Winston Churchill, "Voyage en Afrique", 1907
Mon voyage en Afrique, 1907, Winston Churchill
Marc MICHEL
Winston CHURCHILL, Mon voyage en Afrique, 1907, collection "Texto," traduit de l’anglais et préfacé par Pierre Guglielmina, 2010, 195 pages.
Amateurs de safaris, en voilà un qui vous rendra jaloux ! Contemporains qui veulent juger le passé sans les œillères des idées toutes faites et anachronisme, voilà un petit condensé d’interrogations excitantes.
Les éditions Taillandier qui ont eu la bonne idée de publier les œuvres complètes de Winston Churchill dans la collection "Texto", nous ont offert un inédit en Français du grand homme, admirablement traduit par Pierre Guglielmina, Mon voyage en Afrique, 1907.
Le traducteur se demande si ce petit livre, n’est pas «destiné à rejoindre le nouvel enfer des bibliothèques correctes». Peut-être bien, étant donné le conformisme contemporain ; ce serait vraiment dommage compte tenu du talent littéraire et de la richesse de réflexions de l’auteur. Prudence ou dédain pour celles-ci, le traducteur insiste seulement sur les qualités littéraires du texte dans sa belle introduction.
Certes, Churchill, jeune ministre de trente et un ans - il vient d’être nommé au Colonial Office, un ministère beaucoup plus important en Angleterre, que le Ministère des Colonies en France) - écrit admirablement, nous entraîne, bientôt étonnés de se découvrir passionnés, grâce à lui, de chasse et de découvertes, dans les hauts plateaux du Kenya, les forêts de l’Ouganda, en safari à pied, à cheval, en pirogue… (Il regrette même de n’avoir pas eu l’idée de la bicyclette)… dans les magnifiques steamers du lac Victoria ou les frêles esquifs du lac Yoga, sur le Nil enfin.
Un voyage vraiment sportif. À cette occasion Pierre Guglielmina rappelle à quel point la boutade du vieux Churchill interrogé sur son extraordinaire longévité… «No sport» est totalement fausse en l’occurrence. Churchill est infatigable… Il est difficile de le suivre dans son périple de plusieurs mois de plusieurs milliers de kilomètres, et on regrette une carte ; mais qu’importe, on repère les principales étapes qui le conduisaient de Mombasa à Kampala et de là à Fachoda, «appelé désormais Kodok en souvenir du bon vieux temps», dit-il, en laissant le lecteur dans une certaine perplexité (le temps de la «rencontre» avec Marchand, une dizaine d’années ans plus tôt ?).
Il jette aussi un regard moderne sur la nature ; il s’émerveille de la grâce et de l’élégance des antilopes, de la puissance brutale des rhinocéros, du «panorama majestueux», des éléphants redoutables ; les seuls animaux auxquels il voue une véritable «haine» sont les crocodiles… Il découvre l’immense Rift où s’étendent les grands lacs africains, le «spectacle merveilleux et unique» qu’offre la traversée des hautes terres du Kenya, la grandeur de la forêt ougandaise comme de la fascination qu’exerce l’immensité du lac Kyoga : «le temps disparait et il ne reste plus rien que l’espace et la lumière du soleil». L’univers d’Out of Africa…
La révélation la plus merveilleuse, est l’Ouganda, qu’il qualifié de «pays de conte de fées» et de «jardin magnifique». Mais, il n’est pas dupe et il sait que la même nature est aussi mauvaise, trompeuse, perverse, qu’elle réserve les plus mauvaises surprises, les redoutables fourmis auxquelles rien ne résiste, les somptueux papillons dont «la perversité» s’alimente à la pourriture la plus abjecte, «l’horrible fécondité des processus naturels», la maladie qui règne partout. En 1907, il traverse des contrées ravagées au lendemain de la première des grandes épidémies connues de maladie du sommeil qui a duré dix ans et a dépeuplé les régions affectées dans des proportions effarantes, «plus de deux-cent mille personnes pour une population dans des régions qui n’aurait pas pu excéder les trois cent mille», souligne-t-il lui-même stupéfié et horrifié.
On ne peut que partager l’admiration du traducteur pour le grand écrivain, sa sincérité et sa maitrise ; mais ce n’est pas celui-ci qu’on voudrait mettre en valeur ici ; c’est l’homme politique réfléchissant à l’Afrique colonisée. Bien entendu, l’action de son pays en Afrique est excellente et l’Angleterre y a envoyé les meilleurs de ses gentlemen : «le jeune Anglais, qu’il soit officier ou colon dans les hautes terres d’Afrique a une allure robuste Ses vêtements sont réduits à rien : un chapeau pour se protéger du soleil, une chemise de flanelle brune à manches courtes, au-dessus du coude, et ouverte sur la poitrine, des knickers kaki coupées à dix centimètres – au moins - au-dessus du genou, des bottines et une paire de bandes molletières… rien d’autre. La peau exposée au soleil, aux épines et aux insectes…». Il est là pour le service et la grandeur de la Couronne.
