu'elle porte des jugements sur les hommes et leurs mobiles. Or, Annie Rey-Goldzeiguer a fouillé assez de dossiers pour ne pas avoir peur de passer au crible le personnel colonial - et elle ne ménage pas ses mots. Ces portraits peu flatteurs sont mordants. Certes, ils nous changent, Dieu merci, des formules anodines et jugements balancés, chers aux historiens anglo-saxons. Toutefois, ce ton engagé risque parfois de passer pour exagéré. Le lecteur en arrive à se demander comment le gouvernement français a su rassembler une pareille bande d'incompétents pour les mettre ensuite aux postes-clés du système colonial. En somme, le lecteur pourrait avoir l'impression d'avoir assisté à une espèce de western, où de nombreux méchants ont abattu une poignée de bons, où les talents et l'énergie presque surhumaine de ceux-ci (voir la description de F. Lacroix, p. 146) n'ont pas eu raison des brigues et des haines de ceux-là» (21).
- «À mon avis, deux remarques s'imposent. Annie Rey-Goldzeiguer a suffisamment démontré que l'histoire de l'Algérie pendant cette période charnière fut un véritable drame. Mais en caricaturant en quelque sorte certains acteurs principaux (23), en donnant à son récit l'aspect d'une lutte entre le bien et le mal, elle recourt à un manichéisme qui ne peut que nuire à son interprétation. Et puisque, tout comme l'empereur, ces hommes furent de leur temps, pourquoi s'acharner contre eux ? Pourquoi ne pas les montrer comme prisonniers - fût-ce des prisonniers très fortunés - d'une situation coloniale qui a su tromper ou détourner les bonnes volontés aussi bien qu'aiguiser les appétits des mauvaises ? Justement c'est de cette façon qu'elle voit le préfet d'Oran, Charles Brosselard, "contaminé, sans le vouloir, par le milieu colon" (p. 336). Les erreurs et les illusions, n'ont-elles pas aussi une place dans l'histoire coloniale ?» (21).
L'Algérie sous Napoléon III :
diffa, 30 septembre 1866, société minière Mokta el-Hadid
Triomphe de l'économie coloniale ?
E. Peter Fitzgerald a discuté le jugement d'Annie Rey-Goldzeiguer sur le heurt des deux économies : traditionnelle et capitaliste.
- «Tout en acceptant que les événements de 1867 à 1871 ont porté un rude coup aux sociétés traditionnelles en Algérie, l’on peut se demander si les structures du passé ont disparu si rapidement et si complètement. Annie Rey-Goldzeiguer voit dans la crise de 1867-69 "la véritable césure dans l’histoire économique de l’Algérie". Pourquoi ? Parce que "elle élimine impitoyablement toutes les formes archaïques subsistantes ou tout au moins ne les laisse végéter que dans les contrées les plus reculées ; elle crée enfin des conditions nouvelles qui, à long et court terme, engagent le monde indigène dans la voie de l’exploitation coloniale" (p. 474). En gros, son argument est que le naufrage de l’économie indigène a détruit une fois pour toutes la possibilité d’une existence économique hors du circuit de l’économie coloniale. À coups de mécanismes de marché et de commerce, d’un système monétaire et bancaire, de régimes de propriété et de salariat, un nouveau système s’installe sur les décombres de l’ancien. C’est donc un capitalisme colonial en plein essor qui imposera sa domination sur la vie des Algériens. L’argument semble convaincant» (21).
- «Pourtant l’on se demande si la rupture économique de 1867-69 fut si totale. Annie Rey-Goldzeiguer nous présente un peuple algérien qui, privé de ses terres et de ses rapports sociaux traditionnels, n’avait d’autre choix que celui de mourir ou de se soumettre à l’exploitation capitaliste. Pourtant, n’a-t-on pas constaté que l’un des grands problèmes de l’Algérie coloniale était précisément la faiblesse du capitalisme colonial ? Quatre-vingt ans après cette "véritable césure", ne se trouve-t-on pas devant une situation de dual economy, avec d’une part un secteur européen doté de moyens de production modernes et d’autre part un secteur indigène toujours caractérisé par une économie de subsistance dans toutes ses formes ? La destruction de l’équilibre de l’économie traditionnelle et la dépossession foncière ont bel et bien abouti à la paupérisation des masses algériennes. Mais le vrai drame ne fut-il pas le fait que l’économie coloniale n’a pas su prendre le relais, qu’elle n’a réussi qu’à développer le sous-développement ? La question est loin d’être résolue, mais on peut suggérer que l’emprise du capitalisme fut limitée en Algérie, du moins dans la mesure où beaucoup d’Algériens restaient en marge d’une exploitation capitaliste de type moderne» (21).
Aux origines de la guerre d'Algérie (2002)
Aux origines de la guerre d'Algérie, 1940-1945. De Mers-el-Kébir aux massacres du Nord-Constantinois, le dernier ouvrage publié par Annie Rey-Goldzeiguer, en 2002 (24), est marqué par la double dimension des souvenirs personnels et de l'engagement anti-colonial d'une part, et de l'investigation historienne d'autre part. Cette dernière étant appuyée sur un changement de focale :
- «À la veille de vacances méditerranéennes, mon maître Charles-André Julien me donna comme viatique la tétralogie sur Alexandrie (25) et me suggéra : "Il vous faudra un jour adapter sa méthode à l'histoire". Quatre vues de cette ville sous des objectifs différents, quatre destins entrecroisés, quatre façons de juger les choses. J'ai tenté l'expérience dans ce livre : réaliser une histoire à plusieurs voies de l'Algérie de 1940 à 1945» (26).
Pour l'auteur : «dans cette période, tout événement est relatif : il n'a pas de signification en soi, chaque camp lui confère son importance et son sens» (27). Quels sont ces «camps» ? Dans la période du Royaume arabe, on distinguait trois pôles : les colons européens, les militaires français, les indigènes algériens. Trois quarts de siècle de colonisation plus tard, la société est toujours dominée par la frontière entre population arabe et population européenne, mais des points de jonction entre éléments de ces deux groupes se sont constitués :
- «Quand s'ouvre la Seconde Guerre mondiale, trois "camps", selon l'expression d'Albert Camus, se côtoient en Algérie : celui des Européens, dominant , celui des "indigènes" et, en mezzanine, le camp médian qui porte les espoirs des libéraux et les rejets des autres puisqu'une ébauche de dialogue existe», explique l'historienne (26).
Critique du livre par Guy Pervillé
L'historien Guy Pervillé a consacré un compte rendu de lecture à cet ouvrage (28). Pour lui, le double aspect militant/historien est assumé en respectant les règles de la méthode historienne : «Étant donné la vigueur de son engagement, on aurait pu s'attendre à un livre avant tout militant. Or ce livre est bien un livre d'historienne, certes engagé mais vraiment historique» (28).
- «Plusieurs questions se posent : celle du nombre des victimes [des massacres de mai 1945], qui a faussé les recherches en les orientant vers une tâche impossible. Mais aussi la définition exacte de ces "événements", ainsi que l'identification de ces victimes, le rôle des organisations européennes et algériennes dans les massacres, la part de la spontanéité des masses, et enfin "qui cherchait-on à éliminer, et pourquoi ?"» (28).
Guy Pervillé mentionne la question du bilan statistique des victimes de la répression :
- «Annie Rey-Goldzeiguer déclare impossible de le préciser, et reconnaît "s'être laissée prendre à ce jeu macabre" (p. 12). Et pourtant, elle formule deux évaluations qui ne sont pas équivalentes. Ou bien, comme elle l'avait déjà affirmé en 1995, "la seule affirmation possible, c'est que le chiffre dépasse le centuple des pertes européennes" (p. 12). Ou bien "j'ai dit en introduction pourquoi il était impossible d'établir un bilan précis des victimes algériennes, dont on peut seulement dire qu'elles se comptent par milliers" (p. 305). Et cette contradiction est d'autant plus redoutable qu'aucune démonstration n'est fournie à l'appui de la première affirmation» (28).
Critique du livre par Sylvie Thénault
Sylvie Thénault, auteur d'une thèse publiée sous le titre Une drôle de justice : Les Magistrats dans la guerre d'Algérie (2001) a évoqué le livre d'Annie Rey-Goldzeiguer dès sa parution29. Elle aborde trois points :
- «Les difficultés à établir un bilan sont éclairantes pour le spécialiste de la guerre d'Algérie : en 1945 comme en 1954 et 1962, l'obstruction des autorités locales de l'époque est à l'origine de l'absence de données fiables. Les enquêtes du commissaire Bergé et du général Tubert rencontrant bien des obstacles, aucun document n'a, à l'époque, comptabilisé les victimes et, par conséquent, les archives s'avèrent décevantes» (29).
