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études-coloniales
29 mars 2011

commissaire de police pendant la guerre d'Algérie

9782360130436FS 

 

 

Roger Le Doussal, policier, témoin,

acteur et historien en Algérie

Roger VÉTILLARD

 

Roger Le Doussal : Commissaire de Police en Algérie (1952–1962), Riveneuve éditions, Paris mars 2011, ISBN 978-2-36013-043-6.

Il s'agit d'un très gros ouvrage de 948 pages, passionnant, très documenté et qui en fait traite concomitamment de plusieurs sujets. C'est une chronique des dix dernières années de l'Algérie Française, du Sud au Nord, du bled aux grandes villes, du sable du Sahara aux bords de la Méditerranée, des pieds-noirs aux musulmans, de la police et de l'armée.

C'est aussi un récit d'histoire de la guerre d'Algérie, des politiques successives de la France en Algérie, des méfaits de l'ALN et de ceux de l'OAS. Ici les abondantes notes infra-paginales sont plus importantes que le texte. Avec ces annotations le témoin, l'acteur et l'historien se rejoignent.

Les effets favorables de l'arrivée au pouvoir en mai 1958 du général De Gaulle sont indéniables pendant deux ans : le FLN était en difficultés jusqu'en juin 1960. Et il est évident que le mois de mai 1958 fut le théâtre d'un phénomène collectif imprévu, une sorte de contagion de la confiance et que durant plusieurs mois dans les villes mais surtout dans les campagnes, une grande partie de l'opinion musulmane échappa au FLN.

Et à ceux qui disent aujourd'hui que les Français d'Algérie ont pris leurs désirs pour des réalités, il est rappelé que l'UNR fut fondée en vue des élections législatives de novembre 1958 "pour maintenir l'Algérie dans le cadre de la souveraineté française".

C'est enfin, le parcours d'un jeune policier métropolitain qui découvre à vingt-et-un ans un pays  auquel il s'attache, où il fonde une famille et s'y installe. Les rapports professionnels qu'il rédige constituent un véritable journal qu'il redécouvre cinquante ans plus tard parfois à sa grande surprise. C'est en effet celui d'un homme dont les présupposés idéologiques se heurtent aux réalités du terrain.

À travers ce récit, on découvre que les jeunes français d'Algérie à la fin des années cinquante vivent cette période de troubles avec une réelle insouciance ; ils s'accommodent des problèmes d'insécurité et n'imaginent pas un avenir loin de leur terre natale. Avec une plume alerte et agréable, le Commissaire Le Doussal - qui fut en 1989 directeur de l'Inspection Générale de la Police – confronte ses souvenirs personnels à des lectures récentes.

 

les erreurs de plusieurs historiens

Cela l'amène à relever les erreurs de plusieurs historiens. C'est vrai pour Hassen Derdour (1) dont l'auteur montre les insuffisances et les fausses-révélations, les inexactitudes et le manque d'objectivité, les manipulations des faits qu'il transforme en roman historique. C'est à propos de ces récits que l'auteur  écrit  que "si un jour, une commission mixte d'historiens français et algériens entreprend d'écrire une histoire commune de la guerre, elle devra commencer par la purger des allégations mensongères…".

C'est vrai pour Sylvie Thénault (2) qui ne voit que les côtés négatifs de l'activité de la justice française à cette période. C'est surtout vrai pour Jean-Pierre Peyroulou (3) dont les affirmations sur la police en Algérie sont contredites, preuves à l'appui. C'est encore le sort réservé à son collègue policier Jacques Delarue (4) dont Roger Le Doussal  relève le parti-pris. Il est impossible en quelques lignes de résumer une telle somme, d'en montrer tous les intérêts et de citer toutes les révélations, réflexions et analyses. Il faut en souligner la rigueur du raisonnement, l'objectivité indéniable et la richesse des sources.

Mais au fil des pages on y découvre des informations inédites. L'auteur a participé en février 1955 à l'interrogatoire de Mostefa Ben Boulaïd  responsable de la Zone I (Aurès). Le compte-rendu qu'il en livre mérite d'être connu. Robert Lacoste aurait basculé dans la guerre à outrance contre le FLN après l'embuscade de Palestro le 18 mai 1956, un peu comme Jacques Soustelle l'a fait après le 20 août 1955. C'est l'erreur des gouvernements français d'avoir pensé en laïcs les motifs profonds de la rébellion musulmane, c'est-à-dire d'avoir sous-estimé son moteur religieux. On retrouve un aspect souvent tu de cette guerre d'Algérie, celui qui opposa le MNA et le FLN.


anecdotes oubliées

On relève quelques remarques frappées au coin du bon sens : ainsi il faut une certaine dose d'audace à certains ex-FLN qui dénoncent aujourd'hui le manque de reconnaissance de la France envers ses tirailleurs algériens anciens combattants alors que l'ALN les a méthodiquement massacrés pendant 7 ans. Ou encore pourquoi le non de la Guinée au référendum de septembre 1958 est-il considéré comme définitif alors que le oui de l'Algérie ne l'est pas ?

On apprend des anecdotes oubliées comme le refus que le colonel Ahmed Rafa opposa au général De Gaulle en 1962 qui lui demandait de prendre le commandement de la force locale prévue par les accords d'Évian. Le futur premier général musulman français choisit la France et non l'Algérie du FLN.

