à propos du 5 juillet 1962 à Oran (1)
débat avec Jean-François Paya
Jean MONNERET
Introduction
Il paraît important de revenir sur le sujet du 5 juillet 1962 à Oran. En effet, Jean-François Paya contestant une partie de ce que j’ai écrit, je dois m’efforcer de lui répondre. Autant le dire d’emblée : un scepticisme croissant me gagne à mesure qu’il développe ses thèses.
J.F Paya est un ami et comme il ne se départit pas des règles de la courtoisie, il n’y a pas d’inconvénients à entrer avec lui dans une disputatio. J’ai pourtant hésité longuement à le faire, car, trop souvent, les débats entre Français d’Algérie ont tourné au vinaigre. Ceci a nui à notre communauté et l’a affaiblie.
Ici, je m’en tiendrai à une explication sereine en évitant tout jugement péremptoire ou péjoratif et en me bornant à fournir des éléments d’information.
Notre excellent ami Jean-Pierre Pister a écrit dans le numéro de juin 2012 de l’Algérianiste que je ne croyais pas : «à un quelconque complot pour expliquer le déchaînement de violences» du 5 juillet.
Je crois utile de rappeler à cet égard qu’en Histoire, il n’y a pas à croire ou à ne pas croire. L’universitaire expérimenté qu’est J-P Pister me comprendra aisément si je lui dis qu’une machination se démontre preuves à l’appui.
Dans les milieux journalistiques et politiques, on a beaucoup abusé des théories complotistes, et sur mille sujets. Il est donc naturel que la science historique soit exigeante en la matière. Je ne rejette pas a priori l’idée d’un complot, mais la démonstration qu’en donne Paya me semble peu convaincante.
Je vais m’efforcer d’expliquer pourquoi. Dans cette première livraison, je traiterai la question des chiffres. Dans la suivante, j’évoquerai les faits. Ils sont loin d’être tous clairement établis.
Pour finir j’essaierai de montrer que la thèse du complot benbelliste n’est qu’une hypothèse.
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En matière de chiffres, qu’il s’agisse du 5 juillet ou de tout autre épisode de la guerre d’Algérie, une règle devrait s’imposer : éviter de copier le FLN en faisant de la propagande ou de la contre-propagande.
Le FLN raconte que la répression de l’insurrection du 8 mai 1945 à Sétif et Guelma fit 45 000 morts dans la population musulmane. Selon cette organisation, la guerre d’Algérie aurait fait un million de morts dans cette même population. Ce chiffre lui paraissant sans doute trop faible, le FLN l’éleva, à partir de 1962, à un million 500 000 personnes. Ses propagandistes ont imaginé ensuite qu’en les répétant inlassablement ces chiffres finiraient par s’imposer. Grosse erreur ! Ils sont fort justement qualifiés de «chiffres idéologiques» par les historiens.
En ce qui concerne les victimes du carnage d’Oran, il convient de nous en tenir à une démarche toute différente : n’utiliser que des chiffres susceptibles d’être prouvés, même si d’autres, plus élevés, peuvent paraître plus séduisants. En ce domaine, la rigueur paie, même si les difficultés sont plus grandes.
Dans mon livre sur Oran (1), j’écris à la page 150 que les dossiers (nombreux) du Deuxième Bureau recensent 435 cas d’enlèvements d’Européens (2). Après soustraction des personnes retrouvées ou libérées, on atteint le chiffre de 365 personnes disparues. Il est intéressant de constater que Mme Ducos-Ader, à partir d’une liste et d’une recherche différentes atteint des nombres relativement comparables aux miens.
Toutefois, je me suis gardé de tout dogmatisme et j’ai écrit dans mon livre comme dans différents articles que l’on ne saurait sans doute jamais le bilan exact des victimes de cette funeste journée.
En particulier, il y avait un problème qui n’avait jamais quitté mon esprit : enlevés, disparus et décédés confirmés correspondent à trois catégories qu’il convient de distinguer : une personne peut avoir été enlevée sans être portée disparue. Elle entre alors dans la catégorie des personnes retrouvées, ou libérées, ou encore dans celle des morts dont on a récupéré le corps.
Il y a eu des difficultés considérables pour évaluer ces derniers. Des voyageurs pieds-noirs qui avaient visité le cimetière d’Oran faisaient état d’un registre où l’on dénombrait une vingtaine d’Européens non identifiés inhumés le 5 juillet. Fouad Soufi, fonctionnaire et historien algérien, évoquait de son côté une cinquantaine de décès d’Européens consignés sur les registres d’état civil d’Oran.