- «L'idée-phare du livre est l'émergence d'une nouvelle génération de militants nationalistes : le groupe de Belcourt dont les activités sont suivies avec précision d'un chapitre à l'autre est formé d'une génération "non théoricienne", de "jeunes", "alphabétisés par leur passage rapide à l'école", "des autodidactes qui apprennent dans la rue plus que dans les livres" (p. 176). Par la suite des "techniciens de la guerre" (p. 380) formés dans les combats de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre d'Indochine les rejoignirent» (29).
- «Par ailleurs, Annie Rey-Goldzeiguer compare l'idéal de société des Européens d'Algérie avec l'apartheid sud-africain, accentué par la haine développée en 1945. Cette comparaison circule parmi les spécialistes mais elle reste en discussion car Mohammed Harbi la réfute dans ses Mémoires tandis que Benjamin Stora préfère parler d'un "sudisme à la française", sur le modèle américain. La question mériterait d'être reprise, de même que la définition du "monde du contact". En effet, l'auteur montre comment les événements de 1945 l'ont atteint une première fois, avant que la guerre d'indépendance ne l'achève. Mais ce "monde" reste mal connu et l'auteur le cerne difficilement : membres du PCA, chrétiens progressistes, instituteurs, professeurs venus de métropole, membres des milieux littéraires et intellectuels, caïds... et qui encore ? Comment cohabite-t-on au quotidien ? "Ce monde n'est qu'un agrégat d'éléments divers et même antagonistes", écrit Annie Rey-Goldzeiguer, pour qui leur "seul point commun" est "la nécessité de vivre côte à côte et de se supporter", sans "ciment réel" (p. 197)» (29).
carte de la répression en 1945 (Atlas de la guerre d'Algérie, Guy Pervillé)
Un complot du Gouvernement général ?
Maurice Genty, spécialiste de la Révolution française, a lu le livre pour les Cahiers d'histoire (30) et en présente principalement un résumé. Notamment sur la question de savoir si les massacres de mai 1945 ont été le fruit d'un «complot» de la part de certains éléments des autorités européennes :
- «L’espoir d’une évolution pacifique devait être bien vite démenti. Au congrès des AML du 24 mars 1945, "les partisans d’Abbas sont mis en minorité par les activistes du PPA, faisant voler en éclats le compromis accepté par Messali Hadj" (p. 231). Devant la peur croissante des Européens, "un double mécanisme se déclenche" au sein du gouvernement général : "le clan des durs", conduit par le secrétaire général, Gazagne, "préconise des mesures préventives", notamment l’arrestation de Ferhat Abbas et de Messali Hadj, mais il se heurte "au libéralisme du socialiste Châtaigneau", qui refuse d’enclencher la spirale de la violence (p. 232) (31).
- Aussi bien, s’il n’y a pas de volonté délibérée de provocation pour justifier une répression de grande ampleur, s’il n’y a pas eu de complot au plus haut niveau, gouvernement général ou gouvernement français, bien que l’administration locale ait pu être encouragée par "le mot d’ordre laissé par de Gaulle à son départ pour la France" : "empêcher que l’Afrique du Nord ne glisse entre nos doigts" […] (p. 266), dès mars 1945 des mesures préventives furent prises par l’armée, suscitant l’inquiétude de l’administration civile» (31).
- «Surtout, le clan des durs intervient : "Ne pouvant agir sur les dirigeants, nous avons agi sur leurs lieutenants", devait reconnaître Gazagne (p. 236). Celui-ci profita de l’absence du gouverneur général, convoqué à Paris par le ministre de l’Intérieur, Tixier – "pour mettre au point un plan urgent de réformes" – "pour monter le complot" (p. 240) ; exploitant des incidents survenus le 7 avril à Reibell, lieu de résidence surveillée de Messali, il fait procéder à l’arrestation de celui-ci, "enlèvement" qui "devient le détonateur pour le mouvement algérien" (p. 237). "En quelques jours, l’atmosphère se détériore dans toute l’Algérie" (p. 241)» (31).
- «"Y a-t-il eu alors la formation d’un nouveau complot au niveau des notabilités locales européennes du quadrilatère (constantinois) ? Y a-t-il eu liaison avec le complot du gouvernement général ? À ces questions, il est impossible d’apporter une réponse puisque les archives du gouvernement général et des préfectures ne sont pas encore accessibles […] Quelques indices nous permettent cependant d’affirmer que les Européens ne restent pas inactifs" (p. 244) souligne l’auteur» (31).
Les deux complots, selon Annie Rey-Goldzeiguer
À lire de près son ouvrage, pour Annie Rey-Goldzeiguer, l’hypothèse de complots est avérée. Il y a d’abord celui du nouveau secrétaire général du Gouvernement à Alger, Pierre-René Gazagne, opposé à l’ordonnance de 1944 et au collège unique (32) :
- «Alors s’amorce un complot contre la politique "laxiste" du gouverneur. La haute administration, toujours vichyste, relayé par les médias aux mains de la haute société pied-noir, s’active pour court-circuiter l’action temporisatrice de Chataigneau» (33).
- «Gazagne l’avouera sans détours en 1946 : "Ne pouvant agir sur les dirigeants, nous avons agi sur les lieutenants". Gazagne envoie des instructions au préfet : "Attendre une infraction pour les atteindre", et il assure que plus de cinquante cadres nationalistes ont ainsi été arrêtés et neutralisés. (…) Mais ce "nettoyage" n’est qu’un prélude à l’action musclée qui seule permettra, pour Gazagne, d’éliminer le danger du PPA et de rétablir la souveraineté française dans sa plénitude» (33).
Et il y a le complot du PPA :
- «Le complot de la haute administration se conforte avec celui du PPA. De celui-ci, nulle trace, sinon des souvenirs enfouis dans le secret familial ou de vagues allusions de quelques militants. Ce complot a avorté et prouve bien l’immaturité politique de l’appareil du PPA clandestin» (34).
Annie Rey-Goldzeiguer décrit les dissensions au sein du PPA et le projet des "durs" :
- «Dès 1944, le bureau politique a été agité par les discussions sur l’opportunité d’une action directe. Par ses informateurs, le cabinet militaire du gouverneur général note : "Par une circulaire de la fin mars 1945, le PPA avait recommandé de s’armer le plus vite possible et annoncé qu’on passerait bientôt à la résistance passive puis au besoin aux actes violents"» (35)(…).
- «Selon toute vraisemblance, le bureau politique a pris une décision grave : créer un maquis dans le Djebel Amour, région de résistance traditionnelle adossée au Sahara et proche de la frontière marocaine. Charles-Robert Ageron précise : "Selon le témoignage de Messali, rapporté par Mohammed Harbi, il avait accepté au début d’avril 1945 un projet d’insurrection présenté par Lamine Debaghine et Hocine Asselah. Un gouvernement algérien devait être proclamé et la ferme des Maïza près de Sétif lui servir de siège. Le but essentiel était d’obliger les puissances alliées à intervenir"» (35).
- «Le soir du 16 avril 1945, Messali, équipé de "grosses chaussures et d’un burnous" prend donc congé de sa fille et de sa famille pour disparaître avec une escorte de fidèles. Il reviendra le lendemain, épuisé, effondré : il n’a trouvé ni équipement, ni armes, ni maquisards entraînés. Certains souvenirs de sa fille Djenina, alors enfant, permettent d’authentifier les faits. La date : il s’agit de l’anniversaire de Djenina (16 avril). La fillette est déçue de voir son père partir en ce jour de fête et surtout habillé d’une "drôle de façon, inhabituelle, avec de gros souliers". Le retour même est attesté par le souvenir de son père, épuisé par une longue marche, les pieds ensanglantés soignés par sa mère. Aucune organisation sérieuse pour se jeter dans une aventure qui détruirait tout le travail politique des AML. Messali, trop fin politique, refuse et fait échouer le complot des activistes du PPA.»