Enfin au passage l'auteur rappelle  que la guerre d'Algérie, du fait du FLN a fait plus de 20 000 morts, 13 000 blessés et 13 000 disparus parmi les civils musulmans, ce qui prouve que cette faction ne représentait pas loin s'en faut tous les musulmans du pays. Avec ce livre les chercheurs, les historiens, les curieux de l'histoire de l'Algérie disposent désormais d'un outil irremplaçable et original. Ne pas l'utiliser et ne pas le lire seraient une erreur pour qui veut mieux connaître ces événements.

Roger VÉTILLARD 



1 - Hassan Derdour, Annaba, 25 siècles de vie quotidienne et de luttes, SNED éd. Alger  1983, Tome 2.
2 - Sylvie Thénault, Une drôle de Justice, La Découverte éd. Paris 2004.
3 - Jean-Pierre Peyroulou, "Rétablir et maintenir l'ordre colonial ; la police française et les Algériens en Algérie Française de 1945 à 1962" in La Guerre d'Algérie 1954-2004, Robert Laffont éd. Paris 2004.
4 - J. Delarue, "La police en paravent et au rempart" in La guerre d'Algérie de J.P Rioux, Fayard éd. Paris 1990.

* sur Roger Vétillard, un article de Guy Pervillé

* vidéo : Roger Vétillard, sur les événements de mai 1945 à Sétif

9782851622136FS

 

__________________________________________

 

 

Roger Le Doussal met à mal

bien des idées reçues

général Maurice Faivre

 

Additif à la recension de Roger Vétillard

Tout à fait d’accord avec le jugement de Roger Vétillard, je voudrais simplement le compléter par les précisions suivantes :
- débutant comme Commissaire de police à Laghouat1, puis à Bou Sadda de février 1952 à octobre 1954, Roger Le Doussal est affecté aux RG ( renseignements généraux) à Batna (nov.54) puis à Bône (juillet 55). Il rejoint la Direction de la Sûreté nationale à Alger de février 1960 à janvier 1962. Rapatrié  à la SN Paris, puis aux RG Toulouse, il quitte le service en 1989 comme Directeur de l’Inspection générale de la Police nationale ;
- ses témoignages, précis et localisés, démontrent que la Police d’Algérie n’était pas un ramassis de racistes, politisés, partisans, inefficaces et routiniers, tels qu’ils sont diffamés par Peyroulou, Vidal-Naquet, Delarue et Sylvie Thénault, et que les milices privées n’ont existé qu’en 1945 à Guelma ;
- il rappelle que le Parti communiste, exultant à la chute de Dien Bien Phu, est devenu le compagnon de route du FLN ;
- ayant interrogé Mostefa Benboulaïd à Tunis, il confirme que le terrorisme total, se référant au djihad, a été la politique initiale du FLN (bien avant l’attentat du 10 août 1956 rue de Thèbes), appelant à la chasse au roumi et terrorisant une population musulmane qui n’adhérait pas à ses thèses (Daho Djerbal) ; Zirout Youssef, promoteur des massacres, est devenu héros national de l’Algérie ;
- l’horrible embuscade de Palestro n’est pas l’inversion de l’ordre politique et symbolique décrite par R.Branche ;
- la drôle de justice française, dénoncée par Sylvie Thénault, aurait méritée d’être comparée à la pseudo-justice du FLN, dont les excès sont justifiés au nom de la Charia ;
- la tentation de la torture, moralement condamnable, était confrontée au dilemme entre deux devoirs : protéger des innocents ou respecter la dignité humaine ;
- il estime que 50 Inspecteurs détachés dans les DOP ont été des collaborateurs actifs de la recherche du renseignement ; la lutte contre le terrorisme à Bône a été conduite en coopération étroite entre l’officier de renseignement du Secteur et les RG, à la demande du général Vanuxem ; le succès de l’action psychologique de l’armée, après le 13 mai, a été compromis par le retrait des militaires des CSP, qui a entraîné l’opposition des Français d’Algérie et le trouble des musulmans ;
- l’auteur confirme le point de vue du général Khaled Nezzar, qui condamne la légéreté avec laquelle les djoundis de Tunisie étaient envoyés au casse-pipe sur le barrage ;
- alors qu’en 1961 la Police est engagée en priorité contre l’OAS, le chef du SNA Aubert, succédant au colonel Godard , est partisan de la monstrueuse Force locale ; il relève 1.100 policiers dans l’année ; on ne peut parler cependant de complicités de policiers avec l’OAS,  7 sur 2.000 CRS ont déserté ; plus tard, la mission Choc du Cre Haq est renseignée par les barbouzes du MPC, et indirectement par le FLN.

La richesse des informations recueillies par R. Le Doussal appellerait bien d’autres commentaires2. Cette lecture, écrit Georgette Elgey, met à mal bien des idées reçues. Souhaitons qu’après elle, de nombreux lecteurs fassent le même constat.

Maurire FAIVRE
le 14 avril 2011


(1) L’administrateur Georges Hirtz et Jean Vaujour sont alors ses références.
(2) Ainsi la destruction des archives de la DST le 24 décembre 1974, et les difficultés rencontrées par le Directeur le Doussal pour faire ériger une plaque à la mémoire des 11 Commissaires tués par attentat.

 9782360130436FS

 

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