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études-coloniales
18 avril 2019

Gouraud, photographies d'Afrique et d'Orient, un magnifique ouvrage de Julie d'Andurain (2017)

Henri Gouraud, photographies, couv

 

Gouraud, photographies d'Afrique et d'Orient

un magnifique ouvrage de Julie d'Andurain (2016)

 

C'est pour honorer une commande des archives diplomatiques du ministère des Affaires étrangères que Julie d'Andurain publie Henri Gouraud, photographies d’Afrique et d’Orient. Le fonds Gouraud a été versé aux archives en 1999 à la suite du don effectué par Antoine Gouraud, petit-neveu du général Gouraud (1867-1946) dont la carrière connut trois grandes étapes : l'Afrique, la Grande Guerre et le Proche-Orient.

Le livre est un choix de 200 photographies sur un fonds qui en compte plus de 10 000. «Il a vocation, prévient Julie d'Andurain, à sensibiliser le grand public et les chercheurs sur l’intérêt historique et esthétique des fonds photographiques déposés et conservés au Quai d’Orsay mais également à mettre en valeur le fonds photographique Gouraud» (1).

La quantité des images, le champ géographique qu'ils couvrent (du Mali, au Liban, du Maroc à la Syrie), la diversité des situations (colonies, protectorat, mandat), le soin technique dans la prise des clichés et l'esprit de curiosité, ainsi que la séquence chronologique impliquée (une trentaine d'années) offrent un tableau iconographique magnifique.

Mais toutes ces représentations appellent également l'analyse sérielle et la réflexion menées à partir d'une question démystifiante : la photographie en contexte colonial est-elle, selon la formule de l'auteur, un «hors-champ» militaire (donc un simple humanisme) ou bien un outil de propagande (un utilitarisme aux visées politiques) ? Julie d'Andurain s'est employée à discerner les usages que le photographe et ses destinaires ont réservé à toutes ces images.

Gouraud à dos de chameau, 1909

 

Un décryptage de la photographie «coloniale»

Le livre présente donc trois facettes : la découverte de clichés inédits de l'action coloniale, le récit historique des contextes et l'évocation des personnages centraux ou secondaires de celle-ci, et le décryptage des pratiques de représentation du réel. Julie d'Andurain était bien placée pour mener ce travail, après ses investigations poussées dans le fonds Gouraud.

Elle explique sa démarche :

«L’objectif était de retracer la carrière du général Gouraud, non pas pour en faire un travail hagiographique, mais bien pour travailler la question d’un point de vue historique, voire même historiographique. J’ai délibérément axé mon analyse sur la question de l’usage photographique en terrain colonial. Je voulais mettre en exergue plusieurs types d’interrogations : ces photographies s’inscrivaient-elles dans une démarche humaniste, celle d’un homme qui découvre le monde, ou ont-elles eu un but utilitariste et plus particulièrement militaire ? Les deux fonctions se rejoignaient-elles ? Si oui, à quel moment ?

Le Soudanais

L'auteur note comment la photographie passe de l'usage familial à l'outil de propagande.

À travers des recherches historiques sur le rôle de la photographie en terrain militaire, particulièrement aux colonies, je me suis ainsi aperçue que – comme souvent – on caricature l’action des officiers coloniaux, faute de restituer les contextes et de prendre en considération l’action individuelle. La photographie est souvent présentée comme un simple outil de propagande.

Or, c’est là résumer un usage par un aspect réducteur, car, en réalité, à l’origine, l’usage photographique est motivé par des préoccupations qui se situent dans une sorte de "hors-champ" militaire. Il s’agit en effet avant tout un lien – au sens de ligament – avec la famille, avec les proches. Pour Henri Gouraud, son attachement initial à la photographie tient à sa volonté d’illustrer son propos et d’accompagner ses lettres personnelles.

Quand la photographie apparaît-elle en terrain colonial ? Utilisée dès les années 1860 à des fins topographiques en Europe, elle est naturellement plus tardive aux colonies. Il est en effet compliqué pour de jeunes officiers peu argentés de prendre dans un paquetage règlementairement limité des objets photographiques qui sont, à la fin du XIXe siècle, très encombrants et très lourds. La volonté d’Henri Gouraud et de son ami Henri Gaden – un vrai amateur de photographie – de faire des clichés résulte donc d’un choix personnel très affirmé. Cela dénote indiscutablement d’une passion pour la photographie.

Par la suite seulement, au cours de la phase des conquêtes et de l’accélération des rivalités coloniales, la photographie devient effectivement un outil de propagande. Mais elle a besoin du relais des publicistes parisiens, en particulier ceux du "parti colonial" qui se chargent de toucher l’opinion publique française. Dans ce livre, je montre quand et comment la photographie devient véritablement un outil, à parité avec d’autres, pour assurer la domination coloniale. Je montre aussi les limites de cette propagande par l’image» (1).

le Saharien

Julie d'Andurain propose une analyse de la production photographique en situation coloniale, à partir du fonds d'archives Gouraud mais également de manière plus générale.