- «Mais les services du colonel Schoën ont suivi cette équipée et prévenu Pierre-René Gazagne et Lucien Perillier, le préfet d’Alger. En l’absence du gouverneur se trame donc le second complot, celui des responsables de l’administration gubernatoriale (Gazagne, Berque (36), Perillier, etc.). Francis Rey, l’un des hauts fonctionnaires, secrétaire général de la préfecture d’Alger, dira plus tard : "Nous avons laissé mûrir l’abcès pour mieux le crever". Il s’agit d’éliminer le PPA en neutralisant cette fois non les cadres subalternes mais les leaders, et de réaliser ce que Chataigneau avait refusé d’avaliser.» (37).
siège du Gouvernement général à Alger, bâtiment construit en 1929
L'Histoire de la France coloniale
Annie Rey-Goldzeiguer a rédigé la partie « La France coloniale de 1830 à 1870 » du premier tome de l'Histoire de la France coloniale (1991). Elle a divisé cette période, principalement consacrée à l'Algérie, en sept chapitres :
- Une France frileuse et nostalgique en 1830.
- Le redoutable engrenage de la politique de la canonnière : 1830-1837.
- Le temps de la colonisation mercantiliste : 1837-1847 (période de Louis-Philippe).
- La France coloniale à la recherche de l'efficience (abolition esclavage, Sénégal, Extrême-Orient).
- La solution impériale : l'association.
- La déroute impériale et l'amorce d'une politique coloniale.
- La France de la défaite intègre l'Algérie.
L'historien norvégien (francophone) Finn Fuglestad a rendu compte de cette publication dans la Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée (38). Il note que la définition par les différents auteurs de la notion de « France coloniale » est toujours implicite et porte à confusion : «"Y a-t-il (même) une France coloniale ?", se demande l'un des auteurs (Annie Rey Goldzeiguer)».
- «Il va de soi que l'Algérie occupe une place considérable. Certes, nos auteurs ne font en grande partie que résumer les travaux de Charles-André Julien. Mais les contributions d' Annie Rey-Goldzeiguer et Jacques Thobie ont au moins le mérite de nous faire prendre conscience du côté drame si je puis dire de cette histoire. Dans le rôle principal du méchant, les colons ou pieds-noirs, qui tentèrent en fait, et par tous les moyens, de réduire les indigènes à l'état de serfs. Ils y parvinrent en grande partie, au début de la Troisième République, une fois que l'obstacle qui se nommait Napoléon III eut sauté. Que se serait-il passé si le régime établi par celui qui se voulait aussi bien l'empereur des Arabes que l'empereur des Français, avait perduré ? (...) Napoléon III apparaît en tout cas comme celui qui "a eu tort d'avoir raison un siècle trop tôt" (Annie Rey-Goldzeiguer) - belle épitaphe... (38)
- «Toujours est-il que les débuts de la IIIe République apparaissent comme un tournant particulièrement important et tragique dans l'histoire de l'Algérie. Napoléon III défait et l'insurrection kabyle matée, rien ne s'opposait plus au démantèlement radical des tribus algériennes et à l'aliénation massive de la terre des indigènes, à la spoliation des indigènes en somme. Les colons avaient gagné en quelque sorte... sans que les pourquoi et les comment de cette "victoire" soient réellement expliqués. Annie Rey-Goldzeiguer, qui insiste par ailleurs un peu trop lourdement sur cette "grisaille quotidienne étouffante" qui aurait caractérisé la France de la Restauration et de la monarchie de Juillet, et qu'elle érige quasiment en cause principale de l'expansion d'outre-mer, termine en notant que la France est entrée à reculons dans l'ère coloniale. Sûr ?» (38).
cavaliers arabes, peinture de Guillaume Régamey, 1871
Daniel Rivet, spécialiste de l'histoire du Maroc colonial a livré une critique approfondie du travail de synthèse d'Annie Rey-Goldzeigueur, pour la Revue française d'histoire d'Outre-mer.
- «Deux cent quarante pages pour couvrir la durée médiane entre la Restauration, qui avance à reculons en son siècle en rétablissant l'Exclusif en 1817, et la IIIe République, qui forge ce qu'il était convenu d'appeler le second empire colonial français : Annie Rey-Goldzeiguer n'a pas manqué d'espace pour redonner épaisseur humaine et signification historique à une époque qui souffre, comme sa bibliographie l'atteste, de n'avoir guère été revisitée par le genre de feu la thèse d'État, ni balayée par le faisceau lumineux des récents colloques, qui ont privilégié l'Afrique au XXe siècle et les chemins de la décolonisation (39).
- «L'auteur a su trouver un équilibre. Entre l'Algérie, qui est alors "au balcon de l'actualité", selon le mot d'un contemporain, et les autres expériences coloniales dans lesquelles s'embarque le Second Empire. Entre un récit politique qui revendique le ton, la verve et le souffle de Charles-André Julien, une explication économique qui se greffe sur le Bouvier de L'histoire économique et sociale de la France lancée par Braudel et Labrousse et une exploration de l'imaginaire, rudement démystificatrice à la manière du redoutable Henri Guillemin» (39).
- «Sur trois points en particulier, la démarche d'Annie Rey-Goldzeiguer m'a parue novatrice, stimulante. Elle rapproche toujours et fond, quand il le faut, histoire coloniale et histoire nationale. La première cesse d'être un appendice de la seconde, une périphérie subissant passivement l'hégémonie du centre. C'est ainsi qu'elle oppose, à l'orée des années trente, une "France frileuse et nostalgique" à la "France de la sensibilité et de la rupture", ou bien qu'elle réincorpore le grand débat sur l'Algérie au début des années soixante dans le jeu politique national. Elle fait se rencontrer histoire coloniale et histoire provinciale, s'arrachant au tête-à-tête Paris/Outre-mer dans lequel trop d'historiens se confinent. Elle a épluché l'enquête du ministère des Travaux publics sur la marine marchande, publiée en 1863-1865, et cela nous vaut d'excellentes pages sur Bordeaux et Le Havre, qui stagnent sous la monarchie de Juillet et se cramponnent à l'Exclusif, et sur Marseille, qui redémarre sous l'impulsion d'armateurs du libre-échangisme. Elle fait descendre la thématique coloniale du ciel des idées et débats parlementaires dans l'arène de la vie quotidienne» (39).
- «Tout en se délectant de ces belles pages, on n'en ressent pas moins une inquiétude. Elle ne provient pas des jugements de l'auteur. On peut contester son éclairage sur la monarchie de Juillet. Guizot a une vision du monde et un programme d'action qui ne se réduisent pas à la recherche de points d'appui maritimes et à l'"enrichissez- vous", comme l'ont montré avec force et talent P. Rosanvallon (Le moment Guizot) et H. Laurens (Le Royaume arabe) (40). Annie Rey-Goldzeiguer rétorquera, en s'appuyant sur les faits qui ont l'inconvénient d'être, et donc contre les historiens des idées, qu'il y a un abîme entre Louis-Philippe et Napoléon III, ce visionnaire "qui eut tort d'avoir eu raison un siècle trop tôt", et pas seulement en Algérie...» (39)
combats aux portes d'Alger en 1830 (anonyme)
Les inconvénients d'un plan trop chronologique
Daniel Rivet formule des réserves sur la composition du récit marqué, selon lui, par un surcroît d'approche chronologique.
- «Le malaise provient, je crois, du plan adopté, qui fait la part trop belle à la chronologie. (...) Ce découpage, très, trop attentif à épouser les sinuosités et les rugosités de l'histoire se faisant, s'expose à multiplier d'abord les répétitions. C'est ainsi que l'affaire Pritchard est abordée à deux reprises (pp. 350 et 368), la création de conseils coloniaux développée pages 378 et 403, le microcosme saint-simonien en Algérie évoqué pages 387-388 et 399, le duel (métaphorique) entre Warnier et Jules Duval mentionné pages 472 et 510, l'étude de Georges Lavigne sur l'Algérie et le Rhin commentée pages 508 et 522-523, etc.» (39).
