Alain Jund, L’empreinte de la terre
Alain Jund, L’empreinte de la terre
Roger Vétillard
Alain Jund reproduit l’essentiel des mémoires de Paul Barthez, surnommé Bled, mémoires familiales qui débutent en 1850 dans les monts du Tarn et se termine à la fin du XXe siècle dans le Lot-et-Garonne. Entre temps, ses ancêtres ont émigré en Algérie où trois générations sont nées avant de revenir en France métropolitaine.
Est-ce par hasard qu’Alain Jund a retrouvé ces textes grâce à la complicité des filles de Paul qui les ont retrouvés, «accrochées au bord de l’oubli» ?
Le récit nous emmène au-delà de la Méditerranée dans un endroit perdu, un bled, dans l’ouest algérien. Il nous fait découvrir les difficultés qui ont émaillé la vie de ces pionniers qui par un hasard sémantique sont devenus des pieds-noirs à leur arrivée en métropole. Difficultés liées aux problèmes sanitaires (choléra, paludisme, typhus, variole, trachome…), aux bêtes sauvages (lions, panthères, chacals dont la capture était récompensée par l’administration…), à la pauvreté des sols, au contact d’une autre culture et de populations bien différentes.
Nous assistons à la découverte des coutumes locales telle la fantasia, de la gastronomie magrébine qui va du couscous à la chorba, du méchoui à la farine d’orge, au thé à la menthe, au petit lait et au beurre rance…, aux particularités du droit foncier local qui sera source de conflits avec les autochtones.
Les relations avec la population musulmane difficiles au début s’améliorent peu à peu, en particulier au cours de la Première Guerre mondiale où sous l’influence des zaouias, plutôt favorables à une collaboration avec les autorités françaises, la mobilisation des indigènes se fera sans difficultés (sauf dans les Aurès). Il y a même parfois une réelle connivence entre les communautés.
Mais après la Seconde Guerre mondiale, dès le printemps 1945, concomitamment au soulèvement de l’Est algérien qui a débuté à Sétif et à Guelma, ces rapports tendent parfois à se dégrader. Des appels au djihad sont entendus, des émissaires égyptiens sillonnent la région et prêchent la révolte.
Et après 1962, avec les décrets de mars 1963, avec l’échec de l’autogestion, bien des édifices et des terres abandonnés ou non par les anciens propriétaires européens, menacent de s’écrouler notamment les coopératives viticoles, les fermes, et la famille Barthez est bientôt réduire à devoir quitter le pays et revenir dans le midi toulousain.
C’est un livre dont la lecture est attachante. Il a le mérite de mettre en lumière le vécu de ces agriculteurs enracinés sur une terre qui les a vus naitre, terre qu’ils ont dû abandonner, le cœur déchiré. Plus que des mémoires, c’est aussi un roman historique qui apprend beaucoup sur la vie de ces « colons » qui ont aimé le pays où ils se sont installés et qui malgré les distances, continuent à penser à lui comme à un fruit arraché, mais désormais défendu.
Roger Vétillard
Alain Jund, L’empreinte de la terre, Atelier Fol’Fer, la chaussée d’Ivry, 2018, 188 p., 20 €.