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études-coloniales
10 juin 2012

les bagnes coloniaux (Michel Pierre)

Guyane (5) 

 

le siècle des bagnes coloniaux (1852-1953)

Michel PIERRE

 

1 - Après la suppression progressive des galères sous Louis XV s’ouvre le temps des bagnes portuaires (Toulon, Rochefort, Brest) désormais voués à l’exécution de la peine des Travaux Forcés. Mais quelques décennies plus tard, dans les années 1840, se répand l’idée que la concentration de milliers de forçats regroupés dans quelques arsenaux est dangereuse pour la population civile, contagieuse pour les ouvriers libres et coûteuse pour l’État.

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Et à l’exemple des Anglais ayant déporté au XVIIIe siècle, des dizaines de milliers de Convicts vers leurs terres australiennes, Napoléon III décide, au début de son règne, de l’exil définitif de ceux (et de celles) qui bafouent gravement la loi. Après avoir hésité sur quelques horizons possibles, le choix se porte sur la Guyane que l’on espère développer grâce à l’afflux d’une main d’œuvre de réprouvés pouvant, de surcroît, trouver dans le travail, le rachat de leurs fautes.

Guyane (2)

2 - Dès 1852, des vaisseaux-prisons transfèrent aux îles du Salut puis à Cayenne les bagnards de Rochefort, de Brest puis ceux de Toulon. Deux ans plus tard, en 1854, la loi sur la Transportation (1854) organise la peine des Travaux Forcés à accomplir hors du territoire métropolitain et conçue pour ne jamais permettre le retour des condamnés dans la mère-patrie.

3 - Cette première époque du bagne est celle d’une hécatombe due aux épidémies, à une administration déficiente, à l’absence de soins et aux mauvais traitements. Le taux de mortalité (26% de l’effectif en 1856) est tel qu’en 1867, il est décidé de remplacer la Guyane par la Nouvelle-Calédonie comme nouvelle terre de punition à plusieurs mois de navigation des ports français. Et c’est vers ces rives lointaines de la France australe que seront dirigés en 1871 les Communards victimes des tribunaux versaillais.

4  - Au début des années 1880, la IIIe République, soucieuse d’ordre et de loi, juge la Nouvelle-Calédonie peu redoutée des criminels et préfère y attirer des colons libres, dignes de ses richesses. La Guyane, de réputation plus sinistre, redevient terre de bagne en 1887, conjointement à l’archipel calédonien pendant une décennie puis, à partir de 1897, comme seule destination des forçats. La colonie reçoit même, à côté des condamnés aux travaux forcés (peine le plus souvent prononcée par les Cours d’Assise), une nouvelle catégorie de condamnés relevant de la loi (1885) sur la relégation des multirécidivistes (peine pouvant être décidée par un simple tribunal correctionnel).

Guyane (4)

5 - À la fin du XIXe siècle, le système a trouvé sa logique et défini son fonctionnement. Une à deux fois par an, les navires Loire puis le La Martinière (entre les deux guerres mondiales) transfèrent, par effectif de 600 à 700 matricules, les condamnés rassemblés à Saint-Martin de Ré vers Saint-Laurent-du-Maroni devenu véritable capitale d’un univers pénitentiaire qui compte aussi les Iles du Salut, le camp de la relégation à Saint-Jean-du-Maroni, l’îlot Saint-Louis pour les lépreux, des camps forestiers à l’effrayante réputation, celui de Kourou moins meurtrier et Cayenne où se retrouvent plutôt les forçats libérés mais exilés à vie en Guyane.

6 - Vie terrible de communautés d’hommes soumis à des travaux dérisoires ou épuisants. Société violente où succombent les plus faibles. Individus marqués de l’habit rayé rouge et blanc, symbole d’une main d’œuvre quasi-servile, fragilisée par le climat, mal soignée et ne plaçant ses espoirs que dans l’évasion aux tentatives sévèrement punies.

Guyane (6)

7 - Il faudra des années de témoignages (tels ceux de condamnés anarchistes au début du XXe siècle), de reportages indignés (tels ceux d’Albert Londres en 1923) et de campagnes de dénonciation (telle celle menée par la Ligue des Droits de l’Homme et du Citoyen) pour que la loi sur la Transportation disparaisse du Code Pénal français par décret-loi du Front Populaire en 1938.