- «Cette fragmentation du récit risque d'engendrer chez le lecteur l'illusion que tout a changé en surface, rien n'a bougé en profondeur. Du réveil missionnaire contemporain de l'explosion de la sensibilité romantique (finement exposé par J.-Cl. Baumont dans le colloque consacré à ce thème sous la direction de J. Gadille (41) et B. Plongeron) (42) à la croisade de Lavigerie, quelle inflexion, quel durcissement, quel métamorphisme au contact de l'esprit du siècle subissent et réactivent l'idée missionnaire ? Du premier grand débat entre colonistes et anticolonistes au sujet de l'Algérie en avril 1833 à la campagne contre le Royaume arabe devant le corps législatif en 1869-1870, quelle mutation, quelle torsion ou flexion renouvellent, durcissent ou complexifient le discours sur la place de la France dans le processus qui jette l'Europe dans le scramble pour le reste du monde ? C'est la tendance générale, le trend de l'époque, qui risque de s'effilocher à force de capter le tremblement de la conjoncture avec un bonheur d'écriture qui rend captivante la lecture de ces pages» (39).
Le consul George Pritchard vers 1845, lors de la crise diplomatique
entre la France et le Royaume-Uni
- Le Royaume arabe. La politique algérienne de Napoléon III, 1861-1870, Alger, Sned, 1977.
- Histoire de la France coloniale, tome 1, «Des origines à 1914» (43), Jean Meyer, Jean Tarrade, Annie Rey-Goldzeiguer, Armand Colin, 1991. Elle est l'auteur de la troisième partie : «La France coloniale de 1830 à 1870».
- Aux origines de la guerre d'Algérie, 1940-1945. De Mers-el-Kébir aux massacres du nord-constantinois, La Découverte, 2002.
- «Les plébiscites en Algérie sous le Second Empire», Revue historique, tome CCXXXIX, 1963, p. 123-158 [archive].
- «L'occupation germano-italienne de la Tunisie : un tournant dans la vie politique tunisienne», in Les chemins de la décolonisation de l'empire français, 1936-1956, colloque IHTP, dir. Charles-Robert Ageron, 4 et 5 octobre 1984, éd. CNRS, 1986, p. 294-308. Extraits [archive].
- Fonctionnaires de la République et artisans de l'empire. Le cas des contrôleurs civils en Tunisie (1881-1956), Élisabeth Mouilleau, L'Harmattan, 2000.
- L'Afrique du Nord en marche. Algérie, Tunisie, Maroc, 1880-1952, Charles-André Julien, éd. Omnibus, 2002, « Charles-André Julien (1891-1991). Une pensée, une œuvre, une action anticoloniales », p. III-XIII.
- On trouve dans la thèse de médecine soutenue par Laurent Cardonnet en 2010, une notice biographique sur David Goldzeiguer, p. 130 [lire].
- L'historien Claude Nataf a établi que « David Goldzeiguer, né en Russie en 1888 (autre source : 1886), se réfugie en France après avoir participé à la révolution de 1905. Après des études à la faculté de médecine de Montpellier où il découvre la franc-maçonnerie, il obtient son doctorat en 1913. Engagé volontaire en 1914, il reçoit la Croix de guerre, la médaille de Verdun et la Légion d’honneur. Naturalisé français en 1921, il s’installe en Tunisie où il s’affilie à la loge Nouvelle Carthage, dont il sera le vénérable (1924-1926) et le président du conseil philosophique (1930-1940) ; il sera aussi membre du conseil de l’ordre du Grand Orient à partir de 1936. Profondément intégré à la France, il fait preuve d’un patriotisme intransigeant mais, constamment attaqué par des collaborateurs à la solde des nazis, il est déporté. [...] déporté de Tunis à Orianenbourg, transféré à Paris pour participer au procès de la maçonnerie mis en scène par les Allemands [il est] décédé d’épuisement à l’hôpital Rothschild » [lire]
1 - «Disparition de notre collègue Annie Rey-Goldzeiguer (1925-2019), Société française d’histoire des outre-mers», sur www.sfhom.com. [lire]
«Les Juifs et la franc-maçonnerie en terre coloniale : le cas de la Tunisie», Claude Nataf, Archives juives, 2010/2 (vol. 43), p. 90-103. [lire]
3 - Notice REY-GOLDZEIGUER Annie, Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, Maghreb, dir. René Gallissot, les éditions de l'Atelier, 2006, p. 532-533.
4 - Interview de Florence Rey (fille de Annie Rey-Goldzeiguer) par Séverine Perrier, La Montagne, 30 octobre 2015. [lire]
5 - «Renseignement sur l'ambulance 5/15 et son personnel», Éric Mansuy, forum.pages14-18, 21 janvier 2013. Cette page contient une photographie de l'ambulance 5/16.[lire].Le médecin David Goldzeiguer habitait : 9, rue d'Angleterre à Tunis ; cf. Liste des francs-maçons de Tunisie stigmatisés par le régime de Vichy [lire].Annie Rey-Goldzeiguer, Libération, 11 avril 2002, propos recueillis par José Garçon et Jean-Dominique Merchet.
8 - Annie Rey-Goldzeiguer, Aux origines de la guerre d'Algérie, 1940-1945, La Découverte, 2002, p. 6.
9 - «Dernier hommage à Roger Rey», Ines Amroude, lemidi-dz, 18 décembre 2010. [lire]Notice REY Roger, Dictionnaire Algérie, Le Maitron. [lire]Les agrégés de l'enseignement secondaire. Répertoire 1809-1950 [lire]. La même année, sont notamment reçues à l'agrégation d'histoire (jeunes filles) : Claude Mossé et Suzanne Citron.En exergue du livre publié à partir de sa thèse, elle écrit : «À mon maître, Charles-André Julien pour son exigeante et amicale autorité», Le Royaume arabe. La politique algérienne de Napoléon III, 1861-1870, Sned, 1977, p. 5.Catalogue du Système Universitaire de Documentation (Sudoc).[lire]«Choix de thèses intéressant les sciences sociales [note bibliographique]», Revue française de sociologie, 1975, 15-4, p. 65. [lire]Idref.fr. [lire]PCF, Le chiffon rouge, Morlaix, 21 novembre 2012. [lire]Blog les invités de Médiapart, 26 mars 2014. [lire]Annie Rey-Goldzeiguer, Le Royaume arabe. La politique algérienne de Napoléon III, Sned, 1997, p. 9.Annie Rey-Goldzeiguer, Le Royaume arabe. La politique algérienne de Napoléon III, Sned, 1997, p. 9-10.