Loin d’accorder à ces chiffres une valeur qu’ils ne pouvaient avoir, je faisais part, p. 149, des incertitudes qui n’étaient pas dissipées. Je me suis toujours efforcé, que ce soit lors de la participation à l’enquête de 2004 menée par l’ANIFOM ou à celle de 2011 dirigée par Jean-Jacques Jordi de faire prévaloir une classification rigoureuse des victimes : enlevées, libérées, retrouvées mortes.
Cette dernière catégorie était de loin la plus difficile à préciser, ne serait-ce que parce que Soufi avait parlé d’inhumations clandestines à propos des Européens tués le 5 juillet.
Ne disposant pas à l’époque, en 2006, date de sortie de mon livre, de documents fiables, je m’en suis tenu aux chiffres que livraient les archives militaires. C’est la démarche la plus rationnelle pour un historien s’il l’accompagne des réserves d’usage, malheureusement les lecteurs oublient souvent ces dernières et ne retiennent que les chiffres.
Quelques années plus tard, un nouveau progrès fut accompli grâce à la recherche de Jean-Jacques Jordi [ci-contre]. Je n’ignorais pas que des personnalités importantes comme le docteur Couniot, chirurgien oranais très connu, ayant continué à vivre en Algérie après l’Indépendance et lié à beaucoup de gens importants de tous milieux, avait parlé de 700 victimes. Le regretté Monseigneur Boz, éminent collaborateur de Monseigneur Lacaste, le rejoignait dans son évaluation.
Jean-Pierre Chevènement dans son livre (3) parlait, lui, de 800 victimes. Sans négliger ces indications, il était évident qu’elles ne pouvaient pas fonder un bilan solide. La discipline historique - j’y reviendrai -, est très réservée au sujet de la fiabilité des témoignages individuels (4). Il fallait compléter par des documents.
Ce fut le mérite incontestable de Jordi de les mettre à jour, ce qui permit de procéder à une évaluation nouvelle et certainement plus complète.
Au sein de l’armée, en effet, différents rapports avaient été rédigés relativement au 5 juillet 1962. Ces rapports, sur ordre de Pierre Messmer, ne furent pas transmis à la Croix-Rouge, ce qui affaiblit d’autant le texte que celle-ci remit plus tard aux gouvernements, tant français qu’algérien.
Mais un homme, Jean-Marie Huille, commissaire de la Marine (5), fut chargé de croiser l’ensemble des rapports militaires avec les notes qui lui étaient parvenues, pour en tirer une synthèse d’ensemble. Il aboutissait au chiffre de 671 victimes disparues et décédées.
Jean-Jacques Jordi, après lecture du rapport Huille, consulta les dossiers des personnes concernées au Service Central des Rapatriés, il aboutit à un chiffre très voisin de 679 personnes, qu’il ventila en 353 disparues (chiffre proche du mien), et 326 personnes décédées (soit beaucoup plus que nous n’avions pu le savoir jusque là) (6).
C’est là une percée absolument remarquable en matière de recherche historique, qu’il faut saluer hautement. Une très large part du mérite en revient personnellement à Jean-Jacques Jordi.
Un consensus devrait pouvoir se faire aujourd’hui sur un bilan se situant, à quelques unités près, autour de 700 victimes européennes, et de 800 si l’on ajoute les victimes musulmanes, signalées par la presse de l’époque.
Jean Monneret
1 - La Tragédie dissimulée. Oran 5 juillet 1962. Ed. Michalon. 2006 et 2012 (seconde édition).
2 - J-F Paya conteste que les 440 dossiers de plaintes remis à Ben Bella par le consul général J. Herly confortent ce chiffre au motif qu’une plainte pouvait concerner plusieurs personnes. J-F Paya a raison, mais toutes les plaintes ne concernaient pas non plus des enlèvements. Ce chiffre de J. Herly n’est qu’une indication relative.
3 - Le vieux, la crise, le neuf. Ed. Flammarion. Paya le présente comme un attaché militaire, ce qui peut surprendre.
4 - Un historien ne peut se permettre d’écrire : «il y a eu tant de morts, tel jour, c’est un tel qui me l’a dit». La discipline historique est plus exigeante.
5 - Le hasard, qui fait bien les choses, m’a permis de rencontrer Jean-Marie Huille, de m’entretenir et de correspondre avec lui.
6 - Jordi pense qu’on peut ajouter à ce total une centaine de musulmans.
POURQUOI NE JAMAIS CITER AU SUJET DES MASSACRES DU 5 JUILLET 62 A ORAN LES OUVRAGES PRECUSEURS A CELUI DE JORDI COMME LE JOURNAL DU PERE DE LAPARRE DE 64 ET" L AGONIE D ORAN" DE 1991 SOMME DE TEMOIGNAGES ET ARCHIVES DU MOMENT avec l'enquete de Jean François PAYA remarquable qui vient de sortir un livre sur Internet
http://fr.calameo.com/read/0002846255ab594028a60
PASSAGES DU LIVRE DE JORDI ORAN 5 JUILLET 62
QUI CONTRAIREMENT AUX DIRES DE J MONNERET
PEUVENT PRESUMER DE LA THESE DU COMPLOT ETUDIEE
DE MANIERE PLUS POUSEE PAR D'AUTRES CHERCHEURS ET LES CITATIONS DU LIVRE DE JJ JORDI QUI ACCREDIRENT LA THESE DU COUP MONTE ?