Guyane (8)

C’était la fin des convois pour la Guyane mais le rapatriement des condamnés en cours de peine n’était nullement prévu et ce sont eux qui vont subir, sous le régime de Vichy, une nouvelle hécatombe provoquée par les rigueurs d’une administration impitoyable et par une mauvaise alimentation due aux difficultés de ravitaillement (le taux de mortalité atteint 20 % de l’effectif en 1942). Les survivants, très souvent amnistiés, sont rapatriés en France (ou en Afrique du Nord) de 1946 à 1953, réinsérés dans la société pour une partie d’entre eux grâce à l’action de l’Armée du Salut ou incarcérés dans des prisons centrales pour les plus lourdement condamnés.

8 - Ces derniers bagnards de retour vers les ports français témoignaient d’une histoire séculaire qui avait concerné près de 100 000 condamnés (dont quelques centaines de femmes de 1859 à 1906). Sur cette population pénale, une grande majorité avait été dirigée vers la Guyane (75 000), composée essentiellement de Transportés (80 % du total des effectifs).

Pierre Michel

Guyane (10)

Pour citer cet article

- référence électronique :

Michel Pierre, «Le siècle des bagnes coloniaux (1852 - 1953)», Criminocorpus, revue hypermédia [En ligne], Les bagnes coloniaux, Articles, mis en ligne le 01 janvier 2006, consulté le 10 juin 2012. URL : http://criminocorpus.revues.org/174

auteur
Michel PIERRE

Michel Pierre, licencié d’histoire de l’art et d’archéologie, agrégé d’histoire, maître de conférences à l’IEP de Paris pendant de nombreuses années avant d’effectuer plusieurs missions pour le compte du ministère français des Affaires étrangères (directeur de l’Institut français de Florence, Conseiller de coopération près l’Ambassade de France à Alger...). Il a assuré, toujours dans ce même ministère, la responsabilité de la sous-direction «Archéologie et recherche en sciences sociales». Depuis septembre 2007, Michel Pierre est directeur de la Saline royale d’Arc-et-Senans (Doubs).
Spécialiste d’histoire coloniale et d’histoire pénale, il a publié plusieurs ouvrages et articles sur les bagnes de Guyane.

articles du même auteur

 

Guyane (3) 

 

Guyane (11)

 

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Commentaires
A
A travers les cartes postales que j'ai consultées, il me semblerait que les forçats quittant l’île de Ré pour la Guyane partent de deux lieux d'embarquement distincts, celui du port de Saint-Martin-de-Ré et celui du port interne à la citadelle, est-ce- vrai et pourquoi?<br /> <br /> Un grand merci Alain
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C
Bonjour Monsieur.<br /> <br /> D'après ce que j'ai découvert de votre actualité, il apparaît que vous êtes très occupé et un grand voyageur. Est - il néanmoins possible d'établir une communication de vive voix, à votre convenance pour me permettre de vous poser quelques questions sur la Relégation. Je connais l'essentiel du sujet, avec la collaboration de J.L. Sanchez, mes propres enquêtes... mais je rencontre des obstacles pour aller plus loin dans l'histoire de mon grand-père paternel. Vous pouvez en savoir plus en jetant rapidement un œil sur mon site (en cours de construction). <br /> <br /> Merci à vous et bien cordialement
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C
salut,je suis algerien de la ville de tebessa,mon grand pere de la part de ma mere qui ete nee en 1886 a ete comdamne avec ses deux freres dans les annees 45 pour un crime qui a ete commis a l'epoque par un des trois freres,mes ils ons comdamnes les trois et exillez a cayenne,un qui s'appel l'arbi a ete mort apre un an d'exile a cause d'une maladie,et mon grand pere salah rentre apres 14 ans de d'exile et le troisieme apres 20 ans,le premier a ete entere labas,c'est une hestoire que j'ai entendu par ma mere qu'elle est morte il ya 8 ans sur son pere je voudre en savoir plus
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