20 - Henri Grimal, «Annie Rey-Goldzeiguer, Le Royaume Arabe. La politique algérienne de Napoléon III, I861-1870 [compte-rendu]», Revue d'histoire moderne et contemporaine, 1981, 28-2, p. 380-384. [lire]
21 - Annuaire de la Maison méditerranéenne des sciences de l'homme, 1977, p. 1050-1055. [lire]Frédéric Lacroix était préfet d'Alger en 1848. Cf. La correspondance entre Ismaÿl Urbain et Frédéric Lacroix (janvier 1861-10 octobre 1863), Lucile Rodriguez, thèse de l'École des chartes, 2014. [lire]Remarque qui pourrait également s'appliquer à l'affirmation présente dans un autre livre de l'auteur, Aux origines de la guerre d'Algérie, 1940-1945 (2002), quand Annie Rey-Goldzeiguer écrit, à propos de «la majorité pied-noir» en 1940 : «Ils vont enfin pouvoir mettre en pratique ce racisme profond qui est finalement l'unique idéologie pied-noir» (p. 18).Depuis cette date, trois ouvrages ont été publiés sur les massacres de 1945, donnant lieu à des discussions importantes aussi bien dans le monde universitaire que dans l'espace public en général : Jean-Louis Planche, Sétif 1945, histoire d'un massacre annoncé, éd. Perrin, 2006 [lire] ; Roger Vétillard, Sétif, Guelma, mai 1945, massacres en Algérie, éd. de Paris 2008 et 2011 [lire] ; Jean-Pierre Peyroulou, Guelma, 1945, une subversion française dans l'Algérie coloniale, La Découverte, 2009. [lire]Le quatuor d'Alexandrie : Justine, Balthazar, Mountolive, Clea, Lawrence Durrell, 1957-1960.Aux origines de la guerre d'Algérie, 1940-1945. De Mers-el-Kébir aux massacres du Nord-Constantinois, 2002, p. 5.Aux origines de la guerre d'Algérie, 1940-1945. De Mers-el-Kébir aux massacres du Nord-Constantinois, 2002, p. 6.Guy Pervillé, «Rey-Goldzeiguer Annie, Aux origines de la guerre d'Algérie, 1940-1945, de Mers-el-Kébir aux massacres du Nord Constantinois [compte-rendu] , Outre-Mers. Revue d'histoire, n° 362-363, p. 301-394. [lire]
29 - Sylvie Thénault, «Rey-Goldzeiguer Annie, Aux origines de la guerre d'Algérie, 1940-1945. De Mers-El-Kébir aux massacres du Nord-Constantinois [compte-rendu]», Outre-Mers. Revue d'histoire, n° 336-337, p. 419-420. [lire]Les Cahiers d'histoire sont le nom porté depuis 1995 par les anciens Cahiers d'histoire de l'institut Maurice Thorez ; Cf. réseau ArcMC. [lire]Maurice Genty, «Annie Rey-Goldzeiguer, Aux origines de la guerre d’Algérie, 1940-1945 : de Mers-el-Kébir aux massacres du Nord-Constantinois, La Découverte, 2002», in Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique, n° 90-91, 2003.[lire]Aux origines de la guerre d'Algérie, 1940-1945. De Mers-el-Kébir aux massacres du Nord-Constantinois, 2002, p. 235.Aux origines de la guerre d'Algérie, 1940-1945. De Mers-el-Kébir aux massacres du Nord-Constantinois, 2002, p. 236.Aux origines de la guerre d'Algérie, 1940-1945. De Mers-el-Kébir aux massacres du Nord-Constantinois, 2002, p. 237.Aux origines de la guerre d'Algérie, 1940-1945. De Mers-el-Kébir aux massacres du Nord-Constantinois, 2002, p. 237-238.Il s'agit de Augustin Berque.Aux origines de la guerre d'Algérie, 1940-1945. De Mers-el-Kébir aux massacres du Nord-Constantinois, 2002, p. 238.«L'histoire coloniale de la France revisitée. À propos de publications récentes», Finn Fuglestad, Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 1992, n° 63-64, p. 257-268. [lire]«Histoire de la France coloniale [Meyer (Jean), Tarrade (Jean), Rey-Godzeiguer (Annie), Thobie (Jacques) : Histoire de la France coloniale, t. 1, Des origines à 1914 ; Thobie (Jacques), Meynier (Gilbert), Coquery-Vidrovitch (Catherine), Ageron (Charles-Robert) : Histoire de la France coloniale, t. 2, 1914-1990] [note critique]», Daniel Rivet, Outre-Mers. Revue d'histoire, 1992, n° 294, p. 115-125. [lire]Il y a une erreur sur le titre ; il s'agit en fait du livre Le royaume impossible : La France et la genèse du monde arabe, Henry Laurens, éd. Armand Colin, 1990.Jacques Gadille (1927-2013), notice data.bnf.fr. [lire]«La renaissance de l'idée missionnaire en France au début du XIXe siècle», Jean-Claude Baumont, in Les réveils missionnaires en France, du Moyen Âge à nos jours (XIIe-XXe siècles), actes du colloque de Lyon, 29-31 mai 1980, éd. Beauchesne, 1984. Extraits, p. 201 et suiv. [lire]Le titre de ce premier tome est devenu «La conquête» dans l'édition de poche, Pocket, 1996 ; troisième partie, p. 441-781.
* Je reprends la matière d'un article que j'ai rédigé pour une encyclopédie en ligne en octobre 2018. Michel Renard
Annie Rey-Goldzeiguer recevant une délégation tunisienne,
Massiac (Cantal), octobre 2015 (source)
Roger Vétillard, tous ses livres et articles
Roger Vétillard
tous ses livres et articles
sur Études Coloniales
- les disparus civils européens en Algérie, 1945-1963 : un scandale d'État (un livre de Jean-Jacques Jordi), Roger VÉTILLARD
- pas de génocide en Algérie coloniale, Roger VÉTILLARD
- images authentifiées : les trois civils algériens abattus le 22 août 1955 à Aïn Abid, d'après une étude de Marie Cheminot, Roger VÉTILLARD
- en lisant le livre de Roger vétillard sur le 20 août 1955, Jean-François PAYA
- Roger Le Doussal : policier, témoin, acteur et historien en Algérie, Roger VÉTILLARD
- une étude minutieuse des massacres du 20 août 1955 dans le Constantinois, par Roger Vétillard, général Maurice FAIVRE
- l'embuscade de Palestro selon Raphaëlle Branche, Roger VÉTILLARD
- Jean Monneret, Histoire cachée du Parti communiste algérien, Roger VÉTILLARD
- Sétif, la fosse commune (Kamel Beniaiche), Roger VÉTILLARD
- une histoire de l'Algérie sans légendes : un livre de Bernard Lugan, Roger VÉTILLARD
- Roger Vétillard remet les pendules à l'heure : la dimension religieuse de la guerre d'Algérie, Jean MONNERET
Jean-Paul Faivre, biographie
Jean-Paul Faivre, biographie *
l'historien oublié de l'océanisme
Michel RENARD
Jean-Paul Faivre (XXe siècle) est un historien injustement oublié. Il était spécialiste de l'océan Pacifique et de l'océan Indien aux époques pré-coloniale puis coloniale, ainsi que des voyages maritimes.
Collaborateur régulier du Journal de la Société des océanistes, de la Revue française d'histoire d'outre-mer, et du Bulletin de la Société d'histoire moderne.
sommaire
Biographie
1 - Repères
2 - Carrière professionnelle
Activités scientifiques
1 - Société des océanistes
2 - Centre de recherches historiques pour le Pacifique
3 - Société d'histoire moderne
Œuvres et travaux
1 - L'expansion française dans le Pacifique, 1800-1842
A - La soutenance de thèse
B - La portée de la thèse
2 - Jules Verne et le Pacifique
3 - Le contre-amiral Hamelin et la marine française
Programmes scolaires
Publications de Jean-Paul Fauvre
1 - Ouvrages
2 - Préfaces
3 - Articles
Notes
Curieusement, il n'existe aucune biographie, aucune notice nécrologique, aucun écrit in memoriam qui fournirait des renseignements personnels et d'état civil sur Jean-Paul Faivre. Les sociétés savantes auxquelles il a appartenu comme les revues pour lesquelles il a fourni des centaines de chroniques (Journal de la Société des océanistes, Revue française d'histoire d'outre-mer) n'ont jamais honoré sa mémoire.
Seul, le Répertoire des agrégés de l'enseignement secondaire (1809-1960) livre la date à laquelle il a été reçu à l'agrégation d'histoire : 1933 ; en précisant qu'il était ancien élève de l'ENS (1). L'Annuaire de l'Association Amicale des anciens élèves de l'École normale supérieure, édition de 1981, fournit la date de son entrée à l'École : 1928 ; cette année-là, la promotion Lettres compte 30 reçus parmi lesquels : Maurice Bardèche, Jean Beaufret, Robert Brasillach, Claude Jamet, Maurice Le Lannou (devenu géographe) et Simone Weil.
À ces indices, s'ajoute une allusion de Jean-Paul Faivre dans un compte rendu du livre d'Émile de Curton (1908-1993) (2), Tahiti 40. Récit du ralliement à la France Libre des Établissements français d'Océanie (1972) : «Nous avons eu l'honneur de rencontrer le docteur de Curton, ancien gouverneur de Tahiti pour la France Libre, en 1945 à Paris, alors que nous étions chargé d'une étude sur le ralliement pour le premier numéro du Journal des Océanistes. Un homme de la même génération que nous...» (3), qui permet de suggérer qu'il est né autour de 1910.
Aucun renseignement connu ne permet de préciser la date de sa mort. On constate la disparition de toute mention de ses publications après l'année 1976, et l'Annuaire de l'Association Amicale des anciens élèves de l'École normale supérieure, en 1981, le mentionne sans mettre son nom en gras, typographie réservée aux morts.
Jean-Paul Faivre habitait au n° 9 de la rue de Maubeuge à Paris (9e arr.).
Jean-Paul Faivre, professeur agrégé d'histoire (4), a enseigné à Paris, au lycée Rollin (5) (6) devenu, en 1944, lycée Jacques-Decour (7). Il y est resté jusqu'à la fin de sa carrière.
Il est docteur ès lettres en 1952, avec une thèse principale sur l'expansion française dans le Pacifique (1800-1842) soutenue en Sorbonne le 23 février de cette année-là. Le jury de thèse comprenait notamment : Pierre Renouvin, Charles-Hippolyte Pouthas, Charles-André Julien (8). En 1962, est publiée sa thèse complémentaire : Le contre-amiral Hamelin et la marine française.
lycée Rollin devenu Jacques-Decour (Paris)
Dès la création de la Société des océanistes, Jean-Paul Faivre en devient membre et participe à ses activités (9). Le 26 janvier 1945, par exemple, il y fait part de son travail sur «Le ralliement à la France Libre des colonies du Pacifique» (10).