Mais, il y a tout de même une différence entre l’officier et le colon, entre l’administration nécessaire des «races primitives» (le terme est si courant, presque neutre, aussi banal à l’époque que «pays en voie de développement» aujourd’hui !) et leur exploitation : «le spéculateur, le planteur et le colon frappent déjà à la porte» constate le ministre philosophe qui doute alors un moment de la «mission de l’homme blanc» en Afrique. Or, cette interrogation n’a pas cessé, quelque soit l’habillement dont on l'a revêtu. La présence de l’homme blanc est-elle-même justifiée, et, à défaut, durable ?
L’Afrique de l’Est est une des rares régions d’Afrique tropicale où elle fut entreprise, en dépit des réalités. Et quoiqu’en ait pensé Churchill lui-même : «Imaginer les hautes terres d’Afrique vidées de leurs habitants primitifs et occupées uniquement par des Européens, lui parait une idée totalement impossible, contredite non seulement par la multiplication des Noirs, mais par l’arrivée des Asiatiques et le «capitalisme pur et simple» : «Une vaste armée de travailleurs africains encadrés par des Indiens ou des Chinois éduqués, eux-memes dirtigés par quelques individus de diverses nationalités faisant usage d’un capital cosmopolite – c’est le cauchemar qui hante la population blanche d’Afrque du Sud et face auquel une certaine population blanche de l’Afrique de l’Est pousse déjà de hauts cris». «L’interdépendance de tous les hommes et de tous les pays ont donné des ailes à l’ambition commerciale de l’Asie et rendu la main d’œuvre asiatique plus mobile qu’elle ne l’avait jamais été auparavant», écrit-il plus loin. On ne peut s’empêcher de penser que le jeune Churchill en 1907 prévoyait déjà les hantises d’aujourd’hui à propos de la «mondialisation» et du «choc des civilisations».
Mais l’Afrique appartient aux Africains, ce que reconnait notre voyageur. «C’est après tout leur Afrique». Oui, mais l’Africain répugne au travail que l’homme blanc veut lui imposer et pense que celui-ci «est fou». Churchill, en bon disciple de Bentham, n’approuve pas cette sagesse : «je suis clairement d’avis qu’aucun homme n’a le droit d’être paresseux». Mais dans sa vision, les problèmes Afrique de l’Est qu’il visite «sont ceux du monde», «les tensions sociales, raciales et économiques qui torturent la société moderne sont déjà à l’œuvre ici, mais en miniature». On souhaiterait que cette vision pessimiste de l’avenir ait été démentie ; rien n’est moins démontré.
Ce que voit, pour le moment, Churchill c’est une colonisation avide que seules peuvent corriger le bon gouvernement de l’Angleterre et un partenariat avec un bon gouvernement africain. Il croit l’avoir trouvé lorsqu’il découvre le royaume de l’Ouganda, un État indigène qui fonctionne et qui permettrait d’espérer y fonder un socialisme d’État. L’Ouganda lui parait en offrir les contions optima : un pays riche, un gouvernement régulier, une population pacifique, une puissance extérieure lointaine et protectrice, une administration britannique désintéressée, mais dotée de suffisamment de pouvoirs supérieurs… En réalité, il s’agit simplement de l’Indirect Rule telle quelle fut effectivement appliquée en Ouganda pendant des décennies, et pratiquement jusqu’à l’indépendance.
Idéologue, colonialiste, Churchill était-il «raciste» ? Nous sommes en 1907. Il emploie constamment le mot «race», il parle des «races inférieures»… Le contresens, l’anachronisme est de confondre ce racisme civilisationnel avec un racisme ontologique ; non seulement, Churchill admire la grâce et l’élégance des hommes ou des femmes qu’il rencontre, leur maintien, leur politesse qui prend des formes variées, leur intelligence, il les croit fondamentalement capables de progrès si on leur en laisse l’opportunité… sous la bienveillante protection de la Couronne britannique, bien entendu ; Churchill est et restera toujours un «impérialiste», pas au sens marxiste, mais au sens «gaullien», si l’on peut dire ! Il juge beaucoup plus sévèrement les colons blancs que «l’avidité foncière» a transformés en possesseurs d’espaces immenses «acquis pour rien ou très peu, tous luttant, tous agités, nerveux, tendus, nombre d’entre eux déçus, certains désespérés, quelques uns détruits».
