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études-coloniales
24 juin 2019

Ces militants décoloniaux qui veulent «démétisser» l’Amérique latine, Jérôme Blanchet-Gravel

pow-pow

 

Ces militants décoloniaux

qui veulent «démétisser» l’Amérique latine

Le hara-kiri des antiracistes du Nouveau Monde

par Jérôme Blanchet-Gravel *

 

Par «antiracisme» indigéniste, les militants décoloniaux nord-américains remettent en cause l’existence même du Nouveau Monde… qu’ils rêvent d’épurer.

Un peu partout en Occident, les théories de la décolonisation ont de plus en plus la cote. Cause ou conséquence du multiculturalisme, elles sont le nouveau jouet rhétorique des militants antiracistes. Ces théories imposent un nouvel ordre, celui du néo-révisionnisme et du déboulonnage de statues, de l’historiquement correct et de la table rase. En France, on ne compte plus le nombre de colloques et de camps d’été décoloniaux où les guerriers sociaux se ruent pour rabrouer l’Occident. Nouveau moteur du sanglot de l’homme blanc (Pascal Bruckner), plus un jour ne passe sans qu’on ne les voie poindre leur nez.

camp d'été décolonial, 2017

Les pays européens souffrent beaucoup de ce courant de pensée. Balkanisation, retour de la race, enfermement identitaire : ce ne sont que trois conséquences liées de ce nouvel ordre. Quand ce courant ne divise pas la société, il arpente le passé à la recherche des plus grands trésors de la culpabilité. De la conquête de l’Égypte à la guerre d’Algérie, tous les éléments sont bons pour convaincre les Français de leurs crimes. Des crimes qu’ils commettaient autrefois outre-mer, et qu’ils continueraient symboliquement de commettre sur leur propre territoire. Après la décolonisation des pays conquis, celle des métropoles.

Le nouveau sanglot de l’homme blanc

Les antiracistes ne parlent même plus d’exportation d’armes dans les pays moins riches, mais des institutions et de l’attitude même des Français «de souche» dans leur quotidien.

Le néo-colonialisme hexagonal serait de l’ordre de l’inconscient. Même l’architecture serait empreinte de suprématisme. La nation, la République, la laïcité : autrefois les trophées du progrès, elles seraient maintenant des signes ostentatoires de conservatisme, voire d’une tentation fasciste (!). La République est le nouvel Ancien Régime, lit-on entre les lignes. Il existait une époque où le progrès était universaliste. Il est maintenant racialiste, tribaliste et surtout décolonial.

Si ces théories font des ravages en Europe, en Amérique, elles sont carrément dévastatrices, car c’est l’existence même du Nouveau Monde qui est remise en cause. Pour bien saisir la nature d’une idéologie, il faut pousser son raisonnement jusqu’au bout. Depuis quelques années, des militants antiracistes veulent déboulonner Colomb, en guise de symbole suprême de la négation de l’Amérique. Ce continent est issu de la rencontre des peuples, mais elle irait contre le vivre-ensemble. On convient que la rencontre a été brutale, mais c’est à partir d’elle que de nouvelles sociétés sont nées.

Christophe Colomb, tablau
déboulonner Christophe Colomb ?

Les guerriers sociaux font de l’évangélisation à l’envers : ils colonisent mentalement leurs compatriotes au nom de la décolonisation. Pour parvenir à la rédemption, il faut d’abord répandre la Mauvaise Nouvelle : les Blancs sont méchants.

Dans cet esprit, un nouveau concept a été créé : celui de «territoire non cédé». En 2017, la ville de Montréal a reconnu qu’elle se trouvait sur des terres usurpées aux Indiens, ce qui ne passe même pas le test de l’histoire selon des spécialistes. Le récit de la colonisation est complexe : les Européens se sont souvent alliés avec des tribus pour en combattre d’autres. Quoi qu’il en soit, les peuples amérindiens ont été volés : il faudrait leur rendre leurs terres. Mais comment ? Pour rappel, il y a 37 millions de personnes au Canada et 327 millions aux États-Unis. L’écrasante majorité de la population n’est pas d’origine autochtone.