Le 20 mai 1949, il : «commente un projet de Musée de l'Homme, datant du début du XIXe siècle, dont il a trouvé la trace dans ses recherches concernant l'expédition Baudin et dont il nous expose les principales lignes en en soulignant toute la modernité» (11).
Le 27 mai 1955 : «la parole est donnée à M. Jean-Paul Faivre, docteur ès lettres, qui, à propos des récentes commémorations en l'honneur du cinquantenaire de la mort de Jules Verne, nous donne lecture d'une communication fort érudite concernant : Jules Verne et l'exotisme indien à la fin du XIXe siècle. Le conférencier, après une étude très poussée des sources de la vie de Jules Verne et une relecture de ses œuvres, nous dit les interférences de l'Océanie dans les œuvres du grand visionnaire, tant dans la navigation maritime et sous-marine, que dans ses anticipations aériennes. L'intérêt de cette étude justifiera sa publication dans les miscellanées du prochain numéro du journal (12). La séance est levée à 18 h 30 après de nombreuses précisions données par M. Jean-Paul Faivre à des auditeurs curieux ou érudits. Elle groupa 32 personnes» (13).
- Jean-Paul Faivre assure une rubrique régulière de comptes rendus de lecture dans le Journal de la Société des océanistes, particulièrement les parutions en langue anglaise.
2 - Centre de recherches historiques pour le Pacifique
Le Centre a été créé en mars 1973 sous la présidence du pasteur Raymond Leenhardt (14) et la vice-présidence de Jean-Paul Faivre. Il publie les Cahiers d'histoire du Pacifique. Son siège est à l'Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) (15).
3 - Société d'histoire moderne
Jean-Paul Faivre appartenait à la Société d'histoire moderne et participait régulièrement à ses séances de travail. Il fournissait des comptes rendus de lecture à son bulletin (16).
village d'Atunoa, îles Marquises, Polynésie française
1 - L'expansion française dans le Pacifique, 1800-1842
La thèse de Jean-Paul Faivre, L'expansion française dans le Pacifique, 1800-1842, a fait l'objet de plusieurs analyses pas toujours concordantes. Comme de tradition, la soutenance - selon le compte rendu de René Rémond - a vu certains éléments du jury contester des aspects du travail présenté, par exemple, ses limites chronologiques :
- «les vastes sujets font-ils les grands sujets ? ne sont-ce pas de faux beaux sujets ? Et d'abord les dimensions arrêtées par M. Faivre ne font-elles pas du sien un trop vaste sujet ? M. Renouvin ne semble pas loin de le penser ; M. Pouthas le déclare positivement : à son avis, M. Faivre eût bien fait de le limiter plus strictement, il eût ainsi évité de flotter entre trois sujets qui le sollicitent tour à tour : l'expansion française, et même européenne, dans le Pacifique proprement dit, la pénétration en Extrême-Orient, enfin la politique française sur la façade ouest de l'Amérique du Sud. En manière de contre-partie, M. Pouthas eût volontiers vu le sujet prolongé jusqu'en 1848, au lieu d'être borné à la date de 1842, dont il conteste la signification» (8).
Les approbations du jury compensaient les critiques :
- «quinze années de minutieuses investigations ont patiemment assemblé les matériaux, lentement disposé les éléments. À ce travail de préparation, celui qui exige les plus longs délais, M. Faivre a apporté un certain nombre de qualités très appréciables, car ce sont celles qui font le chercheur scrupuleux et le probe érudit : la conscience, la prospection méthodique et aussi la curiosité d'esprit, le goût du détail révélateur. Animées par son amour de la mer et sa tendresse pour les marins, elles font de M. Faivre le bon historien naval auquel M. Renouvin décerne un brevet mérité» (8).
Défaut d'interprétation d'ensemble ?
Le reproche principal concerne l'élucidation globale, par-delà la masse de connaissances révélées :
- «M. Faivre a le goût de la chronique, mais son procédé d'exposition, presque exclusivement narratif, le montre trop. L'histoire, c'est sans doute le récit, mais c'est aussi un essai d'explication. Or, M. Faivre ne s'y est risqué que trop rarement, par intermittences, et comme de biais : peut-être par excès de modestie. C'est ainsi que, d'un ouvrage riche en renseignements (qui contient entre autres des indications assez neuves sur le commerce français en Amérique du Sud), et d'une utilité certaine, M. Renouvin est amené à dire que l'horizon de l'historien est étriqué : le reproche a de quoi surprendre pour un sujet de dimensions aussi vastes, mais son horizon intellectuel n'est pas à la mesure de ses proportions géographiques. M. Faivre n'a pas formulé assez d'hypothèses, il a pêché par défaut d'imagination comme par excès de minutie, les deux vont au reste de pair. De cette expansion dans le Pacifique, il ne propose pas une interprétation d'ensemble» (8).
baie de Matavai, Tahiti, peinture de William Hodges, 1776
Pierre Chaunu - qui travaillait alors à sa propre thèse (Séville et l'Atlantique, 1504-1650) (17) depuis des années -, a rendu compte de la thèse de Jean-Paul Faivre dès sa publication et contrebalancé les critiques formulées lors de la soutenance :
- «Jean-Paul Faivre a eu le mérite d'éclairer un point important d'histoire avant lui obscur : le rôle de la France dans l'océan Pacifique de la première moitié du XIXe siècle. On pourra discuter son cadre chronologique ; il était dicté par un vide bibliographique. Jean-Paul Faivre est allé droit à nos ignorances. Il les a comblées, parfois au delà de toutes espérances» (18).
Il en résume les trois branches qui correspondent aux grandes articulations de la vie politique française :
- «La période du Consulat et de l'Empire n'a été, dans ce domaine, que l'objet d'une activité intermittente et sporadique : l'expédition Baudin (19 octobre 1800 - 16 avril 1804), plus scientifique que politique, et, de 1808 à 1811, une domination formelle sur l'Insulinde batave. La Restauration serait un vide, sans la façade d'une Amérique latine en procès d'émancipation qui s'ouvre alors au commerce étranger, même français. Plus de 150 pages, enfin, sont heureusement consacrées aux réalisations de la Monarchie de Juillet. Au moment où l'Angleterre brise le mur d'isolement de la Chine et jette un peu par inadvertance les fondations d'une Australasie britannique, la France, partie pour faire pièce à l'Anglais, pour soutenir les mission scatholiques, partie, aussi, pour affirmer une présence jugée nécessaire à notre commerce sur la côte américaine du Pacifique, prend possession des Marquises et établit son protectorat sur Tahiti (18).
Le Pacifique n'est pas un
Pour Pierre Chaunu, la grande difficulté à laquelle s'est heurtée Jean-Paul Faivre : «résidait dans l'absence totale d'unité de l'espace envisagé».
- «Le Pacifique n'est pas un, dans la première moitié du XIXe siècle. Il n'existe plus et, de toute manière, le rôle de la France y est second. (...) Pour qu'il existe ce Pacifique, il faut attendre, en fait, autour et au delà de 1850, le débouché sur l'autre océan des États-Unis, et vingt ans après le Meiji. (...) Dans la première moitié du XIXe siècle, le pont permanent entre les deux rives n'existe pas, moins qu'avant et sans que rien n'annonce encore les lignes qui, plus tard, joindront l'Amérique-Pacifique à l'Extrême-Orient. Comment en irait-il autrement, avant l'or de la Californie, avant les premiers chemins de fer transcontinentaux, avant que la Chine ne s'entr'ouvre et que le Japon ne s'ouvre ? ce morcellement, le livre de Jean-Paul Faivre le traduit et le subit : en fait, dans chacune de ses articulations chronologiques, on retrouve les trois Pacifiques qu'il faut distinguer : une bordure extrême-orientale, un Pacifique des îles et une côte Pacifique de l'Hispano-Amérique» (18).
L'historien se concentre sur le Pacifique des îles, celles que «les Bougainville et les Cook ont découvertes dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle» :
- «Jean-Paul Faivre en fait admirablement l'histoire détaillée sous l'angle français. (...) On saura désormais, par le moindre détail, comment l'occupation française des Marquises et le protectorat tellement controversé, alors, de la France sur Tahiti résulta, en 1842, du dépit d'avoir laissé échapper la Nouvelle-Zélande, des rivalités missionnaires indissolublement liées au nom de Pritchard, mais surtout de la nécessité pour soutenir le commerce français sur la côté hispano-américaine du Pacifique, d'une base solide dans le grand Océan» (18).