Elle souligne notamment la propagande politique intelligente de Lyautey et l'influence qu'il exerça sur Gouraud. Il s'en dégage une typologie évolutive allant dans le sens d'une psychologie de plus en plus utiltariste mais toujours subtile.

Usage familial

  • «Si dans un premier temps, l'usage de la photographie reste pour Gouraud tout à fait utilitaire et familial - il veut surtout témoigner à une mère inquiète de sa bonne santé et justifier ainsi l'éloignement -, Auguste Terrier lui donne rapidement une autre orientation. Il réclame des portraits, notamment pour valoriser dans les pages de son Bulletin du Comité de l'Afrique française les officiers coloniaux (...) Il utilise déjà le terme de propagande pour qualifier son usage de la photographie dans sa revue, mais elle reste encore à cette date fort sommaire» (2).

Usage politique du militaire

  • «...les évolutions que connaît la politique coloniale sous le proconsulat de Lyautey. Soucieux de "montrer sa force sans avoir à s'en servir", Lyautey utilise plus qu'aucun autre la presse (...), les correspondants de guerre et la photographie comme outils de gouvernement. Ainsi, durant son séjour au Maroc, en raison de sa proximité avec le général Lyautey, Henri Gouraud apprend à utiliser l'image à des fins politiques. Portraits d'officiers en poste ou en campagne, passage des oueds, descriptions des camps et des constructions occidentales, entrées triomphales des troupes dans les villes, débarquement des autorités, défilés militaires, la photographie sert de plus en plus à magnifier le rôle des troupes tout en conservant toutefois celui d'intercesseur avec la famille» (3).

Usage politique du pittoresque

  • «Sous les ordres de Lyautey, Gouraud apprend également la valeur politique du pittoresque, l'usage politique que l'on put faire de ces paysages endormis ou alanguis, très majestueux qu'affectionnent particulièrement les coloniaux du Maroc. Incarnation de la "pacification", le pittoresque est mis en images dans des livres de voyage ; il sert de support à de très nombreuses publicités et expositions de "charme", de "beauté", de "simplicité"» (4).

Usage propagandiste

  • «Pour les besoins de la recherche archéologique, en raison de la beauté des paysages et de la nécessité de faire connaître le pays pour obtenir des subsides de Paris, les équipes du Haut-Commissariat ne cessent de photographier le pays qu'elles découvrent avec émerveillement. Les prises de vue sont parfois destinées à servir de modèles aux élèves des écoles des Beaux-Arts ; elles peuvent aussi être insérées dans les divers bulletins du lobby colonial ou servir de supports aux différentes conférences réalisées par les officiers du mandat. Elles servent abondamment aussi, désormais de plus en plus clairement, aux opérations de propagande que celles-ci soient destinées aux officiers français eux-mêmes ou au grand public, pour dresser des panoramas de "vulgarisation coloniale"» (5).

Le travail de Julie d'Andurain vient s'ajouter au Répertoire des photographes français d'Outre-Mer de François Boisjoly et Jean-Christophe Badot (2013) et aux photographies inédites envoyées par le médecin-major Blanc, en poste à Ou-Berkan au Maroc en 1908, que nous avons publiées sur ce site l'année dernière.

Toutes ces représentations, dans la diversité de leurs thèmes et de leurs usages, favorisent une approche équilibrée de l'imagerie coloniale, loin de l'assortiment partiel retenu par un Pascal Blanchard dans Sexe, race et colonies (2018). L'iconographie du moment colonial y gagne en compréhension intelligente.

Michel Renard
avril 2019

  • Henri Gouraud, Photographies d'Afrique et d'Orient. Trésors des archives du quai d'Orsay, éd. Pierre de Taillac & Archives diplomatiques, 2016, 240 pages, 35 €.

Notes
1 - Les clés du Moyen-Orient (en ligne), entretien avec Julie d'Andurain, 1er mars 2017. [lire]
2 - Julie d'Andurain, Henri Gouraud, photographies d'Afrique et d'Orient, éd. Pierre de Taillac & Archives diplomatiques, 2016, p. 85-86.
3 - Julie d'Andurain, Henri Gouraud, photographies d'Afrique et d'Orient..., p. 126-127.
4 - Julie d'Andurain, Henri Gouraud, photographies d'Afrique et d'Orient..., p. 127-129.
5 - Julie d'Andurain, Henri Gouraud, photographies d'Afrique et d'Orient..., p. 171.

Niger, novembre 1901

 

vaisseaux du désert, 1909

 

Gouraud et groupe, Agadès, Niger, 1901
Gouraud (assis, 2e à partir de la gauche) et groupe de militaires à Agadès, au Niger, 1901

 

Mauritanie

 

4e de couv

 

 

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