Les antiracistes contre 1492

De New-York à Buenos Aires, mais surtout en Amérique du Nord, les militants décoloniaux s’appuient inconsciemment sur l’écologisme, rêvant de l’eldorado biodiversitaire des Précolombiens.

À l’heure de la religion verte, ils songent à retourner à l’ère préindustrielle. Ils rêvent d’une Amérique amazonienne, d’un continent édénique. Le mythe du bon sauvage n’a jamais été aussi présent : les Amérindiens incarneraient la pureté originelle et les Occidentaux le péché destructeur. Peu importe que les autochtones conduisent maintenant des voitures et utilisent des ordinateurs : la réalité ne compte pas dans l’imaginaire éco-romantique. La décolonisation des Amériques, c’est aussi un vaste projet de revalorisation de la nature.

Les théories de la décolonisation sont illusoires et dangereuses. Pour décoloniser les Amériques, il faudrait renvoyer les «euro-descendants» en Europe et pourquoi pas, les «afro-descendants» en Afrique, puisque leurs ancêtres ont été déplacés de force avec… la colonisation. Nous invitons les décoloniaux à prêcher par l’exemple. De même, il faudrait «démétisser» toute l’Amérique latine, séparer l’Indien de l’Espagnol dans la culture mexicaine, ce qui est impossible.

Les antiracistes rêvent de démêler des hommes au nom d’un âge d’or révolu. En Amérique, le respect des Premières Nations n’a pas besoin de s’appuyer sur cette utopie régressive. Les retours en arrière ne sont pas progressistes, surtout quand ils sont basés sur un tel désir de pureté.

Jerôme Blanchet-Gravel
Causeur.fr, 24 juin 2019
source

* Merci à Jérôme Blanchet-Gravel de nous avoir permis de reproduire son article.

 

habitant de la Floride, dessin, 1784
le mythe du bon sauvage (source Bnf, Gallica)

 