Le Pacifique français : la côte Pacifique de l'Amérique latine ?
C'est l'aspect du livre de Jean-Paul Faivre qui paraît à Pierre Chaunu «le plus intéressant et le plus riche d'enseignement» :
- «Le Pacifique français n'est-ce pas, paradoxalement, la côte Pacifique de l'Amérique latine ? Dans ce domaine, le commerce, et partant la présence française, a, depuis les premières années du XVIIIe siècle, de solides racines. Il vient dès l'Indépendance, très tôt, en deuxième position, loin derrière l'Anglais, mais avant le Yankee. Jean-Paul Faivre a le mérite de l'avoir bien établi, pour une Amérique hispanique qui, même au sortir de l'Indépendance, est encore - nous en sommes intimement convaincus - héritière en cela de l'époque coloniale, une Amérique Pacifique. Jean-Paul Faivre nous montre le triomphe, dans le Chili ou le Pérou naissant, des modes françaises. Le commerce français atteint l'élite, le commerce anglais, la masse indienne et métisse. Et avec le commerce, les biens culturels eux aussi pénètrent» (18).
- «Et, finalement, dans cet espace Pacifique qui a perdu le semblant d'unité de la période coloniale, sans avoir encore atteint celle que lui conféreront la conquête de l'Ouest nord-américain, le steam-ship et l'ouverture commerciale du monde sino-nippon, l'Amérique hispanique Pacifique n'est-ce pas, dans l'espace délimité par Faivre, la meilleure et la plus sûre conquête française, une conquête culturelle que le hasard des batailles ne risquait pas de compromettre ?» (18).
place de l'Indépendance à Concepción (Chili), 1910
2 - Jules Verne et le Pacifique
Jules Verne n'a pas connu le Pacifique. Et pourtant, par ses lectures, sa curiosité géographique, sa connaissance pratique des manœuvres à la voile et ses rencontres, il a donné de cet océan une image différente de celle que l'Europe avait eu au siècle précédent grâce aux explorations maritimes. Sur 72 ouvrages de l'écrivain, 29 touchent plus ou moins au Pacifique. Jean-Paul Faivre a analysé le rôle de cet océan dans l'œuvre de Jules Verne (12).
- «Dans le Pacifique de Jules Verne, s'affrontent toujours, depuis le XVIIIe siècle, les races autochtones et les Blancs. Autant qu'un Kipling, il est ingénument convaincu de la supériorité de l'homme blanc et de sa mission civilisatrice. Même à un Indien européanisé comme Nemo, Cyrus Smith enseigne qu'on ne lutte pas victorieusement contre une évolution nécessaire et somme toute bienfaisante (L'Île mystérieuse, 3e partie, p. 573). Les seuls héros de couleur sont ceux des Tribulations d'un Chinois : souvenir de Voltaire ou de Montesquieu, hommage à une vieille et délicate civilisation, ou à un grand pays qui, faiblement encore, se modernise (Kin-fo utilise électricité, téléphone, phonographe)» (12).
- «Mais l'homme de la nature n'habite plus les îles comme au temps de Bougainville, la Nouvelle-Cythère (20) a disparu, malgré l'émerveillement du “quatuor concertant” de l'Île à hélice devant la beauté tahitienne. Ici, l'indigène n'est que partie du décor» (12).
- «Jules Verne partage le point de vue du naturaliste Leschenault qui écrivait dès 1802 : “Pour moi, je pense... qu'on ne sauroit trop se méfier d'hommes dont la civilisation n'a pas adouci le caractère”. Comme les Sioux ou les bandits mongols pilleurs de trains (Claudius Bombarnac), les anciens Taï-pings qui piratent autour de la Grande Muraille (Tribulations...), les descendants des Incas qui mettent Lima à feu et à sang (Martin Paz), les insulaires du Pacifique jouent le même rôle que ces cataclysmes dont Jules Verne est si friand : celui d'éprouver ses héros, de présenter à leur constance les obstacles à vaincre dans cette lutte contre les forces hostiles qui constitue le fond des Voyages extraordinaires. Son ethnographie est encore pauvre, malgré l'abondance des descriptions didactiques. Le morceau le plus réussi, familier à tous les lecteurs des Enfants du capitaine Grant, c'est l'évocation des funérailles d'un chef Maori et du tabou, inspirée librement mais fidèlement d'un article de Dumont d'Urville (Revue des Deux Mondes, 1831, vol. 3, p. 197-214). Mais ces races sont condamnées par l'impact de la civilisation» (12).
- «On ne s'étonnera pas que Jules Verne ait choisi le Pacifique comme théâtre des épreuves de tant de ses héros. Immense océan, presque aux antipodes de l'Europe, toujours auréolé de mystère, mis à la mode par les grandes découvertes du siècle précédent. On pouvait encore tout y trouver, tout pouvait arriver, toute cité nouvelle pouvait s'y élever. La civilisation d'un âge positif en effleurait les bords, la barbarie y régnait encore, les outlaws ou les proscrits volontaires pouvaient toujours s'y réfugier. Des naufragés ignorés ont pu y attendre la fin de la dernière guerre. Mais le merveilleux de Jules Verne reste géographique : pas de races légendaires, d'utopies symboliques à la Butler (Erewhon) ou à la Melville (Mardi). Explorateurs et géographes, actualité et faits divers, servent de point de départ à ses constructions. Lointain, certes, le Pacifique lui était pourtant assez familier et le devenait assez aux yeux des lecteurs, pour donner à la fiction l'accent de la vérité» (12).
Jules Verne, Voyages extraordinaires
3 - Le contre-amiral Hamelin et la marine française
Dix ans après sa thèse principale, Jean-Paul Faivre publie sa thèse secondaire en 1962 : Le contre-amiral Hamelin et la marine française. Il ne faut pas confondre Emmanuel Hamelin, né à Honfleur (1768-1839), le contre-amiral - celui dont parle Jean-Paul Faivre - avec son neveu Ferdinand Hamelin, né à Pont-l'Évêque (1796-1864), qui fut amiral sous le Second Empire.
L'ancien administrateur colonial Hubert Deschamps rend compte de ce travail dans la Revue française d'histoire d'outre-mer :
- «En bon historien, il n'a pas recherché le héros exceptionnel mais l'homme moyen, significatif d'une époque. Hamelin n'a rien de brillant ; ce n'est ni un homme de lettres, ni un homme de cour ; il ne s'est signalé ni par une victoire ni par une défaite à l'échelon national. C'est un pur marin, l'incarnation même de la marine française révolutionnaire et impériale. (...) il est assez mal vu sous l'Empire par le ministre courtisan Decrès dont la pusillanimité, suggère M. Faivre, fut une des raisons des échecs maritimes napoléoniens. (...) À travers lui, dans cette biographie d'une haute qualité, dense, bourrée de faits, l'auteur a su évoquer, à sa manière exacte et minutieuse, l'histoire des océans, des découvertes et de la marine de son temps, avec ses déficiences et ses grandeurs» (20).
Dans le Bulletin de la Société d'histoire moderne, l'historien François Gadrat (21) signale ce travail sur le contre-amiral Hamelin :
- «Cet Emmanuel Hamelin, non encore amiral, M. Faivre, l'avait déjà rencontré, tout au début d son ouvrage capital sur L'Expansion française dans le Pacifique (1800-1842). Il figurait dans la mission Baudin chargée par le Premier Consul d'une reconnaissance dans les mers australes pour y dénicher quelque Terre Napoléon. (...) Appelé sous la Révolution à servir dans la marine de guerre, il ne tarde pas à émerger en raison d'une expérience qui le distinguait de tant de chefs improvisés. (...) Sous l'Empire, une nouvelle randonnée dans les mers australes, cette fois dans l'océan Indien, devait confirmer sa réputation. Sous les ordres du général Decaen, il y pratiqua la guerre de course, onéreuse aux Anglais, et il y maintint jusqu'en 1810 le pavillon national. (...) Parvenu au rang de contre-amiral et à la dignité de baron, lorsqu'en 1814 les Bourbons furent restaurés, il ne demandait qu'à les servir maintenant que les mers étaient redevenues libres. Il dut attendre, pour un nouvel emploi, la guerre d'Espagne en 1823. Bloquer Cadix où les libéraux espagnols retenait le roi, Ferdinand VII, telle était sa mission. (...)» (22).
