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études-coloniales
3 avril 2012

images de la tuerie du 22 août 1955, à Aïn Abid

Life5510031Life, 5 septembre 1955 (éd. américaine) et 3 octobre 1955 (éd. internationale)

 

 

images authentifiées : les trois civils algériens

abattus le 22 août 1955 à Aïn Abid

d'après une étude de Marie CHOMINOT

 

Isssue de sa thèse soutenue en 2008, Marie Chominot a récemment présenté une explication détaillée et convaincante de la véracité des images montrant l'exécution de trois civils algériens en 1955, images souvent reprises dans des documentaires dont celui de Benjamin Stora et Gabriel Le Bomin ("La Déchirure", mars 2012). Cette démonstration est, à mon avis, sans réplique (mais si quelqu'un apporte la preuve du contraire, je l'accueillerais).

Elle retrace la polémique qu'elles déclenchèrent à l'époque, les dénégations des autorités françaises puis leur rétractation. Elle rappelle que le cameraman s'appelait Georges Chassagne et qu'il travaillait à la fois pour Gaumont et pour la firme américaine Fox-Movietone.

Elle démonte la thèse d'un montage et d'un trucage. Et cite une "interview de Chassagne, réalisée avant une conférence de presse [de décembre 1955], dans les archives Pathé-Gaumont, sous la référence 5600ENU48806. Chassagne déclare notamment : «J’affirme qu’aucune mise en scène n’a été montée, que je n’avais jamais vu le gendarme, que je ne l’ai jamais revu et qu’à plus forte raison, je ne l’ai jamais soudoyé»".

Marie Chominot : "Algérie, août 1955 : la mort filmée en direct"

Marie Chominot rappelle cependant que : "Quelques précautions méthodologiques sont à appliquer à la lecture des images, comme pour toutes les autres sources historiques. Dans le cas des séquences incriminées ici, elles permettent de réfuter l’argument de la mise en scène et du trucage. D’abord, les images seules ne suffisent pas pour écrire l’histoire. Il faut les croiser avec d’autres sources (sources écrites, mais aussi témoignages oraux) afin de les éclairer et, notamment, pour comprendre leurs conditions de production, leur contexte de diffusion et les réactions que cette diffusion a suscitées, à toutes les époques." (source, ibid.)

 

Express551229300dpi1
L'Express, 19 décembre 1955

Précautions qui ne sont pas souvent respectées dans "La Déchirure"... Mais plus généralement, l'utilisation de l'image à forte charge émotionnelle pose la question de l'intelligibilité historique. Elle a tendance à subsumer un contexte général à partir d'un segment particulier. Il ne s'agit pas d'excuser quoi que ce soit. Mais l'historien doit tenter de restituer la complexité d'une situation, l'enchevêtrement des événements.

À Philippeville, et notamment dans le village d'El-Halia, des dizaines de civils européens ont été masssacrés par le FLN le 20 août 1955. Une horreur ne saurait, bien sûr, en justifier une autre. Il s'agit seulement de comprendre les enchaînements de faits dans les mentalités d'une époque et le caractère toujours exceptionnel d'une guerre.

philippeville
Philippeville, 20 août 1955

"La guerre est totalement différente de ces domaines [économie, diplomatie, politique] parce qu'elle est menée par des hommes dont les valeurs et les compétences ne ressemblent en rien à celles des politiciens ou des diplomates. Ce sont celles d'un monde à part, un monde très ancien qui existe parallèlement au nôtre mais qui ne lui appartient pas", John Keegan, Histoire de la guerre (éd. Dagorno, 1996, p. 17).

Sur le massacre d'El-Halia, on peut lire le témoignage de Marie Jeanne Pusceddu. Et on aura une idée du ressentiment des "Européens" d'Algérie. Il n'y a pas d'équilibre justifiable de la terreur. Mais on peut dire cela après coup, quand on n'a pas été mêlé à de tels drames. Sur le coup... qui peut dire ?

massacre

L'historien n'est pas un moraliste. Sa fonction est de tenter de restituer les probabilités de la vérité du passé. Et celle-ci ne peut se réduire aux images, surtout lorsqu'on plaque sur elles des commentaires qui ni ne les expliquent ni ne les contextualisent.

Michel Renard

_______________________

 

Tout n'est pas aussi définitif

Roger VÉTILLARD


Je voudrais apporter quelques commentaires à l'article de Michel Renard.

J'ai enquêté sur ces affaires d'exécutions de civils algériens en 1955 que trois séquences filmées montrent et que Marie Chominot analyse. Sans tirer de conclusions définitives, je donne à leurs propos plusieurs éléments de réflexion dans mon livre à paraître le 26 avril 2012 aux éditions Riveneuve : 20 août 1955 dans le nord-constantinois Un tournant dans la guerre d'Algérie ?