CITATIONS Il n’est pas question ici de retracer l’histoire des derniers mois de « l’Oranie française » mais de voir comment le « problème » des enlèvements et des
disparus est
directement intégré dans la politique de terreur qui se développe en Oranie et à Oran spécifiquement. Il est vrai que le 5 juillet à Oran est la journée la plus tragique
concernant les disparitions d’Européens, et de toute la guerre d’Algérie, mais elle n’est pas le tonnerre qui éclaterait dans un ciel sans nuage. Le 5 juillet est une suite
logique ORGANISEE et PREMEDITEE par l’ALN stationnée sur la frontière algéro-marocaine et par les dirigeants de la wilaya 5............
Monneret écrit "Le caractère à la fois tabou et mystérieux de ce problème, le passage des années et l’indifférence tant de la grande presse que des milieux officiels reléguèrent le problème au milieu associatif des Français d’Algérie. Très actif mais pas toujours bien inspiré"il en dit trop où pas assez ! dans sa critique du"milieu associatif PN " si nous reprenons les 3 volumes de "l Agonie d'Oran" oeuvre magistrale issue de ce milieu d'après une somme de témoignages d'Oranais l'essentiel avait été dit si on prend soin de recouper et d'assembler le puzzle qui n'a fait que ètre confirmé par les conclusions de Jordi plus de 20 ans après ! et les nouveaux éléments donnés par Paya ;Manifestation ;défilé organisé; sentiment d'une provocation orchestrée qui à pu faire prendre l'effet pour la cause ! passivité des forces
Françaises; démonstration contrairement à certaines affirmations qu'elles avaient
le droit (si non le devoir) d intervenir ;état des rares archives disponibles mais essentielles (non citées par Monneret)
Le document du groupe FLN de l’exécutif provisoire adressé au GPRA en date du 27 juin 62 qui faute de directives se plaint de ne pouvoir signer " le protocole de maintien de l’ordre " D'où risques d’interventions de l’Armée française après le 2 Juillet en cas de débordements " (citation sources archives du FLN M Harbi)
Le document Note no 99 du 20 juin 62 du Général Kartz à ces unités Qui prévoyait l’intervention en cas d’agressions de nos ressortissants (non appliqué ;suite ordres supérieurs) après l’indépendance dans la période transition vers un pouvoir Algérien élu prévu par les accords d Evian !
Le document classifié du 2em bureau d’Oran présentant
L’ordre du jour du 5 Juillet 62 de L’ALN d’Oujda prévoyant de manière prémonitoire sa vocation de maintenir l’ordre ! et sa condamnation du GPRA (texte intégral volume 3 de "Agonie d Oran"
http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/2011/12/15/22986756.html
Voici des éléments d’archives chères aux historiens mais négligés par certains qui reprochaient à ces recherches de ne s'appuyer que sur la Mémoire !
Mais il y avaient d'autres témoignages peu prisés par ceux qui ne jurent que par les papiers estampillés officiels et qui si il n'y en a pas concluent qu'il ne c'est rien passé !
c'est là le dilème des "archivores" pourtant il plusieurs écrits de presse comme celui de l'hebdo "Carrefour" dont le correspondant à vu et décrits des massacres ;de la presse américaine qui à vu et filmé des films disparus rachetés par on ne sait quels" services"
il existe un recueil d'écrits de présse (edit Galic 4em T 62); non réédite des articles autours de cette journée du 5 juillet qui signale les provocations et les dissensions de ALN: et du FLN à Oran et les massacres qui vaut bien les omissions des archives officielles
Certes devant les obstructions et la disparitions de vraies archives d'origines comme celle du consulat d Oran); il y a pu exister une inflation du chiffre des disparitions et des victimes ;mais on est à ce jour passé des quelques dizaines du
Général Katz (seul chiffre officiel) ;des 365 disparus de J Monneret;à prés de 800
avec Jordi et donc pas loin du millier de Paya avec la controverse sur les non signalés isolés ce jour à Oran .
Voici quelques observations d un "non Historien" qui en valent bien d'autres!
Mais c'est bien que l'on recommande ce DVD "Outil d'information indispensable"
ROGER collaborateur du groupe de recherches de JF Paya (80 ans) aujourd·hui absent travail collectif contrairement aux historiens isoles qui veulent faire un livre)