Au terme de ce voyage raconté avec tant de couleurs et de vivacité, revenu au contact de modernité technique au Soudan, on soulignera l’une des dernières réflexions du ministre-voyageur : «j’ai commencé à réaliser à quel point l’esprit de ces contrées merveilleuses avait pris possession de moi car c’était avec la plus grande réticence et la plus grande difficulté que je me forçais à poursuivre sur le chemin du retour».
Aujourd’hui, réaliserait-on le même périple avec le même plaisir ? En tout cas, Le Voyage en Afrique en 1907, fait encore rêver et réfléchir.
Marc MICHEL
présentation de l'éditeur
Tout jeune sous-secrétaire d'État aux Colonies, Winston Churchill accomplit, à l'automne 1907, une tournée en Afrique de l'Est.
Au cours de son voyage, il combine travail et plaisir : aux parties de chasse au gros gibier et expéditions touristiques, succèdent les rencontres avec des officiels, colons et chefs de tribus. Dans ce récit de voyage, il conte ses journées africaines, décrivant du point de vue d'un Européen du début du XXe siècle l'innocence et le charme des tribus qu'il rencontre tout en dénonçant les abus du colonialisme.
Alternant considérations politiques et descriptions des paysages qui l'émerveillent, Churchill mène son lecteur le long du Nil, en Ouganda et au Kenya. Véritable oeuvre littéraire, ce texte n'avait jamais été traduit en français.
sommaire
- LE CHEMIN DE FER DE L'OUGANDA
- AUTOUR DU MONT KENYA
- LES HAUTES TERRES DE L'AFRIQUE DE L'EST
- LE GRAND LAC
- LE ROYAUME D'OUGANDA
- KAMPALA
- " EN SAFARI "
- LES CHUTES DE MURCHISON
- HIPPO CAMP
- LE LONG DU NIL BLANC
L'arme secrète du FLN
la guerre d’Algérie :
un épisode de la guerre froide ?
Maurice FAIVRE
- Matthew Connelly, L’arme secrète du FLN : comment de Gaulle a perdu la guerre d’Algérie, Payot 2011, 507 pages 30 €. Traduit par Françoise Bouillot.
Ce livre est une réédition du livre de l’historien Connelly, publié aux Etats-Unis en 2002 sous le titre A diplomatic Revolution. Algeria’s Fight for Independance and the origine of the Post-Cold War Era. Le titre accrocheur choisi par les éditions Payot trahit donc la thèse de l’auteur, qui est une analyse diplomatique sur l’internationalisation de la guerre d’Algérie, et sur les conséquences mondiales de cette orientation.
La documentation de cet ouvrage est particulièrement riche dans le domaine diplomatique où elle n’ignore rien des dépêches et des conversations engagées entre les autorités américaines et françaises, de la politique du GPRA et de l’habileté de ses négociateurs Yazid et Chanderli. La dimension internationale du conflit, avec l'implication du Maroc, de la Tunisie, des pays arabes et socialistes, du Tiers Monde, de l’OTAN et de l’ONU, est donc bien mise en relief, ainsi que la coexistence conflictuelle de plusieurs communautés algériennes.
Le jeu double des États-Unis, partagés entre le maintien des zones d’influence occidentales et le ménagement des Non-alignés, est concrétisé par la mise en place de bases aériennes au Maroc, la livraison d’armes aux Tunisiens et le soutien de la CIA aux syndicats libres (CISL) qui financent les nationalistes.
La présentation de la situation militaire sur le terrain se réfère au Memento du 2ème Bureau (série 1H1682), aux livres de Tripier (Autopsie de la guerre d’Algérie) et de Shrader (The first helicopter War). Elle montre que la rébellion intérieure a atteint son potentiel maximum à la fin de 1957 (15 à 18.000 armes de guerre) pour décliner dès la fin de 1959 et se réduire à 6.000 armes pour 3.000 réguliers en 1962. Les démêlés de Bourguiba avec l’ALN et la désinformation opérée par le KGB sont soulignés.
Malheureusement, l’auteur prend pour argent comptant des erreurs manifestes qui nuisent à son objectivité : les viols systématiques, le bombardement des villages, les regroupements affameurs, la loi du talion en août 1956, les estimations de Teitgen pour la bataille d’Alger, les 200.000 morts déclarés par de Gaulle, les 250.000 réfugiés au Maroc et en Tunisie, 200 tués au moins le 17 octobre 1961, les harkis ostracisés pendant des années dans des camps…, etc. Il situe le massacre d’Oran le 3 juillet 1962, avec 20 morts ; or c’est le 5 juillet avec environ 400 disparus.