- «Dans cet ouvrage abondamment documenté, on trouve mieux qu'une simple biographie, car, fidèle au titre, M. Faivre ne cesse pas d'associer son personnage aux vicissitudes d'une marine que Napoléon aurait bien aimé relever de ses défaites d'Aboukir et de Trafalgar. Compromis par les clauses du premier traité de Paris, ce redressement ne put être repris dès ses débuts par la Restauration. L'auteur avance qu'il aurait pu être hâté si les avis du contre-amiral Hamelin avaient été pris en considération, mais ce roturier ne fut jamais bien en cour» (22).
Au double titre de spécialiste et de professeur de lycée, Jean-Paul Faivre s'est souvent préoccupé de la place des grandes expéditions maritimes dans les programmes de l'enseignement secondaire.
- «La belle histoire de la découverte du Monde vient, pour des raisons qui nous échappent, de disparaître presque totalement des programmes scolaires. Même les gens les plus cultivés n'en connaissent que les aspects pittoresques et, lorsqu'il s'agit de Tahiti, érotiques. Rares, très rares sont, même dans notre enseignement supérieur, les spécialistes qui la connaissent» (23).
- «Si l'histoire de la découverte du monde a disparu des programmes scolaires et, malgré un Le Gentil (24) ou l'ouvrage collectif auquel ont collaboré entre autres nos collègues Mollat (25) et Charliat (26), est en général ignorée dans notre enseignement supérieur, il n'est que plus urgent de signaler la thèse récente de Jean-Étienne Martin-Allanic (27), qui renouvelle un sujet à la fois trop connu et par trop méconnu. Une étude presque exhaustive des sources imprimées, et complète des sources d'archives, privées et publiques, françaises et étrangères, a permis de replacer Bougainville à son rang - le premier - parmi les navigateurs de son temps et l'un des premiers parmi ceux de tous les temps (...)» (28).
colonies française d'Océanie, manuel scolaire, 1938
V - Publications de Jean-Paul Faivre
- L'expansion française dans le Pacifique, 1800-1842, éd. Nouvelles éditions latines, 1953.
- Le contre-amiral Hamelin et la marine française, éd. Nouvelles éditions latines, 1962.
- Aux origines de l'anthropologie française. Les Mémoires de la Société des Observateurs de l'Homme en l'an VIII, Jean Copans et Jean Jamin, éd. Le Sycomore, 1978, p. 11-23.
Auteur de très nombreux comptes rendus de lecture dans le Journal de la Société des océanistes : 106 publications de 1945 à 1974 ; et dans la revue Outre-Mers. Revue d'histoire : 69 publications de 1955 à 1975 (29). Il livre aussi le fruit de ses lectures au Bulletin de la Société d'histoire moderne.
- «Le ralliement à la France Libre des colonies du Pacifique», Journal de la Société des océanistes, tome 1, 1945. p. 67-80.
- «Jore, Léonce. George Pritchard, l'adversaire de la France à Tahiti (1796-1883)», Journal de la Société des océanistes, tome 1, 1945. p. 147-155.
- «Chronique de l'histoire coloniale. L'Océanie et le Pacifique (1939-1955)», Revue d'histoire des colonies, tome 42, n° 148-149, 1955. p. 405-461.
Michel Renard
* Je reprends la matière (texte et images) d'un article que j'ai rédigé pour une encyclopédie en ligne. Je l'ai légèrement modifié (ajouts) et j'ai enrichi l'iconographie.
1 - Les agrégés de l'enseignement secondaire. Répertoire 1809-1960 [archive]. Sa qualité de normalien reste à vérifier, on n'en trouve aucune mention ultérieure.
2 - Émile de Curton, 1908-1993 : notice data.bnf.fr [archive].
3 - Jean-Paul Faivre, «Curton, Émile de, Tahiti 40. Récit du ralliement à la France Libre des Établissements français d'Océanie», Journal de la Société des océanistes, n° 42-43, tome 30, 1974, p. 128 [archive].
4 - «Procès-verbaux des séances de la Société», Journal de la Société des océanistes, tome 4, 1948. p. 140 [archive].
5 - «Au printemps de cette année [1950], Yves Person, que j'ai connu élève au lycée Rollin, se présentait à moi aux Archives de France et me parlait de certaines recherches qu'il y poursuivait.», Jean-Paul Faivre, «Les origines de la colonisation française en Nouvelle-Calédonie, d'après un travail récent», Journal de la Société des océanistes, tome 6, 1950, p. 241 [archive].
6 - «Chronique de l'histoire coloniale. L'Océanie et le Pacifique (1939-1955)», Jean-Paul Faivre, Revue d'histoire des colonies, tome 42, n° 148-149, 1955. p. 450 [archive].
7 - «Une économie polynésienne primitive : Tikopia», Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 3ᵉ année, n° 1, 1948. p. 98 [archive].
8 - Compte rendu par René Rémond dans la Revue historique, 1953 [archive].
9 - Il devient membre du Conseil de la Société en juin 1952 ; cf. «Procès-verbaux des séances de la Société», Journal de la Société des océanistes, tome 8, 1952, p. 266 [archive].
10 - «Assemblée extraordinaire du 22 décembre 1944 suivi des Procès verbaux des séances de la Société», Journal de la Société des océanistes, tome 1, 1945, p. 120 [archive].
11 - «Procès-verbaux des séances de la Société», Journal de la Société des océanistes, tome 5, 1949, p. 173 [archive].
12 - «A propos d'un cinquantenaire : Jules Verne (1828-1905) et le Pacifique. Contribution à l'étude de l'exotisme océanien au XIXe siècle», Journal de la Société des océanistes, tome 11, 1955, p. 135-147 [archive].
13 - «Procès-verbaux des séances de la Société», Journal de la Société des océanistes, tome 11, 1955, p. 127 [archive].
14 - Raymond Leenhardt (1903-1982), fiche data.bnf.fr [archive].
15 - Jean-Claude Nardin, «Le Centre de recherches historiques pour le Pacifique» Revue française d'histoire d'outre-mer, tome 63, n° 230, 1er trimestre 1976, p. 144 [archive].
16 - Bulletin de la Société d'histoire moderne, n° 4, 1965 [archive].
17 - De 1955 à 1957, Huguette et Pierre Chaunu ont publié les sept volumes des cent cinquante ans de la comptabilité portuaire de Séville avec l'Amérique. Sur le base de cet énorme matériau, Pierre Chaunu avait soutenu sa thèse en 1954. Cf. le compte rendu de Pierre Goubert [archive] et la note critique de Fernand Braudel [archive].
18 - Pierre Chaunu, compte rendu dans la Revue historique, 1956, p. 150-153 [archive].
19 - Nom donné par Bougainville à Tahiti.
20 - Hubert Deschamps Hubert, «Jean-Paul Faivre : Le contre-amiral Hamelin et la marine française», Revue française d'histoire d'outre-mer, tome 49, n° 174, premier trimestre 1962, p. 148-149 [archive].
21 - François Gadrat (1891-1971) ; cf. sa nécrologie [archive].
22 - François Gadrat, Bulletin de la Société d'histoire moderne , n° 1, 1963, p. 13-14 [archive].
23 - Jean-Paul Faivre, «Bougainville, d'après un ouvrage récent : Bougainville navigateur et les découvertes de son temps, par Jean-Étienne Martin-Allanic», Revue française d'histoire d'outre-mer, tome 52, n° 186, premier trimestre 1965. p. 140-146 [archive].
24 - Georges Le Gentil (1875-1953) est notamment l'auteur d'une Découverte du monde (1954) [archive].
25 - Michel Mollat du Jourdain (1911-1996) est un historien médiéviste.
26 - Pierre-Jacques Charliat (1900-1984) est notamment l'auteur d'une collective Histoire universelle des explorations (1957) [archive] ; cf. sa notice data.bnf.fr. [archive].
27 - Jean-Étienne Martin-Allanic (1886-1968) ; cf. sa notice nécrologique [archive] par Patrick O'Reilly.
28 - Jean-Paul Faivre, Bulletin de la Société d'histoire moderne , 1965, p. 34 [archive].
29 - Faivre, Jean-Paul, notice des contributions, site Persée.fr [archive].