9782360130955


Il est certain que la répression de la révolte du 20 août 1955 a été importante puisqu'elle a fait plus de 6000 victimes et injuste parce qu'elle a puni de nombreux innocents. J'en parle longuement dans tout un chapitre. Loin de moi donc l'idée de la minimiser.
Je n'ai pas d'informations nouvelles sur la victime tuée sous une raïma (khaima) alors que les images tournées dans une rue d'un village ou d'une mechta sont probablement bien réelles.


Toutefois, l'enquête de Marie Chominot est incomplète car elle ne tient pas compte des informations apportées par deux documents télévisés importants concernant la séquence où l'on voit un militaire tirant et abattant Mohamed Saoud qui s'enfuit et qui ont été diffusés le 27 février 2000 sur La Cinq dans l'émission de Patrick Jeudi "Le Club des Archives" et le 5 juin 2000 dans celle de Daniel Schneidermann "Arrêt sur Image".

Georges Chassagne qui témoigne fait comprendre assez clairement combien est difficile le métier de chasseur d'images et que quelques fois il lui est nécessaire de construire des séquences pour laisser penser qu'elles ont été prises sur le vif. Ces déclarations survenues 45 ans après la diffusion du reportage en question éclairent d'un jour nouveau une affaire qui continue à faire parler d'elle et doivent nous inciter à beaucoup de prudence.

Il est certain que dans le contexte judiciaire de 1955 et 1956 en pleine guerre d'Algérie, le caméraman ne pouvait que nier toute manipulation alors que 45 ans plus tard il est beaucoup plus libre. D'autant plus qu'il fait comprendre qu'il a été surpris et dépassé par les conséquences nationales, judiciaires, médiatiques et surtout internationales de ces quelques minutes de film.
Mais même si de telles images ne sont pas sincères, des scènes similaires ont existé au cours de la guerre d'Algérie, l'évocation des "corvées de bois" n'est pas qu'une légende.


Roger Vétillard
roger_vetillard

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V
Je voudrais apporter quelques commentaires à l'article de Michel Renard. J'ai enquêté sur ces affaires d'exécutions de civils algériens en 1955 que trois séquences filmées montrent et que Marie Chominot analyse. Sans tirer de conclusions définitives, je donne à leurs propos plusieurs éléments de réflexion dans mon livre à paraître le 26 avril 2012 aux éditions Riveneuve : 20 août 1955 dans le nord-constantinois Un tournant dans la guerre d'Algérie ?<br /> <br /> Il est certain que la répression de la révolte du 20 août 1955 a été importante puisqu'elle a fait plus de 6000 victimes et injuste parce qu'elle a puni de nombreux innocents. J'en parle longuement dans tout un chapitre. Loin de moi donc l'idée de la minimiser.<br /> <br /> Je n'ai pas d'informations nouvelles sur la victime tuée sous une raïma (khaima) alors que les images tournées dans une rue d'un village ou d'une mechta sont probablement bien réelles. <br /> <br /> Toutefois, l'enquête de Marie Chominot est incomplète car elle ne tient pas compte des informations apportées par deux documents télévisés importants concernant la séquence où l'on voit un militaire tirant et abattant Mohamed Saoud qui s'enfuit et qui ont été diffusés le 27 février 2000 sur La Cinq dans l'émission de Patrick Jeudi "Le Club des Archives" et le 5 juin 2000 dans celle de Daniel Schneidermann "Arrêt sur Image". Georges Chassagne qui témoigne fait comprendre assez clairement combien est difficile le métier de chasseur d'images et que quelques fois il lui est nécessaire de construire des séquences pour laisser penser qu'elles ont été prises sur le vif. Ces déclarations survenues 45 ans après la diffusion du reportage en question éclairent d'un jour nouveau une affaire qui continue à faire parler d'elle et doivent nous inciter à beaucoup de prudence. Il est certain que dans le contexte judiciaire de 1955 et 1956 en pleine guerre d'Algérie, le caméraman ne pouvait que nier toute manipulation alors que 45 ans plus tard il est beaucoup plus libre. D'autant plus qu'il fait comprendre qu'il a été surpris et dépassé par les conséquences nationales, judiciaires, médiatiques et surtout internationales de ces quelques minutes de film.<br /> <br /> Mais même si de telles images ne sont pas sincères, des scènes similaires ont existé au cours de la guerre d'Algérie, l'évocation des "corvées de bois" n'est pas qu'une légende.<br /> <br /> Roger Vétillard
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