En dépit de ces erreurs ponctuelles, l’ouvrage de Connelley ouvre la voie à des discussions intéressantes. La guerre d’Algérie est-elle effectivement un épisode de la guerre froide ? Elle se situe en effet dans une période de bouleversement des relations internationales : l’émergence de l’Europe et du Tiers Monde, le passage du XIXe au XXe siècle, l’équilibre de la terreur, les antagonismes Est-Ouest et Nord-Sud. Les nationalistes algériens se servent de ces antagonismes et utilisent les techniques léninistes de prise du pouvoir sans en adopter l’idéologie. Il en résulta des oppositions internes, à l’origine d’une nouvelle guerre civile. La guerre d’Algérie d’ailleurs n’est pas la première guerre irrégulière, modèle de guerre dans la population. L’expérience en avait été faite en Indochine.
Selon l’analyse de Connelly, «la victoire algérienne permit à la France de se libérer elle-même - de son fardeau colonial et des États-Unis». En fait, le fardeau colonial change de forme sans réduire son coût. Le prestige du Général dans le Tiers Monde est plus médiatique que réel.
Le retrait de l’Otan coïncide avec la fin de la guerre d’Algérie ; coïncidence malencontreuse, plus que conséquence. Le général Ely écrit en effet dans son journal de marche (janvier 1960) que «le général de Gaulle fait fausse route en créant artificiellement et volontairement le malaise dans l’OTAN, tout en ayant sur les bras l’affaire algérienne qui nécessite l’appui de tous nos alliés».
Enfin, la politique gaulliste d’apaisement des tensions Est-Ouest, proche du neutralisme, n’a pas contribué au déclin du Pacte de Varsovie, qui demandait davantage de fermeté que de diplomatie.
Maurice Faivre
le 18 juillet 2011
Boualem Sansal, Maurice Vaïsse, Matthew Connelly
et Aurélie Luneau à France-Culture (source)
politique coloniale française au Maroc (1912-1956)
la politique berbère du Protectorat français
au Maroc, 1912-1956
LES CONDITIONS D'ÉTABLISSEMENT DU TRAITÉ DE FEZ
La politique berbère du Protectorat français au Maroc (Tome 1)
(1912-1956)
Abraham Lahnite - Préface de Jean Martin
Histoire et perspectives méditerranéennes
Le 30 mars 1912 était signé à Fez le Traité de Protectorat qui allait être abrogé 44 ans plus tard, le 2 mars 1956. Ce fut l'une des plus courtes expériences de colonisation de l'histoire. Mais celle-ci a marqué à jamais le cours de l'histoire contemporaine du Maroc. L'objectif ici est d'éclairer le lecteur sur les conditions d'établissement de la politique berbère au Maroc, qui était à la fois l'oeuvre et l'orgueil du Maréchal Lyautey.
ISBN : 978-2-296-54980-7 • mai 2011 • 336 pages
Prix éditeur : 32 €
LE SOUSS GÉOGRAPHIQUE, HISTORIQUE ET HUMAIN
La politique berbère du Protectorat français au Maroc (Tome 2)
(1912-1956)
Abraham Lahnite
Histoire et perspectives méditerranéennes
La région du Souss, véritable trait d'union entre le nord du Maroc et le Sahara, fut un des pôles les plus attractifs, au point de vue humain, de l'Empire chérifien. Les maîtres de ces vallées, les "Seigneurs de l'Atlas", deviennent des auxiliaires indispensables à la pacification du Sud marocain. Ce livre vise à combler un aspect régional et local de l'histoire du Maroc.
ISBN : 978-2-296-54981-4 • mai 2011 • 402 pages
Prix éditeur : 35 €
L'APPLICATION DU TRAITÉ DE FEZ DANS LA RÉGION DE SOUSS
La politique berbère du protectorat français au Maroc T3
(1912-1956)
Abraham Lahnite
Histoire et perspectives méditerranéennes
Le Traité de Protectorat, signé à Fez le 30 mars 1912 par le Sultan Moulay Hafid, marqua le début de la présence française au Maroc jusqu'à son indépendance en 1956. Par une étude historique solide, ce livre a pour objectif de fournir des éléments nécessaires à la compréhension de l'évolution politique et sociale du pays berbère Chleuh, loin des stéréotypes ou des mythes.
ISBN : 978-2-296-54982-1 • mai 2011 • 284 pages
Prix éditeur : 27,5 €
- commande chez l'éditeur L'Harmattan