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Commentaires
B
Déboulonner Christophe Colomb n'a effectivement rien de scandaleux. Mais ce serait anachronique et irréaliste de réduire la conquête de l'Amérique à une seule personnalité (Colomb), ou à un seul régime politique (les monarchies européennes), ou à un seul type population envahisseuse (la Blanche). Il y eut aussi des humanistes européens soucieux de respect l'égard des Amérindiens. Il y eut aussi des rencontres culturelles voulues de part et d'autre. Ceux (visés par l'article commenté) qui croient.qu'il y aurait, où que ce soit, des natifs propriétaires moraux légitimes de leur territoire font de la pure fiction. C'est la même fiction qui les poussent à croire qu'il n'y aurait pas eu de colonisation, d'esclavage, de massacre, de racisme ou d'inégalité structurelle dans les sociétés croisées, envahies ou colonisées par l'Europe (voir l'histoire de l'Afrique ou de l'Asie. Voir aussi la construction des grands empires amérindiens récents, Incas ou Mayas entre autres).
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L
Oui il y eut le "choc microbien" comme cause essentielle dans la chute démographique, mais aussi les pratiques esclavagistes massives. L'article fait référence à ceux qui veulent déboulonner Christophe Colomb. Dès qu'on se renseigne un peu sur le personnage on comprend mieux les raisons, étant donné que sa face sombre est souvent passée sous silence : https://www.youtube.com/watch?v=ncFGXeOr4vo<br /> <br /> <br /> <br /> Pour le reste je suis d'accord, je suis moi-même hostile à ceux qui culpabilisent en permanence l'homme blanc, loin d'avoir le monopole des atrocités dans l'Histoire.
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B
Je réagis au commentaire intéressant de Ludovic. L'article de Jérôme Blanchet-Gravel ne me semble pas nier les crises démographique et culturelle de la conquête du Nouveau Monde. Il critique seulement une posture intellectuelle mettant en cause, au nom d'une étiquette généreuse anticolonialiste et antiraciste, le métissage de peuples supposés purs avant leur rencontre (conflictuelle souvent, culturellement ou militairement). Blanchet-Gravel pointe du doigt la caractère racialiste de cette posture (qui frise le racisme, il faut le dire...). Ce courant, en +, attribue le métissage de l'Amérique aux seuls conquérants du 15ème siècle et des suivants, alors que la réalité est toute autre. L'effondrement démographique (notion que je reprends mais qui est très polysémique, donc problématique) est déjà une réalité générée par les différentes vagues d'immigration asiatique bien avant l'arrivée de Colomb ! Elle est même une réalité de l'Amérique précolombienne quand on connait les conflits ou les massacres qui ont précédé l'arrivée des "Blancs". Les Amérindiens eux-mêmes, ceux du 15ème siècle, sont déjà le produit d'un immense métissage et d'effondrements démographiques antérieurs vertigineux...! Quant à la crise générée par les Occidentaux, réelle, on ne peut pas la qualifier par la seule motivation de nettoyage ethnique de l'Amérique: Il y eut aussi les maladies importées. Et puis, quand on parle de démographie, il faut se méfier du terme d'Effondrement qui peut mener à bien des diversions (ex: la fameuse théorie du " Grand Remplacement " du Peuple français, faite par Renaud Camus...). Y a t-il eu un Grand Remplacement en Amérique, mais de qui, de quoi, et par qui ? Quand on connaît le métissage phénoménal qui s'est produit historiquement sur ce territoire, on ne peut qu'être prudent pour parler d'effondrement "démographique" précis de telle ou telle population spécifique...Je ne connais pas l'histoire des Béothuks de Terre-Neuve, mais je pose la question: leur effondrement démographique est-il dû à la seule arrivée des Européens ? Il y eut aussi des effondrements démographiques en Europe au 20ème siècle (guerres mondiales) qu'aucun envahisseur étranger n'a généré, au Cambodge (en 1975) généré par les Cambodgiens eux-mêmes, ou en Allemagne actuelle parce que les Allemands ne font plus assez d'enfants. Les causes des effondrements démographiques sont assez compliquées, si tant est qu'on définisse correctement ce qu'est un effondrement démographique: Renaud Camus, par exemple, semble considérer que la France actuelle subit un effondrement démographique généré par l'arrivée massive (trop massive pour lui) de populations étrangères non blanche: mais, s'il voulait bien considérer que ces populations nouvelles sont devenues françaises et construisent, de fait, la France d 'aujourd'hui et celle de demain, il ne parlerait pas de "Grand Remplacement". Y a t-il eu un effondrement démographique catalan dans l'actuel département des Pyrénées Orientales ? Oui si on parle de la culture catalane traditionnelle ou d'une éventuelle "race" catalane. Non si on considère que les habitants actuels des PO sont des Catalans modernes, donc de vrais catalans.
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L
Bien que je sois hostile à l'autoflagellation sur le passé, l'effondrement démographique des Amérindiens après les Grandes découvertes reste tout de même un phénomène historique très difficile à nier.... regardez les Béothuks de Terre-Neuve.
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B
Limite de ce courant militant prétendu anti-colonial, si on suit sa logique jusqu'au bout: la terre américaine appartient-elle vraiment aux Amérindiens croisés par les Européens au cours des 15ème et 16ème siècle ? J'ai retenu des mes cours d'histoire que la dernière immigration asiatique sur le continent américain date de 10.000 ans avant JC. Mais il y eut d'autres vagues d'immigration, bien avant....! Les derniers arrivés seraient donc de vrais envahisseurs, de vrais conquérants de terres étrangères. Il n'y a donc aucune raison, si l'on suit les étiquetés "Décoloniaux", d'attribuer aux populations habitant l'Amérique au 15ème siècle l'exclusivité du territoire au seul titre de leur antériorité sur les lieux...!
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